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Full text of "Un prélat italien sous l'ancien état pontifical [microform] : Léon XIII d'après sa correspondance inédite : de Bénévent à Pérouse (1838-1845)"

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MASTER 
NEGA  TIVE 
NO.  92-81051 


MICROFILMED  1 993 
COLUMBIA  UNIVERSITY  LIBRARIES/NEW  YORK 


»T7      j    .         .  ^s  part  of  the 

J^oundations  of  Western  Civilization  Préservation  Project" 


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would  invoive  violation  of  the  copyright  law. 


AUTHOR: 


BOYER  D'AGEN,  JEAN 


TITLE: 


UN  PRELAT  ITALIEN 
SOUS  L'ANCIEN  ETAT 

PLACE: 

PARIS 

DA  TE  : 

1907 


Restrictions  on  Use: 


COLUMBIA  UNIVERSITY  LIBRARIES 
PRESERVATION  DEPARTMENT 

BIBLIOCR  APHIC  MTCROFORM  TARHFT 


Original  Material  as  Filmed  -  Existing  Bibliographie  Record 


93f),09 
L555 


Boyer  d'Agen,  Jean  Auguste  Boyé,  oalled  Augustin, 
jLoo  y  "• 

...  Un  prélat  italien  sous  l'ancien  état  pon- 
tifical: Léon  XIII  d'après  sa  correspondance 
inédite.   De  Bénévent  à  Pérouse  (1838-1845) 
Paris,  Juven  cl907j   • 

viii,  580  p.   front;,  illus.  (inol,  ports. ^ 
plan,  facsim.)  plates.  24^. 

At  head  of  title:  Boyer  d'Agen. 
Running  title:  La  prôlature  de  Léon -XIII, 
r  op,PfS^s  546-572  misnumbered  f 405 1 -452. 


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Mas  ter  Négative  # 


TECHNICAL  MICROFORM  DATA 

l'^GE  PLfcE-lâ^rV^--IB     IIB       ^^^^^^^^^     RATIO:__A. 

2^ZL  £L^!?i-_-i---:^-::^^- INITI  ALS___i:7^_ 


^^'^^^^^=   RESEARCH  PTfmiCAT'inNq  TNir  woonRRmnfyT 


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IIIBLIOGIIAPHIC  UUIEGULARITIES 


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MRNUFflCTURED   TO  fllIM  STflNDnRDS 
BY   APPLIED   IMAGE.    INC. 


BOYER    D'AGEN 


Un  Prélat  Italien 


sous 


l'ancien    État    Pontifical 


^ 


LEON    XIII 

d après  sa  correspondance  inédUe 


^ 


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'^'  @  @  ©  ©   PARIS   @  @  @  @  @ 
Société    d'Édition    et    de    Publicationm 

Librairie     FÉLIX     JUVEN 

@  ©  @  122,  rue  Rêaumur,  122  @  @  @ 


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UN  PRÉLAT  ITALIEN 


sous 


L'ANGIKxX   KTyVT    PONTIFICAL 


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Tous  droits  de  reproduction  et  de  traduction  réservés  pour  tous  pays. 


Publithed  31  mars  1907.  Pricilege  o/copyrirjht 

in  tlie  U.  S.  A.  reserced  under  the  act  approced  March  3  1905, 

by  Société  d'Édition  et  de  Publications,  Paris. 


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BOYER  D'AGEN 


UN 


PRÉLAT  ITALIEN 


SOUS 


L'ANCIEN  ÉTAT   PONTIFICAL 
Léon  XIII  d'après  sa  correspondance  inédite 


»  » 


DE  BENEVENT  A   PÉROUSE 

(1838-1845) 


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PAf(I.S.  ; 


SOCIÉTÉ  d'Édition  ET  de  PVBLitÀTiojjfs'  :  ;\\ 
Librairie     'FMikx\ . *  i*  tj  V-E  N-   / 

122,    RUE     RÉAUMîJn,     122       * ''  •     .'        ;* 


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Le  ^UlpaeVr.TadôlMn/pïôpar.int're  monument  funèbre  de  Léon  XIII 
•        *  '•'  ,  ji^am»-J)Baû-ae-4-atran. 


••"_•* 


Aux  Détracteurs  et  aux  Partisans 
DE  l'ancien  État  Pontifical  et  du  feu  Pape  Léon  XIII 


La  séculaire  nécropole  de  San-Pietro,  trop  pleine 
(Vombrcs  pontificales  que  les  âgesj-  assemblent  en  solen- 
nels fantômes  de  marbre  et  de  bronze  ouvrant,  avec  un 
dernier  fi'cste  de  grandeur,  les  portes  du  temps  qui  passe 
au  seuil  de  l'éternité  qui  demeure,  rend  à  celle  de  San- 
Giovanni  la  dépouille  mortelle  de  celui  qui  fit  Léon  XIII 
d'immortelle  mémoire  et  dont  il  ne  reste  pluH  que  des 
cendres  :  OSSA  ET  CINERES  LEONIS  PONT,  MAX. 
Pour  si  splendide  que  soit,  au  Vatican  ou  au  Latran,  un 
de  ces  numuments  funèbres  oii  des  statues  de  pierre  et  de 
métal  ne  suffisent  pas  à  garder  ces  ossements  et  ces  cen- 
dres se  perdant,  à  la  lon<rue,  entre  les  fêlures  de  ces 
vaines  urnes  du  néant;  vaut-il,  pour  Vauguste  mémoire 
qu  on  prétend  honorer,  la  fragilité  même  d'un  livre  dont 
les  feuilles  lég-ères,  survolant  au  vent  de  la  tombe,  sem- 
blent plus  aptes  à  abriter,  contre  la  fatale  adversité  des 
âges  ennemis,  une  âme  dont  le  soiiffle  immatériel  y  survi- 
vra plus  longtemps,  peut-être  ? 

Urnefunèbre  decet  État  pontifical  et  d' un  de  ses  grands 

papes  qui  ne  sont  plus,   ce  livre  nen  veut  avoir  que  la 

forme  et  la  pensée  posthumes.  En  dédiant  sa  première 

édition  qu'un  caprice  du  sort  ne  laissa  même  pas  paraître, 

l'auteur  adressait  les  réjlexions  suivantes  à  un  chroni- 


/: 


CD 

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Le  ^^:Ulpaew;;ladclM)i  .pyoparîTritiV  iiioinimciit  funèbre  «le  Li-on  Mil 

.  à  >>ai:it-J)DaA-ae-^Latraii 


•  • 


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Aux   DiVnrvi Tr:i  Fîs   1:1    ai  x  Pahtisans 
i)K  L  ancii:n  Etat  Pontimcal  et  di   it:i   Pape  Léon  XIII 


La  siTulaiiv  nrcntpofr  de  San-Piolm.  trop  pleine 
(r(nnhres  panti/icalex  tiue  les  ânes  y  assemblent  en  solen- 
nels /ant()ntes  (le  /narine  et  de  bnutze  (nwrant,  avec  un 
dernier  i^este  de  ^randear,  les  pintes  du  temps  qui  passe 
au  seuil  de  r éternité  qui  demeure,  rend  à  celle  de  San- 
Giovanni  la  dépiniille  nuntelle  de  eelui  qui  fut  Léon  XIII 
d'unnantelle  nuhmnre  et  (Unit  il  ne  reste  plus  que  des 
cendres  :  OS  SA  ET  CLXKIŒS  LEONIS  PONT.  MAX. 
Pinir  si  splendide  que  suit,  au  Vatican  ou  au  Latran,  un 
de  ces  numuments  funèlues  (di  des  statiws  de  pierre  et  de 
métal  ne  su/'/isent  pas  à  tarder  ces  ossenwnts  et  ces  cen- 
dres se  perdant,  à  la  Itm^ue,  entre  les  fêlures  de  ces 
vaines  urnes  du  néant;  vaut-il,  piuirl auguste  mémoire 
qu'on  préteiul  lununer,  la  fragilité  ménw  d'un  livre  dont 
les  feiu lies  lén-èies,  surv(dant  au  vent  de  la  tombe,  sem- 
blent plus  aptes  à  abriter,  amtre  la  fatale  adversité  des 
âi^es  ennemis,  une  ame  (huit  le  sauf Jle  immatériel j'  survi- 
vra plus  bmn- temps,  peut-être? 

irne funèbre  de  cet  État  pontifwal  et  d'un  deses^rands 

papes  qui  ne  stmt  plus,    ee  livre  nen  veut  avoir  que  la 

fornw  et  la  pensée  posthumes.  En   dédiant  sa  première 

edituni  qtéttn  caprice  du  siwt  ne  laissa  même  pas  paraître, 

tau  leur  adressait  les  réflexions  suivantes  à   un  chronl- 


/ 


—  VI  — 

queur  alors  catholique  qui,  depuis,  a  voilé  son  nom  comme 
une  urne  funèbre  aussi,  de  cette  même  main  dont  les 
Néron  de  tous  les  âges  et  de  toutes  les  tailles  osent  frapper 
le  sein  qui  les  porta.  i(  Je  vous  dédie  ce  livre,  luiécrivaLs-Je, 
pour  la  seule  raison  de  vous  rendre  une  phrase  que  vous 
lui  aurez  prêtée  ;  bonne  œuvre,  extraite  des  Belles  Œuvres 
que  vous  nous  faites  lire  et  oit  vous  avez  conscience  d'avoir 
déposé  le  meilleur  de  votre  esprit,  en  frère  incorrigible  des 
folles  Danaïdes,  dans  un  de  ces  tonneaux  sans  fonds  de 
nos  librairies  conte/nporaines  qui  reçoivent  tant  et  con- 
servent si  peu  de  nos  œuvres,  à  nous,  (Je  qui  nous  restera 
des  vôtres  sera  l  autel  que,  degré  par  degré,  vos  feuilles 
Vune  sur  Vautre  auront  dressé  très  haut  au  <i'rand  vieil- 
lard  et  à  la  patriarcale  figure  quun  siècle  entier,  le  XIX'', 
encadra  et  auréola.  A  côté  de  V  amour  empressé  des  uns  pour 
ce  pape  moderne,  la  haine  retardataire  des  autres  ne  compte 
pas.  La  simplicité  de  ses  lettres  oii  transparaît  son  âme 
blanche,  comme  à  travers  la  blancheur  de  sa  robe  pontifi- 
cale, nous  leposera  de  la  complexité  des  vôtres.  Je  les  ai 
recueillies,  comme  des  lis,  parmi  les  ronces.  Ce  ne  sont 
pas  les  verges  que  le  licteur  retourne  contre  son  consul. 
Mais  supposez  qu'après  le  supplice  du  saint  marfj'r  de 
Sébaste,  un  Parthe  audacieu.x,  iyi massant,  sur  le  champ 
d  exécution  les  flèches  abandonnées  par  la  légion  suppli- 
ciaire,  ait  voulu  les  lier  en  faisceau  pour  les  offrir  en 
ex-voto  au  proconsul  qui  commanda,  du  même  coup,  la 
passion  et  l'apothéose  du  héros. 

«  En  vous  adressant,  à  vous  chroniqueur  brillant  et 
indiscret  des  menus  faits  de  l' Eglise,  cette  simple  Chro- 
nique d'une  famille  romaine  sous  Taneieu  État  Pontilieal 
dont  les  coutumes  si  originales  furent,  jadis,  si  savou- 
reuses et  ne  sont  plus  aujourd'hui  quune  orange  dessé- 
chée dans  l'ennuyeu.x  jardin  des Hespérides  de  V Histoire-, 
je  désire  surtout  vous  restituer  la  traduction  d'une  pensée 


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-  VII  - 

latine  que  je  vous  doùi.  Le  pape  Léon  XIII  l'avait  origi- 
nairement inscrite,  en  lettres  de  marbre,  au  frontispice  de 
/'Archivio  Valicano,  quand  il  ouvrit  au  monde  des  lettres 
étonné  les  secrets  séculaires  d'une  Eglise  qui  ne  perd  rien 
à  être  mieux  connue.  En  forme  de  cul-de-lampe  ironique 
peut-être,  et  en  émule  du  maître  des  Diaboliques  qui  vous 
inspire,  dit-on,  vous  Vavez  reproduite  aux  dernières  lignes 
de  votre  dernier  livre,  en  ces  termes  : 

La  première  loi  de  THistoire  est  de  ne  pas  oser  mentir; 
la  seconde,  de  ne  pas  craindre  de  dire  la  vérité.  En  outre, 
l'historien  ne  doit  prêter  au  soupçon  ni  de  flatterie  ni 
d'animosité. 

«  Parthe  ou  barbare,  j'ai  ainsi  rendu  à  César  ce  qui  lui 
appartient,  et  je  ne  veux  retenir  pour  moi  que  ce  dont  il 
m' honore  encore;  je  veu.xd  ire  V  estime  qu  il  vous  plaît  de  me 
témoigner ,  au.x deu.x points  extrêmes  de  la  ligne  d' horizon 
oii  nous  avons  considéré  diversement  V ascension  réelle  et 
l  apparente  oscillation  de  V astre  bienfaisant  qui  n'eut  que 
faire,  ni  de  vos  critiques,  ni  de  mes  éloges  et  qui  éclaire, 
finalement,  d'une  égale  condescendance,  votre  armure 
gorgonienne  de  truculent  Oplithès  et  ma  simple  tunique 
de  Brnjamin  naïf  peut-être.  »  Et  maintenant,  va,  livre ,  à 
la  ville.  Tu  ny  trouveras  plus  roi,  le  pacifique  vieillard 
qui  j"  continua,  en  vingt-cinq  ans  d'un  pontificat  familial 
et  radieu.x,  la  souveraineté,  dix-neuf  fois  séculaire,  d'un 
père  au  milieu  de  ses  fils,  plutôt  que  celle  d'un  roi  parmi 
ses  sujets.  Sois  un  rayon  de  cet  a^stre  bienfaisant,  s'attar- 
da nt  sur  l'horizon  quil  dore  encore.  Tombe  ou  sillon,  sois 
un  morceau  de  cette  petite  terre  où  toute  espérance  n'est 
pas  morte.  Eh!  qu'importe  que  des  maîtres  nouveau.x  s'ins- 
tallent, pour  un  temps,  sur  cette  terre  antique  où  les  com- 
pagnons malheureux  du  pieux  Enée  trouvèrent  un  autre 
Sinioïs  et  une  autre  Uion.  Cette  Borne  des  papes,  patiente 
parce  quelle  est  éternelle,  n'a-t-elle  pas  vu  passer,  depuis 


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—  VIII  — 

les  jours  des  anciens  Attila  jusqu'à  ceux  des  Bonaparte 
modernes,  tant  de  conquérants  d'un  jour  qui  n  usèrent 
tout  au  plus,  sur  les  marbres  du  Forum  dévasté  et  du 
Vatican  debout  encore,  que  le  sabot  de  leurs  cavales  bar- 
bares ou  le  talon  de  leurs  bottes  inutilement  sacrilège? 

Paris,  le  2  mars  1907  et  le  9;*  anniversaire  de  la  naissance 
de  S.  S.  Léon  XIII. 

B,  d'A. 


INTRODUCTION 


LES  PRÉFECTURES  DE  JOACHIM  PECCI 


Heilbuth.  -  L'ne  antichambre  prélatalice  sous  l'Ex-Etat  Pontifical. 


T 


Par    cette    douce    et 
presque  tiède  matinée  de 
mars  napolitain,  le  pre- 
mier   angélus    sonnait, 
presque  à  la  fois  et  pres- 
que à  l'endiablée,  depuis 
la  bleue  Mergellina  où  la 
lune  inclinait  son  crois- 
sant fatigué  de  sa  veille 
nocturne,  jusqu'aux  loin- 
tains dorés  de  Portici  où 
le  soleil  levant  dessinait 
son    orbe     d'irradiante 
aurore  contre  l'énorme 
cône   du  Vésuve  rouge, 
comme   une  orange  gi- 
gantesque    ou     comme 
une  formidable  grenade  crevant  en  lave  et  fumant  par  le 

1 


Bénévenl.  —  Parc  de  la  Préfcclurc. 


—  VIII  — 

les  jours  des  anciens  Attila  jiisifu  à  ceux  des  Bonaparte 
modernes,  tant  de  conr/uerants  d'un  Jimr  qui  n  usèrent 
tout  au  plus,  sur  les  marbres  du  Forum  dés^astc  et  du 
Vatican  debout  encore,  que  le  salmt  de  leurs  cavales  bar- 
bares ou  le  talon  de  leurs  bottes  inutilement  sacrilège? 

Paiis,  le  2  mais   u)oy  et  le  97»  anniversaire  de  la  naissance 
de  S.  S.  Léon  XHI. 

B.  d\{ . 


INTRODUCTION 


y 


Heilbuth.  -  L'ne  ant.cha.nbro  prélatatire  .ous  lEx-Etat  Pontifical. 


LES  PRÉFECTURES  DE  JOACHIM  PECCI 


r 


Par    celte    douce    et 
presque  liède  matinée  de 
mars  napolitain,  le  pre- 
mier   angélus    sonnait, 
presque  à  la  fois  et  pres- 
(|ue  à  Tendiablée,  depuis 
la  bleue  Mergellina  où  la 
lune  inclinait  son  crois- 
sant fatigué  de  sa  veille 
noclurne,  jusqu'aux  loin- 
tains dorés  de  Portici  où 
le  soleil  levant  dessinait 
son     orbe     d'irradiante 
aurore   contre  Ténorme 
cône   du  Vésuve   rouge, 
comme   une  orange  gi- 
gantesque    ou     comme 
une  formidable  grenade  crevant  en  lave  et  fumant  par  le 

1 


lléih'veiil.  —  l»apc  de  la  l'ivIV'cUirc. 


■iSf.JSI 


2  IMRODLCTION. 

faîle.  A  riieure  dite,  le  frisquet  cameriere  m'ouvrit,  sans 
bruit,  la  porte  de  la  locanda  et  me  souhaita  bon  voyage. 
L'aubergiste  avait  à  peine  refermé  lourdement  sur  moi  son 
portone  à  triples  verroux,  —  sans  doute  en  prévision  des 
ladi'iy  — que,  sur  le  trottoir,  je  me  trouvai  aussitôt  cerné 
par  un  cercle  de  lazzarones  couchés,  qui  se  levèrent  leste- 
ment, à  six  ou  huit,  comme  un  seul  homme,  et  qui 
m'apostrophèrent  à  la  fois  : 

—  'GnoVy  qiiàl,,  Zi,  quàl..  Hep,  monsieur!.,  llep,  mon 
oncle!... 

C'était  six  ou  huit  veiiurini  qui  m'invitaient  en  même 
temps  à  monter  pour  dix  sous  en  fiacre,  moi  leur  sire,  moi 
leur  oncle,  dont  ils  ne  s'étaient,  certes,  pas  donné  le  temps 
d'entrevoir  la  juvénile  baihiche.  Ces  six  ou  huit  bons  dia- 
bles avaient  appris,  la  veille,  à  Valbergo,  que  je  partirais 
pour  Bénévent  aux  aurores  du  lendemain  ;  et,  pour  risquer 
de  piper  au  passage  les  dix  sous  incertains  d'un  probléma- 
tique client,  ils  n'avaient  pas  hésité  à  pernocter  sous  la 
belle  étoile,  parquant  leurs  six  ou  huit  chevaux  en  rond, 
autour  d'une  botte  de  foin.  Ils  avaient,  eux  aussi,  pour 
dormir,  installé  une  autre  botte  de  foin  sur  la  chaussée  où 
leurs  six  ou  huit  têtes  reposaient  à  la  fois  et  faisaient  des 
songes  d'or  ou  d'argent  ou  de  cuivre  quand,  me  voyant 
paraître,  ils  se  dressèrent  comme  un  seul  homme  et  parlè- 
rent tous  à  la  fois  pour  m'offrir  leurs  sei*vices,  i\  dix  sous. 
Je  ne  pouvais  pourtant  pas  accepter  les  six  ou  huit  voitures. 
Entre  tant  de  bras  qui  se  tendaient  pour  me  débarrasser  de 
ma  valise,  j'escaladai  la  carrozzella  la  plus  proche.  Le  guail- 
lone  que  la  fortune  avait  choisi,  bien  à  l'aveuglette  sous  ce 
premier  petit  jour  noir,  sauta  leste  et  joyeux  sur  son  siège. 
Et  «  hue!  ha!  ha!  »  nous  détalâmes  vers  la  gare,  par  un 
galop  de  forsenmto  à  un  kilomètre  la  minute;  les  autres 


INTRODLCTIOi>.  5 

vetlurim  nous  suivant  encore  pour  s'offrir,  à  huit  sous, 
puis  à  six,  puis  h  quatre.  Finalement,  par  les  rues  sombres 
où  les  clairs  angélus  tintaient  plus  fort  que  les  sonnailles 
Uipageuses  des  chevaux,  les  fiacres  délaissés  s'égrenèrent. 
En  me  retournant  dans  le  mien,  je  les  vis  l'un  après 
l'autre  se  perdre,  de  lanterne  à  lanterne,  le  long  des  salite 
escarpées,  avec  les  dernières  étoiles  qui  tombaient  blondes 


Vn  corrtcolo  napolitain. 

dans  la  mer  bleue  et  qui  ne  rappelaient  que  de  trop  loin 
celles  de  la  Fortune  se  refusant  au  toujours  pauvre  et 
toujours  jovial  vetturino  de  Naples. 

—  Oliel  staf  attenta  !..  Et  attention  !  C'est  pour  le  train 
de  Caserte,  ne  vero? 

—  Zteccoci  quàl  Précisément,  mon  oncle!  Nous  y 
sommes. 

Le  temps  de  sauter  bas,  d'allonger  au  cocher  —  mon 
neveu  —  ses  cinq  baïocs,  de  prendre  à  l'envolée  un  aller- 
retour  pour  Bénévent   au   sportello  de  la   gare    toujours 


■i    1 


2  I.NTIÎ(M)r<:TION. 

faîle.  A  riieuie  dile,  le  IVisciuel  cameriere  m'ouvrit,  sans 
bruit,  la  porte  de  la  locanda  et  me  souhaita  hou  voyage. 
L*aul)ergiste  avait  à  peine  refermé  lourdement  sur  moi  son 
portone  à  triples  verroux,  —  sans  doute  en  prévision  des 
ladriy  — que,  sur  le  trottoir,  je  me  trouvai  aussitôt  eerné 
par  un  eercle  de  lazzarones  couchés,  qui  se  levèrent  leste- 
ment, à  six  ou  huit,  comme  un  seul  homme,  et  qui 
m*apostrophèrent  à  la  lois  : 

—  ^Gnor,  tpia!..  Xi,  qtuiL.  IIe|>,  monsieur!..  Hep,  mon 
oncle!... 

C'était  six  ou  huit  retturlni  qui  m'invitaient  en  même 
temps  à  monter  poui-  dix  sous  en  fiacre,  moi  leui*  sire,  moi 
leur  oncle,  dont  ils  ne  s'étaient,  celles,  pas  donné  le  temps 
d'entrevoir  la  juvénile  haihiche.  Ces  six  ou  huit  bons  dia- 
bles avaient  appris,  la  veille,  à  Valhergo,  (pie  je  partirais 
pour  15énévent  aux  aurores  du  lendemain  ;  et,  pour  riscpier 
de  piper  au  passage  les  dix  sous  incertains  d'un  probléma- 
tique client,  ils  n'avaient  pas  hésité  à  pernocler  sous  la 
belle  étoile,  parquant  leurs  six  ou  huit  chevaux  en  rond, 
autour  d'une  botte  de  foin,  ils  avaient,  eux  aussi,  pour 
dormir,  installé  une  autre  botte  de  foin  sur  la  chaussée  où 
leurs  six  ou  huit  télés  reposaient  à  la  fois  et  faisaient  des 
songes  d'or  ou  d'argent  ou  de  cuivre  c|iiand,  me  voyant 
paraître,  ils  se  dressèrent  comme  un  seul  homme  et  parlè- 
rent tous  à  la  fois  pour  m'offrir  leurs  services,  à  dix  sous. 
Je  ne  pouvais  pourtant  pas  accepter  les  six  ou  huit  voitures. 
Kntre  tant  de  bras  qui  se  tendaient  pour  me  débarrasser  de 
ma  valise,  j'escaladai  la  cavrozzcUa  la  plus  proche.  Le  riuail- 
lone  que  la  fortune  avait  choisi,  bien  à  l'aveuglette  sous  ce 
premier  petit  jour  noir,  sauta  leste  et  joyeux  sur  son  siège. 
Et  ((  hue!  ha!  ha!  »  nous  détalâmes  vers  la  gare,  par  un 
galop  de  forsennato  à  un  kilomètre  la  minute;  les  autres 


INTKOIJI  CTIO.N.  5 

vetturlul  nous  suivant  encore  pour  s'offrir,  à  huit  sous, 
puisa  six,  puis  à  quatre.  Finalement,  par  les  rues  sombres 
où  les  clairs  angélus  tintaient  plus  fort  que  les  sonnailles 
tapageuses  des  chevaux,  les  fiacres  délaissés  s'égrenèrent. 
En  me  retournant  dans  le  mien,  je  les  vis  l'un  après 
l'autre  se  perdre,  de  lanterne  à  lanterne,  le  long  des  salite 
escarpées,  avec  les  dernières  étoiles  (pii  tombaient  blondes 


i  — . 


j 


l'ii  corneolo  najMjlilaiii. 


dans  la  mer  bleue  et  qui  ne  rappelaient  (jue  de  trop  loin 
celles  de  la  Fortune  se  refusant  au  toujours  pauvre  et 
toujours  jovial  retlurino  de  Naples. 

—  Ohel  Uat'  attento!..  Et  attention  !  C'est  pour  le  train 
de  Caserte,  ne  vero? 

—  Zieccoci  quà!  Précisément,  mon  oncle!  Nous  y 
sommes. 

Le  temps  de  sauter  bas,  d'allonger  au  cocher  —  mon 
neveu  —  ses  cinq  baïocs,  de  prendre  a  l'envolée  un  aller- 
retour  pour  Bénévent   au   sportello  de  la   gare    toujours 


^ 


4  INTRODLCTION. 

ouvert  au  ven!  qui  passe  et  au  voyageur  qui,  lui,  ne  par- 
vient pas  toujours  à  passer.  Dans  la  cohue,  je  me  porte  sur 
le  flot  des  Napolitains  qui  vont  aussi  prendre  le  train,  ou  le 
regarder  prendre.  J'arrive  enfin  et  je  m'engoufl're  en  coup 
de  vent,  quand  le  train  siffle,  dans  un  compartiment  plein 
jusqu'aux  bords  de  gens  qui  s'y  entassent  et  s'y  pré- 
parent à  achever  leur  nuit,  avec  un  supplément  de  som- 
meil. 

Dormir,  dans  le  Napolitain?  J'avais  compté  sans  les  gui- 
tares. Nous  n'avons  pas  franchi  le  tintamarre  des  ponts 
roulants  et  des  plaques  tournantes  que,  du  carré  formé 
silencieusement  parnos tètes  branlantes, l'ombre  vague  d'un 
voyageur  tire  d'un  vague  sac  de  lustrine  un  objet  vague.  Je 
le  devine  aussitôt,  à  ses  accords  d'abord  sournois,  et  puis 
sonores  :  c'est  une  guitare  et  son  suonatore,  compagnon 
assuré  de  tout  Napolitain  en  voyage  hors  delà  ville  où  la 
musique  est,  avec  le  macaroni,  le  plus  indispensable  vade 
mecum  du  touriste.  C'est  aussi,  —  tout  compte  fait,  qui 
n'est  guère  plus  gros  dans  le  comptoir  de  l'épicier  que 
dans  la  poche  du  musicien,  —  le  moins  indigeste  et  par- 
lant le  plus  facile  à  supporter  sous  un  ciel  toujours  pur 
qui  volatilise,  en  un  instant  d'oubli,  le  plus  mauvais  repas 
comme  la  plus  mauvaise  musique.  Celle  de  notre  Orphée 
ambulant  allait,  du  poulchinellesque  Funicidi  au  pathé- 
tique'0  so/^  m/o,  dans  cet  inépuisable  répertoire  du  golfe 
bleu  quï  jette,  au  hasard  de  la  trouvaille,  sur  l'aristocra- 
tique Ghiaia  ou  sur  la  populacière  Pescheria,  tantôt  des 
perles  et  tantôt  des  cailloux;  le  tout  formant,  dans  les 
ricordi  inépuisables,  comme  des  pots-pourris  à  l'italienne, 
un  pêle-mêle  inexprimable  de  richesse  et  de  scurrililé 
capables  d'en  inspirer  encore  à  Mercadante  ou  à  l'Arétin, 
h  Rabelais  ou  à  Schubert. 


'es 


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f    fi 


f- 


\  I.NTROniCTION. 

ouvert  au  veiil  (|ui  |)assc  cl  au  voyageur  ((ui,  lui,  ne  par- 
vient pas  toujouis  à  passer.  Dans  la  cohue,  je  me  porte  sur 
le  flot  (les  Napolitains  (pii  vont  aussi  prendre  le  train,  ou  le 
regarder  prendre.  J'arrive  enlin  et  je  m'engoiilTre  en  coup 
de  vent,  (juand  le  train  sil'lle,  dans  un  compartiment  plein 
jusqu'aux  bords  de  gens  ipii  s'y  entassent  et  s'y  pré- 
parent à  achever  leur  nuit,  avec  un  supplément  de  som- 
meil. 

Dormir,  dans  le  Napcdilain?  J'avais  compté  sans  les  gui- 
tares. Nous  n'avons  pas  IVanchi  le  tintamarre  des  ponts 
roulants  et  des  plaques  tournanirs  que,  du  carré  loimé 
silencieusement  par  nos  télés  hranlantes,romhre  vague  d'un 
vovageur  lire  d'un  vague  sac  de  lustrine  nn  (d)jet  vague.  Je 
le  devine  aussitôt,  à  ses  accords  d'ahoi'd  sournois,  et  puis 
sonores  :  c'est  une  guitare  et  son  miottalore,  compagnon 
assuré  de  tout  Napolitain  en  voyage  hors  de  la  ville  où  la 
musiipir  est,  avec  le  macarcuii,  le  plus  indispensable  vadt^ 
mcvuiH  du  lourisle.  C'est  aussi,  —  tout  compte  fait,  qui 
n'est  guère  plus  gros  dans  le  ('<Mn|>loir  de  l'épicier  que 
dans  la  poche  du  musicien,  —  le  moins  indigeste  et  par- 
lant le  plus  lacile  à  suppoiler  sous  un  ciel  toujours  pur 
qui  volatilise,  en  un  instant  d'oubli,  le  plus  mauvais  repas 
comme  la  plus  mauvaise  musique.  Celle  de  notre  Orphée 
ambulant  allait,  du  [xuilchinellesque  Ftniicnli  au  pathé- 
li(jue '0  .s*o/(' m/o,  dans  cet  iiiépuisable  répertoire  du  golfe 
bleu  qui  jette,  au  hasard  de  la  trouvaille,  sur  Taristocra- 
lique  (ihiaia  ou  sur  la  populaciéi'c  Pescherla,  tantôt  des 
perles  et  tantôt  des  cailloux;  le  lout  formant,  dans  les 
ricordi  inépuisables,  comme  des  pots-pourris  à  Titalienne, 
un  péle-méle  inexprimable  de  richesse  et  de  scurrilité 
capables  d'en  inspirer  encore  à  Mercadante  ou  à  l'Arétin, 
à  Rabelais  ou  à  Schuberi. 


zt. 


i\ 


m  ^v  *»ri*    to^-m  w»pw»i,..^ta 


^  INTHODl  CTION. 

Che  bella  cosa  'na  iurnata  V  sole, 
n  ària  serena  doppo  'na  t empesta! 
pe'  ir  aria  fresca  pare già  na  fesla.., 
Che  bella  cosa  'na  iurnata  e  sole. 

Ma  n  atu  sole 

cchià  bello,  ohi  ne\ 

'o  sole,  mio 

sla  nfronte  a  te! 

Le  capo-slazione  avait  annoncé  Aversa.  Mais,  dans  le 
Irimljallemenl  des  voilures  si  pleines  de  gais  refrains,  pas 
un  de  ces  fils  des  antiques  bouffons  d'Allella  ne  s'aperçut 
qu'on  traversait  la  ville  de  ses  aïeux,  jadis  célèbre  par  ses 
Tarées  piquantes,  aujourd'hui  par  son  vin  aigrelet.  Sur  un 
ton  de  sambuque  sauvage,  un  gamin,  qui  est  parvenu  à 
dominer  les  chœurs,  en  contre-voie  du  train,  offre  ses 
fmchi  d'Asperino  à  un  prix  si  discret,  que  je  ne  puis  lui 
refuser,  pour  un  flacon,  la  mezza  lira  qu'il  invoque.  A  la 
bonne  heure!  Lire  pour  lyre,  en  voilà  un  qui  préfère  la  plus 
discrète,  sinon  la  moins  sonnante  et  trébuchante.  Le  biric- 
chino  me  rendant  la  monnaie  de  ma  pièce,  —  ou  plutôt  de 
mon  billet  ciasseux,  —  me  souhaite  bon  voyage  et  referme 
la  porte.  Et  pendant  (|ue  le  train  et  les  chansons  repartent 
de  plus  belle,  j'essaye  de  m'échapper  du  tohu-bohu  en  allant 
chercher,  des  yeux,  par  la  portière,  le  jour  qui  monte  de 
plus  en  plus  brillant,  du  côté  du  Vésuve. 

Ce  fut,  me  dis-je,  ce  même  soleil  et  ce  furent  ces  mêmes 
paysages  que  la  farouche  reine  Jeanne  vit  aussi,  de  son 
temps,  quand,  dans  Aversa  même,  la  cruelle  épouse 
d'André  de  Hongrie  confiait  au  poignard  de  NiccolôAcciauoli 
la  tache  de  faire  disparaître  son  mari.  Rouge  de  sang  sur 
rouge  de  soleil,  Tun  estompant  l'autre.  Ce  premier  crime, 
qui  ne  serait  pas  le  dernier,  arriva,  le  18  septembre  1545, 


K^TRODICTION. 


lorsque  la  châtelaine  d'Aversa,  née  dans  cette  ville  en  1297, 
n'avait  encore  que  46  ans.  C'était  peut-être  débuter  lard 


\ 


Bônévent.  —  L'Arc  de  Trajaii. 


dans  le  crime,  mais  la  vie  fut  clémente  à  la  reine  Jeanne, 
qui  devait  vivre  jusqu'en  1582,  pour  mourir  bien  après  ses 
nombreux  maris  dont  un  parent,  Charles  de  Duras,  finit 
par  prendre  en  main  la  vengeance  en  étouffant,  entre  deux 


li 


0 


I.NTIIODI  CTION. 

Che  bella  cosa  '/m  iurnata  V  sole, 
n   (tria  sevena  do/tpo  ^na  tciupeala! 
Ite  //'  aria  fre<ca  itave  (fui   na  fesla.. 
Che  bella  corn  na  iunuila  e  sole. 

Ma  n'  atu  sole 

cchiii  bel  h,  ohl  ne\ 

'(>  sole  inio 

sla  nfronte  a  le! 


Le  raïKj'sUtzùfHC  avait  annoncé  Aversa.  Mais,  dans  le 
IrimhallenuMiUles  voilures  si  pleines  de  <iais  refrains,  pas 
nn  de  ces  lils  des  anlicjuis  honflons  d'Allella  ne  s'aperçul 
qu'on  haveisail  la  ville  de  ses  aïeux,  jadis  célèbre  |)ar  se< 
larces  jn(|uanles,  aujourd'lnii  par  son  vin  aij-relel.  Sur  un 
Ion  de  saml)U(|ue  sauva«:v,  un  j-aniin,  (|ui  est  parvenu  à 
dominer  les  chœurs,  en  conire-voie  du  Irain,  ollre  ses 
/iasclu  d'Asperino  à  nn  prix  si  discrtl,  (|ue  je  ne  puis  lui 
rel'user,  pour  un  flacon,  la  mezza  ///vnpi'il  invoque.  A  la 
bonne  Jieure!  Lire  pour  lyre,  en  V(nlà  un  (|ui  préfère  h  plus 
discrète,  sinon  ia  nKu'ns  sonnante  et  Iréhucliante.  Le  birir- 
i'Iuno  nie  rendant  la  monnaie  de  ma  pièce,  —  ou  plutôt  de 
mon  In'llet  crasseux,  —  me  souhaite  Imui  vovaiie  et  referme 
la  j)orle.  Kt  jiendant  que  \c  train  elles  chansons  repartent 

de  pluslielle,  j'essayedemVchapper  dut(diu-hohuenallanl 
chercher,  des  yeux,  par  la  portière,  le  jour  (|ui  monte  de 
plus  en  plus  brillant,  du  côté  du  Vésuve. 

Ce  fut,  nie  dis-je,  ce  même  soleil  et  ce  furent  ces  mêmes 
paysages  que  la  farouche  reine  Jeanne  vit  aussi,  de  son 
temps,  quand,  dans  Avcrsa  même,  la  cruelle  épouse 
d'André  de  Hongrie  confiait  au  poignard  de  NiccoloAcciauoli 
la  tache  de  faire  disparaître  son  mari.  Rouge  de  sang  sur 
rouge  de  soleil,  Fun  estompant  Tautre.  Ce  premier  crime, 
qui  ne  serait  pas  le  dernier,  arriva,  le  18  septembre  loiô. 


INTROOLCTION. 


lorsque  la  châtelaine  d'Aversa,  née  dans  celle  ville  en  1297, 
n'avait  encore  que  iO  ans.  C'était  peut-être  débuter  tard 


|{(''iu''veiil.  —  L'Arc  (le  Trajaii. 


dans  le  crime,  mais  la  vie  fut  clémente  à  la  reine  Jeanne, 
qui  devait  vivre  jusqu'en  1582,  pour  mourir  bien  après  ses 
nombreux  maris  dont  un  paient,  Charles  de  Duras,  finit 
par  prendre  en  main  la  vengeance  en  étouffant,  entre  deux 


ffvi-.i',  ne«>qww 


s 


INTRODUCTION. 


INTRODUCTION. 


9 


coussins,  celle  que  les  Provençaux,  ses  sujets,  pourraient 
célébrer  morte,  après  Tavoir  tant  abhorrée  vivante.  N'avait- 
elle  pas  fini  par  les  céder,  eux  et  leur  bonne  ville  d'Avignon, 
au  pape  Clément  VI,  pour  80000  florins?  Ils  lui  furent 
payés  en  or  et  avec  un  supplément  d'absolution  (jui  régu- 
larisait le  seul  des  trois  mariages  qu'elle  avait,  a-t-on  dit, 
en   tête  de  conclure. 

Nous  arrivons  en  gare  de  Caserte,  et  aussitôt  la  voituréc 
des  monatori  se  vide  comme  par  enchantement.  Dans  leur 
enthousiasme  pour  les  voyages  en  musique,  il  paraît  que 
ces  madrés  artistes  ne  dépassent  guère  cette  station.  Là, 
en  eflet,  la  grande  ligne  de  Rome  à  Naples  vient  s'amorcer. 
Ils  attendront  le  train  suivant  qui  les  ramènera  avec  un 
nouveau  public,  toujours  chantant  et  toujours  quêtant,  dans 
cette  bella  Napoli  à  laquelle  ils  font,  mieux  que  les  Sirènes 
de  la  fable,  une  ceinture  d'harmonie  et  de  crin-crin  sur  la 
ligne  ferrée  qu'à  l'aller  et  au  retour  ils  battent  sans  répit  : 
insatiables  Amphions  de  l'idéale  cité  de  la  musique  et  du 
macaroni.  Du  moins,  nous  en  sommes  hors;  et,  par  des 
petites  lignes  locales,  nous  roulons  vers  Bénévenl,  pareils 
à  des  petites  gens  heureuses  de  respirer  enfin  à  l'aise.  Pour 
me  prouver  que  je  n'ai  pas  besoin  de  me  gêner  en  sa  com- 
pagnie, mon  voisin  m'emprunte  un  coin  de  mon  plaid  de 
voyage  qu'il  ne  tarde  pas  à  attirer  tout  entier  sur  ses 
genoux. 

—  Vous  regardez  le  château  royal  de  Caserte,  signor? 
C'est  notre  Versailles  napolitain.  Et  quelles  eaux  l'ancien 
roi  Charles  III  y  fit  venir,  avec  son  fidèle  Vanvitelli  pour 
architecte!...  Tenez,  regardez  aussi  cet  aqueduc  à  triple 
étage,  jetant  ses  arches  immenses  dans  l'espace.  C'est  sur  ces 
Ponti  délia  Valle  que  passent  les  eaux,  pour  aller  alimenter 
le  jardin  royal  de  Caserte. 


\y<^ 


ï 


Et  puis  c'est,  couronnant  les  hauteurs  rocheuses  et  ver- 
doyantes de  ses  vieilles  tours  féodales,  le  nid  aérien  et  jadis 
fameux  de  Santa-Agatha-dei-Gothi.  Là,  le  farouche  Charles 
d'Anjou  trouva  son  refuge  après  les  vêpres  sanglantes  de 
Sicile  :  «  Agnus  Dei  qui  tollis  peccata  mundi  I  dirent  au 
pape     Martin    IV    les 


moines  messagers   du 


roi  Charles.  —  Ave  rex 
Judxorum!  Et  dabant 
ei  alapam  »,  se  con- 
tenta de  leur  répondre 
le  pape.  Voici  les  fa- 
meuses Fourches  Cau- 
dines  où  les  Samnites 
laboureurs  humiliè- 
rent, sous  les  entrelacs 
de  leurs  pics  redouta- 
bles, la  témérité  de 
Rome  conquérante  par 
la  rapine  et  par  le 
biigandage.  Elles  pi- 
(juent  encore  dans  le 
ciel  clair  les  lances 
dangereuses   de    leurs 

rochers,  entre  Santa-Agata  à  droite  et  Moiano  à  gauche. 
Çà  et  là,  sur  la  crête  rocheuse  qui  sert  d'enclave  naturelle 
à  la  principauté  bénéventine  où  nous  avons  déjà  pénétré 
par  des  portes  de  travertin  rougeatre,  d'autres  petits 
pays,  s'effarouchant  encore  du  seigneur  de  jadis  qui  ne 
reviendra  plus,  s'écartent  du  chemin  que  suivit  Manfred 
pour  aller  mourir  sous  Bénévent,  —  acco  del  ponte,  dit 
Dante.  Par  là,  passa  aussi  le  blond  Corradino  pour  aller,  du 


Bénévent.  —  La  place  du  Marche. 


.■;>H»fM;»<JifN>»»*^^.  «10»^^ 


-.S^^^'*J^4iÉm..4 


8 


rNTROorr.TioN. 


coussins,  celle  que  les  Provençaux,  ses  sujets,  pourraient 
célébrer  morte,  après  Tavoir  tant  abhorrée  vivante.  N'avail- 
elle  pas  fini  par  les  céder,  eu\  et  leur  bonne  ville  d'Avignon, 
au  pape  Clément  VI,  pour  800IH)  llorins?  Ils  lui  furent 
payés  en  or  et  avec  un  suppléiuent  (Tabsolntion  (pii  régu- 
larisait le  seul  des  trois  mariages  qu'elle  avait,  a-t-ou  dit, 
en    tète  de  conclure. 

Nous  ari'ivons  en  gare  de  Caserte,  et  aussitôt  la  voiturée 
{\r<  mo)tatori  <>('  vide  comme  par  eneliantement.  Dans  leur 
enthousiasme  pour  les  voyages  en  musique,  il  paraît  que 
ces  madrés  artistes  ne  dépassent  guère  cette  station.  I.à, 
en  ed'et,  la  grande  ligne  de  lioiue  à  Naples  vient  j^'amorcer. 
Ils  attendront  le  train  suivant  (pii  les  ramènera  avec  \u\ 
nouveau  puljlic,  toujours  chantant  et  toujours  (juétant,  dans 
cette  bella  NajKdi  h  laquelle  ils  (ont,  mieux  que  les  Sirènes 
de  la  Table,  une  ceinture  d'harmonie  et  de  crin-crin  sur  la 
ligne  l'eriée  qu'à  l'aller  et  au  letour  ils  battent  sans  ré|)it  : 
insatiables  Amphions  de  l'idéale  cité  de  la  musique  et  du 
macaroni.  Du  moins,  nous  en  sommes  hors;  et,  par  des 
petites  lignes  locales,  nous  louions  vers  Bénévent,  pareils 
à  des  petites  gens  heureuses  de  respirer  enlin  à  l'aise.  Pour 
me  prouver  que  je  n'ai  pas  besoin  de  me  gêner  en  sa  com- 
pagnie, mon  voisin  m'em|)runte  un  coin  de  mon  plaid  de 
voyage  qu'il   ne    tarde  pas  à   attiier  tout   entiei-   sur  ses 


genoux. 


—  Vous  regardez  le  château  royal  de  Caserte,  signor? 
C/est  notre  Versailles  napolitain.  Et  (pielles  eaux  l'ancien 
roi  Charles  III  y  fit  venir,  avec  son  lidèle  Vanvitelli  pour 
architecte!...  Tenez,  regardez  aussi  cet  aqueduc  à  triple 
étage,  jetant  ses  arches  immenses  dans  l'espace.  G*est  sur  ces 
Ponti  delta  VaUe  que  passent  les  eaux,  pour  aller  alimenter 
le  jardin  royal  de  Caserte. 


INTRODICTION. 


Et  puis  c'est,  couronnant  les  hauteurs  rocheuses  et  ver- 
doyantes de  ses  vieilles  tours  féodales,  le  nid  aérien  et  jadis 
fameux  de  Santa-Agatha-dei-Gothi.  Là,  le  farouche  Charles 
d'Anjou  trouva  son  refuge  après  les  vè[)res  sanglantes  de 
Sicile  :  «  Afjnm  Dci  (pd  toUls  pcccata  mundi !  dirent  au 
pape  Martin  IV  les 
moines  messagers  du 
roi  ('ha ries.  —  Are  rex 
Jndyt'ornm!  El  dahavt 
ei  alapam  »,  se  con- 
tenta de  leur  répondre 
le  pape.  Voici  les  fa- 
meuses Fourches  Can- 
di nés  (»ù  les  Samnites 
laboureurs  humiliè- 
rent, sous  les  entrelacs 
de  leurs  pics  redouta- 
bles, la  témérité  de 
Rome  C(m(piéi'anle  par 
la  rapine  et  par  le 
brigandage.  Elles  pi- 
quent encore  dans  le 
ciel  clair  les  lances 
dangereuses   de    leurs 

rochers,  entre  Saiita-Agala  à  droite  et  Moiano  à  gauclie. 
Çà  et  là,  sur  la  crête  rocheuse  qui  sert  d'enclave  naturelle 
à  la  principauté  bénéventine  où  nous  avons  déjà  pénétré 
par  des  portes  de  travertin  rongea tre,  d'autres  petits 
j)ays,  s'elïarouchant  encore  du  seigneur  de  jadis  qui  ne 
reviendra  plus,  s'écartent  du  chemin  que  suivit  Manfred 
|>our  aller  mourir  sous  Dénévent,  —  acco  del  ponte,  dit 
Dante.  Pai'  là,  passa  aussi  le  blond  Corradino  pour  aller,  du 


Iiriirvonl.  —  La  place  du  Marclic. 


'î?-; 


.■■  «^^  .  ■  *■  v^c 


TSSiM^ 


10 


IMRODlCTlOxN. 


champ  d'honneur  de  Tagliacozza  à  l'échafaud  de  Naples, 
où  se  consomma  le  drame  atroce  du  dernier  des  Hohens- 
lauffen.  A  la  lumière,  quelquefois  rouge,  de  leurs  aurores 
ou  de  leurs  crépuscules,  tous  ces  paysels,  encore  crénelés 
de  frayeur,  ne  savent  pas  si  ce  n'est  point  le  gant  du  petit 
roi  abandonné  qui  reparaît  sur  Thorizon  et  qui  redemande 
vengeance....  Ainsi,  chemin  faisant,  par  ces  parages  tantôt 
luxuriants  et  tantôt  chaotiques,  où  le  Volturne  méandreux 
se  fait  quelquefois  jour,  vous  arrivez  vers  une  grande  ville, 
tout  en  plaine.  Un  cercle  de  montagnes  la 'cerne  de  très 
loin,  comme  pour  laisser  plus  d'illusion  à  sa  réelle  enclave, 
plus  de  longueur  à  la  chaîne  qui  ne  put  jamais  faire 
qu'une  vassale  de  cette  ville  fatalement  asservie,  en  raison 
même  des  lignes  physiques  de  son  fertile  autant  que  pitto- 
resque horizon. 

—  Signor!  termina  mon  compagnon  de  roule  non  sans 
hésiter  à  me  restituer  toute  ma  couverture,  vous  êtes  à 
Bénévent.  Et  n'oubliez  pas,  en  visitant  la  ville,  que,  si 
Rome  a  volé  à  nos  hommes  la  gloire  d'être  les  citoyens  de 
la  première  cité  du  monde  ancien,  elle  n'a  pu  ravir  a  nos 
bœufs  le  mérite  d'avoir  remporté  sur  les  éléphants  de 
Pyrrhus  une  victoire  plus  grande  que  celle  d'iléraclée  et 
d'Asculum.  Buon  passcf/giol 

Sur  ce  lazzi,  aussi  vantard  que  juste,  il  ne  me  reste  plus 
qu'à  replier  mon  plaid  et  à  aller  étudier  en  ville  ce  type 
de  Romains  avant  la  lettre  qui  n'ont  pas  besoin  de  l'histoire 
des  nations  pour  affirmer,  sur  leur  propre  crédit,  que  le 
Bénéventin  madré  est  le  premier  citoyen  de  la  terre.  Seul 
enfin,  par  des  rues  tortueuses  où  le  sanglier  de  Calydon 
marque  encore  sur  les  pierres  noirâtres  de  certaines  mai- 
sons l'âge  de  Diomède  et  de  Méléagre,  je  m'engage  dans 
le  cœur  même  de  la  cité.  J'en  évoque  les  souvenirs  histo- 


1 


« 


INTRODUCTION. 


H 


riques,  depuis  les  temps  de  Charlemagne  qui  donna  Béné- 
vent au  Saint-Siège,  jusqu'à  ceux  de  Napoléon  1"  qui,  lui, 
ne  trouva  pas  de  meilleur  héritier  à  ce  fief  que  le  sire  de 
Talleyrand.  Et  c'est  que,  pour  être  passé  sans  déchéance 
entre  tant  de  mains  jusqu'à  ce  jour,  le  Bénéventin,  dont 
le  secret  est  peut-être  de  s'être  servi  de  ses  maîtres  plutôt 
que  de  les  avoir  servis,  ne  reste  pas  sans  mérite  pour 
avoir  conservé  son  caractère  railleur  et  sournois  qui  le 
précise  encore.  Quant  à  se  souvenir  du  pape  ou  de  l'empe- 
reur, de  Charlemagne  ou  de  Napoléon,  après  les  «  huit 
jours  )î  que  leur  donna  ici  successivement  l'histoire,  le 
Bénéventin  est  trop  fidèle  à  lui-même  pour  l'être  aux  autres 
également.  Cette  remarque  me  frappe  surtout  dans  la 
sacristie  de  la  cathédrale  quand  le  custode,  entr'ouvrant 
de  gigantesques  armoires  où  les  vases  et  les  habits  sacrés 
de  la  plus  riche  facture  s'entassent  par  milliers,  me  per- 
met de  l'interroger  sur  la  provenance  des  pièces  les  plus 
belles. 

—  Cette  chasuble  fut  brodée  par  Vittoria  Colonna, 
d'après  un  dessin  de  iMichel-Ange.  Cette  autre,  par  une 
princesse  Orsini,  sœur  du  cardinal  Maria  Orsini,  archevêque 
de  Bénévent  qui  fut  pape  ensuite,  sous  le  titre  de  Benoît  XIII, 
et  ne  voulut  pas  moins  conserver  le  gouvernement  de  sa 
première  église.  La  plupart  des  ornements  et  des  vases 
sacrés  que  vous  voyez  dans  ces  trente-deux  armoires,  hautes 
et  profondes  comme  des  citadelles,  viennent  de  la  munifi- 
cence de  ce  pape;  sans  compter  tout  ce  que  les  pillards  de 
Bonaparte  ont  emporté  depuis,  dans  leurs  arçons  de  selle 
et  les  caissons  de  leurs  affûts. 

—  Ah!  les  Français  furent  de  mauvais  sires,  pour 
Bénévent?  Et,  dites-moi,  quel  souvenir  conservez-vous  de 
Léon  XIII,  depuis  son  passage  dans  votre  Préfecture? 


12 


INTRODUCTION. 


—  Quel  souvenir?...  me  répond  le  custode,  en  allant 
refermer  ses  armoires  avec  une  expression  que  je  ne  sau- 
rais rendre.  Eh  bien!  sachez  qu'il  ne  nous  a  seulement  pas 
envoyé  un  corporal  ! 

L'argument  était  péremptoire,  et  je  n'eus  pas  la  mauvaise 
grâce  d'insister.  De  la  cathédrale  on  accède  à  l'archevêché, 
par  une   porte  toujours  ouverte  et  des  salles  dallées  de 
briques,  depuis  le  temps  probable  où  les  anciens  Romairjs 
en  opérèrent  la  cuisson  pour  le  compte   des  Bénéventins 
qui  en  usent  encore  aujourd'hui,  et  même  sans  les  user 
tout^  à  fait.   Pour  pénétrer  dans   le  palais  archiépiscopal, 
je  n'eus  d'autre  introducteur  qu'un  facchino.  Je  le  trouvai, 
traversant  par  hasard  les  antichambres,  comme  sa  propre 
maison.  Ainsi,  passant  par  cette  traverse,  il  raccourcissait 
d'une  rue  à  l'autre  son  chemin.  Il  me  proposa  pour  quel- 
ques   baïocs  ses   services.   Je  les  acceptai   et  nous  mar- 
châmes. 

De  l'Archevêché  à  la  Préfecture,  on  suit  le  Corso  jus- 
qu'aux murailles    de    la   ville    et   au   Jardin   Public  que 
l'administration  nouvelle  a  établi,  en  massifs  et  en  lacs, 
sous  les  fenêtres  de  l'ancien  palais  de  la  Délégation  ponti- 
ficale.   L'aspect    de   cette   espèce    de    forteresse   massive, 
flanquant  ce  coin   des  murailles   urbaines,   est  des  plus 
imposants.  De  la  terrasse  intérieure,  l'œil  domine  toute  la 
campagne  bénéventine  jusqu'aux  montagnes  lointaines  qui 
l'enserrent   dans   la   ceinture   bleuâtre   et   rose   de   leurs 
massifs  merveilleusement  circulaires.  A  la  porte   de   cet 
ancien  château  fort  qu'a  travesti  en  caserne  ou  en  préfec- 
ture  l'officiel  badigeon  au  lait  de  chaux  qui  le  souille,  on 
a  confiné  le  lion  aptère  qui  annonçait,  sans  doute,  quelque 
gloire  avec  son  bronze  antique  quand  cette  maison,  propriété 
des  papes  pendant  des  siècles  de  régie,  avait  aussi  quelque 


INTRODUCTION.  15 

histoire.  Ces  murs  dégradés  ne  les  racontent  plus  aujour- 
d'hui. Ils  se  contentent  d'une  plaque  de  marbre,  rappelant 
au  visiteur  que  Garibaldi  passa  par  là.  A  cette  inscription 
extraite  des  nouvelles  chartes  de  la  révolution  italienne,  le 
lion  de  Bénévent,  patiemment  perché  sur  sa  colonne,  tourne 
philosophiquement  le  dos  dans  l'attente  de  jours  meilleurs 


Bénévent.  —  Les  llicimes  de  Na 


ppa. 


qui  ne  reviendront  peut-être  plus.  Je  fais  de  même,  et  je 
quitte  l'ancien  palais  de  la  Délégation  où  je  n'ai  pu  rencon- 
trer âme  qui  vive  avec  un  souvenir,  plus  ou  moins  conservé, 
du  passage  de  Mgr  Joachim  Pecci  dans  cette  préfecture. 
Pauvres  veilleuses,  sitôt  éteintes,  de  nos  glorioles  humaines! 
En  se  posant  au  début  de  la  vie  sur  les  premiers  buissons 
de  la  route,  elles  semblaient  pourtant  promettre  plus  d'huile 
à  l'urcéole  et  de  rayons  à  la  nuit  qui,  depuis,  est  retombée 
tout  à  fait  sur  la  campagne. 
—  Sifjno'  /. . .  Zi  mo!,..  Annamm'  a  vede'  /. . .  Monsieur  ! ., . 


..»««»^»«.Wf.t!«*. 


12 


INTKODICTION. 


—  Onel  souvenir?...  nie  réponti  le  custode,  en  allanl 
relenncr  ses  armoires  avec  une  expiession  que  je  ne  sau- 
rais rendre.  Eli  bien!  sachez  (ju'il  ne  nous  a  seulement  pas 
envoyé  un  corporal  ! 

I/aroument  était  péremploire,  et  je  n'eus  |)as  la  mauvaise 
j^ràce  d'insister.  De  la  cathédrale  on  accède  à  rarchevéché, 
par   une    porte   toujours   ouverte  et   des  salles  daliéis  de 
hriques,  depuis  le  temps  probahie  où  les  anciens  llomains 
en  opérèrent  la  cuisson   pour  le  nunpte   des  Ilénévenlins 
qui   en  usent  encore  aujouid'hui,  et   même  sans  les  user 
tout  à  lait.    Pour  pénétrer  dans    le  palais   archiépiscc^pal, 
je  n'eus  d'autre  introducteur  (pi'un  farrliino.  Je  le  trouvai, 
traversant  par  hasard  les  antichamhres,  comme  sa  propiv 
maison.  Ainsi,  passant  par  cette  traverse,  il  raccourcissait 
d'une  rue  à  l'autre  son  chemin.  Il  me  proposa  poui- (piel- 
ques    haïocs  ses   services.    Je   les  acceptai    et   nous    mar- 
châmes. 

De   l'Archevêché  à   la  Préfecture,  on  suit  le  Corso  jus- 
qu'aux  murailles    de    la    ville    et    au    Jaidin    Puhlic   (pie 
Tadminislration  nouvelle  a  élahli,  en  massifs  el  en  lacs, 
sous  les  fenêtres  de  l'ancien  palais  de  la  Délé-ation  pimti- 
licale.    I/aspect    de   celte   espèce    de    forteresse    massive, 
llanquant  ce  coin    des   murailles    urhaines,   est   des   plus 
imposants.  De  la  terrasse  intérieure,  l'œil  domine  toute  la 
campagne  hénévenline  jusipraux  monta-nes  lointaines  qui 
renserrent    dans    la   ceinture    bleuâtre   et    rose    de   leurs 
massifs  merveilleusement  circulaires.  A   la   porte   de   cet 
ancien  château  fort  qu'a  travesti  en  caserne  ou  en  préfec- 
ture  l'officiel  badigeon  au  lait  de  chaux  qui  le  souille,  on 
a  conhné  le  lion  aptère  (]ui  annoni^uiit,  sans  doute,  quelque 
gloire  avec  son  bronze  anti(pie  ipiand  cette  maison,  pr(q)riété 
des  papes  pendant  des  siècles  de  régie,  avait  aussi  quelque 


«  > 


INTf{ODUCTION.  15 

liistoire.  Ces  muis  dégradés  ne  les  racontent  plus  aujour- 
d'hui. Ils  se  contentent  d'une  plaque  de  marbre,  rappelant 
au  visiteur  que  Garibaldi  passa  par  là.  A  cette  inscription 
extraite  des  nouvelles  chartes  de  la  révolution  italienne,  le 
lion  de  Dénévent,  patiemment  perché  sur  sa  colonne,  tourne 
philosophiquement   le  dos  dans  Tatlente  de  jours  meilleurs 


Itonévenl.  —  Les  llicriiies  «le  Nappa. 

qui  ne  reviendront  peut-être  plus.  Je  fais  de  même,  et  je 
quitte  l'ancien  palais  de  la  Délégation  oii  je  n'ai  pu  rencon- 
trer àme  qui  vive  avec  un  souvenir,  plus  ou  moins  conservé, 
du  passage  de  Mgr  Joachim  Pecci  dans  cette  préfecture. 
Pauvres  veilleuses,  sitôt  éteintes,  de  nos  glorioles  humaines! 
Kn  se  posant  au  début  de  la  vie  sur  les  premiers  buissons 
de  la  roule,  elles  semblaient  pourtant  promettre  plus  d'huile 
à  l'urcéole  et  de  rayons  à  la  nuit  (jui,  depuis,  est  retombée 
tout  à  fiiit  sur  la  campagne. 

—  Si(jno\f,.,  Zr mo!...  Annamoi  a  ve(le\f..,'Slonf>muv\,,. 


-Jfe:. 


H 


liXTRODUCTIOiN. 


Mon  oncle!...  Allons  voir  Je  cloître  de  saint  Juvénal, 
l'arbre  de  saint  Barbato,  la  Piana  délia  Noce  et  le  Carrefour 
des  Sorcières?  Allons  voir  les  Grottes  de  Nappa  dont  les 
premiers  Romains  bâtirent  l'amphithéâtre,  la  Porta  Aurea 
jadis  aussi  brillante  que  la  mitre  de  notre  archevêque,  l'Arc 
de  Trajan  tout  en  marbre  de  Paros  et,  de  pied  en  cap, 
sculpté  par  le  grec  Apollodore,  comme  un  plat  de  fettuccine 
en  carnaval.  Sigm' I  allons-nous  faire  les  maccheroni  à 
l'auberge  des  Bœufs  de  Lucanie? 

Le  descendant  de  Curius  Dentalus,  vainqueur  des  élé- 
phants de  Pyrrhus  avec  les  simples  bœufs  que  Lenlulus 
lui  dépêcha,  connaît  son  histoire  et,  comme  son  aïeul  bien 
nommé,  il  finit  par  montrer  qu'il  a  aussi  la  dent  longue. 
Mais  on  cuit  si   «   magnifiquement   »   les  maccheroni  à 
l'auberge  historique,  qu'un  étranger  qui  se  respecte  ne  peut 
quitter  Bénévent   sans  les  avoir  prorati.   J'en  ferai  donc 
à  la  fois  la  preuve  et  l'épreuve,  dans  la  petite  pièce  fumeuse 
où  la  bonne  fortune  des  aubergistes  est  en  raison  inverse 
de  celle  des  voyageurs  condamnés  à  fermer  leur  estomac, 
sitôt  ouverte  la  porte  de  ces  cuisines  graillonneuses....  Et,' 
sans  appétit  devant  mon  plat,  je  regardais  vers  la  table 
voisine  où  un  jeune  et  charmant  prêtre,  ma  foi!  finissait 
une  partie  de  caries  avec  son  partenaire,  un  paysan  de 
sa  paroisse  qui    prenait   un    malin   plaisir  à    battre,   à 
bastoni,  son  curé.    Comme   le  jeune  parroco  refusa,' de 
dépit,  le  dernier  verre  de  vin  qui  restait  à  son  compte  et 
qu'il  régla,  pour  finir,  avec  un  las  de  gros  sous  dont  il 
débarrassa  ses  poches,  je  m'approchai  alors  de  lui  et  je  lui 
demandai  ce  qu'on  pensait  à  Bénévent  de  l'ancien   délégal 
Mgr,Joachim  Pecci,  —  aujourd'hui  le  pape  Léon  XIIL  Alors 
lui,  esquissant  un  sourire  ingénu  sur  son  visage  de  Nar- 
cisse tout  dans  la  fleur  de  la  première  jeunesse,  se  contenta 


INTRODUCTION'. 


io 


de  répondre,  indiflérent,  que...  sa  promotion  de  séminaire 
ne  remontait  pas  à  ce  lemps-là  ! 

Cependant  une  pauvre  vieille  femme,  traînant  au  bras 
un  pauvre  vieil  aveugle,  son  mari,  s'était  assise  sur  un 
banc  de  la  locanda.  Tous  deux,  à  la  fois,  avaient  extrait  de 
deux  pochettes  de  lustrine  deux  instruments.  C'était  une 


Bcnévoiil.  —  Un  coin  de  la  Prcfeclurc. 

mandoline,  pour  le  vieux;  une  guitare,  pour  la  vieille. 
Et,  sans  demander  grâce  à  notre  conversation  qui  n'eut  plus 
qu'à  se  taire,  le  sigisbée  transi  marqua  sur  la  mandoline 
à  sa  vieille  suivante  un  pas  de  charge  que,  d'une  voix 
plus  chevrotante  que  les  cordes  de  sa  brancolante  guitare, 
celle-ci  emboîta  aussitôt  avec  un  entrain  de  vingt  ans  : 

Quanno  fa  noile  e  'o  sole  se  ne  scenne; 
mme  vene  quase  'na  malincunia; 
sotlo'afenesta  toia  restarria, 
quanm  fa  notle  e  'o  sole  se  ne  scenne. 


H 


KXTRODrCTIOX. 


Mon  oncle!...  Allons  voir  le  eloître  de  saint  Juvénal, 
r<N'l)re  (le  saint  Haihalo,  la  Piana  délia  Aoce  et  le  Carrefour 
des  Sorcières?  Allons  mhv  les  Grottes  de  Nappa  dont  1rs 
premiers  Romains  bâtirent  ramphiihéàire,  la  Porta  Aarea 
jadis  aussi  Inillanle  que  la  mitre  de  notre  archevêque,  l'Arc 
de  Trajan  tout  en  marine  de  Paros  et,  de  pied  en  cap, 
sculpté  par  le  grec  Apollodore,  comme  un  plat  de  feltuccine 
en  carnaval.  Sig}}o\f  allons-nous  l'aiie  les  maccheroiti  à 
Tauberge  des  Bœufs  de  Lmanie? 

Le  descendant  de  Curius  Dentatus,  vainqueur  des  élc- 
phants  de  Pyrrhus  avec  les  simples  bdnifs  qiie  Lentulus 
lui  dépêcha,  connaît  son  histoire  et,  connue  son  aïeul  bien 
nommé,  il  Unit  par  montrer  qu'il  a  aussi  la  dent  longue. 
Mais  on   cuit  si    u   magnili(|uement   »    les  maccheroni   à 
l'auberge  historique,  qu^in  étiangei'  (pii  se  respecte  ne  peut 
quitter  Pénévent   sans  les  avoir  prnrati.   ïm  ferai   donc 
à  la  lois  la  preuve  et  Vépreave.  dans  la  petite  pièce  fumeuse 
où  la  bonne  fortune  des  aubergistes  est  en  raison  inverse 
de  celK^  des  voyageurs  condamnés  à  fei-mer  leur  estomac, 
sitôt  ouverte  la  porte  de  ces  cuisines  graillonneuses....  Et! 
sans  appétit  devant   mon  plat,  je  regardais  vers  la  table 
voisine  où  un  jeune  et  charmant  prêtre,  ma  foi!  finissait 
une  partie   de  cartes  avec  son  partenaire,  un  paysan  de 
sa  paroisse   qui    prenait    un    malin    plaisir   à    battre,    à 
hastotu.   son   curé.    Comme   le  ieimc  parroco  refusa, \le 
ilépit,  le  dernier  verre  de  vin  qui  restait  à  son  compte  et 
qu'il  régla,  pour  finir,  avec  un  tas  de  gros  sous  dont  il 
débarrassa  ses  poches,  je  m'approchai  alors  de  lui  et  je  lui 
demandai  ce  ([u'on  pensait  à  Pénévent  de  Tancien   délégat 
Mgr  Joachim  Pecci,  —  aujouid'hui  le  pape  Léon  XIIL  Alors 
lui,  esquissant  un  sourire  ingénu  sur  son  visage  de  Nar- 
cisse tout  dans  la  Heur  de  la  première  jeunesse,  se  contenta 


INTKODIGTIO.N. 


15 


de  réj)ondre,  indilférenl,  que...  sa  promotion  de  séminaire 
ne  remontait  pas  à   ce  temps-là  ! 

Cependant  une  pauvie  vieille  femme,  traînant  au  bras 
un  pauvre  vieil  aveugle,  son  mari,  s'était  assise  sur  un 
banc  de  la  locanda.  Tous  deux,  à  la  fois,  avaient  extrait  de 
deux  pochettes  de  lustrine  deux  instruments.  C'était  une 


HciK'vtMil.  —  \n  coin  de  la   Pn-reclun?. 

mandoline,  pour  le  vieux:  une  guitare,  |)our  la  vieille. 
Et,  sans  demander  grâce  à  notre  conversation  qui  n'eut  plus 
qu'à  se  taire,  le  sigisbée  transi  marqua  sur  la  mandoline 
à  sa  vieille  suivante  un  pas  de  charge  que,  d'une  voix 
|)lus  chevrotante  que  les  cordes  de  sa  brancolante  guitare, 
celle-ci  emboîta  aussitôt  avec  un  entrain  de  vingt  ans  : 

Quanno  fa  nolle  e  'o  sole  se  ne  scemie; 
mme  vene  quasc  'na  maHuciutid  ; 
sotioWi  frnesta  toia  restarria, 
tfuanno  fa  notte  e  o  sole  se  ne  scenne. 


■'  •^■-^^i 


fi' 


i6  INTRODUCTION. 

Ma  n  atu  sole 
cchiù  bello^  ohi  ne\ 
'o  sole  mio 
sta  nfronte  a  le  ! 

# 

Du  soleil,  des  chansons,  des  guitares  et  peut-être  des 
contrebandiers  :  et  voila  tout  ce  qui  restait  à  Bénévenl, 
du  temps  où  Mgr  Pecci  en  administra  la  préfecture.  Je 
n'avais  plus  qu'à  repartir.  Et  j'allai,  du  pas  languissant 
d'un  chasseur  qui  reviendrait  bredouille,  prendre  l'express 
de  Rome  pour  essayer  d'aller  chercher  plus  heureusement, 
dans  la  ville  des  papes,  des  documents  vécus  par  l'un  d'entre 
eux. 


Il 


Au  fond  de  la  Cano- 
nicn  de  Sainte-Marie  Ma- 
jeure, vit  un  vieux  petit 
chanoine,  tout  rondelet  et 
tout  confit,  qui  peut  bien 
être  le  doyen  de  son  cha- 
pitre par  1  âge,  mais  qui 
est  à  coup  sûr  la  plus 
mauvaise  langue  des  col- 
légiales de  Rome.  Ce  Nestor  des  «  chapitres  »  qui  n'en 
finissent  pas  de  clabauder  dès  que  le  «  chœur  »  a  com- 
mencé de  chanter  pouilles,  s'appelle....  Mettons  qu'il  s'ap- 
pelle Meluccia.  Aussi  bien,  son  nom  est  un  humoristique 
diminutif  de  la  langue  italienne;  il  équivaudrait  en  français 
à  (c  petite  citrouille  ». 

Le  vieux  petit  monsignor  M...  n'en  est  pas  moins  contem- 


Un  biroccio  pcrousien. 


;i 


INTRODUCTION. 


17 


porain  du  pape  Léon  XIII,  et  même  le  camarade  de  collège 
de  Joachim  Pecci.  Mais  par-dessus  tout  ce  bon  chanoine  est 
le  rival  résigné  de  son  Pontife  souverain  dont  il  eut,  au 
Jeune  temps,  les  confidences  qu'il  n'a  pas  pu  échanger,  plus 
tard,  contre  autre  chose  qu'une  stalle  à  la  collégiale  de  X.... 
Là,  Léon  XIII  semble  l'avoir  oublié.  Mgr  M...,  lui,  ne  l'y  ou- 
blie pas.  Quand  on  veut  des  renseignements  sur  son  pape, 


;.      ...^-^      ''^'-■ 


([rii|l"^|H;ïia 


-1'.^  -c 


>^ic. 


^"î-  '■».'■-"'- ~'^'*'*  '-^» 


Carpinclo.  —  La  musique  municipale. 

on  n'a  qu'à  aller  les  prendre  chez  ce  Nestor  dévot  que  l'amitié 
de  son  Oreste  change  en  afiectueux  Pylade,  chaque  jour, 
avant  ou  après  ses  heures  canoniales,  —  et  même  celles-ci 
durant.  Pouvais-je,  quoi  que  valût  la  déposition  d'un  témoin 
aussi  aigri  que  vieilli,  m'empêcher  de  la  consigner  dans  ce 
livre  de  simples  notes,  dont  les  plus  impartiales  seulement 
serviront  à  l'histoire  définitive  que  Léon  XIII,  trop  élevé 
au-dessus  des  indiscrétions  de  la  chronique  souvent  men- 
teuse et  toujours  bavarde,  attend  en  paix  de  ses  vrais  juges 
qui  ne  seront  pas  tous,  peut-être,  des  chanoines. 

2 


M 


^1' 


r 


.^--.:. 


16  INTIIODICTION. 

Ma  n  a  lu  sole 

ce  h  i  il  bello,  ohi  ne\ 

'o  so/e  mio 

sla  nfronle  a  le  ! 

Du  soleil,  des  chansons,  des  gui  (ares  et  peul-èlre  des 
(onliebandiers  :  et  voilà  tout  ee  qui  restait  à  Bénévent, 
du  temps  oîi  Mj'r  Peeci  en  administra  la  préfeelure.  Je 
n'avais  plus  qu'à  repartir.  Et  j'allai,  du  pas  languissant 
(Tun  chasseur  qui  leviendrail  hred(uiille,  prendre  l'express 
de  Rome  pour  essayer  d'aller  chercher  ])lus  heureusement, 
dans  la  ville  des  papes,  des  documents  vécus  par  l'un  d'entre 
eux. 


11 


Au  fond  de  la  Cdito- 
niai  de  Sainte-Marie  Ma- 
jeure, vil  un  vieux  petit 
chanoine,  tout  londelet  et 
tout  confit,  qui  peut  bien 
être  le  doyen  de  son  cha- 
pitre par  l'âge,  mais  qui 
est  à  coup  sur  la  plus 
mauvaise  langue  des  col- 
légiales de  Rome.  Ce  Nestor  des  te  chapitres  »  qui  n'en 
finissent  pas  de  clabauder  dès  que  le  «  chœur  »  a  com- 
mencé de  chanter  pouilles,  s'appelle....  Mettons  qu'il  s'ap- 
pelle Meluccia.  Aussi  bien,  son  nom  est  un  humoristique 
diminutif  de  la  langue  italienne;  il  équivaudrait  en  frant;ais 
à  ce  petite  citrouille  ». 

Le  vieux  petit  monsignor  M...  n'en  est  pas  moins  contem- 


Un  biroccio  péiousieii. 


/J 


INfHODLCTION. 


17 


poraiu  du  pa|»e  Léon  XIII,  et  même  le  camarade  de  collège 
de  Joachim  IVcci.  Mais  par-dessus  tout  ce  bon  chanoine  est 
le  rival  résigné  de  son  Pontife  souverain  dont  il  eut,  au 
jeune  temps,  les  confidences  qu'il  n'a  pas  pu  échanger,  plus 
tard,  contre  autre  chose  qu'une  stalle  à  la  cidIégialedeX.... 
Là,  Léon  Xlll  sendde  l'avoir  oublié.  Mgr  M...,  lui,  ne  l'y  ou- 
blie pas.  Quand  on  veut  des  renseignements  sur  son  pape. 


Carpinclo.  —  I,a  niusi<[iic  muniiipale. 

on  n'a  qu'à  aller  les  prendre  chez  ce  Nestor  dévot  que  l'amitié 
de  son  Oreste  change  en  affectueux  Pylade,  chaque  jour, 
avant  ou  après  ses  heures  canoniales,  —  et  même  celles-ci 
durant.  Pouvais-je,  quoi  que  valut  la  déposition  d'un  témoin 
aussi  aigri  ([ue  vieilli,  m'empécher  de  la  consigner  dans  ce 
livre  de  simples  notes,  dont  les  plus  imj)artiales  seulement 
serviront  à  l'histoire  définitive  que  Léon  XIII,  trop  élevé 
au-dessus  des  indiscrétions  de  la  chronique  souvent  men- 
teuse et  toujours  bavarde,  attend  en  paix  de  ses  vrais  juges 
(jui  ne  seront  pas  tous,  peut-être,  des  chanoines. 

2 


I 


m 


!  I  , 


18 


LNTRODLCTION. 


—  Et  d'abord,  pour  avoir  sauté  à  pieds  joints,  dans 
votre  Jeunesse  de  Léon  XIII,  la  période  du  Collège  Romain 
où  Joachim  Pecci  entra  après  la  mort  de  sa  mère,  il  ne  faut 
pas  vous  imaginer  que  ses  condisciples  oublient,  aussi  faci- 
lement que  son  complaisant  historiographe,  les  premiers 
épisodes  de  la  vie  d'un  futur  pape.  Pour  ma  part,  je  me 
rappelle  encore  les  notes  que  nous  obtenions,  de  concerl, 
en  rhétorique.  Quatre  prix  y  étaient  décernés  :  le  premier, 
pour  le  discours  latin  ;  le  second,  pour  la  versification 
latine;  le  troisième,  pour  la  langue  grecque  ;  le  quatrième 
enfin,  pour  la  langue  italienne.  La  lecture  officielle  du 
palmarès  annonçait  les  vainqueurs,  sous  trois  rubriques 
différentes.  D'abord,  tulerunt  prxmium,  pour  les  deux  prix 
accordés  à  chacune  des  quatre  branches  de  l'enseignement. 
Ensuite,  laudati  verbis  amplissimis,  pour  les  huit  ou  dix 
lauréats  de  ces  premiers  âccessils,  —  et  Pecci  les  obtenait 
souvent.  Enfin  simplement  laudati,  pour  les  simples  acces- 
sits que  je  n'ai  pas  honte  d'avoir  aussi  remportés,  à  mon 
tour.  Il  y  avait  d'autres  notes  que  le  palmarès  ne  consignait 
pas  et  que  nous  ne  nous  faisions  pas  défaut  de  relever.  Pour 
sa  présence  régulière  et  son  application  aux  devoirs  de 
classe,  le  jeune  Joachim  Pecci  était  ordinairement  gratifié 
de  la  note  mediocris  in  assiduitate.  Je  ne  prends  pas  la 
peine  de  vous  traduire  cela,  du  latin. 

—  Mais  les  années  venaient,  et  la  régularité  avec  elles, 
sans  doute? 

—  Oui,  et  vous  retrouvez  le  jeune  Pecci  en  théologie 
dogmatique,  sous  le  professorat  du  célèbre  Père  Perrone,  avec 
un  autre  camarade  d'université  qui  fut  depuis  le  cardinal 
Ferrieri.  Cette  Éminence,  qui  connaissait  de  longue  date  la 
nature  noblement  ambitieuse  de  son  émule,  disait  de  lui 
au  dernier  Conclave,  dans  un  italien  que  je  ne  vous  tra- 


i<.. . 


INTRODUCTION. 


19 


duirai  pas  davantage  :  «  L'ebbi  compagno  in  argomentazione 
elofecl  crepare  per  rorgogliol  II  faut  aussi  que  vous 
sachiez  que  le  nom  de  chaque  lauréat  du  Collège  Romain 
était  accompagné  au  palmarès,  si  le  sujet  en  possédait,  des 
titres  de  noblesse  résumés,  d'ordinaire,  par  ce  seul  mot  : 
eques.  Et  c'est  parce  que  celui  de  Pecci  n'en  fut  gratifié  que 


Carpineto.  —  La  place  de  la  Mairie. 

bien  plus  tard,  qu'à  chaque  fois  qu'il  entendait  prononcer 
cet  eques  pour  d'autres  que  pour  lui,  il  ne  pouvait  refréner 
son  envie. 

—  Pourtant  Joachim  Pecci,  de  Carpineto,  était  noble? 

—  Oui,  il  le  fut,  d'Anagni  et  non  Carpineto.  Et  cela, 
grâce  à  une  des  «  douze  étoiles  »  de  cette  ville,  un  certain 
Gigli  qui  fit  inscrire,  d'abord  comme  citoyen  et  ensuite 
comme  noble,  son  protégé  désireux  d'entrer  à  l'Académie 
ecclésiastique  de  Rome.  N'avez-vous  pas  fait  connaître,  avec 


1 


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18 


IMKODICTION. 


—  Et  d'abord,  pour  avoir  sauté  à  pieds  joiiils,  dans 
votre  Jeune^iie  de  Léon  XIH.  la  période  du  Collè^^e  Romain 
où  Joachim  Pecci  entra  après  la  mort  de  sa  mèie,  il  ne  faut 
pas  vous  imaginer  que  ses  condisciples  oublient,  aussi  faci- 
lement (pie  son  complaisant  bistoriograpbe,  les  premiers 
épisodes  de  la  vie  irun  futur  pa[)c.  Pour  ma  part,  je  me 
rappelle  encore  les  notes  que  nous  (ibtenions,  de  concert, 
en  rhétorique.  Quatre  prix  y  étaient  décernés  :  le  premier, 
pour  le  discours  latin  ;  le  secoml,  pour  la  versification 
latine;  le  troisième,  pour  la  langue  grecque  ;  le  (piatrième 
enlin,  pour  la  langue  italienne.  La  lecture  ofllcielle  du 
palmarès  annonçait  les  vainqueurs,  sous  trois  rubriques 
différentes.  D*abord,  tahvmd  prxmium,  pour  les  deu\  prix 
accordés  à  chacune  des  quatre  branches  de  renseignement. 
Ensuite,  huidati  verbh  amplissimis,  pour  les  huit  ou  dix 
lauréats  de  ces  premiers  «rmss/'/.v,  —  et  Pecci  les  obtenail 
souvent.  Enfin  simplement  laudati,  pour  les  simples  acces- 
sits que  je  n'ai  pas  honte  d'avoir  aussi  remjjortés,  à  mon 
tour.  H  y  avait  d'autres  notes  que  le  palmarès  ne  consignait 
pas  et  ([ue  nous  \w  nous  faisions  pas  défaut  de  relever.  Pour 
sa  présence  régulière  et  son  application  aux  devoirs  de 
classe,  le  jeune  Joachim  Pecci  était  ordinairement  gratifié 
de  la  note  mediocrk  in  assidnitale.  Je  ne  prends  pas  la 
peine  de  vous  traduire  cela,  du  latin. 

—  Mais  les  années  venaient,  et  la  régularité  avec  elles, 
sans  doute? 

—  Oui,  et  vous  retrouvez  le  jeune  Pecci  en  théologie 
dogmatique,  sous  le  professorat  du  célèbre  PèrePerrone,  avec 
un  autre  camarade  d'université  (jui  fut  depuis  le  cardinal 
Ferrieri.  Cette  Éminence,  qui  connaissait  de  longue  date  la 
nature  noblement  ambitieuse  de  son  émule,  disait  de  lui 
au  dernier  Conclave,  dans  un  italien  que  je  ne  vous  tra- 


( 


INTRODlCTtON. 


19 


(luirai  pas  davantage  :  «  Uebbi  compagno  in  argomentazione 
e  lu  feci  creparc  per  ronjoglio!  11  faut  aussi  que  vous 
sachiez  que  le  nom  de  chaque  lauréat  du  Colli'ue  Piomain 
était  accompagné  au  palmarès,  si  le  sujet  en  possédait,  des 
titres  de  noblesse  résumés,  d'ordinaire,  i)ar  ce  seul  mot  : 
eques.  Et  c'est  parce  que  celui  de  Pecci  n'en  fut  gratifié  (jue 


r.arpinelo.  —  La  place  de  la  Mairie. 

bien  plus  tard,  (ju'à  chaque  fois  qu'il  entendait  prononcer 
cet  eques  pour  d'autres  que  poui'  lui,  il  ne  pouvait  refréner 
son  envie. 

—  Pourtant  Joachim  Pecci,  de  Carpineto,  était  noble? 

—  Oui,  il  le  fut,  d'Anagni  et  non  Carpineto.  Et  cela, 
grâce  à  une  des  «  douze  étoiles  »  de  cette  ville,  un  certain 
Gigli  qui  fit  inscrire,  d'abord  comme  citoyen  et  ensuite 
comme  noble,  son  protégé  désireux  d'entrer  à  l'Académie 
ecclésiastique  de  Rome.  N'avez-vous  pas  fait  connaître,  avec 


11 


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Sï*^. 


20 


INTRODUCTION. 


INTRODICTION. 


21 


VÉpislolaire  de  Joachim  Pecci,  les  nombreuses  recherches 
de  votre  héros  à  travers  les  archives  des  anliijues  Pecci  de 
Sienne,  afin  d*y  ramifier  ceux  de  Carplneto?  Finalement, 
Tadoplion  vint  d'Anagni  ;  et  vous  avez  aussi  publié  ce  billet 
de  félicitations,  ironiques  peut-être  :  «  Vous  voilà  compris 
a  au  nombre  des  étoiles  du  firmament  d'Anagni.  Nous, 
«  pauvres  insectes,  nous  bénéficierons  de  vos  effluves. 
«  Carpineto  devient  une  planète  illuminée  par  vos  rayons.  » 
Ainsi  annobli,  en  juin  1852,  il  entra,  en  novembre  de  la 
même  année  à  TAcadémie  Noble.  Je  Ty  vis  arriver  d'un 
meilleur  œil  que  le  recteur  Mgr  Sinibaldi  qui,  lui  ayant 
refusé  déjà  l'admission  comme  il  appert  des  archives  du 
collège,  disait  à  qui  voulait  l'entendre  qu  il  voyait  Pecci, 
corne  il  fumo  agi'  occhi  I 

—  Et  cela  veut  dire,  en  bon  français? 

—  Mettez  que  cela  veuille  dire  que  Mgr  Sinibaldi  voyait 
Pecci  d'un  bon  œil.  Et  même  l'hostilité  des  élèves  pour  un 
camarade  de  nature  hautaine  peut-être,  mais  plein  de  saintes 
vertus  qu'une  désinvolture  très  diplomatique  caractérisait 
particulièrement,  fut  cause  que  je  me  rapprochai  de  l'abbé 
Pecci.  Ce  mariage  d'amitié  n'alla  pas,  d'abord,  sans  rai- 
sons. Aux  vacances,  il  m'invitait  chez  lui  et  je  l'invitais 
chez  moi.  Je  me  rappelle  encore  ces  villégiatures  à  Carpi- 
neto et  notre  seul  divertissement  du  soir,  quand  les  porcs 
noirs  quittaient  les  pâturages  de  la  montagne  pour  revenir, 
par  bandes  folles,  chacun  chez  soi,  dans  le  village  oii  gens  et 
bêtes  dormaient  ensemble.  Nous  faisions  bien  aussi  la 
chasse  au  roccolo,  où  venaient  se  prendre  les  oiseaux  de 
passage.  Pour  le  tordo  et  la  lèpre,  nous  avions  un  fusil  à 
deux,  —  et  même  un  fusil  à  pierre.  Ce  ne  fut  que  plus  tard 
que  Tabbé  se  fit  acheter,  au  prix  de  quelques  écus  pénible- 
ment arrachés  de  la  bourse  paternelle,  un  fusil  à  capsule  : 


Il  faut  qui)  je  vous  fasse  part  au  plus  vite  d'un  projet, 
écrivait-il  à  son  frère  Titta,  le  5  juillet  1831,  dans  une 
lettre  que  vous  avez  aussi  insérée  dans  son  Épistolaire, 
Mgr  Lunghi,  mon  ami  coume  vous  savez,  veut  se  défaire 
d'un  fusil  à  c:ipsule.  Ce  t  une  belle,  une  très  belle  pièce. 


Carpineto.  —  Giussans  au  travail. 

dont  il  ne  se  servira  plus,  puisqu'il  a  fait  acquisition  d'un 
fusil  à  deux  coups.  Je  m'en  suis  épris,  outre  mesure,  — 
pardonnez  cet  excès  à  un  chasseur  tel  que  moi  ;  et  mon 
engouement  s'excuse  d'autant  mieux,  qu'ayant  demandé 
à  mon  ami  son  prix,  il  m'a  répondu  qu'il  était  disposé  à 
me  céder  ce  fusil  pour  huit  ou  neuf  écus,  quand  il  l'a  payé 
seize.  Que  faire?  En  parler  à  papa  ?  Ce  serait  l'ennuyer, 
et  ma  pensée  s'y  refuse.  Cherchez  donc  vous-même  le 


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INTRODUCTION. 


INTIiODI  CTION. 


21 


VÉpislohtire  de  Joachim  Pecci,  les  nombreuses  recherches 
de  voire  héros  à  travers  les  aichives  des  aiilitiues  Pecci  de 
Sienne,  afin  d\  ramifier  ceux  de  Carplnelo?  Finalement, 
l'adoption  vint  d'Anagni;  et  vous  avez  aussi  publié  ce  billet 
de  félicilations,  ironiques  peul-élre  :  ^  Vous  voilà  compris 
«  au  nombre  des  éloilea  du  lirmamenl  d'Anagni.  Nous, 
«  pauvres  insectes,  nous  bénéficierons  de  vos  effluves. 
«  Carpineto  devient  une  planète  illuminée  par  vos  rayons.  » 
Ainsi  annobli,  en  juin  ISo^J,  il  entra,  en  novembre  de  la 
même  année  à  l'Académie  Noble.  Je  Tj  vis  arriver  d'un 
meilleur  œil  ([ue  le  recteur  Mgr  Sinibaldi  qui,  lui  ayant 
refusé  déjà  l'admission  comme  il  appert  des  archives  du 
collège,  disait  à  qui  voulait  Tentendre  qu'il  voyait  Pecci, 
corne  il  fnmo  agl^  occhi  I 

—  Et  cela  veut  dire,  en  bon  français? 

—  Mettez  que  cela  veuille  dire  (|ue  Mgr  Sinihaldi  voyait 
Pecci  d'un  bon  œil.  Et  même  l'hostilité  des  élèves  pour  un 
camarade  de  nature  hautaine  peut-être,  maisplein  de  saintes 
vertus  qu'une  désinvolture  très  diplomatiiiue  caractérisait 
particulièrement,  fut  cause  (|ue  je  me  rapprochai  de  Tabbé 
Pecci.  Ce  mariage  d'amitié  n'alla  pas,  d'abord,  san^  rai- 
sons. Aux  vacances,  il  m'invitait  chez  lui  et  je  l'invitais 
chez  moi.  Je  me  rappelle  encore  ces  villégiatures  à  Carpi- 
neto et  noire  seul  divertissement  du  soir,  ([uand  les  porcs 
noirs  quittaient  les  pâturages  de  la  montagne  pour  revenir, 
par  bandes  folles,  chacun  chez  soi,  dans  le  village  où  gens  et 
bètes  dormaient  ensemble.  Nous  faisions  bien  aussi  la 
chasse  au  roccolo,  où  venaient  se  prendre  les  oiseaux  de 
passage.  Pour  le  tordo  et  la  lèpre,  nous  avions  un  fusil  à 
deux,  —  et  même  un  fusil  à  pierre.  Ce  ne  fut  que  plus  tard 
que  l'abbé  se  fit  acheter,  au  prix  de  quelques  écus  f>énible- 
ment  arrachés  de  la  bourse  paternelle,  un  fusil  à  capsule  : 


«  II  faut  qui3  je  vous  fasse  part  au  i)lus  vite  d'un  projet, 

«  écrivait-il  à  son  frère  Titta,  le  5  juillet  1851,   dans  une 

<<  lettre  que  vous  avez  aussi  insérée  dans  son  Épistolaire. 

«c  Mgr  Lunghi,  m(m  ami  co:nme  vous  savez,  veut  se  défaire 

«c  d'un  fusil  à  c:ipsule.  Ce  t  une  belle,  une  très  belle  pièce. 


Cîirpiiioto.  —  GIii<:sans  au  travail. 

dont  il  ne  se  servira  plus,  puisqu'il  a  (ait  acquisition  d'un 
fusil  à  deux  coups.  Je  m'en  suis  épris,  outre  mesure,  — 
pardonnez  cet  excès  à  un  chasseur  tel  que  moi  ;  et  mon 
engouement  s'excuse  d'autant  mieux,  qu'ayant  demandé 
à  mon  ami  son  prix,  il  m'a  répondu  qu'il  était  disposé  à 
me  céder  ce  fusil  pour  huit  ou  neuf  écus,  quand  il  l'a  payé 
seize.  Que  faiie?  En  parler  à  papa?  Ce  serait  l'ennuyer, 
et  ma  pensée  s'y  refuse.  Cherchez  donc  vous-même  le 


.)mipiiif    mip  j,inyw »ini  I  II    L.  m    II    i^ijiJ.iii   ■"tii 


32 


INTROniCTION. 


INTRODUCTION. 


23 


<(  moyen  de  me  faiiv  profiler  de  cette  bonne  aiïaire.  »  El 
c'était  encore  ce  Joacliim  insatiable  qui  brûlait  sous  mon 
nez,  —  lui,  toujours  lui,  —  capsule  et  politesse.  De  ces 
parties  de  chasse  et  de  ces  villégiatures  paysannes,  nous 
revenions  à  Rome.  A  la  ville,  Pecci  se  prenait  soudain  d'une 
telle  dignité  qu'elle  gênait  ses  plus  intimes  amis,  —  s'il  en 
eut  jamais.  Un  jour,  nous  cheminions  ensemble  quand  il 
m'arriva  de  saluer,  dans  la  rue,  une  humble  personne  que 
je  venais  de  reconnaître.  Mais  quelle  ne  fut  pas  ma  surprise 
de  m'entendre  sèchement  rappeler  à  une  tenue  plus  décenle 
par  Pecci  (|ui,  sur  un  ton  de  mépris  souverain,  se  contenta 
de  me  dire  sans  se  retourner  :  «  Contegno!,,,  contrgnol  » 

—  Et,  après  TAcadémie  des  Nobles,  vous  vous  séparâtes 
peut-être? 

—  Je  fus  ponent  ou  expéditionnaire,  comme  lui,  au 
Buon  Governo,  notre  Ministère  de  Tlnlérieur.  Cela  revient 
à  dire  que  nous  n'étions  encore,  Pecci  et  votre  serviteur, 
que  de  bien  obscurs  pelils  clercs  autour  de  nos  illustres 
maîtres  les  cardinaux,  dont  on  obtenait  difficilement  les 
protections  éminentes.  Pecci  avait  mis  tout  son  avenir  dans 
l'élection  cardinalice  de  son  patron,  Mgr  Nicolai,  dont  on 
annonça  dans  Rome  la  prochaine  création  en  même  temps 
que  la  maladie  grave  qui  devait  l'emporter,  quelques  mois 
plus  tard  :  «  Ce  serait  une  vraie  disgrâce,  écrivait  Joachim 
«  à  son  père,  le  1 4  janvier  1835,  si,  —  ce  qu'à  Dieu  ne 
«  plaise  !  —  notre  protecteur  succombait  ;  disgrâce  pour  la 
ce  famille,  disgrâce  pour  moi  surtout,  eu  égard  à  ma  jeu- 
c(  nesse,  au  milieu  où  je  vis  et  à  la  carrière  que  j'em- 
(c  brasse.  >>  Plus  heureux  que  mon  camarade  j'avais  obtenu, 
pour  moi,  la  protection  du  cardinal  Polidori.  Pecci  donc, 
dépourvu  de  protecteur  après  la  mort  de  Mgr  Nicolai, 
arrivée  le   14  janvier  1835  aux  termes  de  la  lettre  qu'il 


i 


écrivait  à  celte  date,  me  témoigna  le  grand  désir  d'être 
présenté  au  cardinal  Pacca.  Hiérarchiquement,  cette  présen- 
tation eût  dû  être  faite  par  Mgr  Sinibaldi,  président  de 
l'Académie  Noble  dont  le  cardinal  Pacca  était  le  protecteur 
en  titre.  Mais  je  connaissais  l'aversion  du  président  pour 
son  ancien  pensionnaire  qu'il  ne  pouvait  pas  voir  sans  un 


Carpinclo.  —  La  procession  des  Rogations. 

peu  de  fumée  dans  les  yeux,  corne  fumo  agli  ocohi.  J'im- 
plorai donc  cette  faveur  auprès  de  mon  prolecteur  personnel, 
le  cardinal  Polidori,  qui  me  permit  d'amener  Pecci  au  palais 
Lante  dont  l'Éminence  occupait  le  deuxième  étage  pour  ses 
visiteurs,  non  pour  lui-même;  car  le  saint  homme,  ancien 
capucin,  revêtait,  le  soir  venu,  sa  vieille  bure  de  moine  et 
allait  dormir  dans  une  soupente  du  palazzo  où  on  finit, 
d'ailleurs,  par  le  trouver  mort.  L'impression  que  lui  fit  ce 
jeune  homme,  maladif  et  menacé  de  phtisie  trachéale,  fut 
satisfaisante  ;  et,  sur  la  recommandation  du  cardinal  Poli- 


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22 


l.NTROni  CTION. 


IMRODLCTIOiN. 


23 


f(  moyen  de  me  faire  luolller  de  eelle  bonne  affaire.  *>  El 
eV'Iait  eneore  ee  Joacliini  insatiable  qui  l)riilail  sous  mon 
nez,  —  lui,  loujouis  lui,  —  capsule  et  politesse.  De  ces 
parties  de  chasse  et  de  ces  villégiatures  paysannes,  nous 
revenions  à  [lome.  A  la  ville,  i*ecci  se  prenait  soudain  d'une 
telle  dignité  ([u'elle  gênait  ses  plus  intimes  amis,  —  s*il  en 
eut  jamais.  Un  jour,  nous  cheminions  ensemble  quand  il 
m'arriva  de  saluer,  dans  la  rue,  une  humble  personne  que 
je  venais  de  reconnaître.  Mais  quidle  ne  Tut  pas  ma  surpi'ise 
de  m'enlendre  sèchement  rappelcià  une  tenue  plus  décente 
par  Pecci  cpii,  sur  un  ton  de  mépris  souverain,  se  contenta 
de  me  dire  sans  se  relournei*  :  ce  (^untcf/no  !,..  contrgnol  >> 

—  El,  api'ès  l'Académie  des  N<djles,  vous  vous  séparâtes 
peut-être? 

—  Je  lus  jKincnl  ou  expéditionnaire,  comme  lui,  au 
Bmii  (lOVcriH),  iiolre  Ministère  de  l'Intérieur.  Cela  revient 
à  diie  (|ue  nous  n'étions  encoie,  Pecci  et  votre  serviteur, 
que  de  bien  obscuis  petits  clerc<  aul(Mir  de  nos  illustres 
maîtres  les  cardinaux,  dont  on  (détenait  dilTicilement  les 
protections  éminentes.  Pecci  avait  mis  tout  s(ui  avenii' daiis 
Téleclion  cardinalice  de  son  patron,  Mgr  Nicolai,  dont  on 
annonça  dans  Home  la  prochaine  création  en  même  temps 
que  la  maladie  giave  (|ui  devait  l'emporter,  (|uebiues  mois 
plus  lard  :  «  Ce  serait  une  viaie  disgrâce,  écrivait  Joachim 
t(  à  son  père,  le  li  janvier  ISe")»"),  si,  —  ce  qu'à  Dieu  ne 
«  plaise!  —  notre  ])rolecteui'  succombait  :  disgi'àce  pour  la 
fc  l'amille,  disgrâce  pour  moi  surtout,  eu  égard  à  ma  jeu- 
«  nesse,  au  milieu  où  je  vis  et  à  la  carrière  que  j'em- 
«  brasse.  >>  IMus  heuieux  que  mon  camarade  j'avais  obtenu, 
pour  moi,  la  protection  du  cardinal  Polidoii.  Pecci  donc, 
dépourvu  de  [)rotecteur  apiès  la  mort  de  Mgr  Nicolai, 
ari'ivée  le    li  janviiM*  1855  aux  termes  de  la   lettre  (pi'il 


! 


écrivait  à  cette  date,  me  témoigna  le  grand  désir  d'être 
présenté  au  cardinal  Paeca.  Hiérarchiquement,  cette  présen- 
tation eût  dû  être  ftiite  par  Mgr  Sinibaldi,  président  de 
EAcadémie  Noble  dont  le  cardinal  Pacca  était  le  protecteur 
en  titre.  Mais  je  connaissais  l'aversion  du  pré'-ident  pour 
son  ancien  pensionnaire  i\\\\\  ne  pouvait  pas  voir  sans  un 


Carpinolo.  —  L;i  procession  dos  lîoïjilinns. 

peu  de  fumée  dans  les  yeux,  corne  fumo  (kjU  ocold.  J'im- 
|)lorai  donccette  faveurauprès  de  mon  protecteur  personnel, 
le  cardinal  Polidori,  (|ui  me  permit  d'amener  Pecci  au  palais 
Lan  te  dont  l'Eminence  occupait  le  deuxième  étage  pour  ses 
visiteurs,  non  pour  lui-même;  car  le  saint  homme,  ancien 
capucin,  revêtait,  le  soir  venu,  sa  vieille  bure  de  moine  et 
allait  dormir  dans  une  soupente  du  paJazzo  où  on  finit, 
(failleurs,  par  le  trouver  mort.  I/impression  que  lui  fit  ce 
jeune  homme,  maladif  et  menacé  de  phtisie  trachéale,  fut 
satisfaisante;  et,  sur  la  recommandation  du  cardinal  Poli- 


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INTRODUCTION. 


INTRODUCTION. 


25 


dori,  le  cardinal  Pacca  admit  Peeci  au  nombre  de  ses  créa- 
tures. Et  devineriez-vous  la  cause  de  l'intérêt  que  ces  deux 
Éminences  portèrent  à  Joachim  Pecci? 

—  Qui  sait? 

—  Sa  petite  fortune  familiale,  autant  que  son  mauvais 
état  de  santé.  Je  vous  ai  déjà  dit  que  Pecci  semblait  souffrir 
de  la  poitrine*.  En  outre,  son  bien  patrimonial  ne  consistait 
qu'en  quelques  affermages  que  sa  famille  de  Carpinelo 
tenait  des  Aldobrandini.  Autant  de  raisons  qui  nous  atta- 
chaient à  lui  et  lui  firent  trouver,  chez  nos  seigneurs,  la 
proleclion  qu'il  désirait  :  «  Pour  ne  pas  multiplier  inutile- 
ce  ment  mes  lettres,  écrivait-il  a  son  frère  Charles,  le  8  fé- 
«  vrier  1857,  j*ai  prié  bien  des  fois  Jean-Baptiste  de  vous 
(t  communiquer  celles  que  je  lui  ai  adressées,  au  cours  de 
«  ces  deux  derniers  mois,  au  sujet  de  la  détermination  que 

i.  On  connaît  le  texte  du  testament  que  Joachim  Pecci  rédigea  le  14  sept. 
1857  et  que  nous  avons  inséré,  à  cette  date,  dans  lepistolairc  de  ht  Jeunesse 
de  Léon  XUl  (\^.  457-458). 

Vers  cette  époque,  Joachim  Pecci  écrivait  aussi,  sur  le  mauvais  état  de  sa 
santé,  in  veletadine  sua,  des  vers  latins  dont  voici  la  traduction  littérale  : 
«  Adolescent  de  la  vingtième  année,  Joachim,  c'est  à  peine  si   tu  croîs  en  âge, 

—  et  voilà,  malheureux,  que  tu  succombes  sous  le  nombre  des  maladies!  — 
Peut-être  au  triste  récit  de  tes  douleurs  trouveras-tu  quelque  consolation,  — 
et  aimeras-tu  dire  en  vers  les  misères  de  la  vie?  —  L'insomnie  te  torture, 
el  tes  membres  lassés  trouvent  tard  le  repos;  —  tes  forces  diminuent,  aucune 
nourriture  ne  peut  plus  soutenir  —  ton  estomac  alangui;  tes  yeux  faiblissent  à 
la  lumière  —  qui  baisse,  et  la  douleur  te  frappe  souvent  à  la  tète.—-  La  fièvre, 
tantôt  glacée,  se  repaît  misérablement  —  de  tes  membres  et,  tantôt  brûlante, 
les  torture.  —  Déjà  la  maigreur  pâlit  ton  visage,  déjà  ta  poitrine  est  haletante, 

—  et,  par  tout  le  corps,  tu  défailles  d'alanguis^ement.  —  Quel  fol  espoir  t'illu- 
sionne encore,  quelles  longues  années  encore  espères- tu?—  A  tropos  te  pusse  sm- 
l'horrible  chemin  de  la  mort  o.  —  Alors  moi  :  «  La  peur  ne  me  fera  pas  trem- 
bler et  la  mort,  —  puisqu'elle  approche,  je  la  recevrai,  ferme  et  joyeux.  — 
Les  plaisirs  d'une  existence  passagère  me  sont  sans  charme;  —aspirant  à  l'éter- 
nité, rien  de  ce  qui  passe  ne  me  séduit.—  En  abordant  à  sa  patrie,  le  voyageur 
sera  heureux;  heureux  —  sera  le  nautonier  s'il  peut  conduire  au  port  sa 
barque.  » 


«  j'ai  prise  de  concert  avec  lui  et  sur  laquelle  j'aurais  aussi 
«  voulu  avoir  votre  opinion,  d'entrer,  cette  année  même, 
«  dans  la  carrière  de  la  prélature.  J'espère  qu'il  Taura 
«  fait.  J'énumérais  dans  ces  lettres  toutes  les  raisons  de 
«  bon  sens  et  d'opportunité  qui  me  déterminaient  à  faire 
«  ce  pas.  Je  ne  doute  pas  que  vous,  dans  votre  jugement  et 


Carpincto.  —  Suite  de  la  procession  des  Rogations. 

<c  dans  votre  ardent  désir  de  voir  se  maintenir  le  lustre  de 

«  notre  famille,  vous  ne  soyez  pleinement  satisfait  de  ma 

«  résolution.  En  outre,  c'était  un  pas  à  faire,  si  nous  ne 

«  voulions  pas  voir  se  perdre  le  fruit  dé  cinq  années  d'Aca- 

«  demie  Noble.  Grâce  aux  protections  puissantes  que  ma 

«  conduite  et  mes  études  m'ont  procurées  auprès  de  S.  E. 

«  I^acca  et  d'autres  cardinaux.  Sa  Sainteté,  le  6  courant, 

«  anniversaire  de  son  couronnement,  a  daigné,  dans  sa 

«  clémence,  me  compter  au  nombre  de  ses  prélats  domes- 

«  tiques  et  m'a  accordé  la  mantelletta  de  faveur.  Oh!  si 


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21 


IMUODICTION. 


INTRODUCTION. 


25 


(lori,  le  cardinal  Pacea  admit  IViri  au  noinluc  de  ses  créa- 
tures. Et  devineriez-vous  la  cause  de  l'inléivl  ([uc  ces  deux 
Eminences  portèrent  à  Joachini  Pecci? 

—  Oui  sait? 

—  Sa  petite  foiiune  familiale,  autant  (|ue  son  mauvais 
état  de  santé.  Je  vous  ai  déjà  dit  (|ue  IVcci  semblait  souiïiir 
de  la  poitrine\  En  outre,  son  bien  patrimonial  ne  consistait 
qu'en  quelcpio  affeimages  que  sa  famille  de  Carpineto 
tenait  des  Aldobrandini.  Autant  de  raisons  qui  nous  atta- 
chaient à  lui  et  lui  lirent  trouver,  chez  nos  seiiiiieurs,  la 
protection  qu'il  désirait  :  ce  Pour  ne  pas  multiplier  inutile- 
ce  ment  mes  lettres,  écrivait-il  à  son  frère  Charles,  le  8  fê- 
te vrier  1857,  j'ai  prié  bien  des  fois  Jean-Baptiste  de  vous 
u  communi(juer  celles  que  je  lui  ai  adressées,  au  cours  de 
(c  ces  deux  derniers  mois,  au  sujet  de  la  détermination  que 

1.  On  ioim:iîl  |.«  U'xlt'  (In  t»»sl;imt'nt  que  Jo;uliiin  Pucci  rédigo;i  !«•  li  so|»l. 
i857  et  i\\w  nous  avons  ins«''iv,  à  celle  liale,  dans  réjMstoIaiie  de  la  Jeunesse 
de  Léon  XIII  (|).  4ô7-i:»8). 

Vois  celle  é|MM|u«\  Joachiin  Pecci  éciivail  aussi,  sur  le  mauvais  élal  de  sa 
sanlé,  in  vcleladine  sua,  des  vers  latins  dont  voici  la  traductiou  littérale  : 
«  Adolescent  de  la  vingliènie  année,  Joacliini,  c'est  à  peine  si   lu  croîs  en  âge. 

—  et  voili,  nialheureu\,  ([ue  lu  succoniltes  sims  le  nonilue  de>  maladies!  — 
Peut-être  au  triste  récit  de  tes  douleurs  Irouveras-tu  quelque  eonxdalion,  — 
et  aimeras-tu  dire  en  vers  les  misères  de  ta  vie?  —  L'insomnie  te  torture, 
et  tes  membres  lassés  trouvent  tard  le  repos:  —  tes  forces  diminuent,  aucune 
nourriture  ne  peut  plus  soutenir  —  ton  estomac  alanirui  :  tes  yeux  t'aihlissent  à 
la  lumière  —  qui  baisse,  et  la  douleur  te  frappe  souvent  à  la  tète. —  La  fièvre, 
tantôt  glacée,  se  repaît  misérablement  —  de  tes  membres  et,  tantôt  luûlantt', 
les  torture.  —  Déjà  la  maigreur  pàlil  ton  visage,  déjà  ta  poitrine  est  balelanle, 

—  et,  par  tout  le  corp^,  lu  défailles  d'alanguis^emenl.  —  Ouel  fol  espoir  t'illu- 
sionne encore,  quelles  longues  années  encore  espL-res-tu?—  Alr.>po>  le  pousse  sur 
l'borriblecbeminde  la  mort  ».  —  Alors  moi  :  ((  La  peur  ne  me  fera  pas  trem- 
bler et  la  mort,  —  puisqu'elle  a|»proelie,  je  la  receviai,  ferme  et  joveux.  — 
Les  plaisirs  d'ime  existence  passagère  me  sont  sans  cbarmi';  —aspirant  à  l'é-ter- 
nité,  rien  de  ce  qui  passe  ne  me  séduit.—  En  abordant  à  sa  patrie,  le  vovageur 
sera  heureux;  heureux  —  sera  le  nautonier  s'il  peut  conduire  au  port  sa 
baïque.  )) 


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•«  j'ai  prise  de  concert  avec  lui  et  sur  la(pielle  j'aurais  aussi 
«  voulu  avoir  voire  opinion,  d'enti^er,  celte  année  même, 
"  dans  la  carrière  de  la  prélature.  J'espère  qu'il  l'aiii^a 
«  fait.  J'énumérais  dans  ces  lettres  toutes  les  raisons  de 
«  l)on  sens  et  d'opportunité  qui  me  déterminaient  à  faire 
«  ce  pas.  Je  ne  doute  pas  que  vous,  dans  votre  jugement  et 


Carpiiiolo.  —  Suilo  de  la  procession  des  liogalions. 

«  dans  votre  ardent  désir  de  voir  se  maintenir  le  lustre  de 

c<  notre  famille,  vous  ne  soyez  pleinement  satisfait  de  ma 

«  résolution.  En  outre,  c'était  un  pas  à  faire,  si  nous  ne 

«  voulions  pas  voir  se  perdre  le  fruit  de  cinq  années  d'Aca- 

«  demie  Noble.  Grâce  aux  protections  puissantes  que  ma 

«  conduite  et  mes  études  m'ont  procurées  auprès  de  S.  E. 

«  Pacca  et  d'autres  cardinaux.  Sa  Sainteté,  le  6  coui\anl, 

«  anniversaire  de  son  couronnement,   a  daigné,  dans  sa 

«  clémence,  me  compter  au  nombre  de  ses  prélats  domes- 

<*  tiques  et  m'a  accordé  la  mantelletta  de  faveur.  Oh!  si 


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26 


INURODUCTION. 


INTRODUCTION. 


27 


<c  papa  était  vivant,  combien  cette  nouvelle  le  réjouirait! 
u  comme  elle  lui  ferait  plaisir!...  Mais  laissons  cette  pensée 
«  trop  triste  et  trop  amère.  Ainsi  donc,  grâce  à  une  si  sou- 
cc  veraine  faveur,  me  voici  dans  une  voie  nouvelle  où  je 
«  chercherai,  de  toutes  mes  forces,  5  répondre  aux  désirs 
«  et  aux  vœux  de  la  famille  en  m'emplojant  à  tout  ce  qui 
<(  peut  lui  valoir  quelque  gloire.  »  La  porte  ainsi  ouverte, 
notre  fin  Pecci  n'avait  plus  qu'à  filer,,  menu  et  insinuant 
comme  il  était,  entre  les  mailles  difficiles  de  la  trame  vati- 
cane;  telle  une  aiguille  d'acier  dont  ce  froid  garçon  vous 
donnait  l'impression,  au  seul  contact  de  sa  main  froide  qu'il 
laissait  peu  dans  la  vôtre. 

—  Contegnol.,  contegnol  vous   savez  bien.  De  chez  le 
cardinal  Pacca,  il  ne  mit  que  quelques  mois  à  passer  chez 
le  cardinal  Sala,  préfet  de  la  Congrégation  des  Évèques  et 
Réguliers,  dont  il   fut  l'auditeur.  Sa   lettre,  du   3  juil- 
let 1837,  au  frère  Charles  en  fait  foi  :  «  Avec  la  sincérité 
«  dont  j'ai  l'habitude  d'user  en  mes  affaires,  principalement 
«  à  l'égard  des  parents,  je  peux  vous  certifier  que  depuis  le 
«  jour  où,  pour  répondre  aux  désirs  de  papa,  je  suis  entré 
«  dans  la  carrière  que  je  poursuis,  je  n'ai  eu  qu'un  but  : 
<c  employer   toutes  mes   forces  et   user   d'une    conduite 
«  louable  pour  avancer  dans  les  postes  hiérarchiques  de  la 
«  prélature  et  pour  que  notre  famille,  profitant  de  ce  lustre 
«  et  de  ce  crédit  qui.  Dieu  merci!  ne  lui  a  pas  manqué 
«  jusqu'à  cette  heure,  accroisse  sa  juste  réputation  dans  le 
«  pays.  En  atteignant  ce  but,  je  crois  que  j'auiai  pleine- 
«  ment  répondu  aux  intentions  de  papa;  et  celles-ci  font 
«  loi,  pour  moi,  à  tel  point  que  je  me  ferai  scrupule  de  n'y 
<<  jamais  contrevenir  de  ma  vie.  Jeune,  comme  je  suis,  je  ne 
«  peux  manquer  de  parcourir  celte  carrière,  de  façon  à 
«  honorer  ma  famille,  si  j'ai  une  conduite  irréprochable 


«  et  si  les  protecteurs  ne  me  font  pas  défaut  :  deux  choses 
«  indispensables  à  Rome,  comme  vous  savez,  pour  avancer 
ce  sûrement  et  rapidement.  D'autre  part,  quoique  ne  comp- 
c<  tant  encore  que  cinq  mois  de  prélature,  j'ai  déjà  gravi 
«  le  premier  échelon.  Vous  serez  peut-être  bien  aise  d'ap- 
ex prendre  que  le  cardinal  Sala  m'a  pris  résolument  sous 


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Carpincto.  —  Un  reposoir  de  Fêle-Dieu. 

sa  protection.  Vous  aurez  aussi  plaisir  à  savoir  que  je 
jouis  de  quelque  crédit,  assurément  non  mérité,  auprès 
des  deux  Secrétaires  d'État.  Le  Souverain  Pontife,  lui- 
même,  me  regarde  d'un  bon  œil.  J'ai  pu  m'en  convaincre, 
hier  encore,  pendant  l'audience  où,  étant  allé  prier  Sa 
Sainteté  de  daigner  agréer  mes  sentiments  de  reconnais- 
sance, je  fus  accueilli  par  Elle  avec  une  bonté  et  une 
condescendance  toutes  particulières,  w  Voilà  doncMgr  Pecci 
dans  les  honneurs,  avant  que  d'être  dans  le  sacerdoce  qu'il 
ne  reçut  qu'après  la  prélature,  —  et  les  trois  ordres  du  sous- 


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«  papa  ('lait  vivant,  comlMcn  cette  nouvelle  le  i^:»]  oui  rail! 
«  comme  elle  lui  ferait  plaisir!...  Mais  laissons  cette  pensée 
«  trop  tiiste  et  trop  amère.  Ainsi  donc,  grâce  à  une  si  sou- 
«  veraine  faveur,  me  voici  clans  une  voie  nouvelle  où  je 
«  chercherai,  de  toutes  mes  forces,  à  répondre  aux  désirs 
et  aux  vœux  de  la  ftimille  en  m'employanl  à  tout  ce  (|ui 
peut  lui  valoir  quelque  gloire.  )>  La  porte  ainsi  ouverte, 
notre  lin  Pecci  n'avait  plus  (piVi  liler,  menu  et  insinuant 
comme  il  était,  entre  les  mailles  difliciles  de  la  tranu'  vati- 
cîme;  telle  une  aiguille  d'acier  dont  ce  froid  ^arron  vcms 
d(»nnait  TimpressiiMi,  au  seul  contact  de  sa  main  froide  qu'il 
laissait  peu  dans  la  vôtre. 

—  Conleij)w!..  contccjnol  vous    savez  bien.  De  chez  le 
cardinal  Pacca,  il  ne  mit  que  quelques  mois  à  passer  chez 
le  cardinal  Sala,  préfet  de  la  Congrégation  des  Évéques  et 
Réguliers,  doiit    il    fut    l'auditeur.   8a    lettre,  du   3   juil- 
let 1857,  au  frère  Charles  en  fait  foi  :  «  Avec  la  sincérité 
«  dont  j'ai  l'hahifude  d'user  en  mes  affaires,  principalement 
à  l'égard  des  parents,  je  peux  vous  cerliliei'  (pie  depuis  le 
jour  où,  pour  répondre  aux  désirs  de  papa,  je  suis  entré 
dans  la  carrière  que  je  poursuis,  je  n'ai  eu  (pCun  but  : 
emj)loyer   toutes   mes    forces  et    user   d'une    conduite 
louable  pour  avancer  dans  les  postes  hiérarchiques  de  la 
«  prélalure  et  pour  que  noire  famille,  profilant  de  ce  lustre 
et  de  ce  crédit  qui.  Dieu  merci!  ne  lui  a  pas  manqué 
jusqu'à  cette  heure,  accroisse  sa  juste  réputation  dans  le 
pays.  En  atteignant  ce  but,  je  crois  que  j'aurai  pleine- 
<^  ment  répondu  aux  intentions  de  papa;  et  celles-ci  font 
<^  loi,  j)our  moi,  à  tel  point  que  je  me  ferai  scrupule  de  n'y 
<^  jamais  contrevenir  de  ma  vie.  Jeune,  comme  je  suis,  je  ne 
peux  manquer  de  parcourir  celte  carrière,  de  façon  à 
honorer  ma  famille,  si  j'ai  une  conduite  irréprochable 


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<c  el  si  les  protecteurs  ne  me  font  pas  défaut  :  deux  choses 
«  indispensables  à  Rome,  comme  vous  savez,  pour  avancer 
K  sûrement  et  ra[>i(lemeiit.  D'autre  part,  (juoique  ne  comp- 
te tant  encore  (pie  cin(|  mois  de  prélalure,  j'ai  iU\\h  gravi 
«  le  premier  échelon.  Vous  seivz  peul-clre  bien  aise  d'ap- 
ex prendre  que  le  cardinal  Sala  m'a  pris  résolument  sous 


Carpinclo.  —  Vu  rcposoir  de  lète-nicu. 

(■  sa  protection.  Vous  aurez  aussi  plaisir  à  savoir  que  je 
jouis  d(.'  (piehjue  crédit,  assurément  non  mérité,  auprès 
des  deux  Secrétaires  d'Étal.  Le  Souverain  Pontife,  lui- 
même,  me  regarde  d'un  bon  o^il.  J'ai  pu  m'en  convaincre, 

«  hier  encore,  pendant  l'audience  où,  étant  allé  prier  Sa 
Sainteté  de  daigner  aiiiéer  mes  sentiments  de  reconnais- 

(  sauce,  je  fus  accueilli  i)ar  Elle  avec  une  bouté  el  une 
condescendance  toutes  particulières.  »  Voilà  doncMgrPecci 

dans  les  honneurs,  avant  que  d'être  dans  le  sacerdoce  qu'il 

ne  n^çut  qu'après  la  prélalure,  —  et  les  trois  ordres  du  sous- 


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i8 


INTRODUCTION. 


INTRODUCTION. 


29 


diaconat,  du  diaconat  et  de  la  prêtrise,  en  la  même  dernière 
quinzaine  de  décembre  1857.  Vers  cette  époque  se  place  un 
incident  que  je  vous  demande  encore  la  permission  de 
raconter. 

—  Je  vous  en  prie,  Monseigneur  ou  Monsieur  le  Chanoine  ! 

—  Oh  !  simplement  Meluccia,  comme  ci-devant.  Meluccia, 
tout  court,  comme  qui  dirait  «  petite  citrouille  ».  Car,  en 
vérité,  je  ne  fus  jamais  bon  à  Pecci  que  pour  la  tigelle  qui 
pouvait  l'entraîner,  comme  dans  Thistoire  du  porreau  de 
la  mère  de  saint  Pierre.  Vous  ne  connaissez  pas  Thistoire 
du  porreau  de  la  mère  de  saint  Pierre,  ou  plutôt  du  porreau 
de  Pecci.  Je  vous  la  raconterai  aussi.  Mais,  d'abord,  Tinci- 
dent  de  Spolète. 

«  A  Spolète  donc,  en  1837,  un  prêtre  avait  été  condamné 
à  mort,  pour  homicîide  présomptif.  Selon  son  droit,  le  mal- 
heureux en  appela  à  la  Congrégation  que  présidait  le  car- 
dinal Sala  et  qui  servait  de  Cour  d'appel  aux  ecclésiastiques, 
sous  la  législation  de  l'État  pontifical.  Pecci,  à  litre  d'audi- 
teur du  préfet  de  ce  tribunal,  fut  appelé  à  étudier  l'adaire 
et  à  émettre  un  vote  motivé.  Ne  se  sentant  pas  grand  clerc 
au  criminel,  il  me  confia  le  soin  d'étudier  pour  lui  ce  dossier 
et  de  rédiger  son  vote.  Pendant  l'étude  de  cette  affaire,  j'eus 
l'occasion  de  rendre  visite  au  cardinal  Polidori,  à  qui  j'ex- 
posai la  cause,  non  sans  me  défendre  d'avancer  que  le 
prêtre  serait  absous.  —  «  Ah!  jeunesse!  exclama  le  car- 
dinal, que  te  voilà  bien,  avec  tes  théories  modernes! 

—  Modernes,  répondis-je,  autant  que  le  Code  de  Justi- 
nien,  qui  dit  :  Ad  probanda  acta  ».  L'affaire  vint  à  son  jour 
et  le  vote  motivé  du  cardinal  Sala  fut  admis,  sans  discus- 
sion. L'Eminence  complimenta,  de  ce  résultat,  son  auditeur 
Pecci  qui  en  attribua  franchement  le  mérite  à  son  ami  M.... 
Incontinent,  le  cardinal  Sala  voulut  me  connaître.  Pecci 


me  présenta  au  Préfet  de  sa  Congrégation;  et  ce  fut  tout  le 
bénéfice  que  me  procura  cette  affaire.  Car  le  cardinal  Poli- 
lori,  furieux  dans  son  intransigeance,  de  cette  conclusion 
jui  relâchait  la  sévérité  traditionnelle  de  la  Cour  romaine, 
ne  manqua  pas  de  m'en  faire  de  vifs  reproches  :  «  Ah! 
Meluccia  I. . .  Meluccia  I, . .  {meluccia  veut  dire  petite  citrouille, 
comme  vous  savez),  tu  viens  m'insulter  chez  moi  et  tu  vas 
gagner  ton  procès  au  tribunal!  » 

—  Et  le  porreau  de  la  mère  de  saint  Pierre?... 

—  Vous  allez  voir  encore  comme  il  se  rattache  à  celui  de 
Pecci.  Une  vieille  légende  raconte  que,  lorsque  la  mère  de 
saint  Pierre  mourut,  elle  fut  condamnée  à  l'enfer.  Saint  Pierre 
intercéda  pour  elle,  et  le  bon  Dieu  répondit  que  si  cette  femme 
pouvait  témoigner  d'une  seule  bonne  action  dans  sa  vie,  elle 
serait  absoute.  Alors  Tange  gardien  de  celle-ci  se  leva  et  dit  : 
«  Un  jour  que.  cette  femme  lavait  des  porreaux  à  la  rivière,  le 
courant  en  emporta  un.  —  Eh!  va  à  Dieu!  fit-elle,  voulant 
peut-être  dire  :  —  Va  au  diable  !  »  Et  le  bon  Dieu  dit  à 
l'ange  gardien  :  «  Laisse  tomber  du  ciel  un  porreau,  pour 
que  la  mère  de  saint  Pierre  le  puisse  prendre.  »  Le  porreau 
descendant  vers  cette  femme,  elle  s'y  suspendit.  Ce  que 
voyant,  les  autres  femmes  voulurent  aussi  être  enlevées  par 
l'ange  et  s'accrochèrent  aux  jupes  de  leur  voisine  qui  donna 
tant  de  coups  de  pieds,  derrière  elle,  qu'à  force  de  secousses 
le  porreau  se  rompit.  Et  la  malheureuse  retomba  en  enfer. 
Telle  fut  l'unique  bonne  œuvre  de  la  mère  de  saint  Pierre  ; 
et  encore  ne  lui  servit-elle  de  rien,  par  la  faute  de  sa 
rageuse  et  envieuse  fierté. 

—  Et  le  porreau  de  Pecci?... 

—  Et  le  porreau  de  Pecci,  dont  put  bénéficier  l'abbé  M.. . , 
fut  la  présentation  de  pure  forme  qu'il  en  fit  au  cardinal 
Sala.  J'eus,  d'ailleurs,  l'occasion  de  la  lui  rendre  à  quelque 


vl 


¥; 


..? 


fi'- 


30 


LMRODLCTIOX. 


INTRODUCTION. 


51 


i 


temps  de  là,  et  même  à  plus  crime  reprise.  Quand,  du  mois 
de  mars  1858  au  mois  de  juillet  1841,  Mgr  Pecci  eut  quille 
Rome  pour  Bénévent,  ee  ne  furent,  par  correspondance, 
que  demandes  d'argent  à  ses  frères,  et  d'un  poste  nouveau 
à  ses  amis.  Son  prédécesseur  à  la  Délégation  de  Bénévent, 
MgrOrfei,  n'avait-il  pas  prélevé  sai-îs  vergogne,  en  partant, 
vingt-deux  jours  delà  solde  due  à  son  successeur,  et  réduit 
celui-ci  à  f/rattarsi  la  pancia,  comme  il  nous  l'écrivait.  Et 
puis,  au  cours  de  sa   gestion  et  de  la  chasse  qu'il  avait 
donnée  aux  brigands  du  duché,  Mgr  Pecci  s'était  mis  sui* 
les  bras,  entre  autres,  une  affaire  du  diable.  Un  certain  comte 
Pacca,  proche  neveu  du  cardinal  protecteur  de  Pecci,  ne 
s'était-il  pas  avisé  d'hospitaliser  certains  brigands  sur  ses 
terres,  en  vertu  d'une  vieille  prérogative  d'immunité  féo- 
dale que  le  régime  nouveau  n'avait  peut-être  pas  encore 
abolie.  Pour  donner  force  à  la  loi,  Pecci  fit  arrêter  comte  et 
'  brigands.  Mais  comment  finirait  l'affaire  en  cour  de  Rome, 
où  le  hobereau  menaçait  d'aller  se  plaindre?  «  Allez,  lui 
répondit  fermement  le  délégat,   mais  rappelez-vous  que, 
pour  se  rendre  au  Vatican,   on  passe  par  le  fort  Saint- 
Ange  !  »  Notre  ami  avait  beau  écrire  dans  ses  lettres  offi- 
cielles que,  pour  rien  au  monde,  il  ne  quitterait  Bénévent 
de  gaieté  de  cœur,  c'était  tout  le  contraire  qu'il  nous  man- 
dait dans  l'intimité,  en  nous  suppliant  de  nous  intéresser  à 
son  sort  malheureux  :  «  Je  suis  bien  loin  de  toi,  m'écrivait-il 
«  à  cette  époque  dans  ma  délégation  de  Rieti,  mais  je  vis 
ce  avec  loi,  à  toute  heure.   Avec  toi  je  parle,  avec  toi  je 
cf  plaisante,  avec  toi  je  mange,  avec  toi  je  dors;  le  corps  est 
ce  séparé,  mais  l'âme  reste  unie.  »  Je  connaissais  ses  ennuis 
de  bourse  dont  l'élroitesse  ne  lui  permettait  pas  de  rivaliser 
de  luxe  avec  les  7000  écus  que  pouvait  wriir,  par  exemple, 
son  parent  Mgr  Lolli,   vice-légat  de  Yelletri;  quand  lui, 


Pecci,  avec  ses  97  ducats  mensuels,  avait  à  entretenir  six 
personnes,  deux  chevaux  et  un  palais,  dans  Bénévent  où  le 


La  cliulc  des  Marmore  sur  la  route  de  Spolète. 

public  se  montrait  difficile,  —  surtout  en  chevaux  pur  sang. 
Et  que  recevait-il  de  Carpineto,  pour  figurer  à  la  proces- 
sion du  Corpm  Domini,  lui,  qui  avait  écrit  :  ce  Je  voudrais 


50 


IMIlOni  CTION. 


temps  de  là,  et  inèiiie  à  plus  d'une  reprise.  Quand,  du  mois 
de  mars  1838  au  mois  de  juillet  18  il,  M^-r  Pecei  eut  quille 
Rome  pour  Bénéveiil,  ee  ne  fureul,   |)ar  correspondance, 
que  demandes  d'ar«»ent  l\  ses  IVeies,  el  d'un  poste  nouveau 
à  ses  amis.  Son  prédécesseur  à  la  Délégation  de  Bénévenl, 
M«J5i'0iiei,  u'avait-il  pas  prélevé  saAS  vergogne,  en  parlant, 
vingl-deu\  jours  delà  solde  due  à  son  successeur,  el  réduil 
celui-ci  à  (/rattani  la  pancia,  comme  il  nous  l'écrivail.  Et 
puis,  au  cours  de  sa   gestion  el  de  la  chasse  qu'il  avait 
donnée  aux  hrigands  du  duché,  Mgr  Pecci  s'était  mis  sur 
les  bras,  entre  autres,  une  affaire  du  dialde.  Un  cei'tain  comte 
Pacca,  proche  neveu  du  cardinal  prolecteur  de  Pecci,  ne 
s'était-il  pas  avisé  d'hospitaliser  certains  brigands  sur  ses 
terre-,  en  vertu  d'une  vieille  piérogalive  d'immunité  leo- 
dale  «pie  le  régime  nouveau  n'avait  peut-être  pas  encore 
abolie.  Pour  donner  force  à  la  loi,  Pecci  lit  arrêter  comte  el 
brigands.  Mais  comment  finirait  l'affaire  en  cour  de  Rome, 
où  le  hobereau  menaçait  d'aller  se  plaindre?  u  Allez,   lui 
répondit   fermement  le  délégat,   mais  rappelez-vous  qne, 
pour  se  rendre  au  Vatican,  on  passe  par  le  fort  Saint- 
Ange  !   »  Notre  ami  avait  beau  écrire  dans  ses  lettres  offi- 
cielle^  que,  pour  rien  au  monde,  il  ne  quitterait  RénévenI 
de  gaieté  de  cœur,  c'était  tout  le  contraire  qu'il  nous  man- 
dait dans  l'intimité,  en  nous  sup[diant  de  nous  intéresser  à 
son  sort  malheureux  :  «  Je  suis  bien  loin  de  toi,  m'écrivait-il 
«  à  cette  époque  dans  ma  délégation  de  Rieti,  mais  je  vis 
ce  avec  toi,  à  toute  heure.    Avec   toi  je  parle,  avec   loi  je 
plaisante,  avec  toi  je  mange,  avec  toi  je  dors;  le  corps  est 
séparé,  mais  l'àme  reste  unie.  »  Je  connaissais  ses  ennuis 
de  bourse  dont  l'élroitesse  ne  lui  permettait  pas  de  rivaliser 
de  luxe  avec  les  7000  écus  que  pouvait  sortir,  par  exemple, 
son  parent  Mgr  Lolli,  vice-légat  de  Velletri;  quand  lui. 


INTROntCTIOX. 


")! 


Pecci,  avec  ses  07  ducats  mensuels,  avait  à  entretenir  six 
personnes,  deux  chevaux  et  un  palais,  dans  Rénévent  où  le 


La  diulc  lies  Marmorc  sur  la  route  de  Spolètc. 

public  se  montrait  difficile,  —  surtout  en  chevaux  pur  sang. 
Et  que  recevait-il  de  Carpineto,  pour  figurer  à  la  proces- 
sion du  Corpm  Domini,  lui,  qui  avait  écrit  :  «  Je  voudrais 


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3i 


INTRODUCTION. 


JNTRODl'CTION. 


dd 


If 


u  que  mes  chevaux  courussent  comme  des  éclairs.  Je  compte 
«  les  jours  qui  me  séparent  de  leur  arrivée,  parce  que  je 
t<  suis  fatigué  d'en  emprunter.   »  Hélas  !  le  frère  Titta,  au 
lieu  de  deux  Bellérophons  n'avait  envoyé  que  deux  rosses. 
Prises,   en  arrivant,  de  mal  aux  jambes,  elles  enflèrent. 
Étant  donné  Tàge  des  bêtes,  le  vétérinaire  ne  se  prononçait 
pas  sur  la  guérison.  C'était  vexant.  Mais  le  plus  vexé  fut  le 
frère  Titta,  qui  n'eut  plus  le  courage  de  répondre  aux  justes 
reproches  de  monsirjnor  le  délégat.  «  Faut-il  avoir  l'esprit 
«  assez  borné  pour  se  fâcher  et,  par-dessus  le  marché,  me 
c<  rendre  responsable  de  ces  chevaux  dont  j'ai  voulu  seule- 
ce  ment  vous  faire  connaître  le  triste   état,   sans  vous  en 
«  accuser,  certes.  )>  Le  frère  Titta,  —  célibataire  endurci, 
avait  peut-être  d'autres  sujets  de  bouderie  sournoise.   Le 
14  novembre  1838,  Mgr  Gioacchino,  soucieux  de  la  lignée 
future  des  Pecci,  n'avait-il  pas  écrit  :  «  Le  soutien  de  la 
famille  doit  être  Titta.  Mais,  comme  Charles,  il  prend  de 
l'âge.  Quant  a  moi,  je  me  suis  châtré  propter  rerjnum  cœlo- 
rum.  S'ils  ne  se  décident  l'un  ou  l'autre  à  prendre  femme, 
l'extinction  des  Pecci  est  sûre!  »  Ajoutez,  à  tous  ces  ennuis 
domestiques  de  Mgr  le  Délégat,  celui  du  départ  de  son  dévoué 
secrétaire  Don  Salina,  appelé  par  le  nouveau  cardinal  Belli 
à  la  dignité  de  majordome. 

—  Et,  en  ces  circonstances,  le  bon  Mgr  M...,  délégat 
de  Rieti,  se  décida-t-il  à  solliciter  du  Pape  la  mutation  de 
son  ami  oublié  à  Bénévent  depuis  trois  mortelles  années? 

-:^.  Oui,  et  voici  comment.  Au  cours  d'une  audience 
pontificale,  Grégoire  XVI,  qui  ne  se  dissimulait  pas  les 
difficultés  d'un  délégat  représentant  le  pouvoir  temporel, 
à  côté  d'un  évêque  à  qui  est  dévolue  l'officialité  spirituelle 
dans  la  même  ville,  —  deux  têtes  dans  le  même  bonnet, 
dirait-on,  —  le  Souverain  Pontife  me  résuma  par  un  adage 


., 


latin  la  seule  politique  possible  en  pareil  cas  :  «  Divide  et 
impera  I  —  «  Précisément,  Saint-Père,  répondis-je,  c'est  la 
recommandation  que  je  fais  toujours  à  un  de  mes  meilleurs 
collègues,  le  délégat  de  Bénévent.  »  A  ce  mot,  le  Pape 
esquissa  de  la  bouche  une  moue,  qui  ne  signifiait  rien  de 
bon.  Cependant,  sur  mes  instances  respectueuses,  il  écrivit. 


Spolètc.  —  Le  temple  de  Clitumnc. 


devant  moi,  quelques  notes  qui  servirent  probablement  à 
Mgr  Pecci  quand,  a  quelques  jours  de  là,  il  fut  question  de 
l'envoyer  à  Spolète. 

—  A  Pérouse,  voulez-vous  dire? 

—  Je  dis  bien,  à  Spolète  où,  d'ailleurs,  il  n'alla  pas. 
Voici  encore  comment.  Appelé  l\  la  succession  du  délégat 
de  Spolète,  Mgr  Pecci  quitta  Bénévent,  vers  la  mi-juillet  de 
1841,  pour  m'arriver  incognito  à  Rome,  un  de  ces  matins- 

5 


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5-2 


INTRODUCTION. 


l<  i 


a  que  mes  chevaux  courussent  comme  des  éclairs.  Je  compte 
«  les  jours  (jui  me  séparent  de  leur  arrivée,  parce  <|ue  je 
u  suis  fatigué  d'en  emprunter.   i>  Hélas!  le  frère  Titta,  au 
lieu  de  deux  lîellérojdions  n*avait  envoyé  que  deux  rosses. 
Prises,   en  arrivant,  de  mal  aux  jambes,  elles  enflèrent. 
Etant  donné  làge  des  bétes,  le  vétérinaire  ne  se  prononçait 
pas  sur  la  guérison.  C'était  vexant.  Mais  le  plus  vexé  fut  le 
frère  Titta,  qui  n'eut  plus  le  courage  de  répondre  aux  justes 
reproches  de  momirjnor  le  délégat.  «  Faut-il  avoir  l'esprit 
«  assez  borné  pour  se  fâcher  et,  par-dessus  le  marciié,  me 
(c  rendre  responsable  de  ces  chevaux  dont  j'ai  voulu  seule- 
ce  ment  vous  faire  connaître  le  triste   état,   sans  vous  en 
c(  accuser,  certes.  ^>  Le  frère  Titta,  — célibataire  endurci, 
avait  peut-être  d'autres  sujets  de  bouderie  sournoise.   Le 
Li  novembre  1858,  Mgr  Gioacchino,  soucieux  de  la  lignée 
future  des  Pecci,  n'avait-il  pas  écrit  :  ce  Le  soutien  de  la 
famille  doit  être  Titta.  Mais,  comme  Charles,  il  prend  de 
l'âge.  Quant  à  moi,  je  me  suis  châtré  propter  rajaum  cœlo- 
rum.  S'ils  ne  se  décident  l'un  ou  l'autre  h  prendre  femme, 
l'extinction  des  Pecci  est  siire!  »  Ajoutez,  à  tous  ces  ennuis 
domestiques  de  Mgr  le  Délégat,  celui  du  départ  de  son  dévoué 
secrétaire  Don  Salina,  a|)pelé  par  le  nouveau  cardinal  Delli 
à  la  dignité  de  majordome. 

—  Et,  en  ces  circonstances,  le  bon  Mgr  M...,  délégat 
de  Rieti,  se  décida-t-il  à  solliciter  du  Pape  la  mutation  de 
son  ami  oublié  à  Bénévent  depuis  trois  mortelles  années? 

—  Oui,  et  voici  comment.  Au  cours  d'une  audience 
pontificale,  Grégoire  XVI,  qui  ne  se  dissimulait  pas  les 
difficultés  d'un  délégat  représentant  le  pouvoir  temporel, 
à  côté  d'un  évoque  à  qui  est  dévolue  l'officialité  spirituelle 
dans  la  même  ville,  —  deux  têtes  dans  le  même  bonnet, 
dirait-on,  —  le  Souverain  Pontife  me  résuma  par  un  adage 


INTIIODICTION. 


ôo 


latin  la  seule  politique  possible  en  pareil  cas  :  ce  Divide  et 
nnpemi  —  a  Précisément,  Saint-Père,  répondis-je,  c'est  la 
recommandation  que  je  fais  toujours  à  un  de  mes  meilleurs 
collègues,  le  délégat  de  Dénévent.  »  A  ce  mot,  le  Pape 
esquissa  de  la  bouche  une  moue,  qui  ne  signiliait  rien  de 
bon.  Cependant,  sur  mes  instances  respectueuses,  il  écrivit. 


Spolôtc.  —  Le  temple  île  Clitiimne. 

devant  moi,  quelques  notes  qui  servircîut  probablement  à 
Mgr  Pecci  quand,  à  quelcjnes  jours  de  là,  il  fut  question  de 
l'envoyer  à  Spolète. 

—  A  Pérouse,  voulez-vous  dire? 

—  Je  dis  bien,  à  Spolète  où,  d'ailleurs,  il  n'alla  pas. 
Voici  encore  comment.  Appelé  à  la  succession  du  délégat 
de  Spolète,  Mgr  Pecci  quitta  Bénévent,  vers  la  mi-juillet  de 
18 il,  pour  m'arriver  incofjnilo  à  Rome,  un  de  ces  malins- 

5 


m 


3i 


INTRODUCTION. 


là,  vers  quatre  heures.  Pour  n'éveiller  aucun  soupçon  et 
tirer  au  clair  celui  de  sa  nomination  à  Pérouse  qui  circulait 
déjà,  il  frappa,  ce  matin-là  à  ma  porte,  laissant  dans 
riffnorance  de  son  arrivée  ses  deux  frères  dont  il  avait 
provoqué  un  rendez-vous,  de  Carpineto  à  Rome,  et  son  oncle 
Antoine  qui  eût  pu  mieux  le  recevoir  au  palais  Muti.  Transi 
de  froid,  il  grelottait.  Je  le  fis  mettre  dans  mon  lit,  pen- 
dant que  j'irais  lui  préparer  une  tasse  de  café  chaud.  11 
accepta  Tun  et  l'autre  avec  joie  et  s'endormit,  à  l'attente 
des  nouvelles  que  j'irais  aussi  chercher,  le  jour  venu,  à  sa 
place.  J'appris  au  Vatican  qu'après  l'audience  que  le  Sou- 
verain Pontife  avait  daigné  m'accorder,  le  suhstitut  de  la 
Secrétairerie  d'État,  Mgr  Santucci,  successeur  de  Mgr  Gam- 
herini,  élait  alors  venu  présentera  la  signature  du  Pape  la 
nomination  de  Mgr  Pecci  à  la  délégation  de  Spolète,  et  que 
Grégoire  XVI  avait,  de  son  chef,  changé  ce  siège  inférieur 
en  celui  de  Pérouse  qui  valait  davantage.  Quand  je  rapportai 
cette  nouvelle  à  mon  ami,  je  me  souviens  qu'il  m'emhrassa 
de  plaisir.  Cette  histoire  n'est  pas  une  légende,  comme 
celle  du  porreau  de  Pecci;  mais  c'est  lout  ce  qu'elle  m'a 
rapporté,  je  veux  dire  la  joie  d'avoir  fait  dormir  dans  mon 
lit  un  futur  pape  qui, maître  au  Vatican,  aurait  alors  mieux 
à  faire  qu'à  rendre  l'hospitalité  à  son  vieux  camarade  de 
chamhre. 

—  Et  Mgr  Pecci,  délégat  de  Pérouse,  partit  derechef 
pour  son  nouveau  poste? 

—  Non  sans  passer  par  ma  délégation  de  Rieli  où  je  me 
hâtai  de  revenir  pour  lui  en  faire  les  honneurs.  Je  refermai 
donc  mon  humble  pied-à-terre  de  Rome  qui  avait  servi  à 
une  séquestration  aussi  opportuniste  que  politique,  et  si 
secrète  que  Titia  et  Carlo  s'en  étaient  allés  chercher  partout 
leur  frère,  excepté  à  Sant'Andrea  délia  Valle*  où  je  tenais 


INTRODUCTION. 


35 


sous  clef  l'heureux  et,  —  faut-il  le  dire?  —  l'ingrat  reclus. 
Rieti  étant  sur  le  chemin  de  Rome  à  Pérouse,  Mgr  Pecci 
venait  naturellement  chez  moi  :  «  Je  suis  arrivé  à  Rieti  vers 
«  une  heure  de  nuit,  écrit-il  à  son  frère  Titta,  le  15  août 
c<  1841....  Mgr  M,.,  salue  affectueusement  toute  la  maison. 
«  Ce  soir,  il  y  aura  chez  lui  grande  réception  avec  rafraî- 


Pcrouse.  —  Les  remparts  vus  des  Colli. 

«  chissements  pour  fêter  ma  venue.  Que  d'embarras  je 
«  cause!  »  Et,  le  18,  arrivé  à  Pérouse,  il  continue  sa  lettre 
au  même  frère  :  «  Deux  lignes  en  courant,  pour  vous 
u  apprendre  mon  arrivée  dans  cette  résidence,  hier  soir, 
«  à  VAve  Maria^  A  part  quelque  fatigue,  je  n'ai  souffert  de 
«  rien  pendant  ce  voyage.  Mgr  M...  nous  a  traités  magni- 
ez fiquement  au  rinfresco  qu'il  nous  a  offert,  le  15,  avec 
«  le  concours  de  toute  la   noblesse  de  Rieti.  Nous  avons 


ife. 


31 


IM'HODICTIO.N. 


là,  \ers  quatre  Iieiires.  Pour  iréveillor  aucun  sou|>(;on  et 
tirer  au  clair  celui  de  sa  nomination  à  Pérouse  qui  circulait 
ilt^à,  il  frajq)a,  ce  matin-là  à  ma  porte,  laissant  dans 
riiinorance  de  son  arrivée  ses  deux  frères  dont  il  avait 
provoqué  un  rendez-vous,  de  Caipinelo  à  Rome,  et  son  onch; 
Antoine  qui  eut  pu  mieux  le  recevoir  au  palais  Muli.  Transi 
de  froid,  il  grelottait.  Je  le  lis  melti'e  dans  mon  lit,  |>en- 
daiit  (|ue  j'irais  lui  préparer  une  tasse  de  café  chaud.  Il 
accepta  l'un  et  l'autre  avec  joie  et  s'endormit,  à  l'atlente 
des  n<Mivelles  cpie  j'iiais  aussi  chercher,  le  jour  venu,  à  sa 
place.  J'a|^pI'is  au  Vatican  (ju'aprés  l'audience  ([iw  le  Sou- 
verain Pontife  avait  daigné  m'accorder,  le  suhstitut  de  la 
Secrétairerie  d'Etat,  Mgr  Santucci,  successeur  deMgiliam- 
herini,  était  alors  vofiu  présentera  la  signature  du  Pape  la 
nomination  de  Mgr  IV'cci  à  la  délégation  de  Spolète,  et  que 
firégoire  XVI  avait,  de  son  chef,  changé  ce  siège  inférieur 
en  celui  de  Pérouse  qui  valait  davantage.  Ouand  je  rapportai 
celte  niuivelle  à  mon  ami,  je  me  souviens  (pi'il  m'emhiassa 
<le  plai^ii'.  Celte  histoiie  n'est  ])as  une  h'gende,  comme 
celle  du  poireau  de  Pecci  ;  mais  c'est  tout  ce  (pi'elle  m'a 
rap|)(uté,  je  veux  dire  la  joie  d'avoir  fait  doimir  dans  mim 
lit  un  futur  pape  qui, maître  au  Vatican,  aurait  alors  mieux 
à  faire  qu'à  rendre  l'hospitalité  à  son  vieux  camarade  de 
chamhre. 

—  Kt  Mgr  Pecci,  délégat  de  Pérouse,  partit  derechef 
pour  son  nouveau  poste? 

—  ^on  sans  passer  par  ma  délégation  de  llieli  où  je  me 
liatai  de  revenir  pour  lui  en  faire  les  honneurs.  Je  refermai 
donc  mon  huml)le  pied-à-lerre  de  Home  qui  avait  servi  à 
une  séquestration  aussi  opportuniste  que  polit i(pn\  et  si 
secrète  que  Tilla  et  Carlo  s'en  étaient  allés  chercher  partout 
leur  frère,  excepté  à  Sant'Andrea  délia  Valle.  où  je  tenais 


l.NTRODl  CTtON. 


O.) 


sous  clef  riieureux  et,  —  faut-il  le  dire?  —  l'ingrat  reclus. 
Piieti  étant  sur  le  chemin  de  Rome  à  Pérouse,  Mgr  Pecci 
venait  naturellement  chez  moi  :  «  Je  suis  arrivé  à  Piieti  vers 
«  une  heure  de  nuit,  écrit-il  à  son  frère  Tilla,  le  15  août 
««  18 il  —  Mgr  M...  salue  afTectueusement  toute  la  maison. 
c<  Ce  soii',  il  y  aura  chez  lui  gi-ande  réception  avec  rafraî- 


rérouso.  —  Los  rcinparb  vus  des  Colli. 

«  chissemenls  poui*  fétei'  ma  venue.  Que  d'emharras  je 

<f  cause!   »  Et,  le  18,  arrivé  à  Pérouse,  il  continue  sa  lettre 
au  même  frèi'e  :    «   Deux    lignes  en  courant,    pour  vous 

<*  apprendre  mon  arrivée  dans  cette  résidence,  hier  soir, 

ic  à  VÂce  Maria.  A  part  (juehiue  fatigue,  je  n'ai  souffert  de 

u  rien  pendant  ce  voyage.  Mgr  M...  nous  a  traités  magni- 

«  fiquement  au  riufresco  qu'il  nous  a  offeit,  le  15,  avec 

«  le  concours  de  toute  la    nohlesse  de  Rieti.   Nous  avons 


iW^"»,-V. 


-jv-jï  iS^."W-'';t^^^-' 


'  â»:, 


5G 


INTRODUCTION. 


liNTRODUGTION. 


57 


ce  quitté  celle  ville,  le  malin  du  16,  el  nous  avons  admiré 
«  ensemble  les  fameuses  chutes  des  Marmore,  près  Terni, 
vc  où  nous  étions  arrivés  avant  midi.  Là  encore  hôtes  de 
«  Tévêque  de  Tendroit,  quand  le  soir  est  venu,  nous  nous 
«  sommes  séparés  pour  prendre,  Mgr  M...,  la  direction  de 
«  Rieti,  et  moi  celle  de  Spolète.  »  El,  comme  on  dit  : 
«  Buona  nottel  Bonsoir  les  voisins!  w  Encore  le  porreau 
de  Pecci,  vous  voyez. 

—  Et  vous  ne  vous  êtes  pas  revus  ? 

—  Si  bien,  une  fois  encore  et  toujours  pour  obliger  l'ami 
qui,  haut  perché  à  Pérouse,  ne  demandait  qu'à  monter  plus 
haut  encore.  Aux  portes  des  Romagnes  révoltées  et  irréduc- 
tibles, et  même  dans  celte  Pérouse  où  la  révolution  grondait 
el  où  Ton  restait  guelfe  par  vieille  habitude  ou  par  paresse, 
en  attendant  que  des  mœurs  nouvelles  fissent  entrer  en 
action  ces  gibelins,  frères  du  terrible  Guardabassi,  la  suc- 
cession que  Mgr  Savelli  laissait  à  Mgr  Pecci  dans  le  Palais 
des  Prieurs  était  lourde.  Aussi  bien  le  nouveau  délégal  ne 
s'empressa-l-il  que  mieux  à  s'en  débarrasser.  El  précisé- 
ment, les  Autrichiens  étant  enfin  installés  dans  TElat  ponti- 
fical par  la  papaulé  même,  on  annonça,  pour  l'automne  de 
1841,  le  voyage  de  Grégoire  XVI  dans  les  Légations.  L'occa- 
sion était  belle,  pour  parler  aux  tapissiers  plutôt  qu'aux 
révolutionnaires;  et  le  jeune  et  élégant  préfet  n'eut  plus 
affaire  qu'avec  les  peintres  Silvestre  Jlassari  el  Vincent  Bal- 
dini,  pour  l'aménagement  pontifical  du  Palais  des  Prieurs 
où  Grégoire  XVI  descendrait  el  apprécierait  la  distinction  de 
son  prélat.  L'aménagement  des  salons  fut  exquis,  à  vrai 
dire.  Il  y  avait  bien  aussi  la  fameuse  roule  nouvelle  que  le 
carrosse  pontifical,  inaugurant  six  kilomètres  de  ces  cons- 
tructions gigantesques,  ferailappeler  Via  Gregoriana.  L'heu- 
reux Mgr  Pecci  n'avait  eu  qu'à  l'amorcer  à  la  porte  San 


Pietro,  soit  un  prolongement  de  quelques  mètres  au  plus. 
Aux  yeux  du  monde  et  du  pape  peut-être,  la  route  tout 
entière  ne  fut  pas  moins  l'œuvre  de  l'empressé  délégat.  Et 
pourtant  pas  si  empressé  qu'on  dirait,  puisque,  au  jour 
indiqué,  Grégoire  XVI  arriva  aux  portes  de  la  ville  sans  y 
trouver  d'autre  monde  que  quelques  gens  de  passage,  tout 


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* 

Pérouse.  —  Suite  des  remparts  vers  San  Pielro. 

heureux  de  dételer  le  carrosse  du  pape  et  de  procéder  à 
l'introduction  pontificale,  à  eux  seuls.  Mgr  le  Délégat  et  les 
primarn  de  Pérouse  cherchaient,  ce  matin-là,  dans  les 
armoires,  un  coussin  de  velours  assez  beau  où  déposer  les 
clefs  des  portes  de  la  ville  quand  Grégoire  XVI,  arrivant 
trop  tôt,  se  les  ouvrit  tout  seul.  On  dit  que  les  bons  vins 
d'Orvieto  el  les  champagnes  que  Louis-Philippe  expédia 
même  à  Pérouse,  au-devant  du  pape,  corrigèrent  avanta- 


Pil^'t*. 


t^H-^^-L  -If^^ 


50 


INTRODLCTION. 


LNTRODUCTION. 


57 


«  qiiitttî  celle  ville,  le  malin  du  10,  et  nous  avons  admiré 
c(  ensemble  les  fameuses  chules  des  Marmore,  près  Terni, 
v(  où  ncnis  étions  arrivés  avant  midi,  l.à  encore  hôles  de 
u  l'évéque  de  Tendroit,  quand  le  soir  est  venu,  nous  nous 
ce  sommes  séparés  pour  prendre,  M<ir  M...,  la  direction  de 
«  Rieli,  et  mol  celle  de  Spolète.  »  El,  comme  on  dit  : 
«  Bnona  )iotte!  Bonsoir  les  voisins!  »  Encore  le  porreau 
de  Pecci,  vous  vovez. 

—  El  vous  ne  vous  éles  pas  revus? 

—  Si  hieii,  une  l'ois  encore  et  toujours  pour  ohliuvr  Tami 
qui,  haut  perché  à  Pérouse,  ne  demandait  qu'à  mouler  plus 
haut  eiR-oiv.  Aux  poilos  des  Romaj^ncs  révollées  et  iriéduc- 
lihles,  cl  même  dans  celle  Pércuise  où  la  rév(duli(ui  ««rondail 
et  où  l'on  restait  jzueH'epar  vieille  hahitude  ou  par  paresse, 
en  attendant  que  des  UKcurs  nouvelles  fissent  entrer  en 
action  ces  gibelins,  frères  du  terrible  Guardabassi,  la  suc- 
cession que  Mgi"  Savelli  laissait  à  i%r  Pecci  dans  le  Palais 
des  Prieurs  était  lourde.  Aussi  bien  le  nouveau  délé'-al  ne 
s'empressa-t-il  que  mieux  à  s'en  débairasser.   Et  précisé- 
ment, les  Autrichiens  étant  enlin  installés  dans  TEtat  ponti- 
fical [)ar  la  papauté  même,  on  annon(;a,  pour  rautomne  de 
1841,  le  voyage  de  Grégoire  XVI  dans  les  Légations.  I/occa- 
sion  était  belle,  pour  parler  aux  tapissiers  plutôt  qu'aux 
révolutionnaires;  et  le  jeune  et  élégant  préfet  n'eut  plus 
affaire  qn'avec  les  peintres  Silveslre  Massaii  et  Yincenl  Bal- 
dini,  pour  raménagement  pontifical  du  Imitais  des  iVieurs 
où  Grégoiie  XVI  descendrait  et  apprécierait  la  distinction  de 
son  prélat.   L'aménagement  des  salons  fut  ex(iuis,  à  vrai 
dire.  Il  y  avait  bien  aussi  la  fameuse  route  nouvelle  que  le 
carrosse  pontifical,  inaugurant  six  kilomètres  de  ces  cons- 
tructions gigantesques,  feraitappeler  ViaGrcf/oriana.  L'heu- 
reux Mgi*  Pecci  n'avait  eu  qu'à  l'amorcer  à  la  porte  San 


i 


Pwtro,  soit  un  prolongement  de  queh|ues  mètres  au  plus. 
Aux  yeux  du  monde  et  du  pape  peut-être,  la  roule  tout 
entière  ne  fui  pas  moins  l'œuvre  de  l'empressé  délégal.  El 
pourtant  pas  si  empressé  qu'on  dirait,  puisque,  au  jour 
imli(jué,  Grégoire  XVI  arriva  aux  poites  de  la  ville  sans  y 
trouver  d'autre  monde  que  (pieh|ues  gens  de  passage,  tout 


3 


^■Wt-.ss-i;^   J 


Pérouse.  —  Suite  des  remparts  vers  San  Piclro. 

heureux  de  dételer  le  carrosse  du  pape  el  de  procéder  à 
l'introduction  pontificale,  à  eux  seuls.  Mgr  le  Délégat  et  les 
primarii  de  Pérouse  cherchaient,  ce  malin-là,  dans  les 
armoires,  un  coussin  de  velours  assez  beau  où  déposer  les 
clefs  des  portes  de  la  ville  quand  Grégoire  XVI,  arrivant 
tro|)  lot,  se  les  ouvrit  tout  seul.  On  dit  que  les  bons  vins 
d'Orvielo  el  les  champagnes  que  Louis-Philippe  expédia 
même  à  Pérouse,  au-devant  du  pape,  corrigèrent  avanta- 


1 
I 


58  J.NTRODUCTION. 

geiisemcnt  la  mauvaise  impression  de  cet  incident  vite 
oublié.  Grégoire  XVI  n'élail-il  pas  dans  sa  bonne  ville  de 
Pérouse  où  il  avait  habité  si  longtemps,  comme  religieux 
Camaldule,  au  couvent  de  Saint-Sévère.  Il  voulut  le  revoir, 
et  aller  chez  la  mystérieuse  dame  qui  avait  jadis  si  pru- 
demment c(  conseillé  »  le  moine  Mauro  Cappellari  que, 
depuis  l'élévation  au  pontificat  de  son  dévot  sigisbée,  on 
l'avait  surnommée  la  Papesse.  Passant  encore  sous  les  fenê- 
tres du  buon  rkordo,  Grégoire  XVI  leva  la  main  pour 
bénir  quelques  gens  qui,  couchés  autour  d'un  puits,  ne  se 
levèrent  même  pas.  Le  j)ape  s'apercevant  de  la  méprise, 
arrêta  sa  bénédiction  et  se  contenta  de  frapper  des  deux 
mains  pour  réveiller  les  mnlandrins  :  c'étaient  des  carbo- 
nari  I  Quand  eut  pris  fin  la  réception  qu'avait  si  habile- 
ment prépaiée  Mgr  Pecci  à  Grégoiic  XVI,  vous  savez  le 
compliment   pontifical    que    l'intéressé  a,   depuis,   rendu 

I  presqu'historique  :  j\el  mio  viaggio^  so/?o  slato  ricevuto  in 
alcuni  luoghi  da  [rate;  in  molli  allri  convenieiitementej  ma 
da  cardinale;  e  in  Ancone e  Perugia,  veramente  da  sovrano. 

:  Mgr  Pecci,  qui  rédigea  peut-être  lui-même  ce  billet,  l'au- 
rait, s'il  eût  osé,  fait  graver  en  style  lapidaire  à  la  porte 
du  Palais  des  Prieurs.  Il  se  contenta  de  demander  a  l'oncle 
Antoine,  à  Rome,  la  confection  d'un  écusson  à  ses  armes 
pour  décorer  sa  façade.  L'oncle,  peu  expert  en  armorie  1 
prélatin,  se  contenta  de  faire  copier  les  armes  de  la  famille 
avec  une  simple  couronne  comtale  pour  chapeau.  Et 
Mgr  Pecci,  par  le  courrier  suivant,  de  renvoyer  sans  com- 
pliments à  l'oncle  Antoine  un  tel  écusson,  sans  chapeau  ni 
glands  de  prélat,  qu'il  ne  pouvait  décemment  utiliser. 

—  La  note  est  dure  Monseigneur!  Mais  qu'importe,   si 
le  fait  est  vrai? 

Cependant  Grégoire  XVI  avait  promis  au  Délégat,  si  mani- 


JMHODLCTiON. 


SD 


feslement  habile,  qu'il  se  souviendrait  de  lui.  Mais  le  temps 
passait  et  Mgr  Pecci,  sur  son  rocher  de  Pérouse,  attendant 
toujours,  ne  voyait  rien  venir.  Durant  l'été  de  I84'2,  je  fus 
invité  à  me  rendre  auprès  du  cardinal  Secrétaire  d'État 
Lambruschini,  dans  sa  villégiature  de  Maiano  di  Sabina, 
située  aux  confins  de  Uieti  où  j'étais  encore  délégat  par 
miséricorde  de  Dieu  et  par  oubli  des  hommes.  J'écrivis  donc 


Pérouse.  —  I.a  porte  San  Piclro. 

r 

à  l'ami  Pecci  de  m'y  rejoindre,  et  sur  le  champ  il  accourut*. 
Mais  il  n'y  avait  plus  de  chambre  disponible,  à  l'évêché  où 
le  cardinal  habitait;  et,  pour  accommoder  au  mieux  les 
choses,  j'offris  a  Mgr  Pecci  celle  que  j'occupais  au  palais 
Serafini.  Là  encore,  il  n'y  avait  d'autre  lit  à  notre  disposi- 
tion que  le  mien  ;  et  Mgr  Pecci  ne  se  fit  pas  défaut  de  le 
partager  avec  moi,  tout  le  temps  que  dura  la  villégiature  au 

1.  V.nr  dans  YÉpistolaire  de  ce  volume,  page  29G,  la  lettre  que  Mgr  Pecci 
écrivit,  à  propos  de  sa  visite,  au  cardinal  Lambruschini. 


M 


■  .^'-. 


7)8 


LNTRODICTION. 


geuscmenl  la  mnnvaiso  Impression  do  col  incidonl  vile 
onMio.  rjivjioiro  XVI  irolait-il  pas  dans  sa  Ixmnc  ville  de 
Pérouse  où  il  avail  hahilr  si  lon*^lem[)S,  eomine  relijjiieiix 
Camaldiile,  au  couvenl  de  Saint-Sévère.  Il  vonlnl  le  revoii', 
et  aller  chez  la  myslériense  daine  (|ni  avail  jadis  si  pru- 
denimenl  «  conseillé  :»  le  moine  Manro  Cap[>ellaii  (pie, 
depnis  l'élévalion  au  ponlifical  de  son  dévot  si'iishée,  on 
l'avait  surnommée  la  Papesse.  l\issant  encore  sous  les  fené- 
Ires  du  Inion  ricordo,  (livgoire  XVI  leva  la  main  [)our 
l>énir  (jnelques  gens  (pii,  couchés  aulour  d'un  puits,  no  sr 
levèi'ont  même  [)as.  l.e  pa[)e  s*a|)ercevanl  de  la  méprise, 
arréla  sa  bénédiclicni  el  se  iMmleula  de  IVapper  des  deux 
mains  poui'  réveiller  le^  malandrins  :  c'élaienl  des  rarhit- 
nari!  Ouand  eut  pri>  lin  la  réceplion  qu'avait  si  hahilc- 
menl  pré|)aiée  M^r  iV'cci  à  (iii'pimc  \VI,  vous  savez  le 
coinplimenl  ponlilical  que  l'inléressé  a,  depuis,  rendu 
pres(prhislori(|ue  :  .\rl  min  fhujijHt^  stnio  slali)  }  irrrHio  In 
alcnni  hiof/lii  du  fraie;  in  molli  allri  conKCtuvnlrmrnte,  ma 
da  cardinale;  e  in  AnconeeVcrnijia,  rennnenlc  da  sorrawt. 
Mgr  Pecci,  qui  rédigea  peul-élre  lui-même  ce  hillel,  l'au- 
rait, s'il  eûl  osé,  fait  graver  en  style  lapidaire  à  la  porte 
du  Palais  des  Prieurs.  Il  se  contenta  de  demander  à  ronde 
An  loi  ne,  à  liome,  la  conreclion  d'un  écusson  à  ses  armes 
pour  décorer  sa  fac^ade.  L'oncle,  |)eu  expert  on  armm'ici 
prélalin,  se  conlenla  de  faire  copier  les  armes  de  la  famille 
avec  une  simple  couronne  comlale  pour  chapeau.  Kl 
Mgr  Pecci,  par  le  courrier  suivant,  de  renvoyer  sans  com- 
pliments à  l'oncle  Antoine  un  loi  écusson,  sans  chapeau  ni 
glands  de  piélal,  qu'il  ne  pouvail  décemment  uliliseï*. 

—  La  noie  osl  dure  Monseigneur!  Mais  qu'imporlo,    si 
le  fait  est  vrai? 

Cependant  Grégoire  \YI  avail  promis  au  Délégal,  si  mani- 


\ 


iNTUOlJlCTKKN. 


51» 


festement  habile,  qu'il  se  souviendrait  de  lui.  Mais  le  temps 
passait  el  Mgr  Pecci,  sur  son  rocher  de  i*érouse,  allendanl 
toujours,  ne  voyait  rien  venir.  Durant  l'élé  de  184^2,  je  fus 
invité  à  me  rendre  auprès  du  cardinal  Secrétaire  d'Etal 
Land)ruschini,  dans  sa  villégiature  de  Maiano  di  Sahina, 
située  aux  confins  di^  Piieli  où  j'étais  encore  délégat  ])ar 
miséricorde  de  Dieu  et  par  oubli  des  hommes.  J'écrivis  donc 


IV'rousc.  —  l.a  i)orle  San  Piolro. 

à  l'ami  Pecci  de  m'y  rejoindie,  el  sur  le  champ  il  accourut*. 
Mais  il  n'y  avail  plus  de  chambre  di>ponible,  à  l'évéché  où 
le  cardinal  habitait;  et,  pour  accommoder  au  mieux  les 
choses,  j'offris  à  Mgr  Pecci  celle  (lue  j'occupais  au  palais 
Serafini.  Là  encore,  il  n'y  avait  d'autre  lit  à  notre  disposi- 
tion que  le  mien;  et  Mgr  Pecci  ne  se  fit  pas  défaut  de  le 
partager  avec  moi,  tout  le  temi)s  (|ue  dura  la  villégiature  au 

I.   Voir  (tans  VÉpistolaire  de  co  volume,  page  290,  la  lettre  que  Mgr  Pecci 
écrivit,  à  propi».  de  sa  visite,  au  cardinal  Lainhrusehini. 


40 


LNTRODLCTIOiX. 


INTRODUCTlOiN. 


41 


I 

il 


cours  de  laquelle  le  cardinal  Lambruschini  promit  à  Pecci 
qu'il  rafraîchirait  dans  Rome,  au  profit  du  délégal  oublié  à 
Pérouse,  la  mémoire  de  Grégoire  XVI.  De  fait,  aux  premiers 
jours  de  janvier  1845,  Mgr  Pecci  fut  mandé  au  Vatican  où 
la  nonciature  de  Bruxelles  lui  fut  offerte.  El  voilà  comment, 
d'un  simple  délégat  créé  peut-être  par  Tautre  simple  délé- 
gat que  je  fus  et  que  je  suis  resté,  j'ai  fait  un  nonce,  grâce 
encore  et  toujours  au  porreau  de  Thistoire  que  vous  savez. 

—  Et  le  porreau,  si  longtemps  tiré,  ne  finit-il  pas  par 
perdre  enfin  sa  queue? 

—  Pas  avant  que,  de  Bruxelles  où  Pecci  se  trouva  vrai- 
ment mal,  on  ne  Teûl  fait  revenir  a  Pérouse.  La  charge 
épiscopale  y  serait  peut-être  moins  lourde  à  ses  épaules  que 
celle  de  la  diplomatie  qu'après  trois  ans  d'épreuves  et  d'em- 
barras, il  ne  pouvait  plus  supporter.  Et  d'abord,  il  y  eut 
comme  une  espèce  de  faux  départ.  Lequel?  Peut-être  un 
règlement  d'intérêt,  qui  sembla  mettre  en  péril  la  joie  qu'une 
telle  promotion  devait  apporter  à  la  fi\mille  du  nouveau 
nonce.  «  Loin  de  nous,  les  funèbres  souvenirs,  écrit  le 
«  malin  frère  Charles.  Mais  réfléchissez  que  les  grandes 
(c  joies  ressemblent  toujours  aux  grandes  douleurs.  Si  nos 
«  parents  vivaient  encore,  eux  qui  avaient  l'àme  si  sensible, 
«  ils  en  éprouveraient,  sans  doute,  une  commotion  vio- 
«  lente  qui  eût  été  préjudiciable  à  leur  santé.  Pendant  que 
«  vous  resterez  à  Rome,  tachez  de  vous  divertir....  »  C'est  ce 
même  railleur  à  froid  qui  écrivait  encore,  le  28  janvier 
1843,  à  Mgr  son  frère  :  «  J*ai  reçu  l'original  de  votre 
«  nomination  à  l'église  métropolitaine  de  Damiette.  Je  le 
«  mettrai  dans  nos  archives  de  Carpineto,  avec  les  autres 
«  papiers  et  documents  d'honneur.  Qui  donc,  il  y  a  trois 
«  ans,  aurait  cru  que  vous  occuperiez  le  siège  épiscopal  de 
ce  ce  même  Mgr  Sinibaldi  dont  nous  parlions  tous  les  jours? 


W 


te  Quand  j'ai  appris  votre  nomination,  j'ai  cru  que  ce  prélat 

«  était  passé  de  vie  à  trépas,  et   que  le  journaliste  en 

«  avait  oublié  la  nécrologie  dans  son  au  jour  le  jour.  A 

«  présent,  je  suis  enchanté;   car,   non   seulement  il  est 

c<  vivant,  mais  il  est  patriarche  de  Conslantinople.  Certai- 

«  nêmenl  il  n'imitera  pas  son  prédécesseur  le  patriarche 

«  Jean,  dit  le  Jeûneur,  qui  se  faisait  appeler  évêque  œcu- 


« 

(C 

« 

« 
« 

« 

« 


Pcrouso.  — Le  monastère  de  San  Pietro. 

ménique,  et  à  qui  saint  Grégoire  écrivit  qu'il  ferait 
mieux  de  jeûner  moins  et  d'avoir  un  peu  plus  d'humi- 
lité. Au  contraire,  Mgr  Sinibaldi  est  ennemi  de  l'orgueil 
et  ami  des  bons  morceaux.  —  Laissez-moi  vous  faire 
observer  que  tous  les  pays  par  où  vous  êtes  déjà  passé  el 
ceux  où  vous  allez  résider  ont  une  grande  célébrité  his- 
torique. Bénévent  est  fameux  par  la  grande  défaite  des 
Romains,  aux  Fourches  Caudines;  Bruxelles,  parla  mé- 
morable bataille  de  Waterloo  où  se  décidèrent  les  destinées 
de  l'Europe;  Damiette,  l'ancienne  Héliopolis,  par  l'assaut 
des  croisés  et  par  sa  prise,  qui  combla  de  joie  la  chré- 


40 


I.NTRODICTION. 


cours  de  laquelle  le  tardifial  Lambrusehiiii  promit  à  Pecci 
qu'il  rafraîchirait  dans  Home,  au  profit  du  délégal  oublié  a 
Pérouse,  la  mémoire  de  Grégoire  XVI.  De  fait,  aux  premiers 
jours  de  janvier  1840,  Mgr  Pecci  fut  mandé  au  Vatican  où 
la  nonciature  de  Bruxelles  lui  fut  offerte.  El  voilà  comment, 
d'un  simple  délégal  créé  peut-être  par  Tautre  simple  délé- 
gat que  je  fus  el  que  je  suis  resté,  j'ai  fait  un  nonce,  grâce 
encore  et  toujours  au  porreau  de  Thistoire  que  vous  savez. 

—  El  le  porreau,  si  longtemps  tiré,  ne  finil-il  pas  par 
perdre  enfin  sa  queue? 

—  Pas  avant  que,  de  Bruxelles  où  Pecci  se  trouva  vrai- 
ment mal,  on  ne  Teùt  fait  revenir  à  Pérouse.  La  charge 
épiscopale  y  serait  peut-être  moins  lourde  à  ses  épaules  que 
celle  de  la  diplomatie  qu'après  trois  ans  d'épreuves  el  d'em- 
barras, il  ne  pouvait  plus  supporter.  El  d'abord,  il  y  eul 
comme  une  espèce  de  faux  dépait.  Lequel?  Peut-être  un 
règlement  d'intérêt,  ipii  sembla  mettre  en  péril  la  joie  qu'une 
telle  promotion  devait  apporter  à  la  famille  du  nouveau 
nonce,  ce  Loin  de  nous,  les  funèbres  souvenirs,  écrit  le 
«  malin  frère  Charles.  Mais  réfléchissez  que  les  grandes 
«  joies  ressemblent  toujours  aux  grandes  douleurs.  Si  nos 
«  parents  vivaient  encore,  eux  qui  avaient  l'àme  si  sensible, 
«(  ils  en  éprouveraient,  sans  doute,  une  commotion  vio- 
«  lente  qui  eût  été  préjudiciable  à  leur  santé.  Pendant  (jue 
«  vous  resterez  à  Rome,  tachez  de  vous  divertir....  »  C'est  ce 
même  railleur  à  froid  qui  éciivail  encore,  le  '28  janvier 
1843,  à  Mgr  son  frère  :  «  J'ai  reçu  l'original  de  votre 
«  nomination  à  l'église  métropolitaine  de  Damiette.  Je  le 
ce  mettrai  dans  nos  archives  de  Carpinelo,  avec  les  autres 
«  papiers  el  documents  d'honneur.  Qui  donc,  il  y  a  trois 
«  ans,  aurait  cru  que  vous  occuperiez  le  siège  épiscopal  de 
»  ce  même  Mgr  Sinibaldi  dont  nous  parlions  tous  les  jours? 


INTRODUCTION. 


41 


Quand  j'ai  appris  votre  nomination,  j'ai  cru  que  ce  prélat 
était  passé  de  vie  à  trépas,  et  que  le  journaliste  en 
avait  oublié  la  nécrologie  dans  son  au  jour  le  jour,  A 
présenl,  je  suis  enchanté;  car,  non  seulement  il  est 
vivant,  mais  il  esl  patriarche  de  Conslantinople.  Certai- 
nemenl  il  n'imitera  pas  son  prédécesseur  le  patriarche 
Jean,  dit  le  Jeûneur,  qui  se  faisait  appeler  évêque  œcu- 


■L  ,  ''-^y: 


iTF'-H  ■  --,. 


Pérouse.  —  Le  monastère  de  San  l'ietro. 


«  ménique,  el  à   qui   saint  Grégoire   écrivit    qu'il   ferail 

«  mieux  de  jeûner  moins  el  d'avoir  un  peu  plus  d'humi- 

K  lité.  Au  contraire,  Mgr  Sinibaldi  esl  ennemi  de  l'orgueil 

«  el  ami  des  bons  morceaux.  —  Laissez-moi   vous  faire 

«  observer  que  lous  les  pays  par  où  vous  êtes  déjà  passé  el 

«  ceux  où  vous  allez  résider  ont  une  grande  célébrilé  his- 

«  torique.  Bénévenl  esl  fameux  par  la  grande  défaite  des 

«  Bomains,  aux  Fourches  Caudines;  Bruxelles,  parla  mé- 

«  morable  bataille  de  Waterloo  où  se  décidèrent  les  destinées 

«  de  l'Europe;  Damiette,  Tancienne  Héliopolis,  par  l'assaul 

«  des  croisés  el  par  sa  prise,  qui  combla  de  joie  la  chré- 


43 


INTRODICTION. 


c(  lîenté  enlière.  Toutes  ces  circonslances  doivcnl  vous 
«  réjouir  et  vous  donner  du  courage.  »  Le  frère  Charles 
admettait  d'avance  qu'autant  de  sièges  pris,  seraient  autant 
de  victoires  gagnées.  Et  il  avait  raison.  En  attendant,  il  fal- 
4ait  sacrer  archevêque  de  Damiette  le  frère  Joacliim,  qui 
avait  déjà  dépensé  beaucoup  d'argent  dans  les  anlicharnl)res 
pontificales,  —  cent  écus  pour  le  seul  Gaelanino,  le.harhier 
tout-puissant  de  Grégoire  XVI.  Et  il  lui  en  fallait  forcé- 
ment  encore.  Et  le  frère  Jean-Raptiste,  déliant  pour  un(^ 
fois  de  plus  le  bas  de  laine  si  souvent  pressuré,  d'ajouter 
avec  une  bonhomie  campagnarde  a  laquelle  ne  faisait  pas 
défaut  un  peu  de  la  malice  citadine  :  c<  Nonce  et  archevù- 
«  que,  voilà  deux  choses  qui  exigent  un  bon  estomac,  pour 
ce  les  digérer  à  la  fois.  Les  choses  de  l'Église  en  Belgique 
c(  vont  bien,  je  crois.  Pourtant,  vous  aurez  à  traiter  avec 
a  unjoi  qui  ne  croit  guère  à  l'Eglise.  J'aimerais  assister  à 
ce  votre  consécration.  Si  elle  avait  lieu  dans  l'église  des 
«  Stigmates,  je  crois  que  les  ossements  de  notre  mère  et 
(c  ceux  de  Mgr  notre  oncle  en  tressailleraient  de  joie  dans 
c<  leur  tombeau.  Tenez-vous  en  bonne  santé,  ne  vous  faites 
(c  pas  trop  de  bile  et  prenez-en  à  votre  aise.  )>  La  consécra- 
tion archiépiscopale  terminée,  Mgr  Pecci  voulut  recevoir  en 
lin  lauto  rinfresco  les  prélats  consécrateurs,  Mgr  Âsquini 
et  Mgr  Castéllani,  qui  avaient  assisté  le  cardinal  Lambras- 
chini  en  celte  cérémonie,  dans  l'église  de  San  Lorenzo  in 
Panisperna.  Comme  Grégoire  XVI  avait  attendu  à  la  porte 
^le  Pérouse,  l'assistance  eut  aussi  une  petite  pose  à  faire  à 
la  porte  du  banquet.  Dans  cet  intervalle,  le  pâtissier  de  la 
place  Sciarra  eut  le  temps  d'apporter  les  chocolats  et  les 
glaces.  Par  malheur,  il  se  pressa  trop  et  la  manne  de  pâtis- 
serie se  renversa  sur  la  tcte  du  porteur,  au  moment  de  ton- 
•cher  au  port.  11  fallut  aller  prendre  d'autres  rafraîchisse- 


INTRODLCTION. 


4r. 


ments,  au  café  de  Venise.  On  en  rit,  un  moment,  et  on 
souhaita  bon  voyage  au  beau  nonce.  Le  19  mars  1843, 
Mgr  Pecci  prit  à  Civita-Vecchia  le  bateau  français  Se^ostria; 
pour  retourner,  trois  ans  après,  fin  de  carrière,  au  même 
port.  Au  mois  de  mai  1846,  des  deux  cardinaux  protecteurs 


I*érouse.  —  Le  cliœiir  Me  réglise  de  San  Piclro. 

que  j'avais  obtenus  à  Mgr  Pecci,  seul  l'Éminenlissime 
Polidori  vivait  encore.  Et  ce  fut  encore  auprès  de  lui  que 
j'allai  solliciter  le  retour  du  malheureux  nonce  menacé,  en 
terre  ferme  de  Belgique,  du  naufrage  que  la  mer  lui  avait 
épargné.  , 

Aux  questions  de  l'enseignement  libre  que  les   catho- 
liques ^vallons   revendiquaient  contre   les  protestants  fla-;- 


42 


l.NTKODl  CTION. 


(c  lien  lé  enlirrc.  Toiiles  ces  circonslances  doivent  vous 
c(  réjouir  et  vous  tlonner  du  (ouraj^e.  »  Le  fi'ère  Charles 
adniellail  d^avaiice  (|u'aulanl  de  siéj^es  pris,  seraient  autant 
de  victoires  ^a<^iiées.  Kt  il  avait  raison.  Kn  attendant,  il  fal- 
lait sacrer  archevêque  de  Daniiettc  le  IVère  ,l(»achini,  qui 
avait  déjà  dé|HMisé  l)eaucouj)  d'ai'iiKMit  dans  les  anticlianihres 
pontillcales,  —  cent  écus  pour  le  seul  (iarlanino,  le  harhier 
lout-[missant  de  Gré^ioiiv  X\l.  Kt  il  lui  en  {"allait  lorcé- 
ment  encore.  Kt  le  frère  Jean-Ha[)tisle,  déliant  |>oui'  unr 
fois  de  plus  le  has  de  laine  si  souvent  jncssuié,  d'ajoutei' 
avec  une  honhomie  campagnarde  à  hupielle  ne  faisait  |)as 
défaut  un  |)eu  de  la  malice  citadine  :  <<  Noin-e  et  airhevé- 
«  ([iu\  voilà  deux  choses  fjui  exigent  un  Immi  estomac,  pmir 
ce  les  diiiéier  à  la  fois.  Les  choses  de  TK^ilise  en  lîel^iiiue 
«  vont  hien,  je  ci'(»is.  Pourtant,  vous  aui'ez  à  tiaitei'  avec 
a  unj'oi  (jui  neci'oit  jjinère  à  rKulisi».  J'aimerais  assistei'  à 
((  votre  conséciation.  Si  elle  avait  lieu  dans  Téulisc  des 
«  Sli<^inales,  je  crois  que  les  ossements  de  n(»lre  mère  et 
ce  ceux  de  M<ir  notre  oncle  en  Iressailleiaient  de  joie  dans 
ce  leur  tomheau.  Tenez-vous  en  honne  santé,  ne  vous  laites 
c(  pas  frop  de  hile  et  |)rem'z-en  à  votre  aise.  »  La  consécra- 
tion archiépiscopale  terminée,  M^r  Pecci  voulut  recevoir  en 
un  laifto  rinfrcsœ  les  prélats  consécraleurs,  Mgr  Asquini 
et  Mgr  Castellani,  qui  avaient  assisté  le  cardinal  Lamhras- 
chini  en  cette  cérémonie,  dans  Féglise  de  San  Lorenzo  in 
Panis[)erna.  Comme  Grégoire  XVI  avait  attendu  à  la  porte 
de  Pelouse,  l'assistance  eut  aussi  une  petite  pose  à  faire  t» 
la  porte  du  hanquet.  Dans  cet  intervalle,  le  pâtissier  de  la 
place  Sciarra  eut  le  temps  d'apporter  les  choc(dats  et  les 
glaces.  Par  malheur,  il  se  pressa  trop  et  la  manne  de  pâtis- 
serie se  renversa  sur  la  tète  du  porteur,  au  moment  de  lou- 
cher au  port.  11  fallut  allei'  piendre  d'autres  ralVaîchisse- 


JMlUlDlCïtON. 


4.1 


ments,  au  café  de  Venise.  On  en  rit,  un  moment,  cl  on 
souhaila  bon  voyage  au  heau  nonce.  Le  10  mars  iSi,"), 
Mgr  Pecci  prit  à  Civila-Vecchia  le  haleau  fiançais  Scsostris; 
|)our  l'ctourru'i',  trois  ans  après,  (in  de  carrière,  au  même 
piu't.  Au  mois  de  mai  1840,  des  deux  cardinaux  prolecteurs 


Pérousc.  —  Le  cliœiir  «te  l'cglisc  de  San  rieiro. 

(jue  j'avais  obtenus  à  Mgr  Pecci,  seul  rÉminentissimc 
Polidori  vivait  encore.  Et  ce  fut  encore  auprès  de  lui  que 
j'allai  solliciter  le  retour  du  malheureux  nonce  menacé,  en 
terre  ferme  de  Belgique,  du  naufrage  que  la  mer  lui  avait 
épargné. 

Aux  questions  de  renseignement  libre  que  les   catho- 
liques xvallons   revendiquaient  contre   les  protestants  fla-^ 


4i 


INTRODliCTlO.N. 


mands,  s'étaient  ajoutées  entre  les  catholiques  eux-mêmes 
d'autres  complications  inextricables.  La  retraite  s'imposait 
et  je  la  demandai  au  cardinal  Polidori,  en  faveur  d'un  vieil 
ami  dont  la  reconnaissance  vieillirait  certainement  plus 
encore.  Et  voici  la  lettre  qu'avec  son  inaltérable  bonne 
humeur  le  cardinal  m'écrivit,  sur  son  lit  de  souiïrance  qui 
allait  être  son  lit  de  mort,  quelques  mois  après,  quand 
Mgr  Pecci,  de  retour  de  ses  voyages  politi(|ues  sinon  encore 
de  tous  ses  rêves  ambitieux,  n'aurait  plus  besoin,  ni  de 
Polidori,  ni  de  moi  :  «  Podagra,  prodobetor,  pnepodi- 
«  tus,  continuellement  affligé  de  la  goutte,  cher  Monsei- 
<<  gneur,  je  n'ai  pu  vous  répondre  plus  vite.  Et  je  le  fais 
«  aussitôt  que  je  le  peux,  me  félicitant  de  bon  cœur  de 
«  valetudinen  ex  Virginis  bénéficia  féliciter  reslitutd.  Il  ne 
«  me  reste  plus  qu'à  prendre  quelques  précautions,  et  à 
«  aller  respirer  bientôt  l'air  de  la  mer.  Je  vous  remercie 
«  des  bonnes  commissions  que  vous  m'envoyez,  de  la  part 
c(  de  Mgr  Pecci,  et  vous  pouvez  être  assuré  que  j'avais  déjà 
«  recommandé  sa  situation  en  haut  lieu.  Ouand  vous 
«  reverrez  le  cardinal  X,  soyez,  auprès  de  lui,  l'interprète 
«  de  ma  vénération  et  de  mon  amitié  constante.  Dites-lui 
«  qu'aux  nouveaux  candidats  cardinalices,  Altieri,  Asquini, 
<c  et  Lacchia,  il  faut  ajouter  un  quatrième  nom.  C'est 
«  Mgr  Capuccini.  La  succession  de  Camerino  est  réservée 
«  à  Mgr  Tomba,  évêque  de  Forli.  Je  ne  m'attarde  pas 
«  davantage  ».  Ni  moi  non  plus,  du  reste.  Le  porreau  de 
Pecci  est  assez  long,  j'espère.  Et  vous  en  savez  maintenant 
assez  sur  un  homme  qui,  entre  tous  ses  remarquables  mé- 
rites, eut  encore  celui  de  laisser  l'amitié  des  siens  se 
dépenser  tout  entière  à  son  service,  sans  autre  plaisir  que 
celui  de  s'être  donnée  toujours,  à  cœur  ouvert,  à  fonds 
perdus. 


INTRODUCTION. 


45 


Ce  dernier  mot,  digne  d'un  sage  au  Banquet  de  Platon  où 
le  maigre  brouet  du  Sparte  suffirait  largement  au  convive, 
le  vieux  petit  chanoine  de  Sainte-Marie-Majeure  le  prononça 
en  faisant  quelques  pas  vers  l'humble  porte  que  Mgr  Pecci, 
depuis  Léon  XIII,  n'a  jamais  entr'ouverte.  Et  c'est  là  encore 
que,  me  reconduisant,  le  bon  nonagénaire  Mgr  M...  m'arrête 
pour  me  dire  ironiquement,  un  doigt  levé  sur  l'horizon 
des  toits  de  Rome  où  le  majestueux  Vatican  profile  ses 
imposantes  assises  au-dessus  de  tant  d'humbles  maisons 
qu'il  semble  écraser  sous  sa  masse  géante  : 

—  Eh!  la  reconnaissance  serait-elle  une  vertu,  si  elle 
était  plus  commune*? 

Restait  une  troisième  station  à  faire,  pour  compléter  le 
Chemin-de-Croix  d'où  je  rapporterais,  en  trois  chapitres,  la 
Vie  du  Juste  que  je  me  proposais  d'écrire  sans  espérer  que 
mon  héros,  fût-il  pape,  serait  plus  puissant  que  son  Christ 
à  déjouer  la  calomnie  qui  conduisit  son  maître,  le  premier, 
au  Calvaire.  A  Bénévent,  j'avais  entendu  parler  des  contre- 
bandiers comme  des  chanoines  ;  et,  à  Rome,  des  chanoines 
comme  des  contrebandiers.  Comment  s'exprimeraient,  à 
Pérouse,  les  anciens  administrés  de  Mgr  le  Délégat,  qu'il 
me  restait  à  aller  consulter  dans  leurs  hautes  montagnes? 
Et  ces  hauteurs  de  l'Ombrie  pacifique  seraient-elles  plus 
favorables  à  un  homme,  que  les  monts  d'Hyperborée  le 
furent  à  un  dieu  dont  la  lyre  ou  le  cœur,  ayant  ambitionné 
de  charmer  les  hommes,  ne  séduisirent  que  les  ours? 

Pastor  Aristeus,  fugiens  Penœia  Tempe 


i.  Mgr  M...  (Nicolas  Milella),  doyen  des  chanoines  de  Ste  Marie  Majeure, 
est  mort  dans  sa  quatre-vingt-dixième  année,  le  15  mai  1900,  pendant  que 
s'imprimait  cette  feuille  obligée  désormais  à  moins  de  réserve. 


-,     * 


r/* 


^C 


INTUODLCTIOX. 


INTROniCTION. 


47 


forme  de  berceau,  depuis  les  monls  Sybillains  el  le  Grand 
Sasso  dont  les  rideaux  géants  la  protègent  contre  les  vents 


111 


ï 


Kcule  (le  l'ôrouso.  —  lue  St/gra  Fatniyliti. 


Ce  malin-là,  Taube  nais- 
sait   sur   les    collines    de 
rOmbrie,   rjuand   le  cbef 
de  train  annonça  :  «  Foli- 
gno!  »   le  long  des   voi- 
tures oii  nous  dormions, 
depuis    Rome    que    nous 
avions    (juittée,    vid    Pé- 
rouse,   la  veille  au    soir. 
Dans  la  limpide  Iranspa^ 
rence  d'un  ciel  d'opale  où 
les  étoiles  continuaient  à 
scinliller,  comme  des  veilleuses  ardentes  qui  ne  voulaient 
pas  mourir  en  une  aurore  si  sereine  et  un  paysage  si  calme, 
les  collines  bleuâtres  dont  Thorizon  s'environnait,  comme 
un  berceau  de  son  rideau,  commençaient  à  dessiner,  devant 
nos  yeux  ravis,  leurs  harmonieuses  silhouettes  et  à  laisser 
surgir  ça  et  là  sur  leurs  flancs,  entre  des  massifs  d'oliviers 
élernellement  verts,  une  couronne  de  hameaux  et  de  petites 
villes  dont  les  noms  gracieux  sont,  à  eux  seuls,  un  poème. 
La  Grâce  elle-même,  depuis  qu'elle  était  morte  dans  les 
fontaines  antiques  de  rilellade,    taries  par   les   derniers 
baisers  de  l'indiscret  Narcisse,  n'avait-elle  pas  trouvé  sa 
renaissance  dans  celte   Ombrie  miniaturale,    creusée    en 


Pcrouse    —  La  porte  Sainte-Suzanne. 


de  Test,  jusqu'aux  lacs  du  Trasimène  et  de  Bolsène  qui 
servent  à  l'ouest  de  miroir  indéridablement  bleu  à  sa  déli- 
cate beauté?  A  Tandante  du  train,  nous  pouvions  saluer  et 


:'iiii-    a,.,..— .«».w.j, 


46 


I.XTMOOI  CTION. 


l.NTUOIMCTION. 


47 


forme  de  bereeaii,  depuis  les  mouls  Syhillains  el  le  Grand 
Sasso  demi  les  rideaux  géanls  la  i>role<^eiil  contre  les  venls 


III 


|j(>I,.'  «il-   l'.'niii?  •.   —   l  Ml.'   So(/ro   J'tnNf\//io. 


Cenialin-là,  l'auhe  Jiais- 
sail    sur   les    collines    de 
rOnilnie,    <niand   le   cliei* 
de  train  annonça  :  «  Koli- 
gno!  j)    le   lon«^    des   vcd- 
lures  où   nous  doiniidus, 
depuis    Home    (jue     nous 
avions    (juillée,     vit)    Vv- 
•  ouse,    la    veille  au    soir. 
Dans  la  limpide  hanspa- 
lencc  d'un  ciel  d'opale  où 
les  étoiles  conlinuaienl  à 
scinliller,  nnnme  dis  veilleuses  ardentes  (|ui  ne  voulaient 
pas  mourir  en  une  aurore  si  sereine  et  un  paysage  si  calme, 
les  collines  bleuâtres  dont  l'hoiizon  s'environnait,  comme 
un  berceau  de  son  rideau,  commençaient  à  dessiner,  devant 
nos  yeux  ravis,  leurs  liarmonieuses  silliouettcs  et  à  laisser 
surgir  cà  et  là  sur  leurs  rtancs,  entre  des  massifs  d'oliviers 
élernellement  veits,  une  couronne  de  bameaux  et  de  petites 
villes  dont  les  jioms  gracieux  sont,  à  eux  seuls,  un  poème, 
ba  Grâce  elle-même,  depuis  (pfelle  était  morte  dans  les 
fonlaines   anli(|ues  de  rilellade,    taries   par    les   derniers 
liaisers  de  l'indiscret  Narcisse,  n'avait-elle  pas  trouvé  sa 
renaissance  dans  cette   Ombrie  minialurale,    civusée    en 


Pcroiiiio    —  La  porte  Sninlc-Suzanno. 


de  Tes!,  jusqu'aux  lacs  du  Trasimène  et  de  Bolsène  qui 
servent  à  Touest  de  miroir  indéridablement  bleu  à  sa  déli- 
cate beauté?  A  Tandante  du  train,  nous  pouvions  saluer  et 


48 


INTRODUCTION. 


'/ 


toucher  presque  de  la  main  ces  nids  alpestres  et  ces  stations 
du  Chemin-de-Ia-Gràce  que,  depuis  déjà  plus  de  six  siècles, 
l'humanilé  insatiable  de  beauté  et  d'harmonie  visite  avec 
amour,  contemple  avec  religion  et  essaye  en  vain  d'imiter 
dans  ses  œuvres  rapportées  en  copies  de  cet  Éden  de  Tart, 
de  ce  deuxième  Paradis  perdu  de  l'idéale  matière  et  de 
l'extatique  composition. 

Voici  donc  Foligno,   surgissant  entre  deux   plis  de  ses 
vertes  collines,  comme  une   fleur   discrète  sur  le  sillon 
fécondé  par  la  main  de  l'invisible  semeur.  A  la  voir  se 
cacher  entre  les  premiers  vallonnements  de  la  montagne 
apennine,  on  dirait  d'une  fraîche  poysanne  éternellement 
jeune  qui  dissimule  sa  beauté  pour  la  conserver  plus  long- 
temps. A  Torée  de  la  ville,  s'élève  la  statue  du  précurseur 
du  Pérugin  et  du  Pinturicchio,  ce  Niccolô  di  Liberatore  qui 
donna  ici  même  h  l'humaine  beauté  son  incarnation  pre- 
mière, sans  vouloir  s'appeler  autrement  que  «  l'élève  », 
VAlunno,  au  voisinage  d'Assise  où  François,  son  maître  en 
idéalisme  et  en  simplicité,  n'eut  d'autre  nom  que  celui  de 
Fraie,  Et  voici,  en  longeant  le  Subasio  et  sur  la  crête  de  ce 
mont.  Assise.  C'est  la  première  citadelle  qu'a  bâtie  ici-bas 
la  liberté  idéale,  pour  y  abriter  le  berceau  de  l'idéale  beauté. 
Elle  élève  dans  l'azur  matinal  les  contreforts  énormes  que 
le  Moyen-Age  expirant  lui  donna  pour  atteindre  aux  âges 
plus  heureux  de  l'avenir,  sur  cette  espèce  de  vaisseau  pré- 
destiné dont  le  couvent  des  Franciscains  silhouette  auda- 
cieusement  la  haute  proue.  Telle,  du  Giotto  au  Pérugin,  la 
caravane  des  rêveurs  Primitifs  et  des  idéalistes  Renaissants 
vit  la  maison  de  saint  François,  qui  fut  pour  eux  la  bonne 
auberge  et  pour  leur  art  le  maternel  berceau;  telle  encore 
nous  pouvions  la  revoir,  au  passage  de  l'express,  et  évoquer 
devant  ses  murs  d'enceinte,  toujours  inviolés,  la  raison  de 


«3 


N«A■i^|^^w■ 


48 


LNTnODUCTION. 


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i! 


loucher  presque  de  la  main  ces  nids  alpestres  et  ces  stations 
du  Chemin-de-la-Gràce  que,  depuis  déjà  plus  de  six  siècles, 
l'humanilé  insatiable  de  beauté  et  dMiarmonie  visite  avec 
amour,  contemple  avec  religion  et  essaye  en  vain  d'imiter 
dans  ses  œuvres  rapportées  en  copies  de  cet  Éden  de  Tart, 
de  ce  deuxième  Paradis  perdu  de  Tidéale  matière  et  de 
Textalique  composition. 

Voici  donc  Foligno,   surgissant  enlie  deux   plis  de  ses 
vertes   collines,  comme  une   fleur    discrète  ^ur   le   sillon 
fécondé  par  la  main  de  l'invisible  semeur.  A   la  voir  se 
cacher  entre  les  premiers  vallonnements  de  la  montagne 
apennine,  on  dirait  d'une  fraîche  paysanne  éternellement 
jeune  qui  dissimule  sa  beauté  pour  la  conserver  plus  long- 
temps. A  Torée  de  la  ville,  s'élève  la  statue  du  précurseur 
du  Pérugin  et  du  Pinturicchio,  ce  Niccolo  di  Liberatore  qui 
donna  ici  même  à  riiumaine  beauté  son  incarnation  pre- 
mière, sans  vouloir  s'a|)peler  aulremetU  que  «  Télève  >•, 
VAlunno,  au  voisinage  d'Assise  où  François,  son  maître  en 
idéalisme  et  en  simplicité,  n'eut  d'autre  nom  que  celui  de 
Frate.  El  voici,  en  longeant  le  Subasio  et  sur  la  crête  de  ce 
mont.  Assise.  C'est  la  première  citadelle  (|u'a  balie  ici-bas 
la  liberté  idéale,  pour  y  abiiter  le  berceau  de  l'idéale  beauté. 
Elle  élève  dans  l'azur  matinal  les  contreforts  énormes  que 
le  Moyen-Age  expirant  lui  donna  pour  atteindre  aux  âges 
plus  heureux  de  l'avenir,  sur  cette  espèce  de  vaisseau  pré- 
destiné dont  le  couvent  des  Franciscains  silhouette  auda- 
cieusement  la  haute  proue.  Telle,  du  Giotto  au  Pérugin,  la 
caravane  des  rêveurs  Primitifs  et  des  idéalistes  Renaissants 
vit  la  maison  de  saint  François,  qui  fut  pour  eux  la  bonne 
auberge  et  pour  leur  art  le  maternel  berceau;  telle  encore 
nous  pouvions  la  revoii",  au  passage  de  l'express,  et  évoquei' 
devant  ses  murs  d'enceinte,  toujours  inviolés,  la  raison  de 


-A 

3 


wàUmÈi 


^  I 


50 


INTRODUCTION. 


sa  force  et  le  secret  de  sa  beauté.  La  règle  monacale  du 
divin  Poverello  n*a-t-elle  pas  servi  de  guide  au  pinceau 
extatique  de  tous  les  maîtres  de  TOmbrie?...  Et  le  train  qui 
fuyait,  sans  laissera  la  pensée  le  temps  dVWoquer  d*aulres 
souvenirs  avec  d'autres  noms  dans  ce  jardin  suave  de 
rOmbrie,  nous  permettait  déjà  de  voir,  sur  les  hauteurs 
voisines,  la  maîtresse  cité  de  cette  terre  mystique  et  de  cet 
art  divin  dont  elle  fut  la  souveraine,  celte  Pérouse  altière 
dont  les  pieds  sont  chaussés  de  rochers  à  la  cîme  même  des 
Alpes,  et  dont  la  tète  se  couronne  des  roses  de  Taurore  et 
des  apothéoses  du  couchant,  à  ces  hauteurs  où  les  sérénités 
du  ciel  descendent,  plutôt  que  les  tempêtes  de  la  terre  n'y 
montent. 

Le  train  entrait  en  gare. 

—  Hop!...  Et  dépéchez-vous  de  monter  en  voiture! 
Vous  n'êtes  pas  encore  arrivés  à  Pérouse. 

Le  bienveillant  Mgr  M...,  qui  avait  bien  voulu  accepter 
au  cours  de  ce  voyage  ma  compagnie  et  celle  de  mon 
photographe,  avait  fait  descendre  à  la  gare,  pour  nous 
recevoir  a  l'arrivée  du  train,  une  de  ces  voitures,  moitié 
carrosse  et  moitié  diligence,  qui  tiennent  à  la  fois  en  Italie 
du  cérémonial  de  gala  et  du  familier  train-train.  C'était  un 
véhicule  assez  large  pour  recevoir  à  la  fois  tous  les  voyageurs 
descendus  à  la  Uazione  grand  ouverte  au  plein  air  de  la 
campagne,  à  plusieurs  kilomètres  de  la  ville  qu'on  voyait 
surplomber  tout  là-haut,  et  où  il  allait  falloir  grimper  par 
des  lacets  faisant  à  cache-cache  sous  les  oliveraies  des 
contours.  Le  lecino  nous  avait  engloutis  dans  la  capacité  dé- 
mesurée de  son  intérieur  de  «voiture  pour  noces»,  et  nous 

*        *  1 

jetions  les  yeux,  aussi  étonnés  qu'amusés,  sur  ces  immenses 
coussins  gris  de  poussière  et  sur  ces  espèces  de  places 
publiques  en  voyage  où  une  forte  odeur  de  venaison  et 


INTRODUCTION. 


51 


d'herbage  accusait  le  passage  des  chasseurs  et  des  campa- 
gnards qui  s'y  étaient  installés  avant  nous.  La  portière 
allait  se  refermer,  abandonnant  à  nous  seuls  tout  l'espace 
de  ce  béant  carrosse,  quand  je  risquai  par  la  glace  relevée 
trop  précipitamment  : 

—  Vous  ne  montez  pas.  Monseigneur? 

Nous  n'eûmes  que  le   temps  de  voir  son  geste  lar^e, 


Pérouse.  —  La  Via  dcl  CardincUo. 

vers  la  montagne  et  vers  Pérouse,  comme  s'il  voulait  dire  : 
<c  Je  connais  la  traverse,  et  je  serai  en  ville  plus  tôt  que 
vous!  »  Alors  le  voiturin  fouettant  ses  deux  chevaux,  nous 
partîmes  au  trot,  sous  les  oliviers  et  sous  les  chênes-verts 
qui  bordaient  à  droite  et  à  gauche  le  chemin  montant. 
Pendant  cette  ascension  matinale  qu'égayaient  les  grelots 
de  l'équipage  sur  le  cou  des  bêtes  et  les  chansonnées 
des  grillons  dans  les  herbes  des  talus,  nous  regardions, 
entre  les  premières  brumes  que  le  jour  naissant  pénétrait, 
l'immensité   de  la  plaine  se   déroulant   au  plus  profond 


It- 


II 


I 


H 


50 


INTMODI  CTION. 


sa  force  et  le  secret  de  sa  heaulé.  La  ivjile  monacale  du 
divin  Povercllo  n'a-t-elle  pas  servi  de  ««uide  au  pinceau 
extatique  de  tous  les  maîlres  de  rOnihrie?...  Kt  le  train  f|ui 
fuyail,  sans  laissera  la  pensée  le  temps  d'évoquer  d'aulres 
souvenirs  avec  d'aulres  noms  dans  ce  jardin  suave  de 
rOmhrie,  nous  permettait  déjà  de  voii',  sur  les  liauteuis 
voisines,  la  maîtresse  cité  de  celte  terre  mystique  et  de  cet 
art  divin  dont  elle  fut  la  souveraine,  celle  IYtouso  altière 
dont  les  pieds  sont  chaussés  de  rochers  à  la  cime  même  des 
Alpes,  cl  dont  la  Icte  se  couronne  des  roses  de  l'auiore  et 
des  apothéoses  du  couchant,  à  ces  hauteurs  où  les  sérénités 
du  ciel  descendent,  plutôt  (jue  les  tempêtes  de  la  terre  n'y 
montent. 

Le  train  entrait  en  i»are. 

—  IIop!...   Et    dépéchez-vous   de    monter   en    voiture! 
Vous  n'êtes  pas  encore  arrivés  à  l*érouse. 

Le  hienveillant  M^v  M...,  qui  avait  hien  voulu  accepter 
au  cours  de  ce  voya^-e  ma  cinupaunie  et  celle  de  mon 
photo'-raphe,  avait  lait  descendre  à  la  gare,  pour  lums 
recevoir  à  l'arrivée  du  liain,  une  de  ces  voitures,  moitié 
carrosse  et  m(ûlié  diligence,  (|ui  tiennent  à  la  fois  en  Italie 
du  cérémonial  de  j-ala  et  du  familier  train-train.  C'était  un 
véhicule  assez  large  pour  recevoir  à  la  fois  tous  les  vova;»eurs 
descendus  à  la  slazione  grand  ouveite  au  i)lein  air  de  la 
campagne,  à  plusieurs  kilomètres  de  la  ville  qu'on  voyait 
surplomher  tout  là-haut,  et  où  il  allait  falloir  grimper  par 
des  lacets  faisant  à  cache-cache  sous  les  oliveraies  des 
contours.  Le  Uu/no  nous  avait  engloutis  dans  la  capacité  dé- 
mesurée de  son  intérieur  de  «  voiture  pour  iU)ces»,  et  nous 
jetions  les  yeux,  aussi  étonnés  qu'amusés,  sur  ces  immenses 
coussins  gris  de  poussière  et  sur  ces  espèces  de  places 
puhli(|nes  en   voyage  où   une   forte  odeur  de  venaison   et 


INTIIOliLcriO.V.  .    51 

d'herhage  accusait  le  passage  des  chasseurs  et  des  campa- 
gnards qui  s'y  étaient  installés  avant  nous.  La  portière 
allait  se  refermer,  ahandonnant  à  nous  seuls  tout  l'espace 
de  ce  héant  carrosse,  (juand  je  risquai  pai-  la  glace  relevée 
Irop  précipitamment  : 

—  Nous  ne  montez  pas.  Monseigneur? 

Nous  n'eûmes  que   le   lemj»s  de   vin'r  son  ueste   lar*»e 


Poioiiso.  —  La   Via  dcl  Cnn/inrl/o. 

vers  la  montagne  et  vers  Péiouse,  comme  s'il  voulait  dire  : 
«  .le  connais  la  travrrse,  et  je  serai  en  ville  plus  tôt  que 
v(ms!  »  Ahu-s  le  voituiin  fouettant  ses  deux  chevaux,  nous 
partîmes  au  trot,  sous  les  oliviers  et  sous  les  chénes-verls 
qui  hordaienl  à  droite  et  à  gauche  le  chemin  montant. 
Pendant  cette  ascension  matinale  qu'égayaient  les  jirelots 
de  l'éipiipage  sur  le  cou  di^s  hétes  et  les  chansonnées 
des  grillons  dans  les  herhes  des  talus,  nous  regardions, 
entre  les  premières  hrumes  que  le  jour  naissant  pénétrait, 
rimmensité    de   la  plaine  se    déroulant    au   plus  profond 


awiii 


V. 


52 


INTRODUCTION. 


Sf- 


(le  l'horizon  de  rOmbiie,   comme   une   mer   de  verdure 
dont  les  crêtes  écumantes  étaient  les  blanchissantes  villas 
s'espaçant  çà  et  là.  Et  Pérouse,  là-haut,  sur  sa  jetée  de 
rochers  aériens  et  de  maisons  audacieuses  les  escaladant, 
semblait  servir  de   phare  à  cette  mer,   avec  les   gaz  qui 
éclairaient  encore  ses  rampes  et,  les  étoiles  brillant  encore 
en  semis  de  rosaces  diamantées,  dans  son  ciel  bleu.  Dans 
ce   lever  d'aurore    tendre,   des  hommes  et  des  femmes, 
outils  en   mains  et  paniers  sur  la  tète,  allaient  à  leurs 
travaux  des  champs  et  passaient  dans  ce  décor  de  fresque 
primitive,  avec    les    mêmes   poses   calmes   et  les    mêmes 
légendaires  beautés  par  lesquelles  leurs  ancêtres  avaient 
semblablement  représenté  la  Vierge  «  pleine  de  grâce  » 
et  (c  le  plus  doux  des  Enfants  des  Hommes  >).  Jetez  aujour- 
d'hui encore  sur  ces  visages  graves,  d'une  l>eaulé  plutôt 
sévère  que  facile,  jetez  un  voile  diaphane  que  peul  plisser 
le  vent  et  que  baignera  de  partout   la   lumière;    et   vous 
aurez   telle   Annonciation  du  Memmi,   telle  Nativité  du 
Pérugin,  telle  Dame  des  Compassions  brossée  par  Crivelli 
ou  par  Buonfiglio.  Voulez-vous  des  seigneurs  de  la  plus 
élégante  Renaissance,    tels   que   les   savent  caminr  daiis 
leurs    compositions    les    Pinturicchio   et    les    Manlegna? 
Échangez  ces   casaques  de   laboureurs  et  ces  manies  de 
patres  contre  les  cottes  de  mailles  des  barons  et  les  collets 
frisés  des  favoris  des  Borgia  ou  des  Gonzague,  aux  cours 
du  Vatican  ou  de  Manloue.  Les  génies  de  la  forme  qui 
aristocratisèrent  jadis  ce   peuple  de  paysans  ont  refroidi 
depuis  longtemps  la  lave  ardente  dont  les  ondées  ne  roulent 
plus  sur  notre  froide  argile  humaine;  mais  la  source  de 
leurs  inspirations  coule  encore  à  pleins  bords  aux  environs 
de  Pérouse,  et  il  suffit  à  une  paysanne  de  Monteluce  ou 
de  la  Pieve  del  Campo  de  soulever  son  fazzolelto  pour  faire 


INTRODUCTION. 


53 


apparaître,  sous  son  masque  idéal,  une  pure  Vierge  de  Van- 
nucci  aux  yeux  du  voyageur  étonné.  Elle  seule  aura 
paru  insensible  à  ses  charmes;  car  elle  marche  dans  sa 
beauté,  et,  regardant  ingénument  les  autres,  elle  continue 
a  s'ignorer  sur  la  route  où,  pour  la  contempler  presque  à 
mains  jointes,  vous  vous  retournez  encore.  Telles,  les  sources 
voisines  de  Clitumne  et  de  Blandusie,  jadis  chères  aux 
muses  de  Virgile  et  d'Horace,  avaient  reflété,  pendant  des 
siècles  d'oubli,  la  beauté  du  ciel  bleu  dans  le  silence  de 
leur  miroir  tranquille;  et  il  avait  fallu  qu'un  berger, 
qu'un  poète,  le  front  couronné  des  liserons  et  des  aches 
cueillis  sur  leurs  bords,  leur  révélât  la  grâce  qu'elles  ne 
se  connaissaient  pas  encore,  en  se  penchant  sur  elles  et 
en  leur  donnant,  de  ses  lèvres  ardentes,  le  baiser  qui 
a  suffi  peut-être  pour  rider  leur  surface  sereine  et  troubler 
le  lepos  millénaire  de  leurs  profondes  eaux.  | 

U  Ions  lilandusiœ,  splendidior  vitro.... 

Maintenant  le  legno  a  gravi  tout  le  Colle  di  Santa 
Giuliana,  et  nous  sortons  de  la  forêt  d'oliviers  qui  tapissent 
les  pentes  du  viale,  pour  entrer  dans  la  ville,  à  la  satis- 
faction des  bêtes  qui  se  relancent  au  galop  sur  les  dalles 
de  pierre  dont  sont  pavées  les  rues  de  Pérouse,  comme 
un  intérieur  de  cathédrale.  Le  vent,  que  nous  avions 
laissé  dormir  dans  la  plaine  ombrienne,  s'éveille  ici 
soudain,  comme  dans  l'antre  d'Eolus.  11  balaye  les  grands 
pavés  de  la  chaussée,  avec  un  scrupule  de  scopatore 
matinal  à  qui  aurait  été  confié  l'entretien  des  devants-de- 
porte,  nets  comme  l'œil  mais  un  peu  froids,  dans  leur 
propreté  de  pierre  blanche.  Par  là-dessus,  notre  voiture 
aux  bois  lourds  et  aux  coussins  épais  n'en  roule  que 
mieux;  et  le  vent  de   tramontane,   qui  la  prend  par  les 


(mtsvrf^^mm,' 


-Ç"^- 


54 


INTHODICTION. 


I 
f 


derrières  de  son  ample  capote  de  cuir,  Tenlève  comme  une 
plume  jusqu'à  la  porte  de  rAlberçio  délia  Posta  où  le 
voiiurin  a  de  la  peine  à  arrêter  son  équipage.  Nous  descen- 
dons et  n'avons  pas  plutôt  donné  nos  noms  que  nous 
sommes  introduits,  par  un  large  escalier  de  pierre,  où 
la  veilleuse  est  allumée  devant  une  Madone  de  la  plus  pure 
tradition  ombrienne.  La  chambre  démesurée  qu'on  nous 

offre  pourrait  servir  de  salle  au 
Conseil  des  Prieurs.  Pour  ne  pas  y 
sentir  lèvent  de  la  haute  montagne 
qui  ébranle  les  pierres  mêmes  des 
murs,  nous  nous  blottissons  dans 
nos  lits  froids  pour  un  léger  som- 
meil de  quelques  heures....  Depuis 
combien  de  temps  grelottions-nous, 
sous  l'épaisseur  de  planche  des 
raides  couvertures,  quand  la  porte 
s'ouvrit  et  une  voix  nous  appela, 
sympathiqueetforte,dontla  chaleur 
_  suffisait  presque  à  nous  délransir  : 
—  Messieurs!  je  vous  annonce 
le  soleil. 
C'était  Mgr  U,..  qui,  pour  se  réchauffer,  avait,  lui, 
passé  sa  matinée  à  courir  la  montagne.  Le  soleil  qu'il 
annonçait  inondait,  en  effet,  nos  fenêtres.  Déjà  l'air  en  était 
attiédi  et  sa  transparence  merveilleuse  nous  permettait  de 
voir,  par  delà  les  toits  dorés,  le  ciel  profondément  bleu  où 
la  plus  pure  lumière  se  jouait,  comme  sur  une  grande 
vitre  d'émail  antique,  comme  dans  une  gigantesque  tur- 
quoise creuse.  Grisés  déjà  par  cet  air  pur  et  par  cette 
lumière  limpide,  en  un  instant  nous  rejoignîmes  notre 
cicérone  qui,  pour  un  premier  couj)  d'œil   sur  Pérouse 


Péroiis.\  —  Une  rampe 


— 'mrrxWTZ 


INTRODUCTION. 


55 


et  sa  campagne,  nous  avait  donné  rendez-vous  sur  une 
lo(j(jia  de  l'évêché  voisin.  Pour  y  arriver,  il  fallait  longer 


Pérouse.  —  Une  rue  de  la  paroisse  Sant'Ercolano. 

la  grande  belle  Via  Vannucci  qui  empruntait  son  nom  au 
Pérugin,  et  passer  devant  une  double  rangée  de  palais 
dont    les    robes    de    pierre   noire,   taillées   en    élégantes 


I 


5i 


IMIIODICTION. 


cleirières  de  son  amplr  capolo  do  cuir,  l'onlovc  ciniimo  uîîo 
plume  jusqu'à  la  porlo  do  rAlbenjo  délia  Posta  où  U^ 
voiiurin  a  de  la  peine  à  arroler  son  équipage.  Nous  descen- 
dons et  n'avons  [)as  plulol  donné  nos  noms  que  nous 
sommes  introduits,  par  un  large  escalier  de  piene,  où 
la  veilleuse  est  allumée*  devant  une  Madone  de  la  plus  puie 
tradition  ombrienne,  (.a  chambre   démesurée  qu'on  nous 

offre  pourrait  servit'  de  salle  au 
Conseil  des  IMieurs.  Pour  ne  pas  y 
sentir  lèvent  de  la  liante  monlagm' 
qui  ébranle  les  pieries  mêmes  des 
murs,  nous  nous  blotliss(ms  dans 
nos  lils  lioids  poui*  un  légei*  som- 
meil de  rpiel(|ues  lieuies....  I)e|mis 
combien  (b'  lempsgrelollions-nous, 
sous  l'épaisseur  de  phincbe  de> 
laides  couvertures,  quand  la  porte 
s'ouvrit  et  une  voix  nous  appela, 
sjinpatlNqueetlbrte,doiit  la  chaleur 
suffisait  presque  à  nous  délransir  : 
—  Messieurs!  je  vous  annonce 
le  sideil. 
C'était  Mgr  M...  (jui,  |)our  se  réchauffer,  avail,  lui, 
passé  sa  matinée  à  courir  la  montagne.  Le  scdeil  (|u'il 
annonyail  inondait,  en  elVel,  nos  fenêtres.  Déjà  l'air  en  élail 
attiédi  et  sa  transparence  m«Mveilleuse  nous  permettait  d(^ 
voir,  par  delà  les  toits  dorés,  le  ciel  profondément  bleu  où 
la  plus  pure  lumière  se  jouait,  comme  sur  une  grande 
vitre  d'émail  aiiti(pu\  comme  dans  une  gigantes(pie  tur- 
quoise creuse.  Grisés  déjà  par  cet  air  pur  et  par  cette 
lumière  limpide,  en  un  instant  nous  rejoignîmes  notre 
cicérone  qui,  pour  un   premier  coup   d'œil    sur  Pérouse 


P»roi:s,'.  —  l'iir  iam|ir 


S 


IMKODLCTtU.N. 


55 


Cl  sa   campagne,    nous   avail   donné   rendez-vous  sur  une 
lofifjla  de  l'évéché  voisin.  Pour  y  arriver,  il  fallait  longer 


IVnmsc.  —  Ino  me  île  la  j'aroisse  SaiitErcoiaiio. 

la  grande  belle  Via  Vannuccl  qui  emprunlait  son  nom  au 
Pérugin,  et  passer  devant  une  double  rangée  de  palais 
dont    les    robes    de    pierre    noire,    taillées    en    élégantes 


56 


INTRODUCTION. 


t 


s 


i' 


f 


Ogives  et  en  créneaux  imposants,  nous  faisaient  honte  de 
nos  ulslers  élriqués  el  de  notre  rapetissé  modernisme. 
Quand  nous  passâmes  devant  le  Cambio,  —  ce  chef-d'œuvre 
de  Bourse  ancienne  que  tout  Tor  de  nos  Bourses  modernes 
ne  suffirait  pas  à  payer,  —  nous  attendîmes  un  moment, 
interdits,  que  les  syndics  prolecteurs  des  mailres  archi- 
tectes Barlolommeo  di  Malliolo  et  Lodovico  d*Antoniho  en 
sortissent  vivants,  le  honnet  rouge  coiffant  leurs  longs 
cheveux,    et    la    sou(juenille    flottant   sur    leurs    mollets 

découverts  et  sur 
leurs  pieds  chaus- 
sés à  la  poulaine. 
Depuisrannée1452 
que  cette  Chambre 
avait  été  construite 
pour  les  changeurs 
de  Tépoque  et  les 
31  prud'hommes  de 
péioiisc.  —  La  Via  Vamiucci.  tous  corps  dc  mé- 

tiers qui  y  vinrent 
représenter  les  intérêts  de  leurs  confréries  respectives,  pas 
un  clou  ne  manque  à  la  porte  ouvragée  par  les  trois  frères 
ébénistes  Del  Tasso.  De  Tintérieur,  où  Pérugin  avait  brossé 
ses  meilleures  peintures,  nous  n'en  pouvions  rien  dire  en- 
core; la  porte  restant  fermée,  qui  annon(;ait  si  magistrale- 
ment les  œuvres  qu'elle  renfermait.  A  deux  pas  plus  loin, 
c'était  le  Palazzo  dei  Priori  qui  terminait  la  rue  avec  le 
cube  formidable  de  ses  façades  qu'on  prendrait  pour  des 
murailles  de  forteresse,  si  les  trois  maîtres  tailleurs  de  pierre 
Fra  Bevignate,  Giovannello  di  Benevento  et  Jacopo  de  Servo- 
dio  n'avaient  fleuri  ce  palais  juscju'aux  créneaux,  pour  servir 
de  couronne  aux  arts  qui  siégeraient  ici  en  même  temps 


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o<»ives  et  en  civiieiuix  im|)n<anls,  nous  riiisaieiil  honle  de 
nos  ulstcrs  ('Iriqurs  el  de  iiuhe  i'a|M'lissé  modernisme, 
ijiiand  nous  passâmes  devant  le  CambiiK  —  ee  ehcf-d'aMiMi; 
de  liourse  aneienne  (|iie  loul  Toi'  de  nos  lîmirses  modernes 
ne  snllirait  pas  à  |Kiyer,  —  nous  allendimes  un  moment, 
interdits,  (pie  les  syndics  proleelenrs  des  maiires  archi- 
tectes lîarhdomnieo  di  Malliolo  et  Lodovico  d\Vntoiiil>o  en 
sortissent  vivants,  le  ImmimcI  l'on^e  coiiïant  lenrs  lonf»s 
cheveux,     et     la     souipicnille    llollant    sur    leurs    mollets 

déccmverls  et  sur 
leurs  pieds  chaus- 
sés à  la  poulaine. 
Depuis  l'année!  'k)'2 
(|ue  cette  Chantbrr 
avait  été  ccuislruile 
pour  les  changeais 
de  l'épocpie  et  les 
prud'hommes  d(^ 
tous  corps  de  mé- 
tiers qui  y  vinnmt 
représenter  les  intéivls  de  leuis  coiilVéries  i'es|)ectives,  pas 
nn  clou  ne  manque  à  la  porte  ouvragée  par  les  trois  livres 
éhénistesDel  Tasso.  De  l'intérieur,  où  Pérugin  avait  hrossé 
ses  meilleures  peintures,  nous  nVn  pouvions  rien  dire  en- 
core; la  poi'te  restant  l'ermée,  cpii  aninmcait  si  majiislrale- 
ment  les  ceuvres  (pfelle  renfermait.  A  deux  pas  plus  loin, 
c'était  le  Palazzo  dei  Priori  qui  terminait  la  rue  avec  le 
cuhe  l'ormidalile  de  ses  façades  qu'cm  [)rendrait  pour  des 
nuirailles  de  forteresse,  si  les  trois  maîtres  tailleurs  de  pierre 
Fra  lîevignate,  Giovannello  di  Benevento  et  Jacopo  de  Servo- 
dio  n'avaient  Henri  ce  palais  jusqu'aux  créneaux,  pour  servir 
de  couronne  aux  arts  qui  siégeraient  ici  en  même  temps 


l'croiiM'.  —  La  Via  Vjiiimiiri. 


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58 


liNTRODlCTlON. 


INTRODUCTION. 


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que  la  Loi.  Après  le  temps  des  Prieurs  de  Pérouse,  était 
venu  celui  des  Délégals  de  TÉtat  Pontifical.  El,  sous  la  porte 
que  le  griffon  de  Pérouse  protège  moins  bien  que  la  statue 
d'un  saint  de  France,  —  Louis  d'Anjou,  évéque  de  Toulouse, 
—  nous  attendions  paraître  un  de  ces  terribles  Capitaines 
de  Justice  de  jadis,  un  Oddi  ou  un  Baglioni  dans  les  mailles 
d'acier  de  leur  armure,  ceints  du  cercle  de  fer  des  hravi, 
leurs  suivants;  un  Joacbim  Pecci,   le   rocbet  dentelé  pour 
armure,  et  le  livre  du  code  en  guise  d'épée  dans  les  mains. 
Et  ce  fut  un  attaché  au  Parquet  de  Pérouse,  dont  on  nous 
murmura  tout  bas  le  nom  et  qui  nous  fit,  à  son  passage, 
reculer  de  honte  devant  sa   redingote  boutonnée  et  nos 
idées  retardataires.  Tels  étaient  donc  les  successeurs  de 
Mgr  Pecci,  au  palais  de  la  Délégation  apostolique  qui  lui 
avait,  quelques  mois,   servi    de  première  résidence  avant 
de  passer,  de  la  préfecture,  à  Tévéché  de  Pérouse. 

—  Adagio  I  adagio I. . .  Doucement  !  doucement  ! . .  nous  fait 
signe  de  la  main,  sur  la  porte  de  l'évéché  qui  termine  la 
rue,  l'introducteur  obligeant  qui  nous  y  a  précédés  et  qui 
plaisante,  à  sa  manière,  cette  furia  francese  que  notre  allure 
un  peu  lambine  ne  représente  qu'imparfaitement.  Dame! 
on  ne  monte  pas  tous  les  jours  à  Pérouse.  Sur  cette  excuse, 
Mgr  M...  nous  fit   remarquer  qu'il  faudrait  bien  monter 
encore,  pour  atteindre  les  anges  purs  du  Pérugin  et  la  cité 
idéale  du  Pinluricchio  dont  nous  n'avions  encore  traversé 
que  les  boulevards  ou  les  antichambres.  Et,  d'un  pied  fait 
aux  ascensions,  il  s'élança  sur  l'escalier  de  l'évéché  et  nous 
entraîna  à  sa  suite.  A  chacune  de  ces  maiches  en  vieille 
pierre  dont  le  temps  ne  veut  pas  achever  l'usure,  je  me  disais  : 
c<  Ici,  trente-deux  ans  durant,  le  cardinal  Pecci  monta  et  des 
cendit  !  »  Je  crus  même  au  coup  de  l'ancienne  cloche  qui 
sonna  longuement  notre  présence  à  la  porte  de  l'appartement 


épiscopal  que,  celle-ci  s'ouvrant,  ce  serait  Mgr  Pecci  qui 
nous  allait  apparaître  et  nous  offrir  la  bienvenue  du  prince 
et  l'hospitalité  du  père  dont  il  ne  sépara  jamais,  en  de 
pareilles  réceptions,  le  double  caractère.  Nous  pénétrons- 
dans  une  première  antichambre,  où  des  peintures  de 
l'époque  péruginesque  continuent  à  vieillir  paisiblement 
dans  leurs  cadres  en  forme  deprédelles.  Il  y  a  aussi,  le  long 
des  murs,  quelques  fauteuils  à  hauts  dossiers  de  chêne, 
quelques  crédences  où  des  bouquets  artificiels  se  défraî- 
chissent sous  globe,  devant  un  buste  de  Pie  IX  :  ils  y  sèchent, 
sans  doute,  depuis  le  temps  que  le  cardinal  Pecci  en  fil 
hommage  au  pape  Mastaï,  dont  il  n'espérait  certes  pas  héri- 
ter, plus  tard,  à  la  fois  la  tiare  et  les  chaînes.  Et  voici  son 
cabinet  de  travail,  petit,  intime,  tel  qu'il  Ta  laissé,  pour 
aller  habiter  les  grandes  salles  du  Vatican.  La  tapisserie  à 
fleurs  fanées  est  la  même.  Ce  sont  les  mêmes  portraits  de 
Léon  XII,  de  Grégoire  XVI  et  de  Pie  IX,  en  simples  litho- 
graphies sous  verre.  Les  mêmes  aussi,  les  chaises  pénible- 
ment rembourrées  de  crins  durs,  et  le  bureau-régence  qui 
lient  un  des  quatre  angles  de  la  pièce.  Dans  celle  espèce  de 
cabinet,  plutôt  campagnard  que  citadin  et  moins  digne  d'un 
évêché  que  d'un  presbytère,  devant  ces  petites  fenêtres 
ouvrant  sur  la  Piazza  del  Duomo  presque  toujours  déserte 
et  sur  la  haute  quiétude  de  la  montagneuse  Pérouse,  le 
cardinal-évêque  eut  le  loisir  de  méditer  sur  les  événements 
du  siècle  qu'il  ne  dirigeait  pas  encore  et  qu'alors  il  n'espé- 
rait pas  plus  devoir  conduire  que  ce  moineau  perdu,  pépiant 
aux  vitres,  ne  pourrait  croire  qu'un  jour  l'essor  de  l'aigle 
lui  sera  accordé  et  qu'il  s'élèvera  plus  haut  que  la  tempête 
soufflant  sur  l'âge  moderne.  A  ce  même  bureau,  à  celle 
même  place  où  le  cardinal  Pecci  avait  tant  travaillé, 
Mgr  Gentile  Mattei,  son  successeur  sur  le  siège  de  Pérouse, 


«PI  «I  il. 


60 


LNTRODICTION. 


LMRODLCTION. 


61 


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était  assis.  Il  se  leva  complaisammenl  pour  nous  donner  la 
bienvenue,  avec  sa  main  grande  ouverte  : 

—  Monseigneur,  osai-je  lui  dire,  j'appréhendais  ne  plus 
rien  voir,  ici,  de  Tancienne  Pérouse.  Mais  je  me  plais  à 
reconnaître  que,  de  tous  les  vieux  maîtres  de  la  classique 
Ombrie,  celui  qui  a  le  moins  changé,  c'est  Tévêque. 

—  Oui,  oui,  répondit-il,  il  y  a  une  Pérouse  qui  est  resiée 
la  même,  depuis  les  beaux  siècles  passés  cjui  firent  sa  gloire. 
Mais  cette  Pérouse,  il  faut  la  voir  de  haut.  C'est  sur  les 
toits  que  vous  irez  la  chercher,  si  vos  jambes  sont  aussi 
fermes  que  votre  volonlé.  X  Pérouse,  messieurs,  il  faut  tou- 
jours monter.  En  avant  donc! 

Nous  eûmes  beau  prétexter  l'ennui  qu'occasionnait  notre 
visite,  il  fallut  obéir  sur-le-champ  et  accompagner  Mgr  Mattei 
partout  où  il  nous  conduirait.  De  par  une  volonté  souve- 
raine, n'était-il  pas  notre  hôte?  A  sa  suite,  sans  quitter 
l'évèché  et  sortant  tout  au  plus  des  appartements  prélatices, 
nous  nous  engageâmes  dans  une  espèce  de  meurtiière 
audacieusement  jetée  en  un  arceau  dont  le  passage  n'était 
permis  qu'à  un  seul  homme  à  la  fois.  Vers  le  milieu  de  cette 
antique  muraille  creuse,  une  fenêtre  était  ouverte  où  notre 
guide  nous  invita  à  nous  accouder.  Nous  regardâmes.  C'était 
le  vide.  Dans  le  fond,  à  quarante  pieds,  la  rue  passait  îîOus 
cet  arceau  géant,  digne  du  nom  de  Maesta  délie  Voile  qui 
est  resté  à  ce  dernier  vestige  du  primitif  Hôtel  de  Ville, 
brûlé  deux  fois,  en  1327  et  en  1554,  par  le  feu  qu'y  alluma 
la  vieille  haine  des  partis  guelfes  et  gibelins.  L'arcade  qui 
en  est  restée  sert  de  pont,  par  lequel  l'évèché  communique 
avec  le  séminaire.  Ce  séminaire  de  Pérouse,  —  prédilection 
du  cardinal  Pecci,  —  combien  de  fois,  le  jour  et  la  nuit,  le 
futur  Léon  XIII  ne  passa-t-il  pas  ce  pont  pour  s'y  rendre  et 
pour  y  vivre  autant  qu'il  put  la  vie  de  ses  petits  élèves?  Che- 


min faisant,  ce  sont  mille  histoires  charmantes  de  ces  mes- 
sieurs qui  nous  accompagnent  et  qui  virent  le  cardinal  Pecci 


Pérouse.  —  La  statue  de  Paul  IV  sur  la  Place  du  Diiomo. 

à  l'œuvre,  les  uns  alors  élèves  comme  le  jeune  chanoine 
Cernicchi,  les  autres  professeurs  comme  le  vieux  et  toujours 
humoriste  archiprétre  Romitelli.  Une  fois,  dans  cette  même 


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INTRODICTION. 


IMHOni  CTION. 


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était  assis.  Il  se  leva  complaisainineiil  pour  nous  donner  la 
bienvenue,  avee  sa  main  jiranilc  ouverte  : 

—  Monseigneur,  osai-je  lui  dire,  j'appréhendais  ne  [dus 
l'wn  voir,  iei,  de  Tanciennc  Pérousc.  Mais  je  me  plais  à 
reconnaître  que,  de  tous  les  vieuv  maîtres  de  la  classique 
Ombrie,  celui  cpii  a  le  moins  cliangé,  c'est  révé(|ue. 

—  Oui,  oui,  répond il-il,  il  y  a  nue  Pércuise  cpii  est  leslée 
la  même,  depuis  les  beaux  siècles  passés  qui  firent  sa  gloire. 
Mais  celte  Pérouse,  il  faut  la  voir  de  haut.  C'est  sur  les 
toits  que  vous  irez  la  chei'cber,  si  vos  jambes  sont  anssi 
fermes  (pie  votre  volonlé.  A  IV'rouse,  messieurs,  il  faut  tou- 
jonrs  monter.  En  avant  donc! 

^ous  eûmes  beau  piélexler  l'ennui  qu'occasionnait  notre 
visite,  il  fallut  obéir  sur-le-cbamp  et  accompagner  Mgr  Mattei 
partout  où  il  nous  conduirait.  De  par  une  volonlé  souve- 
laine,  n'étail-il  |)as  notre  hôte?  A  sa  suite,  sans  (juilter 
l'évéché  et  sortant  tout  au  plus  des  ap|)ai'lemeuts  prélalices, 
nous  nous  engageâmes  dans  une  espèce  de  meurlriere 
audacieusement  jetée  en  un  aiceau  dont  le  passage  n'était 
peimisqu'à  un  seul  homme  à  la  fois.  Vers  le  milieu  de  celle 
anli((ue  muraille  creuse,  une  fenêtre  était  ouverte  où  n()li'e 
guide  nous  invila  à  nous  accoudei*.  Nous  regardâmes.  C/élait 
le  vide.  Dans  le  fond,  à  quarante  pieds,  la  lue  passait  >(uis 
cet  arceau  géant,  digne  du  nom  de  Muraln  delh  Voile  i\u\ 
<st  resté  à  ce  dernier  veslige  du  primitif  llolel  de  Ville, 
brûlé  deux  fois,  en  \7tH  el  en  lo^li,  par  le  feu  qu'y  alluma 
la  vieille  haine  des  partis  guelfes  et  gibelins,  l/arcade  (pii 
en  est  re>tée  sert  de  pont,  par  le(|uel  révéché  communi(pie 
avec  le  séminaire.  Ce  séminaire  de  Pérouse,  —  prédilection 
du  cardinal  Pecci,  —  combien  de  fois,  le  jour  et  la  nuit,  le 
futur  Léon  XIII  ne  passa-t-il  pas  ce  pont  pour  s'y  rendre  el 
pour  y  vivre  autant  qu'il  put  la  vie  de  ses  petits  élèves?  Clic- 


min  faisant,  ce  sont  mille  histoires  charma  nies  de  ces  mes- 
sieurs (|ui  nous  accompagnent  elijui  virent  le  cardinal  J^ecci 


Poroiisc.  —  La  slaluc  «le  raul  IV  sur  la  Place  du  Diiomo. 

à  l 'oeuvre,  les  uns  alors  élèves  comme  le  jeune  chanoine 
Ceruicchi,  les  autres  professeurs  comme  le  vieux  et  toujours 
humoriste  archiprétrc  Romilelli.  Une  fois,  dans  cette  même 


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INTRODUCTION. 


i^elliile  d'où  sort  en  ce  moment  la  camerala  pour  aller  à 
1  école,  c'était  «  un  nouveau  »  qui  pleurait  sa  maison  pater- 
nelle :  c(  Eh  bien  !  je  vais  aussi  pleurer  !  »  lui  avait  dit  le 
cardinal  en  s'asseyant  sur  le  lit  du  petit;  tel  un  vrai  père 
«lue  son  enfant  eût  menacé  d'abandonner.  Une  autre  fois, 
le  cardinal  entrait  dans  une  classe  avec  les  écoliers  et,  le 
professeur  manquant  d'exaclitude,  avait  commencé  Texpli- 
lation  de  l'auteur  latin  jusqu'à  l'arrivée  du  maître  :  «  Nous 
en  étions  à  tel  passage  !  »  se  contenta-t-il  de  dire  à  celui-ci 
«luand  il  arriva;  et,  saluant,  il  repartit.  Pendant  que  les 
i^ouvenirs  de  Mgr  Pecci  volent  ici,  de  tous  les  coins,  et  nous 
assaillent  en   essaim  d'oiseaux  charmants,  ce  sont  aussi 
il'autres  oiseaux,  les  petits  élèves  qui  vont  en  classe  et  qui, 
voyant  dans  les  couloirs  leur  évéque  et  leur  père,  courent  à 
lui,  l'entourent  de  leurs  mains  enfantines,  cherchent  sur  sa 
grande  main  l'anneau  épiscopal,  l'embi'assentet  s'échappent 
<:ontents.  Brr!...brr!...  c'est  comme  une  envolée  d'oiseaux. 
Les  petites  soutanes  tapageuses  ont  replié  vers  la  classe,  en 
l)on  ordre.  Les  portes  se  referment.  Les  corridors  sont  vides. 
Et  nous  voilà  tout  heureux  de  cette  bouffée  d'air  respirée  en 
pleine  jeunesse,  au  milieu  de  ces  vieux  murs  dont  les  pré- 
trieuses  reliques  attestent  les  temps  passés.  Çà  et  là,  c'est 
encore  une  merveille  antique,  une  colonne  qui  a  perdu  son 
iîhapiteau  dans  des    constructions  supérieures,  une  voûte 
tronquée  sous  laquelle  on  a  cloisonné  plusieurs  chambres; 
■car,  les  oiseaux  se  multipliant,  il  a  fallu  doubler  aussi  les 
compartiments  de  la  cage.  Nous  montons,  nous  montons 
<3ncore.  Voici  enfin  le  ciel  ouvert,  un  jardin  en  plein  air, 
\m^  salle  de  jeu  sur  la  dernière  voûte  de  la  loggia. 

—  La  dernière  création  du  cardinal  Pecci!  ajoute  Mgr 
Maltei. 

Nous  sommes  tout  à  fait  au  pays  des  oiseaux.  Mais  c'est 


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INTHODUCTION. 


05 


de  cette  loggia  aérienne  que  Pérouse  est  belle  !^  Sur  l'arête 
aiguë  du  mont  qu'elle  chaperonne,  elle  s'étend  du  sud  au 
nord  et  dessine  exactement  la  forme  du  dragon  ailé  qui 
s'accroupit  et  veille  sur  son  armoriai  civique.  La  queue  en 
est  formée,  au  sud,  par  la  traînée  presque  rectiligne  de  la 


Pérouse.  —  Une  salle  du  Musée  au  Palais  des  Prieurs. 

paroisse  de  San-Pietro-de-Cassinensi  dont  le  clocher,  en 
flèche  audacieusement  grêle  au  sommet,  s'épaissit  forte- 
ment à  la  base  des  voûtes  que  Pietro  Vincioli  éleva,  en  l'an 
1000;  tant  les  siècles  anciens  ont  pesé  sur  ce  vieillard  de 
pierre  qui  conserve,  à  l'ombre  des  dix-huit  colonnes  de 
marbre  et  de  granit  supportant  ses  trois  nefs,  le  gracieux 
berceau  où  Pérugin  fit  naître  son  école.  De  la  Porta  San- 


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cellule  d'où  sort  en  ce  moment  la  ranwralu  pour  aller  à 
Técole,  cVlaitcc  un  nouveau  »  qui  pleurait  sa  maison  paler- 
nelle  :  a  Eh  J)ien  !  je  vais  aussi  pleurer!  »  lui  avait  dit  le 
cardinal  en  s'asseyant  sur  le  lit  du  petit;  tel  un  vrai  père 
^jue  son  entant  eut  menacé  d'ahandiunuM".  Tne  autre  fois, 
le  cardinal  entrait  dans  une  classe  avec  les  écoliers  et,  le 
prolesseur  manquant  dVxactilude,  avait  commencé  Texpli- 
vati(m  de  rauteur  latin  jusqu'à  l'aiTivée  du  maître  :  «  Nous 
en  étions  à  tel  passage!  »  se  C(uitenta-t-il  de  dire  à  celui-ci 
M'iand  il  arriva;  et,  saluanl,  il  repartit.   Pendant  que   les 
souvenirs  de  M-r  Pecci  volent  ici,  de  tous  les  coins,  et  nous 
assaillent  en    essaim   d'oiseaux   charmants,   ce   sont  aussi 
d'autres  oiseaux,  les  petits  élèves  qui  vont  en  classe  et  (|ui, 
v«»yant  dans  les  couloirs  leur  évn|ue  et  leur  père,  courent  à 
lui,  Tentourent  de  leurs  mains  enfantines,  cherchent  sur  sa 
iirande  main  Panneau  épiscMqud,  Pemhrassentet  s'échappent 
contents.  Brr  !...  hrr  !...  c'est comm(»  une  envcdée  d'cdseaux. 
Les  petites  soutanes  ta|»a-euses  ont  replié  vers  la  classe,  en 
Immi  ordre.  Les  portes  se  referment.  Les  corridors  sont  vides. 
Kt  nous  voilà  tout  heureux  de  cette  houiïée  d'air  respirée  en 
jdeine  jeunesse,  au  milieu  de  ces  vieux  murs  dont  les  pré- 
cieuses reli(iues  attestent  les  temps  passés,  (jà  et  là,  c'est 
encore  une  merveille  antique,  une  colonne  (|ui  a  perdu  son 
ihapiteau  dans  des    constructions  supérieures,  une  voûte 
li'(m(piée  sous  laquelle  on  a  cloisonné  plusieurs  chamhres; 
car,  les  oiseaux  se  multipliant,  il  a  fallu  douhler  aussi  les 
compartiments  de  la  cage.  Nous  montons,  nous  montons 
encore.  Voici  enlin  le  ciel  ouveit,  un  jardin  en  plein  air, 
nue  salle  de  jeu  sur  la  dernière  voûte  de  la  lo(/(/ia. 

—  La  dernière  création  du  cardinal   Pecci!  ajoute  Mgr 
Mattei. 

Nous  sommes  tout  à  fait  au  pays  des  oiseaux.  Mais  c'est 


de  cette  lo(j(/ia  aérienne  <|ue  Pérouse  est  hellel^Sur  l'arête 
aiguë  du  mont  qu'elle  chaperonne,  elle  s'étend  du  sud  au 
noid  et  dessine  exactement  la  forme  du  dragon  ailé  qui 
s'accroupit  et  veille  sur  son  armoriai  civique.  La  queue  en 
ost  formée,  au  sud,  par  la  traînée  presque  rectiligne  de  la 


IV.iousi'.  -_  Une  sillc  (In  Musôo  an  Palais  «les  Piienrs. 

paroisse  de  San-Pielro-dc-Camnemi  dont  le  clocher,  en 
flèche  audacieusement  grêle  au  sommet,  s'épaissit  forte- 
ment à  la  hase  des  voûtes  que  Pietro  Vincioli  éleva,  en  l'an 
1000;  tant  les  siècles  anciens  ont  pesé  sur  ce  vieillard  de 
pierre  qui  conserve,  à  l'omhre  des  dix-huit  colonnes  de 
marhre  et  de  granit  supportant  ses  trois  nefs,  le  gracieux 
hcrceau  ou  Pérugin  fit  naître  son  école.  De  la  Porta  San- 


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INTRODICTION. 


Pietro  que  la  ville  jalouse  d'un  tel  joyau  (ranllquité  a  ren- 
fermée dans  son  sein,  à  la  Porta  Ebunica  dont  les  poivrières 
flanquent  les  vieux  remparts,  le  dragon  silhouette  la  courbe 
postérieure  de  ses  hanches  avec  les  consiructions  poussées 
en  excroissances  parasites,  comme  des  cryptogames  contre 
un  chêne,  à  la  place  oii  s'élevait  jadis  la  formidable  cita- 
delle de  Paul  III.  Le  corps  du  monslre  s'allonge  et  grimpe 
ensuite,  du  quartier  SanV  Ercolano  dont  la  vieille  église 
boucle  en  rotonde  ce  fond  de  ville,  au  quartier  du  Duomo  et 
du  Palalfi  Public.  Là,  siège  le  centre  de  Pérouse  ;  en  sorte  que, 
la  Piazza  del  Munkipio  marquant  le  cœur  du  dragon,  les 
griffes  antérieures  du  monstre  se  rejettent  par  la  Via  dei 
Priori  vers  la  porte  Sainte-Suzanne  au  nord-ouest,  et  par 
la  Via  Buonlcmin  vers  la  porte  du  Soleil  au  nord-est.  Au 
nord,  la  Porta  Etrmca  aux  colossales  arcatures  sert  de  col- 
lier à  ce  même  dragon  dont  la  télé  presque  apocalyptique, 
changeant  de  forme,  va  finir  en  bec  d'aigle  entre  les  hau- 
teurs du  San-Marco  et  du  Sperandio,  à  la  pointe  extrême  de 
Pérouse  que  ferment  le  fort  et  la  porte  SanC  Anrjelo  aux 
redoutables  barrières.  Et  tout  à  l'en  tour,  du  sud  au  nord  et 
de  l'est  à  l'ouest,  autant  que  l'œil  en  puisse  découvrir  sur  la 
plaine  environnante  de  TOmbrie  que  commande  de  là-haut 
Pérouse  audacieusement  symbolisée  par  son  dragon  héral- 
dique,  c'est  la  bordure  éternellement  verte  des  oliviers  sécu- 
laires qui  virent  passer,  sous  leurs  ombrages,  l'éclat  farou- 
che des  brigades  armées  de  Baglioni  et  la  douceur  attirante 
des  frères  mendiants  de  Saint-François,  le  Moyen-Age  avec 
sa  prose  barbaresque  et  sa  divine  poésie,  et,  plus  lard, 
dans  la  splendeur  de  sa  palette  d'or,  la  Renaissance  souve- 
raine dont  les  premiers  disciples  furent  des  montagnards, 
nés  sur  ces  cimes. 

—  Voyez-vous  d'ici,  à  votre  gauche,  au  fond  de  la  Via 


I 


15TR0DLCTI0N.  05 

dei  Priori,  la  Chiesa  Nuora  et  la  Via  Deliziosal  C'est  là 
que  le  Pérugin  habita,  dans  une  maison  que  vous  visiterez 
tout  à  l'heure.  Au  voisinage  de  l'oratoire  des  Bernardins, 
vous  trouverez  aussi  la  maison  de  Luca  Signorelli,  puis  celle 
de  son  maître  Piero  délia  Francesca.  Par  là-bas  aussi  demeu- 


Une  autre  salie  du  Musée  au  Palais  dos  Prieurs. 

rcrent  Buonfigli  et  Fiorenzo  di  Lorenzo.  Enfin,  vers  la  Porta 
Santa  Suzanna,  vous  découvrirez  le  berceau  de  Bernardine 
Belti,  si  dédaigneusement  appelé  le  «  Peinlrailleur  »,  le 
a  Pinturicchio  »  ;  et,  autour  de  son  atelier,  les  demeures  de 
ses  élèves  Bartolomeo  Caporali,  Eusebio  di  San  Giorgio. 
Sinibaldo  Ibi,  le  jeune  Raphaël  Sanzio  lui-même.  Mais  voici 


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INTP.OlKCTfOX. 


PI(*lro  i\\ir  la  ville  jalouse  triiii  Ici  joyau  (ranrK|nilt' a  ron- 
fermtHMlaiissoii  sein,  à  la  1*(H'1((  Klniruni  dont  les  |)()ivrirres 
flan(|neiil  les  vieux  ivuiparK,  le  draiion  silhouetle  la  courhe 
poslci'ieure  de  m's  liauclies  avec  les  enuslruelious  poussées 
en  excroissances  parasiles,  couiuie  <les  crv|)lo«iauies  conire 
un  chêne,  à  la  place  où  s'élevail  jadis  la  l'orniidalde  cita- 
delle de  Paul  III.  Le  corps  du  mouslre  s'allonue  et  ««rimpe 
ensuite,  du  quartier  Sauf  Eirolaiia  dont  la  vieille  église 
boucle  en  l'olonde  ce  fond  de  ville,  au  (|uai'lier  du  Daonio  et 
du  Paldts  Pubhr.  Là,  sii'ue  leceulre  dePérouse;  en  soi'Iecpie, 
la  Vhizza  dcl  MunlrliHo  niaiMpianl  le  c(eui'  du  dragon,  les 
grilTes  antérieures  du  monstre  se  lejeltent  par  la  Via  dci 
Piii)ri  vers  la  porte  Sainte-Suzanne  au  nord-iuiesl,  et  par 
la  Via  IhuHiIrmin  vers  la  porti'  du  Soleil  au  noi-d-esl.  Au 
nord,  la  Porta  Elvaiica  aux  cidossiles  arcatures  sert  de  cid- 
lier  à  ce  même  dra^im  dont  la  tète  pres(|ue  apocalypli([ue, 
cliauiieant  de  lorme,  va  linir  en  hec  craii^le  entre  le<  hau- 
teui's  du  San-Mai'co  et  du  Sperandio,  à  la  |MMnle  extrême  de 
Pérouse  (jue  lerment  le  fort  et  la  ptute  SaatWntirlo  aux 
redoulahh'S  barrières.  Lt  tout  à  renl(Uir,  du  sud  au  noi'd  et 
de  Test  à  l'ouest,  autant  (|ue  Tceil  en  juiisse  découvrir  sur  la 
plaine  enviionnante  de  l'Ombrie  (pie  eonimand<'  de  là-haut 
Pérouse  audacieusement  syniholisée  par  son  dragon  lierai- 
diqne, c'est  la  horduie  èteinellenuMil  verte  des  oliviers  sécu- 
laires (pii  virent  passer,  sous  leurs  omhrages,  l'éclat  farou- 
che des  brigades  armées  de  ])agli(UM  et  la  douceur  attirante 
de<  frères  mendiants  de  Saint-Fiancois,  le  Moyen-Age  avec 
sa  prose  baibarescpie  et  sa  divine  poésie,  et,  plus  tard, 
dans  la  splendeur  de  sa  palette  d'or,  la  Renaissance  souve- 
raine dont  les  premiers  disciples  furent  des  montagnards, 
nés  sur  ces  cimes. 

—  \ovez-vous  d'ici,  à  votre  liauche,  au  fond  de  la  Via 


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INTIIODI CTIOX.  65 

(Ici  Priori,  la  CItitsa  Psaora  et  la  Via  Delizaml  C'est  là 
que  le  Pérugin  habita,  dans  une  maison  que  vous  visiterez 
tout  à  l'heure.  Au  voisimige  de  r\)ratoire  des  Bernardins, 
vous  trouverez  aussi  la  maison  de  Luca  Signorelli,  puis  celle 
de  son  maîtie  Piero  délia  Francesca.  Par  là-bas  aussi  demeu- 


L'nc  autre  salie  du  Musée  au  Palais  des  Prieurs. 

rcrent  Buonfigli  et  Fiorenzo  di  Lorenzo.  Enfin,  vers  la  Porta 
Santa  Suzantta,  vous  découvrirez  le  berceau  de  Bernardino 
Belli,  si  dédaigneusement  appelé  le  «  Peinlrailleur  »,  le 
«  Pinturicchio  »  ;  et,  autour  de  son  atelier,  les  demeures  de 
ses  élèves  Bartolomeo  Caporali,  Eusebio  di  San  Giorgio. 
Sinibaldo  Ibi,  le  jeune  Baphaël  Sanzio  lui-même.  Mais  voici 


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liNTRODUCTION. 


INTRODUCTION. 


67 


Mgr  Romitelli,  membre  de  TAcadémie  di  Storia  Pair  la  et 
aussi  de  TAcadémie  des  Humoristes.  Il  se  propose  de 
vous  servir  de  guide  à  travers  la  cité.  Bonne  prome- 
nade! 

Mgr  Luciano  Romitelli,  archidiacre  de  la  cathédrale,  est, 
en  vérité,  l'humoriste  le  plus  gai  de  son  Académie,  et  l'aca- 
démicien le  plus  érudit  de  Pérouse.  Sa  taille  n'est  guère 


*-  Pérouse.  —  Soubassements  de  la  Citadelle  de  Paul  IV. 

plus  haute  que  la  canne  de  son  parapluie  l\  grosse  colonnade 
verte;  et  vous  ne  le  voyez  plus,  des  qu'il  s'est  recouvert  de 
son  chapeau  deux  fois  large  comme  sa  petite  personne.  Mais 
vous  ne  disparaissez  pas  aussi  aisément  sous  les  yeux  de  ce 
Lyncée  aux  lunettes  bleuâtres,  presque  toujours  aux  trois 
quarts  de  leur  chute  sur  un  grand  nez  où  elles  courent  vers 
l'abîme.  Pas  une  pierre  dans  Pérouse  qui  n'ait  une  histoire 
et  que,  le  premier,  le  chanoine  Romitelli  ne  connaisse  et  ne 
veuille  aussi  vous  raconter,  le  premier.  Songez  donc!  c'est 
lui  qui  a  découvert  les  tombeaux  étrusques  de  la  Pieve  del 


Campo  ;  lui  encore  qui,  au  printemps  de  sa  vie,  enfant  de 
chœur  du  Dnomo,  jeta  des  fleurs  sous  les  pieds  de  Mgr  Pecci 
quand  le  jeune  prélat  fit,  pour  la  première  fois,  son  entrée 
dans  Pérouse,  en  1841. 

—  Et  voilà  le  Palais  des  Prieurs  qu'il  habita,  5  ce  titre! 
ajoute  mon  audacieux  cicérone  que  la  présence  d'un  préfet 


Pérouse.  —  Le  Polygone. 

de  la  Couronne  n'empêche  pas  d'entrer  dans   Tancienne 
résidence  des  préfets  de  la  Tiare. 

Mgr  Romitelli,  ami  de  tout  le  monde,  salue  officiers  de 
l'administration  et  domestiques  de  l'office  qui  lui  rendent, 
avec  plaisir,  la  pareille  en  lui  ouvrant  toutes  les  portes.  En 
un  clin  d'oeil,  nous  avons  franchi  toutes  les  consignes,  visité 
toutes  les  salles  opulentes  du  merveilleux  palais,  —  surtout 
celles  qui  furent  réservées  à  l'appartement  du  Délégat,  en 
1841.  Elles  sont  spacieuses,  mais  vides.  Tout  au  plus,  çà 
et  là,  de  vieilles  crédences  irréparables  et  d'antiques  retables 
ruinés  des  primitifs  Ombriens  y  sont  remisés,  en  attendant 
le  budget  de  la  Commune  qui  fera  le  double  improbable 
miracle  de  réparer  eux  et  lui,  en  même   temps.   J'avise 


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INTROniCTION. 


INTKODICTION. 


67 


Mgr  Romilelli,  mcml)re  de  rAcailémie  di  Storia  Palria  et 
aussi  de  rAcadémie  des  Humoristes.  Il  se  propose  de 
vous  servir  de  guide  à  travers  la  cité.  Bonne  prome- 
nade ! 

Mgr  Luciano  Romilelli,  archidiacre  de  la  cathédrale,  est, 
en  vérité,  l'humoriste  le  plus  gai  de  son  Académie,  et  Taca- 
démieien  le  plus  érudit  de  Pérouse.  Sa  taille  n'est  guère 


Pérouse.  —  Soubassomenls  de  la  (litadt'Uc  de  Paul  IV. 

plus  haute  que  la  canne  de  son  parapluie  à  grosse  cotonnade 
verte;  et  vous  ne  le  voyez  plus,  des  qu'il  s'est  recouvert  de 
son  chapeau  deux  fois  large  comme  sa  petite  jïcrsonne.  Mais 
vous  ne  disparaissez  pas  aussi  aisémeni  sous  les  yeux  de  ce 
Lyncée  aux  lunettes  hieuàtres,  presque  toujours  aux  trois 
quarts  de  leur  chute  sur  un  grand  nez  où  elles  courent  vers 
l'abîme.  Pas  une  pierre  dans  IVrouse  qui  n'ait  une  histoire 
et  que,  le  premier,  le  chanoine  llomitelli  ne  connaisse  et  ne 
veuille  aussi  vous  raconter,  le  premier.  Songez  donc!  c'est 
lui  qui  a  découvert  les  tombeaux  étrusques  de  la  Pieve  del 


Campo;  lui  encore  qui,  au  printemps  de  sa  vie,  enlant  de 
chœur  du  Duomo,  jeta  des  fleurs  sous  les  pieds  de  Mgr  Pecci 
quand  le  jeune  prélat  lit,  pour  la  première  fois,  son  entrée 
dans  Pérouse,  en  1841 . 

—  Et  voilà  le  Palais  des  Prieurs  qu'il  habita,  à  ce  titre î 
ajoute  mon  audacieux  cicérone  que  la  présence  d'un  préfet 


rérousc.  —  Le  Polygoiit*. 


de  la  Couronne  n'empêche  pas  d'entrer   dans   Tancienne 
résidence  des  préfets  de  la  Tiare. 

Mgr  Romitelli,  ami  de  tout  le  monde,  salue  officiers  de 
l'administration  et  domestiques  de  l'office  qui  lui  rendent, 
avec  plaisir,  la  pareille  en  lui  ouvrant  toutes  les  portes.  En 
un  clin  d'œil,  nous  avons  franchi  toutes  les  consignes,  visité 
toutes  les  salles  opulentes  du  merveilleux  palais,  —  surtout 
celles  qui  fuient  réservées  à  l'appartement  du  Délégat,  en 
18il.  Elles  sont  spacieuses,  mais  vides.  Tout  au  plus,  çà 
et  là,  de  vieilles  crédences  irréparables  et  d'antiques  retables 
ruinés  des  primitifs  Ombriens  y  sont  remisés,  en  attendant 
le  budget  de  la  Commune  qui  fera  le  double  improbable 
miracle  de   réparer  eux  et  lui,  en  même    temps.   J'avise 


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68 


INTRODUCTION. 


encore  une  terrasse,  sur  laquelle  donne  l'ancienne  salle  a 
manger  du  Délégat.  De  là,  une  vue  magnilique  s'étend  sur 
la  campagne  lointaine.  A  droite,  est  San  Francesco-al- 
Monte,  avec  sa  rangée  imposanle  de  cyprès.  A  gauche,  et  ça 
et  là,  le  Monte  Tesio  aux  oliviers  cendreux,  le  Séminaire 
aux  vieux  élages  escaladant  la  hauteur  derrière  laquelle  le 
Monte  Âcuto  pose  le  contrefort  imposant  de  ses  assises  tihur- 
lines.  En  face  enfin,  le  Monte Malbe  aux  hieuàtres  lointains 
où  se  devinent  les  transparences  opalines  du  lac  Trasimène 
qui  lui  sert  de  miroir,  à  ses  pieds.  Ce  fut  dans  ce  décor 
impérial  que  Mgr  Pecci  commença  à  régner  et,  peut-être 
aussi,  à  s'ennuyer.  Car  de  quels  souvenirs,  encore  préma- 
turés pour  un  prélat  de  carrière,  à  peine  à  son  début, 
peupler  cette  solitude  où  d'autres  que  lui  eussent  pu  se  dé- 
plaire? 

—  S'ennuyer?  Et  la  Via  Gregoriana  à  achever  en  quel- 
ques mois,  pour  l'arrivée  de  Grégoire  XVI  à  Pérouse  ?... 

Pour  me  faire  visiter  le  gigantesque  serpent  de  terre  et 
de  granit  qui  rampe  de  terrasse  en  terrasse  et  qui,  des 
basses  plaines  de  Pérouse,  porte  jusqu'à  la  ville  haute  les 
deux  noms  inséparables  du  pape  et  du  délégat,  ordonnateurs 

decestravauxvraiment  romains,  mon  guide  m'obligeàmonter 
en  voiture.  A  mesure  que  nous  avançons  sous  l'admirable 
rideau  d'oliviers  qui  tendent  sur  cette  campagne  ombrienne 
l'immuable  manteau  vert  de  leur  éternel  printemps,  le 
chanoine  désespéré  par  une  vague  flottaison  de  brume  que 
je  n'entrevois  même  pas,  avec  mes  yeux  habitués  à  moins  de 
bienfaisante  lumière  : 

—  Clw  pcccatol,..  Che  caliginel,..  soupire-t-il. 

Au  bas  de  la  voie  triomphale  dont  chaque  borne  dit 
encore  la  gloire  de  Mgr  Pecci,  la  brume  tant  redoutée  du 
chanoine  n'a  pas  empêché  notre  landau  d'être  signalé  au 


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liNTRODUCTION. 


69 


recteur  de  la  Pieve  où  nous  entrons.  Ce  bon  curé  n'attend 
pas  même  (jue  nous  soyons  descendus  de  voilure,  pour 
courir  aux  cloches,  en  compagnie  de  sa  servante,  et  les 
ébranler  toutes  deux,  à  eux  deux.  L'archidiacre  a  beau  agiter 
désespérément  son  parapluie  de  colonnade.  Lecuré,  passant 
la  tête  par  une  lucarne  du  clocher,  fait  signe  qu'il  aura 
bientôt  fini  son  concert  d'honneur.  Et  il  ne  redescend  de  là- 


Pérousc.  —  La  Porte  Élrusquc. 

haut  qu'en  sueur,  hors  d'haleine,  pour  nous  inviter  à  entrer 
maintenant  dans  son  presbytère  délabré  où  il  y  a  encore 
du  vin  de  sa  treille  et  de  l'eau  de  son  puits,  pour  nous 
désaltérer.  La  soutane  terreuse  que  le  prêtre  avait  relevée 
sur  ses  reins,  pour  mieux  vaquer  à  la  culture  de  ses  choux, 
ne  l'incommodait  guère.  Quand  nous  lui  dîmes  que  nous 
allions,  par  le  pays,  en  quête  des  souvenirs  que  Mgr  Pecci 
y  avait  laissés,  et  que  nous  avions  voulu  descendre  aussi 
sous  les  treilles  de  la  Pieve  où  l'ancien  Délégat  de  Pérouse 
s'était  plu  à  venir  se  reposer  souvent. 


08 


l.NTUODICTION. 


encore  une  terrasse,  sur  la(|uelle  donne  Tanciennc  salle  à 
manger  du  Délégat.  De  là,  une  vue  magnili(|ue  s'étend  sur 
la  canî|)agne  lointaine.  A  droite,  est  Saïf  Fntucemy-al- 
Montc,  avec  sa  rangée  inii)osanle  de  cyprès.  A  gauche,  et  ya 
et  là,  le  Mo}tte  Tesio  aux  oliviers  cendreux,  le  Séminaire 
aux  vieux  étages  escaladant  la  liauleui*  deiiière  la(|uelle  le 
Mo}dr  Aniht  pose  le  conlrclorl  impos.int  dr  ses  assises  lihur- 
lines.  En  lace  enlin,  le  Munie  Malbe  au\  hleuàlres  lointains 
oîi  se  devinent  les  transparences  opalines  du  lac  Trasimène 
qui  lui  sert  de  miroir,  à  ses  pieds.  Ce  fut  dans  ce  décor 
impérial  ([ue  Mgr  Pecci  commen(;a  à  régner  et,  peut-être 
aussi,  à  s'ennuyer.  Car  île  quels  souvenirs,  encore  préma- 
turés pour  un  |)rélat  de  carrière,  à  peine  à  son  début, 
peupler  cette  solitude  où  d'autres  (jue  lui  eussent  pu  se  dé- 
plaire? 

—  S'ennuyer?  Et  la  Via  Grerjoriana  à  achever  en  ([uel- 
ques  mois,  pour  l'arrivée  de  Grégoire  \VI  à  Péiouse  ?... 

Poui'  me  faire  visiter  le  gigantesfiue  serpent  de  terre  et 
de  gianit  qui  rampe  de  terrasse  en  terrasse  et  qui,  des 
basses  plaines  de  Pérouse,  porte  jusqu'à  la  ville  haute  les 
deux  noms  inséparables  du  pape  et  du  délégat,  ordonnateurs 

decestravauxvraiment  romains,  mon  guide  m'obligea  monter 
en  voituie.  A  mesure  (pie  nous  avançons  sous  l'admirable 
rideau  d'oliviers  qui  tendent  sur  cette  campagne  ombrienne 
l'immuable  manteau  vert  de  leui*  éternel  jnintemps,  le 
chanoine  désespéré  par  une  vague  llottaison  de  brume  que 
je  n'entrevois  même  pas,  avec  mes  yeux  habitués  à  moins  de 
bienfaisante  lumière  : 

—  Che  jH'Ccat')!.,,  Che  callgine!...  sou[)ire-t-il. 

Au  bas  de  la  voie  triomphale  dont  chaque  borne  dit 
encore  la  gloire  de  Mgr  Pecci,  la  brume  tant  redoutée  du 
chanoine  n'a  pas  empêché  notie  landau  d'être  signalé  au 


INTIIODLCTION. 


60 


recteur  de  la  Pleve  où  nous  entrons.  Ce  bon  curé  n'attend 
pas  même  cpie  nous  soyons  descendus  de  voilure,  pour 
courir  îujx  cloches,  en  compagnie  de  su  servante,  et  les 
él)ranler  toutes  deux,  à  eux  deux.  L'archidiacre  a  beau  agiter 
désespérément  son  parapluie  de  colonnade.  Lecuré,  passant 
la  tête  par  une  lucarne  du  clocher,  fait  signe  (pi'il  aura 
bientôt  lini  son  concert  d'honneur.  Et  il  ne  ledescend  de  là- 


rt'i'ouso.  —  La  Porte  Kliiis«jiie. 

haut  qu'en  sueur,  hors  d'haleine,  poumons  inviter  à  entrer 
mainlenanl  dans  son  presbylèie  délabié  où  il  y  a  encore 
du  vin  de  sa  treille  et  de  Peau  de  son  jjnils,  pour  nous 
désaltérer.  La  soutane  terreuse  que  le  prêtre  avait  relevée 
sur  ses  reins,  pour  mieux  vaquer  à  la  culture  de  ses  choux, 
ne  l'incommodait  guère.  Quand  nous  lui  dîmes  que  nous 
allions,  par  le  pays,  en  quête  des  souvenirs  que  Mgr  Pecci 
y  avait  laissés,  et  que  nous  avions  voulu  descendre  aussi 
sous  les  treilles  de  la  Pieve  où  l'ancien  Délégat  de  Pérouse 
s'était  plu  à  venir  se  reposer  souvent. 


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70 


LNTRODICTION. 


—  C'est  bien  possible  !  ajoiita-l-il.    Mgr  Peceî,   dites 
vous?... 

—  ...  Aujourd'hui,  pape  Léon  XIII! 

Pourquoi  ne  pas  nommer  plus  tôt  le  pape  Pecci  à  la 
revêche  mémoire  du  bon  recteur  qui  ne  retenait  plus  que 
les  termes  botaniques  des  plantations  de  son  jardin?  Pecci?. . . 
Joachim  Pecci?...  Mgr  le  Délégat  Pecci?...  Oui,  oui,  il  en 
conservait  aussi  un  souvenir.  C'était  un  tube  de  métal, 
pareil  à  ceux  dont  usent  les  ouvriers  compagnons  en  voyage, 

de  ville  en  ville,  et  où  ils 
renferment  leurs  papiers 
de  route.  Un  cantonnier 
de  la  Via  Gregoriana 
Tavait  trouvé,  un  jour, 
entre  deux  pierres  des- 
cellées du  chemin.  Le 
parchemin,  extrait  de  la 
cassette,  racontait  les 
louanges  de  «  Joachim 
Pecci,  patricien  d'Ana- 
gnî,  consul  de  Bénévent,  puis  de  Pérouse,  qui,  à  la  tren- 
tième année  de  sa  brillante  carrière,  était  parti  pour  le  pays 
des  Belges...  »  Et  le  curé,  toujours  parlant  et  toujours 
fouillant  dans  ses  tiroirs,  en  sortit  enfin  cette  feuille  de 
route  d'un  passant  célèbre  que  le  vent  du  hasard  avait 
portée,  de  fosse  en  fosse,  depuis  celle  des  grands  chemins 
où  elle  eût  pu  rester  ensevelie  avec  les  autres  feuilles  des 
saisons  mortes,  jusqu'à  celle  d'un  pauvre  petit  recteur  de 
village  qui  aurait  pu,  certes,  la  perdre  au  fond  de  sa 
bibliothèque  inexplorée  et  de  son  ingrate  mémoire.  Elle 
disait  : 


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De  Pérouse  à  Coiciano* 


INTRODUCTION 

SOLENNE 

DA   SUPERNA    GRAZIA    INAUGURATO 

FAUSTISSIMO 

ANCHE    A    PERUGIA 

OLTRE    ALLO    STATO    E   ALLA   CHIESA    UNIVERSALE 

SIA   QUESTO   GIORNO 

XiX    DI    FERRAIO   DEL   MOCCCXXXXUl 

PERCHE 

GIOAGGHINO   PECCI 

PATRIZIO   DI    ANAGNI   DELLA    S.    R.    C.    PRELATO    SACERDOTE 

TOCCANDO    APPENA    IL   TREMESIMO   ANNO 

IN    DIFFICILI    NEGOZII    E    NEL    REGGIMENTO    DELLE    PROVINCIE 

PRIMA    RENEVENTANA   POI    PERUGINA 

GIDSTO    ESTIMATORE    DEGLI    UOHINI    E    DELLE    COSE 

PRUDENZA    DOTTRINA    RETTITUDINE 

Al    SLDDITI    E    AL    SOVRANO    TESTIMONIATE 

OGGI 

DALL*    AMPLISSIMO    CARDINALE    LAMBRUSGHINI 

ONORE    DEL    PURPUREO    SENATO    LUME    DI    SAPIENZA 

L*1NFULA    SACRA    L*OLIO   CELESTE   RICEVE 

ONDE   ALLA   CHIESA   DI    DAMIATA 

DALLA    SANTITA    DI    GREGORIO    XVI    P.    Q.    M. 

NEL   CONCÏSTORO    DEL   XXVII    GENNAIO 

ARCIYESCOVO    ELETTO   SI    SPOSA 

B 

DA   PERUGIA   DA   ROM  A 

NUNZIO   ALLE    DELGICHE    REGIONl    MOVENDO 

ESEMPIO   VIVO   DI    APOSTOLICHE   VIRTUDI 

IL    POPOLO   CHE    RESSE    PUR   MEMORA    E    BENEDICE 

D!   GRATO   ANIMO   DI   RIVERENTE    AMORE 

PER   LOSTANANZA    INDIFETTIBILE 

FERVIDISSIMI 

LO   ACCOMPAGNANO 

AUGURII   E   VOTI 


71 


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70 


LNTKOlirCTlON. 


INTRODUCTION 


7i 


—  C'est  bien  possible  !  njoula-l-il.    Mgr   Pecci,   dites 
vous?... 

—  ...  Aujourd'hui,  pape  Léon  MU! 

Pourquoi  ne  pas  nommer  plus  lot  le  i)ape  Peeci  à  la 
revèebe  mémoire  du  bon  reeleur  qui  ne  retenait  |)lus  «pie 
les  termes  botaniques  des  planlalions  de  son  jardin?  Peeei?... 
Joachim  Pecci?...  Mgr  le  Délégat  Pecci?...  Oui,  oui,  il  en 
conservait  aussi  un  souvenir.  Celait  un  tube  de  métal, 
pareil  à  ceux  dont  usent  les  ouvriers  compagnons  en  voyage, 

de  ville  en  ville,  et  où  ils 
renferment  leurs  [)apiers 
de  route.  Un  cantonnier 
de  la  Via  Greçioriana 
l'avait  trouvé,  un  jour, 
entre  deux  j)ierres  des- 
cellées du  chemin.  Le 
parchemin,  extrait  de  la 
cassette,  racontait  les 
louanges  de  «  Joachim 
Pecci,  patricien  d'Ana- 
gni,  consul  de  liénévent,  i)uis  de  Pérouse,  qui,  à  la  tren- 
tième année  de  sa  brillante  carrière,  était  parti  pour  le  pays 
des  Belges...  »  Et  le  curé,  toujours  pailanl  et  touj(uirs 
fouillant  dans  ses  tiroirs,  en  sortit  enlin  cette  feuille  de 
route  d'un  passant  célèbre  que  le  vent  du  hasard  avait 
portée,  de  fosse  en  fosse,  depuis  celle  des  grands  chemins 
où  elle  eût  pu  rester  ensevelie  avec  les  autres  feuilles  des 
saisons  mortes,  jusqu'à  celle  d'un  pauvre  petit  recteur  de 
village  ([ui  aurait  pu,  certes,  la  perdre  au  fond  de  sa 
bibliothèque  inexplorée  et  de  son  ingrate  mémoire.  Elle 
disait  : 


Ik'  réroiise  à  Coicimu». 


I 


SOLKN.NE 

DA    SUPER N A    (JRAZIA    INALT.UKATO 

FAUSTISSIMO 

ANCHE     A    PERUdlA 

OLTRE    ALLO    STATO    E    ALLA    CIIIESA    L.NIVERSALE 

SIA    QUESTO    GIORNO 

X:X    IH    FERRMO    OEL    MDCXCXXXXIIl 

PERCHE 

GIOACCHINO    PECCI 

PATRIZIO   ru    AXAr.M    DELLA    S.    R.    C.    PRELATO    SACERDOTE 

TOCCAXDO    APPENA    IL    TREMESIMO    ANNO 

IN    lUFFICILI    NEr.OZII    E    NEL    REGGIMENTO    DELLE    PROVIXCIE 

PRIMA    RENEVENTANA    POI    PERIGINA 

filUSTO    ESTIMATORE    HEGLI    L'OMCNI    E    DELLE    COSE 

PRLDENZA    DOTTRLNA    RETTITIDINE 

AI    SLDIMTI    E    AL    SOVRANO    TESTIMONIATE 

OGGI 

DALL     AMPLISSIMO    CARDINALE    LAMBRUSGHINI 

ONORE    DEL    PLRPLREO    SENATO    LIME    DI    SAPIENZA 

l'iNFILA    sacra    l'oLIO    CELESTE    RICEVE 

ONDE    ALLA    CHIESA    DI    DAMIATA 

DALLA    SANTITA    DI    GREGORIO    XVI    P.    O.    M. 

NEL    CONCISÏORO    DEL    XXVII    GENNAIO 

ARCIVESCOVO    ELETTO    SI    SPOSA 

B 

DA    PERUGIA    DA    ROMA 

NUNZIO    ALLE    BELGICHE    REGION!    MOVENDO 

ESEMPIO    VIVO    DI    APOSTOLICHE    VIRTl  DI 

IL    POPOLO    CHE    RESSE    PUR    MEMORA    E    BENEDICE 

DI    GRATO    ANIMO    DI    RIVEREXTE    AMORE 

TER    LOXTANAXZA    IXDIFETTIBILE 

FERVIDISSIMI 

LO    ACCOMPAGXANO 

ACGLRU   E   VOTl 


72 


LNTRODlCTIOxN. 


Je  pris,  (les  mains  du  prêtre  qui  me  l'offrait  volontiers, 
ce  brevet  caduc  d'une  fragile  immorlalilo  que  j'allais  ainsi 
quêtant  pour  mon  héros,  dans  ces  déserts  du  monde  si  pleins 


De  Corciaiio   à  la  Pievu. 

de  nos  vanilés  passagères,  oîi  c'est  encore  la  voix  du  Maître 
qui  nous  demande  si  c'est  un  roseau  agité  par  le  vent  que 
nous  sommes  allés  voir,  ou  seulement  une  feuille  morte, 
jouet  de  la  tempête  :  Indibrium  ventL  Et  quand,  de  cette 


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72 


INTKODICTION. 


Je  pris,  (les  inains  du  prèlre  qui  me  rolîiail  volontiers, 
ce  brevet  caduc  d'une  fra<iile  iinmoilalilé  que  j'all.iis  ainsi 
(juètantpour  mon  héros,  dans  ces  déserls  du  monde  si  [ileins 


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ho  Coiciano    à    la  Picve, 


de  nos  vanilés  passaj^vres,  oîi  cVsl  encore  la  voix  du  Maîlie 
(jui  nous  demande  si  c'est  un  roseau  a^-ilé  [uir  le  veut  que 
nous  sommes  allés  voir,  ou  seulement  une  feuille  morte, 
jouet  de  la  tempête  :  luiiibrium  venti.  Et  quand,  de  celle 


\ 


74 


INTRODUCTION. 


belle  et  miielle  campagne  qui  ne  savait  plus  rien  nous 
apprendre  d*un  de  ses  plus  glorieux  habitants,  nous  nous 
disposâmes  h  nous  retirer,  ce  fut  encore  au  son  des  cloches 
relancées  que  le  recteur  de  la  Pitve  voilut  saluer  notre 
départ.  Il  les  accompagnait  encore  de  grands  gestes  des 
mains  et  de  la  tète,  hors  de  la  lucarne  et  du  clocher  où 
nous  finîmes  par  ne  plus  le  i^garder,  de  peur  de  le  voir 
tomber,  pris  de  vertige,  dans  le  vide. 

—  Votre  serviteur.  Excellence!... 

Peut-être  la  leçon  était-elle  complète.  Du  moins,  le  cadre 
extérieur  était  tracé  de  la  vie  intérieure  dont  je  me  propo- 
sais de  continuer  Tédifiant  récit.  Et  à  quelle  philosophie 
plus  haute  élever  Thisloire  du  grand  homme  que  fut  Mgr 
Joachim  Pecci,  que  celle  que  me  révélèrent  les  cloches  en 
sonnant  si  fort  et  se  taisant  si  vite,  sur  la  ligne  de  Thorizon 
où  tout  ce  qui  commence  avec  le  jour  finit  si  tôt  avec  le 


soir  ? 


PREMIÈRE   PARTIE 


LA  PRELATURE  DE  LÉON  XIII 


4 


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74 


INÏKOhl  CTION. 


belle  el  miioUe  campajino  qui  ne  savait  |»lus  rien  nous 
apprendre  d'un  de  ses  plus  glorieux  liabilanls,  nous  nous 
disposâmes  à  nous  retirer,  ce  fut  encore  au  son  des  cloches 
relancées  (|ue  le  recteur  de  la  Pitve  vo  ilut  saluer  notre 
départ.  Il  les  accompagnait  encore  de  grands  gestes  des 
mains  et  de  la  tète,  hors  de  la  lucarne  et  du  clocher  oi'i 
nous  finîmes  par  ne  plus  le  regarder,  de  peur  de  le  voir 
tomber,  pris   de  vertige,  dans  le  vide. 

—  Votre  serviteur,  Excellence!... 

Peul-étit;  la  leçon  était-elle  complète.  Du  moins,  le  cadre 
extérieur  était  tracé  de  la  vie  intérieure  dont  je  me  propo- 
sais de  continuer  l'édiliant  récit.  Kl  à  quelle  [diilosophic 
plus  haute  élever  Thistoire  du  grand  homme  que  l'ut  Mgr 
Joachim  Pecci,  que  celle  que  me  révélèrent  les  cloches  en 
sonnant  si  fort  et  se  taisant  si  vite,  sur  la  ligne  de  Thorizon 
où   tout  ce  (jui  commence  avec  le  jour  finit  si  tôt  avec  le 


PHEMIÈRE    PARTIE 


soir  ? 


I 


LA  PRÉLATUUE  DE  LÉON  XIH 


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Teneiezza.  (iraprcs  Léon  Donnai.) 


Ino  Canicia'a  du  Colh|e  Rjmain,  (D'apn's  Heilbutli.) 


U  ;  ROMAMIQF  DE  1830 


Le  voile  de  deuil  à  travers 
le(]uel  l'orplielin  entrevit  Rome, 
où  la  comtesse  sa  mère'  venait 
de  mourir,  ne  fut  pas  compa- 
rable, pour  la  noirceur  de  sa 
trame,  à  celui  qui  enveloppait 
encore  sa  patrie  et  les  autres 
Etats  de  l'Europe.  Sans  doute 
on  reparlait,  là  comme  ailleurs, 
avec  de  beaux  discours,  de  la 
restauration  du  trône  et  de 
Taulel,  et  de  Taurore  enfin  levée  des  libertés  nouvelles  qu'avaient  acquises 
es  Droits  de  l'Homme  et  que  la  Charte  du  Roi  protégerait.  Mais  cette 

1.  Voir,  pour  les  événements  précédents,  la  Jeunesse  de  Léon  XIII.  Vn  vol.  in-8, 
Paris,  1897. 


Une  IMace  à  Carpincto. 


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liit'  Canicta'u  tlii  CilK-c  R  muiiii.  J^apivs  llcilluilli.) 


U  i   n(»M\\TFQF  IIE  I8r»0 


Le  voile  de  di'iiil  à  Iravvrs 
l('<|iH'l  lorplK'Iiii  eiilrevit  noiiic, 
où  l;i  amitt'ssc  sa  mère'  veiKiil 
de  mourir,  ne  fut  pas  compa- 
rable, pour  la  noirceur  de  sa 
trame,  à  celui  qui  enveloppai I 
encore  sa  patrie  et  les  autres 
Etats  de  l'Europe.  Sans  doute 
on  reparlait,  là  comme  ailleurs, 
avec  de  lieaux  discours,  de  la 
restauration  du  trône  et  de 
Taulel,  et  de  l'aurore  enfin  levée  des  liherlés  nouvelles  (pi'avaient  ac(piises 
es  Droits  de  l'Homme  et  que  la  Charte  du   Roi  j)rolégerait.  Mais  cette 

1.  Voir,  pour  le?  ('vriicnieiils  priTÔctcnls,  l:i  Jeunesse  de  Léon  XIII.  t'ii  vol.  iii-8. 
Taris,  181)7. 


tue  l'iatt'  à  CurpiiiLlo. 


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78 


LA   PRÉLATl'RE   DE   LÉON   XIII. 


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aurore  tant  annoncée,  tant  proclamée,  se  levait  mal,  entre  les  voiles 
mystérieux  qui  abritaient  les  relevailles  d'une  autre  Euro[)e,  où  des  yeux 
clairvoyants  discernaient  mieux  le  tombeau  désolant  du  passé  que  le 
berceau  consolateur  de  l'avenir.  Les  esprits  les  plus  judicieux  savaient  ce 
qu'ils  avaient  perdu  avec  l'absolutisme  autoritaire  de  l'ancien  Régime,  a 
tout  jamais  décapité  ;  ils  ignoraient  encore  ce  qu'ils  retrouveraient  avec  le 
libéralisme  individuel  du  Régime  nouveau  qui  entrait,  en  même  temps  et 
avec  les  mêmes  honneurs,  au  palais  des  rois  constitutionnels  et  au  foyer 
des  citoyens  électeurs.  Les  uns  comme  les  autres,  à  ces  honneurs  diffi- 
ciles qui  n'étaient  plus  que  des  charges  pénibles,  sauraient,  sans  doute, 
l'aire  de  profitable  besogne  pour  la  prospérité  du  siècle  qui  se  propo- 
sait de  renouveler  l'histoire.  A  tout  jamais  les  parcs  de  Trianon,  où  de 
vrais  rois  avaient  aimé  de  vraies  bergères,  avaient  poussé  leurs  claires- 
voies  sur  des  pastorales  qui  ne  recommenceraient  plus  ;  et  les  vaisseaux 
dorés,  qui  avaient  embarqué  pour  Cythère  les  derniers  gentilshommes  et 
leurs  dernières  dames,  n'avaient  plus  besoin  de  recouper  leurs  amarres  de 
soie  pour  revenir  de  si  loin.  Le  lourd  radeau  de  la  Méduse  ferait  peut-être 
mieux  l'afl'aire  des  tristes  naufragés  de  l'an  mort,  en  essayant  d'aborder  à 
Fan  neuf.  Et,  durant  cette  passe  encore  ténébreuse,  les  âmes  incertaines 
se  consolaient  de  leurs  illusions  perdues  avec  les  espoirs  anxieux  dejacopo 
Ortis;  tandis  que  les  plus  désolées  d'entr'elles,  sur  l'infortune  de  leurs 
rêves  anciens  que  l'Europe  positiviste  et  bourgeoise  au  pouvoir  ne  réa- 
liserait plus,  partaient  avec  i>/ie  ensevelir  dans  les  solitudes  majestueuses 
d'Amérique,  l'inutile  grandeur  de  leur  noblesse  que  les  monarchies  vieilles 
avaient  jadis  couronnée,  et  dont  les  républiques  ascendantes  décapitaient 
un  à  un  les  fleurons  pour  y  grefler  çà  et  là  l'audacieuse  cocarde,  —  co- 
quelicot sanglant  dont  la  tige  débordante  de  vie  plongeait,  depuis  1795, 
dans  le  champ  même  de  la  mort. 

Cependant,  au  milieu  de  l'orage  tout  au  plus  assoupi  de  la  première 
Révolution  que  le  poignard  de  Louvel  ou  les  pamphlets  de  Kotzebuë 
menaçaient  à  chaque  instant  de  faire  sourdre,  comme  d'une  outre  mal 
rempHe  du  sang  des  rois  et  des  malédictions  des  peuples;  sous  le  para- 
pluie de  Talleyrand  où  le  premier  quart  de  ce  siècle  avait  craché  de 
dégoût,  et  à  l'abri  duquel  ce  dernier  des  évêques  assermentés  tenait 
l'avant-dernier  des  Bourbons  non  constitutionnels  ;  loin  de  Paris  et  loin 
de  Vienne,  où  la  papauté,  tour  à  tour  exilée,  avait  laissé  le  souvenir 
et  l'exemple  néfaste  de  l'autorité  la  plus  auguste  que  les  monarques  aient 
osé  ébranler,  comme  pour  apprendre  au  monde  à  ébranler  la  leur  quand 
il  voudrait  ;  les  papes  étaient  enfin  rentrés  à  Rome,  et  aux  murs  réparés 
de  leur  ancienne  capitale  ils  avaient  restauré  leur  vieux  nid.  Ce  fut  vers 


IN   ROMANTIQUE   DE    1830. 


79 


cette  époque  que  Léon  Xll,  appelé  à  la  pénible  succession  de  Pie  VII. 
accueillit  dans  ses  murs  Giuseppe  eGioacchino  Pccci,  pour  envoyer  l'aîné 
au  noviciat  des  Jésuites  et  le  cadet  au  Collège  Romain,  où  ils  conti- 
nueraient leurs  études. 

Dans  cette  Rome  où  rien  ne  change  de  ce  qui  fut  installé  une  fois  pour 
en  partager  à  tout  jamais,  avec  ses  antiques  palais  et  ses  ruines  restau- 
rées, les  années  éternelles,  le  Collège  Romain  est  un  des  legs  des  siècles 
passés  que  les  siècles  futurs  changeront  le  moins  peut-être.  Aujourd'hui, 
comme  au  jour  où  Gioacchino  Pecci  y  entra  et  comme  aux  âges  antérieurs 
où  y  furent  admis  les  premiers  étudiants  que  Jules  111  appela  d'Alle- 
magne pour  y  apprendre  les  Institutiones  theologicœ  (\m  serviraient  de 
réfutation  aux  Uriefe  et  aux  Tischreden  de  Luther,  c'est  encore,  sous  ces 
cloîtres  de  l'école  germanique,  la  grossière  et  géniale  mémoire  du  moine 
défroqué  d'Eisenach  qui  circule,  semblant  donner  toujours  aux  vieux 
piliers  de  ce  collège  la  force  inébranlable  de  leur  masse,  contre  laquelle 
trois  siècles  de  durs  assauts  n'ont  rien  pu.  Luther  est  loin  déjà,  dans  la 
poussière  de  son  tombeau  déshonoré.  Comme  un  souvenir  de  la  lé^^ion 
d'étudiants  que  les  pays  du  Nord  embrigadèrent  ici,  pour  les  lancer 
contre  ces  chanteurs  de  choral  et  ces  buveurs  de  bière,  —  Mélanchtonet 
Jean  Rockold  rabattant  à  coup  de  chopes  la  poussière  des  manuscrits  et 
la  sueur  des  prêches,  —  la  robe  rouge  de  ces  mêmes  Allemands  circule 
aujourd'hui  sous  ce  cloître.  Hôtes  premiers  d'une  école  qui  ne  fut  créée 
que  pour  eux,  ils  se  sont  faits  les  hôteliers  des  autres  étudiants  interna- 
tionaux qui,  depuis  que  le  pamphlétaire  de  la  Warlbourg  ne  compte  plus, 
viennent  ramasser  sous  ce  toit  des  armes  vieilles  qu'ils  utiliseront  encore 
avec  honneur  pour  de  nouvelles  batailles*.  Quand  les  étudiants  romains 

1.  Le  Collège  Romain  fut  fon«lé  par  Ignace  de  Loyola.  Il  eut,  pour  premier  cardi- 
nal protecteur,  Giovanni  Moroni  alors  légat  apostolique  en  Germanie.  En  1552  le 
pape  Jules  III  assigna  à  celle  première  Université  de  l'Étal  Pontilical  une  rente 
annuelle  de  500  écus,  sur  sa  cassette  personnelle.  Avec  la  cliarité  des  autres  cardi- 
naux, la  rente  pontificale  lut  portée  à  la  somme  de  5,005  écus,  et  le  Bref  du  51  août 
1552  confia  la  direction  du  Collège  aux  PP.  Jésuites.  —  Sous  Pie  IV,  les  fonds  étant 
épuisés,  les  étudiants  se  dispersèrent  dans  les  autres  collèges  de  la  ville  et  ne  revin- 
rent en  communauté  qu'en  1575,  sous  le  [wnlificat  de  Grégoire  XIII,  qui  assura  la 
rente  de  10,000  écus,  pour  l'entretien  de  158  allemands,  dont  30  hongrois.  La  vacance 
des  prébendes  des  chanoines  fut  affectée,  en  outre,  à  rcntrclicn  du  Collège  ;  et  Sixte  V 
y  ajouta,  de.  concessione  perpétua,  la  redevance  des  500  écus  d'or  payés  par  les  cardi- 
naux pour  l'achat  de  leur  anneau.  Le  pape  dota  aussi  le  Collège  Komain  de  sa  villa 
de  campagne  appelée  la  Pariola  et  de  quelques  autres  privilèges,  entre  autres,  celui 
du  prône  qu'à  la  Toussaint,  pendant  la  messe  de  la  chapelle  pontificale,  un  élève  du 
Collège  Romain  prononce  devant  le  Souverain  Pontife,  en  chape  ;>art«a3ia  et  en  bareUc 
rouge.  Les  étudiants  du  Collège  Romain  ont  aussi  la  charge  du  baldaquin  pontifical 
qu'ils  portent,  depuis  la  salle  Royale  jusqu'au  vestibule  de  Saint-Pierre,  quand  le  Pape 
descend  en  funzione.  Le  Collège  Romain,  supprimé  en  1777  en  même  temps  que  la 


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de  l'avenir  répondront  encore  aux  attaques  de  leurs  détracteurs  mal 
informés,  où  seront  les  passagères  diatribes  de  la  valeur  de  celle  que 
Stendhal  a  insérée  dans  ses  Promenades  de  Home  et  que,  en  toute 
impartialité,  nous  reproduisons  ici  :  «  A  coté  de  l'église  des  Jésuites  est 
le  Collège  Romain.  Vous  me  prendriez  pour  un  satirique  bilieux  et  mal- 
heureux, si  je  vous  expliquais  le  genre  des  vérités  qu'on  y  enseigne.  Je 
crois  qu'il  a  fallu  une  bulle  pour  permettre  d'y  exposer,  mais  seulement 
comme  une  hxpolhèse,  le  système  qui  prétend  que  la  terre  tourne  au- 
tour du  soleiL  Josué  n'a-t-il  pas  dit  :  «  Sta  sol,  soleil  arrète-toi?  »  De  1j, 
cette  fameuse  persécution  de  Galilée  sur  laquelle  on  ment,  même  aujour- 
d'hui, en  1829.  La  vérité  ne  se  trouve  que  dans  deux  gros  volumes  in-i' 
imprimés  autrefois  et  ([ui  n'ont  été  mis  en  vente  qu'il  y  a  peu  d'années, 
à  Florence.  Je  les  ai  trouvés  chez  M.  Vieusseux,  libraire  et  homme 
d'esprit,  éditeur  de  VAnlologia,  le  meilleur  journal  d'Italie*.  Cette  revue 
est  soumise  à  la  censure,  mais  en  revanche  elle  est  écrite  avec  conscience, 
chose  unique  peut-être  sur  le  continent.  Au  CoUegto  RomanOj  on  nous 
a  montré  une  collection  complète  des  as  romains.  Comme  nous  faisions 
la  conversation  en  véritables  bonnes  gens  et  que  nous  avions  souvent 
parlé  del  gran  Parigi,  un  de  nos  guides  nous  a  fait  des  histoires  à  son 
tour.  Sa  méfiance  romaine  s'est  adoucie  parce  que  nous  sommes  Français. 
—  C'est  ici,  nous  a-t-il  dit,  qu'a  été  élevé  le  jeune  Marchesino  délia  Gcnga, 
depuis  Léon  XII.  Dans  ce  collège,  continue  notre  guide,  un  homme  fort 
habile  prédit  au  jeune  Marchesino,  alors  assez  pauvre,  que,  par  la  suite,  il 
serait  pape.  Voici  pourquoi.  Les  enfants  faisaient  une  procession,  àl'insu 
des  professeurs;  ils  portaient  sur  un  brancard  la  statue  de  la  Madone. 
Le  Marchesino  délia  Genga,  ayant  une  figure  belle  comme  celle  d'une 
femme,  avait  été  choisi  pour  remplir  le  rôle  de  la  Madone.  Tout  à  coup, 
on  entend  venir  un  professeur;  les  élèves  qui  portaient  le  brancard 
prennent  la  fuite,  et  la  Vierge  tombe.  D'après  certaines  règles  de  prédic- 
tion connues  de  tout  le  monde,  à  Rome,  et  qui  furent  apppliquées  par 
l'homme  habile,  le  lendemain  chacun  dit  dans  le  Collège  que  l'écolier 
qui  était  tombé  du  brancard,  en  faisant  le  rôle  de  la  Madone,  serait  un 
jour  pape. 

Compagnie  de  Jésus,  ne  rentra  qu'en  1820  dans  ses  immeubles  de  Rome  j)our  en  être 
expolié  de  nouveau,  en  1870,  par  les  Piémonlais.  Depuis  ceUc  dale,  l'Université 
Romaine  se  réunit,  pour  ses  cours  de  philosophie  et  de  théologie,  au  Collège  Ger- 
manique dont  les  étudiants  revêtent  la  soutane  rouge. 

1.  Si  Stendhal  avait  patienté  jusqu'en  1835,  —  dale  où,  après  201  ans  d'examen, 
les  ouvrages  de  Galilée  et  de  Copernic  furent  enfin  effacés  du  catal(^e  de  V Index 
librorum  prohibilorum, —  il  se  serait  dispensé  de  faire  cette  réflexion  aujourd'hui 
inexacte.  .    . 


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inlormés,  oii  seront  les  passagères  diatribes  de  la  valeur  de  celle  (|ue 
Stendhal  a  insérée  dans  ses  Prouiouides  de  Home  et  (|ue,  en  toute 
impartialité,  nous  reproduisons  ici  :  «  A  coté  de  l'église  des  Jésuites  est 
le  Collège  Romain.  Vous  me  prendriez  pour  un  satirique  Inlieux  et  mal- 
heureux, si  je  vous  expliquais  le  genre  des  vérités  qu'on  y  enseigne.  Je 
crois([u'ila  fallu  une  huile  pour  permettre  d'y  exposer,  mais  seulement 
comme  une  hypothèse,  le  système  «jui  prétend  <|ue  la  terre  tourne  ai:- 
lour  du  soleil.  Josué  n'a-t-il  pas  dit  :  «  Sta  sol,  soleil  arréte-toi?  »  De  1j, 
cette  fameuse  persécution  de  Galilée  surhupielle  on  ment,  même  aujour- 
d'hui, en  IS*21>.  La  vérité  ne  se  trouve  que  dans  deux  gros  volumes  in-i" 
imprimés  autrefois  et  (|ui  n'ont  été  mis  en  vente  qu'il  y  a  peu  d'années, 
il  Florence.  Je  les  ai  trouvés  chez  M.  Vieussenx,  libraire  et  homme 
d'esprit,  éditeur  de  YAHloloifin,  le  meilleur  journal  d'Italie',  (lelte  revue 
est  soumise  à  la  censure,  mais  en  revanche  elle  est  écrite  avec  conscience, 
chose  uni(|ue  peut-être  sur  le  continent.  Au  ('j)lle(jio  Roniano,  on  nous 
a  montré  une  collection  complète  des  a^  romains.  Comme  nous  faisions 
la  conversation  en  véritables  bonnes  gens  et  que  nous  avions  souvent 
parlé  del  gran  l*arigi,  un  de  nos  guides  nous  a  fait  des  histoires  à  son 
tour.  Sa  méfiance  romaine  s'est  adoucie  parce  que  nous  sommes  Français. 
—  C'est  ici,  nous  a-t-il  dit,  qu'a  été  élevé  le  jeune  Marchesino  délia  Genga, 
depuis  Léon  XII.  Dans  ce  collège,  continue  notre  guide,  un  homme  fort 
habile  prédit  au  jeune  Marchesino,  alors  assez  pauvre,  que,  par  la  suite,  il 
serait  pape.  Voici  pourquoi.  Les  enfants  faisaient  une  procession,  à  l'insu 
des  professeurs;  ils  portaient  sur  un  brancard  la  statue  de  la  Madone. 
Le  Marchesino  délia  Genga,  ayant  une  figure  belle  comme  celle  d'une 
femme,  avait  été  choisi  pour  remplir  le  rôle  de  la  Madone.  Tout  à  coup, 
on  entend  venir  un  professeur;  les  élèves  (|ui  portaient  le  brancard 
prennent  la  fuite,  et  la  Vierge  tombe.  D'après  certaines  règles  de  prédic- 
tion connues  de  tout  le  monde,  à  Konie,  et  qui  furent  apppliijuées  par 
l'homme  habile,  le  lendemain  chacun  dit  dans  le  Collège  que  l'e'colier 
qui  était  tombé  du  brancard,  en  faisant  le  rôle  de  la  Madone,  serait  un 
jour  pape. 


Compagnie  de  Jésus,  ne  renira  qu'en  18*20  dans  ses  imnieul)Ies  de  Rome  pour  en  être 
expolié  de  nouveau,  en  1870,  par  les  l'iémontais.  Depuis  celte  date,  l'Université 
domaine  se  réunit,  pour  ses  cours  de  pliilusopliie  et  de  théologie,  au  Collège  Ger- 
manique dont  les  étudiants  révèlent  ta  soutane  rouge. 

1.  Si  Stendhal  avait  patienté  jusqu'en  1835,  —  date  où,  après  201  ans  d'examen, 
les  ouvrages  de  Galilée  et  de  Copernic  furent  enlin  clFacés  du  catalogue  de  l'Index 
lihrorum  prohibiloriniiy —  il  se  serait  dispensé  de  faire  cette  réllexion  aujourd'hui 
inexacte. 


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L'N   ROMANTIQUE   DE    1850. 


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«  Cette  histoire  nous  a  coûté  quatre  paoli  et  vous  semblera  ridicule 
par  son  importance,  si,  lorsque  vous  la  lirez  Léon  XII  n'est  plus  pape*.  » 

N'en  déplaise  à  l'ironiste  Stendhal,  et  même  à  l'époque  où  Beyie 
écrivait  ces  lignes  injustifiées  et  oîi  le  pacifique  Léon  XII  régnait,  — 
ce  fut  dans  celle  école  de  hautes  Iradilions  Ihéologiques,  que  notre 
Gioacchino  compléta  ses  études  classiques.  11  y  avait  obtenu  tous  ses 
grades  universitaires  et  allait  aborder  l'étude  de  la  théologie,  lorsque. 


Manzoni. 

incertain  encore  de  sa  vocation,  il  leva  la  tète  pour  interroger  mélancoli- 
quement le  ciel  de  sa  patrie. 

C'était  un  ciel  encore  sombre  et  bas  oîi  le  soleil,  promis  depuis  trente 
ans  aux  libertés  italiennes,  avait  peine  à  paraître.  Sous  ce  ciel  éploré  oà 
le  printemps  du  xix®  siècle  av.lit  pourtant  sonné  à  l'horloge  de  Dieu,  sans 
que  les  hommes  en  annonçassent  encore  les  fleurs  promises  qui  n'étaient 
pas  écloses,  seule  la  voix  du  Leopardi  avait  osé  se  faire  entendre  devant 
les  arcs  et  les  colonnes  des  aïeux  que  ne  couronnaient  plus,  hélas!  les 
lauriers  des  victoires  antiques.  La  liberté,  captive  sous  les  plombs  de 

1.  Cf.  Stendhal,  Promenades  dans  Rome^  t.  I,  p.  159. 


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LA   PRÉLATURE   DE   LÉON   XIIL 


Venise,  n'était  sortie  de  son  cachot  que  pour  raconter  ses  Prisons  avec 
Tâme  attendrie  et  brisée  d'un  Pellico.  Bologne  s'insurgeait.  Pérouse  et  la 
Romagne,  s'affranchissant  de  l'autorité  des  papes,  tendaient  à  l'étranger 
des  mains  avides  du  fardeau  qui  ne  les  accablerait  que  trop  vite.  Et  plus 
loin  que  l'horizon  italien  dont  rAutricho,  la  geôlière,  bornait  le  triste 
espace  avec  ses  despotiques  chaînes,  là-bas,  au  pays  de  1789  où  la  liberté 
attendue  avait  promis  sa  renaissance  et  son  secours  à  tous  les  peuples 
opprimés  de  l'Europe,  que  voyait-on?  Le  parapluie  de  Talleyrand,  usé 
cette  fois  jusqu'à  la  trame,  devenait  impuissant  à  protéger  la  chutiî  de 
son  maître  royal  et  impopulaire;  et,  durant  ces  journées  de  Juillet,  dont 
on  pressentait  déjà  le  grondant  orage,  un  bourgeois,  —  n)aître  de  la 
France,  —  y  ferait  couronner  en  sa  bonhommesque  personne  le  premier 
roi  constitutionnel  et  le  dernier  aussi.  Son  arme  ou  sceptre  serait  encore 
le  parapluie  de  Talleyrand,  tout  au  plus  recouvert,  sous  lequel  s'abaisse- 
rait dix-huit  ans  encore  le  fusil  à  pierre  des  gloires  nationales  où  brûler, 
avec  des  airs  de  conquérants  sans  rivaux,  par-ci  par-là,  un  peu  de 
poudre  d'escampette.  La  royauté  constitutionnelle  et  bourgeoise  n'aurait 
plus  qu'à  cultiver  ses  poires;  mission  à  laquelle  se  garderait  de  faillir 
Louis-Philippe,  nommé  roi  des  Français,  à  l'unanimité  des  maréchaux  et 
des  maraîchers  du  royaume.  Ainsi  la  monarchie  subissait  sa  dernière 
transformation,  en  date  d'histoire  et  en  période  d'atavisme  ;  et  ceux  qui 
purent  voir  plus  loin  que  les  poiriers  de  leur  jardin,  se  demandaient  déjà 
anxieusement  quelle  chose  grande  ou  petite  celte  génération,  appelée  à 
cultiver  cette  terre,  allait  faire  germer  sur  des  espaliers  si  amoindris  ;  à 
moins  qu'un  souffle  révolutionnaire,  plus  salutaire  ou  plus  dévastateur 
que  le  précédent,  ne  se  chargeât  de  préparer  à  la  régnante  bourgeoisie 
tout  autre  chose  que  des  poires,  pour  ses  dernières  récolles .  La  polili(|ue 
entrait  dorénavant  pour  une  trop  grande  part  dans  l'essence  vitale  des 
sociétés  contemporaines,  et  l'esprit  de  Joachim  Pecci  se  sentait  trop 
admirablement  porté  vers  elle  pour  qu'à  l'étude  de  la  théologie,  qui 
formerait  en  lui  le  prêtre  de  demain,  il  ne  voulût  ajouter  celle  de 
la  diplomatie  où  le  politicien  futur  s'apprendrait,  dès  la  jeunesse,  à 
gouverner  les  hommes  avec  la  sagesse  d'un  maître  et  l'expérience  d'un 
vieillard. 

Déjà  étudiant  au  Collège  Romain,  Pecci  n'eut  de  repos  qu'après  s'être 
fait  admettre  comme  pensionnaire  à  l'Académie  Noble,  pour  apprendre 
à  celte  école  diplomatique,  —  la  première  du  monde  peut-être,  —  la 
science  des  Cours,  d'autant  plus  difficile  qu'on  y  voudra  réussir  avec  plus 
d'habileté  que  de  ruse,  plus  de  finesse  que  de  rouerie,  plus  de  noblesse 
i[\u  de  titres,  et  de  qu  dites  (jue  de  quahté  ;  là  enfin  où  il  est  plus  aisé 


N'1 


UN    ROMANTIQUE    DE    1830.  83 

d'arriver  que  d'aboulir,  et  moins  facile  de  rapporter  d'une  négociation 
heureuse  un  beau  caractère  sans  entaille  qu'une  bonne  fortune  sans 
retenue.  La  di|)lomatie  romaine  est,  entre  toutes,  la  plus  difficultueuse 
parce  (|ue  ses  chargés  d'affaires,  envoyés  dans  les  Cours  étrangères  pour 
y  défendre  ses  prérogatives  plutôt  morales  que  matérielles,  risquent 
d'autant  mieux  de  perdre  pied  sur  le  terrain  où  ils  marchent  que  ce 
terrain  ne  compte  pas,  comme  bien-fonds.  Aux  attaques  de  leurs  adver- 
saires sur  champ  profane,  ils  ne  peuvent  répondre  que  par  des  béné- 
dictions sur  champ  sacré.  Si  les  armes  des  plénipotentiaires  de  la  terre 
sont  de  fer,  celles  des  envoyés  du  ciel  sont  de  souffle.  A  la  matérialité 
des  premiers,  il  n'y  a  opposer  que  l'immatérialité  des  seconds.  Les  uns 
luttent  toujours  couverts,  tandis  que  c'est  à  découvert  que  combattent 
les  autres.  Mais  c'est  à  cet  exercice  même  de  la  diplomatie  romaine,  dans 
le  vague  de  ses  imperceptibles  formes  et  dans  l'insaisissable  de  ses  man- 
dats spirituels,  que  ses  délégués  acquièrent  cette  souplesse  de  pensée  et 
développent  cette  légèreté  d'évolution  qui  en  font  des  hommes  supérieurs 
quand  ils  ne  sont  (jue  remarquables,  et  des  maîtres  de  premier  ordre 
(luand  ils  sont  seulement  écoutés.  C'est  l'éternel  triomphe  des  âmes  sur 
les  corps  et  des  esprits  sur  les  matières,  qui  sera  réservé  de  tout  temps 
à  celle  politique  romaine,  quand  ses  maîtres  sauront  l'imposer  à  force 
d'adresse  et  de  constance,  à  telle  ou  telle  période  de  l'histoire  des  peuples 
(lui  seront,  par  elle  et  malgré  eux,  dominés,  transformés,  améliorés, 
sauvés. 

A  cette  haute  école  de  gouvernement,  où  notre  futur  politicien  acquerra 
en  quelques  années  d'études  les  admirables  qualités  d'homme  d'État 
que  les  événements  développeront  ensuite  et  qui  déjà  le  font  briUer  au 
premier  rang  de  ses  nobles  collègues,  on  aime,  dans  VÉpistolaire  de 
Joachim  Pecci  qui  se  rapporte  à  cette  époque,  observer  ses  évolutions 
aussi  habiles  qu'honorables,  devant  les  hommes  qu'il  ne  se  décide  pas 
encore  à  servir,  et  devant  Dieu  aussi  dont  il  n'accepte  pas  d'être  encore 
le  prêtre.  La  jeunesse  est  si  courte,  et  si  longue  sera  la  vie  de  ce  grand 
serviteur  des  hommes  et  de  Dieu  ! 

Il  était  beau  de  visage,  avec  une  arête  faciale  très  longue  qui  dévelop- 
pait son  front  fuyant,  son  nez  droit  et  fin,  sa  bouche  grande,  son  men- 
ton fort,  et  qui  faisait  de  ce  visage  de  vingt  ans  l'image  de  l'intelligence 
la  plus  ouverte  et  de  la  plus  rare  distinction.  Le  corps  fûté  du  dameret 
allait  à  l'avenant  du  visage,  par  sa  stature  plus  qu'ordinaire  et  sa  parti- 
culière sveltesse;  en  sorte  que  le  colonel  son  père,  rêvant  un  avenir  à  son 
fils,  avait  dû  certes  regretter  l'Empire  et  ses  officiers  chamarrés  dont 
messire  Gioacchino  aurait  porté  si  galamment  les  brillants  uniformes. 


84 


LA   PRÉLATURE   DE   LÉON   XIH. 


Mais  les  salons  de  Rome  ne  restaient-ils  pas,  comme  terrain  de  conquêtes 
moins  épiques,  sans  doute,  mais  moins  périlleuses  aussi?  Le  colonel  Pecci 
y  aurait  volontiers  introduit  son  beau  Vincent,  dont  le  prénom  annonçait 
des  victoires  au  feu  desquelles  brillaient  déjà  des  yeux  si  doux.  Mais,  dès 
la  porte,  en  dépit  de  son  père  désappointé,  Gioacchino  ne  triompha  pas 
même  du  bâillement  d'ennui  <|u'il  élouiïa  pourtant  avec  politesse  dans 


Mme  de  StaôL 

son  mouchoir  de  comte.  Au  milieu  de  cette  Cosmopolis  de  1830,  il 
cherchait  Rome  dans  ses  propres  foyers  et  n'y  trouvait  qu'un  faubourg 
de  Paris.  Par  la  porte  oîi  lord  Byron  venait  de  sortir  en  demi-dieu  pour 
s'en  aller  mourir  à  Missolonghi  avec  les  derniers  Grecs  et  leurs  dernières 
libertés.  Chateaubriand  était  entré  en  dieu  complet,  cette  fois.  Au  char 
du  revenant,  Mme  de  Staël  et  Mme  Récamier,  nymphes  retardataires  d'un 
paganisme  usé  qui  se  fardait  de  blanc  aux  cendres  mêmes  des  anciens 
dieux  finis,  s'étaient  également  attelées  en  sibylles  mûries,  pour  promener 
dans  la  classique  péninsule  le  grand  vieillard,  astre  tombant  qui,  lui 


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UiN   ROMANTIQUE   DE    1850. 


85 


aussi,  allait  finir.  Dans  ces  salons  parisiennant  ou  anglicisant,  avec  un 
bout  d'accent  romain,  seule  vivait  l'àme  inutile  d'un  Manfred,d'un  Lara, 
d'un  Cliild  Harold,  d'un  René,  d'un  Atala,  d'un  Natchez:  autant  de 
Scandinaves  héroïques,  qui  se  seraient  avantageusement  battus  contre  les 
brouillards  delà  VValhalla;  autant  de  poétiques  Indiens,  dont  la  vie 
romanesque  eût  suffi  à  peupler  les  déserts  d'Amérique;  mais  à  donner  un 
jour  de  plus  à  la  liberté  moribonde  qui  agonisait  aux  quatre  coins  de 
l'Europe  asservie,  non  plus  aristocrate  mais  bourgeoise,  que  non  pas! 

Nous  ne  saurions  mieux  nous  représenter  la  société  romaine,  a  l'heure 
ou  Joachim  Pecci  allait  la  fréquenter  pour  son  compte,  qu'en  empruntant 
à  Chateaubriand  ses  personnelles  impressions  sur  un  monde  que,  vers 
cette  époque,  notre  ambassadeur  était  venu  visiter  pour  la  deuxième 
fois*.  ((  Sa  Sainteté,  écrit-il  à  Mme  Récamier,  le  11  octobre  1828,  me 
reçoit  en  audience  privée;  les  audiences  publiques  ne  sont  plus  d'usage  et 
coûtent  trop  cher.  Léon  Xll,  prince  d'une  grande  taille  et  d'un  air  à  la 
fois  serein  et  triste,  est  vêtu  d'une  simple  soutane  blanche;  il  n'a  aucun 
faste  et  se  tient  dans  un  cabinet  pauvre,  presque  sans  meubles.  Il  ne 
mange  presque  pas;  il  vil  avec  son  chat,  d'un  peu  de  polenta.  Il  se  sait 
très  malade  et  se  voit  dépérir  avec  une  résignation  qui  lient  de  la  joie 
chrétienne;  il  mettrait  volontiers,  comme  Benoît  XIV,  son  cercueil  sous 
son  lit.  Arrivéàla  j)orte  des  apparli'menls  du  pape,  un  abbé  me  conduit 
|)ar  des  corridors  noirs  jusqu'au  refuge  ou  au  sanctuaire  de  Sa  Sainteté. 
Klle  ne  se  donne  pas  le  temps  de  s'habiller,  de  pour  de  me  faire  attendre  ; 
elle  se  lève,  vient  au-devant  de  moi,  ne  me  permet  jamais  de  mettre  un 
genou  en  terre  pour  baiser  le  bas  de  sa  robe  au  lieu  de  sa  mule,  et  me 
conduit  par  la  main  jusqu'au  siège  placé  à  droite  de  son  indigent  fauteuil. 
xVssis,  nous  causons. 

Le  lundi,  je  me  rends,  à  sept  heures  du  matin,  chez  le  Secrétaire  d'Etal 
liernetti,  homme  d'alfaires  et  de  plaisirs.  Il  est  lié  avec  la  princesse 
Doria*;  il  connaît  le  siècle  et  n'a  accepté  le  chapeau  de  cardinal  qu'à  son 

1.  Le  premier  st'jour  de  Clialeaiibriand  à  Rome  rcmoiilailà  1802  et  au  secrétariat 
irambassade  que  lui  avait  con(î«'  Napoléon  l"  auprès  du  cardinal  Fescli,  oncle  du 
Consul. 

2.  Le  cardinal  Berneiti  n'clail  pas  plus  lie  que  les  convenances  ne  le  permetlaicnt, 
s'il  faut  en  croire  l'anecdote  suivante  que  David  Silvagni  rapporte  dans  sa  Corte  r 
Sncielà  romana,  t.  III,  p.  157  :  «  Un  jour,  le  gros  marcliaiid  Cogiati  mit  en  vente 
un  de  ces  châles  turcs  dits  à  quatre  doubles,  parce  qu'ils  pouvaient  se  replier  quatre 
fois  et  conserver  leur  forme  de  carré  parlait  Ce  cliàlc  élail,  en  outre,  d'un  lainage  si 
souple,  qu'il  |>ouvail  passer  par  un  anneau  de  femme.  Tel  quel,  il  plut  à  la  princesse 
Theresa  Orsini,  femme  du  prince  Don  Louis  Doria.  Celle-c  i  l'aurait  même  acheté  si  elle 
n'en  avait  trouve  trop  élevé  le  prix  que  le  marchand  en  demandait,  soit  mille  écus. 
Néanmoins,  après  huit  jours  de  réllcxion,  la  princesse  put  dis|K)scr  de  cette  somme  et 
se  présenta  chez  Cogiali  pour  aciieler  le  châle  : 


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LA  PRÉLATURE   DE   LÉON   MIL 


corps  défendant.  Il  a  refusé  d'entrer  dans  l'Église,  n'est  sous-diacre  qu'à 
brevet  et  se  pourrait  marier,  demain,  en  rendant  son  chapeau.  II  croit  à 
des  révolutions  et  va  jusqu'à  penser  que,  si  sa  vie  est  longue,  il  a  des 
chances  de  voir  la  chute  temporelle  de  la  papauté. 

Les  cardinaux  sont  partagés  en  trois  factions. 

La  première  se  compose  de  ceux  qui  cherchent  à  marcher  avec  le 
temps,  parmi  lesquels  se  rangent  Benvenuti  et  Oppizzoni.  Benvenuti 
s'est  rendu  célèbre  par  l'extirpation  du  hrigandage  et  sa  mission  à 
Ravenne,  après  le  cardinal  Rivarola.  Oppizzoni,  archevêque  de  Bologne, 
s'est  concilié  les  diverses  o[)inions  dans  cette  ville  industrielle  et  litté- 
raire, difficile  à  gouverner.  —  La  seconde  faction  se  forme  des  zelanti 
qui  tentent  de  rétrograder.  Un  de  leurs  chefs  est  le  cardinal  Odescalchi. 
—  Enfin,  la  troisième  faction  comprend  les  immobiles,  vieillards  qui 
ne  veulent  ou  ne  |»euvent  aller,  ni  en  avant,  ni  en  arrière.  Parmi  ces 
vieux,  on  trouve  le  cardinal  Viduni,  espèce  de  gendarme  du  Traité  de 
Tolentino,  gros  et  grand,  visage  allumé,  calotte  de  travers.  Quand  on 
lui  dit  qu'il  a  des  chances  à  la  j)apauté,  il  répond  :  Lo  Santo  Spinto 
sarebbe  diinque  ubriaco?  Il  plante  des  arbres  à  Ponte-Molle,  oîi  Cons- 
tantin fit  le  monde  chrétien.  Je  vois  ces  arbres  lorsque  je  sors  de  Rome 
par  la  Porte  du  Peuple,  pour  rentrer  par  la  Porte  Angélique.  Du  plus 
loin  qu'il  m'aperçoit,  le  cardinal  me  crie  :Ali!  ait!  siynor  ambascia^ 
dore  di  Francia!  puis  il  s'emporte  contre  les  jdanteurs  de  ses  pins. 
Il  ne  sait  point  l'étiquette  cardinaliste;  il  se  fait  accompagner  par  un 
seul  laquais,  dans  une  voiture  à  sa  guise.  On  lui  pardonne  tout,  en 
l'appelant  : 

—  Princesse,  j'ai  le  regret  de  ne  pouvoir  vous  satisfaire,  mais  le  châle  est  vciniii, 
lui  répondit  Cogiati. 

—  Vendu?  dit  la  princesse  Don'a  élonnéc.  Et  à  qîii  donc? 

—  A  Gigia  Benucci. 

—  Qui  est-ce  que  Gigia  Benucci  ? 

—  C'est  la  Icmme  d'un  rédacteur  à  la  Chambre  Apostolique  (Ministère  des  Finances). 

—  Un  grand  messirc,  sans  doute  ? 

—  Mais  non,  répondit  Cogiati.  C'est  un  employé,  tout  simplement. 

La  princesssî  ne  pouvant  plus  calmer  sa  bile  ordonna  sur-le-champ  au  cocher  de  la 
conduire  au  Vatican,  chez  le  cardinal  Bernctti,  secrétaire  d't  ta  t.  L'Éminencc.  ayant  fait 
aussitôt  entrer  sa  visiteuse,  demeura  stupéfait  en  entendant  la  princesse  Doria  solli- 
citer un  emploi  pour  le  prince  son  mari  : 

—  Sans  doute,  Émincnce  !  ajoufa-t-elle.  Est-ce  que,  pendant  que  le  prince  Doria 
hésitait  à  acheter  un  châle  de  la  valeur  de  mille  écus,  un  simple  gratte-papier  minis- 
tériel n'en  a  pas  fait  l'empleltc  jx)ur  sa  femme? 

L'affaire  fut  connue  et  lit  du  bruit.  La  princesse  Doria  eut  même  à  se  repentir  tle 
sa  mauvaise  humeur;  car  elle  laissait  croire  qu'elle  dominait  BerneUi,  comme  elle 
avait  précédemment  dominé  Zurla.  Le  caricaturiste  Borcelli  (ît  circuler  un  dessin  où  la 
princesse  Doria  était  représentée  avec  une  bourse  à  la  main  d'où  sortaient  les  deux 
têtes  des  deux  cardinaux  désignés  plus  haut.  » 


4 


UN    ROMANTIQUE    DE    1850. 


87 


—  Madama  Vidoni. 

Mes  collègues  d'ambassade  sont  le  comte  Lutzow,  ambassadeur  d'Au 
triche,  homme  j)oli  ;  sa  femme  chante  bien,  toujours  le  même  air,  et 
|)arle  toujours  de  ses  petits  enfants;  le  savant  baron  Bunsen,  ministre 
de  Prusse  et  ami  de  l'hislorien  Niehbur;  le  ministre  de  Russie,  prince 
Gagarin,  exilé  dans  les  grandeurs  passées  de  Rome  pour  des  grandeurs 
évanouies  :  s'il  fut  préféré  par  la  belle  Mme  Narischkine,  il  y  aurait 
donc  un  charme  dans  la  mauvaise  humeur.  On  domine  plus  par  ses 
défauts  <jue  par  ses  qualités. 

M.  de  Labrador,  ambassadeur  d'Espagne,  homme  fidèle,  parle  peu, 
se  promène  seul,  pense  beaucoup  ou  ne  pense  point,  ce  que  je  ne  sais 
démêler. 

Le  vieux  comte  Fuscaldo  représente  Naples,  comme  l'hiver  représente 
le  printemps.  Il  a  une  grande  pancarte  de  carton  sur  laquelle  il  étudie 
avec  des  lunettes,  non  les  champs  de  roses  de  Pœstum,  mais  les  noms 
des  étrangers  suspects  dont  il  ne  doit  pas  viser  les  passeports.  J'envie 
son  palais  Farnèse,  admirable  structure  inachevée  que  Michel-Ange 
couronna,  que  peignit  Annihal  Carrache  aidé  d'Augustin  son  IVère,  et 
sous  le  portique  duquel  s'abrite  le  sarcophage  de  Cx'cilia  Metella,  qui 
n'a  rien  perdu  au  changement  de  mausolée. 

Le  comte  de  Celles,  ambassadeur  du  roi  des  Pays-Bas,  avait  épousé 
Mlle  de  Valence,  aujourd'hui  morte  :  il  en  a  deux  filles  qui,  par  consé- 
quent, sont  petites-filles  de  Mme  de  Genlis.  M.  de  Celles  est  resté  préfet, 
parce  qu'il  l'a  été  ;  caractère  mêlé  du  loquace,  du  tyranneau,  du  recru- 
teur et  de  l'intendant,  qu'on  ne  perd  jamais.  Si  vous  rencontrez  un 
homme  qui,  au  lieu  d'arpents,  de  toises  et  de  pieds,  vous  parle  d'hec- 
tares, de  mètres  et  de  décimètres,  vous  avez  mis  la  main  sur  un  préfet. 

M.  de  Funchal,  ambassadeur  demi-avoué  du  Portugal,  est  ragotin, 
agité,  grimacier,  vert  comme  un  singe  du  Brésil  et  jaune  comme  une 
orange  de  Lislmnne.  11  chante  pourtant  sa  négresse,  ce  nouveau  Camoens. 
Grand  amateur  de  musique,  il  tient  à  sa  solde  une  espèce  de  Paganini, 
en  attendant  la  restauration  de  son  roi. 

Par-ci,  par-là,  j'ai  entrevu  de  petits  finauds  de  ministres  de  divers 
petits  Etats,  tous  scandalisés  du  bon  marché  que  je  fais  de  mon  ambas- 
sade. Leur  importance  boulonnée,  gourmée,  silencieuse,  marche  les 
jambes  serrées  et  à  pas  étroits;  elle  a  l'air  prête  à  crever  de  secrets 
qu'elle  ignore. 

Amhassadeur  en  Angleterre  dans  l'année  1822,  je  recherchais  les 
lieux  et  les  hommes  que  j'avais  jadis  connus  à  Londres  en  1755  ;  ambas- 
sadeur auprès  du  Saint-Siège  en  1828,  je  me  suis  hâté  de  parcourir  le 


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LA   PRÉLATURE   DE   LÉON  XIIL 


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paKais  et  los  ruines,  de  redemander  les  personnes  que  j'avais  vues  ù 
Rome  en  I8O0.  Des  palais  et  des  ruines,  j'en  ai  retrouvé  beaucoup;  des 
personnes,  peu.  Le  paLiis  Lancellotti,  autrefois  loué  au  cardinal  Fescli, 
est  maintenant  occupé  par  ses  vrais  maîtres,  le  prince  Lancellotti  et  la 
l)rincesse  Lancellotti,  fille  du  prince  Massimo.  La  maison  où  demeura 
Mme  de  Beaumont,  à  la  Place  d'Espagne,  a  disparu.  Quant  à 
Mme  de  Beaumont,  elle  est  demeurée  dans  son  dernier  asile,  et  j'ai 
prié  avec  le  pape  Léon  Xll  à  sa  tombe. 

Canova  a  pris  également  congé  du  monde.  Je  le  visitai  deux  fois  dans 
son  atelier,  en  1807);  il  me  reçut,  le  maillet  à  la  main.  Il  me  montra, 
de  l'air  le  plus  naïf  et  le  plus  doux,  son  énorme  statue  de  Bonaparte  et 
son  Hercule  lançant  Lycas  dans  les  flots.  Il  tenait  à  vous  convaincre 
qu'il  pouvait  arriver  à  l'énergie  de  la  forme  ;  mais  alors  même  son 
ciseau  se  refusait  à  fouiller  profondément  l'analomie;  la  Nymphe  restait, 
malgré  lui,  dans  les  chairs,  et  l'ilébé  se  retrouvait  sous  les  rides  de  ses 
vieillards.  J'ai  rencontré  sur  ma  roule  le  premier  sculpteur  de  mon 
temps;  il  est  tombé  de  son  échafaud  comme  Goujon  de  l'échafaud  du 
Louvre.  La  mort  est  toujours  là  pour  continuer  la  Saint-Barthélémy 
éternelle,  et  nous  abattre  avec  ses  flèches. 

Les  grands  artistes,  à  leur  grande  époque,  menaient  une  tout  autre 
vie  que  celle  qu'ils  mènent  aujourd'hui.  Attachés  aux  voûtes  du  Vatican, 
aux  parois  de  Saint-Pierre,  aux  murs  de  la  Farnésine,  ils  travaillaient  h 
leurs  chefs-d'œuvre  suspendus  avec  eux  dans  les  airs.  Raphaël  mar- 
chait, environné  de  ses  élèves,  escorté  des  cardinaux  et  des  princes, 
comme  un  sénateur  de  l'ancienne  Bome  suivi  et  devancé  de  ses  clients. 
Charles-Quint  posa  trois  fois  devant  le  Titien  ;  il  ramassait  son  pinceau 
et  lui  cédait  la  droite  à  la  promenade,  de  même  que  François  l^*"  assis- 
tait Léonard  de  Vinci  sur  son  lit  de  mort.  Titien  alla  en  triomphe  à 
Rome;  l'immense  Buonarotti  l'y  reçut  :  à  quatre-vingt-dix-neuf  ans, 
Titien  tenait  encore  d'une  main  ferme,  à  Venise,  son  pinceau  d'un  siècle 
vainqueur  des  siècles.  Le  grand-duc  de  Toscane  fit  déterrer  secrètement 
Michel-Ange,  mort  à  Bome  après  avoir  posé,  à  quatre-vingt-huit  ans, 
le  faîte  de  la  coupole  de  Saint-Pierre  :  Florence,  par  des  obsèques  magni- 
fiques, expia  sur  les  cendres  de  son  grand  peintre  l'abandon  oîi  elle 
avait  laissé  la  poussière  de  Dante,  son  grand  poète.  Vélasquez  visita 
deux  fois  l'Italie,  et  l'Italie  se  leva  deux  fois  pour  le  saluer  :  le  précur- 
seur de  Murillo  reprit  le  chemin  des  Espagnes,  chargé  des  fruits  de 
cette  Hespérie  ausonienne,  qui  s'étaient  détachés  sous  sa  main  :  il 
emporta  un  tableau  de  chacun  des  douze  peintres  les  plus  célèbres  de 
cette  époque.  Ces  fameux  artistes  passaient  leurs  jours  dans  des  aven-* 


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LA   PUÉLATUHE   DE    LÉON   XIIL 


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palais  et  les  ruines,  de  retleniander  les  personnes  (jue  j'avais  vues  a 
Rome  en  180"».  Des  palais  et  des  ruines,  j'en  ai  retrouvé  beaucoup:  des 
pers(mnes,  peu.  Le  palais  Lancellotli,  autrefois  loué  au  cardinal  ^V^ell, 
est  maintenant  occupé  par  ses  vrais  maîtres,  le  prince  Lancellolti  et  la 
(princesse  Lancellotti,  fille  du  prince  Massimo.  La  maison  où  demeura 
Mme  de  Reaumont,  à  la  Place  d'Espaiine,  a  dis[»aru.  Quant  à 
Mme  de  Reaumont,  elle  est  demenn'e  dans  son  dernier  asile,  et  j'ai 
prié  avec  le  pape  Léon  XII  à  sa  tombe. 

(ianova  a  pris  également  congé  du  monde.  Je  le  visilai  deux  fois  dans 
son  atelier,  en  1807);  il  me  reçut,  le  maillet  a  la  main.  Il  me  montra, 
de  l'air  le  plus  naïf  et  le  j)lus  doux,  son  énorme  statue  de  Rona[)arte  et 
son  Hercule  lançant  Lycas  dans  les  Ilots.  II  tenait  à  vous  convaincre 
qu'il  pouvait  arriver  à  l'énergie  de  la  forme;  mais  alors  même  son 
ciseau  se  refusait  à  fouiller  prolondénu^nt  l'analcmiie;  la  Nymplie  restait, 
malgré  lui,  dans  lis  cliairs,  et  fllébé  se  retrouvait  sous  les  rides  de  ses 
vieillards.  J'ai  rencontré  sur  ma  route  le  premier  sculpteur  de  mon 
temps;  il  est  tombé  de  son  éebafaud  comme  Goujon  de  l'échalaud  du 
liOuvre.  La  mort  est  toujours  là  pour  continuer  la  Saint-Darlliélemy 
éternelle,  et  nous  abattre  avee  >es  llèelies. 

Les  grands  artistes,  à  leur  grande  époque,  menaient  une  tout  autre 
vie  que  celle  cju'ils  mènent  aujourd'bui.  Atlacbés  aux  voûtes  du  Vatican, 
aux  [)arois  de  Saint-Pierre,  aux  nmrs  de  la  Farnésine,  ils  travaillaient  à 
leurs  chefs-d'œuvre  suspendus  avec  eux  dans  les  airs.  Raphaël  mar- 
chait, environné  de  ses  élèves,  escorté  des  cardinaux  et  des  princes, 
connue  un  sénateur  de  rancienne  Rome  suivi  et  devancé  de  ses  clients. 
Charles-Quint  posa  trois  fois  devant  le  Titien  ;  il  ramassait  son  pinceau 
et  lui  cédait  la  droite  à  la  [)romenade,  de  même  que  François  I*^""  assis- 
lait  Léonard  de  Vinci  sur  s(m  lit   de  mort.  Titien  alla  en  trionqihe  à 
Rome;   l'inunense   Duonarotti   l'y  reçut    :    à  quatre-vingt-dix-neuf  ans, 
Titien  tenait  encore  d'une  main  ferme,  à  Venise,  son  pinceau  d'un  siècle 
vainqueur  des  siècles.  Le  grand-duc  de  Toscane  fit  déterrer  secrètement 
Michel-Ange,   mort  à  liome  après  avoir  posé,  à  (piatre-vingt-huit  ans, 
le  faite  de  la  coupole  de  Saint-Pierre  :  Florence,  par  des  obsècjues  magni- 
fiques, expia  sur  les  cendres  de  son  grand  peintre  l'abandon  oîi  elle 
avait  laissé   la  poussière  de  Dante,  son  grand   poète.  Vélasijuez  visita 
deux  fois  l'Italie,  et  l'Italie  se  leva  deiw  fois  pour  le  saluer  :  le  précur- 
seur de  Murillo  reprit  ]o  chemin  des  Fspagnes,  chargé  des  fruits  de 
celte  llespérie    ausonienne,   «pii    s'étaient  détachés  sous  sa  main  :   il 
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LA   PRÉLATLRE   DE    LÉON   XIII. 


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tures  et  des  fêtes;  ils  défendaient  les  villes  et  les  châteaux;  ils  élevaient 
des  églises,  des  palais  et  des  remparts  ;  ils  donnaient  et  recevaient  de 
grands  coups  d'épée,  séduisaient  des  femmes,  se  réfugiaient  dans  des 
cloîtres,  étaient  absous  par  les  papes  et  sauves  par  les  princes.  Dans 
une  orgie  que  Benvenuto  Cellini  a  raconlée,  on  voit  figurer  les  noms 
d'un  Michel-Ange  et  d'un  Jules  Romain. 

Aujourd'hui,  la  scène  est  bien  changée;  les  artistes,  à  Rome,  vivent 
pauvres  et  retirés.  Peut-être  y  a-t-il  dans  cette  vie  une  poésie  qui  vaut 
la  première —  Je  vais  voir  travailler  séparément  ces  artistes.  L'élève 
sculpteur  demeure  d;ms  ({uchpie  grotte,  sous  les  chênes- verts  de  la 
villa  Médicis,  oîi  il  achève  son  enfant  de  marbre  (jui  fait  boire  un 
serpent  dans  une  coquille.  Le  peintre  habite  quebiue  maison  délabrée, 
dans  un  lieu  désert;  je  le  trouve  seul,  prenant  à  travers  sa  fenêtre 
ouverte  quelque  vue  de  la  campagne  romaine.  La  Briyande  de 
M.  Schnetz  est  devenue  la  mère  qui  demande  à  une  Madone  la  guérison 
de  son  fils.  —  Léopold  Robert,  revenu  de  Naples,  a  passé  ces  jours  der- 
niers par  Rome,  emportant  avec  lui  les  scènes  enchantées  de  ce  beau 
climat  qu'il  n'a  fait  que  coller  sur  sa  toile.  —  Guérin  est  retiré,  comme 
une  colombe  malade,  au  haut  d'un  pavillon  de  la  villa  Médicis.  11  écoute, 
la  tête  sous  son  aile,  le  bruit  du  vent  du  Tibre.  Quand  il  se  réveille,  il 
dessine  à  la  plume  la  mort  de  IViam.  —  Horace  Vernet  s'efforce  de 
changer  sa  manière.  Y  réussira-t-il?  Le  serpent  qu'il  enlace  à  son  cou, 
le  costume  qu'il  alfecte,  le  cigare  qu'il  fume,  les  masques  et  les  fleurets 
dont  il  est  entouré,  rappellent  Irop  le  bivouac.  —  Pinelli,  entre  deux 
ivresses,  m'a  promis  douze  scènes  de  danses,  de  jeux  et  de  voleurs. 
C'est  dommage  qu  il  laisse  mourir  de  faim  son  grand  chien,  couché  à 
sa  porte.  —  Thorwaldsen  et  Camuccini  sont  les  deux  princes  des 
pauvres  artistes  de  Rome.  Quelquefois  ces  artistes  dispersés  se  réunissent, 
ils  vont  ensemble  à  pied  à  Subiaco.  Chemin  faisant,  ils  barbouillent  sur 
les  murs  de  l'auberge  de  Tivoli  des  «  grotesques  ».  Peut-être  un  jour 
reconnaîira-t-on  quelque  Michel-Ange,  au  charbonné  qu'il  aura  trace 
sur  un  ouvrage  de  Raphaël. 

Je  voudrais  être  né  artiste  :  la  solitude,  l'indépendance,  le  soleil 
parmi  des  ruines  et  des  chefs-d'œuvre,  me  conviendraient.  Je  n'ai 
aucun  besoin;  un  morceau  de  pain,  une  cruche  de  VAqua  Felice,  me 
sufliraient.  Ma  vie  a  été  misérablement  accrochée  aux  buissons  de  ma 
route.  Heureux,  si  j'avais  été  l'oiseau  libre  qui  chante  et  fait  son  nid 
dans  ces  buissons  I...  Que  n'ai-je  été  le  contemporain  de  certaines  créa- 
tures privilégiées  pour  lesquelles  je  me  sens  de  l'atlrait  dans  les  siècles 
divers?  Mais   il  m'eût  fallu  ressusciter  trop  souvent.   Le  Poussin  el 


UN   ROMANTIQUE   DE    1850. 


91 


Claude  le  Lorrain  ont  passé  au  Capilole  ;  des  rois  y  sont  venus  et  ne  les 
valaient  pas.  Des  Brosses  y  rencontra  le  prétendant  d'Angleterre.  J'y 
trouvai,  en  1805,  le  roi  de  Sardaigne abdiqué;  et  aujourd'hui,  en  J828, 
j*y  vois  le  frère  de  Napoléon,  roi  de  Westphalie.  Rome  déchue  offre  un 
asile  aux  puissances  tombées;  ses  ruines  sont  un  lieu  de  franchise  pour 
la  gloire  persécutée  et  les  talents  malheureux  ' .  »  Ruines  pour  ruines. 
Chateaubriand,  «pii  se  sentait  battu  en  brèche  par  un  siècle  nouveau  de 
démocratie  auquel  ne  serviraient  même  .plus  de  lampions  les  vieux 
soleils  de  l'ancienne  monarchie  décadente,  ne  recherchait-il  sur  le  tard 
de  sa  vie  les  restes  de  la  ville  éternelle  que  pour  y  ensevelir  les  restes 
de  sa  mortelle  vie?  A  l'heure  donc  oîi  <juelque  chose  de  grand  mourait 
dans  la  vieille  Europe  des  Césars  moribonds  et  des  Papes  malades, 
quand  Poniatowski  s'écriait  sur  les  bords  du  Danube  :  Finis  Poloniœl 
et  Chateaubriand,  sur  les  bords  du  Tibre  :  Finis  Romœl  voici  com- 
ment un  correspondant  du  comte  de  Marcellus  annonçait  l'arrivée  de  ces 
grandeurs  moribondes  à  Rome  :  «  Notre  hiver  va  être  très  curieux.  Un 
bateau  à  vapeur  a  remonté  le  Tibre  jusqu'à  Ripa  Grande.  Six  cardi- 
naux sont  allés  voir  le  prodige  et  tout  Rome  y  court.  Quelques  rois 
s'annoncent.  On  attend  bon  nombre  d'altesses  malades....  ))  Les  rois 
annoncés  et  les  altesses  malades  n'étaient-ils  pas  ces  Don  Miguel  de  Por- 
tugal et  ces  Louis  I"  de  Bavière  qui,  n'ayant  pu  illustrer  Lisbonne  et 
Munich  de  leurs  vertus,  venaient  étonner  Rome  de  leurs  vices  ;  ce  Ponia- 
towski qui,  aux  yeux  scandalisés  de  la  ville  des  papes,  allait  ouvrir  sans 
honte  son  palais  de  l'exil  à  une  fille  des  rues,  comme  ce  Byron  avait  fait 
du  sien  à  une  lille  des  lagunes? 

Gioacchino  Pecci,  se  sentant  étouffer,  sortit  bien  vite  de  ces  salons 
romantico-romains,  où,  pour  faire  place  à  quelque  chose  de  petit  qui 
commençait  à  vouloir  vivre,  quelque  chose  de  grand  —  l'àme  romaine 
—  expirait.  11  erra  par  la  ville  des  grands  morts  et  des  grands  souve- 
nirs, où,  selon  l'expression  de  Mgr  Gerbet,  «  à  mesure  que  le  corps 
monte  et  descend  ces  collines,  la  subite  variation  des  points  de  vue 
moraux  donne  à  l'àme  un  mouvement  du  même  genre.  Remuée,  cahotée, 
par  des  impressions  si  contrastantes  qui  l'abaissent  et  l'élèvent,  eUe 
aussi  ne  fait,  pour  ainsi  dire,  que  descendre  et  monter.  »  Ce  furent  les 
ruines  de  sa  patrie  romaine,  jadis  si  grande  et  aujourd'hui  si  réduite, 
que  cet  autre  René,  —  autrement  exilé  et  autrement  mélancolique  chez 
ses  pères  que  dans  les  solitudes  des  Natchez,  —  interrogea  durant  ses 
taciturnes  promenades,  le  long  du  Forum  désolé  et  parmi  des  sépul- 


L  Cf.  les  Mnitoircs  d' Ou  Ire-Tombe,  t.  V,  p.  22,  etc. 


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LA   PRÉLATURE    DE    LÉON    XIU. 


l'N    ROMANTIQUE    DE    1850. 


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: 


turcs  dësoLintes,  dans  ce  vieux  monde  dont  le  grand  mort  qui  y  repose 
avait  promis  pourtant  qu'il  ne  mourrait  jamais.  iMais  voici  que,  hs 
d'espérer  h  résurrection  italienne  sur  ces  tombeaux  toujours  muets,  le 
malheureux  Leopardi  a  déjà  quitté  Rome  et  suspendu  sa  lyre  fatiguée 
sous  le  cratère  du  Vésuve,  à  une  branche  de  genêt  «content,  lui  aussi,  du 
désert  »  et,  comme  lui,  prêt  à  mourir  sans  gloire  sous  les  laves  révoltées 
de  cette  terre,  qui  ne  permet  plus  à  ses  glorieux  fils  d'y  vivre  avec  hon- 
neur. Amant  plus  fiévreux  encore  de  ces  sépulcres  où  l'àme  romaine 
semble  à  tout  jamais  ensevelie,  l'éloquent  Foscolo  jette  un  dernier  cri  de 
désespoir  sous  les  voûtes  funèbres  de  sa  patrie  et  s'y  couche,  défendant 
à  Pindemonte  d'y  apporter  un  regret  inutile  ou  d'y  chercher  encore  une 
vaine  espérance.  Dans  ce  silence  de  nécropole  anti(|ue,  oîi  ni  la  voix 
pieuse  de  Sylvio  Pellico  ni  les  douces  exhortations  du  Manzoni  n'étaient 
plus  entendues,  ne  restait-il  donc  qu'à  écouter  la  plainte  suprême  des- 
pleureuses  qui,  comme  autrefois  le  corps  du  Nazaréen,  demandaient  aux 
bourreaux  de  l'Italie  contemporaine  son  cadavre  pour  l'ensevelir  quelque 
part  ? 

Ce  fut  alors  qu'aux  yeux  dessillés  du  triste  Gioacchino  la  Rome  chré- 
tienne et  immortelle  vraiment  se  révéla  toute  grande.  Il  clierchait  sa 
patrie,  ce  Romain,  et  il  n'avait  qu'à  l'appeler  du  seul  nom  vraiment  beau 
qu'elle  porte,  pour  que  la  ville  éternelle  des  papes  répondît  aux  vœux 
de  ce  chrétien,  son  enfant.  Morte!  pouvait-elle  être  morte,  cette  Rome 
impérissable  comme  ses  destinées;  morte!  parce  que,  quelques  années 
précédemment,  un  empereur  des  Français  l'avait  ainsi  décrété?  Mais 
est-ce  que,  depuis  dix-huit  siècles  déjà,  le  Dieu  qui  façonne  et  qui  brise 
les  fragiles  empires  n'en  avait  pas  décidé  autrement?  «  Quoi  ([ue  l'on  ait 
fait  à  Rome,  dit  Frédéric  Masson,  pour  tuer  Rome,  l'àme  romaine  vil 
encore.  Proscrite,  elle  s'attache  aux  masures  restées  debout;  elle  flotte 
dans  l'air  qu'on  respire;  elle  coule  dans  l'eau  qu'on  boit;  elle  s'abrite 
aux  plis  des  vêtements  surannés.  C'est  elle  qui  donne  leur  grâce  à  ces 
petits  enfants,  endormis  à  l'ombre  d'un  vieux  mur,  demi-nus,  les  che- 
veux embroussaillés,  qui  tordent  un  haillon  en  manteau  triomphal;  elle 
qui  cambre  ces  corps  de  femmes  aux  hanches  robustes,  aux  poitrines 
pleines,  qui  marchent  d'une  allure  souveraine  sur  les  dalles  brisées; 
elle  qui,  aux  jours  de  chaleur,  sonne  en  notes  claires,  de  toutes  les 
fontaines  dispersées  par  la  ville,  où,  à  défaut  de  sculptures  grandioses, 
un  nom  de  pape,  une  inscription,  des  armoiries  sommées  de  la  tiare, 
mettent,  avec  un  peu  d'art,  un  souvenir  du  passé;  des  eaux  dont,  à  lu 
première  goutte,  les  vrais  Romains  nomment  la  source  conmie  on  ferait 
'un  vin  renommé;  des  eaux  qu'Agrippa  conduisit  à  ses  tiiermes,  des 


eaux  qui  parlent  de  Sixte-Quint'  et  de  Q.  Marcius  Rex*,  de  Claude  et  de 
Curius  Dentalus*,  des  eaux  qu'ont  payées  les  dépouilles  de  Pyrrhus  et 
qui,  dans  la  Rome  papale,  s'épandent  en  cascades  comme  à  Trevi, 
jaillissent  comme  devant  Saint-Pierre,  s'ébrouent  comme  à  la  Place 
Navone,  mettent  un  arc-en-ciel  dans  toutes  les  rues,  une  lumière  dans 
tous  les  horizons,  lancent  à  tous  les  coins  des  coulées  blanches  d'argent 
en  fusion,  sèment  à  tous  les  vents  l'étincellement  continu  de  leurs  dia- 
mants liquides  ;  des  eaux  (jui  sont  une  joie  et  une  parure,  au  bruit 
desquelles  il  est  bon  de  vivre  et  (jue  longuement,  comme  ils  telteraient 
le  sein  d'une  mère  nourrice,  les  petits  enfants  aspirent  d'une  goulée. 
C'est  [)ar  elle,  et  rien  que  par  elle,  que  prennent  leur  caractère  et 
leur  beauté  ces  monceaux  étranges  de  ruines,  s'emboîtant  et  s'encastrant 
dans  des  bâtisses  modernes,  familiarisés  avec  la  vie  de  chaque  jour, 
traités  en  grand-parents  par  ceux-là  qui,  depuis  des  siècles,  s'abritent  à 
leur  ombre,  respectés  en  leur  vieillerie  comme  des  témoins  des  gran- 
deurs mortes,  laissant  bonassement  les  enfants  grimper  à  leurs  chapi- 
teaux frustes,  n'étalant  point  la  prétention  d'être  des  chefs-d'œuvre  ou 
des  raretés,  étant  seulement  un  trait  d'union,  un  anneau  de  la  chaîne, 
solidaires  du  présent  et  se  souvenant  du  passé.  Aussi  vivent-ils  :  qu'on 
les  iiole,  qu'on  les  gratte,  qu'on  les  nettoie  de  leur  poussière  séculaire, 
(ju'on  en  arrache  les  masures  qui  s'y  sont  accrochées,  qu'on  en  enlève 
les  brins  d'herbe  dont  les  oiseaux  ont  porté  là-haut  les  semences,  qu'on 
en  fasse,  comme  on  a  fait  du  Colisée,  quelque  chose  de  propre,  de 
récuré,  de  militaire,  qu'on  vient  voir  en  faisant  crier  un  tourniquet  et 
que  démontre  un  soldat  cicérone;  qu'on  enchâsse  les  fleurs,  les  oiseaux, 
les  enfants  :  avec  eux  s'envolera  l'àme  romaine,  et,  pour  contenter 
quelques  pédants  d'Allemagne,  ces  ruines  qui  vivaient  ne  seront  plus 

1.  Cf.  Esquisse  de  Rome  chrélienney  t.  I,  p.  71. 


2. 


3. 


Qui  siiir  arida  schicna 

Del  formidabil  monte 

Sterminator  VescVo 
La  quai  nuli'  allro  aliogra  arbor  ne  (iurc, 
Tuoi  ccspi  solitari  intorno  spargi 

Odorata  ginestra, 

Contenta  dei  dcscrti... 

(Leopardi,  la  Ginestra, 

Ail  ombra  dei  cipressi  c  dontro  l'urn»; 
Confortatc  di  pianlo,  e  lor-e,  il  sonno 

Délia  morte  mcn  duro 

Non  cbc  la  spenie,  il  desiderio  e  spento. 

(Ugo  Foscolo,  /  Sepolcri.) 


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94 


LA   PRÉLATURE    DE    LÉO>    XUl. 


que  lies  ruines.  Mais  pour  leur  donner  à  chacune  un  S(|uare  et  un 
jardin,  elles  sont  trop  :  l'armée  italienne  n'y  suftirait  point.  Encore  un 
temps,  au  désespoir  des  Tudesques,  il  faudra  laisser  les  mioches  indis- 
crets conserver,  comme  ils  t'ont  depuis  deux  mille  ans,  l'héritage  des 
grands  Romains,  patiner  de  l'usure  de  leurs  haillons  les  hronzes 
antiques,  mêler  à  leurs  jeux  l'omhre  souriante  des  ancêtres,  et  faire  a 
leurs  chansons  vivre  et  palpiter  encore  l'àme  romaine. 

C'est  elle,  l'ûme  romaine,  (|ui  jette  îi  genoux  ces  foules  au  passage 
du  Viatique,  emplit  d'êtres  prosternés  la  maison  où  l'on  porte  le  corps 
sacre,  éveille  les  ferveurs  endormies,  et  dans  le  peuple,  auquel  les  gou- 
vernements prêchent  l'athéisme,  lait  passer  encore  un  rêve  d'inmiorla- 
hté.  Quand,  aux  façades,  devant  les  Madones  mères,  les  lampes  s'allu- 
ment, déjà  plus  rares,  déjà  plus  ternes,  n'est-ce  pas  elle  encore  qui 
brûle  en  elles,  dansante  au   vent  qui  souflle  des  grandes   rues    droit 
percées?  Combien  de  lampes  éteintes,  brisées,    combien   (|ue   n'allu- 
ment plus  les  vierges  folles!  Mais,  que  vienne  la  mort,  qu'elle  entre 
dans  la   maison,  a  la  suite  du  Viatique,  qu'elle  amène  avec  elle  son 
cortège  de  douleurs  et  de  cris  :  voici  que,  devant  le  saint  Sacrement, 
l'on  se  prosterne  comme  jadis;  qu'avec  une  terreur  pareille,  devant  la 
porte  que   désigne   VombrelUno,  l'on  s'entasse  comme  autrefois.  Au 
fond,  dans  la  petite  cour,  une  statue  antique  se  dresse,  attendant  là, 
comme  partout,  cette  liaison  intime  du  présent  au  passé,  donnant  pour 
témoin  à  cette  religion  qui  en  a  triomphé  quelque  César  persécuteur. 
Et,  aux  mêmes  paroles  de  l'officiant,  ce  sont  les  mêmes  répons  des 
assistants,  c'est  la  même  émotion,  c'est  la  même  foi,  la  même  confiance 
absolue  et  inlouchée  en  la  récompense  promise,  la  même  certitude  du 
lendemain,  —  certitude  telle  ((ue,  le  Viatique  reçu  et  le  drame  accompli, 
les  yeux  se  sèchent  et  les  cris  s'éteignent.  A  quoi  bon  pleurer?  à  quoi 
bon  se  lamenter?  Il  est  heureux,  ce  mort  :  il  est  en  paradis.  Ah!  sans 
ce  lendemain  l'on  serait  fort;  mais  que  mettre  à  la  place  de  ce  qu'a  mis 
l'Église,  de  ce  qu'elle  enseigne   depuis  dix-huit  siècles?  Est^^e  que, 
devant  ce  lendemain,  revivant  leur  vie  tout  entière  et  tous  leurs  actes 
et  toutes  leurs  pensées  et  tous  leurs  rires,  ceux-là  qui  ont  voulu  Rome 
et  qui  l'ont  prise  au  Pa])e  ne  se  sont  point  jetés  au  Dieu  dont  le  Pape 
est  le  prêtre  et,  haletants,  alfolés  de  la  terreur  des  ombres  prochaines, 
n'ont  point  demandé  grâce,  depuis  le  ministre  jusqu'au  roi?  Et,  comme 
ils  eussent  voulu  alors  s'endormir  avec  cette  assurance  qu'ont  les  petites 
gens  de  Rome,  de  l'immortalité  chrétienne. 

Et  ce  ne  sont  point  seulement  les  petites  gens.  Que  la  cloche  de 
l'église  prochaine  annonce  la  mort,  voici  que  les  confrères  revêtent  leurs 


UiN    ROMANTIQUE    DE    1850. 


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longues  cagoules,  et  tous  confondus,  riches  ou  pauvres,  nobles  ou 
vilains,  repris  par  l'invincible  pouvoir  des  surveillances  anciennes,  ils 
vont  aux  églises  et  aux  charniers,  masqués  et  inconnus,  communiant  en 
une  même  foi,  tenant  tous  en  main  ce  cierge  où  brûle  l'àme  romaine. 
Des  confréries,  des  archiconfréries,  combien?  ()n  userait  son  temps  à 
les  compter.  Toutes  semblables,  par  la  forme  du  costume,  par  le  sac, 
par  le  cordon,  par  la  pèlerine  armoriée,  par  le  capuchon  qui,  rabattu 
sur  la  tête,  couvre  la  figure  et  ne  laisse  voir  que  les  yeux;  toutes 
semblables,  par  le  capuchon  étrange  qui  laisse  sans  nom  les  orgueils  et 
abat  les  vanités  au  niveau  de  l'humilité  chrétienne,  distinguées  seule- 
ment par  des  couleurs  (jui,  symboliques,  marquent  et  attestent  une 
spéciale  et  comnmne  dévotion,  elles  tiennent  Rome  tout  entière  et 
quiconque  est  de  vieux  sang  romain.  En  leurs  rangs,  sous  la  bure 
pareille,  le  fils  du  mendiant  catholique,  et,  —  singulière  hardiesse  des 
vainqueurs,  —  le  fils  du  roi  excommunié,  vont  côte  à  côte  récitant  les 
mêmes  prières  :  toujours  le  De  profundis  et  le  Miserere,  le  cri  du 
chrétien  à  la  mort,  le  grand  appel  au  Christ  maître  des  sépultures. 
Certes,  le  cierge  éteint,  la  cagoule  dépouillée,  ils  croient  bien,  eux 
aussi,  que  ce  n'élait  là  qu'un  mauvais  rêve,  une  superstition  vaine,  un 
vieil  usage  qu'il  faut  abolir  et  dont,  si  on  les  poussait,  ils  feraient  au 
besoin  des  risées.  Mais  c'est  en  leur  sang,  en  leur  moelle;  et,  quoi 
qu'ils  fassent,  quand  la  cloche  tintera,  ils  iront;  et,  s'ils  n'y  allaient 
point,  pareils  à  ces  prêtres  défroqués  qui,  aux  heures  des  messes, 
errent  autour  des  églises,  ils  viendraient  là  encore  voir  et  regarder, 
infidèles  à  Rome  et  possédés  par  elle. 

Non,  quoi  que  fassent  ici  ceux  qui  détiennent  Rome,  à  moins  qu'ils  la 
détruisent,  jamais  ils  n'y  seront  chez  eux.  Comme  jadis,  il  semble 
<|u'ils  y  craignent  une  fatalité  pesant  sur  eux,  sur  leur  dynastie,  sur 
leur  avenir.  Rien  ici  n'est  à  eux,  rien  n'est  d'eux.  Ils  n'y  rencontrent  ni 
un  souvenir  qui  justifie  leur  présence,  ni  une  gloire  qui  la  légalise. 
Hautains  et  roides,  même  en  leurs  démonstrations  de  popularisme,  ils 
logent  toujours  en  garni  dans  ces  palais  des  papes.  Ici  ils  entrent,  ils 
sortent,  ils  passent,  ils  ne  sont  rien.  Ils  peuvent  s'approprier,  au  Pala- 
tin, les  fouilles  qu'avait  payées  Napoléon;  mais  c'est  de  l'àme  de  Rome 
qu'ils  devraient  arracher  des  pierres  ;  et,  comme  aux  temps  barbares, 
ce  n'est  qu'après  avoir  brûlé  ces  marbres  pour  en  faire  de  la  chaux, 
ce  n'est  qu'après  avoir  passé  la  charrue  sur  les  églises  et  sur  les  palais 
qu'ils  pourraient  dire  :  «  Rome  nous  appartient  !  ))  Tant  qu'une  pierre 
sera  debout,  elle  criera.  Voici  un  palais  qu'on  a  pris  et  ou  l'on  campe. 
En  face,  des  églises  gênaient  ;  on  les  a  détruites.  Mais,  au-dessus  de  ce 


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LA   PUÉLATLRE   DE   LEON    XIIL 


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balcon  où  l'on  s'accoude  pour  répondre  aux  vivais,  ce  balcon  d'où  l'on 
proclamait  les  papes,  une  Vierge  tenant  l' Enfant-Dieu  bënit  la  foule.  Cet 
obélisque,  c'est  Pie  IV  qui  l'a  dressé.  Ce  palais,  tout  près,  où  travaille 
un  ministre  civil,  Clément  XU  l'a  bàli.  Et  là-bas,  fermant  l'horizon, 
comme  la  borne  gigantesque  oîi  se  brisera  la  roue  du  char,  ce  dôme, 
c'est  Saint-Pierre  avec,  dans  son  ombre,  le  Vatican.  »  Tels  durent 
être,  vers  1850,  les  éloquents  soUloques  de  Gioacchino  Pecci,  (piand  ce 
noble  jeune  homme,  arrivé  à  sa  vingtième  année,  vint  demander  au 
silence  des  rues  et  de  la  campagne  de  Rome  le  secret  d'une  vocation 
encore  incertaine.  Le  spectacle  de  sa  patrie  humiliée  dans  sa  politique 
démente  ne  contribua  pas  peu  à  lui  montrer  plus  magni(i(|ue  encore  cette 
Église  catholique  d'où  l'Italie  chrétienne  pouvait  encore  tirer  une  incom- 
parable grandeur,  et  ses  hommes  pieux  d'inappréciables  privilèges.  De 
cette  comparaison  avec  le  règne  du  ciel  séculairement  supérieur  au 
règne  de  la  terre,  la  foi  du  néophyte  tira  des  avantages  au  bénéfice 
même  de  sa  patrie.  Déjà,  devant  des  tombeaux  si  vieux  et  si  sacrés  d'où 
sortaient  rassurantes  des  images  riches  de  religion  et  d'avenir,  les  petites 
sonates  étouffées  des  romano-parisiennantes  comtessines  ne  sonnaient 
plus  qu'adagio  la  gloire  de  Byron,  longue  à  peu  près  d'un  hexamètre  I 
Les  sibylles  mûries,  qui  s'appelaient  encore  ici-bas  Staël  et  Récamier, 
voituraient  encore  en  vain  leur  grand  Chateaubriand  dans  sa  chaise 
percée  où,  malgré  son  génie,  le  poète  d'Eudore  et  de  Cymodocée  ne 
trônait  pas  avec  une  majesté  comparable  à  celle  des  pontifes  successeurs 
de  Symmaque  à  l'autel  apparemment  dévasté  de  la  Victoire.  La  grandeur 
de  l'Église  immortelle  se  révélait  bien  tout  entière  à  l'âme  de  ce  noble 
Italien,  inconsolable  de  l'abaissement  de  sa  petite  et  périssable  patrie. 
Encore  quelques  années  d'épreuve  et  d'examen.  Et  «juand  Pecci  viendra 
se  jeter  aux  pieds  de  Grégoire  XVI  et  solliciter  l'honneur  du  sacerdoce, 
fort  de  cette  leçon  que  les  choses  lui  auront  donnée,  il  apportera  au  ser- 
vice du  pape  les  trésors  précieux  d'une  âme  toute  jeune  et  d'une  intelli- 
gence  toute  mûre  que  l'Eglise,  sa  mère  et  sa  patrie  à  la  fois,  sauront 
employer  à  des  œuvres  dignes  d'une  si  belle  cause  et  d'un  si  provi- 
dentiel ouvrier. 


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Vu  cardinal  à  la  Villa  Boi-ghèse.  (D'après  llrilhiilh.) 


II 


I.K    CAItl.NKT    DU    P.Ol , 


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Vous  êtes  à   Saint-Cloud,  chez   Charles  X. 
Versailles    et    les   Tuileries,    où   Louis   XVIIl 
n'avait  pas  craint  d'engager  la  partie  avec  deux 
régicides  de  son  frère,  Fouclié  et  Cambacérès, 
n'ont  pas  eu,  avec  leurs  élégantes  terrasses  et 
leurs  dramatiques  rappels  d'Elseneur,  l'attrait 
de  la  campagne  pour  l'avant-dernier  roi  que  la 
France  se  paye  encore,  —  cet  Hamlet  de  nou- 
veau genre  et  tant  soit  peu  vieilli  à  qui  aurait 
pu  apparaître,  avec  sa  tête  tout  à  coup  blan- 
chie et  coupée,  la  folle  Marie-Antoinette  que 
le  fou  ou  criminel  comte  d'Artois,  son  distingué  beau-frère,  avait  fait 
valser  jusqu'à  la  compromettre  et  jusqu'à  lui  faire   enjamber,   par- 
dessus les  abîmes  révolutionnaires,  l'autre  monde*.  Et,  roi  enfin  pour 

1.  L'été,  pendaiU  les  chaudes  soirées  de  Versailles,  la  famille  royale  a  l'habitude  de 
sortir  après  le  souper  et  de  se  promener    sur  les  terrasses,  en   écoutant   quelque 


Le  i-ariiiial  C.appcllari 
(Grégoire  XVI). 


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LA   IMtÉLATLKE    DE    LKON    Mil. 


balcon  où  l'on  s'accoudi'  pour  rr])ondrc  aux  vivais,  ce  Lalcon  d'où  l'on 
proclamait  les  papes,  une  Vierge  tenant  l'Enfant-Dieu  bénit  la  foule.  Cet 
oljolisque,  c'est  Pie  IV  qui  l'a  dressé.  Ce  palais,  tout  près,  où  travaille 
un  ministre  civil,  Clément  XI 1  l'a  hàli.  El  là-bas,  l'crmant  l'borizon, 
comme  la  borne  gigantesque  où  se  brisera  la  roue  du  cbar,  ce  dùine, 
c'est  Saint-Pierre  avec,  dans  son  ombre,  le  Valican.  )>  Tels  durent 
être,  vers  1800,  les  éloquents  soliloques  de  (iioaccbino  Pecci,  (juand  ce 
noble  jeune  bomme,  arrivé  à  sa  vingtième  année,  vint  demander  au 
silence  des  rues  et  de  la  canipagne  de  Rome  le  secret  d'une  vocation 
encore  incertaine.  Le  s|H'clacle  de  sa  |)atrie  bumiliée  dans  sa  polirKjue 
démente  ne  contribua  pas  j)euà  lui  montrer  plus  magnifique  encore  cette 
Eglise  catbolitjue  d'où  l'Italie  chrétienne  pouvait  encore  tirer  une  incom- 
parable grandeur,  et  ses  hommes  pieux  d'inappréciables  privilèges.  De 
cette  comparaison  avec  le  règne  du  ciel  séculairement  supérieur  au 
règne  de  la  terre,  la  loi  du  néophyte  lira  des  avantages  au  bénélice 
même  de  sa  patrie.  Déjà,  devant  des  tombeaux  si  vieux  et  si  sacrés  d'où 
sortaient  rassurantes  des  images  riches  de  religion  et  d'avenir,  les  petites 
sonates  étoulVées  des  romano-parisiennantes  comtessines  ne  sonnaient 
plus  qu'adagio  la  gloire  de  IJyron,  longue  à  peu  près  d'un  hexamètre! 
J.es  sibylles  mûries,  (jui  s'a[)[)el.iient  encore  ici-bas  Staël  et  Uécaniier, 
voituraient  encore  en  vain  leur  grand  Chateaubriand  dans  sa  chaise 
])ercée  oîi,  malgré  son  génie,  le  poète  d'Eudore  et  de  Cymodocée  ne 
trouait  pas  avec  une  majesté  comparable  à  celle  des  pontil'es  successeurs 
de  Symma(|ue  à  l'autel  apparemment  dévasté  de  la  Victoire.  La  grandeur 
de  l'Eglise  innncrtelle  se  révélait  bien  tout  entière  à  l'àme  de  ce  noble 
Palien,  inconsolable  de  l'abaissement  de  sa  petile  et  périssable  patrie. 
Encore  (juelques  années  d'épreuve  et  d'examen.  Et  quand  Pecci  viendra 
se  jeter  aux  pieds  de  Grégoire  XVI  et  solliciter  l'honneur  du  sacerdoce, 
fort  de  cette  leçon  que  les  choses  lui  auront  donnée,  il  apportera  au  ser- 
vice du  pape  les  trésors  précieux  d'une  àme  toute  jeune  et  d'une  inlelli- 
gence  toute  mûre  ([ue  l'Église,  sa  mère  et  sa  patrie  à  la  fois,  sauront 
employer  à  des  œuvres  dignes  d'une  si  belle  cause  et  d'un  si  provi- 
dentiel ouvrier. 


0 


V\\  c;ii'<liM;iI  ,'i  1.1  Vill.i  Boij-li ("">«'.    ir,i|Mv<  llcilluilli. 


II 


II:  r.MîiM  T  m    itoi 


Vous   êtes  à    Sainl-Cloud,  chez   Charles  X. 
Versailles    cl     les    Tuileries,    où    Louis    XVlll 
n'avait  [)as  craint  d'engager  la  partie  avec  deux 
régicides  de  son  frère,  Fouché  et  Cambacérès, 
n'ont  pas  eu,  avec  leurs  élégantes  terrasses  et 
leurs  dramali([ues  rappels  d'EIseneur,  l'attrait 
de  la  cami)agne  })Our  l'avant-dernier  roi  que  la 
France  se  paye  encore,  —  cet  Ilamlct  de  nou- 
veau genre  et  tant  soit  peu  vieilli  à  (|ui  aurait 
|>u  ap|)araUre,  avec  sa  tête  tout  à  coup  blan- 
chie et  coupée,   la  folle   Marie-Antoinette  que 
le  fou  ou  criminel  comte  d'Artois,  son  distingué  beau-frère,  avait  fait 
valser  jus(pi'à  l;i  compromettre  et  jusqu'à   lui  faire    enjamber,   par- 
dessus les  abhnes  révolutionnaires,  l'autre  monde*.  Et,  roi  enfin  pour 

I.  L'éU',  pendant  les  cliaiulcs  soiréos  de  Versailles,  la  famille  royale  a  l'iiabiludc  de 
sortir  après   le  sonpcr  et  de  se  |)roniener    sur  les   terrasses,  en    éconlant   (juelque 


l,e  rnrliiial  (l:i|i|M'll;ii'i 
tiré" on»'  \VI). 


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-<^~»- ■>  »ii%»<e^*-- 


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LA   PRÉLATURK    DE   LÉON    XIIL 


son  compte  personnel,  Charles  X,  aussi  élégant  dans  sa  svelte  per- 
sonne de  sire  portant  beau  depuis  la  pointe  de  son  ronianliiiue  toupet 
jusqu'à  celle  de  ses  souliers  régents,  que  Louis  XVIJI  avait  été  disgra- 
cieux dans  la  lourdeur  de  sa  souveraine  personne  coiffée  du  bonnet  sans 
cocarde  et  chaussée  des  pantoufles  bourgeoises,  tient  Parlement  à  la  ville 
où  il  ne  va  jamais,  et  Cabinet  à  la  chasse  où  il  voudrait  aller  toujours. 
Son  Conseil  des  ministres  est  présidé  par  M.  de  Marlignac,  à  la  voix 
si  suave  que  Charles  X  l'appelle  «  la  l'asta  »  et  Dupont  de  l'Kure  «  la 
Sirène  ».  M.  Portalis  a  qui  portait  la  cupidité  sur  son  visage  »,  affirme 
Chateaubriand,  tient  la  garde  des  sceaux;  et  c'est  à  lui  que  ce  même 
(Chateaubriand,  envoyé  en  ambassade  à  Rome  à  peu  près  comme  Thésée 
en  léî?ation  chez  le  Minolaure,  écrit  sa  relation  secrète  au  labvrinlhe 
romain  qu'il  a  entrepris  d'assiéger. 

Ce  labyrinthe  pontifical,  aussi  difficile  à  cerner  que  celui  de  Crète,  est 
le  conclave  qui  se  préparc  à  élire  le  successeur  de  Léon  Xll,  en  la  per- 
sonne d'un  cardinal  moins  sympalhique  aux  Ordonnances  que  ne  l'avait 
été  le  pape  Délia  Genga  qui  avait  déclaré  à  M.  de  Chateaubriand  lui- 
même  :  «  Le  spirituel  n'est  point  compromis  par  les  Ordonnances.  Les 
évêques  auraient  peut-être  mieux  fait  de  ne  pas  écrire  leur  première 
lettre;  mais,  après  avoir  dit  :  non  possiimini,  il  leur  était  difficile  de 
reculer.  Ils  ont  taché  de  montrer  le  moins  de  contradiction  possible 
entre  leurs  actions  et  leur  lanj^a^îe,  au  moment  de  leur  adhésion  :  il  faut 


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musique  ;  le  public  y  vienl  librement.  Le  diverlisscmcnl  est  un  i>eu  déplacé  et,  sans 
doute,  conviendrait-il  de  blâmer  le  comte  d'Artois,  qui  en  a  eu  l'idée  ;  mais  c'est  encore 
à  la  Heine  que  vont  les  attaques.  A  Paris,  même,  la  calomnie  est  accueillie;  des  gens 
raisonnables,  fort  altacbés  au  TrùnC;  parlent  avec  indignation  des  a  noclurnalcs  »  de 
Versailles.  (Ibidem,  Chap.  I,  le  Rrgne,  p.  50.) 

Le  comte  d'Artois,  comme  Marie-Antoinette,  n'aimait  point  la  Cour  et  avait  pris 
goût  à  Trianon.  Il  y  amena,  un  jonr,  la  troupe  de  Nicolet,  dite  «  les  grands  Danseurs 
du  Roi  ».  Les  deux  étoiles  étaient  Placide,  qui  jouait  des  pantomimes  de  sa  composi- 
tion, et  ic  «  Petit  Diable  de  Hollande  »,  équilihristc  extraordinaire,  qui  dansait  sur  la 
corde  sans  balancier  ou  sur  des  œufs  sans  les  casser.  Marie-Antoinette  goûta  tellement 
leurs  représentations,  que  son  beau-frire,  Ircs habile  lui-même  aux  exercices  du  corps, 
fut  jaloux  de  la  gloire  de  ses  protégés  et  résolut  d'en  mériter  sa  part.  L'année  suivante, 
la  Cour  lut  fort  intriguée  par  sa  conduite  :  tous  les  matins,  il  allait  au  Petit  Trianon 
et  s'y  livrait,  pendant  plusieurs  heures,  à  une  occupation  mystérieuse.  On  finit  par 
savoir  à  quels  graves  travaux  le  prince  du  sang  occupait  ses  loisirs  :  «  Il  prenait  dans 
le  plus  grand  secret,  dit  un  contemporain,  les  h'çons  du  sieur  Placide  et  du  Petit 
Diable,  les  héros  les  plus  renommés  comme  danseurs  de  corde;  puis,  quand  il  se  vil 
en  état  de  briller,  il  développa  en  petit  comité  ses  talents  aux  yeux  de  la  Heine,  cl 
lrt)ut  \c  monde  tomba  d'accord  qu'il  voltigeait  supérieurement  ».  Tel  était  le  seul  ami 
que  Marie-Antoinette  trouvât  dans  la  Maison  de  France.  A  l'hostilité  grondeuse  de 
Mmes  Tantes,  à  la  jalousie  de  Madame  et  de  la  comtesse  d'Artois,  à  la  haine  cachée 
r  s  3Ionsieur,  la  Reine  avait  à  opposer  la  frivole  sympathie  d'un  danseur  de  corde  de 
vingt  ans.  L  t  Ueine  Marie-Antoinette,  par  Pierre  de  >'olhac,  Chap.  IV,  Trianon,  p.  270. 
Paris,  Calmann  Lévy,  1899). 


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LE    CABLNET   bl   ROL 


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leur  pardonner.  Ce  sont  des  honmies  pieux,  très  attachés  au  roi  et  à  la 
monarchie;  ils  ont  leur  faiblesse,  comme  tous  les  hommes....  Jésus- 
Christ  ne  s'est  point  prononcé  sur  la  forme  des  gouvernements.  Rendez 
à  César  ce  qui  appartient  à  César  veut  seulement  dire  :  «  Obéissez 
«  aux  autorités  établies  ».  La  religion  catholique  a  prospéré  au  milieu 
des  républiques,  comme  au  sein  des  monarchies;  elle  fait  des  progrès 
immenses  aux  États-Unis;  elh;  règne  seule  dans  les  Amériques  espa- 
gnoles.... ))  A  lire  les  pasquinades  qui  s'affichent  impunémentsur  l'Ajax 
désarmé  du  palais  Braschi,  on  comprend  (jue  les  ennemis  des  Ordon- 
nances auront  beau  jeu  dans  la  succession  du  bon  pape  qui  ressemblait 
au  chat  «   tout  gris  et  fort  doux  »  dont  il  a  voulu  faire  héritier  l'am- 
bassadeur de  France.  Ce  jeu,  il  faut  le  di^ouer  à  tout  prix.  Mais  encore 
ce  prix,  comment  se  chilî'rera-t-il  par  le  roi  à  qui  la  chasse  à  courre 
coûte  déjà  si  cher?  S'il  faut  compter  encore  un  budget  pour  la  chasse 
au  pape,  qu'adviendra-t-il  de  la  chasse  au  renard?  Et  Chateaubriand  de 
se  déganter  cette  fois  tout  à  fait  et  d'écrire,  du  haut  de  son  buste,  au 
comte   Portalis,  le  billet  suivant  :   «  J'aurai  l'honneur  de  vous  Lire 
observer  (jue  j'allouai  à  M.  le  duc  de  Laval,  pour  frais  de  service  extra- 
ordinaire en  pareille  circonstance,    en  1823,  une  somme  qui  s'élevait, 
autant  que  je  m'en  puis  souvenir,  de  40  à  50000  francs.  L'ambassadeur 
d'Ajitriche,  M.  le  comte  d'Appony,  reçut  d'abord  de  sa  Cour  une  somme 
de  56  000  francs  pour  les  premiers  besoins,  un  supplément  de  7  200  francs 
par  mois  à  son  traitement  ordinaire  pendant  la  durée  du   conclave,  et 
pour  frais  de  eadeaux,  chancellerie,  etc.,  10  000  francs.  Je  n'ai  point, 
Monsieur  le  comte,  la  prétention  de  lutter  de  magnificence  avec  M.  l'am- 
bassadeur d'Autriche,  comme  le  fit  M.  le  comte  de  Laval.  Je  ne  louerai 
ni  chevaux,  ni  voitures,  ni  livrées,  pour  éblouir  la  populace  de  Rome. 
Le  roi  de  France  est  assez  grand  seigneur  pour  payer  la  pompe  de  ses 
ambassadeurs,  s'il  en  veut  une  :  magnificence  d'emprunt,  c'est  misère. 
J  irai  donc   modestement  au  conclave,  avec  mes  gens  et  mes  voitures 
ordinaires.  Reste  seulement  à  savoir  si  Sa  Majesté  ne  pensera  pas  que, 
pendant  la  durée  du  conclave,  je  serai  obligé  à  une    représentation  à 
laquelle  mon  traitement  ordinaire  ne  pourra  suffire.  Je  ne  demande  rien, 
je  soumets  simplement  une  question  à  votre  jugement  et  a  la  décision 
royale*.  »  Et,  en  attendant  la  réponse  du  roi  de  France,  son  ambassa- 

1.  La  modestie  de  Chateaubriand  trouve  dans  la  relation  de  son  successeur,  le 
marquis  (le  La  Tour  Maubourg,  à  l'ouverture  du  conclave  suivant,  un  contraste  digne 
dêtrc  cité  :  «  Mon  cortège,  écrit  l'ambassadeur  de  France  en  décembre  1850,  était 
fort  considérable  et  a  paru  satisfaire  la  curiosité  d'un  public  fort  avide  de  ce  genre 
•le  spectacle,  qui  rappelle  plus  d'une  coutume  des  peuples  d'Orient  ».  «  Dans  une  pre- 
mière voiture,  dit  une  relation  manuscrite  de  l'époque,  se  trouvait  placé  M.  de  Bel 


£S-'^-at-î.-^i£r^: 


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100 


LA   l'RELATlKE   DE    LÉON    XIIL 


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deur  à  Rome  prépare  son  conclave  en  essayant,  tantôt  un  coup  d'œil 
par-dessus  le  mur  où  les  cardinaux  préparent  l'histoire  de  demain,  tantôt 
une  note  par  delà  rhisloire  où  les  conclaves  précédents  laissèrent  (|uel(|ues 
traces.  Ce  ne  fut  peut-être  pas  pour  complimenter  les  Éminentissimessur 
leur  sagesse  (pie  Grégoire  X,  élu  après  deux  ans  de  conciliabules  inu- 
tiles dans  Vilerhe  pour  le  choix  du  successeur  de  Clément  IV,  voulut, 
en  1274,  rédiger  le  règlement  désormais  en  vigueur  de  ces  Congres 
suprêmes  dont  les  membres  seraient  mis  sous  clef,  cum  clavCy  juscpi'à 
l'élection  du  pontife  :  Un  article  de  ce  règlement  est  pourtant  tombé 
en  désuétude  :  il  y  était  dit  que,  «  si  après  trois  jours  de  clôture  le  choix 
du  pape  n'était  pas  lait,  pendant  cin(j  jours  après  ces  trois  jours  les 
cardinaux  n'auront  plus  (|u'un  seul  plat  à  leur  repas,  et  (pi'ensuite  ils 
n'auront  plus  que  du  pain,  du  vin  et  de  l'eau,  jusqu'à  l'élection  du  Sou- 
verain Pontife  )).  H  relève  les  intrigues  des  Cours  et  du  Sacré  Collège 
dans  les  conclaves  postérieurs;  le  billet  de  Philippe  11  excluant  ou  pré- 
sentant tel  candidat  :  «  Su  Majestad  no  quiere  que  N .  sea  Papa;  quiere 
que  N.  lo  tenya  »  ;  les  négociations  de  Du  Bellay,  interrompues  par  la 
poste  de  Charles-Quint,  et  l'Angleterre  protestante  parce  que  les  mau- 
vais chemins  et  la  mauvaise  volonté  de  l'empereur  Charles  retardèrent 
de  deux  jours  la  réponse  de  Henri  VllI  aux  observations  de  Rome  qui, 
lasse  d'écouter  Du  Bellay,  fmit  par  condamner  le  premier  roi  anglican. 
Les  Ambassades  de  Du  Perron  lui  paraissent  moins  intéressantes  que 
les  Lettres  d'Ossat,  encore  que  ces  deux  relations  aient  également 
contribué  à  la  réconciliation  du  roi  de  France  Henri  IV  avec  le  Saint- 
Siège.  H  constate  que  le  fameux  escadron  volant,  par  lequel  on  désigne 
les  cardinaux  indépendants  au  conclave,  se  constitua  pour  la  première 
fois  avec  le  cardinal  de  Retz,  après  la  mort  d'Innocent  X,  et  lavorisa 
un  certain  cardinal  Sacchetli,  bon  qii  à  peindre,  pour  aider  clandestine- 
ment à  l'élection  du   sage  autant  que  silencieux  Alexandre  VU  dont  le 

locq,  premier  secrétaire,  portant  le  portefeuille  qui  contenait  les  lellres  du  roi.  Puis, 
venait  la  voilure  de  ranibissadeur, entourée  de  toute  sa  maison  sous  une  riche  et  bril- 
lante livrée.  Il  avait  avec  lui  M.  Horace  Vernet,  directeur  de  l'Académie  de  France,  et 
le  baron  Deugnot,  second  secrétaire  de  l'ambassade,  lue  deuxième  voiture  comluisait 
M.  E.  Périer,  attaché  à  l'ambassade.  Un  troisième  carrosse  était  occupé  par  le  mailrc 
de  chambre  et  le  gentilhomme  de  l'ambassade.  Venaient  ensuite  les  voitures  des  car- 
dinaux, de  plusieurs  membres  du  corps  diplomatique  et  de  la  noblesse  romaine.  Le 
surlendemain,  l'ambassadeur  mandait  son  gentilhomme  remercier  les  membres  du 
Sacré  Collège,  du  corps  diplomatique  cl  de  la  noblesse  romaine,  de  la  conrloisic  qu'ils 
avaient  eue  d'envoyer  leur  voilure  à  la  suite  de  son  cortège  ».  «  Ce  train,  ajoute  Carafa, 
ministre  de  Naples.  prr  manière  de  conclusion,  était  des  plu.;  élégants  et  des  plus 
riches;  mais  les  voilures  étaient  du  comte  delà  Fcrronaye,  et  l'ambassadeur  de  France 
avait  emprunté  les  chevaux  de  son  collègue,  l'ambas.sadeur  d'Autriche.  »  (Cipolletta, 
Mémurie  polih'che.) 


â  A.. 


LE    CABINET   DU    ROL 


101 


premier  acte  pontifical  fut  de  faire  rendre  gorge  à  la  célèbre  Olimpia  Pam- 
fili,  sœur  du  pape  défunt  et  sa  scandaleuse  héritière.  J^es  relations  du 
président  De  Brosses  à  l'abbé  Courtois,  sur  la  mort  de  Clément  XII  et 
l'élection  de  son  successeur,  semblent  avoir  trouvé  plus  de  grâce  auprès 
de  Chateaubriand  qui  en  extrait  complaisamment  des  notes,  teUes  que 
les  suivantes,  sur  les  cardinaux  admis  à  ce  conclave  : 

—  Guadagni,  bigot,  papelard,  sans  esprit,  sans  goût,  pauvre  moine. 
—  Aquaviva  d'Aragon,  figure  noble  et  un  peu  épaisse,  l'esprit  comme 
la  figure.  —  Oltoboni,  sans  mœurs,  sans  crédit,  débauché,  ruiné,  amateur 
des  arts.  —  Alberoni,  plein  de  feu,  inquiet,  remuant,  méprisé,  sans 
mœurs,  sans  décence,  sans  considération,  sans  jugement  :  selon  lui,  un 
cardinal  est  un...  habillé  de  rouge. 

A  ces  excès  de  paroles  sans  raison,  on  voit  bien  que  Rome,  sans  son 
chef,  a  la  fâcheuse  habitude  de  perdre  la  tête;  et  l'on  se  console,  à  la 
pensée  que  ces  folies  de  langage  ne  durent  que  le  temps  éphémère  d'un 
inlerrègne.  Chateaubriand  en  fait  litière,  tout  le  premier,  en  ajoutant 
que  «  le  cynisme  est  ici  tout  l'esprit  »  ;  mais,  sans  enregistrer  comme 
son  prédécesseur  De  Brosses  les  pasquinades  en  circulation  par  la  ville, 
sur  le  dernier  pape  défunt  et  les  cardinaux  auquels  Léon  XH  laisse  sa 
succession,  l'ambassadeur  ne  les  écoute  pas  moins,  —  le  temps  de  sou- 
rire et  de  passer. 

L'une  reproche  au  pape  d'être  mort  en  plein  carnaval  et  d'avoir  ainsi 
suspendu  toutes  les  réjouissances  populaires  : 

Tre  dispetti  li  fesie,  o  Padre  Santo  : 
Accellare  il  papalo,  viver  tanto, 
Morir  di  carneval  per  esser  pianto. 

L'autre,  clémente  pour  la  mémoire  du  fier  lion  que  son  nom  désigne, 
lance  au  chirurgien  Todini,  accusé  d'avoir  tué  son  pontifical  client,  le 
coup  de  pied  de  l'àne  : 

Aile  dieci  di  febbraro 
Succedettc  un  caso  strano. 
Un  fierissimo  leone 
Fu  ammazznto  da  un  somaro. 

L'autre  enfin, —  car  on  n'en  finirait  pas,  à  les  citer  toutes,  —  prouve 
qu'à  Rome  les  ivrognes  ont  «  le  vin  mauvais  ».  Mais  aussi  de  quoi 
s'était  mêlé  Léon  XII,  en  obligeant  les  cabaretiers  de  la  ville  à  fermer 
leurs  portes,  à  certaine  heure  du  soir?  Et  ce  fut  aussi  le  moins  que 


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102 


LA   rUÉLATLRE   DE    LÉON    Mil. 


Pasquin  fit  tirer  les  portes  du  ciel  à  verrous,  par  saint  Pierre  lui-môme, 
quand  son  successeur  défunt  s'y  présenta  : 

Giii  l'aima  di  Léon,  dal  corj)0  uscila, 
Volava  à  riercar  piîi  belia  vifa. 
Andata  al  cie'o,  domando  l'ingresso; 
Ma  lanto  onore  non  gli  fii  concesso 
Poichè  Piero  avea  messo,  a  suo  dispetto, 
Alla  porta  del  cielo  un  cancellelo. 

Après  le  pape,  ses  cardinaux.  «  Cumam  pepercit  lingua  illa  ro- 
Aiana!  »  s'écrie,  après  Terlullien,  un  jeune  Homain  que  Chateaubriand 
aura  peut-être  connu  dans  cette  circonstance,  et  qui  ne  descendait  pas 
de  ses  pères  passionnés  sur  l'attelane  et  le  vernaculaire,  pour  dédaigner 
à  son  tour  les  pasquinades  de  son  temps.  «  Eli  bien  !  ajoute  Joachim  Pecci, 
—  car  c'est  lui-même  qui  promet  h  son  petit  monde  de  Carpineto  tout 
un  recueil  des  meilleurs  mots  que  le  présent  conclave  provoquera,  — 
eh  bien  I  encore  de  nos  jours,  une  semblable  exclamation  est  de  mise  ; 
et  j'espère  que  vous  y  aurez  cru  sans  peine,  à  la  lecture  des  satires  que 
l'on  a  vu  paraître,  à  la  mort  du  pape  Léon  XII.  Il  n'est  guère  facile  de 
se  procurer  maintenant  ces  satires,  soit  à  cause  de  la  rigueur  avec 
laquelle  le  Governo  en  poursuit  les  auteurs,  soit  en  raison  de  la  manière 
secrète  dont  elles  sont  répandues.  Mais  il  en  est  toujours  (pielqu'une 
qui  trompe  la  vigilance  du  Gouvernement  et  qui  arrive  entre  les  mains 
de  tous*.  »  Le  premier  Pasquino,  —  qui  fut,  dit-on,  un  tailleur  de  quar- 
tier à  la  langue  aussi  fine  et  pointue  que  son  aiguille,  —  ne  fut-il  pas 
le  fidèle  client  d'un  cardinal  de  l'Église  romaine;  et  l'Kminentissime 
Carafa,  en  patron  débonnaire,  n'accorde-t-il  pas  un  coin  de  son  palais  et 
môme  le  dos  d'une  de  ses  statues  antiques  pour  servir  à  l'affichage 
public  des  cartels  malicieux  dont  tout  un  peuple,  depuis,  le  populaire 
de  Rome,  habille  les  entournures  vraiment  trop  nues  du  trop  patient 
Ajax*?  Mais  ces  plaisanteries  populaires  n'étaient  que  de  courte  durée, 
le  temps  d'un  court  interrègne,  et  c'est  ce  qui  en  expliquait  les  charges 
énormes  et  partant  anodines.  Une  de  celles-ci,  bien  en  rapport  avec  la 
manie  des  bibliophiles  romains,  consistait  à  dresser  un  catalogue  de 
livres  dont  les  titres  seuls  étaient  toute  une  satire,  souvent  plaisante 
et  quelquefois    cruelle.    Qu'on   nous  permette  un   extrait  d'un  de  ces 

1.  Cf.  l'Episldlairc  de  Joachim  Pecci  dans  la  Jeunesse  de  Léon  XIII,  Cliap.  II, 
Conclave  de  Pie  YllI,  p.  t>58. 

2.  Voir  la  Nuora  Anlologia  1889,  fasc.  Il,  Pasquino  et  Pasquinate  par  Luigi 
Morandi.  —  Voir  le  Origini  di  Maestro  Pasquino  par  Domcnico  Gnoli,  ibid.  fasc.  I 
et  16  janvier  1890 


V 


LE    CABINET   DU   ROI. 


105 


catalogues,  qui  circulaient  sous  le  manteau.  Sous  le  titre  de  Librairie  à 
vendre j  on  y  lisait  ; 

De  Nihilo.  —  8  vol.  in-fol.  dédiés  à  S.  Em.  Nembrini,  et  composés 
par  S  membres  de  sa  Congrégation. 

De  Innocentia  baptismali.  —  1  vol.  par  S.  Em.  Barberini. 

De  Ingenuitate  et  Generositale.  —  1  vol.  in-fol.  par  S.  Em.  Gam- 
berini. 

De  Jure  Gentium.  — Œuvre  de  S.  Em.  Rivcrola.  Imprimerie  des 
Romagnes. 

De  Publica  Economia.  —  1  vol.  par  S.  Em.  Cristaldi.  ïmpr.  Benucci, 
Tarlotti  et  Gaggiolti  (les  trois  créatures  du  cardinal  dans  sa  Congré- 
gation). 

De  CArl  de  se  faire  servir  gratis.  —  Par  S.  Em.  Bernetti.  Impr. 
Massari. 

De  Lnione  hyposlalica.  —  A  l'enseigne  de  l'Aigle  de  Jupiter  (l'Au- 
triche) et  de  la  Colombe  du  Saint-Esprit  (États  romains).  Œuvre  de 
S.  Em.  Albani,  prohibée  jusqu'à  ce  jour  et  publiée  par  l'imprimerie  du 
duc  de  Modène. 

De  Àrle  bene  vivendi  secundum  tempora  et  mores,  —  1  vol.  par 
S.  Em.  Opizzoni.  Inipr.  Joseph  Bonaparte. 

De  VArl  d'accommoder  tous  les  goûts.  —  Ouvrage  dédié  à  S.  Em. 
Arezzo,  écrit  par  l'avocat  Ferisi  et  imprimé  chez  ses  camériers  Francesco 
et  Vincenzo. 

De  la  Métamorphose.  —  1  vol.  par  S.  Em.  Macchi. 

De  la  Vaine  Présomption.  —  Ouvrage  de  S.  Em.  Pacca,  faisant  suite 
aux  Notices  historiques  du  même  auteur. 

De  rimportance  du  Pontificat.  —  1  vol.  de  S.  Em.  De  Gregorio, 
dicté  en  son  hôtel  et  a])prouvé  par  les  Em.  Arezzo  et  Morozzo,  et  par 
Mgr.  Foscolo. 

De  l'Art  de  faire  des  dettes  et  de  ne  pas  les  payer.  —  Ouvrage 
intéressantissime  par  Mgr.  Foscolo.  Impr.  du  duc  de  Lucca. 

A  ces  Catalogues  de  librairie,  plus  risibles  que  méchants,  s'ajoutaient 
encore,  sous  le  manteau  des  colporteurs  de  pasquinades  à  domicile, 
d'autres  diatribes  anonvmes  oii  fijruraient  les  noms  des  cardinaux  sus- 
ce[)libles  d'intéresser  le  conclave.  Une  de  ces  autres  plaisanteries  romaines 
consistait  à  faire  précéder  chaque  nom  de  cardinal  d'une  légende  qui 
s'appelait,  à  elle  seule,  une  illustrazione \  et  l'ensemble  constituait  une 
Galleria  ou  Collection  dont  voici  encore  un  exemple,  pour  la  curiosité 


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104 


LA    PRÉLATURE    DE   LÉON   XIII. 


des  amateurs  :  CoUection  de  gravureSy  (Vaprès  des  eompositious  de 
maîtres  célèbres  y  éditées  par  la  Lithographie  du  Peuple  Romain  j  avec 
permission  et  privilège  de  VEm.  Camerlingue.  La  salle  de  l Expo- 
sition est  ouverte^  tous  les  jourSy  à  la  Porte  du  Peuple, 


I.  —  La  Pythonisse  d'Endor  :  cardinal  Pacca. 
H.  —  Le  Moulin  à  Vent  de  (ilaudc  Lorrain  :  cardinal  Galeffi. 

III.  —  Le  Puhlicain  :  cardinal  Falsacappa. 

IV.  —  La  Révolution  de  Naples  :  cardinal  De  Gregorio. 
V.  —  La  Chaste  Suzaîine  :  cardinal  Pedicini. 

VI.  —  L'École  des  Sourds-Muets  :  cardinal  Ruiïo. 
VU.  —  La  Caverne   de  Pohjphème  :   cardinal   Brancadoro   (il 

e'tait  aveugle). 
VIll.  —  Un  Portrait  de  Napoléon  :  cardinal  Fesch. 
IX.  —  UOurs  et  le  Singe  :  cardinal  Morozzo. 
X.  —  La  Maison  au  Chapon  :  cardinal  Naro. 
XI.  —  Le  petit-fds  de  Tobie  :  cardinal  Doria  (homme  de  couric 

taille,  privé  d'un  œil). 
XH.  —  Le  Démoniaque  de  lÉvangile  :  cardinal  Pallotla. 

XI II.  —  Le  Jardin  aux  Citrouilles  :  cardinal  Dandini. 

XIV.  —  Le  Noël  de  Nicolas  Poussin  :  cardinal  Odescalchi. 
XV.  —  Tibère  à  Capri  :  cardinal  Zurla. 

XVI.  —   Vîdcain  à  sa  Forge  :  cardinal  Bussi  (il  était  boiteux). 
XVll.  —  Fumeurs  au  Cabaret  :  cardinal  Gaysruck. 
XVIII.  —  La  mort  de  JudaSy  pour  le  réfectoire  des  RR.  PP.  Ca- 
pucins :  cardinal  Micara. 
XIX.  —  La  Cérémonie  des  Étoupes  brûlées^  pendant  le  Couron 

nement  du  Pape  :  cardinal  Cappellari. 
XX.  —  La  Fromagerie  de  Rembrandt  :  cardinal  Cajjrano  (fils 

d'un  fromager). 
XXI.  —  Le  Massacre  des  Innocents  :  cardinal  Giustiniani  (pour 

ses  édits  à  Imola). 
XXI 1.  —  Le  Joueur  de  Cartes  :  cardinal  Macchi. 

XXI II.  —  UAnesse  de  Balaam  :  cardinal  Barberini. 

XXIV.  —  La  Maîtresse  du  Titien  :  cardinal  Benvenuti. 

XXX.  —  Les  Apôtres  dormant  au  jardin  de  Gethsémani  :  car- 
dinal Nasalli. 

XXXI.  —  Les  Furies  d'Oreste  :  cardinal  ïsoard. 

XXXII.  —  Samson  chassant  les  Renards  dans  le  Camp  des  Philis- 
tins :  cardinal  Gamberini. 


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Madame  Récamicr.  (D'après  un  dessin  de  l'époque. ) 


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104 


LA    rHKLATLRE    DE    LÉON    Xlll. 


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des  amateurs  :  Collection  de  gravures  y  (V  après  des  comitositions  de 
maîtres  célèhresy  éditées  par  la  Lithographie  du  l*eujde  Romain,  avec 
pertnission  et  privilège  de  l'Em.  Camerlingue.  La  salle  de  lE,i po- 
sition est  ouverte^  tous  les  jours,  à  la  Vorte  du  Peuple. 

ï.  —  La  Pgthonisse  d'Endor  :  cardinal  Pacea. 

11.  —  Le  Moulin  à  Vent  de  (ilaiide  Lorrain  :  cardinal  Cialeffi. 

m.  —  Le  Publicain  :  cjirdinal  Falsacappa. 

IV.  —  La  Révolution  de  Naples  :  cardinal  De  (Jregorio. 

V.  —  La  Chaste  Suzanne  :  cardinal  IVdicini. 

M.  —  L'École  des  Sourds-Muets  :  cardinal  llulVo. 

Vil.  —  La   Caverne   de   t^ohjphème  :    cardinal    Hrancadoro    (il 

e'tait  aveugle). 

VllI.   —  Un  l^ortrail  de  Napoléon  :  cardinal  Fescli. 

l\.  —  L'Ours  et  le  Singe  :  cardinal  Moroz/o. 

\.  —  La  Maison  au  Chapon  :  cardinal  Naro. 

XI.  —  Le  pet  il- fils  de  Tobie  :  cardinal  Doria  (lionnne  de  couric 

taille,  privé  d'un  œil). 

Xn.  —  le  Démoniaque  de  V Évangile  :  cardinal  Pallolla. 

XIII.  —  Le  Jardin  au.v  Citrouilles  :  cardinal  Dandini. 

XIV.  —  Le  Noël  de  Nicolas  Poussin  :  cardinal  Odescalclii. 
XV.  —  Tibère  à  Capri  :  cardinal  Zurla. 

XVI.  —   Vulcain  à  sa  Forge  :  cardinal  Ikissi  (il  était  Loileux). 
XVII.  —  Fumeurs  au  Cabaret  :  cardinal  Gaysruck. 
XVII 1.  —  La  mort  de  JudaSy  pour  le  réfectoire  des  UR.  PP.  Ca- 
pucins :  cardinal  Micara. 
XIX.  —  La  Cérémonie  des  Étoupes  brûlées,  pendant  le  Couron 

nement  du  Pape  :  cardinal  Cappellari. 
XX.  —  La  Fromagerie  de  Rembrandt  :  cardinal  Ca:)rano  (fils 

d'un  fromager). 
XXI.  —  Le  Massacre  des  Innocents  :  cardinal  Ciustiniani  (pour 

ses  édits  à  Iniola). 
XXII.  —  Lé  Joueur  de  Caries  :  cardinal  Macclii. 

XXIII.  —  UAnesse  de  Balaam  :  cardinal  Barbcrini. 

XXIV.  —  La  Maîtresse  du  Titien  :  cardinal  Benvennli. 

—  Les  Apôtres  dormant  au  jardin  de  Cethsémani  :  car- 
dinal Xasalli. 

—  Les  Furies  d'Oreste  :  cardinal  Isoard. 
XXXII.  —  Samson  chassant  les  Renards  dans  le  Camp  des  l^hilis- 

tins  :  cardinal  (laniberini. 


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Madame  Rôcamicr.  (D'après  un  dessin  de  répoquc.) 


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XXXIII. 


LA    PRÉLATUHE    HE    LÉON    XllL 


LE   CABINET   DU    ROI. 


107 


-  David  et  Belhsabée  :  cardinal  Albani. 
Achille  à  la  Quenouille  :  cardinal  Cacciapiatli. 

XXXIV.  —  Jupiter  foudroyant  les  Titans  :  cardinal  Hivarola. 

-  Les  Vaches  de  Paul  Potter  :  cardinal  Guerrieri. 
L  —  Le    Globe  céleste    de  Zambeccari   :   cardinal  Frosini. 

XXXVH.  —  La  Danseuse  de  Canova  :  cardinal  Hiario. 
XXXVIU.   -—   Tarquin  et  Lucrèce  :  cardinal  Bernetli. 
XXXIX.  —  Le  Christ  chassant  les  vendeurs  du   Temple  :  cardinal 
Cristaldi  (trésorier  de  l'Htat  pontifical). 
XL.  —  Cincinnatus  quittant  la  Charrue  :  cardinal  Marco. 
XLI.  —  Une  Famille  patriarcale  :  cardinal  Mazio   (chargé   de 

neveux). 
XLII.  —  V Adoration  du  Veau  d'Or  :  cardinal  De  Simone. 
XLllI.  —  Les  Fils  de  Josias  :  cardinal  Weld. 
XLIV.  —  La  Tonte  du  Troupeau  par  son  Pasteur  :  cardinal  Neni- 
brini*. 

A  ce  jeu  de  petits  papiers,  prohibés  par  la  police  romaine  et  d*autant 
mieux  répandus  chez  tout  le  monde,  les  cardinaux  papeggianti  et  leurs 
électeurs  fidèles  ou  revèches  finissaient  par  être  connus  du  populaire  (jui 
pouvait  deviner  ainsi,  avant  l'élection,  son  maître  de  demain,  et,  par 
une  autre  coutume  chère  aux  Romains,  jouer  sur  les  chances  probables 
ou  improbables  de  son  nom,  comme  sur  un  numéro  bon  ou  mauvais  du 
Lotto.  Ainsi,  faute  des  cirques  païens  et  grâce  aux  conclaves  catholi(|ues, 
ces  séculaires  agitateurs  de  dés  continuent,  aujourd'hui  encore  éper- 
dument,  à  tenter  la  fortune. 

Cependant  il  fallait  des  indications  [dus  sûres  que  des  pasquinades  ù 
Chateaubriand,  qui  pouvait  représenter  la  France  au  conclave  en  poète, 
—  ou  plutôt  en  chrétien,  —  selon  la  critique  que  (piehjues  maquignons  de 
la  papauté  en  firent;  peu  lui  importait,  pourvu  qu'il  déjouât  l'Autriche, 
représentée  par  le  vieux  cardinal  Albani  dont  le  rêve  pontifical  était  un 
protectorat  des  États  romains  sous  la  tutelle  du  prince  de  Metternich. 
Le  comte  de  Lutzow,  ambassadeur  du  Saint-Empire,  était  trop  bien 
représenté  par  ce  cardinal  au  conclave  pour  essayer  la  moindre  tenta- 
tive personnelle.  Le  chevalier  de  Labrador,  ambassadeur  d'Espagne,  se 
confiait  aux  lunettes  de  son  commandité  de  Naples,  le  vieux  comte  Fus- 
caldo,  qui  connaissait  mieux  le  champ  de  la  police  romaine  que  le  champ 

i.  Pour  l'explicalion  de  ces  légendes,  voir  les  noies  secrètes  que  nous  publions 
à  l'Appendice  de  ce  volume,  d'après  un  rapport  déposé  aux  Archives  du  ministère  des 
Atîaires  Etrangères. 


des  roses  de  Pœstum.  Et  notre  ambassadeur  français  d'attendre  encore 
les  ordres  et  les  fonds  du  cabinet  du  roi  qui,  ne  se  hàtani  pas  de 
répondre  à  la  demanJe  de  son  ambassadeur,  préférait  apparonmient 
continuer  chasser  à  courre  qu'au  pape.  Cependant  les  cardinaux,  déjà 
assemblés  en  conclave,  délibéraient.  Que  faire? 

Le  chroniqueur,  qui  se  trouve  quehpiefois  arrêté  par  des  documents 


Chateauhriaiul. 

dont  il  ne  peut  assurer  la  provenance,  est  oblige  d'admettre  des  hypo- 
thèses qui  [>araissent  aussi  (pielquefois  plus  vraisemblables  que  des 
réalités.  Celui  qui  entreprend  le  récit  de  cette  période  de  la  vie  de 
Joachim  Pecci  est  amené,  par  l'existence  d'un  document  d'importance 
majeure  qu'il  se  propose  de  citer  ici,  à  admettre  entre  le  vieil  ambassa- 
deur elle  jeune  étudiant  une  négociation  qui,  pour  n'être  qu'une  suppo- 
sition gratuite,  pourrait  bien  ne  pas  manquer  tout  à  fait  d'invraisemblance. 


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lUr»  LA    IMIÉLATUKE    DE    LÉILN    \lll. 

XXXIII.  —  David  et  [îelhmhée  :  cardinal  Alhani. 

Achille  à  la  Quenouille  :  cardinal  Cacciapialli. 
XWIV.  —  Jupiter  foudroi/an!  les  Titans  :  cardinal  Kivarola. 
WXV.  —  Lea  Vaches  de  l^anl  Voltcr  :  cardinal  Gucrricri. 
XXWI.  —  Le    Globe   céleste    de  Za^nheccari    :   cardinal   Frosini. 
WWII.   —  La  Danseuse  de  Canova  :  cardinal  lliario. 
XXW  III.    —   Tarquin  et  Lucrèce  :  cardinal  IVrnelli. 
XXXIX.  —  Le  Christ  chassant  les  vendeurs  du   Tenijde  :  cardinal 
Crislaldi  (trcsoricr  de  l'Ktal  |i(»nlilical). 
XL.  —  CAncinnatus  (juittant  la  Charrue  :  cardinal  Marco. 
XL!.  —  i'ne  Famille  patriarcale  :   cardinal  Mazio    (chargé   de 

neveux). 
XLII.  —  L'Adoration  du  Veau  d'Or  :  cardinal  De  Simone. 
XLIII.  —  Les  Fils  de  Josias  :  cardinal  Weld. 

XLI\.  —  La  Tonte  du  Troupeau  par  son  Piisteur  :  cardinal  Neni- 
lirini  '. 

A  ce  jeu  de  pelils  j)a[)iers,  prohibés  par  la  police  romaine  e(  d'autant 
mieux  répandus  chez  tout  le  monde,  les  cardinaux  pape(/(/ianti  et  leurs 
électeurs  fidèles  ou  revéches  linissaienl  |»ar  être  connus  du  populaire  «pii 
pouvait  deviner  ainsi,  avant  l'éleclion,  son  njaîlre  de  demain,  et,  par 
une  autre  coutume  chère  au\  liomains,  jouer  sur  les  chances  pndiahhs 
ou  improhahles  de  son  nom,  (omme  sur  un  numéro  hou  ou  mauvais  du 
Lotto.  Ainsi,  laule  des  cirques  païens  et  grîk'C  aux  conclaves  calholi«pu's, 
ces  séculaires  agitateurs  de  dés  continuent,  aujourd'hui  encore  éper- 
dument,  a  tenter  la  i'ortune. 

Cependant  il  l'allait  des  indications  plus  sûres  «pie  des  pas(|uinades  à 
Chateaubriand,  (pii  pouvait  représenter  la  France  au  conclave  en  poète, 
—  ou  plutôt  en  chrétien,  —  selon  la  critique  (|ue  quehpies  ma(|uignons  de 
la  papauté  en  tirent;  peu  lui  importait,  pourvu  (pi'il  déjouât  l'Autriche, 
représentée  |)ar  le  vieux  cardinal  Alhani  dont  le  rêve  pontifical  «îtait  un 
protectorat  des  États  romains  sous  la  tutelle  du  prince  de  Metternich. 
Le  comte  de  Lutzow,  ambassadeur  du  Saint-Empire,  était  tro[)  bien 
représenté  par  ce  cardinal  au  conclave  |)Our  essayer  la  moindre  tenta- 
tive personnelle.  Le  chevalier  de  Labrador,  ambassadeur  d'Fspagne,  se 
confiait  aux  lunettes  de  son  commandité  de  Naples,  le  vieux  comte  Fus- 
caldo,  qui  connaissait  mieux  lechanq)  de  la  police  romaine  (ine  le  champ 

1.  Pour  i'expliialion  de  ces  léf^endes,  voir  les  noies  secrètes  «jue  nous  |nil)lions 
à  \  Appr/HticcAiicG  volume,  tl'après  un  rapport  iléposé  aux  Archives  du  ministère  des 
AU'aires  l-^l rangé les. 


♦ 


LK   CAlîIXET   DE    IIUL 


107 


des  roses  de  Pœstum.  Kl  notre  ambassadeur  français  d'al tendre  encore 
les  ordres  et  les  Couds  du  cabinet  du  roi  (pii,  ne  se  hàlani  |)as  de 
ré[)ondre  à  la  deman  !e  de  son  ambassadeur,  ])rérérail  ap|)arennnent 
continuer  chasser  a  courre  (ju'au  pape.  Cependant  les  cardinaux,  déjà 
assemblés  en  conclave,  di'lilM'raienl.  Oue  l'aire? 

Le  cbronicpieur,  ipii  se  trouve  (pu'l(]uerois  arrélé  par  des  documeiils 


(ilialt'.'iiiliriiind. 

dont  il  ne  peut  assurer  la  provenance,  est  oblige  d'admettre  des  hypo- 
thèses tpii  paraissent  aussi  (pielcpielois  plus  vraisemblables  «pu)  des 
réalités.  Celui  «jui  entreprend  le  récit  de  cette  période  de  la  vie  de 
Joachim  Pecci  est  amené,  par  l'existence  d'un  document  d'importance 
majeure  (pi'il  se  propose  de  citer  ici,  à  admettre  entre  le  vieil  ambassa- 
deur et  le  jeune  étudiant  une  négociation  qui,  pour  n'être  qu'une  suppo- 
sition gratuite,  pourrait  bien  ne  pas  manquer  tout  à  fait  d'invraisemblance. 


108 


LA   PUÉLATIJUK    1)K    LEOxN    XllI. 


Le  hasard  des  recluTclics  nous  a  permis  de  découvrir,  aux  arehives  des 
Afliures  Élrangères  de  France,  un  Journal  secret  du  concL'we  (|ue  M.  de 
r4hateaubriand  l'ut  amené  à  faire  rédiger  par  un  correspondant  dont  Je 
nom  est  resté  aussi  secret  que  son  œuvre;  mais  cette  œuvre  l'ut  si  habile, 
qu'elle  n'est  attribuable  (pi'à  un  négociateur  diplomatiipie  de  première 
valeur.  Sur  cette  période  de  la  chronique  romaine,  pendant  le  conclave 
de  Pie  VllI,  nous  n'avions  que  les  plaisanteries  des  Promenades 
dans  Rome  écrites  par  Stendhal,  et  les  facéties  consignées  par  Mgr  Dar- 
dano,  conclaviste  du  cardinal  Morezzo,  dans  son  Diario  que  David  Sil- 
vagni  a  publié  de  nos  jours.  Ces  relations  valent-elles,  en  renseigne- 
ments aussi  précis  que  rares,  celles  que  Joachim  Pecci  envoyait  au  jour  le 
jour  à  sa  famille  et  que  nous  avons  déjà  lues  dans  sa  Correspondance  * 
de  jeunesse?  Nous  ne  le  croyons  pas.  Au  demeurant,  il  existe  une  telle 
ressemblance,  entre  la  Correspondance  de  l'un  et  le  Journal  de  l'autre, 
que  nous  admettrions  sans  peine  le  même  auteur  pour  les  deux  à  la  fois. 
Joachim  Pecci  ne  connaissait-il  pas  assez  Chateaubriand;  et  récipro(|ue- 
ment  Chateaubriand  Pecci,  j)Our  que  l'ambassadeur  confiât  à  l'abbé  une 
si  difficile  entreprise?  «  Hier,  a  eu  lieu  une  fête  magnifique,  écrit  à  quel- 
ques jours  de  là  notre  commensal  probable  de  l'ambassade  de  France. 
Elle  était  donnée  par  le  vicomte  de  Chateaubriand,  en  l'honneur  de  la 
grande-duchesse  Hélène  de  Russie.  Dans  la  matinée,  vers  dix  heures, 
ont  commencé  les  réceptions;  et  la  lete  a  duré  le  reste  de  la  journée. 
Elle  avait  lieu  dans  la  villa  Médicis,  très  gracieusement  décorée.  Un 
somptueux  déjeuner  fut  servi,  sous  des  tentes  qui  faisaient  l'ornement 
de  toute  la  villa.  On  présenta  à  la  grande-duchesse  les  costumes  roma- 
gnols,  dans  un  bal  composé  d'hommes  et  de  femmes  du  Translévère,  et 
qui  fut  on  ne  peut  mieux  goûtée...  »  Et  Joachim  Pecci  [X)ursuit  le  récit 
de  cette  fêle,  avec  des  détails  de  circonstance  qu'un  invité  seul  eut  \n\ 
consigner  dans  cette  lettre.  Notre  jeune  héros  ne  fréquentait-il  pas  le 
vieux  lion  des  libertés  françaises  et  chrétiennes?  et  le  message  que  l'un 
put  confier  à  l'autre,  autour  du  conclave  où  l'ambassadeur  ne  pouvait 
paraître  et  où  })ouvait  s'aventurer  plus  librement  le  jeune  homme,  péche- 
rait-il par  l'invraisemblance?  Celte  publication,  encore  qu'elle  nous  révé- 
lera un  document  curieux  que  Chateaubriand  croyait  détruit  par  le 
cabinet  du  roi  sur  sa  recommandation  môme,  nous  servira  du  moins  de 
document  comparatif  pour  apprécier  la  bonne  information  des  lettres  de 
Joachim  Pecci  qui,  si  elles  ne  présentent  pas  un  intérêt  suj)érieur  à  celui 
de  ce  Journal  secret,  ne  lui  paraîtront  pas  inférieures  pour  la  sûreté 

1.  Voir  la  Jeunesse  de  Léon  XI II,  Cliap.  II,  le  Conclave  de  Pie  VIII. 

2.  Cf.  dans  la  Jeunesse  de  léon  XIU,  p.  270. 


LK    CAHINKT    DU    KOI. 


100 


des  mêmes  informations  et  la  difficulté  de  se  les  procurer  quand  on 
n'était,  à  Home,  (pi'un  ambassadeur  de  [>remier  ordre  ou  un  étudiant 
de  premier  avenir. 

A  la  date  du  2  avril  1825,  Chateaubriand  écrit  confidentiellement  au 
comte    Portalis  la   lettre   suivante  :    «  J'ai  l'honneur  de  vous  envover 
aujourd'hui  les  documents  importants  que  je  vous  ai  annoncés.  Ce  n'est 
rien  moins  ([ue  le  Journal  officiel  et  secret  du  Conclave.  H  est  traduit, 
mot  pour  mot,  sur  l'original  italien;  j'en  ai  fait  disparaître  seulement 
tout  ce  (jui  pouvait  indiquer  avec  trop  de  précision  les  sources  où  j'ai 
puisé.  S'il  transpirait  la  moindre  chose  de  ces  révélations,  dont  il  n'y  a 
peut-être  pas  un  autre  exemple,  il  en  coulerait  la  fortune,  la  liberté  et 
la  vie  peut-être  à  plusieurs  personnes.  Cela  serait  d'autant  plus  déplo- 
rable, que  ces  révélations  ne  sont  point  dues  à  l'intérêt  et  à  la  corruption, 
mais  à  la  confiance  dans  l'honneur  français.  Cette  pièce^  Monsieur  le 
Comte,  doit  donc  demeurer  à  jamais  secrète,  après  avoir  été  lue  dans 
le  Conseil  du  roi;  car,  malgré  les  précautions  que  j'ai  prises  de  taire  les 
noms  et  de  retrancher  les  choses  directes,  elle  en  dit  encore  assez  pour 
compromettre  ses  auteurs.  J'y  ai  joint  un  commentaire,  afin  d'en  faci- 
liter la  lecture.  Le  Gouvernement  pontifical  est  dans  l'usage  de  tenir  un 
registre  où  sont  notés,  jour  par  jour,  et  pour  ainsi  dire  heure  par  heure, 
ses  décisions,  ses  gestes  et  ses  faits.  Quel  trésor  historique  si  l'on  pou- 
vait y  fouiller,  en  remontant  vers  les  premiers  siècles  de  la  papauté!  Il 
m'a  été  entr'ouvert  un  moment,  pour  l'épojjue  actuelle.   Le  roi  verra, 
par  les  documents  que  je  vous  transmets,  ce  qu'on  n'a  jamais  vu  :  l'inté- 
rieur d'un  conclave.   Les  sentiments  les  plus  intimes  de  la  cour  de 
Uome  lui  seront  connus,  et  les  ministres  de  Sa  Majesté  ne  marcheront 
pas  dans  l'ombre.  Le  commentaire  que  j'ai  fait  du  Journal  me  dispen- 
sant de  toute  autre  rédexion,  il  ne  me  reste  plus  qu'à  vous  ofl'rir  la 
nouvelle  assurance  de  la  haute  considération  avec  laquelle  j'ai  l'honneur 
d'être,  etc. ...  »  Et,  dans  ses  Mémoires  dOutre-Tombcy  il  ajoute  :  «  L'ori- 
ginal italien  du  document  précieux,  annoncé  dans  cette  dépêche  officielle, 
a  été  brûlé  à  Rome,  sous  mes  yeux;  je  n'ai  point  gardé  copie  de  la 
traduction  de  ce  document  que  j'ai  envoyée  aux  Affaires  Etrangères;  j'ai 
seulement  une  copie  du  commentaire  ou  des  remarques  jointes  par  moi 
à  cette  traduction.  Mais  la  même  discrétion,  qui  m'a  fait  recommander 
au  ministre  de  garder  la  pièce  à  jamais  secrète,  m'oblige  de  supprimer 
ici  mes  propres  remarques;  car,  quelle  que  soit  l'obscurité  dont  ces 
remarques  sont  enveloppées  par  l'absence  du  document  auquel  elles  se 
rapportent,  cette  obscurité  serait  encore  de  la  lumière  à  Rome.  Or,  les 
ressentiments  sont  longs  dans  la  Ville  éternelle  ;  il  se  pourrait  faire  que. 


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110 


LA   PUÉLATUHE   DK   LÉON   XIIL 


dans  cinquante  ans  d'ici,  ils  allassent  frapper  (pielquc  arrière-neveu  des 
auteurs  de  la  mystérieuse  confidence*....  »  En  voilà  soixante  et  plus, 
aujourd'hui,  que  cette  pièce  est  écrite  :  nous  la  publions.  Chateaubriand 
avait  cru  qu'elle  aurait  été  brûlée,  sur  sa  recoinniandalion,  dans  le 
cabinet  du  roi  :  Charles  X  l'épargna,  et  nous  avons  pu  en  retrouver  les 
feuilles  originales  aux  archives  de  l'ancien  ministère  du  comte  Portalis. 
Au  surplus,  l'auteur  du  Journal  d'un  Conclave,  s'il  n'est  Joachim  Pecci 
ou  un  de  ses  émules,  ne  peut  que  trouver  quelque  honneur  à  servir 
impunément  aujourd'hui  de  commentaire  aux  lettres  que  Léon  XIII, 
alors  étudiant  romain,écrivait  avec  autant  d'ingéniosité  que  de  justesse, 
sans  crainte  de  révéler,  par  quelques  indiscrétions  innocentes  et  per- 
mises, de  véritables  secrets  d'État. 

Journal  du  conclave  dayis  lequel  a  été  élu  le  pope  Pie  VIIÏ, 
depuis  le  25  février  jusqu  au  3!  mars  de  l'année  1829. 

Les  cardinaux,  au  nombre  de  trente-sept,  sont  entrés  en  conclave  le 
lundi  soir  25  février. 

Les  scrutins  ont  commencé,  le  2i.  On  a  su,  le  premier  jour,  que  le 
cardinal  Pacca  avait  réuni  de  20  à  22  voix.  Ct-pendant  les  partis  ne  se 
sont  dessinés  que  vers  le  2  mars.  Les  uns  demandaient  une  élection 
prompte,  immédiate;  les  autres  disaient  rpi'il  était  convenable  d'attendre 
l'arrivée  des  cardinaux  étrangers.  C'est  dans  ce  sens  que  MM.  les  car- 
dinaux Délia  Somaglia,  doyen,  et  Pacca,  sous-doyen  du  Sacré  Collège, 
firent  une  allocution  à  l'assemblée  dans  la  journée  du  20  février. 

Ce  même  jour,  les  cardinaux  Macchi,  Morozzo  et  Arezzo,  entrés  au 
conclave,  ont  porté  à  quarante  le  nombre  des  votants. 

La  correspondance  intime  que  l'on  va  lire  commence  le  3  mars». 

1.  Les  notes  de  Cliatcauhriand.  comme  celles  de    Mgr  Dardano  nue  nous  citerons  çà 
et  là,  ne  commencent  quà  la  date  du  2  niai-s. 

3  mars,  à  7  heures  du  malin. 

Le  Sacré  Collège  a  ordonné  (jue,  dans  le  cas  oîi  l'élection  serait  décidée, 
ce  matin,  les  dispositions  soient  prises  afin  (|ue  les  demandes  des 
ministres  étrangers  pour  se  procurer  des  chevaux  de  poste  n'éprouvent 
point  de  retard,  comme  il  est  arrivé  à  la  mort  du  Pape.  La  conférence 
que  les  cardinaux  ont  tenue  entre  eux,  hier  au  soir,  donnera  probable 

1.  Cf.  les  Mémoires  d'Oui re-TomOe,  édit.  Edmond  Biré,  t.  V,  p.  182  cl  sniv. 


LK   CABLNET    DU    ROI. 


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ment  pour  résultat  la  même  votation  qu'hier.  Les  24  voix  qui  veulent 
l'élection  d'Oppizzoni  sont  décidées  à  soutenir  leur  vote;  les  16  autres  se 
portent,  tantôt  d'un  côté,  tantôt  de  l'autre,  mais  se  réunissent  enfin  sur 
Délia  Marmora.  Je  crains  de  voir  ainsi  se  renouveler  l'obstination  qui  eut 
lieu  au  conclave  de  Benoît  XIV.  Quoi  qu'il  en  soit,  il  convient  de  cher- 
cher a  tout  prix  la  prépondérance.  On  expédiera  un  secondaire  au  car- 
dinal (]esarei,  qui  a  représenté  que  ses  infirmités  l'empêchaient  de  se 
mettre  en  voyage.  On  l'engagera  à  venir  à  petites  journées,  sa  présence 
ayant  été  reconnue  indispensable.  De  la  sorte,  les  sulfrages  pour  Oppiz- 
zoni  s'élèveront  à  25,  et,  ce  nombre  formant  une  majorité  respectable, 
peut-être  les  autres  y  accéderont-ils  par  motif  de  conscience  et  par  res- 
pect pour  la  bulle  de  Grégoire  XV  qui  déclare  que  «  les  suffrages  doivent 
être  donnés  au  plus  digne  ».  Le  parti  contraire  pourra  réfléchir  que,  si 
25  voix  se  concentrent  sur  un  seul  sujet,  il  est  évident  que  celui-ci 
réunit  un  ensendjie  de  qualités  propres  à  lui  faire  obtenir  la  préférence. 
Oppizzoni  ne  peut  déplaire  à  l'Autriche,  dont  il  est  le  sujet;  il  ne  peut 
déplaire  à  la  France,  puisqu'il  a  été  nommé  cardinal  avec  son  assenti- 
ment, et  parce  qu'il  n'est  pas  porté  pour  les  Jésuites. 

3  mars,  à  7  liourcs  et  demie  du  soir. 

Voici  un  changement  vraiment  extraordinaire.  Le  cardinal  Ruflb  Scilla, 
qui  vient  d'entrer,  s'est  rangé  au  parti  des  16^  Le  terme  de  courtoisie 
pour  procéder  à  l'élection  étant  écoulé,  tout  semble  se  disposer  à  nous 
donner  un  Pape  dans  la  journée  de  demain.  Benvenuti  pourrait  être 
choisi,  entre  Pacca  et  De  Gregorio,  précisément  parce  que  les  difficultés 
seraient  moindres.  Le  parti  d'Oppi/zoni  est  toujours  compact;  mais  il 
incline  un  peu  vers  le  premier  et  vers  le  dernier.  Les  nouvelles  arrivées 
au  Sacré  Collège  sont  qu'Albani  se  trouvait,  il  y  a  quelques  jours,  à  Imola. 
Le  voilà  bien  près  de  nous!  Qui  sait  les  instructions  dont  il  sera  chargé? 
Nous  avons  la  certitude  que  les  exclusions  de  l'Autriche  ne  lui  sont  point 
confiées;  mais  il  n'en  est  pas  moins  son  })lénipolentiaire.  Si  ce  cardinal 
se  prononçait  pour  Oppizzoni,  la  victoire  serait  en  nos  mains.  Sa  présence 
aura  beaucoup  d'importance,  et  l'on  cherche  à  l'éviter. 

Nous  avons  été  avertis  de  l'arrivée  de  l'archevêque  de  Milan  (le  cardinal 
de  Gaysruck).  Ce  serait  une  cliose  excellente  si  demain  tous  les  calculs 
étaient  en  défaut  par  l'élection  de  Benvenuti  ou  de  De  Gregorio;  j'y  vois 
de  la  probabilité.  Si  réellement  ce  qui  a  été  convenu  après  le  scrutin  a 
son  effet,  nous  pourrions  avoir  un  Pape  demain. 

1.  On  voit  ici  combien  la  cour  de  Naples  trompait  M.  de  Blacas,  ou  combien  elle  en 


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112 


LA    l'RKLATLUE   DE    LÉON    XIIJ. 


était  elle-mèrac  trompée.  Tandis  qu'elle  me  faisait  dire  que  les  cardinaux  napolilaiiiï 
voleraient  avec  nous,  ils  se  réunissaient  à  la  minorité.  —  Ciialeaubriand. 


4  mars,  à  midi. 

Dans  toutes  les  élections,  les  chances  humaines  se  font  sentir.  Le  parti 
contraire  commence  à  plier.  Oppizzoni,  à  mon  avis,  sera  le  Pape  élu,  si 
l'on  ne  cherche  pointa  hrusquer  l'élection  de  Benvenuti.  Tout  en  voulant 
attendre  les  cardinaux  français  et  les  autres,  qui  sont  près  d'entrer,  le 
parti  de  la  majorité  l'emportera  sans  contredit,  et  conduira  hien  sou 
[)hui  sans  jamais  se  découvrir.  Maintenant,  nous  commençons  à  respirer 
a  1  aise. 

4  mar<,  au  soir. 

Le  Sacré  Collège  est  fort  appliqué  à  prévenir  la  possibilité  de  pénétrer 
ce  que  l'on  pense  et  ce  qui  se  lait  dans  le  conclave,  comme  l'on  n'en  a 
été  que  trop  informé  dans  l'élection  précédente.  Dans  l'intérieur,  des 
ordres  très  stricts  ont  été  donnés  afin  que  les  choses  secrètes  demeurent 
impénétrables;  mais,  malgré  toutes  les  précautions  auxquelles  on  a 
recours,  il  faut  une  vigilance  toute  particulière  pour  empêcher  les  cor- 
respondances du  dehors.  Ce  matin,  il  est  venu  une  lettre  ouverte  pour 
l'un  des  cardinaux.  On  s'est  heureusement  avisé  de  l'examiner  avec  atten- 
tion; le  contenu  avait  l'air  insignifiant,  mais  le  style,  un  peu  emphatique, 
semblait  forcé.  On  s'est  aperçu  que  les  initiales  des  premiers  mots  ren- 
fermaient un  sens  important,  qui  tendait  à  influer  sur  l'élection  future 
en  la  restreignant  sur  un  seul  sujet.  En  voici  la  première  phrase  : 

—  Pieno  era  di  céleste  incendio,  non  icjnolo  a  tutti  i  suoi  confra- 
lelliy  il  cuor  di  S.  Francesco  Saverio  quando  diceva,  che  nclle  ele- 
zioniy  etc. 

—  Pedicini  ha  tutti  i  suoi  confratelli.,.. 

Comme  les  embûches  sont  dressées  de  toutes  parts  !  Aujourd'hui  on  a 
augmenté  les  gardiens  intérieurs,  et  on  leur  a  donné  des  instructions 
très  rigoureuses.  Il  faut  espérer  que  ce  tempérament  aura  l'elîet  désiré. 

Nous  voici  revenus  à  la  «  Tour  d'Ugolin  ».  Quand  pourrons-nous  en 
sortir?  .le  ne  puis  le  deviner.  En  trouvera-t-on  bien  vite  la  clef?  Je  ne 
saurais  le  dire.  Après  le  scrutin,  il  y  a  eu  de  grandes  conférences;  chacun 
a  voulu  peser  les  actions  des  autres,  pour  en  faire  un  sujet  de  méditation. 
Le  parti  d'Oppizzoni  prédomine  encore;  mais  on  dirait  que  quelqu'un  a 
pressenti  cette  secrète  union.  Les  uns  demandent  un  Pape  qui  soit  un 
prince  absolu.  Vidoni  est  le  coryphée  de  cette  opinion  et  montre  avec 
orgueil  le  discours  de  l'ambassadeur  de  France,  qui  émet  le  vœu  que^ 


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ROME.  —  La  statue  de  saint  Pierre  dans  la  basilique  San  Pietro.  (Dessin  de  Thqmas,  1830.) 


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LA    l'UiavrillK    l)K    LKON    MU. 


était  cllc-mi'me  trompée.  Tandis  (|nV'lle  me  faisait  ilirc  «luo  los  cariliiiaiix  napulitaui: 
voleraient  avec  nous,  ils  se  réunissaicnl  à  la  minorité.  —  Clialc:inl»rian(l. 


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Dîuis  toiilos  les  l'ioi  lions,  les  clinnn's  liumniiios  so  Ibiil  stMilii*.  le  |>;iili 
ronli'iiife  conimenoo  à  plier.  O|)[»izzoni,  à  mon  avis,  sera  le  Paju'  l'hi,  si 
l'on  ne  clierclie  point  à  brnsqner  Tt-leclion  de  IJenvenuti.  Tout  eu  voulant 
attendre  les  eardinanv  français  et  les  anli'es,  ijui  'ionl  près  d'entrer,  le 
parti  de  la  majorité  l'emportera  sans  contredit,  cl  conduira  bien  mhi 
plan  sans  jamais  se  découvrir.  Maintenant,  nous  eoumieuçons  à  respirer 
a  1  aise. 


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l.c  Sacré  Collège  est  fort  apprhjué  à  jn'évenir  la  [lossihililé  de  [>éuélrer 
ce  (|ue  l'on  }>ense  et  ce  qui  se  lait  dans  le  conclave,  counnc  l'on  u'en  a 
été  que  trop  informé  dans  l'élection  précédente.  Dans  l'intérieur,  des 
ordres  très  stricts  ont  été  donnés  alin  (pic  les  choses  secrètes  demenrent 
impénétrables;  mais,  malgré  toutes  les  précautions  auxquelles  on  a 
recours,  il  faut  une  vigilance  tonte  particulière  [K)ur  enq>écbcr  les  cor- 
respondaïu'cs  du  dehors,  (le  matin,  il  est  vemi  une  lettre  ouverte  |»our 
l'un  des  cardinaux.  On  s'est  heureusement  avisi'  de  l'examiner  avec  atten- 
tion; le  cotitenu  avait  l'air  insignifiant,  mais  le  style,  un  [)eu  enqdiatitpie, 
semblait  forcé.  On  s'est  aperçu  «[ue  les  initiales  des  premiers  mots  ren- 
fermaient un  sens  inqiorlant,  qui  tendait  à  iniluer  sur  l'élection  futme 
en  la  restreignant  sur  un  seul  sujet.  Kn  voici  la  [U'cmière  phrase  : 

—  l*icno  era  di  celcMc  incemlio^  non  i(/no(o  a  tutli  i  snoi  confid- 
lelli,  il  cuor  di  S.  FrancescD  S((r('rio  (juando  dircrn,  clie  nrllc  de- 
zioni,  etc. 

—  Pedicinl  ha  tutti  i  snoi  confiateUi  — 

Comme  les  embiuhes  sont  dressées  de  toutes  parts!  Aujourd'hui  on  a 
augmenté  les  gardiens  intérieurs,  et  on  leur  a  donné  des  instructions 
très  rigoureuses.  Il  faut  espérer  que  ce  tempérament  aura  l'effet  désiré. 

Nous  voici  revenus  à  la  ((  Tour  d'Cgolin  ».  Ouaml  pourrons-nous  en 
sortit?  .le  ne  puis  le  deviner.  Vax  trouvera-l-on  bien  vile  la  clef*/  Je  ne 
saurais  le  dire.  Après  le  scrutin,  il  y  a  eu  de  grandes  coiderences;  chacun 
a  voulu  peser  les  actions  des  autres,  [)ouren  faire  un  sujet  de  méditation. 
Le  parti  d'Oppizzoni  prédomine  encore;  mais  on  dirait  que  quehpi'un  a 
pressenti  celle  secrète  union.  Les  uns  demandent  \m  Pape  qui  soit  mi 
[irince  absolu.  Vidoni  est  le  coryphée  de  celle  o[)inion  et  inonlre  avec 
orgueil  le  discours  de  l'andjassadeur  de  Fiance,  (jui  émet   le  vœu  que^ 


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ROME.  —  La  statue  de  saint  Pierre  dans  la  basilique  San  Pietro.  (Dessin  de  Thomas,  1830.) 


LK    CABINET   DU    ROF. 


115 


l'on  donne  à  l'É-lisc  un  digne  successeur  de  Léon  XII  •.  Celui-ci  était  effec- 
tivement un  Pape  absolu,  quant  à  l'autorité  temporelle;  il  faisait  peu  de 
cas  des  cardinaux  et  dérogeait,  à  son  gré,  aux  Constitutions  apostoliques. 
Vidoni  attend  donc  les  cardinaux  français,  pour  qu'ils  soutiennent  son 
i»arti.  D'autres  veulent  un  pape  qui  soit  cardinal  dans  l'àme  et  maintienne 
toutes  les  prérogatives  du  Sacré  Collège.  Enfm,  il  en  est  qui  le  veulent 
imbu  de  maximes  qui  remontent  à  1750.  Que  résultera-t-il  de  tout  ceci? 
C'est  qu'on  verra  se  différer  de  plus  en  plus  l'élection,  qui  pourtant 
devient  cbaque  jour  plus  nécessaire. 

V  ^'"^^[-^^  P«s  fc  même  car.lin;il  que  Clialcanbnaii.l  appelait  ironiquement,  en  fai- 
rao"!  "'"""  ^  '''"  excessive  obésité  et  à  sa  jovialité  ultra-romaine  :  -  Madama 

Au  sujet  de  son  premier  discours  aux  cardinaux,  Chateaubriand  écrit  en  note  dans 
ce  Journal  :  «  l/interprélation  de  mon  premier  <liscours  est  forcée,  dans  ce' para- 
graphe ;  il  est  évident  qu'en  demandant  un  digne  successeur  de  Léon  XII,  ie  ne  parlais 
pas  de  ce  Pontile  relativement  à  Tadminislralion  temporelle  de  Rome,  mais  relative- 
ment a  la  iml.ti.jue  que  Léon  XII  avait  suivie  avec  les  Puissances  étran<-ères    » 


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5  mars,  à  3  heures  du  soir. 

Vous  allez  être  dans  l'étonnement,  en  voyant  le  scrutin  d'aujourd'hui  : 
ces  suffrages,  portés  sur  une  personne  bien  éloignée  de  nous  (l'arclie- 
véque  de  Gènes,  nonce  à  Paris),  serviront  toutefois  à  faire  connaître  au 
Sacré  Collège  s'il  existe  dans  le  Conclave  des  personnes  qui  soient  en 
correspondance  avec  le  dehors.  Le  parti  de  Pedicini  est  tellement  obstiné, 
qu'il  ne  cédera  pas  aisément.  Désespérant  de  réussir  dans  le  dessein 
qu'il  a  en  vue,  il  a  recueilli  ses  forces  et  les  a  réunies  toutes  sur  la  tête 
d'un  étranger  qui  peut  être  fort  religieux,  mais  qui  n'est  point  connu. 
Le  parti  modéré  acquiert  plus  de  force  et  saura  triompher  en  montrant 
de  l'indifférence. 

Apres  le  scrutin  on  a  été  informé  des  vrais  sentiments  de  la  France, 
qui  souhaite  vivement  un  pasteur  pacifique.  Les  vœux  des  autres  Puis- 
sances sont  les  mêmes.  Ainsi  tombent  les  criailleries  de  Vidoni,  qui 
cherchait  à  donner  des  interprétations  forcées  au  discours  de  l'ainbas- 
sadeur.  Que  l'on  attende  donc  les  Français,  les  Allemands,  les  Espagnols, 
à  la  bonne  heure  !  Ceci  n'empêchera  pas  de  suspendre  ou  de  hâter  l'élec- 
tion à  laquelle  on  vise.  Les  Français  ne  tarderont  pas  à  arriver.  De 
La  Fare  logera  au  couvent  de  la  Transpontine,  le  vicaire  général  le  croit 
ainsi.  De  Croy  et  Isoard  viennent  également.  L'exclusion  qu'ils  apportent 
est  insignifiante.  On  va  réitérer  les  avis  à  Clermont-Tonnerre».  Cinq 
jours  après  l'arrivée  des  nouveaux  cardinaux,  tout  sera  tçrminé.  Si  Albani 

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114 


LA   PRÉLATURE    DE    LÉON   XIIL 


est  seulement  indifférent  sur  l'élection  d'Oppizzoni,  celui-ci  sera  le  pape 
futur. 

1.  le  Conclave  était  très  bien  instruit  de  la  marche  de  nos  cardinaux,  et  il  savait 
d'avance  où  ils  descendraient.  Les  intrigants  qui  menaient  à  Rome  cette  affaire  se 
cro valent  si  sûrs  de  la  victoire,  qu'ils  annonçaient  une  scission  complète  entre  l'am- 
bassadeur de  France  et  les  cardinaux  français;  ceux-ci,  disaient-ils,  apportaient  des 
instructions  tout  opposées  aux  miennes  et  qui  renfermaient  la  pensée  secrète  du  Roi. 
Il  était  donc  bien  essentiel  de  persuader  à  MM.  de  Lalil,  de  Croy  et  de  la  Fare  de 
s'établir  dans  le  premier  moment  à  l'ambassade,  et  c'est  à  quoi  j'eus  le  bonheur  de 

réussir. 

L'invitation  envoyée  à  M.  de  Clermont-Tonncrre  venait  de  la  minorité,  dite  fraction 

de  Sardaigne.  —  Chateaubriand. 

5  mars,  à  6  heures  du  soir. 

Le  parti  contraire  insiste  pour  avoir  un  pape  jésuite  ^  Il  croit,  bien  mal 
à  propos,  que  l'on  peut  voir  se  renouveler  le  l'ait  survenu  au  Conclave 
de  1268,  après  la  mort  de  Clément  IV,  auquel  succéda  Grégoire  X,  cha- 
noine de  Liège  extra  ordinem,  au  bout  d'une  lutte  de  plus  de  deux  ans 
à  Viterbe.  Aujourd'hui  l'horizon  s'éclaircit,  on  se  désabuse  sur  les  idées 
que  Vidoni  jetait  en  avant.  Le  vote  doit  être  consciencieux,  et  par  cela 
même  on  en  viendra  à  une  règle  certaine  qui  neutralisera  les  partis  et 
les  réunira  tous  à  la  fm  pour  la  vraie  élection. 

4.  Un  pape  jésuite  \  Cette  expression  du  texte  même  prouve  que  la  majorité  dos 
cardinaux,  d'accord  avec  tous  les  ordres  monastiques  de  Rome,  n'aime  pas  l'institu- 
tion de  Loyola.  —  Chateaubriand. 

6  mars,  au  matin. 

Hier  au  soir,  un  peu  tard,  on  est  venu  annoncer  Tarrivée  d'Albani. 
Tout  le  Conclave  fut  en  mouvement.  Les  cardinaux,  divisés  en  plusieurs 
groupes,  se  promenaient  dans  les  corridors,  entraient  les  uns  chez  les 
autres;  on  lisait  sur  leurs  fronts  une  inquiétude  bien  marquée.  Je  fus 
informé  que  la  plupart  d'entre  eux  sollicitaient  à  tout  prix  une  élection. 
Les  partis  semblaient  vouloir  confondre  leurs  suffrages  et  presser  l'élec- 
tion, avant  qu'il  y  eût  le  danger  d'une  exclusion.  Douze  votants  parais- 
saient pencher  pour  De  Gregorio,  les  autres  adhéraient  ou  feignaient 
d'adhérer.  Quelques-uns,  plus  sages,  s'attachaient  à  calmer  l'agitation 
des  esprits  et  essayaient  par  de  douces  paroles  de  suggérer  un  meilleur 
parti,  et  de  prolonger  l'élection  jusqu'à  ce  que  le  Sacré  Collège  eût  reçu 
les  hommages  des  Puissances  étrangères,  ou  du  moins  jusqu'à  l'arrivée 
des   cardinaux  français  dont   la  présence   était  reconnue   d'un  grand 
intérêt,  parce  qu'en  coopérant  à  sanctionner  l'élection,  il  en  pouvait 
rejaillir  quelque  influence  sur  la  forme  actuelle  du  gouvernement  de  &I 


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LE    CABINET   DU   ROI. 


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Majesté  Très  Chrétienne.  Cependant  l'avantage  demeurait  à  ceux  qui 
souhaitaient  l'élection  de  De  Gregorio  pour  le  lendemain.  Les  cardinaux  se 
retirèrent  dans  ces  dispositions.  Néanmoins  les  partisans  d'Oppizzoni, 
plus  fermes  et  souffrant  impatiemment  qu'on  leur  dictât  des  lois,  ne 
promirent  d'adhérer  qu'à  de  certaines  conditions.  Tout  paraissait  donc 
réglé;  malgré  cela,  je  différai  de  vous  écrire.  Ce  matin,  le  même  esprit 
s'annonçait;  je  vous  ai  averti  en  toute  hâte.  J'attendais  que  le  scrutin 
fût  achevé  pour  me  féliciter  avec  vous,  tant  je  m'étais  persuadé  que 
nous  aurions  un  pape.  Il  s'en  est  peu  fallu  effectivement,  puisque  les 
votes  en  faveur  du  cardinal  De  Gregorio  ont  été  de  vingt-cinq.  Que 
sait-on  s'il  ne  sera  pas  proclamé  ce  soir?  Ce  serait  une  belle  surprise 
pour  Gaysruck  (l'archevêque  de  Milan)  en  entrant  au  Conclave,  de  trouver 
le  pape  fait.  De  Gregorio  n'acceptera  pas,  s'il  ne  réunit  la  plénitude  des 
suffrages;  il  en  a  fait  la  protestation  solennelle  à  ses  amis,  disant 
qu'aimé  de  tout  le  monde  aujourd'hui,  il  ne  veut  pas  mourir  chargé  de 
la  haine  universelle.  Si  les  mêmes  dispositions  le  soutiennent,  nous 
aurons  un  pape  trois  jours  après  l'arrivée  des  cardinaux  français,  et  ce 
pape  sera  ou  Cappellari  ou  Oppizzoni*. 

I.  En  sortant  de  la  Sixtine,  le  cardinal  De  Gregorio  portait  sur  son  visage  les  traces 
visibles  de  sa  dernière  émotion.  Il  a  fait,  au  Saint  Sacrement,  une  visite  plus  longue 
que  d'habitude,  pendant  laquelle  tout  le  monde  le  regardait  avec  des  yeux  pleins  d'in- 
certitude. 

Le  cardinal  Vidoni,  malade,  a  reçu  en  pantoufles  dans  sa  cellule  les  trois  infirmiers 
qui  venaient  recevoir  son  vote.  Pour  tout  vêlement,  il  avait  endossé  une  douillellc  sur 
laquelle  il  avait  rabattu  sa  chemise  à  grand  col  ;  en  sorte  qu'on  pouvait  voir  très  bien 
le  gras  de  sa  poitrine. 

Le  cardinal  Pallotta  en  allant,  hier  soir,  au  scrutin  disait  à  Rivarola  et  à  Arezzo  : 
a  Dépcchons-nous,  car  les  voilures  nous  attendent  !  »  —  Mgr  Dardano. 

7  mars,  à  6  heures  du  malin. 

Hier  au  soir,  je  croyais  être  dispensé  de  vous  écrire  désormais,  tout 
étant  préparé  pour  l'élection  d'un  pape  dans  la  matinée  d'aujourd'hui. 
Le  parti  contraire  ayant  fléchi  en  quelque  endroit,  il  pourrait  sembler 
que  le  choix  de  De  Gregorio  fût  indubitable.  Je  soupçonne  pourtant 
que  cette  élection  s'en  ira  en  fumée.  Il  est  positif  que  six  cardinaux  de 
l'opposition  feraient  mine  de  se  ranger  à  la  majorité,  et  peut-être  l'au- 
raient-ils  fait  de  bonne  foi,  si  leurs  sentiments  n'eussent  été  trop  sus- 
ceptibles de  se  refroidir,  trop  vacillants  ou  trop  prompts  à  revenir  sur 
leurs  premières  voix.  La  nuit  dernière,  où  l'élection  fut  solennellement 
concertée,  mais  où  le  secret  fut  trahi  par  des  signes,  des  demi-mots  ou 
des  ordres  donnés  avec  trop  d'empressement  au  dehors  du  Conclave,  il 


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LA   PUKLATIRE    DE    LÉON    Mil. 


survint  un  débat  remarquable  qui  attira  l'attention  de  tout  le  monde. 
Quatre  cardinaux  parlaient  avec  noblesse,  énergie  et  un  vif  intérêt;  les 
autres  écoutaient  en  silence  ou  n'interronq)aient  le  discours  (fue  par  de 
brèves  réllexions.  Les  documents  secrets  du  Conclave  furent  demandés, 
on  se  fixa  sur  ceux  qui  avaient  rapport  aux  cardinaux  français;  lecture 
en  fut  faite  îi  haute  voix.  On  exposa  alors  que  la  présence  de  ces  cardi- 
naux était  indispensable  pour  sanctionner  l'élection  du  nouveau  pasteur; 
([ue  la  protestation  qui  serait  faite  dans  le  cas  contraire  pourrait  èlre  d'un 
grand  scandale,  d'un  immense  préjudice  pour  l'Église.  On  entendit  dire 
avec  chaleur  que  la  liberté  du  clergé  de  France  était  enchaînée  dans  des 
fers  barbares,  l'instruction  publique  tyrannisée  par  la  violence  du  pou- 
voir séculier,  au  moyen  de  certaines  Ordonnances  arrachées  tumultueu- 
sement; que  l'on  a  conçu  le  dessein  de  donner  au  peui)le  le  droit  d'élire 
ses  magistrats  afin  d'affaiblir  l'autorité  suprême  du  roi;  que  ces  tenta- 
tives de  rébellion,  déguisées  sous  des  apparences  flatteuses  dans  le  projet 
de  loi,  anéantissent  petit  à  petit  les  sentiments  d'obéissance  et  ouvrent 
les  portes  au  torrent  de  l'irréligion  ;  qu'il  importe  d'examiner  mûrement 
la  gravité  de  ces  dangers  imminents;  qu'à  cet  examen  ont  droit  d'as- 
sist'er  les  cardinaux  français,  qui  sont  les  légitimes  représentants  de  la 
religion.  On  ajouta  que  malheureusement  l'apologiste  des  Ordonnances 
et  des  Lois  municipales  (M.  de  Chateaubriand)  se  trouvait  dans  leur  voi- 
sinage; que  cet  ambassadeur,  paraissant  vouloir  hâter  le  moment  de 
l'élection  en  l'absence  des  cardinaux  français,  s'appliquait,  sans  doute,  à 
prévenir  une  délibération  qu'il  prévoyait  devoir  être  funeste  à  l'essence 
actuelle  de  son  Gouvernement.  On  dit  entin  qu'en  se  montrant  indifférent 
aux  réclamations  du  clergé,  le  pape  Léon  XII  n'avait  fait  qu'entrevoir  le 
venin  des  Ordonnances,  sans  en  approfondir  la  malignité;  que  les  su l- 
frages  qu'il  avait  recherchés  ont  été  très  inconqdets  et  circonscrits  à  un 
petit  nombre  de  voix  qui  appartenaient  à  son  entourage. 

Vous  reconnaîtrez  par  tous  ces  proi)OS  ce  ([u'est  l'homme  en  soiiç-méme 
et  l'homme  guidé  par  ses  passions.  Saint  Paul  a  dit  que  «  le  zèle  qui 
n'est  point  tempéré  par  la  prudence  devient  un  grave  délit  ».  Ainsi 
Irouverez-vous  dans  ces  débats  l'homme  tout  entier,  mais  dans  l'élection 
vous  verrez  clairement  la  main  de  Dieu.  Le  jour  viendra  où  les  per- 
plexités seront  tellement  générales,  que  le  choix  ira  se  fixer  sur  celui 
que  Dieu  aura  prédestiné  a  gouverner  son  Église  par  la  sagesse  et  la 
modération.  Il  en  a  été,  il  en  sera  toujours  ainsi. 

Les  intrigues  sont  le  clair-obscur  des  élections  pontificales. 


LE   CABINET   DU    ROI. 


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7  mars  an  soir. 


Quel  changement  de  scène,  dans  un  instant  !  Albani  a  paru  et  a  passé, 
comme  un  lion*.  A  peine  entré,  il  s'est  écrié  :  Nous  sommes  donc 
arrivé  à  temps\  C'est  maintenant  que  je  crois,  en  vérité,  que  De  Gre- 
gorio  ne  sera  plus  élu  pape*.  Vous  savez  les  querelles,  les  animosités, 
(jui  se  sont  élevées  entre  ces  deux  personnages.  Quoique  l'Autriche  n'a  il 
point  l'intention  d'exclure  De  Gregorio,  Albani  l'exclura  sous  sa  propre 
responsabilité.  Que  faire  à  cela?  Nous  rentrons  dans  la  «  tour  d'Ugolin  », 
et  devons  nous  résigner  à  n'en  pas  sortir  de  sitôt. 

Les  ambassadeurs  étrangers  seront  reçus,  lundi,  mardi  et  mercredi 
prochains.  Ce  soir,  il  y  aura  des  colloques  et  bientôt  l'on  pourra  péné- 
trer les  desseins  d'Albani.  Il  a  toutefois  une  grande  finesse,  un  esprit 
très  délié  et  une  politique  diabolique.  Don  Dieu!  pourquoi  ne  pas  le 
devancer  hier,  quand  il  en  était  encore  temps?  Le  parti  des  exaltés  tache 
de  tirer  parti  de  tout  et  voudrait  pécher  en  eau  trouble.  La  possibilité  de 
leur  triomphe  jmurrait  se  trouver  dans  la  coopération  des  cardinaux 
français,  qui  semblent  unanimes  pour  le  choix  d'un  Pape  favorable  h 
leur  exaltation  d'idées.  Si  par  malheur  le  parti  d'Oppizzoni,  soit  fai- 
blesse, soit  complaisance,  se  range  au  vote  d'Albani,  la  palme  est  aux 
mains  des  adversaires. 

On  connaît  ici  les  démarches  de  tous  les  diplomates,  et  ceux-là  même 
(|ui  ont  l'honneur  de  les  approcher  sont  plus  fidèles  au  Conclave  qu'ils 
ne  sont  touchés  des  attentions  que  les  grands  leur  témoignent.  Celte 
fois,  M.  de  Gennotte  (conseiller  de  l'ambassade  d'Autriche)  jette  son 
argent  à  Peau;  sa  finesse  ne  servira  qu'à  le  rendre  dupe.  On  est  instruit 
en  ce  lieu  de  toutes  les  menées.  Pouvait-on  imaginer  que,  dans  une  tour 
de  bronze  dont  l'accès  est  interdit  de  tous  côtés,  les  choses  les  plus 
secrètes  y  soient  connues?  Je  ne  voudrais  pas  néanmoins  que  cette  con- 
naissance universelle  pût  nuire  à  la  bonne  intelligence  qui  règne  entre 
nous  et  les  Puissances;  il  est  bien  à  désirer  qu'au  moment  où  cette 
harmonie  est  le  plus  nécessaire,  la  modération,  l'esprit  conciliateur  de 
Léon  XII,  ne  soient  pas  remplacés  par  un  caractère  diirérent. 

1.  Le  cardinal  Alltani  a  joué,  vers  la  fin  du  Conclave,  un  rôle  différent  de  celui 
dans  lequel  il  se  montre  ici.  Ce  cardinal  a-l-il  réellement  changé?  C'est  ce  qu'on  ne 
saurait  dire.  Cette  transformation  subite  m'ayant  fait  craindre  quelque  piège  caché, 
je  m'étais  préparé  adonner  l'exclusion  à  Albani  si,  secrètement  d'accord  avec  la  mino- 
rité, il  n'avait  feint  une  métamorphose  que  pour  surprendre  à  son  profit  les  votes  de 
la  majorité.  Ce  paragraphe,  que  je  commente,  renferme  une  étrange  révélation  :  on 
espérait  que  le  vote  des  cardinaux  français  influerait  sur  la  forme  de  notre  Gouverne- 
ment. Comment  cela?  Apparemment  par  les  ordres  dont  on  les  supposait  chargés,  par 


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LA   PRÉLATIRE   DE   LÉON   XIII. 


LE    CABINET   DU   KOL 


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leurs  voles  eu  faveur  d'un  pape  qui,  au  moyen  des  foudres  de  l'Eglise,  amènerait  un 
changement  de  forme  dons  le  (ioiivonemenl.  Cela  nous  apprend  quelles  étaient  les 
espérances  d'une  faction  fanatique,  à  quels  mensonges  elle  avait  recours  pour  tromper 
le  Sacré  Collège,  à  quels  excès  elle  était  capable  de  se  porter.  Le  choix  projeté  de 
Gregorio  n'était  qu'un  pis  aller.  Les  cardinaux  sages  lui  préféraient  Oppizzoni,  et  ils 
avaient  raison.  On  ne  voulait  élire  Gregorio  qu'à  de  certaines  conditions.  Je  parlerai 
de  ces  conditions.  —  Chateaubriand. 

2.  J'ai  su,  vers  6  heures  du  soir,  (jue  le  cardinal  De  Gregorio,  après  avoir  eu  le 
matin  24  voix,  n'en  a  eu  que  19  le  soir.  Ce  matin,  il  est  à  13;  et  Castiglioni  à  14,  ou  15- 
On  attribue  cette  baisse  au  refus  du  cardinal  De  Gregorio  à  souscrire  à  la  reijuétc  des 
conclavistes,  et  à  la  raison  qu'il  donnait  de  ce  refus.  —  «  On  ne  doit  pas,  dit-il,  accorder 
les  titres  de  première  noblesse  romaine  à  des  domestiques  vêtus  en  camériers  et  à 
des  conclavisles.  »  Très  juste,  le  raisonnement  des  premiers  :  — a  Si,  comme  cardinal 
papeggianle,  il  nous  donne  tant,  que  nous  donnera-til  comme  pape?  ï>  Donc,  de  côlé  ! 

A  5  heures,  entrée  du  cardinal  Albani.  Du  milieu  «le  la  salle,  il  fait  de  profondes 
inclinations  et  envoie  un  sourire  à  chaque  cardinal,  en  l'accompagnant  d'un  o  votre 
très  humble  serviteur  !  »  Sa  (igure  annonce  un  renard  et  un  traître,  homme  de 
Cour  dans  ses  manières,  mais  capable  de  tout.  —  Mgr  Danlnno. 


8  mars,  à  2  heures  après-midi. 

Le  scrutin  de  ce  malin  a  été  fort  bizarre.  Les  suffrages  des  ^^l  votants 
se  sont  partagés  entre  les  42  cardinaux,  qui  ont  eu  chacun  une  voix,  ce 
qui  n'est  jamais  arrivé.  V accédât,  \\  aucun.  Si  Li  chose  eût  été  con- 
certée, elle  n'aurait  pas  donné  un  résultat  plus  parAûtement  exact*. 

Albani  est  devenu  l'objet  d'une  méfiance  extrême  :  il  est  craint  de 
tous,  et,  à  l'exception  d'un  très  petit  nombre  qui  ra|)proelie,  les  cardi- 
naux se  tieqnent  sur  leurs  gardes  et  mettent  une  grande  réserve  dans 
leurs  propos*.  On  a  su  positivement  qu'avant  d'entrer  au  Conclave,  il  a 
eu  avec  M.  de  Gennotte  un  entretien  de  près  de  trois  quarts  d'heure. 
Cette  démarche  impolitique  annonce  clairement  qu'il  est  disposé  à 
révéler  le  secret  du  Conclave.  On  prend  les  mesures  les  plus  rigou- 
reuses afin  de  couper  toute  voie  de  correspondance  illégitime  ou  crimi- 
nelle. Le  succès  ne  sera  peut-être  pas  complet,  mais  en  général  on  le 
croit  assuré.  C'est  aux  autres  de  veiller  au  dehors,  comme  à  ceux-ci  de 
prévenir  le  mal  au  dedans.  On  sera  probablement  convenu  de  quelque 
chiffre  familier  et  simple,  afin  d'éloigner  les  précautions;  le  mystère 
sera,  sans  doute,  renfermé  dans  des  billets  ouverts  et  de  pure  cour- 
toisie. Les  cardinaux  nient  avec  peine  qu'un  des  leurs  soit  disposé  a 
violer  la  sainteté  du  serment  et  paraisse  s'en  faire  un  jeu. 

Pendant  le  scrutin,  on  a  été  averti  que  l'Autriche  et  la  France  sont 
pleinement  d'accord  sur  l'élection  d'un  pontife  zelante  modéré,  ce  qui 
est  conforme  aux  sentiments  manifestés  avec  franchise  par  Gaysruck  et 
même  par  Albani,  bien  que  celui-ci  dans  ses  visites  de  compliment  ait 
usé  de  termes  équivoques  et  d'allusions  à  ses  pleins  pouvoirs  dangereux. 


On  voit  qu'il  a  bu  à  longs  traits  dans  la  coupe  de  l'infernale  politique 
de  Metternich. 

La  méfiance  qu'Albani  a  généralement  excitée  n'a  fait  que  rapprocher 
les  partis;  et  peut-être  pressera-ton,  malgré  lui,  l'élection  d'un  pontife 
zelante  modéré,  conformément  aux  vœux  de  l'Autriche  et  de  la  France 
et  sans  plus  attendre  les  cardinaux  français.  L'union  de  l'Autriche  et  de 
la  France  a  jeté  l'épouvante  dans  les  esprits  ardents,  lesquels  ont  dû 
s'apercevoir  (jue  leur  obstination  ne  pourrait  que  produire  une  conti- 
nuité de  scandales,  sans  jamais  les  mener  au  but.  Huit  cardinaux  du 
parti  exalté  ont  conféré  secrètement  avec  ceux  du  parti  modéré.  Après 
avoir  discuté  leurs  raisons  avec  calme,  ils  sont  tombés  d'accord  sur  ces 
points  :  que  le  Conclave  ne  pouvait  avoir  d'autre  fin  que  l'élection  du 
chef  visible  de  l'Église  ;  que  vouloir  faire  passer  à  l'examen  les  Ordon- 
nances ou  les  lois  d'un  Gouvernement  étranger,  c'était  s'écarter  de 
l'esprit  des  Constitutions  apostoliques;  que  ces  ordonnances,  publiées 
durant  le  pontificat  de  Léon  XII  et  soumises  à  son  jugement,  n'ont 
point  été  condamnées;  que,  par  une  règle  invariable  de  l'Eglise,  il  con- 
vient de  respecter  son  silence  comme  une  décision  absolue  ;  que  les 
ministres  accrédités  auprès  du  Saint-Siège  doivent  être  vénérés  comme 
les  représentants  de  leurs  souverains,  et  accueillis  avec  une  charité 
évangélique  dans  le  cas  même  où  les  communications  qu'ils  auraient  à 
faire  seraient  d'une  nature  tout  à  fait  odieuse. 

Celle  conférence  a  ramené  la  paix,  et  je  suis  d'avis  qu'avant  le  25 
nous  aurons  un  pape.  On  attendra  peut-être  encore  par  convenance  les 
cardinaux  français,  mais  sans  que  cela  nuise  a  la  chance  qui  s'offrirait 
d'élire  le  plus  digne. 

1.  Il  n'y  a  pas  besoin  de  commentaires  sur  cette  journée  :  le  texte  dit  tout.  Voilà 
une  minorité  qui  parle  comme  la  Gazette  de  France  et  la  Quotidienne  qui  veut 
s'immiscer  dans  nos  affaires,  qui  presse  la  violence  jusqu'à  attaquer  en  plein  Conclave 
la  mémoire  de  Léon  XIL  Elle  SLp|)ose  toujours  que  les  cardinaux  français  pensent 
comme  elle  ;  elle  se  (igure  que  je  veux  précipiter  l'élection  pour  n'être  pas  confondu 
par  l'arrivée  de  ces  cardinaux,  arrivée  que  je  prévoyais  devoir  être  funeste  à  l'essence 
(au  principe)  de  mon  Gouvernement.  —  Chateaubriand. 

2.  Cette  terreur,  inspirée  par  le  cardinal  Albani,  se  dissipera  plus  tard.  Toujours 
même  confiance  et  même  espérance  dans  l'exaltation  de  nos  cardinaux.  On  voit  per- 
cer, dans  celte  journée  du  7,  l'aversion  du  Sacré  Collège  pour  l'Autriclie.   —  Cli. 

8  mars,  à  6  heures  du  soir. 

La  perspective  de  ce  jour  peut  véritablement  s'appeler  le  tableau  de 
la  paix  évangélique.  Les  résultats  du  scrutin  démontrent  que  l'on  veut 
hùler  l'élection  d'un  pontife  digne  et  modéré.  L'esprit  d'exaltation,  qui 


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LA   PUÉLATUHE    DE    LÉON    XIII. 


semWait  avant-hier  troubler  les  âmes,  est  rentré  dans  nn  calme  religieux. 
Les  42  voix  se  sont  distribuées  entre  les  plus  méritants*  : 


Cappellari         12,  et  à  l'accedat 

De  Gregorio     iO,  et  — 

1 1 ,  et  — 

(),  et  — 

T),  et  — 


Benveiutti 

Giustiniani 

Gaysruck 


7y.  Total  15. 

7.    —  17. 

i.    —  45. 

7.    —  13. 

13.    —  16. 


Attendez-vous  à  voir  bientôt  le  j»ape  sortir  d'entre  ces  personnages. 

1.  Deux  fuis  par  jour,  quand  les  cardinaux  chargés  du  dépouillement  du  scrutin  ont 
reconnu  qu'aucun  candidat  n'a  obtenu  les  deux  tiers  des  sulfragcs,  on  brûle  les  petits 
billets,  et  la  fumée  s'échappe  par  le  tuyau  de  poêle  dont  je  viens  de  parler  (un  tuyau 
long  de  sept  à  huit  pieds  et  sortant  de  la  fenêtre  la  plus  voisine  de  celle  qui  a  été 
murée  dans  la  façade  du  palais  de  3lonte-Cavallo),  c'est  ce  qu'on  appelle  la  fumata. 
A  chaque  fois,  cette  fumata  excite  le  gros  rire  du  peuple  assemblé  en  foule  sur  la 
place  de  Montc-Cavallo,  et  qui  songe  au  désappointement  dos  ambilions.  Chacun  se 
retire  eu  disant  :  a  Allons,  nous  n'avons  point  de  pape  pour  aujourd'hui.  »  —  Stendhal, 
Promenades  dans  Home. 

Cette  fumée  fut  interprétée  assez  irrévérencieusement  par  la  pasquinade  suivante 
que  nous  lisons  dans  les  recueils  secrets  de  ce  conclave  cl  qu'il  est  inutile  «le  Ira- 
duirc  de  l'italien  : 

Quello  che  voi  vedete 

Vscir  da  quel  canncUo 

Un  fumo  lo  credete, 

Eppur  sieti  in  errore  ; 

Dei  cardinali  è  quello 

11  cervello  che  sciogliesi  in  vaporc 

Dans  cette  journée  du  8,  la  majorité  modérée  obtient  la  victoire.  Ses  sentiments  paci- 
fiques se  montrent  à  découvert.  Elle  censure  tout  ce  qu'on  a  dit  dans  la  journée  du  7 
contre  notre  Gouvernement,  contre  Léon  XII  etcontre  les  ambassadeurs.—  Chateaubriand. 


9  mars,  à  G  heures  du  matin. 

Hier,  dans  la  soirée,  on  a  réitéré  les  ordres  les  plus  stricts  afin 
d'empêcher  la  violation  du  secret.  En  conséquence,  il  a  été  résolu  par  le 
Sacré  Collège,  hormis  quelques  membres  à  qui  cette  salutaire  disposi- 
tion doit  demeurer  cachée,  que  l'on  se  servirait  de  tous  les  moyens 
praticables  pour  découvrir  si,  au  dehors  du  Conclave,  l'on  a  quelque 
connaissance  de  ce  qui  se  passe  à  l'intérieur.  On  a  commissionné  six 
fidèles  (explorateurs),  les  plus  élevés  en  rang,  pour  qu'ils  fassent  en 
sorte  de  s'introduire  dans  les  appartements  du  roi  de  Bavière  qui  reçoit 
le  corps  diplomatique,  aujourd'hui,  à  midi,  et  afin  qu'ils  tachent 
d'explorer  avec  adresse  ce  que  l'on  dit  des  cardinaux  et  quel  est  celui 
d  entre  eux  dont  l'élection  est  la  plus  souhaitée'.  Six  autres  fidèles  des 


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LA    l'IlKLATL'HE    DK    LlU»    Mil. 


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semblait  avant-Iiior  Iroiililer  les  âmes,  est  rentré  dans  nn  calme  religieux. 
Les  AU  voix  se  sont  distrilmées  entre  les  plus  mérilants'   : 


(]a|>|)ellari 

Iti,  vi  à  Tateedal 

7>. 

Total 

i:.. 

De  Gregorio 

JO,  et 

i. 

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17. 

nenveuiifi 

Il ,  et        — 

i. 

15. 

Giusliniani 

(î,  et 

7. 

ir». 

(javsruck 

r»,  et      — 

15. 

10. 

Attendez-vous  ;i  voir  hiciilM  le  jiape  sortir  d'entre  ces  personnages. 

1.  Deux  f(»is  par  jour,  (\\nuu\  les  cjirtiinaiix  tliargés  du  (It'pouillomcul  du  M-ruliu  oui 
rccOHuu  tju'aucuu  candidat  n'a  obleiiu  les  doux  Hors  dos  sullraj^os,  on  hrùjc  les  petits 
billets,  ci  la  lumoe  s'r'cliappe  par  le  tuyau  t\e  poôle  «lont  je  viens  de  parler  (uu  tuyau 
long  de  sept  à  huit  pieds  et  sortant  *\c  la  lVii«''tre  la  plus  voisine  de  celle  (|ui  a  été 
murée  dans  la  façade  du  palais  de  ^lonle-Cavallo\  c'est  ce  qu'on  appelle  la  fumata. 
A  chaque  fois,  cette  fiimata  excite  le  j^ros  rire  du  peuple  asseinidé  eu  foide  sur  la 
place  de  Monle-Cavallo,  et  qui  son<;«'  au  désappointement  des  audiitions.  Chacun  se 
retire  eu  disant  :  «  Allons,  nous  n'avons  |)oint  de  pa[»e  pour  aujourd'hui.  »  —  Stendhal, 
Pioinenadrs  dans  home. 

Cette  fumée  lut  interprétée  assez  irrévéreucieusemeul  par  la  pasquinade  suivante 
que  nous  lisons  dans  les  n'cueils  secrets  de  ce  conclave  et  qu'il  e>t  inutile  de  tra- 
duire de  l'itaHeu  : 

Ouello  che  voi  vedete 

Iscir  da  quel  camiello 

Tu  fumo  lo  credete, 

Kppur  sieli  iu  err»>rc  ; 

Ik'i  cardinali  è  quello 

Il  cervello  ehe  sciogliesi  in  vapore 

Dans  cette  journée  «lu  8,  la  majorité  modérée  obtient  la  victoire.  Ses  sentiments  paci- 
fiques se  montrent  à  découvert.  Elle  censure  tout  ce  qu'on  a  dit  dans  la  journée  du  7 
contre  notre  Gouvernement,  contre  Léon  XII  etcoulre  lesandjassadcurs.—  Chateaubriand. 


0  mars,  à  G  heures  du  matin. 

Hier,  dans  la  soirée,  on  a  réitéré  les  ordres  les  plus  stricts  afin 
d'empêcher  la  violation  du  secret.  Kn  conséipience,  il  a  été  résolu  par  le 
Sacré  Collège,  hormis  (|uel(pies  membres  à  <|ui  cette  salutaire  disposi- 
tion doit  demeurer  cachée,  (lue  l'on  se  servirait  de  tous  les  movens 
praticables  pour  déiouvrir  si,  au  dehors  du  Conclave,  Ion  a  (|uel(jue 
connaissance  de  ce  (|ui  se  passe  à  l'intérieur.  On  a  conmiissionné  six 
fidèles  (explorateurs),  les  plus  élevés  en  rang,  pour  cpi'ils  fassent  en 
sorte  de  s'introduire  dans  les  appartements  du  roi  de  Bavière  qui  reçoit^ 
le  corps  diplomatique,  aujourd'hui,  à  midi,  et  afin  (pi'ils  tachent 
d'explorer  avec  adresse  ce  que  l'on  dit  des  cardinaux  et  (jnel  est  celui 
d'entre  eux  dont  l'élection  est  la  plus  souhaitée'.  Six  autres  jhlcles  des 


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I 


122 


LA   PRÉLATIRE    DE   LÉON   XIII. 


LE    CABINET   DU   ROL 


125 


1 


[ 


plus  distingués  et  des  plus  habiles  se  rendront  chez  les  ambassadeurs 
d'Autriche  et  rapporteront  ce  qui  aura  été  dit  sur  le  conclave,  si  l'on  a 
parlé  de  De  Gregorio,  et  l'impression  produite  par  la  nouvelle  qui  s'est 
répandue  de  son  élection.  Demain  au  soir,  six  autres  personnages  feront 
le  même  office  chez  l'ambassadeur  dt  Trance. 

La  bonne  harmonie  règne  dans  le  Sacré  Collège,  et  l'on  procédera  à 
l'élection  selon  l'esprit  des  bulles  apostoliques.' Les  suffrages  seront 
acquis  au  pins  digne,  au  plus  juodéré,  à  celui  qui  saura  maintenir  les 
relations  amicales  avec  les  Puissances,  pourvu  (pie  la  Religion  n'y  soit 
point  offensée. 

i.  On  verra  plus  bas  que  les  fidHcs  firent  un  excellent  rapport.  Ces  misérables 
moyens  de  police  sont  désormais  a>és  :  tous  les  secrets  sont  maintenant  dans  les  jour- 
naux. —  Cbateaubriand. 

9  mars,  à  7  lieures  et  demie  du  soir. 

L'ambassadeur  d'Autriche  a  présenté  ses  hommages  au  Sacré  Collège*. 
Il  résulte  des  avis  reçus  jusqu'à  ce  moment  que  le  corps  diplomatique 
ignore  le  véritable  état  des  choses  du  Conclave.  Ceci  est  dû  à  la  rigueur 
de  la  discipline  qui  a  été  adoj)tée.  Les  lettres  du  nonce  de  Paris,  reçues 
ce  matin,  annoncent  la  prochaine  arrivée  des  cardinaux  français  et  les 
instructions  concertées  de  se  tenir  au  jugement  du  Conclave.  Il  ajoute 
que  le  cardinal  De  Latil  a  le  secret  du  roi*. 

Vers  huit  heures  et  demie,  on  a  été  informé  de  l'arrivée  du  cardinal 
De  Latil  au  palais  de  France,  et  des  hommages  que  l'ambassadeur  lui  a 
rendus.  Les  auditeurs  de  Rote  avaient  j)ourtant  assuré  que  Son  Éminence 
irait  descendre  au  palais  Mattei  (chez  M.  l'abbé  de  Retz),  et  qu'un 
billet  envoyé  au  premier  relai  de  poste  par  son  agent  prive  ne  permettait 
pas  d'en  douter.  Le  Sacré  Collège,  ayant  reçu  en  même  temps  la  copie 
du  discours  que  l'ambassadeur  de  France  doit  prononcer  demain,  s'est 
montré  satisfait  de  la  demeure  (jue  le  cardinal  a  choisie,  et  n'hésite  pas 
de  convenir  avec  toute  justice  qu'on  ne  peut,  sans  un  outrage  manifeste, 
taxer  d'irréligion  un  homme  ([ui  semble  inspiré  et  i>énélré  de  toute  la 
sainteté  de  la  vraie  religion.  Quelle  noblesse  d'expressions!  «luelle  élé- 
vation de  pensées!  quelle  délicatesse  d'images!  On  voit  que  ses  paroles 
partent  du  fond  de  l'ame.  Pour  moi,  j'en  suis  dans  le  ravissement. 
Figurez-vous,  dans  l'étroite  enceinte  d'un  conclave,  le  tableau  d'une 
nation  qui  donne  la  vie,  qui  dicte  des  lois  de  paix  à  toutes  les  autrçs 
nations,  (jui  est  le  centre  universel  vers  lequel  tous  les  jieuples,  peut- 
être  même  des  tribus  dont  nous  ignorons  le  nom,  dirigent  leurs  vœux 
vt  leurs  prières.  Tout  le  Sacré  Collège  a  tressailli  d'une  sainte  joie  et  se 


propose  de  se  féliciter,  avec  le  cardinal  De  Latil,  du  choix  que  Sa  Majesté 
Très  Chrétienne  a  fait  d'un  si  grand  homme,  dont  les  principes  reli- 
gieux sont  les  plus  purs  et  inébranlables.  Chaque  phrase  a  été  examinée 
attentivement  ;  on  n'y  aperçoit  pas  l'ombre  d'un  intérêt  politique  privé, 
et  moins  encore  une  apparence  de  vouloir  hâter  l'élection  sans  la  pré- 
sence des  cardinaux  français.  Eh  bien  !  le  croiriez-vous  ?  deux  cardinaux 
(Micara  et  Pallotta)  ont  censuré  ce  discours  ;  ils  ont  dit  qu'on  y  parle 
toujours  de  religion  chrétienne^  et  jamais  de  religion  catholique;  que 
ces  ex[)ressions  :  alliance  sociale  scellée  du  sang  du  Juste,  sont  em- 
ployées parce  que  l'on  a  honte  de  prononcer  le  saint  nom  de  Jésus- 
Christ. 

Ces  réflexions,  suggérées  par  un  esprit  d'acharnement  contre  les 
hautes  réputations,  ont  été  universellement  accueillies  par  le  silence  du 
mépris. 

i.  L'ambassadeur  d'Antricbc,  en  latin  ci  avec  une  prononciation  pire,  a  parle  lon- 
guement pour  ne  rien  dire  de  bien  concluant.  11  a  exborté  les  cardinaux  à  élire  un  pape 
ftngc  et  modeste  et  a  fini  en  disant  que  le  cardinal  Albani,  par  lettres  impériales  du 
26  février,  était  cbargc  de  représenter  Sa  Majesté  au  Conclave.  A  titre  de  cbef  d'ordre, 
le  cardinal  Castiglioni  a  répondu  à  ce  discours  de  mauvais  lalin  par  un  discours  dont 
l'italien  mesquin  ne  valait  pas  davantage.  Dès  qu'une  pensée  élevée  jaillissait,  c'était 
pour  retomber  aussitôt  dans  les  lieux  communs.  Cependant  la  finale  fut  belle,  autant 
qu'était  aimée  dans  liome  la  bonté  du  comte  Lutzow  et  que  sa  loyauté  diplomatique 
était  admirée  en  Europe.  Tous  les  cardinaux  étaient  accourus  à  la  clôture  pour  écouter 
les  discours.  Seuls  Bernelti  et  Odescalcbi,  tout  à  leur  causerie  intime  sur  un  banc,  à 
l'écart,  ne  prenaient  aucune  part  à  ce  spectacle.  —  Mgr  Dardano. 

2.  Voici  le  nonce  Lambruscbini  affirmant  au  Concl.ive  que  le  cardinal  Latil  a  le  secret 
du  Roi.  Tous  les  efforts  de  la  faction  tendent  à  faire  croire  que  le  Roi  et  son  Gouver- 
nement ne  sont  pas  d'accord.  Le  nonce  joue  un  bieai  mauvais  rôle,  dans  tout  ceci. 

11  est  inulilc  de  remarquer  la  surprise  du  Sacré  Collège  en  apprenant  que  le  car- 
«linal  Latil  est  descendu  au  i)alais  de  l'ambassade  et  que  j'ai  rendu  des  hommages  à 
ce  prince  de  l'Eglise,  bien  que  les  auditeurs  de  Uote  eussent  charitablement  annoncé 
d'avance  le  contraire. 

J'ai  été  tenté  de  supprimer  ici  tout  ce  qui  a  rapport  à  mon  discours;  mais  venant  à 
penser  aux  préventions  que  l'on  a  cbercbé  à  faire  naître  contre  moi,  j'ai  cru  devoir 
conserver  l'opinion  du  Conclave,  comme  une  d.'fense,  comme  un  témoignage  honorable, 
propre  à  faire  le  contrepoids  des  calomnies  dont  j'ai  été  l'objet.  —  Chateaubriand. 

10  mars,  à  6  heures  et  demie  du  soir. 

En  cette  journée,  nous  avons  vu  renaître  l'antique  majesté  de  la  capi- 
tale du  monde  catholique,  et  resplendir,  au  milieu  des  ruines  impo- 
santes de  la  superstition,  le  signe  sacré  de  Jésus-Christ,  devant  lequel 
toutes  les  nations  baissent  le  front.  L'ambassadeur  de  France,  animé  de 
toute  la  force  et  l'onction  de  la  religion  catholique,  a  prononcé  son  dis- 
cours avec  une  telle  énergie,  un  tel  accent  de  persuasion,  que  le  Sacré 


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LA   PRÉLATURE   DE    LÉON    XIII. 


LE   CAIUNEÏ    1)L    ROI. 


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Collège  entier  est  demeuré  dans  le  ravissement*.  Même  les  deux  adver- 
saires que  j'ai  indiqués,  et  ce  petit  nombre  d'hommes  qui  n'écoutent 
que  la  voix  fallacieuse  de  l'esprit  de  parti,  ont  dû  avouer  que  le  vicomte 
de  Chateaubriand  est  un  rare  génie,  très  nécessaire  à  l'ordre  véritable 
des  choses.  Quelle  différence  entre  la  force  des  armes  que  rAutriche 
met  en  avant,  et  la  saine  éloquence  de  la  France  qui  écarte  ces  mêmes 
armes  sans  les  craindre,  qui  ramène  par  la  persuasion  au  bercail  de 
Jésus-Christ  les  brebis  égarées  et  triomphe  de  leur  endurcissement  ! 
C'est  une  belle  gloire  pour  le  roi  très  chrétien  d'avoir  un  représentant 
dont  les  pensées  ont  tant  d'élévation,  les  images  tant  de  vivacité,  qui 
soit  aussi  versé  dans  les  doctrines  évangéliques  et  qui  possède  le  don 
de  lléchir  tous  les  cœurs  '. 

1.  M.  de  Clialeaubriand  a  fait  un  discours  au  Conclave.  Par  une  distinction  (latlcusc, 
son  carrosse,  en  allant  à  Monle-Cavallo,  était  suivi  des  carrosses  de  tous  les  cardinaux  : 
ces  messieurs,  de  l'inlcrieur  du  conclave  avaient  donné  des  ordres,  à  cet  elTel.  M  de 
Chateaubriand  a  donné  de  belles  lèles  ;  il  a  fait  l'aire  des  fouilles;  il  annonce  le  projet 
d'élever  un  tombeau  au  Poussin;  il  a  été  poli  envers  M.  le  cardinal  Fescli.  Il  me  semble 
que  ce  personnage  illustre  a  réussi  auprès  des  cardinaux.  C'est  dans  la  salle  oii  a 
eu  lieu  la  visite  des  dîners,  que  M.  de  Chateaubriand  a  parlé,  vis-à-vis  une  petite 
ouverture  où  un  œuf  n'aurait  pas  pu  passer.  De  l'autre  coté  de  ce  trou  était  la  dépu- 
lalion  du  Conclave.  M.  le  cardinal  Castiglioni  a  ré|>ondu  au  discours  de  l'ambassadeur 
du  roi.  Le  discours  de  M.  l'andjassadeur  d'Kspagne  était  en  latin.  M.  de  Chateaubriand 
a  parlé  en  français.  Son  discoui-s  est  fort  libéral;  il  y  a  un  peu  trop  de  je  et  de  moi  ; 
à  cela  près,  il  est  charmant  et  a  le  plus  grand  succès.  Il  a  déplu  aux  cardinaux.  Quelle 
que  soit  l'opinion  personnelle  du  Gouvernement  français,  il  est  forcément  en  Italie  le 
protecteur  du  parti  libéral.  Ce  soir,  on  a  lu  <lans  tous  les  salons  des  copies  du  discoui*s 
de  M.  de  Chateaubriand.  —  Stendhal,  Promenades  daim  home, 

2.  E  mi  lient  isfiimes  Seigneurs  :  La  ré|K)nsc  de  Sa  Majesté  Très-Chrétienne  à  la 
lettre  que  lui  a  adressée  le  Sacré  Collège  vous  exprime,  avec  la  noblesse  qui  appartient 
au  lils  aîné  de  l'Kglise,  la  douleur  que  Charles  \  a  ressentie  en  apprenant  la  mort  du 
père  des  fidèles,  et  la  confiance  qu'il  repose  dans  le  choix  que  la  chrétienté  attend  de 
vous.  Le  roi  m'a  fait  l'insigne  honneur  de  me  désigner  à  l'entière  créance  du  Sacré 
Collège  réuni  en  conclave.  Je  viens  une  seconde  fois,  Eminenlissimes  Seigneurs,  vous 
témoigner  mes  regrets  pour  la  perte  du  ponlife  conciliateur  qui  voyait  la  véritable 
religion  dans  l'obéissance  aux  lois  et  dans  la  concorde  évangélique;  de  ce  souverain 
qui,  pasteur  et  prince,  gouvernait  l'humble  troupeau  de  Jésus-Christ,  du  faîte  des 
gloires  diverses  qui  se  rattachent  au  grand  nom  de  l'Italie.  Successeur  futur  de 
Léon  XII,  qui  que  vous  soyez,  vous  m'écoulez  sans  doute  en  ce  moment;  |)ontife  à  la 
fois  présent  et  inconnu,  vous  allez  bientôt  vous  asseoir  dans  ta  chaire  de  saint  Pierre, 
à  quelques  pas  du  Capitole,  sur  les  tombeaux  de  ces  Romains  de  la  Uéptdilique  et  de 
l'Empire  qui  {«ssèreni  de  l'idolâtrie  des  vertus  à  celle  des  vices,  sur  ces  catacombes 
où  reposent  les  ossements  non  entiers  d'une  autre  espèce  de  Romains.  Quelle  parole 
pourrait  s'élever  à  la  majesté  du  sujet?  Quelle  voix  pourrait  s'ouvrir  un  passage  à 
travers  cet  amas  d'années  qui  ont  étouffé  tant  de  voix  plus  puissantes  que  la  mienne? 
Vous-même,  illustre  Sénat  de  la  chrétienté,  pour  soutenir  le  poids  de  ces  innombrables 
souvenirs,  pour  regarder  en  face  les  siècles  rassemblés  autour  de  vous  sur  les  ruiiîes 
«le  Rome,  n'avez-vous  pas  besoin  de  vous  appuyer  à  l'autel  du  sanctuaire,  comme  moi 
au  trône  de  saint  Louis? 

A  Dieu  ne  plaise,  Eminenlissimes  Seigneurs,  que  je  vous  entretienne  ici  de  quelque 


intérêt  particulier,  que  je  vous  fasse  entendre  le  langage  d'une  étroite  politique  :  les 
choses  sacrées  veulent  être  envisagées  aujourd'hui  sous  des  rapports  plus  généraux 
et  plus  dignes.  Le  cliristianisme,  qui  renouvela  d'abord  la  face  du  monde,  a  vu  depuis 
se  transformer  les  sociétés  auxquelles  il  avait  donné  la  vie.  Au  moment  même  où  je 
parle,  le  genre  humain  est  arrivé  à  l'une  des  époques  caractéristiques  de  son  existence, 
la  religion  chrétienne  est  encore  là  pour  la  saisir,  parce  qu'elle  garde  dans  son  sein 
tout  ce  qui  convient  aux  esprits  éclairés  et  aux  cœurs  généreux,  tout  ce  qui  e?t 
nécessaire  au  monde  qu'elle  a  sauvé  de  la  corru|)tion  du  paganisme  et  de  la  destruction 
de  la  barbarie.  En  vain  l'impiété  a  prétendu  que  le  christianisme  favorisait  l'oppres- 
sion et  faisait  rétrograder  les  jours  :  à  la  publication  du  nouveau  pacte  scellé  du  sang 
du  Juste,  l'cselavagc  a  cessé  d'être  le  droit  commun  des  nations;  l'elfroyiible  définition 
de  l'esclavage  a  été  effacée  du  code  romain  ;  y'on  lam  viles  quam  nulli  sunt.  Les 
sciences,  demeurées  presque  stationnaires  dans  l'antiquité,  ont  reçu  une  impulsion 
rapide  de  cet  esprit  apostolique  et  rénovateur  qui  hàla  l'écroulenienl  du  vieux  monde; 
partout  où  le  christianisme  s'est  éteint,  la  servitude  et  l'ignorance  ont  reparu.  Lumière 
«luand  elle  se  mêle  aux  facultés  intellectuelles,  sentiment  quand  elle  s'associe  aux 
mouvements  de  l'âme,  la  religion  chrétienne  croît  avec  la  civilisation,  et  marche  avec 
le  temps;  un  des  caractères  de  la  perpétuité  qui  lui  est  promise,  c'est  d'être  toujours 
du  siècle  qu'elle  voit  passer,  sans  passer  elle-même.  La  morale  évangélique,  raison 
tlivine,  appuie  la  raison  humaine  dans  ses  progrès  vers  un  but  qu'elle  n'a  point  encore 
atteint  :  après  avoir  traversé  les  âges  de  ténèbres  et  de  force,  le  christianisme  devient 
chez  les  peuples  modernes  le  perfectioimement  même  de  la  société. 

Eminentissimes  Seigneui*s,  vous  choisirez  ^wur  exercer  le  pouvoir  des  clefs  un 
homme  de  Dieu  et  qui  comprendra  bien  sa  haute  mission.  Par  son  caractère  universel 
qui  n'a  jamais  eu  de  modèle  ou  d'exemple  dans  l'histoire,  un  conclave  n'est  pas  le 
conseil  d'un  Etat  particulier,  mais  celui  dune  nation  composée  de  nations  les  plus 
diverses  et  répandue  sur  la  surface  du  globe.  Vous  êtes,  Eminenlissimes  Seigneurs,  les 
augustes  mandataires  de  l'immense  famille  chrétienne  pour  un  moment  orpheline. 
Des  hommes  (jui  ne  vous  ont  jamais  vus,  qui  ne  vous  verront  jamais,  qui  ne  savent 
pas  vos  noms,  qui  ne  parlent  pas  votre  langue,  qui  habitent  loin  de  vous  sous  un 
autre  soleil,  au  delà  des  mers,  aux  extrémités  de  la  terre,  se  soumettront  à  vos  déci- 
sions que  rien  en  apparence  ne  les  oblige  à  suivre,  obéiront  à  vos  lois  qu'aucune  force 
matérielle  n'impose,  accepteront  de  vous  un  père  spirituel  avec  resj)ecl  et  gratitude  : 
tels  sont  les  prodiges  tie  la  conviction  relijiieusc.  Princes  de  l'Eglise,  il  vous  suffira  de 
laisser  tomber  vos  suffrages  sur  l'un  «l'entre  vous  pour  donner  à  la  communion  des 
fidèles  un  chef  qui,  puissant  par  la  doctrine  et  l'autorité  du  passé,  n'en  connaisse  pas 
moins  les  nouveaux  besoins  du  présent  et  de  l'avenir,  un  pontife  d'une  vie  sainte, 
mêlant  la  douceur  de  la  charité  à  la  sincérité  de  la  foi.  Toutes  les  couronnes  forment 
le  même  vœu,  toutes  ont  un  même  besoin  de  modération  et  de  paix.  Que  ne  doit-on 
pas  attendre  de  cette  heureuse  harmonie?  Que  ne  peut-on  pas  espérer,  Eminenlissimes 
Seigneurs,  de  vos  lumières  et  de  vos  vertus? 

H  ne  me  reste  qu'à  vous  renouveler  l'expression  de  la  sincère  estime  et  de  la  par- 
faite affection  du  Souverain  aussi  pieux  que  magnanime  dont  j'ai  l'honneur  d'être 
l'interprète  auprès  de  vous.  —  CiiATEACsniANO. 


«  Il  mars,  à  0  heures  du  matin. 

Les  rapports  parvenus  tout  d'abord  au  Conclave  étaient  inexacts.  On 
affirmait  que  l'ambassadeur  de  France,  sans  aucun  égard,  sans  aucune 
considération  pour  les  cardinaux  français,  qui  sont  les  interprètes  des 
vœux  de  Sa  Majesté  Très  Chrétienne,  voulait  l'élection,  au  gré  de  sa 
fantaisie.  La  déposition  authentique  des  six  témoins,  qui  jouissent  de 


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126 


LA   PRELATIRE    DE    LÉON   MIL 


LE   CABINET   DU   ROI. 


127 


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l'entière  confiance  du  Conclave,  démontre  le  contraire.  (Voir  ci-après.) 
C'est  un  nouveau  gage,  après  la  preuve  très  convaincante  de  ce  discours 
prononcé  avec  la  chaleur  de  la  vérité  et  l'ardeur  de  la  vraie  religion. 
Si  le  cardinal  De  Latil  est  un  noble  organe  des  vœux  de  Sa  Majesté  Très 
Chrétienne,  il  sera  aussi  le  messager  du  Conclave  auprès  d'un  si  digne 
monarque  pour  lui  témoigner  toute  la  satisfaction  que  le  Sacré  Collège 
ressent  d'avoir,  auprès  de  lui,  un  ambassadeur  aussi  essentiel,  aussi 
éclairé. 

Rapport  des  «  fidèles  ».  —  10  mars. 

f^ous  soussignés  y  fidèles  à  notre  serment  ^  nous  sommes  rendus^  en 
conséquence  des  ordres  du  Sacré  Collège,  aujourdliuij  à  neuf  heures 
et  demie  du  soir,  au  palais  de  Vamhassadeur  de  France,  oii  nous 
avons  été  reçus  avec  une  singulière  affabilité  et  toute  la  considération 
due  à  notre  rang,  ^ous  sommes  demeurés  un  long  espace  de  temps 
dans  la  réunion  générale,  et  sans  provoquer  qui  que  ce  soit  à  dis- 
courir; disséminés  dans  les  différents  salons,  nous  avons  remarqué 
que  l'ambassadeur  était  loué  par  tout  le  monde,  que  M,  le  cardinal 
De  Latil  assistait  à  cette  assemblée  en  habit  privé  et  incognito,  que 
les  conversations  sur  le  Conclave  ont  été  fort  vagues  et  purement 
conjecturales,  et  enfin  quaux  interrogations  des  curieux  le  respec- 
table ambassadeur  gardait  le  silence  ou  répondait  avec  dignité  et 
respect. 

il  mars,  S  midi 

On  a  intercepté  une  lettre  du  cardinal  Albani,  adressée  à  M.  de  Gen- 
notte.  L'énigme  était  assez  difficile  à  pénétrer;  on  en  est  venu  à  bout, 
et  le  sphinx  a  obtenu  une  récompense.  Les  paroles  extraites  de  ce 
jargon  sont  : 

—  Procurar  di  fare  un  Papa  contro  i  voti  del  ministero  attuafe 
dei  Gain,  è  cosa  difficile;  ma  niindustrierà  di  servire  ail'  Austria 
per  ingrandirla. 

On  vient  d'adresser  aux  ministres  étrangers  des  notes  officielles  rela- 
tivement à  nos  carbonari.  Le  gouverneur  de  Rome  mérite  toute  sorte 
d'éloges,  pour  avoir  pénétré  le  véritable  sens  d'un  si  méprisable  con- 
venticule.  On  verra  par  les  réponses  quels  sont  les  vrais  sentiments  des 
Puissances*.  .  , 

1.  Sur  celle  journée  du  10  cl  sur  celle  du  H  mars,  je  n'ai  qu'à  m'excuser,  ainsi 
que  dans  la  remarque  précédente,  de  n'avoir  pas  elïacé  des  éloges  qui  sonl  fort  au- 
dessus  de  ce  que  je  puis  mériter. 


Le  rapjwrt  cl  le  serment  «les  six  espions,  sous  le  nom  de  fidèles,  est  une  pièce 
curieuse.  —  Clialeaubriand. 

12  mars,  à  G  heures  du  matin. 

Le  Sacré  Collège  a  été  informé  par  le  nonce  à  Paris  que  le  clergé  de 
France  est  dans  la  ferme  intention  de  demander  qu'il  soit  mis  un  frein 
canonique  à  tant  de  lois  proposées  ou  qui  doivent  l'être  encore,  lois 
outrageantes  pour  les  consciences  et  ])our  la  religion  catholique*.  On  lui 
répondra  aujourd'hui  :  que  le  Sacré  Collège  ne  reconnaît  d'autre  pré- 
sentation du  clergé  de  France  que  celle  des  cardinaux  français  eux- 
mêmes,  comme  princes  électifs  à  qui  il  appartient  seulement  de  pro- 
poser ou  d'écarter  par  leurs  suffrages  les  conférences  (ju'iis  jugeraient 
utiles  ou  dangereuses;  que  ces  cardinaux,  connaissant  les  sentiments 
intérieurs  de  Sa  Majesté  Très  Chrétienne,  ont  le  droit  de  réconcilier  les 
consciences  avec  la  forme  actuelle  du  Gouvernement  temporel  ;  que 
l'Église  ne  permet  jamais  l'accès  du  sanctuaire  à  des  opinions  purement 
humaines;  que  le  nonce  ne  doit  pas  prêter  si  facilement  l'oreille  aux 
insinuations  (jui  tendent  à  troubler  la  paix  d'un  royaume  étranger; 
finalement,  qu'il  doit  être  circonspect  dans  ses  discours  envers  des 
hommes  fougueux  et  imi>rudents,  et  qu'il  ait  à  embrasser  le  silence  le 
plus  profond  comme  une  loi  (jui  lui  est  strictement  imposée. 

1.  Voici  encore  le  nonce,  écho  et  missionnaire  d'une  coterie.  Il  paraît  qu'on  espé- 
rait ouvrir  au  sein  du  Conclave  des  conférences  sur  l'état  de  nos  alTaircs.  J'ai  su,  d'une 
autre  part,  qu'avant  la  mort  «le  Léon  XII  des  membres  du  clergé  français  étaient  atten- 
dus à  Rome  pour  agiter  de  nouveau  la  question  des  Ordonnances.  Ces  manœuvres 
doivent  être  surveillées  :  elles  boulevei-seraient  la  France,  sans  atteindre  même  le 
but  où  elles  visent.  Il  est  consolant  de  voir  la  fermeté  du  Sacré-Collège  et  la  sagesse 
avec  laquelle  il  se  refuse  aux  ouvertures  du  nonce.  Celui-ci  est  un  prélat  passionné, 
entré  beaucoup  trop  avant  dans  les  intrigues  d'un  parti  français,  homme  qui  dans  son 
pays  est  à  la  tôle  de  la  Faction  de  Sardaigne,  et  dont  il  est  urgent  de  solliciter  le 
rappel.  —  Chateaubriand. 

I 

13  mars,  à  1  heure  après-midi. 

Le  cardinal  De  Latil  a  fait,  en  présence  de  quatre  cardinaux-évêques, 
une  déclaration  purement  de  conscience*.  Comme  cette  matière  ne  con- 
cerne nullement  la  politique,  les  autres  en  doivent  demeurer  à  la  garde 
du  Grand  Pénitencier,  qui,  ainsi  que  les  cardinaux-évêques,  a  juré  de 
ne  révéler  cette  explication  à  qui  que  ce  soit,  ou  d'en  faire  usage  en 
aucun  temps*. 

1.  Entrée  des  cardinaux  français  Latil  et  Isoard,  et  du  cardinal  napolitain  Firrao  à 
l'âge  de  93  ans.  —  Les  dépenses  du  précédent  Conclave  s'étaient  élevées  à  492125  fr. 
Celui-ci  nous  coûtera  peut-être  plus  cncure.  Les  votes  font  ef  défont  sans  jugement. 


1 .:; 


I2J 


LA  rKKLATlHK    DK    LKON    Mil. 


Mais  les  pUis  alFamés  sont  les  cêrémoniaircs  :  ils  cliipeiit  un  nombre  incaloulable  de 
chandelles,  et  même  jusqu'aux  lanlerncs  des  corridors.  —  Mgr  Dardano. 

2.  J'if'norc  et  je  n'ai  point  vonln  reclicrclier  quelle  est  celle  déclaration,  purement 
de  conscience,  que  M.  le  cardinal  Lalil  a  faite,  en  présence  des  quatre  cardina-jx-évr- 
qucs;  déclaration  nullement  politique,  que  les  autres  cardinaux  Irant^ais  ont  ignorée, 
que  le  cardinal  Albani  cherchait  à  découvrir  et  dont  les  actes  sont  demeurés  à  la  garde 
du  Grand  Pénitencier.  Néanmoins  celte  confession  individuelle,  dont  l'auteur  avait 
peut-éire  annoncé  le  dessein,  aura  pu  servir  de  base  à  la  fable  «les  révélations  et  des 
ordres  iwliliqucs  qne  devait  faire  et  donner  le  cardinal  Lalil.  —  Chateaubriand. 

13  mars,  à  3  heures  et  tlcmie  du  soir. 

On  attend  en  ce  moment  les  autres  cardinaiiv  français.  Albani  a  écril 
une  lettre  à  un  de  ses  gens.  On  soupçonne  que  l'adresse  est  feinte  et 
convenue.  11  pourrait  bien  profiter  de  l'entrée  des  cardinaux  pour  la 
faire  passer.  On  se  tient  sur  ses  gardes,  et  l'on  a  les  yeux  sur  le  jardin. 
Les  mesures  sont  prises  pour  intercepter  cette  lettre. 

13  mars,  à  9  heures  du  soir. 

Les  deux  cardinaux  français  qui  sont  enlris  au  Conclave  (De  La  Tare 
et  De  Croy)  paraissent  ignorer  la  communication  de  Latil,  ou  du  moins 
se  montrent  indifférents  sur  ce  sujet.  Albani  s'efTorce  de  pénétrer  ce 
qui  s'est  passif  ce  matin,  entre  les  quatre  évéques;  il  met  en  jeu  toute 
son  adresse,  il  flatte  de  la  papauté  tantôt  l'un,  tantôt  l'autre;  mais  il 
n'a  rien  pu  découvrir  d'une  cliose  ([ui,  d'ailleurs,  n'est  d'aucun  intérêt 
pour  ses  propres  vues.  Il  s'est  longtenq)s  entretenu  avec  De  La  Fare,  a 
fait  beaucoup  de  civilités  à  De  Croy,  et  s'imagine  manier  avec  succès  la 
froideur  d'Isoard.  Il  espère  parvenir  à  son  but,  à  l'aide  des  cardinaux 
français  eux-mêmes  ;  mais  De  La  Fare,  éclairé  par  les  intrigues  d'Al- 
bani  au  dernier  Conclave,  le  craint,  comme  l'agneau  craint  le  loup. 

14  mars,  à  midi. 

Vous  croirez,  en  voyant  le  résumé  des  scrutins,  que  l'élection  du 
Pape  est  éloignée  ;  cependant  il  n'en  devrait  pas  être  ainsi,  à  en  juger 
par  l'état  présent  des  cboses.  Les  quatre  évéques,  qui  ont  conféré  avec  le 
cardinal  De  Latil,  sont  d'avis  qu'il  faut  élire  Cappellari.  Ceux-ci  ont  de 
l'influence  sur  la  plupart  de  leurs  confrères,  et,  partant  de  cette  base 
ils  peuvent  être  assurés  de  former  un  parti  considérable  auquel  vien- 
dront se  réunir  à  l' improviste  les  auxiliaires  français,  unanimes  dans 
leur  sufl'rage.  Albani  sera  joué,  celte  fois.  Son  manège  trop  connu  ne 
profitera  pas  certainement  à  celui  qui  peut  être  dans  sa  pensée  ;  il  sou[)- 


I 


II 


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La  colère  rouge.  (D'après  llcilbuth  ) 


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\.\  !'i;!':!,\TrnM  nn  L!':i»n  mil 


Jlais  lo>  pi  is  allanus  Si»:it  les  cérénvmiaiivs  :  ils  i-lii|K'nt  un   numliio  iiuahiilahlc  de 
chaiulelles,  et  nirnie  ju-<|u'aiix  laiilonies  des  corriil*>rs.  —  Mi;r  Danlaiio. 

2.  J'i'^iiorc  cl  je  n'ai  |U)iiil  vt.iilu  redioiclier  quelle  est  celle  (léelaralion,  p.ireineiil 
(le  coii<nence,  que  M.  le  cardinal  Lalil  a  l'aile,  en  présence  des  quatre  cardinatix-éy»-- 
qucs;  déclaration  nullement  |)(»liti«|uc,  que  les  autres  cardinaux  lrant;ais  ont  i<;norce, 
nue  le  cardinal  Albaid  cliercliait  à  découvrir  et  dont  les  actes  sont  «lerneurés  à  la  fjardo 
du  llrand  l'éuilencier.  Néainuoins  celte  confession  individuelle,  dont  rauteur  avait 
jîeiil-élie  aiuioncé  le  dessein,  aura  pu  servir  de  hase  à  la  Table  des  révélations  el  des 
ordre-  politiques  que  devait  Taire  et  donner  le  cardinal  Lalil.  —  Clialeaid^iand. 

I"  mars,  à  "  heures  el  demie  du  soir. 

(Inallond  en  ce  inoninit  les  Miilfcs  cardiiiimx  français.  Alhaiii  a  irrif 
une  lettre  à  un  de  ses  ^eiis.  ih\  s(»ii|»(;t>im«'  que  l'adresse  est  feinte  et 
eoiivemie.  H  pourrait  bien  proliler  de  lenlive  des  cardinaux  pour  la 
laire  passer.  On  se  tient  sur  ses  j-ardes,  et  \\m  a  les  yeux  sur  le  jardin. 
Les  mesures  sont  prises  poin*  intercepter  celle  lettre. 

\'t  mars,  à  0  Iieiurs  du  si  ir. 

Les  deux  cardinaux  français  (|ui  simt  entrés  au  Conclave  (De  La  Tare 
et  De  Crov)  [>araissent  i^iiiorer  la  coinnnmicalion  de  Lalil,  ou  du  moins 
se  montrent  indillérents  sur  ce  sujet.  All>ani  s'elVorce  de  pénétrer  ce 
qui  s'est  |»assé,  ce  matin,  entre  les  quatre  évèques  ;  il  met  en  jeu  toute 
son  adresse,  il  Halle  de  la  pa|>aulé  tanlot  l'un,  tantôt  l'autre;  mais  il 
n'a  rien  pu  découvrir  dune  chose  (pii,  d'ailleurs,  n'est  d'aucun  intérêt 
p(»nr  ses  propres  vues.  Il  s'est  longtemps  entretenu  avec  De  La  Fare,  a 
fait  l)eanc(»up  de  civilités  à  De  Crov,  el  s'ima-ine  manier  avec  succès  la 
froideur  disoard.  Il  espère  [)arvenir  à  son  Imt,  à  l'aide  des  cardinaux 
francai>  eux-mêmes:  mais  De  La  Fare,  c'clairé  par  les  intrigues  d'AI- 
bani  au  dernier  Conclave,  le  craint,  connue  l'agneau  craint  le  loup. 

1  i  mars,  à  néidi. 

Vous  croirez,  en  voyant  le  résumé  des  scrutins,  que  l'élection  du 
Pape  est  éloignée;  cei)endant  il  n'en  devrait  pas  être  ainsi,  à  en  juger 
par  l'état  présent  des  choses.  Les  quatre  évêipies,  qui  ont  conféré  avec  le 
cardinal  De  Latil,  sont  d'avis  (piil  faut  élire  Cappellari.  Ceux-ci  ont  de 
rinlluence  sur  la  plupart  de  leurs  conirères,  et,  partant  de  celte  base,, 
ils  peuvent  être  assurés  de  former  un  parti  considérable  ampiel  vien- 
dront se  réunir  à  rinq)roviste  les  auxiliaires  français,  nnanimes  dans 
leur  sulTrage.  Albani  sera  joué,  cette  fois.  Son  manège  trop  conim  ne  n 
proHtera  pas  certainement  à  celui  qui  peut  être  dans  sa  pensée;  il  soup- 


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l.a  colère  rouge.  (D'après  Ileilbulli  ) 


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130  LA   l'HÉLATUIlE   DE   LÉON   Mil. 

.onne  bien  une  coalilion  opposée  h  ses  vues,  mais  jusqu'ici  il  n'en  tient 
point  le  m  et  ne  (.eut  imaginer  où  elle  dirige  ses  vœux.  Il  s  applique  a 
retarder  l'élection,  persuadant  .|u'il  faut  attendre  les  cardn.aux  espa- 
gnols et  donner  à  Tambassideur  Labrador  le  temps  de  venir  ainsi  i.re- 
lenter  ses  hommages  au  Sacré-Collège.  Je  ne  i.uis  encore  calculer  la 

portée  de  cette  nouvelle  intrigue. 
La  lettre  interceptée  semble  écrite  de  bonne   foi  et  ne  renfermer 

aucun  mystère. 

1  i  inai-s,  à  2  liciires  oprès-inidi. 

On  a  reçu,  ce  malin,  des  lettres  de  France.  L'une  d'elles  contenait  la 
demande  expresse,  adressée  à  un  cardinal  (Xlacchi),  do  protester  contre 
les  Ordonnances.  On  répondra,  par  une  nouvelle  dépèche  au  nonce, 
dans  les  mêmes  termes  (|ue  la  précédente'.  On  invitera  le  nonce  à  se 
servir  de  son  autorité  auprès  de  celui  ou  de  ceux  ([ui.  voulant  se  mon- 
trer zelanli  outrés,  ne  sont  que  de  secrets  perturbateurs  de  la  paix 
du  rovaume.  Cette  dé|)èche  sera  expédiée  par  un  courrier  du  duc  de 
Blacas,  qui  doit  arriver  de  Naples. 

1    I  a  «élite  faction  qui  tourmente  la  France  invite  le  cai-dinal  Maccl.i  à  protester 

colt're   e    olnnances  :  c'est  encore  le  nonce  Lamhrusclnni,  Jont  la  correspondance 

erâe  canal  à  ces  odieuses  sollicitations.  I.a  majorité  du  Sacré-Col lege  reste  '..eto.  - 

abe  II  ;stbien  probable  que  le  nonce  nanra  ,»s  fait  part  au  Gouvernen.ent  fr  ni»,, 

de  la  llatteusc  .approbatioi  que  le  Conclave  voulait  b,en  donner  .  ma  condu.le.  - 

Clialcauljriand. 

i  4  mars,  à  5  heures  du  soir. 

L'ambassadeur  d'Aulriclie  a  écrit  pour  se  plaindre  des  délais  .lu'on 
apportait  à  l'insertion  de  son  discours  dans  le  Journal  de  liomr.  On  a 
remaniué   dans   sa  note  des  expressions  peu  mesurées   et  un   excès 
d'humeur  contre  la  juste  défense  de  cette  publication.  On  devrait  songer 
à  autre  chose  (lu'à  braver  une  puissance  inerme  et  bornée  mais  (|.ii  ne 
craint  aucun  potentat  de  la  terre,  soutenue  (lu'elle  est  par  le  bras  lormi- 
dable  du  Tout-Puissant.   Les  plaintes  auraient  pu  partir  avec  plus  de 
fondement  de  la  plume  du  vicomte  de  Chateaubriand,  dont  la  vive  élo- 
quence a  remué   tous  les  cardinaux,  dont  le  discours  mériterait  des 
millions  d'éditions  pour  l'utilité  publique,  pour  l'intérêt  de  la  vente 
qur  y  brille  et  pour  le  triomphe  même  de  la  religion.  Cet  homme,  d  un 
talent  extraordinaire,  n'a  pas  dit  un  mot  et  attend  sans  impatience  la 
décision  des  cardinaux,  ce  qui  ajoute  un  nouveau  .mérite  à  tous  ceux 
qui  le  distinguent.  Les  cardinaux-évôques  ont  ordonne  (lu'on  ajouterait 


LE   CABLNET   DU   ROI. 


151 


dans  la  dépêche  préparée  pour  le  nonce  l'expression  du  contentement 
que  Leurs  Éminences  éprouvent  de  la  conduite  de  ce  docte  ambassadeur. 

1.  La  contratUclion  que  les  cardinaux  rcuiarqucnt,  dans  le  discours  de  l'ambassa- 
deur d'Aulriclie,  avail  frappé  tous  les  esprits. 

Il  est  naturel  que  les  Sei/c,  c'esl-ànlirc  la  minorité,  ou  la  Faction  de  Sardaigne, 
désirassent  l'arrivée  du  cardinal  de  Clermont-Tonnerre.  La  condescendance  delà  majo- 
rité est  |K>ussée  bien  loin.  —  Chateaubriand. 

14  mars,  à  9  heures  du  soir. 

Vous  remar(pierez  dans  les  scrutins  du  jour  des  mouvements  rétro- 
grades. 11  paraîtrait  que  l'élection  s'éloigne;  mais  ce  n'est  pas  mon  avis. 
J'espère  qu'avant  le  25  nous  serons  hors  de  la  tour  enchantée. 

Remarquez  comme  en  certain  lieu  on  tient  sa  parole  (allusion  au 
discours  de  l'ambassadeur  d'Autriche).  On  offre  tout  pour  maintenir  la 
liberté  des  suffrages,  et  puis  on  accorde  des  pouvoirs  illimités  pour 
entraver  l'élection.  Et  à  qui  les  donne-t-on?  A  Albani,  qui  est  dominé 
par  des  haines  particulières.  Les  cardinaux  ont  bien  fait  de  révoquer  la 
défense  d'imprimer  le  discours;  ils  prouvent  de  la  sorte  qu'ils  savent 
mettre  les  prétendus  défenseurs  ou  protecteurs  en  contradiction  avec 
eux-mêmes.  Tous  les  cardinaux  se  sont  aperçus  de  la  rancune  d'Albani 
contre  De  Gregorio;  ils  sont  décidés  à  le  proposer,  afin  d'obtenir  l'heu- 
reux résultat  de  faire  élire  Cappellari;  les  évéques  manœuvrent  avec 
dignité  dans  ce  dessein.  11  est  de  l'intérêt  d'Albani  d'exclure  De  Gre- 
gorio;  s'il  l'exclut,  le  Pape  est  fait,  l'instant  d'après. 

A  la  suite  de  débats  qui  ont  duré  une  heure  entière,  on  s'est  prêté  au 
désir  de  seize  cardinaux,  qui  demandaient  ([u'on  pressât  l'arrivée  de 
rarchevêcjue  de  Toulouse.  On  lui  écrira  par  le  courrier  qui  est  attendu 
de  Naples.  Je  crois  que  le  cardinal  Clermont-Tonnerre  n'arrivera  pas  à 
temps,  tout  étant  déjà  à  l'ordre  du  jour. 

15  mars,  à  6  heures  1/2  du  matin. 

11  y  a  des*  probabilités  que  le  pape  sera  élu,  ce  matin.  Si  Dieu  ne 
change  pas  les  esprits  dans  la  salle  même  du  scrutin,  je  croirais  à  ce 
résultat.  Tout  le  monde  se  montre  empressé  et  résolu.  Assurément,  je 
verrais  une  fin  dans  ces  bonnes  résolutions,  si  les  passions  humaines  ne 
venaient  se  jeter  à  travers  les  opérations  du  Conclave.  L'amour-propre 
fait  commettre  bien  des  trahisons.  Ayons  de  la  patience!  Au  moins 
doit-on  espérer  d'arracher  le  serpent  de  la  bouche  d'Albani.  L'exclusion 
une  fois  donnée,  tout  obstacle  aura  cessé 


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152 


LA    PRÉLATIRK   DK    LKO>  XIII. 


LE   CABINET   DU    \\0\. 


153 


15  murs,  ù  in'uli. 


Le  gouverneur  de  Rome  est  chargé  de  faire  mettre  à  l'étroit  les  deux 
conclavistes  qui  ont  été  remis  hier  à  la  force  armée,  sans  bruit  et  sans 
scandale'.  Les  pièces  saisies  sur  eux  sont  d'une  grande  importance. 
Voilà  donc  le  mystère  dévoilé;  l'argent  répandu,  et  celui  qu'on  doit 
répandre  encore,  n'aura  servi  cpi'à  perdre  deux  traîtres,  deux  malheu- 
reux. L'In.iuisition  procédera  contre  eux,  outre  le  directeur  de  la  Police. 

1.  On  verra  ci-après  riùsloire  de  ces  deux  conclavistes,   agents  de  la  i^licc  du 
prince  de  Mclternicli.  —  Cliateaubriand. 

15  mars,  à  8  licures  du  soir. 

Je  vous  préviens  pour  votre  satisfaction  ([ue  le  pape  est  arrêté,  entre 
les  cardinaux  suivants  :  Cappellari,  lienvenuti  et  Oppizzoni.  Si  l'on  par- 
vient U  gagner  trois  voix,  qu'on  recherche  par  tous  les  moyens  de 
persuasion,  l'élection  sera  emportée  vivement.  Le  cardinal  Cesarei  est 
parti  hier;  il  vient  à  petites  journées,  et  nous  ne  l'aurons  pas  avant  le 
18.  C'est  une  voix  assurée  pour  le  hon  parti'. 

1.  Toujours  des  processions  et  des  prières,  pour  la  prompte  élection  du  pape.  On 
commence  à  murmurer  vivement.  Les  Itomains  craignent  pour  leur  Semaine-Sainte. 
Si  le  pape  n'est  pas  nommé  pour  le  10  avril,  jour  de  Pâques,  il  n'y  a  pas  de  Semaine- 
Sainte,  et  adieu  les  loyers  exorbitants.  Nos  hôtes  parlent  de  la  Semaine-Sainte,  comme 
d'une  récolte  ;  ils  prétendent  qu'elle  s'annonce  fort  bien,  cette  année.  Les  étrangers, 
que  les  cérémonies  du  conclave  ont  attirés  à  Uomc,  ne  s'en  iront  pas  et  il  en  viemlra 
beaucoup  d'autres.  Nous  avons  couru  tous  les  quartiers  de  Rome,  hier  et  aujourd'hui  : 
nous  voulions  trouver  un  logement  pour  un  de  nos  amis,  qui  vient  de  Sicile,  linixis- 
sible  de  rien  avoir  :  les  prix  sont  du  dernier  ridicule.  —Stendhal,  Promenadrs  t/«».>- 
Home. 

11^)  mars,  à  1  heure  après-midi. 

11  y  a  aujourd'hui  de  grands  manèges.  Albani,  armé  de  ses  pleins 
pouvoirs,  flatte  l'ambition  de  ceux  qu'il  protège,  et  répand  l'effroi  chez 
ceux  qui  peuvent  être  élus.  Il  ignore  ce  qui  est  arrivé,  et  se  persuade 
que  l'Autriche  est  informée  de  ce  qui  se  passe  dans  le  Conclave.  11  est 
dans  l'erreur;  ses  rapports  tourneront  à  sa  confusion.  Les  deux  cents 
louis  qui  ont  été  promis  ne  serviront  point  une  entrée  dans  la  Tour  de 
lironze,  comme  la  pluie  d'or  dans  la  Tour  de  Danaé.  Si  les  ressources 
de  la  politique  autrichienne  sont  grandes,  celles  du  Conclave  sont  incal- 
culables. On  ne  saurait  mettre  en  parallèle  la  position  de  celui  qui  sait 
toute  chose,  avec  la  situation  de  celui  qui  croit  tout  savoir  et  qui  marche 
dans  les  ténèbres.  L'élection  s'effectuera,  au  contentement  de  la  généra- 


lité ;  elle  préviendra  des  désordres  qui  sont  factices,  et  coupera  court 
aux'idées  d'agrandissement.  Le  Dieu  de  paix  soutient  ^on  Vicaire  sur  la 
ter.'c  par  des  moyens  pacifiques,  et  non  par  le  fanatisme. 

U)  mars,  à  7  heures  du  soir. 

Peu  s'en  est  fallu  cpie  nous  n'eussions  un  Pape,  contre  l'attente  géné- 
rale. Qui  ciU  jamais  deviné  qu'on  aurait  renoncé,  dans  le  scrutin  de  ce 
soir,  à  élire  un  jésuite?  C'est  pourtant  ce  ciui  est  arrivé.  U  n'a  manqué 
«pi'iine  voix  à  GazzoUt,  pour  être  proclamé.  Je  suis  demeuré  ébahi  de 
.ette  variation  subite.  Je  vois  clairement  maintenant  qu'après  les 
influences  humaines  la  main  de  Dieu  conmience  à  opérer. 

Iti  mars,  à  10  heures  du  soir. 

J'avais  espéré  que,  dans  les  conférences  du  soir,  les  cardinaux  se 
seraient  mis  d'accord;   mais,    à    mon  grand    déplaisir,  je   m'operçois 
du  contraire.  Les   Seize  ont  placé  sur  leurs  portes  la  croix  de  Samt- 
André,  signe  manifeste  au'ils  se  sont  résolus  h  soutenir  l'exclusion  et  à 
prolongcr^'indétiniment  le  Conclave.  C'est  véritablement  une  obstination 
d'hommes  endurcis  et  entêtés  dans  leurs  caprices;  c'est  vouloir  tenter 
Dieu,  pour  (pi'il  fasse  un  miracle.  Eh  bien!  ils  verront,  malgré  eux,  ce 
miracle  s'acconqilir  dans  des  vues  toutes  contraires  aux  leurs,  peut-être 
même  quand  ils  s'y  attendront  le  moins.  Cependant  Albani  profite  de 
cette  ligue  cpii  se  proclame  aujourd'hui  plus  opiniâtre,  pour  tenir  en 
respect ''le  parti  de  la  majorité.  Les  Seize  ne  se  contenteraient  pas  plus 
de  l'élection  de  Giustiniani  (ju'ils  ne  seraient  satisfaits  de  celle  de  Ber- 
lazzoli.    Oui    veulent-ils   donc?    Serait-ce   Micara,    Pallotta?  Qu'ils    en 
i^ssayent;   nous  verrions  du  moins  les  électeurs  fanatiques  finir  leurs 
jours  dans  un  chàteau-fort.  Mais,  bon  Dieu!  cette  opiniâtreté  fait  le 
triomphe  d'Albani.  Par  ce  moyen  tout  naturel,  il  satisfait  pleinement 
aux  vœux  de  ceux  (pii  lui  ont  confié  des  pouvoirs  illimités,  et  se  rit  de 
tout.  Il  prend  plaisir  à  voir  quelques  cardinaux  effleurer  la  tiare,  comme 
autrefois  Tantale  effleurait  l'eau  de  ses  lèvres  sans  pouvoir  l'atteindre. 
Ce  soir,  assez  tard,  on  a  apporté  pour  Albani  une  lettre  officielle  du 
comte  d'Apponv.  On  a  usé  envers  lui  de  la  courtoisie  habituelle,  de  le 
prévenir   que   tous   papiers    quelconques   devaient  être    communi(|ués 
à  tous  les  cardinaux  par  la    raison  que,    le    Conclave   étant    un    heu 
destine  à  la  sainteté  de  l'élection,  il  ne  pouvait  y  rien  pénétrer  qui 
concernât  la  politique,    et  qu'en    aucune    façon   les   pleins  pouvoirs 


à^ 


»  ».  m. Kl  — . 


M^^ 


154 


LA   PRKLATURE   DE    LÉON   MIL 


qu'il  tient  de  S;i  Majesté  Impériale  et  Royale  Apostolique  ne  lui 
donnent  le  droit  de  convertir  un  sanctuaire  aussi  respectable  en  un 
cabinet  des  Affaires  ^:t^angères^  Albani  a  promis  de  faire  ce  (ju'on 
lui  demandait;  il  a  lu  la  dépècbe  et  puis  Ta  jetée  au  feu,  sans 
proférer  une  parole  ni  vouloir  faire  une  seule  réponse.  Apres  un  tel 
procédé,  les  chefs  d\>rdre  ont  commandé  de  tripler  le  nombre  des  sur- 
veillants dans  les  endroits  où  Ton  présun^e  que  les  communications 
peuvent  être  plus  Aiciles. 

\.  Il  faut  entendre  par  ces  idées  d'agrandissement,  dont  il  est  question  dans  ce 
rapport  du  l(>,  les  vues  de  TAutriche  sur  la  succession  des  duchés  de  I  arme  et  de 
Modènc,  et  sur  celles  du  royaume  de  Sardain;nc  qu'on  voudrait  enlever  au  prmcc  de 
Carignan.  La  cour  de  Rome"  refuse  d'entrer  dans  ces  menées,  sur  lesquelles  j  espc;r.; 
avoir  des  renseignements  plus  précis.  Le  reste  de  cette  journée  du  il.  «^^^  >-^>';^»j;;;;  " 
des  invectives  contre  la  minorité  ^jni  veut  un  Jésmte,  et  contre  le  cardmal  Alban. 
qui  brùlc  une  dépêche.  —  Chateaubriand. 

17  mars,  à  midi. 

Je  suis  assez  content,  et  je  me  hasarde  à  dire  que  la  Croix  de  Saint- 
André  n'est  pas  aussi  redoutable  (pic  je  l'appréhendais.  Los  Pères  delà 
Croix  sont  divisés  en  trois  factions,  et  ceci  est  un  trait  de  lumière  pour 
les  autres.  Albani  s'en  est  aperçu  et  a  viré  de  bord,  aujourd'hui'.  Il  est 
rusé  et  serviteur  des  circonstances.  Nous  n'aurons  pas  certainement  un 

exalté.  J'entonne  le  Te  Deum. 

Ce  soir,  il  V  aura  une  conférence  où  Albani  jouera  le  premier  rôle  : 
tout  se  réglera  suivant  les  intentions  des  Souverains  étrangers.  Les  car- 
dinaux modérés  ont  adopté  un  tempérament  qui  est  de  se  prononcer 
pour  deux  candidats,  ou  Cappellari  ou  lienvenuti.  Les  Français  iront  a 
la  majorité;  la  victoire  nous  est  donc  assurée'.  J'ai  la  confiance  que  le 
Pape  sera  élu,  avant  le  25,  et  qu'il  sera  pris  dans  le  nombre  de  ceux 
que  tout  le  monde  peut  désirer. 

l.  Commencement  du  changement  de  rôle  d-AU,ani.  -  Chateaubriand. 

tJ.  Ce  soir,  est  sorti  un  des  deux  conclavisles  du  cardinal  L.l.l.  Il  sennuy  .t  .c. 
depuis  qu'il  avait  mis  les  pieds  dans  le  Conclave.  Demi-heure  après  son  msta  lalnm,  .1 
demandait  le  hulTet.  On  lui  répondit  :  «  On  ne  passe  pas!  .  ce  qui  déconcerta  beaucoup 
sa  susceptibilité.  Il   demanda  la  porte  de  la  hiblioUièque;  et  .1  eut  pour  repjmse  un 
'rand  éclat  de  rire.  11  saUrisIa  et  se  déclara  n.alade.  S'adres^ant  a  mou  .1  me  demanda 
^•il  pouvait  enfin  sortir  ;  je  lui  réiH)ndis  que  oui,  mais  qu'il  ne  rentrerait  plus.  le  soir 
même,  il  mettait  en  s'en  allant  le  comble  a  ses  vœux.  -  Indisposition  du  cardn.al  h  sel 
et  du  cardinal  Yidoni.  Celui-ci  se  vante  d'avoir  été  i-oi,  Inns  jours,  et  d  avoir  ele  n-duit 
à  s'ouvrir  les  veines  par  suite  des  soucis  que  lui  avait  valus  la  eharge  du  monde  entier 
à  gouverner.  -  Le  canlinal  doyen  a  proposé  aux  Knui.ences  de  permettre  au  cluru.  g.en 
Sisco  l'entrée  au  Conclave,  toutes  précautions  prises  sur  sa  personne  et  sur  celles  de 
ses  domestiques.  Il  s'agit  de  visiter  le  cardinal  Fe^cli,  blesse  au  bras  i>ar  un  trop  gros 


'  f--'- 


LE   CABINET   DU   ROI. 


l09 


vcsictoir...  U  ,.ro|,osili„n  faisant  le  Kmr  de  l'asseml.loe   le  cardinal  Ij.'^^  fi^"»  ^ 
::t>^  ronnluin,..nt  a.sa,U  ,ue.  ^ ^'-<'JI^^^::,^^\XT^:^  l'iûu 
iwiiivail  annrouver  une  paredle  innovation  et  que,  uauu.nis,  ic  ion 
ITe,    mieux    Le  canlinal  doyen,  étant  sorti  de  la  Sixtino.  -^''"^«e»  -  ca,ner,e.-de  .en 

ae  la  n.ain  1,  porte  ler.ee  et  de  -^'»|,- --'ï/r-";:;,        Vl":»'  ^Z 

sUrenouvelée  après  diuer,  et   Ton  craud  pour!»  v,e  du  canl.nal.  U  >eslau>.lot 
confesse.  11  avait  trop  manjté.  parait-d.  —  Mgr  Uaiilauo. 


18  mar?,  à  0  lieures  du  matin. 

C-esl  hier  au  soir  .|ue  les  cardinatix,  citez  Ics-iuels  il  est  permis 
detitrer,  otil  été  inlonités  de  la  déc.uverle  <iuon  est  parvenu  a  la.re. 
Kn  entendant  expliquer  le  sens  énigmali,,ue  du  document  ..tterceple 
deux  jours  auparavant  (voir  ci-après),  on  eût  dit  (pte  1  on  voya.t  br.ller 
une  étoile,  messagère  de  la  paix.  Quelques-uns  de  ces  vénérables  pnnces 
de  l'Église  levaient  les  yeux  au  ciel  et,  les  mains  jo.nles    renda.en 
.races  à  Dieu.  Tous  avaient  redouté  Albani.  et  pourtant  Albant  n  eta.t 
pas  de  ces  houunes  qui  se  livrent  en  aveugles  a.tx  volontés  d  une  Puts- 
sancc  étrangère.  U  veut  remplir  l'auguste  tnission  qui  lu.  est  eonhee: 
mais  il  veut  la  remplir  avec  des  restrictions  qui  attestent  qu  .1  est  plus 
dévoué  au  Sacré-Collège  qu'à  l'Empereur. 

Vers  ..euf  heures  et  demie,  il  y  eut  une  réunion  a  laquelle  Albani  lu 
appelé.  Les  cardinaux  n'avaient  plus  de  .néfiance,  et  ils  bc  confirmèrent 
mieux  dans  cette  disposition  d'esprit,  quand  Albant  ettt  man.feste  1  .nlen- 
lion  où  il  était  qtt'on  élût  un  Pape  modéré  et  agréable  a  la  majorité.  U 
mit  à  découvert  ses  sentiments,  exprimant  que,  pourvu  qtt  on  ne  pro- 
posât point  Guerrieri,  Pedicini,   Micara,   Pallolta,   Caprano,   tous   les 
autres  pouvaient  être  bons  et  auraient  l'assentiment  des  siens.  U  amie 
plus  le   Français  qt.e  les  Autrichiens,  et  il  l'a  prouvé  dans  des  conjonc- 
„res  difficiles,  comme  au  Conclave  de  Venise.  Sa  Majesté    mpertak 
Apostolique   ayant  fait  entendre  que    l'élection  de   Malte,    lu.   sera.t 
a 'rêable  Albani,  .,ui  avait  les  pouvoirs  de  l'Autriche,  fut  le  premter  a 
détourner  ses  a.t.is,  disposés  en  faveur  de  Maltei.  pour  les  fa.re  passer 

au  parti  de  Chi.iramonl.  „...••         „ ;. 

Albani  a  dit  encore  .,ue  si  l'on  pouvait  éviter  G.ust.ntan.,  ce  sera.t 
une  bo.,ne  chose;  qu'à  la  vérité,  ce  cardinal  avait  des  mœurs  exem- 
pt ires,  mais  qu'il  était  trop  rigide,  quoiqu'au  fond  tl  neut  aucune 
Ldilection  pour  les  Jésuites  aux,,uels,  du  reste,  Albant  se  mon  re  fort 
Ltraire.  Il  est  très  piqué  contre  les  Seize  qui  - -"'.déclares  hot.  de 
tout  cotnmerce.  Son  adresse  réussira  néanmo.ns  a  vamcre  leur  res.> 


/ 


15G  LA   PRÉLVTURE   DE   LÉON  XIII. 

tance.  Voici  donc  le  Conclave  dans  nn  étal  de  calme.  L'exclusion,  de  la 
part  d'Albani,  est  réservée  contre  De  Gregorio  pour  des  vues  person- 
nelles; mais  il  n'en  fera  usage  qu'après  avoir  la  certitude  que  les  cardi- 
naux se  sont   prononcés    décidément   contre   les  sujets  indiqués  plus 

haut. 

Galifli  est  un  brave  homme  qui  s'appliquera  à  faire  passer  les  suRrages 
qu'on  lui  donne  sur  un  autre  personnage  qui  soit  selon  le  vœu  de  toulc^s 
les  Puissances. 

PIÈCE    LNTKRCEPTÉE    ET    DÉCHIFFHÉE. 

//  francese  Latil  non  si  puà  scopvire  cosa  ahhia  in  secvelo  imlemlo 
ai  quattro  Ve^covi.  —  I  suoi  colleghi  vocjliono  uno  che  sia  conho  il 
proprio    Ministero.  E  cosa  buona.  —  Alhanim  favel,  ml   inviclo 
animo;   nam  mit  Jmiiniano  anteriorem.   Il   Conclave  è  diviso  in 
quatlo  parti.  —  Castiglionus  adhœret  in  secreto  Galtis,  ml  maU\  sed 
Alhanim  /nwmp/iat//.  —  D'ailleurs,  n'est-il  pas  impolitique  perperam 
de  s'en  tenir  aux  Jésuites  lesquels  ont  toujours  altéré,  mutilé,  soustrait 
impunément  tout  ce  (jui  était  contraire  à  leurs  vues  et  systèmes?  — 
Alhani  servira  Uustria,  ma  fa  riftettere  che  i  calcoli  di  una  convuU 
sione  politica  non  sono  nioUo  esatti  e  polrehhero  compromellerc  la 
sicurezza  deli  Impero.  —  Triumphahit  Albanius  quoties  electio  non 
incidat  in  cardinales  Jesuitas,  et   hac  conditione  fuies   servahitur 
intégra.  Si  vero  desideralur  electio,  ut  ampliori  ditione  fiât  Ger- 
mania,  hoc  nullo  pacto  sperandum,  nam  pace  non  armis  augentur 
imperia.  —  Apres  tout  cela,  il  n'est  pas  glorieux  à  l'Autriche,  (|ui 
doit  être  considérée  comme  le  siège  de  la  justice  et  l'asile  de  la  monar- 
chie absolue,  de   soutVrir   qu'il    se  passe  impunément  de  semblables 
désordres  dans  le  Conclave,  et  par  des  gens  qui  ont  l'honneur  d'y  appar- 
tenir*. 

1  le  cardinal  Albani  est  tout  à  coup  converli;  il  se  dclaclie  des  Seize;  il  nous 
apprend,  en  les  excluant,  quels  étaient  les  candidats  de  ce  parti.  Les  pièces  surprises 
entre  les  mains  des  conclavisles  arrêlés,  et  dcchiiïrécs  avec  assez  de  penic,  prouvent 
qu'Albani  élait,  au  fond,  contre  les  Jésuites  et  assez  mal  disposé  iwur  l'Autriche.  — 
Chateaubriand. 

18  mars,  à  midi. 

Je  dis  de  nouveau  et  avec  plus  de  confiance  :  Te^Deum  laudamus! 
Les  Seize  persistent;  mais  c'est  cjuelque  chose  que  d'avoir  aperçu,  dans 
le  scrutin  de  ce  matin,  que  six  d'entr'eux  semblent  disposés  à  quitter 


.«^- 


«VtlTjNO  N' 


.^ 


Un  cardinal  à  San  Pietro.  (D'après  Jules  Lef'ebvre.) 


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i:,,i  L\   PIIKLATIRE    DK    LKON   Mil. 

tance.  Voici  donc  le  CoiiclaNv  dans  im  ctal  de  calme.  i;e\clu>ion,  de  la 
p.irt  d'Alhani,  est  réservée  contre  lie  (Ire-orio  pour  des  vues  person- 
nelles; mais  il  n'en  fera  usa-e  (lu'après  avoir  la  certitude  que  les  cardi- 
naux  se  sont    prouinicés    décidément    contre    les  sujets  indi(|ués  |)lus 

haut. 

r.alifli  est  un  Nrave  lionmie  ijui  s'appli.pu'ra  à  Taire  passer  les  sulTra-es 
qu'on  lui  donne  sur  un  autre  persoinia-e  qui  soit  selon  le  vceu  de  toutes 
les  Puissances. 

|>IÈ«:E    l.NTKRCEI'TKE    ET    DtCHimU-K. 

//  francrsc  Latil  }Wn  xi  puo  scoprire  cosa  ahhia  in  .srerc/o  palesalo 
ai  (juatlro   Vescori.  —  I  snoi  cuUeifhi  roijlimw  iino  rite  nia  contro  il 
proprio    Miiii^^tero.  E  corn   huona.  —  Alhnniun  farci.   scJ    invicln 
auinio;    nain  mit  hi^tininno  antcriorcm.   il   Conclave  è  divis^o  in 
quatto  parti.  —Caslifilnmus  adkvrel  in  serreto  (.V////>,  s^J  nialc,  sed 
Alhanius  /W//m/>//^//>//.  -l»*:dlleurs,  nVst-il  pas  inq»olili.iue  perperam 
de  s'en  tenir  au\  Jésuites  les(pi.'ls  oui  toujours  altéré,  mutilé,  soustrait 
inq.unément   tt)ut   ce   (pii  était   e«uitraire  à   leurs  vues  et  systèmes?  — 
Alhaniserrirà  l'Auslria.  ma  fa  ri/hllrre  che  i  calcnli  di  una  conrul- 
sione  poliUca  mm  :^ono  ntulto  esalli  e  pobrbhrro  iompnmirllern  la 
m-urezza  dcW  Imprro.  —  Triumphahit  Mbanius  quolirs  clcctio  non 
incidat  in   cardinalr><  Jesnila^.  rf    hac  conditione  fidcs   nervabitur 
int('()ra.  Si  rero  de^ideralur  cleclio.  ut  ampliori  ditione  fiât  Ger- 
mania.  hoc  nnllo  pacio  .<perandnm,  nam  pace  non  armin  anifcnlur 
imperia.  —  Après  tout  cela,   il   n'est  pas  -lorieiw  à  l'Aulrii-he,  qui 
doit  être  considén'r  comme  le  siège  de  la  justice  et  l'asile  de  la  moFiar- 
chic   absolue,  de    souiïrir    qu'il    se   i)asse  inipunément  do   semidaldes 
désordres  dans  le  Conciave,  et  par  des  gens  cpii  ont  l'honneur  d'y  appar- 
tenir^ 

l  lo  cardinal  Ali)ani  est  tout  à  coup  coiivcrli;  il  se  dclaclic  des  Scizr;  il  nous 
apprend,  ci.  les  excluant,  quels  étaient  les  candidats  do  ce  parti.  Les  pièces  surpris.s 
entre  les  mains  des  conclavistes  arrêtés,  et  de.liilVr.'O  avec  assez  .le  penie.  prouvent 
qn'Alhani  elait,  an  fond,  .01. Ire  les  Jésuites  cl  assez  mal  disposé  pour  1  Autriche.  — 
(ilialeauhriand. 

18  mars,  à  midi. 

Je  dis  de  nouveau  et  avec  plus  de  confiance  :  Tc^Deuni  landamus! 
Les  Seize  persistent;  mais  c'est  quehiue  chose  ipie  d'avoir  aperçu,  dans 
le  scrutin  de  ce  matin,  que  si\  d'entr'eux  semblent  disposés  à  cpiitter 


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Un  cardinal  à  San  Pietro.  (Haprès  Jules  Lcîebvrc.) 


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158 


LA   PRÉLATIKE   DE    LÉON   MIL 


leur  croix.  Aujourd'hui,  nous  aurions  eu  pour  pape  le  cardinal  Gazzola 
si,  après  avoir  obtenu  28  voix  et  appris  que  les  six  cardinaux  susdits 
compléteraient  l'élection  dans  la  soirée,  il  neùt  fait  une  touchante 
homélie,  ex[>osant  avec  une  sainte  modestie  qu'il  ne  pouvait  convenir  à 
son  grand  Age  de  prendre  une  charge  aussi  pesante;  et,  déclarant  solen- 
nellement qu'il  n'accepterait  jamais  le  pontificat,  il  a  supplié  qu'on 
détournât  de  lui  les  suflrages  pour  les  accorder  a  une  personne  plus 

digne  ^ 

A  son  tour,  le  cardinal  Délia  Somaglia  a  fait  une  semblable  décla- 
ration, alin  d'accélérer  les  opérations.  Les  cardinaux  s'étant  séparés, 
Albani  a  promis  qu'il  saurait  gagner,  par  de  bonnes  façons,  les  Pères  de 
la  Croix.  Ce  cardinal  est  décidément  du  bon  parti.  Il  voudrait  proposer 
Bertazzoli;  je  le  crois  meilleur  que  De  Grégorio,  et  beaucoup  plus 
modéré;  il  est  intime  ami  de  Cappellari,  qui  le  dirige  en  toutes  choses  : 
Bertazzoli  ne  fait  rien  sans  l'approbation  de  celui-ci.  Cappellari  est  aimé 
de  tout  le  monde,  par  sa  modération  et  son  savoir.  Si  l'on  ne  craignait 
pas  un  refus  de  sa  part,  il  serait  le  Secrétaire  d'État,  si  toutefois  on  ne 
prend  pas  le  parti  de  confirmer  Bernetti  afin  de  plaire  aux  Puissances. 
Si  donc  Bertazzoli  est  élu,  le  parti  de  la  modération  pourra  s'attribuer 
la  victoire. 

1.  J'ai  parlé,  dans  une  de  mes  dépêches,  du  noble  refus  de  Gazzola.  11  est  ici  ques- 
tion des  scciùlaircs  d'État  prolwbles.  Le  caractère  «les  canditlals  à  la  papauté  est  bien 
peint.  —  Chateaubriand. 

18  mars,  à  8  heures  1/2  du  soir. 

La  découverte  d'hier  a  ranimé  les  cardinaux  de  telle  sorte  qu'ils 
traitent,  concilient  et  .se  concertent  avec  Albani;  il  n'y  a  plus  de  méfiance 
sinon  envers  les  Pères  de  In  Croix,  qui  font  encore  la  sourde  oreille |. 
On  avait  eu  l'idée  d'envoyer  à  sa  destination  la  lettre  interceptée;  mais 
on  a  réfléchi  que  ne  connaissant  pas  la  personne  qui  devait  la  recevoir 
(puisqu'elle  s'était  enfuie  du  jardin),  et  cette  lettre  contenant  d'ailleurs 
des  maximes  d'une  saine  politique,  Albani  s'imaginera  facilement  qu'elle 
est  arrivée  a  son  adresse;  mais  que,  le  contenu  n'ayant  pas  été  agréable, 
un  silence  de  confusion  est  la  seule  réponse  qu'il  doive  en  attendre.  Que 
ferons-nous  de  ces  Pères  de  la  Croixl  Espérons  qu'ils  réfléchiront,  en 
cette  journée  consacrée  à  la  vigile  du  glorieux  époux  de  Marie.  Tout  lo 
Conclave  adresse  des  prières  ferventes  à  un  si  puissant  intercesseur, 
afin  qu'il  touche  le  cœur  de  ces  princes  de  l'Église  cl  les  dirige  vers  le 
terme  tant  souhaité  de  l'élection.  J'espère  que,  i>ar  la  médiation  de 


'"yÇ^T" 


LE    CABINET   DU   ROI.  ^^^ 

saint    Josei)h,    nous   verrons,   demain,   ([uelque    changement    décisif. 

i.  Les  Pcre^  de  la  Croix  sont  les  Seize.  Ils  avaient  mis  sur  leurs  portes  une  croix 
de  Saint-André  jwur  annoncer  que,  déterminés  dans  leur  choix,  ils  ne  voulaient  plus 
communiquer  avec  personne.  —  Chateaubriand. 


.1 


19  mars,  à  midi  et  demie. 

Quel  revirement  soudain,  de  la  part  des  Pères  de  la  Croix  \  lis  se 
sont  décidés  unanimement  pour  le  cardinal  Macchi.  Que  veut  dire  ceci? 
Il  existait  donc  entre  eux  un  accord  pour  surprendre  le  parti  contraire. 
Ce  projet  ne  réussira  pas.  Bien  des  cardinaux  qui  auraient  été  favorables 
à  Macchi  se  sont  repliés  et  n'ont  point  accédé,  de  crainte  de  donner  dans 
le  piège,  appréhendant  que  le  serpent  soit  caché  sous  l'herbe  riante.  Si 
au  scrutin  de  ce  soir  la  même  chose  arrive,  les  doutes  s'accroîtront  et 
nul  ne  se  mettra  en  avant  sans  un  examen  scrupuleux,  sans  passer  au 
creuset  la  vie  entière  de  Macchi.  Il  y  a  quelque  divergence  dans  la 
manière  de  l'envisager».  Quebiues-uns  croient  que  ce  cardinal  est  attaché 
au  parti  des  Jésuites;  d'autres  pensent  le  contraire,  et  se  fondent  sur  des 
faits  qui  sont  survenus  dans  les  derniers  temps  de  sa  mission  en  France. 
Quoi  qu'il  en  soit,  on  s'occupe  de  recueillir  toutes  les  lumières  possibles 
il  cet  égard  *. 

1.  Le  cardinal  Macchi,  qui  avait  montré  de  la  modcralion  à  Paris,  semble  l'avoir 
perdue  en  Italie  par  ambition.  Il  a  cru  que  la  Faction  de  Sardaigne  lemportora.l 
dans  le  Conclave.  Cette  faute  de  jufçement  lui  a  valu  la  voix  des  Seize,  et  lui  a  ote 
toutes  les  autres.  On  ne  saurait  trop  admirer  les  sentiments  raisonnables  et  la  same  et 
fernïc  opinion  de  la  majorité.  —  Chateaubriand.  ,        •    .. 

^>  Ce  malin,. le  lK)nnc  heure,  la  Place  du  (juirinal  était  pleine  de  monde  qui  atten- 
daiUa  proclamation  du  pape  élu.  Au  tourniquet  des  gardes,  on  disait  que  Casligliom 
élail  nommé.  In  conclaviste  voulait  môme  engager  le  pari;  mais  le  cardinal  Pacca  a 
qui  il  avait  dit  :  a  Uelle  journée!  r>  lui  avait  répondu  :  «  Nous  en  profiterons!  »  Lu 
autre  avait  mis  le  signet  du  Missel  à  la  collecte  Pro  Pontifice,  ce  qui  avait  fait  croire 
au  servant  qu'on  avait  fait  le  pape,  la  veille.  Le  cardinal  Bernetti  ne  veut  pas  mani- 
gancer l'élection  du  pape,  quel  qu'il  soit,  dans  l'e.poir  de  continuer  à  rester  Secrétaire 
d'Etat  II  a  le  pie.l  entre  deux  élriers.  A  quelqu'un  qui  lui  a  demande,  par  allusion 
à  l'élection  iK)ntilicale  :  a  Que  va  nous  apporter  aujourd'hui  Saint-Joseph  dont  cest 
la  fête'  D  le  malin,  éludant  la  question,  a  répondu:  «  Des  frites  1  d  par  allusion  aux 
fricassées  que  les  Uomains  mangent,  ce.j..ur-là.  -  Le  cardinal  Firrao  avait  pris  froid, 
à  la  porte  de  Pacca  dont  les  armes,  placées  sur  l'imposte,  représentent  une  tête  .o 
mort  posée  entre  deux  tibias.  «  Que  voulez-vous,  dit  larchevêque  de  Naples,  ces  armes-la 
Imitent  malheur  ».  —  M'^ir  Dardano. 

19  mars,  à  9  heures  1/2  du  soir. 

Ce  soir,  les  Pères  de  la  Croix  se  sont  tous  déclarés  pour  Guerrieri; 
mais  ils  voient  que  les  autres  portent  leurs  voix  d'un  côté  opposé,  dès 


uo 


LA   PRÉLATLRE    DE    LÉON    XIIL 


'V 


qu'eux-mêmes  se  dirigent  vers  un  choix  (|Uclconque.  Quoi(jue  Macchi 
n'ait  pas  été  considéré  tout  à  fait  comme  de  leur  bord,  il  faut  néan- 
moins se  tenir  en  garde,  parce  qu'on  pourrait  tenter  un  coup  de  main 
ei  couronner  ce  cardinal  par  surprise.  Si  les  premiers  sont  rusés,  les 
autres  sont  plus  circonspects,  plus  réservés  et  moins  présomptueux.  La 
prochaine  arrivée  du  cardinal  de  Clermont-Tonnerre  a  excilé  une  grande 
joie,  parmi  les  Pères  de  la  Crnir;  mais  je  soupçonne  que  cette  joie  nest 
qu'apparente,  car  il  est  certain  que  ce  cardinal  arrive  pour  donner  son 
vote  au  plus  digne,  au  plus  modéré,  et  c'est  uniquement  dans  ce  but 
salutaire    qu'il   s'est  mis   en  route,  l/arrivée   de  Cesarei,   que   nous 
crovons  très  prochaine,  contribuera  à  la  hàle  de  l'élection.  Les   Seize 
achèveront  par  être  mis  au  supplice,  sur  cette  même  croix  cpi'ils  ont 
arborée  pour  entraver  une  si  sainte  opération.  A  peine  se  sont-ils  assurés 
que  Clermont-Tonnerre  destinait  sa  voix  au  plus  digne,  cpiils  ont  été 
ébranlés  et  se  sont  résolus  à  ôter  ce  signe  d'isolement,  atin  de  recevoir 
et  de  conférer'.  En  ce  moment  ils  sont  tous  a<'cessibles,  et  il  se  ]>ourrait 
tpie  cela  ferait  bien;  je  présume  néanmoins  (pie  nous  verrons  demain 
reparaître  le  funeste  signe,  mais  non  sur  toutes  les  portes,  et  j'en  augure 
(pi'il  manque  peu  de  chose  pour  arrivera  l'élection  d'un  pontife  modéré 
i't  analogue  aux  sentiments  unanimement  exprimés  par  toutes  les  Puis- 
i?ances. 

1.  Ce  passage  est  tout  à  l'avanlagc  de  M.  le  canliiial  de  Clei-monl-Tonncrrc.  —  Clia- 
leaubriand. 

"10  mars,  à  l  liciire  après-midi. 

Nous  voici  revenus  à  la  bannière  de  la  Croix.  Entre  les  Seize,  trois 
autres  cardinaux  ont  pris  parti  pour  De  Gregorio.  N'y  faites  aucune 
^ittention;  croyez  plutôt  que  le  Pape  sera  ïknvenuti'.  Nous  l'enq)ortons, 
la  victoire  nous  sourit.  C'est  maintenant  qu'on  fait  parade  d'un 
<!aractère    de   rigidité  et    de   persistance,    le  problème  touche   à    son 

dénouement. 

Dans  la  nuit  du  18  au  10,  le  Conclave  a  reç-u,  par  un  courrier  espa- 
gnol, une  lettre  du  cardinal-archevêque  de  Toulouse  qui  amionce  son 
départ  pour  Rome.  Il  mande  cpie  le  roi,  son  maître,  lui  a  fait  connaître 
par  l'organe  de  ses  ministres  qu'il  désirait  (juc  lui,  cardinal,  contribuât 
.par  son  suffrage  à  l'élection  d'un  pontife  modéré,  prudent  et  zélé.  Cette 
Éminence  ajouta  qu'elle  le  fera  de  tout  son  cœur.      > 

1.  Le  cardinal  Albani  a  aussi  mis  en  avant  le  nom  du  cardinal  Pacca  qui  ne  veut 
4)as  de  la  papauté,  parce  qu'il  n'a  que  a  de  la  verlu  on  poudre  »,  è  pieno  di  virlù 


LE   CABINET   DU    ROI. 


lU 


polverom  (|Kir  allusion  au  favoritisme  connu  de  Pacca  pour  la  famille  Polvcrosij. 
On  110  vont  pa-;  «le  Castiglioni,  pour  ses  accès  de  lureur;  ni  de  Gregorio,  parce  qu'il 
prend  len  à  tout  propos.  Les  cardinaux  commencent  à  s'ennuyer.  —  Quand  on  a 
demandé  à  Pacca  quel  cas  il  ferait  de  son  neveu,  l'ex-gouvorneur  de  Rome,  s'il  venait 
à  cire  élu  pape,  il  a  répondu  qu'il  ne  lui  laisserait  pas  mettre  le  pied  dans  l'Etat 

Pontifical.  —  Mgr  Dardano.  .     ,     .      „ 

Mgr  Tiborio  Pacca,  joueur  fameux  et  galant  réputé,  s  était  epris  dune  cerlame 
Magatti,  à  tel  point  qu'un  beau  matin,  laissant  là  ses  titres,  il  leva  le  pied  avec  elle. 
On  comprend  ainsi  la  déclaration  du  cardinal  Pacca  contre  son  inavouable  neveu^ 
l'Achille  aux  pieds  aussi  légers  que  le  cœur. 


20  mars,  à  9  heures  1/2  du  soir. 

A  juger  par  le  scrutin  de  ce  soir,  on  dirait  que  le  cardinal  Castiglioni 
va  être  pa|ie.  Moi,  i[\ù  connais  les  allures  du  Conclave  et  le  jeu  qu'oii 
veut  tenter,  je  ne  m'en  tiens  pas  à  la  majorité  des  voix  et,  jusqu'à 
présent,  je  suis  fermement  persuadé  que  le  choix  définitif  doit  tomber 
sur  Benvcnuli.  Pensez-vous  qu'il  soit  possible  (pie  les  Pères  de  la  Croix 
aillent  plus  loin,  dans  leur  obstination?  Je  ne  l'imagine  pas.  11  faut  pour- 
tant avouer  que  ces  croix  sont  bien  nuisibles  à  l'Église,  et  je  ne  saurais 
comprendre  comment  des  hommes  aussi  irréprochables,  aussi  religieux, 
peuvent  être  autant  enclins  à  la  discorde*.  Demain,  après  le  scrutin,  le 
cardinal-doven  lira  le  statut  qui  suspend  les  votations  depuis  le  samedi 
de  la  Pa>sion  jusqu'à  la  deuxième  fête  de  Pâques.  On  se  flatte  qu'en 
anticipant  cette  publication,  les  esprits  fermés  à  tout  bon  conseil  seront 
ébranlés  et  amenés  ensuite  à  se  désister  d'une  scandaleuse  oiiiniàtreté. 
Il  m'est  venu  dans  la  pensée  que  ces  Pères  de  la  Croix  reposent 
leur  conliance  sur  la  rigidité  connue  du  cardinal  de  Clermont-Tonnerre, 
et  comptent  l'.ittirer  dans  leurs  rangs;  mais  ils  s'aveuglent  sur  ce  poiiU. 
Los   sentiments  de  ce  respectable  cardinal   sont  purs  et  consacrés   à 
l'élection  d'un  pontife  zelanle  modéré,  ainsi  que  l'atteste  sa  lettre  si 
respectueuse. 

1  Jr  m-  icaurnis  comprendre  coimnenl  des  hommes  aussi  irréprochables,  aussi 
rclîaieu  v  peuvent  être  autant  enclins  à  la  discorde.  Cette  ivilcxion,  que  fait  1  anno- 
tateur .lu  'conclave,  imus  pouvons  la  faire  également  à  Paris.  Ouant  à  la  ngiditc  du  car- 
dinal d.'  Clermont-Tonnerre,  l'historien  se  trompe.  On  voit  et  l'on  continuera  devoir 
.me  cette  petite  Faction  de  Sardaigne,  la.pielle  représente  notre  Congregaliou  de 
France,  a  seule  détruit  la  concorde  dans  le  Sacré-Collège  et  retardé  l'élection.  —  Cha- 
teaubriand. 

21  mars,  à  1  heure  après-midi. 

La  correspondance  reçue  aujourd'hui  est  un  tissu  de  choses  tellement 
xtravai-antes,    qu'elles    ne    mériteraient    aucune   réponse.    Toutefois, 


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LA   PRÉLATDRE   DE   LÉON   \I!I. 


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comme  il  est  de  la  dignité  du  Sacré-Colloge  de  démentir  au  plus  tôt,  et 
d'une  manière  officielle,  le  hruil  ;darmant  (|u'on  sème  dans  le  monde 
politique,  il  vient  d'être  écrit  au  nonce,  à  Paris,  que  jamais  le  Conclave 
n'a  joui  d'autant  de  liberté  et  de  sécurité  qu'en  cette  conjecture;  que 
jamais  on  n'a  vu  les  Souverains  de  l'Kurope  aussi  unanimes  dans  leurs 
pensées  et  leurs  sentiments,  qu'ils  l'ont  été  dans  le  présent  Conclave.  Si, 
par  hasard,  (juelque  agent  [)olitique  inconnu  s'attachait  a  ré[)andre  des 
bruits  absurdes  et  qui  n'ont  aucun  l'ondement  légitime,  ses  ellorls  ne 
feraient  (|ue  concilier  davantage  au  Sacré-Collège  la  confiance  et  le 
respect  qu'on  lui  porte,  et  ne  parviendraient  jamais  à  altérer  la  bonne 
harmonie  qui  existe  entre  lui  et  les  couronnes.  Vous  savez  aussi  bien 
que  moi  que  le  faisceau  de  forces  rassemblé  dans  cette  étroite  enceinte 
est  plus  puissant  que  toutes  les  armées  de  l'univers,  et  ne  saurait  être 
atïliibli  par  des  intrigues  malveillantes*.  C'est  une  grande  témérité  que 
de  provoquer  avec  les  armes  du  mensonge  ceux  qui  ont  dans  leurs  mains 
tous  les  secrets  du  monde. 

Ce  matin,  les  Pères  de  la  Croix  se  sont  montrés  plus  dociles.  Après 
le  scrutin,  quatre  d'entre  eux  se  sont  rendus  abordables  et  ont  ouvert 
des  conférences  réciproques.  J'espère  d'a[)rès  cela  que  d'un  momenf  à 
l'autre  on  pourra  s'entendre. 

1.  Il  s'agit,  dans  ce  paragraphe,  de  la  prétendue  conspiration  dont  j'ai  parlé  dans 
mes  dépêches.  C'était,  selon  moi,  un  coup  monté  afin  qu'on  en  tirât  cette  conséquence  : 
qu'un  pape  moiléré  comme  Léon  XII  lomentait  des  révohitions,  et  qu'il  était  néces- 
saire de  nonmier  un  pape  anlent,  zelunte,  pour  contenir  les  rois  el  les  peuples.  —  Cha- 
teaubriand. 

21  mars,  ù  9  heures  1/2  du  soir. 

A  l'instant,  les  cardinaux  sortent  d'une  conférence  qui,  j'espère,  sera 
décisive.  Les  Pères  de  la  Croix  ont  enfin  abandonné  leur  pertinacité 
insensée,  et  se  sont  déclarés  pour  Oppizzoni.  La  majorité  du  Conclave 
est  dans  la  joie;  on  ne  saurait,  dans  la  circonstance  actuelle,  faire  un 
meilleur  choix.  D'un  abord  facile,  d'un  extérieur  imposant,  affable, 
pacifique,  modéré,  voilà  Oppizzoni ^  Si  les  quatre  convertis  maintiennent 
leur  résolution  je  ne  me  serai  trom[)é  qu(»  de  nom.  11  est  probable  (pie 
vous  aurez,  demain,  l'heureuse  nouvelle.  Les  24  cardinaux  sont  fermes 
dans  leur  premier  dessein;  les  4  qui  adhèrent  font  28;  les  4  Français, 
qui  vont  à  la  majorité,  voilà  Ô2;  Albani,  (pii  favorise  une  élection  modé»- 
rée,  cela  fait  55.  Le  calcul  est  certain,  si  les  4  qui  se  sont  offerts  d'eux- 
mêmes  ne  viennent  pas  à  changer  subitement,  ce  (ju'à  Dieu  ne  plaise! 

1.  Ce  qu'on  dit  ici  d'Oppizzoni  est  juste,  mais  il  me  semble  que  les  cardinaux  de  la 


LE   CABINET   DU   ROL 


u; 


majorité  étaient  dupes  des  Seiic,  dans  ceUe  circonstance.  Les  quatre  déserteurs  n'étaient 
vraisemblablement  que  d'honnêtes  fidèles,  envoyés  pour  pénétrer  le  secret  de  la  majo- 
rité. Il  est  triste  de  connaître  aussi  bien  les  moyens  employés  pour  donner  un  chef  à 
la  chrétienté.  Jadis  les  peuples  les  plus  fervents,  moins  libres  et  moins  éclairés,  igno- 
raient ce  qui  se  passait  à  l'élection  secrète  d'un  pape:  ils  pouvaient  croire  aux  inspira- 
lion^  directes  du  Saint-Ksprit;  mais  aujourd  hui  ils  voient  tout,  ils  savent  tout,  ils 
jugent  tout.  Ces  intrigues,  ces  ambitions,  ces  passions  de  toutes  les  sortes  qui  se  débat- 
tent «lans  un  Conclave  et  qui  sont  connues  au  dehors,  malgré  les  portes  et  les  verrous, 
font  uu  tort  immense  à  la  Keligion.  —  Chateaubriand. 


22  mars,  à  1  heure  après-midi. 

Je  renonce  à  toute  assertion  positive,  je  ne  veux  plus  parler  que 
conditionnellement;  et  peut-être  mes  raisonnements,  tout  conditionnels 
qu'ils  soient,  n'aboutiront  encore  à  rien.  Les  Pères  de  la  Croix  n'ont 
point  tenu  leur  parole;  ils  se  sont,  à  l'ordinaire,  déclarés  à  l'unanimité 
|)0ur  Macchi.  Voilà  mes  espérances  semées  au  vent.  Qui  sait  combien  de 
temps  nous  resterons  encore  ici?  Les  intrigues  ne  discontinuent  point. 

Ce  matin,  on  a  été  averti  qu'un  cardinal  (Odescalchi)  s'entretenait  par 
si'Mies  avec  des  jésuites  cpii  se  trouvaient  dans  un  jardin  de  la  Compa- 
"Mtie  situé  vis-à-vis  l'édifice  du  Conclave*.  La  garde  de  la  rue  a  fait  le 
même  ra[)port  au  maréchal  du  Conclave.  On  s'est  posté  en  observation  : 
impossible  de  rien  comprendre  à  ce  langage  par  signes.  A  la  fin,  on  a 
aperçu  une  sorte  de  télégraphe,  sur  lecjuel  étaient  écrites  ces  paroles  en 
lettres  capitales  :  «  Rappelez-vous  le  chapitre  ordinaire  de  saint  Pierre, 
à  Coniplies.  »  Que  signifient  ces  mots  vagues  et  symboliques?  On  consulte 
sa  mémoire  ou  son  bréviaire,  et  l'on  trouve  ce  verset  :  Fratres,  estote 
sobrii  el  vigilate,  quia  adverforius  rester  diabolus,  lanquam  leo 
ruqienSy  circuit  qnœrens  quem  devorel  ;  cui  resislile  fortes,  in  fide.  En 
vérité,  voilà  une  singulière  intrigue.  Le  cardinal  a  été  prévenu  de 
s'abstenir  de  sentblables  manœuvres,  et  sur-le-champ  des  ordres  ont  été 
donnés  pour  les  empêcher  désormais.  Uapport  en  sera  fait,  ce  soir,  au 
Conclave,  et  j'ai  l'espoir  cpu'  cette  aventure  servira  à  faire  démêler  le 
«^enre  d'entraves  (jui  embarrassent  les  opérations  de  l'assemblée,  et  à 
convaincre  combien  il  importe  de  i)resscr  l'élection,  en  dépit  des  Seize. 

1.  Il  serait  im|K)ssibie  do  s'empêcher  de  rire  du  cardinal  0<lescalchi  et  du  télégraphe 
des  Jésuites,  si  la  gravité  de  la  matière  ne  formait  un  contraste  déplorable  avec  ces 
tours  d'écoliers.  Voilà  donc  ù  quelles  ressources  en  sont  réduits  une  compagnie  qui  se 
dit  pieuse  et  un  cardinal  dont  on  loue  la  régularité,  pour  asseoir  dans  la  Chaire  de 
saint  Pierre  quelque  pontife  passionné,  perturbateur  du  repos  des  nations.  On  trouvera 
plus  loin  la  réponse  du  l'rocurcur  général  des  Jésuites.  —  Chateaubriand. 


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LV   PRÉLATIRE    DE    LÉON    XIII. 

22  inai-s,  à  9  heures  1/2  du  soir. 


ApK-  !r  scrutin  du  soir,  le  cardinal-camerlingue  et  les  trois  chefs 
d-ordre  ont  été  inlorniés  de  ce  ((ui  s  eU.il  passé  dans  la  matinée.  Le 
fait,  communi.iué  aux  autres  cardinaux  avec  l.eaucou,.  dec.rconspcct.o... 
I-.  fuite  entière  en  a  été  attribuée  au  conclaviste  du  cardinal  Odcscalcl.i. 
On  voulait  faire  un  exemple,  en  le  renvoyant;  maison  s'est  laissé  aller 
à  rindulgence,  afin  d-éviter  le  scandale  et  les  bavardages.  On  s  occu|k- 
du  nioven  dcmpèclier  toute  communication  subséquente.  Plusieurs  car- 
dinaux" ont  été  d'avis  (lu'il  était  beaucoup  i.lus  noble  de  se  taire  sur 
cette  aventure;  d'autres  ont  soutenu  vivement  que  le  silence  accroilrail 
l'audace  de  ceux  (pii  veulent  tout  savoir  et  (pii,  profilant  de  la  faiblesse 
d'un  m>tit  nombre,  aspirent  à  se  procurer  un  choix  selon  leur  fantaisie, 
ou  du  moins,  si  la  difficulté  est  insurmontable,  h  se  donner  la  jouissance 
de  suspendre  l'élection,  s'en  remettant  au  hasard  des  événements.  11  a 
clé  enfin  détidé,  h  la  pluralité  des  voix,  .|u'on  adresserait  une  lettre 
ferme  el  sérieuse  au  Procureur  général  des  Jésuites,  el  qu'on  réglerait 
sur  sa  réponse  la  conduite  à  tenir  ultérieurement.  La  lettre  est  prête;  on 
va  l'expédier  et  en  demander  un  récépissé. 

Albani  est  entré  en  grande  faveur'.  Il  a  promis  que  le  pape  serait 
fait,  dans  huit  jours,  et  s'est  retiré  avec  dépit  dans  sa  cellule  pour  y 
former  un  plan  qui  lui  assure  une  noble  réussite. 

1  Si  Albani  csl  si,.copc,  -  cl  l«ut  porte  à  croire  qu'il  l'est  sur  ce  point,  -  il  se  mon- 
tre ici  l'ennen.i  décidé  des  Jésuites.  Sa  puissance  croit  en  même  lemps  dans  le  (.on- 
clave.  —  Clialeaubriaiul. 

25  mars,  à  1  heure  après-midi. 

Journée  du  meilleur  augure!  Tous  les  Pères  de  la  Croix  ont  déposé 
leur  bannière.  Le  cardinal  Pacca  a  été  l'heureux  mé-diatcur.  Ce  change- 
ment imprévu  a  élé  la  consé.pience  de  la  réponse  aussi  impertinente 
que  laconiiiue  du  Vicaire  général  des  Jésuites.  Ce  Ferrarais  confond,  mal 
à  propos,  les  coutumes  du  xV  siècle  avec  celles  du  xix".  Quoique  Pacea 
eût  paru  iiisfiu';.  ce  jour  avoir  du  penchant  pour  les  Jésuites,  il  n  était 
pas  cependant  de  ceux  .|ui  leur  livrent  l'Ame  tout  entière.  Peut-être  sa 
noble  conduite  sera-t-elle  récompensée  par  le  pontificat,  nonobstant  les 
inconvénients  qui  proviendraient  de  son  neveu.  11  est  demeuré  convaincu 
que  les  Jésuites  ne  recherchent,  en  toute  chose,  que  leur  accroissement; 
il  a  persuadé  î.  ses  collègues  d'être  mieux  d'accord,  et  de  ne  pas  sou- 
tenir avec  trop  de  chaleur  une  cause  qui,  si  elle  n;est  pas  tout  a  lait 
perdue,  paraît  sur  le  point  de  l'être. 


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\,,,v~  Ir  Hi-.ilin  du  soir,  lo  .ar.liiKiUMm.rlingu,'  cl  IfS  trois  clu'U 
d-onlr.-  oui  (Ai  inlonnrs  .!.■  .■>•  .[Mi  s'él.il  l-ass.'  dans  h,  ...aluuV.  !..■ 
fail,  ,o„nnnni.|ur  aux  auhvs  cardiuauv  av.r  l„au,o,>|.  dy  rnv,.u>|K.rl>..n. 
I,  i„„,  ,„ii;.re  rn  a  .^U^  allriiu.re  au  co.Hlavisl..  .lu  cardiual  (Hlcscal.-  m. 
(In  v,.uiail  fair.  uu  CNom|de.  ou  le  reuvovanl;  u.ais  ou  s\-sl  laisse  allrr 
^  riudui.'..u.r,  aliu  déviler  le  s.auJaU'  et  l.'s  iMyar-lages.  Ou  s  occu|..' 
du  n...v,u  d-.>u.|..Mhor  loul.'  .•..uunuuiialiou  s»bséi|U,ule.  IMusuurs  .ar- 
diuauv  oui  élé  davis  ,|uil  était  l.oau.ou|.  |dus  rml.l.-  de  se  lanv  sur 
,etf  aventure;  daulres  oui  souteuu  viveu.eut  .(ue  le  sileuce  aeero.lra.l 
l'u.da.  e  de  ceux  ip.i  veulent  tout  savoir  et  .|ui,  |.rolilaul  de  la  lail.less.- 
,|-uu  nelil  uouduv.  aspirent  à  se  ,.rn,urer  un  ,lioiv  selon  l.'ur  lanla.si,'. 

on  du  moins,  si  la  dillieulté  est  insuruiontalde.  à  se  donner  la  jouiss e 

d,.  suMHiKhv  léleclion,  s'en  ren.ellaut  au  hasard  des  évéueuieuts.  Il  a 
,-.|é  euliu  déeidé.  à  la  pluralilé  des  voix.  M""""  adresserait  une  etliv 
lVr.ne  et  sérieuse  an  Proenn^ur  général  des  Jésuites,  et  M"'""  '•'■^-''-•'•■i" 

sur  sa  réponse  la  e luite  à  tenir  ultérieurem.nl.  La  lettre  est  prête;  on 

va  l'expédier  et  en  deinauder  un  réeépissé. 

All-ani  e.|  entré  en  grande  laveur'.  Il  a  promis  ,p...  le  pape  serait 
lait,  dans  liuil  jours,  el  s'esl  r.liré  avee  dépil  dans  sa  eellule  l-our  ; 
lornier  un  plan  ipii  lui  assure  une  iioMe  réussite. 

1   <;i  \ll,ani  .-I  siiuJio.-  01 ,«rle  à  .roiic  (|.iil  rc.>t  sur  co  |H.i,.t.  -  il  >••  n';-"- 

„.c  id  loin  "mi  .UVi,16  ,1e.  .l,M,i.,..  Sa  ,,uissa,KC  noil  en  nH-mc  Icups  dan*  1.-  Lu,,- 
^-lavc.  —  CliaU'auhriîiMtl. 

20  mars,  à  l  heure  aitrrs-inuli. 

Journé,-  du  meilleur  au;;ure:  Tous  les  /Vivs  de  la  Croix  ont  déposé 
leur  Uauniére.  I.e  eardinal  l'aeea  a  été  Iheiiieux  médiateur,  (.e  chau^'e- 
nieut  imprévu  a  été  la  .ousé.pieme  de  la  réi^ouse  aussi  iiupert.uente 
.,„e  laeonione  du  V.eaire  général  des  Jésuites.  Ce  Kerrarais  confond  niai 

r!  p,.„, les  eouluines  du  xV  sièele  av.r  eell.'S  du  xix".  Q.lon,ue  Pacca 

fùl  paru  ius,n,\à  .e  jour  avoir  du  peud.aul  |.our  les  Jésuites,  il  ii  était 

naseependanl  de  eeux  ,p>i  '-"■■  l'^'-'-'l  ''^'""'  '"""  '■•""■•'■'■•  ^''"y^'\'' 
nolde  enduite  sera-l-elle  réeouipensée  par  le  ponlilieal,  nonobstant  le> 
iueonvénienis  .p.i  proviendraient  de  son  neveu.  11  est  denu^uré  convaineu 
mie  1.-  JéM.iles  ne  nrl.enl.ent.  en  loul,'  eliose.  que  leur  accroissement; 
il  a  persuadé  à  ses  collèi;nes  dèlre  mieux  d'accord,  et  d.'  ue  pas  sou- 
tenir avee  trop  de  el.alcur  une  cause  .pii,  si  elle  i^esl  pas  tout  a  lait 
perdue,  parait  sur  le  point  de  l'être. 


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LA  PUÉLATURE  DE  LÉON  XIM. 


LE  CABINET  DU  ROL 


147 


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Castiglioni  a  remercié  ses  amis  de  l'honneur  qu'ils  voulaient  lui  con- 
férer, aUéguant  sa  laiblesse  physique  et  le  peu  de  temps  qu'il  avait  a 

vivre'. 

On  reçoit,  demain,  les  hommages  de  l'ambassadeur  d'Espagne.  INous 

verrons  s'ils  sont  d'un  puri/icato  ou  d'un  impuripcato. 

Le  scrutin  terminé,  le  cardinal  Pacca  a  été  le  premier  à  donner 
l'exemple  et  à  signer  l'article,  concernant  les  Jésuites  :  «  Nous  pro- 
((  mettons  de  maintenir  la  Compagnie  de  Jésus  dans  l'état  où  elle  est 
«  aujourd'hui,  et  de  nous  opposer  à  ses  progrès  toutes  Fois  et  (luanles 
«  ils  seront  reconnus  être  en  couttit  avec  les  relations  de  bonne  harmonie 
((  qui  nous  unissent  aux  Puissances,  et  lorsque  ces  progrès  se  trouveront 
((  en  désaccord  avec  la  saine  politi(|ue.  » 

Albani  est  un  habile  homme.  Il  a  juré,  hier  au  soir,  de  hàler  l'élec- 
tion; il  y  reviendra,  et  déjà  nous  ressentons  de  salutaires  ellets  de  sa 
promesse.  Qu'on  l'appelle  démon,  soit!  11  l'est  assurément  par  son 
adresse,  son  art  de  manier  les  esprits,  ci  son  talent  achevé  pour  réussir 
dans  les  alVaires  qu'il  traite. 

1.  Ce  paragraphe  est  d'iin  style  qui  ne  serait  autre  quaml  il  appartiemlrait  à  des 
hommes  loul^'à  fait  enlirs  dans  l'esprit  du  siècle. 

Casti"lioni  refuse  la  tiare.  . 

L'article  concernant  les  Jésuites,  que  Pacca  a  signé  le  pre.i.ier,  -  article  (|ui  se  trouve 
textuellement  dans  le  Joiinial,  -  scmhle  appartenir  à  une  déclaration  générale,  laque  le 
a  dû  être  présentée  à  l'acceptation  du  nouveau  pape.  Je  nai  pu  me  procurer  cette  décla- 
ration entière  ;  je  n'en  connais  que  deux  dispositions.  Lune  est  relative  huk  Putssanres 
étrannères,  et  porte  que  le  Saint-Siège  gardera  une  complète  uidependance.  Or,  il 
est  clair  que  c'est  lAulriche  seule  qu'on  a  en  vue:  car  l'Autriche  seule  pesé  sur 
l'Italie  où  les  Fronçais  sont  appelés  par  les  vœux  secrets  de  toutes  les  populations.  La 
.econdc  disposition,  inclnse  dans  le  texte  même  qui  fait  l'objet  de  cette  reinan|uc, 
maintient  l'Ordre  des  Jésuites,  en  le  circonscrivant  dans  ses  devoirs.  Cela  montre  a  la 
fois  et  que  l'Ordre  se  crovait  menacé,  et  qu'il  a  encore  eu  assez  de  crédit  |K)ur  sauver 
son  existence.  Il  est  probable  néanmoins  qu'il  ne  tardera  pas  à  périr,  en  Europe. 

Le  cardinal  Zurlane  faisait  pasdillicnlté  de  dire  que,  s'il  était  nomme  pape,  le  pre- 
mier  acte  de  son  i^ntilical  serait  la  suppression  des  Jésuites,  comme  perturbateurs  du 

repos  des  peuples.  ,       •.  i  • 

les  éloges  d'Albani,  qui  précèdent  la  lettre  du  Vicaire  gênerai  des  Jésuites,  ne  lui 
*ont  visibrement  donnés  qu'en  haine  de  la  Compagnie  dont  on  le  suppose  ennemi. 
"^   Je  dois  avouer  que  les  Jésuites  m'avaient  semblé  trop  malliailcs  par  l  opinion.  J  ai 
iadisété  leur  défenseur,  et  depuis  cpiils  ont  été  attaqués  dans  ces  derniers  temps,  je 
n'ai  dit  ni  écrit  un  seul  mot  contre  eux.  J'avais  pris  i»ascal  pour  un  calonnnateur  do 


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génie  qui  nous  avait  laissé  un  immortel  mensonge  ;  je  suis  oblige  de  reconnaître  qu  il 
n'a  rien  exa-éré.  La  lettre  du  Père  Pavani  (voir  le  journal)  a  lair  d'être  échappée  a 
Escobar  lui-même  :  elle  figurerait  merveilleusement  dans  les  Leitrrs  provinctales. 
Comme  elle  dit  tout  et  ne  dit  rien  !  Comme  tous  les  mots  en  sont  pesés,  de  manière 
ou  ils  puissent  être  interprétés  ainsi  que  besoin  sera  !  L'humeur  et  la  violence  percent 
pourtant  Le  révérend  Père  s'en  est  aperçu,  et  il  va  bientôt>tàcber  de  reprendre  par 
une  seconde  lettre,  non  moins  captieuse,  le  peu  de  vérité  (|u'il  a  laisse  transpirer  dans 
la  première. 


Au  surplus,  l'audace  est  grande.  Celte  Congrégation,  à  peine  rétablie,  repousséc  de 
toute  part,  suspecte  au  Sacré-Collège  lui-même,  n'en  aspire  pas  moins  à  donner  la 
tiare  et  à  se  racler  de  toutes  les  affaires  du  monde.  —  Chateaubriand. 


LETTRE    DU    VICAIRE    GÉNÉRAL    DES    JÉSUITES. 

Au  couvent  du  Gcsu^,  le  23  mai-s. 

Le  soussigné,  Vicaire  général  de  la  Compagnie  de  Jésus,  a  reçu 
l'honorée  lettre  qui  lui  a  été  écrite  au  nom  du  Sacré-Collège.  La  ma- 
nière inconvenante  dont  elle  a  été  remise,  et  dont  on  a  demandé  un 
récépissé,  prouve  le  peu  de  confiance  que  l'on  a  dans  une  Religion  aussi 
utile  quelle  est  ennemie  des  intrigues.  Le  soussigné  n'a  pas  été  médio- 
crement surpris  du  contenu  de  cette  lettre;  il  croit  devoir  se  renfermer 
à  ce  sujet  dans  le  plus  strict  silence,  pour  ne  pas  dévier  des  maximes  de 
son  saint  Institut.  Seulement  il  se  sent  obligé  de  dire,  afin  de  dissiper 
des  craintes  exagérées,  que  l'élection  appartient  tout  entière  aux  cardi- 
naux, (lu'elle  est  toujours  libre  et  que  les  influences  du  dehors,  soit 
vraisemblables,  soit  supposées,  ne  sont  que  des  prétextes  pour  diriger 
des  attaques.  Si  les  cardinaux  sont  dans  l'obligation  d'élire,  il  est  du 
devoir  du  soussigné  de  rappeler  chaque  jour  à  ses  confrères  combien  le 
démon  est  prompt  à  les  surprendre.  Une  leçon  aussi  salutaire,  dont  les 
fins  sont  toujours  saintes,  ne  saurait  avoir  rien  de  commun  ni  d'ana- 
lof'ue  avec  le  subhme  ministère  qui  s'exerce  dans  le  Conclave. 

Signé  :  J.  Pava>i,  Vie.  gén. 

1  Le  Gesu  est  la  maison  centrale  des  Jésuites.  Là,  réside  leur  Général.  A  cause 
de  l'élévation  du  mont  Capitolin  et  de  la  disposition  des  rues,  il  fait  assez  ordmaire- 
ment  du  vent,  près  de  l'église  des  Jésuites.  Un  jour,  le  diable,  dit  le  peuple,  se 
promenait  dans  Home  avec  le  vent.  Arrivé  près  de  l'église  du  Gesu,  le  diable  dit  au 

vent  :  .... 

—  J'ai  quelque  chose  à  faire  là-dedans.  Attendez-moi  ici! 

Depuis,  le  diable  n'en  est  jamais  sorti.  Et  le  vent  attend  encore  à  la  porte.  — 
STESDH.VL,  Promenades  dans  Rome,  T.  I,  p.  167. 

23  mars,  à  9  heures  du  soir. 

Tout  subsiste,  dans  l'ordre  convenu;  les  cardinaux  sont  en  parfaite 
harmonie,  à  l'exception  de  cinq  ou  de  six  qui  ont  épousé  leur  opinion 
d'une  manière  inflexible.  11  y  a  eu,  ce  soir,  une  assemblée  dont  les 
résultats  répondront  k  l'attente  générale.  Une  exclusion  a  été  convenue 
entre  les  cardinaux  modérés  sur  le  concours  de  ceux  qui,  bien  que 


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143  LA   PRKI.VTURE   DK   LÉON   XIIL 

remplis  d'intégrité,  sont  possédés  d'une  exaltation  (lui  ne  sait  jamais 
(aire  la  part  des  circonstances.  Les  sujets  exclus  par  cet  accord  sont  : 
Micara  Pallotta,  Rivarola,  Naro,  Odescalclii,  Doria,  Pedicini,  Macchi, 
Caprano,  et  enfin  Cristaldi  à  cause  de  la  haine  qu'il  s'est  attirée  dans 
l'administration  par  ses  duretés  et  sa  médiocre  propension  à  iaire  le 

bien*. 

Cette  convention  mettra  un  terme  à  tous  les  desordres,  et  nous  aurons 

un  Pape  très  prochainement  ;  à  moins  qu'une  nouvelle  épître  de  samt 

Pierre  et  de  saint  Paul  ne  vienne  laire  changer  les  pluj  l'aihles. 

1    les  exclusions  de  cette  journée  s^.nl   remarquables.  C'est  la  Faction  de  Sar- 
daiijHC  tout  cnlière,  repoussce  par  le  Conclave.  -  Chatcaubr.and. 

24  niaiN,  à  midi. 

La  bonne  harmonie  subsiste;  le  scrutin  de  ce  matin  a  été  presque 
décisif  D'après  ce  que  je  vois,  le  Pape  n'est  pas  éloigné,  mais  peut-être 
pas  aussi  prochain  ((u'on  le  croit  généralement.  Si  l'unanimité  des  sut- 
Ira-es  eût  été  ménagée  avec  plus  de  discrétion,  Cappellari  aurait  ete 
(Axx^  Ce  cardinal  plaît  à  tout  le  monde,  il  a  toutes  les  (lualités  pour  se 
l'aire  aimer;  mais  il  lui  manque  le  mérite  de  Pacca,  qui,  ayant  accom- 
pagné Pie  Yll  dans  ses  voyages  imposés  par  la  violence  ou  par  l'im- 
pie^té  a  partagé  toutes  ses  tribulations.  Ce  souvenir,  réveillé  parmi  bien 
des  ca^dinaux^a  fait  ciu'un  grand  nombre  se  soit  décidé  pour  lui  après 
le  scrutin.  Quelques-uns  soutiennent  (|ue  Benvcnuli  serait  plus  conve- 
nable que  tout  autre,  à  cause  de  son  habileté  pour  l'administration  tem- 
porelle. Tout  ceci  nous  fait  penser  que  l'élection  sera  retardée  de  cinci 
ou  six  jours.  Il  est  de  fait  cependant  cpi'il  n'y  a  point  d'animosité  entre 
les  trois  partis,  mais  il  est  vrai  aussi  qu'il  n'est  pas  aisé  de  les  réunir 

au  premier  appel.  „ 

Le  lt>  du  mois  prochain,  les  scrutins  devront  être  suspendus  jusqu  a 
la  troisîl'me  fête  de  Pàipies,  comme  cela  est  arrivé  au  Conclave  cpii  élut 
Ganganelli. 

1  les  cardinaux  Cucrrieri,  Mon^z/o  et  autres,  se  concertent  en  faveur  du  frhe 
hlnncKaom\hrV  qui  porte,  en  vérité,  sur  le  visage  un  a.r  du  Paradis.  Venit.cn  d  on- 
o  riuTnd  ilsmit  autrichien.  Mais  Venise  est  sous  l'éperon  tudesque;  et  qui  sait 

Ca;>  'il  r  nest  pas  destiné  à  sauver  la  malheureuse  Italie  7  Oh  !  vous  dont  1  envie 
serai  de  briller  sur  le  candélabre  des  honneurs  apprenez  ici  qu  il  importe  surtout 
a  avoir  une  vie  sans  tache,  tout  au  inoins  libre  de  ces  compromissions  dans  lesquelles 

homme  s'oublie  si  souvent  lui-même  ,)Our  ne  s'occuper  que  du  vain  point  d  honneur 

I.  ..    Beaucoup  pensent  que  la  loi  dAlbani  est  une  foi  grecque.  D  autres  veu- 

lent  7  croire,  en  rexcusant  de  mener  quelques  secrètes  intrigues.  Comme  je  regrct- 


LE  CABINET   Dli    KOI. 


149 


ferais  de  rester  en  prison  plus  longtemps!..  Certains  cardinaux,  de  bonne  heure,  ont 
renvoyé  à  leur  palais  maints  objets  de  leur  service.  Aux  jmrtes,  Mgr  Spada,  doyen  des 
auditeurs  de  Bote,  a  dit  au  médecin  Valori  :  «...  A  quoi  bon  lallendre?  Vous  lui  par- 
lerez quand  il  sera  dehors.  »  A  quoi  l'autre  ajouta  :  «  Sera-ce  tard?  »  Tous  les  concla- 
visves  attendaient  dans  la  Salle  Boyale.  Firrao,  encore  malade,  était  présent  au  scrutin. 
La  sonnette  annonva  la  sortie.  Païlolta  arrivait  jubilant.  Bussi  et  Fesch  le  suivaient, 
d'un  air  aussi  content.  Tous  les  partis,  à  en  juger  par  les  visages,  étaient  satisfaits, 
dernier  point.  Bientôt  on  a  su  que  Cappellari  avait  eu  18  voix  au  scrutin  et  4  à  l'ac- 
cessit,  total  22  ;  Castiglioni,  14  au  scrutin  et  9  à  l'accessit;  Pacca,  ô  au  scrutin  et  G  à 
laccessit;  Bertazzoli,  une;  De  Gregorio,  deux;  CIcrmont-Tonnerre,  une.  —  Mgr  Dar- 
dano. 

24  mars,  à  9  heures  1/2  du  soir. 

Nous  voici  encore  plus  près  du  but.  La  concorde  se  soutient  entre  les 
cardinaux,  et  tous  partagent  le  vœu  de  hâter  l'élection.  Yidoni  est  lassé. 
Il  crie,  s'emporte,  est  impatient  d'aller  respirer  l'air  de  la  campagne*. 

Pacca  a  été,  ce  soir,  plus  heureux  que  Cappellari  et  pourrait  bien 
avoir,  demain,  la  plénitude  des  sulîrages. 

1.  Hier,  deux  cardinaux  ont  commandé  leurs  voitures.  Il  y  en  avait  deux,  toutes 
prêles,  dans  la  cour  du  palais  Hospigliosi.  Celle  du  cardinal  Fesch  attendait  dans  la 
cour,  chez  Mme  Lelizia.  Le  cardinal  Vidoni,  pensant  qu'il  délogerait  d'ici,  avait  ordonné 
qu'où  l'attendît  pour  prépnrcr  son  dîner.  Il  se  trouva  bien  embarrassé  du  retard.  Il  s'en 
allait,  par  la  Sixline,  disant  :  «  Je  mangerai  du  caramel!  je  mangerai  du  caramel  !  » 
par  allusion  au  macaroni  qu'il  avait  commandé  et  qui  brûlerait,  sans  doute. 


25  mars,  1  heure  après-midi. 

Nous  sommes  dans  le  même  équilibre,  la  paix  et  l'union  bien  cimen- 
tées. Je  m'afflige  seulement  d'être  le  témoin  d'une  lutte  aussi  indécise. 
C'est  tantôt  Cappellari  qui  triomphe,  qui  tantôt  est  vaincu.  Un  instant, 
Pacca  chancelle;  le  moment  d'après,  il  a  l'avantage.  La  force  de  ce 
dernier,  quoicpie  peu  commune,  a  de  grandes  ressources  :  le  premier  a 
pour  lui  l'opinion  générale,  Albani  observe  l'allure  de  chacun  et  sourit. 

La  nuit  dernière  le  repos  du  Conclave  a  été  troublé.  Un  bruit  sourd 
de  marteaux  dans  les  souterrains  a  jeté  l'efl'roi  parmi  les  cardinaux;  ils 
s'imaginaient  qu'on  préparait  quelque  mine  foudroyante  pour  les  faire 
sauter.  Ou'était-ce  donc  tout  ce  bruit?  Le  travail  de  quelques  ouvriers, 
qui  réparaient  des  tuyaux  de  plomb,  dans  le  jardin.  Maudites  soient  la 
politique  et  les  spirituelles  inventions  du  comte  d'Appony!  * 

Le  puripcato  (l'ambassadeur  d'Espagne)  est  content.  Les  cardinaux 
ne  l'ont  pas  été  autant  que  lui. 

1.  Allusion  au  bruit  d'une  prétendue  révolution  arrivée  à  Rome,  bruit  transmis  par 
le  comte  de  Lutzow  au  comte  d'Api)ony  et  renvoyé  au  Conclave  par  le  nonce  Lambrus- 


150 


LA   PRÉLATl'RE   DE   LÉON   XIH. 


LE   CABINET   DU    ROL 


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chini,  grand  propagateur  des  conspirations  supi)osces  et  des  feintes  alarmes  autri- 
chiennes. —  Chateaubriand. 

25  mars,  à  6  heures  1/2  du  soir. 

La  palme  est  sur  le  point  d'être  cueillie.  Cappellari  se  fraye  la  voie 
au  triomphe  par  son  savoir,  son  affabilité,  la  sincérité  de  son  caractère. 
Pacca,  qui  le  devançait,  a  beaucoup  ralenti  sa  course.  Voici  une  seconde 
lettre  du  Vicaire  général  des  Jésuites*  : 

i.  J'ai  parlé  plus  haut,  dans  la  remarque  27%  de  celte  seconde  leUre  du  Père  Pavani- 
—  Chateaubriand. 

Au  couvent  de  Jésus,  le  24  mars. 

Le  soussigné  Vicaire  général,  ayant  réfléchi  avec  plus  de  maturité  sur 
les  termes  de  la   réponse   qu'il  a  eu  l'honneur  d'adresser  au  Sacré- 
Collège,  s'empresse  de  rétracter  de  la  manière  la  plus  solennelle  les 
traits'apparents  de  chaleur  dont  elle  semblerait  empreinte,  sans  toute- 
fois en  altérer  la  substance;  attendu  qu'il  serait  trop  messéant  au  chef 
d'une  religion  si  pure,  si  exemplaire  et  enviée,  de  laisser  des  traces 
d'irrévérence  envers  ce  respectable  Congrès,  où  l'autorité  suprême  de 
Dieu  plane  sous  le  voile  miraculeux  du  mystère,  pour  se  manifester 
ensuite  et  se  placer  sur  une  seule  tête.  Les  craintes  qui  nous  empêchent 
d'accomplir  nos  devoirs  seront  toujours  vaines,  si  nous  n'avons  pas  la 
témérité  de  nous  exposer  au  péril  ou  la  faiblesse  de  l'attendre  sans 
nécessité.  Dieu  condamne  également,  et  le  zèle  indiscret  qui  va  au  delà 
de  ses  commandements,  et  l'excès  de  timidité   qui  fait    prendre  des 
précautions  contraires  à  la  fidélité  qui  lui  est  due.  Le  Sacré-Collège  doit 
reconnaître,  dans  la  vérité  de  ces  maximes,  avec  quelle  précipitation  de 
jugement  on  a  attribué  à  des  hommes  entièrement  consacrés  au  service 
de  Dieu  le  soupçon  inconvenant  de  s'immiscer  dans  l'élection,  laquelle 
doit  être  considérée  comme  une  œuvre  toute  divine,  saisissant  avec  trop 
de  légèreté,  pour  faire  cette  imputation,  l'occasion  de  ces  saints  aver- 
tissements qui  devraient  être  gravés  en  traits  inefl'açables  dans  le  cœur 
de  toute  créature  humaine.  Cependant  le  soussigné  n'a  point  la  hardiesse 
de  vouloir  dicter  des  lois  ;  mais  il  désire  seulement  que  l'on  se  persuade 
que  la  Compagnie  de  Jésus  est  indifl'érente  sur  toute  élection  quelconque, 
qu'elle  rendra  hommage  à  félu  avec  cette  profonde  vénération  (\m  lui 
est  due,  et  qu'elle  implorera  sa  protection  en  tout  temps  et  en  toutes 

circonstances. 

Signé  :  J.  Pavam,  Vie.  gk.n. 


2C  mars,  à  midi  et  demi. 


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La  noble  lutte  se  poursuit  entre  les  deux  concurrents.  Pourquoi  donc 
tant  différer  à  décerner  la  palme?  Semper  nocuit  difj'erre  paratisy  a 
dit  Lucien.  Prétendre  que  le  lièvre  n'échappe  pas  lorsque  le  chien 
s'arrête,  c'est  j)rétendre  l'impossible.  Voilà  pourtant  ce  qu'il  semble 
que  l'on  ait  voulu,  dans  le  scrutin  de  ce  matin.  Nous  verrons  le  mou- 
vement de  ce  soir;  car,  si  les  choses  continuent  ainsi,  Idi  difficulté 
deviendra  de  plus  en  plus  grave.  Ce  soir,  Gravina  entre  au  Conclave. 
On  sait  positivement  (ju'il  apporte  son  suifrage  à  De  Gregorio  ;  par  consé- 
quent, sa  voix,  outre  qu'elle  sera  inutile,  ajoutera  un  degré  à  lindé- 
cision.  Cependant,  suivant  mon  opinion  et  celle  de  tous  les  cardinaux 
modérés  qui  forment  le  plus  grand  nombre,  Cappellari  doit  être  élu. 
Aussi  longtemps  que  l'harmonie  actuelle  ne  sera  pas  troublée,  Cappel- 
lari a  la  probabilité  d'être  couronné. 

Qu'est-ce  donc  que  ces  bienheureux  nonces  se  plaisent  à  écrire?  Il 
semble  qu'ils  s'étudient  à  montrer  plus  d'intérêt  pour  les  Jésuites  que 
pour  le  Conclave,  duquel  pourtant  peut  partir  ce  foudre  qui  terrasse 
tout.  Sans  s'en  douter,  ils  arrêtent  l'élection.  Si  le  Père  Pavani  eût  été 
en  discussion  avec  eux,  il  aurait  condamne  leur  zèle  indiscret,  mais 
aucunement  si  ce  zèle  eut  été  jugé  favorable  à  ses  vues  particulières  ou 
à  ses  systèmes  ^  On  ne  répondra  point  aux  nonces.  Jusqu'à  ce  que  le 
j>aj>e  soit  élu,  ils  doivent  être  laissés  dans  un  abandon  j>rovisoire. 

Ces  messieurs  (les  Jésuites)  nous  ont  fait  voir,  ce  matin,  les  paroles 
suivantes  :  Quavè  estin  hïc,  tolà  die^  olio.n?  (Matth.,  ch.  xx.)  Ceci 
semble  être  moins  un  avertissement  salutaire  qu'une  trame  directe. 
Mais  il  vaut  mieux  se  taire  que  de  réveiller  des  pensées  de  discorde. 

i.  Le  sage  Conclave  continue  à  se  plaindre  des  nonces,  des  jésuites  et  du  télégraphe 
que  ceux-ci  continuent  à  faire  jouer  daus  leur  jardin.  —  Chateaubriand. 

I 

2C  mars,  à  8  heures  1/2  du  soir. 

Gravina  s'est  rangé  sans  effort  au  parti  de  la  modération.  Si  l'on 
parvient  à  se  mettre  d'accord  sur  le  choix  d'un  sujet,  la  victoire 
nous  demeurera.  Aujourd'hui,  Cappellari  a  culbuté  Pacca  qui,  quoique 
redoutable,  a  dû  céder  à  la  force. 

Vers  cin(|  heures,  le  bruit  a  couru  dans  le  Conclave  que  Cappellari 
était  exclu  par  la  France*.  Les  cardinaux  n'en  savaient  rien.  D'où  vient 
cette  rumeur?  Existe-t-il  des  relations  secrètes  au  dehors  avec  des 
personnes  corrompues  qui,  réagissant  au  dedans  sur  de  légers  ressorts. 


152 


LA   IMIKLATLIIK    DK    LÉO.N    Xlll. 


lâchent  de  donner  un  mouvement  rétrograde  à  la  marche  régulière  de 
la  grande  machine?  Ou  bien,  se  trouve-l-il  en  dedans  quehjues  individus 
qui  excitent  ces  désordres  dans  de  honteuses  lins? 

1.  Ce  bruit  de  l'exclusion  dii  cardinal  Cappellari,  l'Iiomme  le  plus  cajablc  du  Con- 
clave, était  1res  Taux  par  rapport  à  la  France;  mais  il  n'était  pas  liors  de  vraisem- 
blance que  rEspag;nc  eiit  songé  à  donner  l'exclusion  à  Cappellari,  parce  «|U  il  avait  été 
d'avis  de  reconnaître  les  évoques  nommés  par  Bolivar.  —  Chateaubriand. 


"21  mars,  i  beures  après-midi. 

Les  choses  sont  aujourd'hui  plus  concentrées.  Quoique  Gravina  ail 
donné  son  vote  à  De  Gregorio,  comme  on  le  savait  davance,  cela  n'a 
point  réveillé  chez  les  partisans  de  ce  cardinal  un  intérêt  aussi  vif  que 
celui  qui  le  poussait  dans  les  principe.  11  y  a  eu  un  peu  d'oscillation, 
mais  point  assez  pour  faire  craindre  un  changement.  Cappellari  conserve 
encore  la  primauté.  Le  faux  bruit  de  son  exclusion  est  tout  a  fai! 
évanoui.  Pacca  est  rentré  dans  l'ombre. 

Nous  allons  avoir  l'archevèiiue  de  Toulouse.  Comment  pensera-t-il? 
Quelle  enseigne  va-t-il  arborer?  11  faut  se  confier  en  sa  piété  sincère  et 
dans  la  promesse  qu'il  a  fait  parvenir  au  Conclave.  Plusieurs  cardinaux 
l'attendent,  pour  l'attirer  à  leur  parti;  d'autres  le  souhaitent  pour 
achever  l'élection.  Ces  derniers  me  semblent  être  dans  la  meilleure  voie. 

27  mars,  à  9  heures  1/2  du  soir. 

IS'avais-je  pas  raison  de  dire  :  Semper  nocuit  differre  paratlsY 
Aujourd'hui,  après  le  dîner,  il  y  a  eu  une  conférence  entre  les  cardi- 
naux, pour  se  décider  touchant  l'élection  de  Cappellari.  11  s'y  trouvait 
six  Pères  d'entre  les  Seize,  et  Cappellari  lui-même  à  qui  on  a  fait 
d'importantes  communications,  relativement  au  système  d'administra- 
tion et  à  des  règlements  qui  concernent  le  Sacrc^Collège.  Les  réponses 
sincères  de  Cappellari  et  ses  objections  ont  fait  cesser  sur-le-champ 
cette  conférence.  Les  six  se  sont  retirés  et,  pénétrant  successivement  de 
cellule  en  cellule,  ont  persuadé  leurs  collègues  de  se  désister  de  tout 
engagement.  Au  scrutin  du  soir,  on  a  vu  la  subile  désertion  de  dix-huit 
cardinaux  qui  ont  passé  à  un  autre  sujet. 

Albani  paraissait  fort  troublé.  Questionné  sur  les  motifs  qui  avaient 
donné  lieu  à  ce  changement,  il  a  feint  de  tout  ignorer.  Cependant  un 
personnage  bien  intentionné  lui  a  lait  toucher  du  doigt  la  nécessité  de 
hâter  l'éleclion,  attendu  les  désordres  qui  se  manifestent  de  toute  part 


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LA    Pr.KLATlIlK    DK    LK^N    Mil. 


tàthent  de  donner  un  niouvonient  rt'troiirnde  à  la  niarclic  n'gulière  de 
la  grande  machine?  Ou  bien,  se  Imuve-l-il  en  dedans  (|uel<|ues  individus 
qui  excitent  ces  desordres  dans  de  honteuses  tins? 

1.  Ce  bruit  de  rcxcliisinii  du  rar.liuîii  Cappcllari,  riiominc  \c  |ilu<  ca]  a!»lo  du  Con- 
clave, était  1res  faux  par  rapport  à  la  France;  mais  il  n'était  pa-i  Imr>  de  vraisem- 
lilance  que  l'Uspa^fuc  eût  songé  à  donner  lexclusiou  à  Cappellari,  parce  qui!  avait  «l»; 
d'avis  de  reconnaître  les  évèqucs  nommé?  par  IJoiivar.  — Chateaubriand. 

"11  nïar>,   I  heures  après-midi. 

Les  choses  sont  aujourd'hui  plus  concentrées.  Quoique  (Irivina  ail 
donné  son  vote  à  Ile  Gregorio,  comme  on  le  savait  davance,  cela  n'a 
|i(ùnt  réveillé  chez  les  i)artisans  de  ce  cardinal  un  intérêt  au>si  vif  que 
celui  (jui  le  poussait  dans  les  print  ii)e.  il  y  a  eu  un  peu  d'oscillation, 
mais  point  assez  pour  faire  craindre  im  «hangement.  Cap[)ellari  conserve 
encore  la  primaulé.  Le  faux  hruit  de  son  exclusion  est  tout  à  fail 
évanoui.  Pacca  est  rentré  dans  l'ondjre. 

Nous  allons  avoir  l'archevêque  de  Toulouse.  ConnnenI  pen^era-l-il? 
Quelle  enseigne  va-t-il  arborer?  Il  faut  se  confier  en  sa  piété  sincère  et 
dans  la  promesse  qu'il  a  fait  parvenir  au  Conclave.  IMusicin's  cardinaux 
l'attendent,  jiour  l'attirer  à  h'ur  parti;  d'autres  le  souhait. 'Ut  pour 
achever  lYdection.  Ces  derniers  me  send)lent  être  dans  la  meilleure  voie. 

"H  mars,  à  9  heures  l/'i  du  soir. 

N'avais-je  pas  raison  de  dire  :  Sempev  nocuil  differre  jiarai'tsY 
Aujolud'hui,  après  le  dîner,  il  y  a  t'u  une  conférence  entre  les  cardi- 
naux, [jour  se  décider  louchant  l'élection  de  Cappellari.  11  s'y  trouvait 
six  Pères  d'entre  les  Seize,  et  CapjK'llari  lui-même  a  qui  on  a  fait 
d'inq)ortantes  conununications,  relativement  au  système  d'admini>tra- 
tion  et  à  des  règlements  qui  concernent  le  Sacré-Collège.  Les  réponses 
sincères  de  Cappellari  et  ses  objections  ont  fait  cesser  sur-le-champ 
cette  conférence.  Les  six  se  sont  retirés  et,  pénétrant  successivement  de 
cellule  en  cellule,  ont  persuadé  leurs  collègues  de  se  désister  de  tout 
engagement.  Au  scrutin  du  soir,  on  a  vu  la  subite  désertion  de  dix-huit 
cardinaux  qui  ont  passé  à  un  autre  sujet. 

Albani  paraissait  fort  troublé.  Questionné  sur  les  motifs  qui  avaient 
domié  lieu  à  ce  changement,  il  a  feint  de  tout  ignorer.  Cependant  un 
personnage  bien  intentionné  lui  a  fait  toucher  du  doigt  la  nécessite  de 
hâter  l'élection,  attendu  les  désordres  qui  se  manifestent  de  toute  part 


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LE   CABINET   DU    ROI. 


155 


f. 


et  principalenu'nt  du  côle  du  royaume  de  Naples,  dont  les  forces  mili- 
taires avaient  violé  le  territoire  romain  sous  le  spécieux  prétexte  de 
mettre  une  digue  à  la  licence  effrénée  des  sectaires  et  d'empêcher  une 
révolution.  On  lui  a  fait  lire  une  lettre  préparée  pour  Sa  Majesté  sici- 
lienne, dans  laquelle  le  Sacré-Collège  fait  des  représentations  contre  une 
agression  aussi  imprudente  que  peu  mesurée.  Cette  pièce  a  fait  une 
profonde  impression  sur  Tesprit  de  ce  cardinal.  On  en  a  profité  pour  lui 
parler  avec  abondance  du  cœur  ;  on  la  conjuré,  quoique  un  grand 
nombre  de  cardinaux  se  sentaient  inspirés  en  faveur  de  De  Gregorio, 
qu'il  leur  laissât  suivre  l'impulsion  de  leur  conscience;  on  l'a  pressé  de 
déposer  tout  ressentiment  personnel  avec  cette  noblesse,  cette  grandeur 
d'àme,  qui  distinguent  sa  famille. 

Cet  entrelien  à  peine  terminé,  Albani  a  fait  appeler  un  de  ses  aides, 
l'a  envoyé  chez  l'ambassadeur  d'Autriche  et  en  a  reçu  un  message,  en 
retour.  On  présume  ({u'étant  le  plénipotentiaire  de  l'Autriche  et  ayant 
l'ait  connaître  précédemment  son  dessein  d'exclure  De  Gregorio,  mainte- 
nant qu'il  sent  la  nécessité  de  le  porter,  il  aura  voulu  obtenir  une  appro- 
bation. Ce  raisonnement  ne  me  paraît  pas  mauvais;  car  Albani,  étant 
opposé  aux  Jésuites,  ne  voudra  plus  courir  le  risque  d'un  échec  inat- 
tendu, de  la  part  de  quelques-uns  de  ces  cardinaux  qui  manœuvrent  dans 
l'ombre.  Nous  verrons  ce  qui  en  sera,  demain;  nous  sommes  à  la  veille 
d'un  grand  développement.  Si  De  Gregorio  n'est  pas  remis  en  avant,  et 
si  l'on  attend  qu'on  ait  pu  concentrer  de  nouveau  les  suffrages  sur 
Cappellari,  nous  serons  ici  jusqu'au  mois  de  juin'. 

1.  Tout  ceci  <luil  faire  rcgreller,  tic  plus  en  plus,  que  le  cardinal  Cappellari  ne  l'ait 
pas  cni|)orlé  sur  ses  coinpélileurs.  Il  aurait  élé  pape,  s'il  eût  voulu  souscrire  des  engage- 
ments qui  répugnaient  à  sa  conscience.  Il  s'agissait  surtout  de  lui  lairc  adopter  Albani 
lK)ur  Secrétaire  d'Etal;  il  avait  à  la  lois  trop  de  religion  pour  l'accepter  et  trop  de  sin- 
cérité pour  le  tromper,  en  lui  promettant  de  le  prendre  sans  avoir  l'intention  de  lui 
tenir  parole. 

Le  mouvement  des  troupes  na[>olitaines  fait  voir  à  quel  point  le  Gouvernement  des 
Deux-Siciles  est  agité  par  ces  fantômes  de  conspiration  dont  on  elfrayc  sa  faiblesse. — 
Chateaubriand. 

28  mars,  à  midi. 

On  a  découvert,  aujourd'hui,  que  le  message  d'Albani  à  l'ambassa- 
deur d'Autriche  avait  pour  objet  de  lui  faire  savoir  qu'il  donnerait  les 
mains  à  l'élection  du  cardinal  De  Gregorio,  si  elle  convenait  aux  cardi- 
naux, mais  en  se  conduisant  de  manière  à  ne  pas  laisser  apercevoir  s'il 
était  chargé  ou  non  d'une  exclusion. 

Le  bon  Cappellari  a  été  abandonné*,  pour  avoir  fait  observer  que  les 


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154 


LA    PRÉLATIRE   DE   LÉON   XIII 


protestations,  émises  dans  les  actes  du  Sacré-Collège  contre  les  innova- 
tions efl'ecluées  par  Léon  XIL  élaient  inconvenantes  et  attentatoires  aux 
droits  de  la  Souveraineté.  Jl  a  été  trop  l'ranc,  de  répondre  à  ceux  qui 
le  provoquaient  par  des  questions  étudiées*. 

Aujourd'hui,  De  Gregorio  a  le  dessus,  parce  qu'il  a  été  plus  politique 
et  qu'il  a  connu  les  faiblesses  de  ses  collègues.  Ce  soir,  après  le  scrutin, 
je  pense  qu'on  se  concertera  pour  l'élire,  d'autant  mieux  (jue  le  car- 
dinal de  Clermont-Tonnerre  est  tout  ])orlc  en  sa  faveur"'. 

1.  Au  siTutin  d(»  ce  jour,  selon  une  ilépèehc  de  Lulzow  ù  son  Gouvernement,  le 
nom  (lu  cardinal  Vidoni  fut  écrit  sur  un  bulletin  et  lu  à  haute  voix  dans  la  chapelle. 
Vidoni  étonné  leva  brusquement  la  tète  et,  s'adressant  au  scrutateur  :  Chi  è  queslo 
minchîone  che  mi  co...?  Quel  est  l'imlH'cile  qui  se...  motjue  de  moi?  s'écria-l-il. 
Le  conclave  s'épaya  de  cette  iNUitade,  et  la  candidature  de  Cappellari  s'écroula  dans 
un  immense  éclat  de  rire.  —  Jauret,  les  Coulisses  des  Conclaves. 

2.  Mêmes  éloges  et  mêmes  regrets  à  doinicr  à  Cappellari.  —  Chateaubriand. 

3.  Ce  soir,  le  cardinal  Clermont-Tonnerre  a  fait,  en  chaise -à-porteurs,  son  entrée 
au  Conclave.  On  l'arrêta  au  milieu  de  la  Salle  Royale,  et  les  cardinaux  vinrent  tous, 
l'un  après  l'autre,  prendre  de  ses  nouvelles  II  a  pour  armes  deux  clefs  croisées  et  une 
tiare  par-dessus.  Un  bon  Napolitain  dirait,  à  les  voir,  qu'elles  sont  de  bon  augure  et  que 
«  le  pape  est  vile  fait  ».  —  Mgr  Dardano. 


28  mars,  à  0  heures  1/2  du  soir. 

Dans  la  conférence  de  ce  soir,  beaucoup  de  cardinaux  ont  adhéré  au 
projet  d'élire  De  Gregorio.  J'y  fais  néanmoins  peu  de  fonds,  parce  qu'il 
n'a  pas  eu  un  assentiment  complet.  Il  se  pourrait  que  les  partisans 
d'Albani  y  donnassent  leurs  voix;  j'en  doute  cependant,  parce  (|u'ils 
sont  divisés;  ils  veulent  bien  se  guider  par  la  volonté  d'Albani,  mais 
tous  ne  l'agréent  pas  pour  Secrétaire  d'État.  Albani  fait  lout  ce  qu'il 
peut  pour  le  devenir,  et  j'ai  acquis  la  certitude  que  Cappellari  aurait  été 
élu  s'il  n'avait  témoigné  de  la  répugnance  à  conférer  une  charge  à 
Albani  et  de  l'inclination  à  lui  préférer  Ikînvenuti.  Je  ne  supposais  |)as 
autant  d'ambilion  à  Albani*. 

1.  Il  y  avait  grande  erreur  dans  ces  jugements.  Il  est  probable  qu'Albani.  sans  le 
dire,  aspirait  jus«ju'à  la  Papauté,  et  se  rabattait  sur  la  Secrétairerie  d'Etal,  qu'il  a,  eu 
elfel,  obleime.  —  Chateaubriand. 


20  murs,  à  0  heures  1/2  du  matin. 

Voilà  les  cardinaux  qui  s'assemblent,  pour  aller  au  scrutin.  Je 
m'assure  qu'il  n'y  aura  pas  d'élection,  ce  malin,  à  moins  qu'Albani  n'ait 
obtenu  par  écrit  la  promesse  d'être  créé  Secrétaire  d'Klat.  Heaucoiq)  de 


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LE   CABINET   Dl'    ROL 


155 


cardinaux  sont  disposés  pour  Oppizzoni.  Qui  sait  si  celui-ci  n'obtiendra 
pas  la  palme?  Je  vois  tant  de  variations,  que  je  ne  serais  pas  étonné  de 
le  voir  élire. 

29  mars,  à  midi. 

De  Gregorio  est  tombé,  sans  espoir  de  se  relever.  Nous  voilà  encore 
une  fois  dans  l'abîme.  H  n'est  plus  question  de  De  Gregorio.  Pas  un 
mot,  de  Cappellari.  Giusliniani  est  à  jamais  ruiné,  par  sonédit  vandale. 
Seize  autres  cardinaux,  qui  naguère  étaient  sous  la  bannière  de  la  Croix 
de  Saint-André,  ne  peuvent  avoir  la  moindre  espérance  d'obtenir  la 
tiare,  non  plus  que  Galeffi,  parce  qu'ils  ont  eu  la  hardiesse  de  signer  la 
protestation  contre  Léon  Xll,  à  l'occasion  de  l'empiétement  des  droits 
du  camerlingue.  Qui  sera  donc  le  Pape?  Je  n'y  comprends  rien;  seule- 
ment je  ne  voudrais  pas  que  le  choix  tombât  sur  un  mannequin,  comme 
je  commence  à  le  craindre.  Aujourd'hui  on  voit  sur  le  tapis  Dertazzoli, 
Benvenuti,  Dandini,  Oppizzoni;  tous  ceux-là  sont  bons,  mais  le  dernier 
serait  meilleur.  Albani  intrigue  pour  son  compte,  et  intrigue  à  l'excès. 
Jusqu'à  présent,  il  ne  s'est  découvert  à  personne  sur  son  ambition  de 
devenir  Secrétaire  d'État  :  il  regarde  la  lutte,  et  s'il  voit  que  l'un  de 
ces  quatre  cardinaux  prospère,  il  suivra  la  même  tactique  à  son  égard. 

Aujourd'hui,  le  nonce  de  Paris  a  jeté  une  pomme  de  discorde.  Il 
dépeint  d'un  ton  pathétique  la  désolation  qu'a  produite  dans  les  âmes 
pieuses  la  menace  de  supprimer  les  missions  dans  l'intérieur ^  Les 
instructions  qu'on  expédiera  au  nonce  seront  des  armes  pacifiques, 
qui  triompheront  de  tous  les  obstacles.  Le  nonce  parle  aussi  de  la  loi 
municipale,  mais  en  termes  vagues  et  tout  à  fait  inintelligibles. 

i.  Entwe  le  nonce,  dénonçant  nos  institutions  et  nos  lois.  —  Chateaubriand. 


29  mars,  à  9  heures  i/2  du  soir. 

Il  paraît  que,  ce  soir,  les  cardinaux  ont  formé  le  dessein  d'élire  le 
Pape,  avant  Pâques.  Les  scrutins  continueront  pendant  la  Semaine  Sainte, 
c'est-à-dire  :  le  dimanche  des  Rameaux,  le  soir;  le  lundi  et  le  mardi, 
de  même;  et  le  mercredi  saint,  dans  la  matinée;  mais,  si  le  Pape  est 
élu  le  mercredi,  la  proclamation  n'aura  lieu  que  le  samedi  matin. 

Le  cardinal  Gaysruck  a  eu  avec  Albani  un  vif  démêlé.  Il  lui  a  repré- 
senté que  c'était  un  grave  délit  que  d'empêcher  l'élection,  soit  en  usant 
de  ses  [deins  pouvoirs,  soit  en  nouant  des  intrigues,  soit  enfin  pour  des 
intérêts  privés.  Le  sage  archevêque  a  ajouté  avec  beaucoup  de  dignité 


116 


LA   PRELATIRE    DE   LEON    XIII. 


que  les  pleins  pouvoirs,  confiés  à  Albani,  ne  lui  donnaient  pasio  droit  de 
s'en  servir  pour  ses  propres  lins  et  avantages;  que  Sa  Majesté  Impériale 
et  Apostolique,  en  lui  conférant  cet  honneur,  n'aurait  jamais  imaginé 
qu'il  s'en  autorisât  pour  entraver  Télection,  mais  seulement  pour  pré- 
venir le  choix  d'un  pontife  dépourvu  de  modération.  Les  cardinaux, 
témoins  de  cette  scène,  ont  ap[)laudi  h  un  si  sage  propos. 

Dans  le  scrutin  de  ce  soir,  Casliglioni  a  reparu.  Dien  qu'il  ait  déclaré 
être  sujet  à  de  fréquentes  absences  d'esprit  et  à  des  attaques  de  paralysie 
sur  le  côté  droit,  il  ne  so  détermine  pas  à  écarter  entièrement  de  soi 
l'élection'.  Le  Sacré-Collège  doit  être  bien  imbu  de  la  nécessité  de 
choisir  un  pontife  prudent  et  intègre  qui,  dans  l'état  actuel  de  l'Europe, 
sache  rapprocher  les  esprits  avec  douceur  et  par  de  bons  conseils,  au 
lieu  de  les  irriter  par  la  sévérité  ou  par  un  zèle  outré.  Albani  fait  mal 
de  courir  après  la  charge  de  Secrélaire  d'État,  parce  que  celle  préten- 
tion lui  aliène  ses  parlisans,  lesquels  pourraient  bien  se  concerter  avec 
d'autres  pour  une  élection  contraire  à  ses  vœux. 

i.  Le  cardinal  Casliglioni  est-il  aussi  malatie  rju'il  l'a  déolarc  au  Conclave?  Il  est 
certain  qu'il  a  des  attaques  de  nerfs,  et  souvent  un  mutiveuient  convulsit'  dans  lu  tête, 
et  dans  le  bras  droit.  —  Chateaubriand. 

50  nini*s,  à  midi  et  demi. 

Ce  matin,  les  choses  semblent  marcher  vers  le  but  désiré,  (|uoiquc 
la  direction  des  cardinaux  se  soit  partagée  en  huit  rameaux  |)our  aboutir  , 
au  même  point.  Albani  a  beaucoup  perdu  parmi  ses  partisans,  qui  se 
méfient  de  ses  intentions.  Le  cardinal  Macclii  a  reparu  au  scrutin  :  ceci 
ne  le  mènera  pas  loin.  Le  vicomte  de  Chateaubriand  se  concilie  de  plus 
en  plus  l'affection  du  Sacré-Collège  ;  il  a  eu  toutes  sortes  d'attentions  et 
de  soins  pour  le  respectable  archevêiiuc  de  Toulouse.  11  faut  convenir 
que  c'est  un  ambassadeur  loyal,  affable  et  ennemi  de  l'intrigue. 


50  mars,  à  9  heures  1/2  du  soir. 

Le  thermomètre  est,  ce  soir,  a  zéro.  Les  partis  sont  tellement  animés 
les  uns  contre  les  autres,  qu'aucun  ne  veut  céder.  Albani  est  passé,  du 
rôle  de  porte-drapeau,  aux  derniers  rangs  de  soldat.  11  n'en  perd  pas 
courage,  j»our  cela;  il  déploie  tout  son  stratagème,  alin  d'effeclurr 
quelque  surprise.  La  phalange  jésuitique  s'affaiblit,  chaque  jour,  par  de 
nouvelles  désertions;  je  crains  toutefois  que  ce  ne  soit  un  coup  prémé- 
dité, qui  pourtant  ne  saurait  r«'ussir,  parce  que  les  chefs  qui  mènent  les 
partis  n'aiment  aucunement  le  jésuitisme.  Le  dénouement  paraît  donc 


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y     I  ■mil  m«9— 


*i9B3ES 


LE   CABINET    DU    ROI. 


157 


très  éloigné,  et  il  faut  se  résigner  à  rester  encore  longtemps  dans  cette 
noble  prison*. 

1.  Ces  fausses  conjectures,  faites  la  veille    de  l'élection,  montrent    combien  les 
hommes  le  i»lu>  à  môme  de  connaître  les  laits  peuvent  se  tromper.  —  Chateaubriand. 


& 


51  mars,  à  8  heures  1/2  du  matin. 

Le  thermomètre  est  remonté  tout  à  coup  à  oO  degrés,  et  il  paraît 
certain  ([ue  l'instant  des  réjouissances  approche.  On  se  rend  au  scrutin. 
La  majorité  est  bien  résolue  à  proposer  Casliglioni,  parce  qu'elle  est 
lasse  de  tant  dintrigues.  Dieu  veuille  maintenir  cette  sainte  détermi- 
nation! , 

51  mars,  à  midi. 

Hier,  à  di\  heures  du  soir,  Albani  s'appliqua  avec  beaucoup  d'ardeur 
à  recueillir  des  suffrages  pour  l'élection  du  cardinal  Castiglioni,  dont  les 
sentiments  de  loyauté  et  de  franchise  étaient  bien  connus,  non  moins 
(jue  l'opinion  qu'il  avait  conçue  de  la  capacité  et  des  talents  d' Albani 
pour  exercer  l'emploi  de  Secrétaire  d'État.  Les  cardinaux  Pacca,  Galeffi, 
Testaleriata,  Oppizzoni,  Arezzo,  Bertozzoli  et  Gazzola,  furent  chargés  de 
persu.ider  Castiglioni,  et  de  ne  le  quitter  (pi'après  qu'il  aurait  promis 
de  Si»  rendre  au  vœu  commun  et  de  se  conformer  à  la  volonté  divine. 
IVndant  ce  temps,  Albani  disposait  les  autres  cardinaux  à  coopérer  à 

l'élection. 

A  minuit,  tout  était  arrangé.  Les  cardinaux  français  se  montrèrent 
très  satisfaits  et  promirent  de  donner  unanimement  leur  vote  au  scrutin. 
Le  parti  de  De  Gregorio  fit  d'abord  (juelque  résistance,  mais  enfin  il 
céda.  Celui  de  Macchi  demeura  rebelle  à  toute  concession.  Le  calcul 
d'approximation  établi,  il  fut  reconnu  que  les  suffrages  s'élèveraient  à 
50,  non  compris  le  parti  d'Albani,  qui  devait  accéder  en  entier.  Le 
premier  scrutin  a  donné  52  voix,  et  ce  nombre  s'est  accru,  par  Y  accédât, 
jusqu'à  i5.  Les  15  voix  de  Y  accédât  ont  été  données  par  les  7  cardi- 
naux ci-dessus  nommés  du  parti  d'Albani,  et  par  8  autres,  savoir  : 
Cappellari,  Gamberini,  Zurla,  Vidoni,  Cacciapiatti,  Firrao,  Gravina  et 
Morozzo.  Les  billets  ayant  été  ouverts,  la  régularité  en  a  été  constatée, 
et  l'élection  déclarée  canonique. 


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T 


158 


LA    PRÉLATURE   DE   LÉON   XIIL 


Scrutin  du  51  tnars.  —  50  volants. 


Castiglioni 

De  Gregorio 

Benvenuti 

Cappellari 

Oppizzoni 

Arezzo 


52  voix,  et  V accédât  15.  Ensemble  Al  voix. 

2  — 

i  — 

5  — 

5  — 

5  — 


Pie  VIU  avait  donné  sa  voix  au  cardinal  De  Gregorio.  —  Les  deux 
voix  qui  ont  manque  à  Yaccedat  sont  celles  des  cardinaux  Macchi  et 
Falsacappa.  —  Le  procès-verbal  d'acceptation,  dressé  par  le  notaire  du 
Conclave,  porte,  entre  autres  particularités  :  Que  Sa  Sainteté,  ayant  fait 
une  humble  et  fervente  prière,  s'est  retirée  dans  sa  cellule*.  Après  quoi 
Elle  a  déclaré  que,  nourrissant  dans  son  cœur  une  affection  particulière 
envers  Sa  Majesté  Très-Chrétienne,  et  désirant  en  même  temps  donner 
un  témoignage  de  sa  considération  pour  la  maison  d'Autriche,  Sa  Sain- 
teté a  choisi  et  nommé  pour  son  Secrétaire  d'Etat  le  cardinal  Albani, 
dans  la  vue  de  faire  régner  entre  les  deux  Puissances,  soutien  du  Saint- 
Siège,  cette  bonne  harmonie  qui  rend  leurs  peuples  heureux,  et  afin 
qu'éloignés  de  toute  idée  d'agrandissement  elles  rivalisent  dans  le 
dessein  de  maintenir  l'inviolabihté  des  droits  et  des  possessions  du  Saint- 
Siège  apostolique.  Sa  Sainteté  est  convaincue  que  ce  choix,  si  l'on  en 
considère  la  noble  et  religieuse  fin,  sera  agréable  à  tout  le  monde 
parce  que,  dans  les  circonstances  criti(jues  du  jour,  il  ne  peut  y  avoir 
de  meilleur  moyen  de  concilier  les  intérêts  et  les  rapports  pacifiques 
entre  ces  deux  Puissances,  sur  lesquelles  Sa  Sainteté  repose  sa  confiance 
et  qui,  subsistant  dans  l'état  actuel  de  bonne  intelligence,  sauront  tou- 
jours s'opposer  avec  énergie  à  quiconque  tenterait  de  violer  les  droits 
communs  et  de  déranger  l'équilibre  de  l'ordre  présent  des  choses'. 

1.  Cette  journée  a  fait  le  Pape,  le  Pape  que  voulait  la  France,  en  1824,  lorsque 
j'avais  le  portefeuille  des  Affaires  étrangères,  le  Pape  qui  a  répondu  à  mon  discours  et 
qui,  par  celte  réponse  connue  de  l'Europe,  a  pris  des  engaç^eraents  |)oliliques.  Le  pro- 
cès-verbal de  l'acceptalion  dressé  par  le  notaire  du  Conclave,  selon  la  coutume,  est 
digne  d'être  remarqué  :  a  Pie  VIII  s'est  déterminé,  dit-il,  à  nommer  le  curdinal 
Albani  ministre,  afin  de  satisfaire  aussi  le  cabinet  de  Vienne.  »  Singulier  moyen,  sans 
doute!  Le  Souverain  Pontife,  partageant  les  lots  entre  les  deux  couronnes,  se  déclare 
le  pape  de  la  France  et  donne  à  l'Autriche,  en  compensation,  un  Secrétaire  d'Etat 
inamovible.  —  Chateaubriand. 

2.  Confusion  générale.  Les  portes  sont  encore  fermées,  à  i  heures  de  l'après-midi. 
Çà  et  là,  des  cardinaux  en  petit  manteau,  en  frac,  en  simarre,  en  soutane.  Dans  Rome, 
c'est  une  torpeur  équivalente  au  demi  contentement  de  la  ville.  Voici  des  ministres  et 


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mmim 


LE   CADINET   DU    ROL 


159 


(les  prélats,  en  visite  au  Conclave  enfin  ouvert.  Le  cardinal  Morozzo  et  quelques  autres 
Lmmenccs  dorment  encore  dans  leurs  cellules.  II  pleut  tout  le  jour,  à  torrent  — 
Mgr  Dardano. 

3.  Ce  malin  il  pleuvait  par  torrents,  une  véritable  pluie  des  tropiques,  lorsqu'un 
perruquier,  a  qui  nous  avions  |)romis  quelque  argent,  est  entré,  essoufllé  et  vcritable- 
raent  hors  de  lui,  dans  le  salon  où  nous  déjeunions  :  «  Sif/non\  non  v'è  fumala.  »  Voilà 
es  seuls  mots  qu'il  a  pu  prononcer  :  «  Messieurs,  il  n'y  a  pas  eu  de  fumatn.  »  Donc 
c  scrutm  de  ce  malm  n'a  pas  été  brûlé.  Donc  le  pape  est  nommé.  Nous  venons  d'avoir 
a  constance  de  passer  trois  heures  sur  la  Place  de  Montc-Cavallo.  Il  est  vrai  qu'au 
bout  de  dix  minutes  nous  élions  mouillés,  comme  si  l'on  nous  eût  jetés  dans  le  Tibre. 
IVos  manteaux  de  taffetas  ciré  protégeaient  un  pou  nos  compagnes  de  vovage,   aussi 
mtrepides  que  nous.  Nous  avions  à  noire  disposition  des  Tenêires  donnant  sûr^la  Place 
niais  nous  tenions  à  êlre  tout  contre  la  prie   du  palais,  à  colé   de  la  fenêtre  murée' 
afin  d'entendre  la  voix  du  cardinal  qui  allait  proclamer  le  nom  du  nouveau   pape' 
Jamais  je  n'ai  vu  une  telle  foule;  une  épingle  ne  lût  pas  tombée  par  terre,  et  il  pleu- 
vait à  verse.  De  braves  soldats  suisses,  gagnés  d'avance,  nous  ont  fait  parvenir  aux 
places  gardées  pour  nous,  lo.it  près  de  la  porte  du  palais.  Un  de  nos  voisins,  homme 
fort  bien  mis  et  qui  recevait  déjà  la  pluie  depuis  une  heure,  nous  dit  :  a  Ceci  est  cent 
fois  plus  intéressant  que  le  tirage  de  la  loterie.  Songez,  messieurs,  que  le  nom  du  pape 
que  nous  allons  apprendre  inlUie  directement  sur  la  fortune  et  les  projets  de  tout  ce 
qui,  à  Rome,  jwrte  un  habit  de  drap  fin.  b  Peu  à  peu,  laltenle,  dans  une  situation  si 
incommode,  a  rais  tout  le  monde  en  colère,  et  dans  ces  circonstances  tout  le  monde 
est  peuple.  C'est  en  vain   que  j'essayerais  de  vous  peindre  les  transports  de  joie  et 
d'impatience  qui,  on  un  clin  d'œil,  nous  ont  tous  agités  lorsqu'une  petite  pierre  s'est 
détachée  de  cette  fenêtre  murée  donnant  sur  le  balcon,  et  sur  laquelle  tous  les  yeux 
étaient  fixés.  Une  acclamation  générale   nous  a  assourdis.  L'ouverture  s'est  agrandie 
rapidement,  et,  en  peu  de  minutes,  la  brèche  a  été  assez  large  pour  permclli^e  à  un 
homme  de  s'avancer  sur  le  balcon.  Un  cardinal  s'est  présenté;  nous  avons  cru  recon- 
naître le  cardinal  Albani  ;  mais,  effrayé  de  l'horrible  averse  qu'il  faisait  en  ce  moment, 
ce  cardinal  n'a  pas  osé  se  hasarder  à  la  pluie,  après  une  si  longue  réclusion.  Après  une 
demi-seconde  d'incertitude,  il  a  reculé.  Qui  pourrait  peindre  à  ce  moment  la  colère 
du  peuple,  ses  cris  de  fureur,  ses  imprécations  grossières?  Nos  compagnes  en  ont  été 
réellement  effrayées.  Ces  furieux  parlaient  de  démolir  le  conclave  et  d'aller  en  arracher 
leur  nouveau  pape.  Celle  étrange  scène  a  duré  plus  dune  demi-heure.  A  la  fin  nos 
voisins  n'avaient  plus  de  voix  et  étaient  hors  d'état  de  crier.  La  pluie  a  diminué,  un 
mstant.  Le  cardinal  Albani  s'est  avancé  sur  le  balcon.  Cette  foule  immense  a  jeté  un 
soupir  de  contentement;  après  quoi,  il  s'est  fait  un  silence  à  entendre  voler  une  mou- 
che. Le  cardinal  a  dit  :  a  Annuntio   vobis  gaudium  magnum,  papam  habemus 
eminendssimum  et  reverendissinmm  dominum   Franrhcum,  episcopum   Tuscu- 
laniim,  Sacrap  fiomanae  Ecclesiœ  cardinalem  Castiglioni,  gui  sibi  nomcn  impo- 
smt  Plus  VIII.  Au  mot  de  Castiglioni,  il  y  eut  comme  un  cri  supprimé,  suivi  d'un 
mouvement  do  joie  -narqué.  On  dit  que  ce  pape  a  toutes  les  vertus;  surtout  il  ne  sera 
pas  méchant.  Avant  de  se  retirer,  le  cardinal  Albani  a  jeté  au  peuple  un  papier  conte- 
nant les  mêmes  mots  qu'il  venait  de  prononcer.  Il  a  iini  par  battre  des  mains.  Des 
applaudissements  universels  lui  ont  répondu.  Au  même  instant,  le  canon  du  fort  Saint- 
Ange  a  annoncé  ce  grand  événement  au  peuple  de  la  ville  et  des  campagnes.  J'ai  vu 
des  larmes  dans  beaucoup  d'yeux.  Était-ce  simple  émotion,  pour  un  événement  s. 
longtemps  attendu?  Ces  larmes  étaient-elle  l'expression  du  bonheur  d'avoir  obtenu  un 
Souverain  aussi  bon,  après  une  si  grande  crainte?  Le  peuple  se  moquait  fort,  en  s'en 
allant,  des  deux  ou  trois  cardinaux  dont  la  nomination  l'aurait  consterné.  Nous  sommes 
revenus  bien  vite  nous  chauffer.  De  la  vie,  aucun  de  nous  n'a  été  mouillé  à  ce  point 
—  Stendhal,  Promenades  dans  Home. 


A  ces  commentaires  curieux  du  Journal  d'un  Conclave,  nous  aurions 


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LA   PKÉLATLRK    DE    LÉON    XIIL 


pu  ajouter  tel  extrait  de  h  Correspondance  de  Joachim  Pecci  se  rai)|)or- 
tant  à  ces  ftiits,  avec  une  sûreté  d'information  qui  pouvait  défier  tout 
rival  en  h  personne  de  ce  jeune  interviewer,  connaisseur  de  Rome  comme 
sa  ville  presque  natale,  et  de  ses  habitants  cardinaux  ou  bourgeois  comme 
ses  pères  et  maîtres  spirituels  qui,  à  leur  école,  avaient  appris  à  un  pa- 
reil élève  jusqu'aux  secrets  de  leur  légendaire  malice.  Et  il  s'en  servait, 
l'habile  espiègle!  sous  une  forme  toujours  respectueuse  et  un  fond  plein 
d'arrière-pensées.  Les  cardinaux  se  portaient-ils  processionnellement  au 
Conclave,  il  remarquait  surtout  ceux  qui  s'y  faisaient  porter;  et,  dans  le 
nombre,  le  nom  de  Vidoni  émergeant  suffisait  à  ramener  le  sourire  sur 
les  lèvres  de  quiconque  connaissait  la  somptueuse  corpulence  du  car- 
dinal bon  vivant:  «  Les  cardinaux,  qui  se  dirigèrent  processionnellement 
«  vers  le  Conclave,  furent  au  nombre  de  trente-trois.  Les  cinq  autres  cjui 
((  s'y  firent  transportera  part,  —  est-ce  par  crainte?  —  sont:  Bernetti, 
«  Naro,  Guerrieri,  Rivarola,  Vidoni*  )).  liCs  Romains,  trouvant  que  le 
pape  est  long  à  élire,  se  transportent-ils  au  Quirinal  pour  faire  une  mani- 
festation sous  les  fenètt-es  du  Conclave,  Joachim  Pecci  s'y  rend  aussi,  si- 
non pour  protester,  du  moins  pour  voir  comment  on  proteste.  «  J'y  étais 
((  allé,  moi  aussi;  mais,  au  milieu  du  spectacle,  une  belle  fumée  a  fait 
«  évanouir  toutes  les  espérances*  ».  Cette  fumée  dissipe-t-elle  tous  les 
calculs  de  la  foule,  sur  tel  ou  tel  cardinal  qu'on  aime  et  acclame  déjà? 
Notre  philosophe,  sorti  à  peine  des  écoles  et  déjà  mùr  pour  les  observa- 
tions profondes,  note  fort  humainement  que  «  tout  le  monde  ici  espère 
avoir  bientôt  son  pape  «  et  ce  sera  le  cardinal  auquel  on  s'attend  le 
moins^  ».  Ce  cardinal  est  connu  enfin.  C'est  Castiglioni,  (pii  est  pape.  Et 
notre  informateur  précis,  de  nous  en  faire  un  portrait  achevé,  même  par 
les  petits  cotés  (jui  n'échappent  pas  à  l'ébauche  :  a  11  a  le  cou  de  travers, 
«  et  semble  danser  quand  il  marche*  ».  Et  Joachim  Pecci  se  ravisant  en 
homme  déjà  fait,  avec  toutes  ses  qualités  supérieures  et  ses  petits  travers, 

l'homme  complet  du  siècle  de  Térence,  qui  est  aussi  l'homme  du 

siècle  de  Pie  YIIL  — demande  à  son  frère  Titta  si  les  Pecci  n'ont  pas  eu, 
un  jour,  l'honneur  de  recevoir  l'actuel  pape  dans  leur  maison  familiale 
de  Carpineto  :  «  Je  crois  avoir  entendu  dire  que  ce  Castiglioni,  étant 
((  vicaire-général  sous  Mgr  Devoti,  évécpie  d'Anagni,  était  descendu 
((  chez  nous,  h  Carpineto.  Si  l'on  en  était  certain,  ce  serait  une  occasion 
«  favorable  pour  inscrire  sur  les  murs  de  notre  maison  un  si  heureux 

•- 
i.  Cf.  la  Jeunesse  de  Léon  XIII,  p.  258.  ^ 

2.  Cf.  bidein,  p.  259. 
5.  Ibidem,  p.  261. 
4.  Ibidem  y  p.  265. 


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LA    PIIÉLATI  IIK    \)K    LKON    Mil, 


hii  ajoutor  toi  extrait  de  h  Correspondance  de  Joachiin  Pecci  se  rappor- 
tant à  ces  laits,  avec  une  sûreté  d'information  qui  jKiuvait  défier  tout 
rival  en  la  personne  de  ce  jeune  interviewer,  connaisseur  de  Rome  connue 
sa  ville  presque  natale,  et  desesliahitants  cardinauv  ou  bourj^Tois connue 
ses  père^  et  maîtres  spirituels  (jui,  à  leur  école,  avaient  ap[»ris  à  un  pa- 
reil élève  jus(pi'au\  secrets  de  leur  léj-endaire  malice.  Et  il  s'en  servait, 
riiabile  espièj^lel  sous  une  l'orme  toujours  respectueuse  et  un  Tond  plein 
d'arrière-|)ensées.  Les  cardinaux  se  [)ortaient-ils  processionnellement  au 
Conclave,  il  remanpiait  surtout  ceux  (|ui  s'y  Taisaient  porter;  et,  dans  le 
nombre,  le  nom  de  Vidoni  émergeant  sul'lisait  à  ramener  le  sourire  sur 
les  lèvres  de  quiconque   connaissait  la  somptueuse  corpulence  du  car- 
dinal bon  vivant:  «  Les  cardinaux,  (lui  se  dirigèrent  processionnellement 
((   vers  le  Conclave,  lurent  au  nombre  de  trentcMrois.  Lescinq  autresipii 
«  s'v  liriMit  transportera  part,  —  est-ce  par  crainte?  —  sont:  Heriu-tti, 
((   Naro,  Cuerrieri,  Uivanda,  Vidoni*  )).  Les  Romains,  trouvant  «pie  le 
pape  est  long  à  élire,  se  trans[K)rtent-ilsau  Quirinal  piun*  l'aire  une  mani- 
festation  sous  les  l'enétn's  du  Conclave,  Joacbim  Pecci  s'y  rend  aussi,  si- 
non pour  protester,  du  moins  pour  voir  conuuent  on  proteste.  <(  J'y  étais 
((   allé,  m(»i  aussi;  mais,  au  milieu  du  spectacle,  une  belle  fumée  a  l'ait 
((  évanouir  t(mtes  les  es|)érances^  »>.  Cette  fumée  dissipe-t-elle  tous  les 
calculs  de  la  foule,  sur  tel  ou  tel  cardinal  (pi'on  aime  et  acclame  déjà'.' 
Notre  philoso[)be,  sorti  à  peine  des  écoles  et  déjà  mur  pour  les  obser\a- 
lions  profondes,   note  fort  bumainement  que  «   tcuit  le  monde  ici  espère 
avoir  bientôt   son  [uqu'   «   et  ce  sera  le  cardinal  au((uel  on  s'attend  le 
moins''  ».  Ce  cardinal  est  coiumenlin.  C'est  Castiulioui,  (pii  est  pape.  Et 
notre  iiiiormateur  précis,  de  nous  en  faire  un  portrait  acbevé,  méuïe  par 
les  petits  cotés  cjui  n'écbappent  pas  à  l'ébauche  :  «  Il  a  h'  cou  de  travers, 
«  et  sembli^  danser  (piand  il  marche'*  ».  Ht  Joacbim  Pecci  se  ravisant  en 
honmie  déjà  fait,  avec  toutes  ses  (pialités  supérieures  et  ses  petits  travers. 

riiomme  complet   du  siècle  de  Térence,   (|ui  est  aussi  l'honnue  du 

siècle  de  Pie  Vlll,  —demande  à  son  frère  Titla  si  les  Pecci  n'ont  pas  eu. 
un  jour,  riionneur  de  recevoir  l'actuel  pape  dans  leur  maison  familiale 
de  Carpineto  :  «  Je  crois  avoir  entendu  dire  que  ce  Castij^lioni,  étant 
((  vicaire-iîénéral  sous  M"ir  hevoti,  évècpie  d'Anairni,  était  descendu 
«  chez  nous,  a  Carpineto.  Si  l'on  en  était  certain,  ce  serait  une  occasion 
G   [iivorable  pour  inscrire  sur  les  nnu's  de  notre  maison  un  si  heureux 

1.  Cf.  la  JeunesHr  de  Léon  XI IL  |».  'i.'iS.  ^ 

ti.  Cf.  hidnn,  p.  2.VJ. 
r».  Ihidrm.  p.  "^CM. 
4.  Ibidem,  p.  2C):». 


Il 


,52  LA    PRÊLATURE   DK   LÉON   XIM. 

,(  cvcncment.  Infornicz-vous,  si  la  chose  est  vraie;  car  papa  en  aura 
«  ..ardé  le  souvenir.  A-t-il  toujours  le  goût  des  nouvelles?  Dans  c.^  cas 
«  te  vous  prie  de  lui  communi.iuer  sans  relard  ces  petites  histoires  •   »  l 
faut  croire  que,  si  les  histoires  continuaient  à  intéresser  le   colonel 
Peeci,  le  nouveau  pape  n'avait  pas  eu  Theur  de  plaire  au  doux  reclus 
de  Carpincto  .,ui  ne  donnait  pas  à  l'ie  Vlll  .pu.rantc  jours  a  vivre.  Kl., 
pourquoi  donc?   «   Le  Saint-Père  se  porte  très   hien.  ccr.ra  Joacinu. 
pendant  (lue  les  journées  s'écouleronl  et  que   son   père  se  disposera 
I,  perdre  son  pari.   Le  I'ai,e  se  porte  bien,   Irè.  bien  nuaue.  Je  crains 
lort  que  Titta  n'ait  encore  à  répéter  souvent  à  loroille  de  son  parte- 
naire :  —  Encore  quarante  jours,  et  Ninive  sera  détruite  1  —  Kt,  en  at- 
tendant, le  pari  est  perdu.  *..  Mourir  sitôt,  un  pape  si  bon  et  si  bienveillant 
„ui  avait    pensé   i»  ne  faire  que  des  heureux  autour  de    lui,  depuis 
réminentissime  .Mbani  qui  avait  concouru  à  son  élection  el  s  était  lait 
nommer  en  retour  Secrétaire  d'État  en  remplacement  de  Bernetti,  jus-pi  a 
Ihumilissime  don  liizzarri  qui,  de  simple  professeur  de  matl.emalMp.es 
au  Collège  Romain,  était  passé  crucifère  de  la  Maison  poulilicale  :  «  Le  cr.i- 
eifère    qui  précédait  le  l'apc  et  cpii  montait  une  mule  blanche   était... 
Devinez  qui?...  Le  professeur  de  mathématiques  .pii  ma  donné  des  répé- 
titions, don  Bizzarri,  de  l'aliano,  un  grand a.ui de Castiglioni^»  Quelqu  .1 
fût    sympalhi<p.e  aux  uns  ou  indifférent  aux  autres,  l'ie  MU  n  était  i.as 
moins  l'élu  du  conclave  et  le  pape  de  l'Kglise  universelle. 

11  était  aussi  le  candidat  de  Chateaubriand,  tant  l'élection  avait  ete 
prévue  el,  -  disons-le,  malgré  la  parcLiionie  du  Cab.nel  du  Ko..  - 
favorisée  par  les  générosités  personnelles  de  l'a.nbassadeur  de  Irance. 
Quand  il  avait  fallu  intéresser  ce  Cabinet  de  chasse  à  courre  a  une  poli- 
Lue  de  haute  inspiration  et  de  longue  portée,  les  lettres  de  Chateaubriand 
n'avaient  trouvé  à  Paris  ni  crédit  ni  correspondant  même.  Charles  \  re- 
lançait le  cerf,  de  préférence  aux  cardinaux  qui  lui  donneraient  bon  ou 
mauvais,  traînant  la  jambe  ou  le  cou  tordu,  son  pape  pour  lequel  il 
parla-eait  la  même  indiirérence  .pie  le  colonel  Pecci  en  avait  UMUOignee  a 
ses  fils.  C'était  pourtant  ce  pape,  qui  pouvait  être  aussi  autrichien  qn  u.i 
Albani   11  fut,  grâce  à  Chateaubriand  el  aux  rapporteurs  que  celu.H'i  s  at- 
tacha avec  autant  de  générosité  personnelle  que  d'avouable  passion,  aussi 
Français  que  les  amis  de  l'Kglise  et  de  la  France  le  pouvaient  souhaiter  en 
la  personne  de  O-stiglioni.  Sans  doute,  ce  pontife  avait  cède  a    influence 
d'un  parti  prépondérant  en  nommant  Albani  son  Secrétaire  d  Klat.  Mais 

1 .  Cf.  la  Jeunesse  de  Léon  XllU  P-  -63. 
•2.  Cl'.  Ibidem,  p.  285 
3.  Cf.  Ibidem,  p.  ^264 


LE   CABINET  m  ROI.  155 

riiabilctc  du  parti  contraire  saurait  bien  déjouer  les  plans  du  cardinal 
dévoue,  corps  et  àme,  à  l'Autriche:  «  Le  cardinal  Albani,  écrit  Chateau- 
briand au  comte  Portalis  pour  réveiller  l'indiftérence  du  Cabinet  du  Roi 
a  été  nommé  Secrétaire  d'État.  Le  nouveau  ministre  ne  plaît,  ni  à  la 
faction  sarde,  ni  à  la  majorité  du  Sacré  Collège,  ni  même  à  l'Autriche  • 
parce  qu'il  est  violent,  antijésuite,  rude  dans  son  abord,  Italien  avant 
tout.  Riche  et  excessivement  avare,  le  cardinal  Albani  se  trouve  mêlé 
dans  toutes  sortes  d'entreprises  et  de  spéculations.  J'allai,  hier,  lui  faire 
ma  première  visite.  Aussitôt  qu'il  m'aperçut,  il  s'écria  :  «  Je  suis  un  cochon  ! 
«  (Il  était,  en  eflet,  très  sale.)  Vous  verrez  que  je  ne  suis  pas  un  ennemi  » . 
Je  vous  rapporte.  Monsieur  le  Comte,  ses  propres  paroles.  Je  lui  répondis 
que  j  étais  bien  loin  de  le  re-arder  comme  un  ennemi.  «  A  vous  autres 
((  reprit-il,  il  faut  de  l'eau  et  non  pas  du  feu.  Ne  connais-je  pas  votre 
0  pays?  N'ai-je  pas  vécu  en  France?  (11  parle  français,  comme  un  Fran- 
((  çais.)  Vous  serez  content,  et  votre  maître  aussi.  Comment  se  porte  le 
<(  Roi?  Ronjour!  Allons  à  Saint-Pierre.  »  II  était  huit  heures  du  matin. 
J  avais  dt^à  vu  Sa  Sainteté,  et  tout  Rome  courait  à  la  cérémonie  de  l'ado- 
ralion.  Le  cardinal  Albani  est  un  homme  d'esprit,  faux  par  caractère  et 
iranc  par  humeur.  Sa  violence  déjoue  sa  ruse;  on  peut  en  tirer  parti,  en 
llatlant  son  orgueil  et  en  satisfaisant  son  avarice*.  »  Cette  lettre  est' du 
!>  avril  1829,  et  est  accompagnée  du  Jown?rt/  secret  d'un  Conclave  que  le 
Roi  voudra  bien  brûler,  dès  (|ue  son  Cabinet  en  aura  fait  la  lecture.  Et, 
en  attendant  la  réponse  (jui  ne  viendra  pas,  —  le  Roi  courant  à  Ram- 
l^ouilletetson  Cabin.t  se  reposant  à  Saint-Cloud, -Chateaubriand  reçoit 
les  cardinaux  en  dîners  de  gala,  reçoit  la  grande-duchesse  Hélène  en  bal 
t't  en  soirée  princières,  reçoit  M.  de  Clermont-Tonnerre  avec  ses  concla- 
vistes,  ses  secrétaires,  ses  estafiers,  ses  valets,  son  cuisinier  et  jusqu'à  ses 
deux  chirurgiens  pour  une  seule  jambe  malade  de  l'Émineiice  héber-ée 
al  ambassade,  comme  chez  elle.  Ce  que  Chateaubriand  ne  reçoit  pas, 
c'est  le  crédit  suj^plémentaire  qu'il  a  demandé  au  Roi.  Cbarles  X  ne  peut 
pourtant  pas  laisser  à  la  charge  de  son  ambassadeur,  et  la  surveillance  du 
Conclave  ([ue  celui-ci  avait  heureusement  assumée  pour  le  succès  de  la 
j.oIiti(|ue  française  à  Rome,  et  Fentretien  des  cardinaux  français  dans  ce 
même  conclave.  Il  est  vrai  aussi,  s'il  faut  en  croire  cette  mauvaise  langue 
de  Talleyrand,  que  monsieur  l'ambassadeur  a  déjà  coûté  une  fort  belle 
somme  à  la  Couronne  :  «  Je  crois  que  M.  de  Chateaubriand  devient  un 
peu  pesant,  écrit-il  vers  cette  époque  à  la  comtesse  Mollien,  femme  du 
ministre  du  Trésor,  sous  l'Empire.  On  ne  voit  pas  les  efl'orts  qu'il  pré- 

^t%'\v    ^^'[^r  '^^"'T^^''"^^'  »•  V,  p.  177.  _  Cf.  les  notes  secrètes  sur  le 
Sacre  Collège,  a  lAppciuhce  de  ce  volume. 


i 


pi 


164 


LA   PRÉLVTLUE   DE   LÉON   XIII. 


tend  faire  pour  les  personnes  qui  lui  sont  dévouées.  Il  part  pour  Rome 
avec  301)000  francs  d'appointements,  et  Villemain  et  Dertin  de  Vau\ 
restent  là».  »  Le  chiffre  est  beau,  sans  doute,  mais  c'est  Talleyrand  qui 
l'accuse.  Et  puis,  eut  pu  répondre  notre  dispendieux  ambassadeur  à 
plus  prodigue  que  lui,  il  en  coûte  tant  de  faire  un  Pape! 

Étonné  du  silence  du  Roi,  Chateaubriand  écrit  de  nouveau  au  comte 
l'ortalis,  le  16  avril:  «  MM.  les  cardinaux  français  sont  fort  empressés  de 
connaître  quelle  somme  leur  sera  accordée  pour  leurs  dépenses  et  leur 
séjour  a  Rome  :  ils  m'ont  prié  plusieurs  fois  de  vous  écrire  à  ce  sujet. 
Je  vous  serai  donc  inliniment  obligé  de  m'instruire,  le  plus  tôt  possible, 
de  la  décision  du  Roi.  Pour  ce  qui  me  regarde.  Monsieur  le  Comte,  lors- 
que vous  avez  bien  voulu  m'allouer  un  secours  do  trente  mille  francs, 
vous  avez  supposé  qu'aucun  cardinal  ne  logerait  chez  moi:  or,  M.  de 
Clerniont-Tonnerre  s'y  est  établi  avec  sa  suite,  composée  de  deux  concla- 
vistes,  d'un  secrétaire  ecclésiastique,  d'un  secrétaire  laïque,  d'un  valet 
de  chambre,  de  deux  domestiques  et  d'un  cuisinier  français,  enfin  d'un 
maître  de  chambre  romain,  d'un  maître  de  cérémonies,  de  trois  valets  de 
i)ied,  d'un  cocher,  et  de  toute  cette  maison  italienne  qu'un  cardinal  est 
obligé  d'avoir  ici.  M.  l'archevêque  de  Toulouse,  qui  ne  peut  marcher, 
ne  dîne  point  à  table;  il  faut  deux  ou  trois  services  à  différentes  heures, 
des  voitures  et  des  chevaux  pour  les  commensaux  et  les  amis.  Mon  res- 
pectable hôte  ne  payera  certainement  passa  dépense  ici  :  il  partira,  et  les 
mémoires  me  resteront;  il  me  faudra  acquitter  non  seulement  ceux  du 
cuisinier,  de  la  blanchisseuse,  du  loueur  de  carrosses,  etc.,  etc.,  mais 
encore  ceux  des  deux  chirurgiens  qui  visitent  la  jambe  de  monseigneur, 
du  cordonnier  qui  fait  ses  mules  bliinches  et  pourpres,  et  du  tailleur  qui 
a  confectionné  les  manteaux,  les  soutanes,  les  rabats,  l'ajustement  com- 
plet du  cardinal  et  de  ses  abbés.  Si   vous  joignez  à  cela.  Monsieur  le 
Comte,  mes  dépenses  extraordinaires  pour  frais  de  représentation  avant, 
pendant  et  après  le  Conclave,  vous  trouverez  sans  doute  que  les  trente 
mille  francs  que  vous  m'avez  accordés  seront  de  beaucoup  dépassés.  La 
première  année   de  l'établissement  d'un  ambassadeur  est  ruineuse,  les 
secours  accordés  pour  cet  établissement  étant  fort  au-dessous  des  be- 
soins. Il  faut  presque  trois  ans  de  séjour  pour  qu'un  agent  diplomatique 
ait  trouvé  le  moyen  d'acquitter  les  dettes  (juil  a  contractées  d'abord  et  de 
mettre  ses  dépenses  au  niveau  de  ses  recettes.  Je  connais  toute  la  pénu- 
rie du  budget  des  Affaires  Étrangères;  si  j'avais  par  moi-même  quelque 
fortune,  je  ne  vous  importunerais  pas:  rien  ne  m'est  plus  désagréable, 

1.  Talleyrand,  Mémoires,  Lettres  inédites  et  Papiers  secrets,  recueillis  par  Jean 
Gor^as.  Paris,  Savine,  1891.  1   vol.,  page  181). 


L. 


•T 


LE   CABINET    \)V   ROf. 


JG5 


je  vous  assure,  que  ces  détails  d'argent  dans  lesquels  une  rigoureuse  né- 
cessité  me  force  d'entrer,  bien  malgré  moi'.  »  Encore  une  fois,  le  Roi, 
ses  chasses  payées  ou  à  payer,  n'avait  plus  assez  d'argent  pour  offrir  en- 
core  à  ses  menus  plaisirs  le  luxe  d'un  pape  que  Chateaubriand  avait  fait 
ehre,  à  ses  risques.  D'ailleurs,  qu'avait  bien  pu  coûter  à  l'ambassadeur  de 
France  une  ingérence  dans  les  affaires  des  cardinaux  qui,  trop  flaltés 
que  le  génie  honorât  ainsi  la  vertu,  avaient  économisé  à  Chateaubriand 
autant  qu'ils  avaient  pu  de  ses  frais  de  représentation?  Par  déférence,  ne 
lui  avaient-ils  pas  tous  envoyé  leurs  carrosses,  qui  escortèrent  le  sien,  le 
jour  où  il  se  présenta  au  Conclave?  Que  pouvait-il  désirer  encore? 

H  restait,  certes,  quelque  chose  à  l'accomplissement  de  ses  souhaits  ; 
puisque,  quelques  mois  plus  tard.  Chateaubriand,  las  de  demander  inuti- 
lement le  strict  payement  de  ses  dépenses  à  Rome,  envoya  au  Roi  sa 
démission  d'ambassadeur  indigent  sur  ces  mêmes  bords  du  Tibre  où 
Cmcinnatus   avait,  il  est  vrai,  vécu  pauvre,  miiis  au  milieu  de  gens 
pauvres  et  vertueux,  comme  lui.  Au  contraire,  la  Réimblique  de  Bonaparte 
n  avait-elle  pas  demandé  à  la  Rome  de  Pie  VII  «   vingt-deux  millions, 
l'occupation  de  la  citadelle  d'Ancône,  cent  tableaux  et  statues,  cent  ma- 
nuscrits au  choix  des  commissaires  français?  On  voulait  surtout  avoir  le 
buste  de  Brutus  et  celui  de  Marc-Aurèle  :  tant  de  gens  en  France  s'appe- 
laient alors  Brutus.»  »  Faisant  donc  contre  mauvaise  fortune  bon  cœur 
et  coinpren;mt  au  fond  que,  si  le  Roi  ne  donnait  pas  à  son  Cabinet  l'ordre 
d'envoyer  les  fonds  nécessaires  à  l'ambassadeur  de  Rome,  c'était  parce 
que   la    Révolution,   grondant   déyà  aux  abords   de    Paris,   avertissait 
Charles  X  que  ces  mêmes  fonds,  économisés  sur  autrui,  seraient  bientôt 
indispensables  à  lui-même  pour  aller  vivre  en  fox-hunting  retraité  à 
Iloly-Rood  ;  Chateaubriand,  aussi  digne  dans  l'infortune  dorée  de  sa  charge 
présente  qu'il  l'avait  été  dans  la  prospérité  menteuse  de  ses  précédentes 
missions,   prépara  sa  retraite,  en   homme   accoutumé   aux   hommes. 
Il  voulut  même,  pour  la  France  avare  ou  ruinée  qu'il  représentait  à 
Rome  et  que  l'Autriche  faussement  libérale  dans  ses  générosités  com- 
mençait à  y  éclipser  puissamment,  jeter  des  fleurs  sur  l'abîme  qu'il  ne 
pouvait  combler  avec  de  l'or.  Il  voulut  aussi  couvrir  son  rival  Albani, 
qui  avait  fini  par  se  montrer  à  l'œil  nu,  de  ce  manteau  d'indifférence 
dont  les  fils  de  Noë  dissimulèrent  l'ivresse  de  leur  père  en  s'en  allant, 
du  plus  grand  air,  à  reculons  :  a  En  quittant  le  cabinet  de  Sa  Sainteté  au 
Vatican,  je  suis  descendu  chez  le  Secrétaire  d'État  et,  abordant  franche- 
ment la  question  avec  lui,  je  lui  ai  dit  :  «  Eh  bien!  vous  voyez  comme 

1.  Cf.  les  Mémoires  d'Outre- Tombe,  t.  V,  p.  193. 

2.  Cf.  Ibidem,  t.  V,  p.  210. 


160 


LA   PRÉLATURE   DE   LÉON   XIIL 


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«  nos  journaux  vous  arrangent!  Vous  clés  «  AutricLicn  »,  vous  «  dë- 

«  testez  la  France  »,  vous  voulez  lui  jouer  de  mauvais  tours.  Que  dois-je 

«  penser  de  tout  cela?  »  Il  a  haussé  les  e'paules  et  m'a  répondu:  ((  Vos 

«  journaux  me  font  rire.  Je  ne  puis  pas  vous  convaincre  par  mes  paroles, 

«  si  vous  n'êtes  pas  convaincu  ;  mais  mettez-moi  à  l'épreuve,  et  vous 

((  verrez  si  je  n'aime  pas  la  France,  si  je  ne  fais  pas  ce  que  vous  me 

«  demandez  au  nom  de  votre  Roi.  »  Je  crois  le  cardinal  Albani  sincère.  Il 

est  d'une  indifférence  profonde  en  matière  religieuse.  Il  n'est  pas  prêtre  ; 

il  a  même  songé  à  quitter  la  pourpre  et  à  se  marier.  Il  n'aime  pas  les 

jésuites;   ils  le  fatiguent  par  le  bruit   qu'ils  font.  Il  est    paresseux, 

gourmand,  grand  amateur  de  toutes  sortes  de  plaisirs  :  l'ennui,  que  lui 

causent  les  mandements  et  les  lettres  pastorales,  le  rend  extrêmement 

peu  favorable  à  la  cause  des  auteurs  de  ces  lettres  et  de  ces  mandements. 

Ce  vieillard  de  quatre-vingts  ans  veut  mourir  en  paix  et  en  joie'.   » 

Nous  avions  comparé  le  respect  de  Chateaubriand  envers  ce  politicien 

ivre  ou  dément  de  l'Église,  à  la  piété  d'un  des  fils  de  Noë  surprenant 

leur  père  dans  les  vignes  traîtresses.  Ne  vaudrait-il  pas  mieux  conq)arer 

la  plume  du  Français  intraitable  qui  le  visait,  si  indépendant  et   de  si 

haut,  à  la  flèche  de  l'invincible  Partlie  tirant  sur  cet  ennemi  d'origine 

déjà  ancienne,  le  Romain  invaincu? 

Chateaubriand  laissant,  comme  une  proie  fiicile  à  l'intrigue  autrichienne, 
cette  Rome  de  César  et  de  Pierre  où  le  dernier  Latin  des  temps  classiques 
et  le  dernier  Chrétien  de  l'ère  évangélique  avait  rêvé  de  trouver  sa  cellule 
près  de  celle  du  Tasse  à  Sant-Onofrio,  et  son  tombeau  non  loin  de  celui 
de  Rrutus  au  Forum,  rentra  donc  à  Paris.  Il  voulait  voir,  de  sa  modeste 
demeure  de  la  rue  d'Knfer,  comment  l'ancien  pensionnaire  de  la  troupe 
Nicolet  engagée  à  Trianon  saurait  encore  danser  sur  la  corde  de  son 
maître  Placide  et  passer  sur  le  volcan  des  Journées  de  Février,  sans 
brûler  les  bouffettes  exquises  de  ses  souliers  de  soie  et  les  choux  blancs 
de  ses  culottes  de  peau.  Ce  Martignac  que  Charles  X  appelait  «  la  Pasta  » 
et  que  le  Roi  gardait  encore  dans  sa  troupe,  n'égayerait-il  pas  de  sa  voix 
de  sirène  la  chute  de  la  «  royauté  de  l'honneur  »  et  l'avènement  de  la 
«  royauté  des  affaires  »?  Ainsi  regardant,  à  Paris,  Charles  X  et  son 
Cabinet  passer  le  sceptre  à  Rothschild  et  à  Torlonia,  Chateaubriand, 
qui  avait  peut-être  deviné  dt\jà  le  futur  émancipaleur  du  siècle  en  la 
personne  d'un  jeune  étudiant  du  Collège  Romain  dont  la  diplomatie 
future  mettrait  à  profit  les  recherches  politiques  et  dont  la  génération 
à  venir  utiliserait  les  démocratiques  trouvailles;  Clfateaubriand,  honteux 


i.  Cf.  les  Mémoires  d'Oulre-Tombe^  loc.  cit.y  p.  203. 


LE   CABINET   DU   ROL 


107 


de  vivre  si  longtemps  dans  ce  siècle  de  monarchique  jntransigeance  qui 
ne  voulait  encore  rien  entendre  aux  libérales  concessions  qu'une  Noblesse 
surannée  aurait  dû  faire  à  un  Tiers  État  désormais  maître  ;  Chateau- 
briand, las  de  marcher  seul  dans  le  vide,  comme  dans  cette  église  dé- 
serte des  Pyrénées  où  les  pas  du  vieillard  retentissant  sur  des  tombeaux 
lui  révélèrent  tout  à  coup  sa  propre  solitude,  commença  à  désespérer  de 
son  âge.  Ce  fut  précisément  l'époque  où  JoachimPecci,  passant  de  l'école 
de  France  à  l'école  d'Autriche  et  de  l'influence  de  Chateaubriand  à  celle 
de  Metternich,  entreprit,  dans  la  foi  que  lui  prêtait  sa  jeunesse,  d'en 
renouveler  l'espoir. 


il 


il 


'  ( 


Sailli  Pierre  de  lionic  el  le  Valiean. 


III 


4 


1 


DE    CHATEAUBRIAND   A    METTKRMCH 

Un  historiogra})lic  de  Louis- 
Philippe  raconte  qu'  «  un  jour, 
se  promenant  àNeuilly,  le  nou- 
veau roi  de  France  aperçut  un 
«^aniin  d'une  dizaine  d'années, 
qui  s'elïorçait  de  dessiner  sur 
une  porte  du  parc,  avec  un 
morceau  de  craie,  la  figure  du 
monarque  caricaturée  sous  la 
forme  d'une  poire.  Louis-Phi- 
lippe s'approcha  doucement  de 
l'enfant  et,  lui  prenant  la  craie,  lui  dit  :  «  Tu  t'y  prends  mal;  c'est 
«  comme  cela  qu'il  faut  faire  ».  Et  il  acheva  la  caricature*.  » 

—  Parbleu  !  eut  pu  riposter  le  gamin,  n'avez-vous  pas  cte'  profes- 
seur de  dessin  à  Reichenau?  ^^ 


1.  Cf.  f.e  fiai  Louis  Philippe,  par  le  marquis  de  Fiers,  C.   IX.  j).   135.  Paris, 
Dontu,  I8U1. 


Aulour  (le  Pérouse. 


4 


\)E    (JL\TEAl  BHIAM)    A   MKTTERMCIL 


1G9 


II  est  vrai  que  cet  enl'ant,  plus  vieux  de  quelques  années,  eût  pu  faire 
lire  au  même  roi  Louis-Philippe,  si  fort  en  dessin,  une  ûmte  d'orthographe 
sur  sa  formule  d'abdication  dont  on  aurait  rougi  à  l'école  primaire.  Ainsi 
mûrissaient  sur  les  espaliers  de  l'Lurope,  depuis  la  fin  de  l'épopée  napo- 
léonienne, sous  la  garde  des  derniers  geôliers  de  la  monarchie  expirante 
contre  l'aulocralie  retardataire  (les(|uels  un  libéralisme  troj)  vert  encore 
ne  pouvait  rien,  les  heureux  fruits  d'une  si  profitable  paix.  Du  moins, 
de  cette  grasse  paix,   profiteraient  les   instauraleurs  d'une  monarchie 
nouvelle,  ces  ploutocrales  de  la  fortune  privée  qui  allaient  remplacer  si 
puissannnent,  chez  le  Pape  et  chez  le  Roi,  aussi  bien  ruinés  l'un  que 
l'autre,  les  aristocrates'  décavés  de  la  fortune  publique.  Et,  sans  doute, 
«ju'il  n'y  avait  pas  de  honte  à  prendre  l'argent  où  il  était.  Rothschild 
l'avait  trouvé  en  vingt-cjuatre  heures,  d'un  seul  coup  de  bourse,  sur  les 
cadavres  de  Waterloo  ;  et  Torlonia,  en  un  peu  plus  de  temps  et  de  patience 
peut-être,  d'un  autre  coup  de  bourse,  sur  les  sels  et  les  tabacs  de  l'État 
pontifical  que  personne  ne  s'était  donné  la  |»eine  de  régir,  avant  lui.  Et 
l'action  de  ces  banquiers  juifs  ou  chrétiens  ne  devait  même  pas  être  si 
noire,  puisque  personne  en  Europe  ne  s'en  apercevait.  Tout  au  plus 
un  Joachim  Pecci,  dans  sa  Correspondance,  laissait-il  transparaître  son 
insurmontable  dégoût  pour  ces  Romains  d'un  genre  moderne,  ces  Tor- 
logne  d'Auvergne  dont  le  chef,  autrefois  misérable,  finissait  par  mourir 
dans  le  plus  beau  palais  de  la  ville  vandalisée  des  papes  :  «  Il  est  donc 
mort,  ce  Torlonia  richissisme.  Ce  fut  le  25  février  qu'il  succomba,  âgé 
de  quatre-vingts  ans  environ,  à  la  suite  d'une  congestion  pulmonaire. 
Son  cadavre  a  été  exposé  au  public,  dans  son  palais.  En  cette  occasion, 
on  a  pu  voir  ses  appartements  splendides  et  sa  magnifique  galerie ^  » 
Comme  suite  au  motif  amusant  «|u'Horace  Vernet  venait  de  peindre, 
dans  sa  Prise  de  la  Smala ,  où  un  Rothschild  avait  obtenu  pour  rien 
son  portrait  qu'il  n'avait  pas  voulu  payer    à  l'artiste.  Chateaubriand 
aussi,  dans  sa  Correspondance,  exprimait  à  Mme  Récamier  le  même 
dégoût  du  juif  ou  du  catholi(|ue  usurier,  devant  sa  dépouille  funèbre  : 
«  La  mort  est  ici.  Torlonia  est  parti,  hier  au  soir,  après  deux  jours 
de  maladie.  Je  l'ai  vu  tout  peinturé  sur  son  lit  funèbre,  l'épée  au  côté. 
Il  prêtait  sur  gages;  mais  quels  gages!  Sur   des  antiques,   sur  des 
tableaux  renfermés  pêle-mêle  dans  un  vieux  palais  poudreux.  Ce  n'est 
pas  là  le  magasin  oîi  l'avare  serrait  un  luth  de  Rologne  garni  de  toutes 
ses  cordes  ou  peu  s'en  faut,  la  peau  d'un  lézard  de  trois  pieds  et  le 
lit  de    quatre  pieds  à   bandes  de  point  de  Hongrie*.   »    Et   Stendhal 

1.  Cf.  l'Epistolaiic  de  Joacliim  Pecci,  dans  la  Jeunesse  de  Léon  Mil,  p.  247. 
"2.  Cf.  les  Mémoires  d'Oulre-Toitibc  ^\c  C\:a[cnuhrhnu\,  t.  V,  p.   I5G. 


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Saint  Piono  de  Koinc  cl  le  Valiean. 


III 


I>K    tlIATEAlKUlAKD    A    MKTTKK.MCII 


l'ii  liisU)ri(>iira|»lic  de  Louis- 
l*liilij>[»('  nuonle  qu'  a  un  jour, 
se  pronienaiil  à  Nt'uilJN ,  le  nou- 
veau roi  lie  France  aperçut  un 
^ainin  d'une  dizaine  d'années, 
«pli  s'elloreait  de  dessiner  sur 
une  porte  du  pare,  avec  un 
morceau  de  craie,  la  figure  du 
nionanpic  caricaturée  sous  la 
forme  d'une  poire.  I.ouis-PIii- 
Iip[>e  s'apj)roclia  doucement  de 
reniant  et,  lui  prenant  la  craie,  lui  dit  :  u  Tu  t'y  prends  mal;  c'est 
((  comme  cela  cpi'il  Tant  faire  ».  Et  il  acheva  la  caricature*.  » 

—  Parbleu  !  eut  pu  riposter  le  gamin,  n'avez-vous  pas  été  profes- 
seur de  dessin  à  Heiclienau?  ^ 


I.  U.  Le  Hui  Lo:iis   l'iiilippc.  par  le  manjuis  «le  Fiers,  C.    1\.  ]i._  l."rJ.   Paris, 


Autour  (le  Pérousc. 


lŒ    ClIATi: AI  BKIAM»    A    MKTTKILMCII. 


101) 


II  est  vrai  (pie  cet  enlanl,  plus  vieux  de  quelipies  années,  eut  \ni  faire 
lire  au  nièine  roi  L(Kiis-Pliilippe,  si  fort  en  dessin,  une  faute  d'()rlliogra[)lie 
sur  sa  formule  d'abdiciition  dont  on  aurait  rougi  à  l'école  primaire.  Ainsi 
mûrissaient  sur  les  espaliers  de  l'Kurope,  depuis  la  lin  de  l'épopée  napo- 
léonienne, sous  la  garde  des  derniers  geôliers  de  la  monarchie  expirante 
«outre  l'aulocratii'  retardataire  des«piels  un  libéralisme  tr(»p  vert  encore 
ne  pouvait  ri«'n,  les  heureux  fruits  d'une  si  profitable  paix.  Du  moins, 
de  celte  grasse  paix,  profiteraient  les  instaurateurs  d'une  monarchie 
nouvelle,  ces  ploulocrates  de  la  fortune  privée  «pii  allaient  remplacer  si 
puissamment,  chez  le  l*ape  et  chez  le  lloi,  aussi  bien  ruinés  l'un  «pie 
I  autre,  les  arislo«rates  décavés  de  la  fortune  jjubliipie.  Kt,  sans  doute, 
«pi'il  n'y  avait  pas  de  honte  à  prendre  l'argent  oij  il  était.  Rothschild 
l'avait  trouvé  en  vingt-<|uatre  heures,  d'un  seul  coup  de  bourse,  sur  les 
cadavres  de  \Vaterl«)o;  et  Torlonia,  en  un  peu  plus  de  temps  et  de  patience 
peut-être,  d'un  autre  coup  de  bourse,  sur  les  s«'Is  et  les  tabacs  de  l'État 
pontifi«al  «pie  j)ersonnc  ne  s'était  dcjimé  la  peine  de  régir,  avant  lui.  Kt 

I  ;»eti«»n  de  ces  ban«juiers  juifs  ou  chrétiens  ne  devait  même  pas  être  si 
noire,  puis<pie  personne  en  Euh^jk'  ne  s'en  aperc«'vait.  Tout  au  j»his 
un  Joachim  l'ecci,  dans  sa  Correspoudance.  laissait-il  tr.ms[)araître  son 
insurmontable  dégoût  pour  c«'s  Romains  d'un  genre  moderne,  ces  Tor- 
logne  d'Auvergne  d«uit  le  chef,  autref«»is  misérable,  finissait  par  mourir 
dans  le  plus  beau  palais  de  la  vill«'  vandalisée  des  papes  :  «  11  est  don«' 
mort,  ce  T«»rl«)nia  ri«hissisme.  Ce  fut  le  2h  févri«,T  «pi'il  succomba,  âgé 
«le  «pialre-viiigts  ans  environ,  à  la  suite  dune  congestion  pulmonaire. 
Son  cadavre  a  été  exposé  au  publie,  dans  s«>n  palais.  En  cette  occasion, 
on  a  pu  voir  ses  appartcMiients  s[)lendides  et  sa  magnifi«pie  galerie^  » 
Comme  suite  au  motif  amusant  «|uTlorace  Vernet  venait  do  pehidre, 
dans  sa  l*rise  de  la  Sinald.  «)ii  un  liothschild  avait  obtenu  pour  rien 
son  portrait  «ju'il  n'avait  pas  voulu  payer  à  l'article,  Cliateaubriand 
aussi,  dans  sa  Correspondance^  exprimait  à  Mme  Hécamier  le  même 
dég«)ùl  du  juif  ou  du  «•atli«)li«pie  usurier,  devant  sa  dépouille  funèbre  : 
«(  La  mort  est  ici.  T«nionia  est  j>arti,  hier  au  soir,  après  d«'ux  jouis 
de  maladie.  Je  l'ai  vu  tout  peinturé  sur  son  lit  funèbre,  l'épée  au  cV>té. 

II  prêtait  sur  gages;  mais  «piels  gages!  Sur  des  anti«pies,  sur  des 
tableaux  lenfermés  pêle-nii-le  dans  un  vieux  palais  poudreux.  Ce  n'est 
pas  là  le  magasin  où  l'avare  serrait  un  luth  de  Cologne  garni  de  toutes 
ses  cordes  ou  peu  s'en  faut,  la  peau  d'un  K'zard  de  trois  pieds  et  I«* 
lit  de    «juatre  pieds  à    bandes  de  point  de   Hongrie*.    »    Et   Stendhal 

I.  (;f.  l'E[»ist«)!airo  tic  Joacliiin  IV'cci,  dans  la  Jeunesse  de  Léon  Mil,  p.  '247. 
"l.  Cf.  les  Mènioiéfif  d'Oulre-Tomhcilc  0.d[<'uu\)runii\,  \.  \\  p.   150. 


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170 


LA  PRÉLATL'RE  DE  LÉON  XIH. 


surencluTissant  ajoutait  :  «  De  la  condition  la  plus  vulgaire,  M.  Tor- 
lonia  s'est  élevé  par  son  savoir-faire  à  la  condition  la  jdus  brillante. 
L'amour  exclusif  de  l'argent  est,  selon  moi,  ce  qui  gâte  le  plus  la 
figure  humaine.  La  bouche  surtout,  exempte  de  toute  sympathie  chez 
les  gens  à  argent,  est  souvent  d'une  atroce  laideur.  M.  Torlonia  est 
curieux  à  entendre,  lorscju'il  raconte  l'histoire  de  la  rivalité  des  jeunes 
princes  romains  qui  sollicitent  la  main  de  ses  filles.  Il  a  une  sorte  de 
naïveté  dans  son  respect  sans  borne  })our  l'argent.  Pendant  plus  de  dix 
ans,  il  n'a  pas  osé  venir  habiter  le  palais  :  une  diseuse  de  bonne  aven- 
ture lui  avait  prédit  qu'il  mourrait,  la  première  nuit  (pi'il  y  couche- 
rait *.  ))  Sur  toutes  les  bourses  européennes  s'abattait  ce  vol  de  corbeaux, 
chercheurs  d'or,  qui  ne  le  trouvaient  déjà  plus  sur  les  champs  de  bataille 
épuisés  et  qui  le  chercheraient  dorénavant  sur  les  champs  de  la  paix  et 
du  travail.  En  sorte  qu'après  avoir  tout  spéculé,  tout  raflé,  tout  volé,  — 
grâce  au  repos  d'une  paix  prolectrice  et  à  l'ombre  tutélaire  du  coq 
gaulois  qui,  dans  cette  occurrence,  ne  vaudrait  pas  la  plus  sotte  oie  du 
Capitole,  —  ces  corbeaux  d'outre-Rhin,  d'outre-Manche  et  d'outre-Mont, 
qui  s'étaient  abattus  sans  bruit  sur  l'Europe,  seraient,  du  jour  au 
lendemain,  prêts  à  reprendre  vol  vers  l'étranger,  laissant  aux  pays  ra- 
vagés par  eux  cette  chose  horrible,  —  la  misère,  —  et  cette  autre  chose 
sinistre,  —  l'insurrection.  Et  voilà  ce  qu'on  aurait  gagné,  depuis  les 
journées  de  juillet  1850  jusqu'aux  journées  de  février  1848,  à  cultiver 
la  poire,  pendant  dix-huit  ans. 

Car  les  révolutions  ne  sont  que  les  efîets  réels  de  causes  très  cer- 
taines. II  n'eût  suffi  à  la  bourgeoisie  régnante  de  ce  temps-là  que  de 
voir  un  peu  plus  loin  que  l'orbile  de  ses  lunettes  d'or,  pour  deviner 
l'orage  que  les  corbeaux  de  la  finance,  survenant  après  les  aigles  de  la 
conquête  dans  le  ciel  rasséréné  de  l'Europe,  y  annonçaient  sinistrement. 
On  savait,  certes,  ce  qu'avait  été  la  première  Révolution  des  Droits  contre 
les  Privilèges,  et  l'on  avait  quebpie  raison  de  s'applaudir  de  ses  coû- 
teuses et  légitimes  conquêtes.  Mais  la  deuxième  Révolution  de  la  Misère 
contre  la  Finance  dont  les  orages  de  Juillet,  sanglants  encore  qu'ano- 
dins, ne  faisaient  présager  rien  de  bon,  que  serait-elle?  Que  résulterait-il, 
—  non  plus  pour  un  pays  seulement,  mais  pour  l'Europe  entière  traquée 
par  l'àpre  faim,  —  que  résulterait-il  d'un  autre  blocus  continental  que 
quelques  portefeuilles  juifs  exécuteraient,  de  leur  plein  gré,  à  l'heure 
qu'ils  jugeraient  la  plus  propice  pour  tordre  d'angoisse,  dans  le  cirque 
funèbre  de  leurs  actions,  des  foules  entières  sans-argent  et  sans  painV 

1.  Cf.  les  Promenades  dans  Honte,  l.  L  p.  1G5. 


DE  CHATEAUBRIAND  A  METTERNICH. 


171 


L'argent  :  on  l'aurait  renfermé  dans  les  cavernes  d'Alibaba;  et  qui  vien- 
drait l'y  prendre,  ne  sachant  pas  même  où  il  est?  Le  pain  :  sans  l'argent, 
où  l'avoir?...  Tel  est  encore  le  problème  dont  les  secrets  de  Dieu  réser- 
vent la  solution  terrible  au  siècle  qui  recommence  pour  en  souffrir, 
qui  sait,  peut-être  plus  que  le  précédent. 

La  ténébreuse  donnée  en  fut  nettement  dégagée  par  Pecci,  dès  la 
première  heure.  D'un  premier  coup  d'œil  de  maître  dans  l'histoire  de 
son  temps,  celui-ci  eut  le  mérite  et  la  tristesse  de  lire  la  filiale  page  de 
la  fin,  bien  des  années  avant  que  l'eussent  tournée  les  doigts  qui  n'au- 
raient dû  servir  qu'à  la  déchirer  quand  elle  était  blanche  encore  du 
sang  dont,  par  la  main  de  quelques  hommes  et  pour  le  malheur  de 
l'humanité  tout  entière,  elle  serait,  un  jour,  écrite.  Mais  la  vie  politique 
de  Joachim  Pecci  présente  une  telle  unité  de  vues  convergeant,  dès  les 
premières  années,  à  ce  point  final  où  la  dernière  note  du  diplomate 
nonagénaire  les  résumera  toutes  ;  que,  le  voyant  à  cette  heure  de  sa 
première  jeunesse,  au  seuil  de  la  longue  carrière  qu'il  va  fournir,  il 
semble  nécessaire  de  découvrir,  comme  d'un  coup  d'œil  prophétique, 
l'avenir  sombre  qui  l'attend  et  les  bienfaits  que  lui  demandera  son 
siècle. 

Comme  il  y  a  la  politique  d'action,  qui  exécute  dans  le  tumulte  de  la 
vie  civile  et  mihtaire  les  plans  conçus,  il  y  a  la  politique  de  pensée  anté- 
rieure à  l'autre  et  conséquemment  supérieure,  pour  les  génies  puissants 
qu'elle  y  eujploie  et  les  humbles  vertus  qu'elle  y  dépense.  Celle-ci  a,  sur 
celle-là,  l'élévation  de  la  main  sur  le  plan  (pi'elle  trace;  elle  y  tient  la 
distance  de  la  chaîne  dont  un  chasseur  conduit  la  meute,  ou  du  guidon 
dont  un  tireur  suit  le  tracé.  Mais,  comme  la  pensée  reste  cachée,  la 
politique  de  conception  reste  invisible  et  ne  laisse  apparaître  que  les 
hommes  ou  les  choses  qu'elle  dirige  à  son  gré,  sous  les  livrées  d'or  ou 
de  cuivre  dont  elle  les  distingue  au  regard.  Qu'importe  de  ne  pas  voir  la 
balle,  si,  dans  son  invisible  trajectoire,  elle  atteint  l'ennemi  et  l'abat? 
Qu'importe  à  l'histoire  le  nom  des  ministres  inconnus  qui  dirigèrent  les 
conquêtes  des  Alexandre  et  celles  des  César?  Machiavel  ne  fut  qu'un  pas- 
sant inconnu,  au  milieu  des  paysans  de  San  Casciano;  et  dix  pages  de  sa 
plume  allaient  pourtant  suffire  pour  renverser  le  système  des  victoires 
anciennes  par  la  force,  auquel  succéderait  le  système  des  victoires  mo- 
dernes par  la  ruse.  Si  Joachim  Pecci  va  dépenser  près  de  quarante 
années  d'études,  les  plus  remarquables  et  les  plus  ignorées,  pour  arriver 
aux  fructueuses  conclusions  que  nous  révélera  seulement  sa  vieillesse, 
qu'importe  encore;  —  puisque  le  but  à  toucher  sera,  un  jour,  atteint? 

Fort  de  sa  valeur  et  de  sa  patience  cet  admirable  meneur  des  peuples 


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172 


L.\    PRÉLATIIRE    l)K    LÉON    XIII. 


de  demain,  auquel  la  victoire  n'est  promise  qu'avec  les  cheveux  blancs, 
débute  dans  la  carrière  diplomatique  à  l'heure  où  sa  jeunesse,  excep- 
tionnellement brillante,  promet  de  le  l'aire  parvenir  promptement  aux 
honneurs.  Mais  la  main  de  Dieu,  plus  généreuse  que  celle  des  hommes, 
ne  s'est-elle  pas  chargée  de  conduire  elle-même  son  élu  à  la  suprême 
récompense,  en  faisant  passer  par  les  plus  modestes  étapes  son  ambi- 
tieux encore  que  pacifique  vaincpieur? 

Le  Bmn  Govemo  était,  en  1858,  quand  Joachim  IVcci  y  fut  admis  en 
«{ualité  de  simple  expéditionnaire  ou  ponent,  le  bon  petit  <(  Ministère  de 
rintérieur  »  de  l'État  Pontifical,  qui  ne  pouvait  guère  s'en  payer  de  plus 
grand.  Paisiblement  assis  à  l'ombre  et  dans  la  solitude  des  vieilles  rues 
qui  l'isolaient  du  mouvement  de  la  ville  et  de  la  vie  du  siècle,  en  quebpie 
sorte,  ce  «  ministère  du  bon  repos  »  n'avait  de  relations  que  celles  (pii  le 
reliaient  au  Vatican,  par  les  allées  et  veimes  de  ses  jeunes  et  de  ses  vieux 
ponents.  Les  vieux  étaient  les  plus  nombreux,  dans  celte  maison  (|ui  ne 
renouvelait  pas  son  personnel  deux  fois  en  un  siècle.  Vêtus,  l'hiver 
comme  l'été',  de  l'ample  soutanelle  ouvrant  sur  le  jabot  où  la  poudre  de 
tabac  faisait  miracle  d'endurance,  les  mollets  bien  à  jour  dans  des  sou- 
liers à  boucles  en  cuivre  mal  doré  ou  en  métal  blanc  mal  argenté,  on 
les  voyait,  quelque  temps  qu'il  fît,  avec  leur  inséparable  parapluie  de 
cotonnade  verte,  longeant  à  la  même  heure  les  mêmes  rebords  de  trottoir 
et  d'ombre,  n'acceptant  pas  pour  une  fortune  de  changer  le  côté  de  rue 
que,  de  date  immémoriale,  ils  avaient  l'habitude  de  suivre. 

A  cette  vieille  race  d'employés  aussi  intransigeants  dans  leurs  idées 
qu'inamovibles  dans  leur  poste,  s'opposait  dt^à  un  élément  plus  juvénile 
tt  plus  stylé  qu'on  eut  pu  appeler  le  «  nouveau  monde  des  ylobe- 
trotters  »  de  la  politique  pontificale  pour  le  va-et-vient  continuel  oij,  de 
gaieté  de  cœur,  ils  allaient  se  laisser  condamner.  Strictement  serrés 
dans  leur  collet  romain  à  la  blancheur  de  neige  qui  émergeait  de  la 
soutane  collante  et  de  la  douillette  de  drap  tin,  boutonnés  jusqu'au 
menton  et  ccdlés  comme  des  lettres  de  ministère  pour  ne  rien  perdre 
des  secrets  de  l'État,  cette  jeunesse  élégante  de  «  ponents  »  qui  posaient, 
sous  la  désinvolture  du  léger  tricorne  de  casior  qui  les  coilfait,  moitié 
en  gens  d'église,  moitié  en  gens  de  cour,  j)ouvait  s'inlituler,  de  la  tête 
aux  pieds  de  leur  noble  personne,  et  selon  l'expression  pittoresque  de 
l'un  d'entre  eux  : 

«  Les  Manuels  ambulants  des  parfaits  candidats- aux  Délégations  et 
aux  Nonciatures  vacantes  » . 

Il  n'était  pas,  au  Vatican,  une  nouvelle  intéressant  la  Ville,  cjue  ces 


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DE    CHATEAUBRIAND   A   METTERMCIL 


175 


fines  mouches  n'eussent  aussi  la  charge  d'y  porter,  avec  un  bruit  d'ailes 
perceptible  à  peine  et  un  tour  de  langue  impossible  à  surprendre.  Du 
jKipe  à  son  moutardier,  pas  une  histoire  dont  ces  abbés  de  cour  ne 
lissent  payer  cher  les  pots  cassés.  Comment  Sa  Sainteté  s'arrangeait-elle, 
pour  ne  nommer  ses  cardinaux  et  autres  prélats  de  sa  cour,  que  vingt- 
quatre  heures  après  que  les  «  ponents  w  bien  informés  n'eussent  propagé 
dans  Home  les  noms  des  candidats  élus?  Mais  c'est  que  Sa  Sainteté  elle- 
mêiue  n'avait  pas  le  droit  de  mourir  avant  que  ces  informateurs  en 
titre,  —  cet  «  escadron  volant  »  de  l'intrigue  romaine,  —  n'en  eussent 
arrêté,  au  su  de  tous,  l'heure  et  le  cérémonial.  Par  exemple,  en  cas 
de  mort  pontificale,  on  les  verra  partout  à  la  fois;  chez  le  pape  défunt 
et  thez  le  cardinal  papable,  aux  novemdiales  de  Saint-Pierre  et  au 
conclave  de  la  Sixline;  les  corridors  interminables  du  Vatican  ne  seront 
plus  que  les  trompettes  aux  cent  voix  par  où  ces  infatigables  souffleurs 
jetteront  sur  la  ville  et  le  monde  plus  de  nouvelles  qu'il  n'en  faut  pour 
défrayer  les  plus  rapides  et  comjdètes  chroniques  :  «  L'extrême  désir 
que  j'avais  de  vous  envoyer  au  plus  vite  la  nouvelle,  —  alors  toute 
nouvelle,  —  de  la  mort  de  Léon  XII,  m'avait  déterminé  à  vous  en 
écrire  deux  lignes  dans  une  lettre  vraiment  informe.  Et,  pour  com- 
pléter ce  chef-d'œuvre,  comme  le  bureau  de  poste  allait  fermer,  j'étais 
entré  l'écrire  en  toute  hâte  dans  la  boutique  d'un  cordonnier*....  » 
Par  cette  dernière  note,  Joachim  Pecci  montre  que,  s'il  est  aussi  une 
fine  mouche  des  antichambres  pontificales,  il  ne  l'est  pas  au  point  de 
dédaigner  l'échoppe  d'un  cordonnier  pour  y  rédiger  plus  rapidement  ses 
tablettes. 

Quehiues  mois  plus  tard,  ce  sera  le  tour  de  Pie  VIII,  mort  pré- 
maturément; et  la  plume  de  notre  jeune  correspondant  ira  aussi  bon 
train  que  la  veille,  pour  enregister  à  la  fois  les  funérailles  et  le 
conclave  :  «  Le  Pape  est  mort,  les  novemdiales  ont  été  célébrées,  et  les 
cardinaux  entrent  aujourd'hui  en  conclave.  Hier,  on  disait  qu'ils  n'iraient 
pas  en  procession,  de  Saint-Silvestre  au  Quirinal,  selon  l'usage.  Au 
matin  d'une  détermination  si  extraordinaire,  les  uns  la  mettaient  sur 
le  compte  du  temps  toujours  pluvieux,  les  autres  prétextaient  la  décou- 
verte d'un  complot  tendant  à  troubler,  dans  Rome,  la  situation  poli- 
titjue  actuelle.  Le  fils  d'IIortense  et  de  Jérôme  Bonaparte,  le  garde-noble 
Troili,  Ernest  Gozzano  et  beaucoup  de  Français,  sont  donnés  par  tout 
le  n)onde  comme  les  auteurs  de  ce  complot*.  »  Et  Joachim,  toujours  à 
l'éveil  dans  les  couloirs  du  Vatican  et  dans  les  rues  de  Rome,  se  pré- 

1.  Cf.  l'EpistoIaire  (le  Joacliiin  Pecei  dans  la  Jeunesse  dû  Léon  XIII,  p.  250. 
ii.  Cf.  Ibidem,  p.  2'.>4. 


.  / 


r, 


174 


LA   PRELATURE   DE    LÉON    XIII. 


pare  à  rédiger  pour  la  deuxième  fois  les  notes  secrètes  du  conclave  d'où 
le  cardinal  Cappellari  sortira  vainqueur,  sous  le  nom  de  Grégoire  XVI. 
L'échoppe  du  cordonnier  est  encore  là,  près  de  la  poste,  pour  permettre 
au  jeune  homme  de  rédiger  et  d'expédier  plus  vite  les  nouvelles.  Mais 
Chateaubriand,  où  est-il  maintenant,  pour  donner  à  un  informateur  si 
sûr  le  contrôle  des  notes  mêmes  d'un  ambassadeur?  Parti,  lui  aussi, 
sinon  encore  pour  l'autre  monde  comme  Madama  Vidoni  qui  n'a  pu 
résister  à  tant  d'esprit  du  Siynor  Ambasciadore  '  ;  du  moins  pour  d'autres 
destinées  et  d'autres  infortunes,  loin  de  Rome  qui  n'a  pas  voulu  mêler 
les  cendres  de  l'Ambassadeur  à  celles  des  Césars   :   «   Cette  nuit  est 
mort  l'éminentissime  Vidoni.  Son  testament  mérite  qu'on  l'écoute,  mais 
je  passe  outre  »,  écrit  Pecci*.   Et  Chateaubriand  :   «  On  ne  voit  que 
des  défunts,  que  l'on  promène  habillés  dans  les  rues;  il  en  passe  un 
régulièrement  sous  mes  fenêtres,  quand  nous  nous  mettons  à  table  pour 
dîner.  Au  surplus,  tout  annonce  la  séparation  du  printemps;  on  com- 
mence à  se  disperser;  on  part  pour  tapies.  On  reviendra,  un  moment, 
pour  la  Semaine  Sainte,  et  puis  on  se  (jui liera  pour  toujours.  L'année 
prochaine,  ce   seront  d'autres  voyageurs,  d'autres  visages,  une  autre 
société.  Il  y  a  quelque  chose  de  triste,  dans  cette  course  sur  des  ruines. 
Les  Romains  sont,  comme  les  débris  de  leurs  ruines  :  le  monde  passe  h 
leurs  pieds.  Je  me  figure  ces  personnes  rentrant  dans  leurs  familles, 
dans  les  diverses  contrées  de  l'Europe,  ces  jeunes  misses  retournant  au 
milieu  de  leurs  brouillards.  Si,  par  hasard,  dans  trente  ans  d'ici,  quel- 
qu'une d'entre  elles  est  ramenée  en  Italie,  qui  se  souviendra  de  l'avoir 
vue  dans  les  palais  dont  les  maîtres  ne  seront  plus?  Saint-Pierre  et  le 
Colysée,  voilà  tout  ce  qu'elle-même  reconnaîtrait*.   »   Est-ce  le  post- 
scriptiim  du  maître  à  celle  vie  de  Rome,  finie  pour  lui,  et  sur  les  pous- 
sières augustes   de  lacpielle   aucun  doigt  d'homme  n'aura   tracé  plus 
magnifiquement  que  lui  ce  mot  de  vanité  qui  acliève  de  résumer  toute 
chose  ici-bas  ? 

Peu  pressé  de  quitter  Rome  pour  Paris  et  les  vanités  du  siècle  pour 
les  néants  de  l'éternité,  Chateaubriand  flût,  avant  de  partir,  à  Joachim 
Pecci  une  leçon  de  politique  générale  dont  le  jeune  élève  se  souviendra 
longtemps.  Répondant  aux  bruits  d'occupation  des  Légations  romaines 
par  l'Autriche,  le  maître  écrit  :  «  Laisser  occuper  les  Légations  ou 
mettre  garnison  autrichienne  à  Ancône  sous  un  prétexte  quelconque,  ce 
serait  remuer  l'Europe  et  déclarer  la  guerre  à  la  France.  Or,  nous  ne 
sommes  plus  en  1814,  1815,  181G  et  1S17;  on  ne  satisfait  pas  impu- 

i.  Cf.  l'Épislolaire  de  Joachi.i  Pecci,  dans  la  Jeunesse  de  Léon  XIII,  p.  285. 
2.  Cf.  les  Mémoires  d'Outre -Tombe,  l.  V,  p.  157. 


'*•«»■ 


DE   CHATEAUBRIAND   A   METTEUMCII.  175 

némcnt  sous  nos  yeux  une  ambition  avide  et  injuste.  Ainsi,  que  le  car- 
ci. nal  Alhani  ait  une  pension  du  prince  de  Metternicii  ;  qu'il  soit  le  parent 
du  duc  de  Modène,  auquel  il  prétend  laisser  une  énorme  fortune- qu'il 
trame  a«c  ce  prince  un  petit  complot  contre  l'héritier  de  la  couronne 
de  Sardaigne;  tout  cela  est  vrai,  tout  cela  aurait  été  dangereux  à  l'époque 
ou  des  Gouvcrnenients  secrets  et  absolus  laisaicnt  marcher  obscurément 
des  soldats,  derrière  une  obscure  dépèche.  Mais  aujourd'hui,  avec  des 
.ouvemements  publics,  avec  la  liberté  de  la  presse  et  de  la  parole,  avec 
le  iclegraphe  et  la  rapidité  de  toutes  les  communicalions,  avec  la  con- 
naissance des  affaires  répandue  dans  les  diverses  classes  de  la  Société 
on  est  a  1  ahri  des  tours  de  gobelet  et  des  (inesses  de  la  vieille  diplo- 
matie      On  prend  i-our  des  conspirations  ce  qui  n'est  que  le  malaise  de 
ous,  le  produit  du  siècle,  la  lutte  de  l'ancienne  société  avec  la  nouvelle 
le  combat  de  la  décrépitude  des  vieilles  institutions  contre  l'éner-ie  des 
jeunes  générations;  enfin  la  comparaison  que  chacun  fait  de  ce  nui  est 
a  ce  qui  pourrait  être.  Ne  nous  le  dissimulons  pas  :  le  grand  spectacle 
de  la  Irance  puissante,  libre  et  heureuse,  ce  grand  spectacle  qui  frappe 
les  yeux  des  nations  restées  ou  retombées  sous  le  joug,  excite  des  reorets 
ou  nourrit  des  espérances.  Le  mélange  des  gouvernements  représentatifs 
et  des  monarchies  absolues  ne  saurait  durer;  il  faut  que  les  unes  et  les 
autres  périssent,  que  la  politique  reprenne  un  égal  niveau,  ainsi  imc  du 
temps  de  1  Euroi.e  gothique.  La  douane  d'une  frontière  ne  peut  désor- 
mais séparer  la  liberté  de  l'esclavage;  un  homme  ne  peut  plus  être 
pendu  de  ce  côté-ci  d'un  ruisseau,  pour  des  principes  réputés  sacrés  de 
I  autre  cote  de  ce  même  ruisseau.  C'est  dans  ce  sens,  et  uniquement 
dans  ce  sens,  qu  ,1  y  a  comphalion  en  Italie;  c'est  dans  ce  sens  encore 
que  I  Italie  est  /,«„f „/..«.  Le  jour  où  elle  entrera  en  jouissance  des 
droits  que  son  inte  ligence  aperçoit  et  que  la   marche  progressive  du 
temps  lu,  apporte,  elle  sera  tranquille  et  purement  italienne.  Ce  ne  sont 
point  quelques  pauvres  diables  de  cavbomn,  excités  par  des  manœuvres 
de  police  et  pendus  sans  miséri.^orde,  qui  soulèveront  ce  pavs.  On  donne 
aux  Gouvernements  les   idées  les  plus   fausses  du  véritable   état  des 
choses;  on  les  empêche  de  faire  ,.e  qu'ils  devraient  faire  pour  leur 
sure.c,  en  leur  montrant  toujours  comme  les  conspirations  particulières 
d  une  pignce  de  Jacobins  ce  qui  est  l'effet  d'une  cause  permanente  et 
générale.  „  A  ces  idecs  théoriques,  qui  précèdent  ou  qui  suivent  les 
laits  pratiques  et  paraissent  plus  spécieuses  que  précises,  Joachim  Pecci 
repon,   par  la  constatation  toute  simple  et  déjà  effrayante  des  conspira- 
tions el  es-memes.  Que  les  causes  de  la  révolution  italienne  soient,  ou 
non,  telles  que  Chateaubriand  les  raisonne;  l'abîme  n'en  est  pas  moins 


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17C 


LA    PRÉLATURE    DK    LKON   X[1I 


ouvert  et  empoche  de  raisonner  plus  longuement  des  gens  que  la  réalilc 
des  faits  menace  de  pre'cipiter  a  chaque  heure  :  «  Comme  les  e'meutes 
particulières  sont,  la  plupart  du  temps,    fomentées  par  ces  mêmes 
individus  qui  ont  prémédité  et  établi  un  plan  général  de  révolte,  il 
était  facile  de  conjecturer,  par  les  soulèvements  partiels  des  provinces, 
que  quelque  mouvement  révolutionnaire  se  manifesterait  aussi  dans  la 
capitale.  Une  bande  de  scéléntls,  de  quehiue  Aiçon  qu'elle  s'y  soit  prise, 
soit  séparément,  soit  de  concert  avec  les  [)rovinces  en  révolte,  —  ce 
que  je  crois  plus  aisément,  —  s'était    imaginé    pouvoir   séduire   et 
égarer  le  peuple  de  Rome  et,  comme  cela  est  arrivé  ailleurs,  embar- 
rasser ainsi  le  Gouvernement  pontifical.   Pour  cet  infâme  complot,  on 
avait  choisi  les  derniers  jours  du  carnaval,  et  la  révolte  devait  éclater 
selon  le  plan  que  je  vais  vous  exposer.  A  la  date  fixée,  tandis  que  quel- 
ques chars  reaq)lis  de  masques  armés  de  fusils  et  de  pistolets  parcou- 
raient le  Corso,  deux  hommes  masqués  se  postaient  à  côté  de  chacun 
des  soldats  qui,  au  tem[)s  du  carnaval,  sont  échelonnés  de  distance  en 
distance,   le  long  du  Corso.  Le  moment  convenu  serait  la  seconde  dé- 
charge des  mortiers  qui  est  tirée  pour  faire  écarter  les  voitures.  A  ce 
si'mal,  les  chars  vomiraient  sur  le  Corso  une  bande  de  furieux  en  armes 
qui,  se  répandant  dans  les  rues,  contraindraient  violemment  le  peuple 
à  les  suivre  et  à  faire  avec  eux  cause  commune.  En  même  temps,  les 
masques  postés  le  long  du  Corso  poignarderaient  et  désarmeraient  les 
soldats.  Le  torrent  de  l'émeute  s'étant  grossi  de  la  sorte  à  la  faveur  de  la 
nuit,   imaginez-vous   quel  bouleversement,    quel   désordre   et   quelle 
anarchie  auraient  régné!  C'était  pour  le  moins  le  pillage  et  le  sac  des 
propriétés  privées  et,  principalement,  des  communautés  et  des  monas- 
tères. Cette  nuit  criminelle  aurait  fait  nombre  de  j)rosélytes.  liCS  bons 
citoyens,   effrayés  et  découragés,  se  seraient  bien  plus  préoct-upés  de 
sauve'^arder  leurs  personnes  et  leurs  biens,  que  de  veiller  à  la  tran(|uil- 
lilé  de  la  ville;  et  ainsi  les  rênes  du  Couvernement  seraient  probable- 
ment tombées  des  mains  du  Pape.  Conmie,  parmi  les  rebelles,    il  n'y 
avait  persoime  qui  présentât  queb|ue  crédit  aux  yeux  de  l'opinion,  on 
devait  s'emparer  du  prince  Altieri  et  l'obliger  à  souscrire  à  sa  nomi- 
nation de  Gouverneur  de  Rome....  Les  Transtévérins,  entre  autres,  et  les 
citoyens  des  Montiy  dont  les  sentiments  sont  assez  conmis,  témoignent 
beaucoup  d'enthousiasme  et  d'attachement  au  gouvernement  du  Pape. 
Quelques  ultramontains  qui,  durant  ces  jours  de  trouble,  étaient  sortis 
de  leurs  (juartiers  (soit  dans  une  intention  mauvaise,  soit  par  aventure)^| 
ont  été  reçus  à  coups  de  sifflets  et  de  j)ierres.  On  raconte  aussi  (jue,' 
samedi  matin,  tandis  que  le  Ihqie  [utssait  par  le  Transtévère  au  milieu 


Le  prince  Clémcnl  «le  Melleriiich,  en  1826.  (D'après  Fawreiice.) 


m»a 


170 


LA    l'KKLATLIU:    OK    LKON    Xlll 


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V 


ouvert  et  empêche  de  raisonner  |»Ias  longuement  des  gens  que  la  ré;dit(' 
des  faits  menaee  de  |)ri'ei|»iter  à  cha(|ue  heure  :  «  (lomrne  les  émeutes 
particulières   sont,   la  plupart  du   tem[)s,    lomentées   par  ees  mêmes 
individus  qui  ont  prémédité  et  élahli  un   plan  (je'néral  de  révolte,  il 
éliiit  larilede  eonjiH'turcr,  |»ar  les  soulèvcnuMits  partiels  des  provinees, 
(lue  quelque  mouvement  révolutionnaire  se  manifesterait  aussi  dans  la 
capitule.  Une  hande  de  scélérats,  dr  quehpie  façon  qu'elle  s'y  soit  [»rise, 
soit  séparément,  soit  de  concert  avec  les  provinces  en   révolte,  —  ce 
(|ue  je  crois  plus  aisément,  —  s'était    imaginé    pouvoir   séduire   et 
égarer  le  peuple  de  Rome  et,  comme  cela  est  arrivé  ailleurs,  emhar- 
rasser  ainsi  le  riouvcrnement  pontifical.   Tour  cet  infâme  complot,  on 
avait  choisi  les  derniers  jours  du  carnaval,  et  la  révolte  devait  éclater 
selon  le  plan  que  je  vais  vous  exposer.  A  la  date  tivée,  tandis  (pie  «piel- 
qucs  chars  remplis  de  mas<{ues  armi-s  de  fusils  et  de  pistolets  parcou- 
raient le  Corso,  deux  hommes  masiiués  se  postaient  à  côté  de  chacun 
des  soldats  «pii,  au  temps  du  carnaval,  sont  échelonnés  de  distance  en 
distance,   le  long  du  Corso.  Le  moment  convenu  serait  la  seconde  dé- 
charge des  mortiers  ([ui  est  tirée  pour  faire  écarter  les  voitures.  A  ce 
signal,  les  chars  vomiraient  sur  le  Corso  une  bande  de  furieux  en  armes 
(lui,  se  répandant  dans  les  rues,  contraindraient  violemment  le  [)eu[de 
à  les  suivre  et  à  faire  avec  eux  cause  commune.  En  mémo  temps,  les 
masques  postés  le  long  du  Corso  poignarderaient  et  désarmeraient  le> 
soldats.  Le  torrent  de  l'émeute  s'élant  grossi  de  la  sorte  à  la  faveur  de  la 
nuit,    imaginez-vous   (jucl   bouleversement,    (juel   désordre    et    (pielle 
anarchie  auraient  ri'gné!  C'était  pour  le  moins  le  pillage  et  le  sac  des 
pr<M)riétés  [>rivées  et,  principalement,  des  communautés  et  des  monas- 
tères. Cette  nuit  criminelle  aurait  fait  nombre  de  prosélytes.  Les  bous 
citoyens,    elîVayés  et  découragés,   se  seraient   bien  plus  préoccupés  de 
sauveiiai'der  leurs  i)ersonnes  et  leurs  biens,  (pie  de  veiller  à  la  tran<piil- 
lilé  de  la  ville;  et  ainsi  les  rênes  du  (iouvernement  seraient   [U-obable- 
ment  tombées  des  mains  du  Pape.  Comme,  parmi    les  rebelles,    il  n'\ 
avait  personne  (pii  présentât  (pielque  crédit  aux  \eux  de  ro[»inion,  on 
devait  s'emparer  du  prince   Altieri  et  l'obliger  à  souscrire  à  sa  noini- 
naliondeCouverneur  de  l»ome....  Les  Transtévérins,  entre  autres,  et  les 
citoveus  (le>  Monti.  dont  les  seniiments  sont  assez  connus,  témoignent 
beaucoup  d'enthousiasme  et   d'attachement  au  gouvernement  du  Pape. 
Oueltpies  uUramonlains  «pii,  durant  ces  jours  de  trouble,  étaient  sortis 
de  leurs  (niarliers  (soit  dans  une  intention  mauvaise,  soit  par  aventure), 
ont  été  reçus  à  coups  de  sifllets  et  île  pierres.  On  raconte  ;iussi  (pie, 
samedi  matin,  tandis  «pie  le  Pa[>e  passait  par  le  Transtévère  au  milieu 


\a'  |u-iiM'»!  (ilt'inciil  i\v.  McUcrnicli,  (M1  182C.  ;l)'ajnv'  I  !i\v:\m:(«'.; 


t. 


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178 


LA   PRÉLATURE   DE    LÉON    Mil. 


de  vives  acclamations,  un  piquet  de  Transtévérins  se  forma  qui   lui 

disait  : 

—  Saint-Père,  n'ayez  pas  peur  de  ces  moustachus,   de   ces  jaco- 
bins!... Nous  sommes  là!...  Saint-Père,  n'ayez  pas  peur,  ce  n'est  (fu  un 

accident!....*  » 

A  ces  arguments  positifs  de  Pecci,  Chateaubriand  finit  par  répondre 
aussi  positivement  :  «  Chacun  des  Ktals  italiens,  outre  le  travail  com- 
mun des  esprits,  est  tourmente  de  quelque  maladie  locale.  Le  Piémont 
est  livré  à  une  faction  fanatique.  Le  Milanais  est  dévoré  par  les  Autri- 
chiens. Les  domaines  du  Saint-Père  sont  ruinés  par  la  mauvaise  admi- 
nistration des  finances.  L'impôt  s'élève  à  près  de  cimpiante  millions  et 
ne  laisse  pas  au  propriétaire  un  pour  cent  de  son  revenu.  Les  douanes 
ne  rapportent  presque  rien;  la  contrebande  est  générale.  Le  prince  de 
Modène  (celui  à  qui  sa  mère  disait,  comme  conseil  suprême  :   Va  e 
fa  danef  Va  et  fais  de  l'argent!)  a  établi  dans  son  duché  des  magasins 
de  marchandises  prohibées,  lesquelles  il  fait   entrer,  la  nuit,  dans  la 
légation  de  Bologne....  C'est  l'absence  de  la  vertu  militaire  cpii  prolon- 
gera l'agonie  de  l'Italie.  Bonaparte  n'a  pas  eu  le  temps  de  faire  revivre  • 
cette  verUi  dans  la  patrie  de  Marins  et  de  César.  Les  habitudes  d'une 
vie  oisive  et  le  charme  du  climat  contribuent  encore  à  ôler  aux  Italiens 
du  midi  le  désir  de  s'agiter,  pour  être  mieux.  Les  antipatbies  nées  des^ 
divisions  territoriales  ajoutent  aux  difficultés  d'un  mouvement  intérieur; 
mais  si  quebiue  impulsion  venait  du  dehors,  ou  si  ([uelcpie  prince  en 
deçà  des  Alpes  accordait  une  charte  à  ses  sujets,  une  révolution  aurait 
ieu,  parce  que  tout  est  mûr  pour  cette  révolution.  Plus  heureux  que 
nous  et  instruits  par  notre  expérience,  les  peuples  économiseraient  les 
crimes  et  les  malheurs  dont  nous  avons  été  prodigues.  »  Si  l'histoire 
pouvait  se  conlondre  avec  la  pbilosophie  et  si  les  faits  ne  précédaient  pas 
toujours  les  doctrines  dans  l'éducation  des  peuples,  Joachim  Pecci  serait 
peut-être  répréhensible  jmur  n'avoir  pas  admis  les  déductions  de  son 
maître  avant  que,  par  inductions  successives  et  d'expérience  en  expé- 
rience, il  arrivât  à  reconnaître  que  Chateaubriand  était  un  grand  pro- 
phète des  malheurs  qu'il  ne  savait  que  prévoir,  sur  les   ruines  d'une 
monarchie  im{)0ssible  à  sauver  désormais  par  le  plus  dévoué  et  It  plus 
inutile  de  ses  serviteurs.  Telle,   Cassandre,  sur  les  ruines  de  Troie, 
annonçait,  malgré  elle,  l'irrémédiable  infortune  de   Priam,  son  vieux 
père,  —  trop  vieux,  hélas!  pour  se  reprendre  à  ime  vie  nouvelle  qui 
demandait  de  nouveaux  chefs  à  des  peuples  nouveaux. 

1.  Cf.  l'EpistoIairc  de  Joachim  Pecci,  dans  la  Jeunesse  de  Léon  XIII,  p.  3L'). 


DE   CHATEAUBIUAND   A    METTERNICII. 


179 


Un  autre  honmie  existait  heureusement,  pour  l'illusion  que  la  monar- 
cliie  conservait  encore  en  ses  futures  destinées  ;  un  homme,  qui  pouvait 
s'appeler  le  Samson  des  royautés  européennes,  pour  la  conviction  d'im- 
mortalité qu'il  professait  à  leur  égard.  C'était  un  autre  prophète  d'un 
nouvel  Israël.  Il  croirait  en  ses  rois  aussi  longtemps  qu'ils  seraient  de- 
bout, pareils  aux  plus  beaux  temples  du  monde  faits  d'ordre  indécon- 
certable  et  de  suprême  autorité.  Cet  autre  Samson,  qui  ne  s'ensevelirait 
que  sous  les  ruines  de  cette  suprême  royauté  qu'il  semblait  soutenir 
par  miracle  de  ses  deux  colossales  épaules,  vous  l'avez  nommé  :  c'est 
Metternicli,  l'irréductible  adversaire  du  libéral  Chateaubriand,  aux  yeux 
de  Joachim  Pecci,  constant  observateur  et  admirateur  passionné  de  l'un 
et  de  l'autre  de  ses  différents  maîtres. 

Chateaubriand  et  Metternich,  les  deux  faces  du  même  soleil  éclairant 
aux  deux  antipodes  le  même  point  d'histoire  :  la  politique  de  France 
s'opposant  à  la  politique  d'Autriche  pour  l'occupation  des  États  ponti- 
ficaux par  l'Étranger,  que  le  Pape,  impuissant  à  réfréner  la  révolution 
grondante  des  Bomagnes,  appelle  lui-même  dans  ses  Légations  envahies  : 
tel  est  le  thème  désormais  cher  aux  études  secrètes  de  Joachim  Pecci.  Pas 
un  mouvement  de  troupes,  que  sa  correspondance  ne  sij^nale,  et,  presque 
toujours,  avec  une  sympathie  mal  déguisée  pour  le  triomphe  de  l'Au- 
triche en  Italie.  Est-ce  par  insuffisance  d'informations,  du  côté  de  la 
France?  «  Hier,  7  courant,  on  a  affiché  un  avis  du  cardinal  Bernetti, 
qui  a  dissipé  toute  crainte  et  répandu  la  joie  et  la  jubilation  dans 
Borne.  Le  Secrétaire  d'État  y  annonce  la  marche  des  Autrichiens  sur 
les  provinces  en  révolte,  et  l'occupation  des  villes  de  Modène  et  de 
Bome  par  ces  troupes.  Le  corps  expéditionnaire,  qui  se  dirige  sur 
Bologne,  comprend  seize  mille  hommes.  Ce  chiffre  vous  donnera  à  en- 
tendre que  la  (juestion  est  résolue  et  (]ue,  sans  qu'il  soit  besoin  d'en 
venir  aux  armes,  les  provinces  révoltées  feront  promptement  leur  sou- 
mission au  Souverain  légitime.  »  La  question  résolue  est  celle  de  l'ordre. 
Et  c'est  parce  que  Metternich  se  proclame  un  homme  d'ordre,  —  «  Je 
suis  un  rocher  de  l'ordre!  »  dira-t-il  de  lui-même,  —  que  Joachim 
Pecci  est  son  partisan  et  son  admirateur.  Le  Pape  y  met  le  prix,  sans 
doute  :  «  On  ne  sait  pas  à  quelles  conditions  l'empereur  d'Autriche  a 
daigné  envoyer  ses  troupes  dans  l'État  Pontifical.  Plusieurs  versions 
circulent.  La  plus  répandue  dit  que,  grâce  k  un  concordat,  les  Tudesques 
occuperont  pendant  quatre  ans  les  provinces  en  révolte  et  que  le  gouver- 
nement du  Pape  leur  payera  la  somme  de  six  millions.  Pour  faire  face 
à  cette  dépense,  le  Governo,  comme  nous  l'apprendrons  plus  tard,  a 
vendu  ses  terres  de  Nettuno  à  la  famille  Borghèse,  au  prix  de  400  000  écus. 


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180 


LA    PRÉLATIRE    DE    LÉON   XllI. 


DE   CIlATEArBRIAND    A   MEITERNICII. 


181 


sous  la  réserve  de  pouvoir  récupérer  ce  bien-fonds  dans  un  espace  de 
vingt  années.    »  Est-ce  parce    que  Rotliscliild   s'est  refusé   de   |)rêter 
davantage  au  Pape?  «  Le  Pape  est  pris  en  dérision.  On  se  rit  du  cardinal 
Bernelti^    on  lit  et   siffle  ses  édits  en  plein   théâtre.    Ainsi   vont   les 
choses,  et  l'on  ne  prévoit  qu'uii  funeste  lendemain.  Le  Trésor  est  vide, 
épuisé.  Les  trois  millions,  que  Rothschild  a  prêtés  au  Gouvenioment  et 
que  celui-ci  a  déjà  reçus,  ne  suffiront  que  pour  trois  mois  et  appau- 
vriront l'Ktat  encore  davantage.  »  Bien  des  raisons  expliquent  la  défiance 
de  Joachim  Pecci  envers  la  France  si  mal  représentée,  alors,  en  Italie  : 
«  On  dit  et  affirme  que  le  frère  de  Louis  Bonaparte,  qui  fait  cause  com- 
mune avec  les  insurgés,  vient  de  mourir  à  Pérouse,  d'un  refroidissement 
qui  l'a  emporté  après  cin([  jours  d'alitement.    »  Et,  sur  ces  nouvelles 
fâcheuses,  le  pessimisme  antifrançais  de  notre  correspondant  d'enchérir. 
Chateaubriand  a  dtp  cédé  la  place  à  Saint-Aulaire,  sur  le  théâtre  poli- 
tique ;  c'est  comme  qui  dirait  le  soleil  dans  son  plein  midi,  remplacé  tout 
à  coup  par  un  pâle  clair  de  lune,  aux  yeux  des  spectateurs  aveuglés.  Et 
les  idées  noires  de  monter  plus  intenses,  dans  l'esprit  de  Joachim  Pecci 
épouvanté  :  «  L'État  a  perdu  sa  tranquillité,  et  l'homme  de  prudence  et 
de  conseil  prévoit  un  sinistre  et  anxieux  avenir.  Déjà,  il  semble  que  la 
rruerre  sonne  la  charge  derrière  nous.  Les  gazettes  pourront  assez  vous 
éclairer  sur  l'attitude  équivoque  des   Français.   Entre  nous,  —  et  la 
nouvelle  est  officielle,  —  la  France  par  l'intermédiaire  de  son  ambas- 
sadeur à  Rome,  M.  de  Saint-Aulaire,  a  remis,  dar.s  l'après-midi  du 
28  mars,  à  la  Secrétairerie  d'État,  une  note  que  j'ai  lue  et  dans  la([uelle 
cette  nation  proteste  contre  la  présence  des  Tudesques  en  Italie,  et  l'on 
ne  craint  pas  d'appeler  l'intervention  des   Autrichiens  une  agression 
injuste.  »  Décidément  les  sympathies  autrichiennes  de  Pecci  s'affirment 
de  mieux  en  mieux  et,  pour  les  expliquer,  il  nous  faut  essayer  avec  lui 
l'étude  qu'il  fait  de   Metternich,  comme  de  l'homme  le   plus  apte  à 
ramener  l'ordre  dans  l'Europe  bouleversée,  comme  du  diplomate  le  plus 
capable  d'ouvrir  école  d'ordre,  et  encore  d'ordre,  et  toujours  d'ordre,  au 
milieu  des  États  désemparés  par  la  tempête  révolutionnaire. 

Il  n'est  pas  de  papier  concernant  Metternich,  que  Joachim  Pecci  ne 
classe  avec  amour,  pas  de  nouvelles  de  l'homme  public  et  privé  qu'il 
n'enregistre.  Joachim  Pecci  n'eùt-il  été  qu'un  élève  du  maître  diplomate 
que  l'empereur  d'Autriche  retint  autant  qu'il  put  à  son  service,  cette 
raison  serait  suffisante  pour  nous  autoriser  à  ouvrir  ici  une  large  pa- 
renthèse sur  l'homme  qui,  sans  y  prétendre,  façonna  à  son  moule  un 
futur  homme  d'État,  de  même  taille  et  de  même  envergure.  Toutes 
les  fois  qu'on  vous  annonce  la   divulgation  des  papiers  secrets  d'un 


homme  qui  fut  célèbre,  une  mélancolie  profonde  vous  serre  l'àme, 
comme  à  la  vue  d'un  bel  et  vieil  appartement  «  à  louer  » .  Vous  avez 
éprouvé  cette  tristesse  d'anciennes  nobles  choses  mortes  qui  vont 
revivre,  un  jour  que,  lisant  l'écriteau  pendu  aux  frises  d'un  hôtel  sécu- 


f^a  roiiio  llorlense,  mère  de  Napoléon  III. 

laire  qui  cherchait  de  nouveaux  maîtres  h  ses  murs  vides,  vous  êtes 
entré  et  avez  visité  les  pièces.  Çà  et  là,  les  chambres  s'en  allaient  dans 
la  solitude  des  meubles  disparus  et  des  tableaux  décrochés.  Un  rayon  de 
soleil  pénétrant  avec  vous  là-dedans,  par  les  portes  rouvertes,  remettait 
quelque  lustre  aux  vieux  ors  des  serrures  que  les  mains  des  aïeux 
avaient  fanés,  ternis.  C'étaient,  au  milieu  des  trumeaux-pompadour  et 


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180 


LA    PUKLATIKE    UE    LÉON    MU. 


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181 


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sous  la  rôsiTVC  do  pouvoir  ri'CU[)i'ivT  re  l/u'ii-l'onds  dans  uii  espace  de 
viu<it  anuées.    ))  Est-ce  parce    ((ue   Ilollisiliild   s'est  relusé   de   prèlci- 
davaula^e  au  Pape?  «  Le  l'ape  est  pris  en  dérision.  On  se  rit  du  cardinal 
r.ernelli,    on   lit  et   sillle  ses  édits  en   plein    llu'Alre.    Ainsi    vont    les 
choses,  et  l'on  ne  iuvv(»it  ijn'u:^.  funeste  Kndeniain.  Le  Trés<»r  est  vide, 
épuisé.   Les  trois  millions,  que  Uolliscliild  a  prêtés  au  Gouvenienienl  et 
ipie  celui-ci  a  déjà  reçus,  ne  sullironl  ipie  pour  trois  nuéis  el   ap[KUi- 
vriront  l'Ktat  encore  davantai-e.  »  liien  des  raisons  ex[»li(pienl  la  dt-liance 
de  .loachini  Pecci  envers  la  France  si  mal  re|)résentée,  alors,  en  Italie  : 
((  On  dit  et  allirme  que  le  frère  de  Louis  Bonaparte,  (pii  fait  cause  com- 
mune avec  les  insurgés,  vient  de  mourir  a  IVrouse,  d'un  refroidissemeiil 
qui  l'a  enqiorlé  après  ciiKf  jours  d'alitement.    »   Et,  sur  ces    nouvelles 
fâcheuses,  le  pessimisme  antifrançais  de  notre  correspondant  d'enchérir. 
Chateauhriand  a  déjà  cédé  la  place  à  Saint-Aulaire,  sur  le  théâtre  poli- 
tique: c'est  comme  qui  dirait  le  soleil  dans  son  plein  midi,  remplacé  tout 
à  coup  par  un  pâle  clair  de  lune,  aux  yeux  des  specl;aeurs  aveuiïlés.  Et 
les  idées  noires  de  nionter  plus  intenses,  dans  l'esprit  de  Joachim  IVcci 
épouvanté  :  u  L'État  a  perdu  sa  tranijuillité,  et  l'homme  de  prudence  et 
de  conseil  prévoit  un  sinistre  et  anxieux  avenir.  Déjà,  il  sendde  (|ue  la 
«Tuerre  sonne  la  char"e  derrière  nous.  Les  gazettes  pourront  assez  vous 
éclairer  sur  l'atlitud»'   équivo(iue  des   Français.    Entre   nous,  —  et  la 
nouvelle  est  oflicielle,  —  la  France  par  l'intermédiaire  de  son  andjas- 
sadeur   à   liome,   M.    de  Saint-Aulaire,   a   remis,  dans  l'après-midi  du 
!>8  mars,  à  la  Secrétairerie  d'État,  une  note  cpie  j'ai  lue  et  dans  laquelle 
cette  nation  proteste  contre  la  présence  des  Tudesques  en  Italie,  et  1  on 
ne  craint  pas  d'api)eler  l'intervention   des   Autrichiens  une  açjrcssion 
iiiJHute.  ))  Décidément  les  sympathies  autrichiennes  de  Pecci  s'affirment 
de  mieux  en  mieux  et,  pour  les  explicpier,  il  nous  faut  essayer  avec  lui 
l'étude  (juil  fait  de    Metternich.   comme   de   l'honmie  le   plus  aple   à 
ramener  l'ordre  dans  l'Europe  houleversée,  comme  du  diplomate  le  plus 
capahle  d'ouvrir  école  d'ordre,  et  encore  d'ordre,  et  toujours  d'ordre,  au 
milieu  des  États  désemparés  par  la  tempête  révolutionnaire. 

Il  n'est  pas  de  papier  concernant  Metternich,  ([ue  Joachim  Pecci  ne 
classe  avec  amour,  pas  de  nouvelles  de  l'homme  puhlic  et  privé  (|u'il 
n'enregistre.  Joachim  Pecci  n'eùt-il  été  qu'un  élève  du  maître  di[)loinate 
que  rem|)ereur  d'Autriche  retint  autant  qu'il  put  à  son  service,  cette 
raison  serait  suffisante  pour  nous  autoriser  à  ouvrir  ici  une  large  pa- 
renthèse sur  l'homme  ipii,  sans  y  prétendre,  façonna  à  son  moule  un 
futur  homme  d'État,  de  même  taille  et  de  même  envergure.  Toutes 
les  fois  qu'on  vous  annonce   la   divulgation  des   papiers   secrets  d'un 


homme  (|ui  fut  célèbre,  une  mélancolie  profonde  vous  serre  l'àme, 
comme  à  la  vue  d'un  hel  et  vieil  appartement  d  à  louer  )).  Vous  avez 
éprouvé  celte  tristesse  d'anciennes  nohles  choses  mortes  cpii  vont 
revivre,  un  jour  que,  lisant  l'écriteau  pendu  aux  frises  d'un  hôtel  sécu- 


La  n'iin'  llorU'iisc.  iiu'ro  do  Na|>c»l('(m  ItL 

laire  qui  cherchait  de  nouveaux  maîtres  à  ses  murs  vides,  vous  êtes 
entré  et  avez  visité  les  pièces.  Çà  el  là,  les  chambres  s'en  allaient  dans 
la  solitude  des  meubles  disparus  et  des  tableaux  décrochés.  Un  rayon  de 
soleil  pénétrant  avec  vous  là-dedans,  par  les  portes  rouvertes,  remettait 
quelque  lustre  aux  vieux  ors  des  serrures  que  les  mains  des  aïeux 
avaient  fanés,  ternis.  C'étaient,  au  milieu  des  trumeaux-pompadour  et 


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LA   PRÉLATIIRE    DE   LÉO>    XIII. 


DE   CHATEAUBRIAND   A   METTERNICII 


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des  cartouches-renaissance,  des  trous  béants  où  furent  les  portraits 
des  seigneurs  et  des  dames,  et  où  ne  restait  plus  que  le  vide.  De  ces 
dorures  mortes  et  de  ces  échancrures  dans  le  néant  et  dans  la  nuit  que 
le  soleil  ravive  au  passage,  quelque  chose  comme  un  sourire  entre  des 
larmes  émanait  jusqu'à  votre  àme  triste,  sunt  lacrymœ  reruml  Et  vous 
vous  demandiez  si  cette  maison  d'ancien  temps,  en  retrouvant  aujour- 
d'hui de  nouveaux  hôtes,  réveillerait  avec  ses  échos  rajeimis  les  charmes 
morts  d'un  autre  âge.  —  Comme  ces  hôtels  d'autrefois,  les  «  Mé- 
moires »  anciens,  paraissant  de  nos  jours,  sont  des  appartements  à 
louer,  dont  l'écriteau  de  l'éditeur  cherche  les  locataires.  Le  temps 
présent,  si  différent  du  temps  passé,  les  y  invitera-t-il  et  voudra-t-on  s'y 
complaire?  Qu'ils  soient  écrits  par  des  hommes  de  guerre  et  qu'on  y 
sente  la  poudre  des  batailles,  ou  qu'ils  sortent  des  blanches  mains  de 
quelque  dame  de  salon  et  que  l'on  y  respire  la  i)Oudre  des  toilettes  ; 
poudre  pour  poudre,  que  vaudra  celle  qu'avec  ces  nouveaux  «  Mé- 
moires ))  l'intrigue  des  cours  ou  la  gloire  des  camps  aura  soulevée  un 
instant  aussi  vainement  l'une  que  l'autre,  sous  le  soleil  indilVérent  qui 
voit  monter  et  s'évanouir  vite  la  petite  et  la  grande  poussière  du  troupeau 
humain,  en  route  vers  le  néant  de  cette  chose  appelée  «  l'immortalité  » 
par  ces  mêmes  mortels  qui,  la  connaissant  le  mieux,  devraient  la  mé- 
priser davantage. 

Tels  durent  apparaître,  à  la  lecture  de  Joachim  Pecci  ravi,  les  papiers 
que  Melternich,  rival  de  Chateaubriand  en  ce  genre  de  gloire  littéraire, 
permettait  que  l'on  publiât  de  son  vivant,  avant  le  recueil  défmitif  de 
ses  «  Mémoires  posthumes'  ».  Par  une  coquetterie  vaniteuse  dont  les 
grands  hommes  eux-mêmes  se  défendent  mal,  Mettemich  aima  surtout 
à  se  raconter  par  les  femmes,  et  ce  fut  aux  peintres  les  plus  célèbres 
de  son  temps  qu'il  confia  le  soin  d'interpréter  les  pages  les  plus  gra- 
cieuses et  les  plus  intimes  de  sa  vie.  Si  vous  avez  visité  l'Exposition 
des  Cent  Chefs-d œuvre  à  la  galerie  parisienne  de  Georges  Petit, 
parmi  les  merveilleux  portraits  de  femmes  qui  vous  y  charmèrent,  vous 
en  aurez  retenu  un  dont  la  beauté  fascinatrice  et  rayonnante  semblait 
éteindre  toutes  les  grâces  d'alentour.  Sur  un  fond  bleu  d'azur  dont 
quelques  déchirures  laissaient  entrevoir  le  pays  des  étoiles,  une  figure 
s'enlevait  dans  la  rose  nacrée  de  sa  floréale  jeunesse.  Quinze  ans,  vingt 

A.  Cf.  Aus  Mettemich' 8  uaehfjelasseucn  Papieren.  Hernttsgegeben  von  devi  Sohne 
des  Staalskanders  Fûrsteu  Hichard  Metleruic/t-Winiiehoiirg,  e/r.  Yioii,  W.  IJran- 
miiller.  —  Cf.  Mémoires,  dooumonts  et  écrits  divers,  laissés  par  le  prince  de  McUer- 
nich,  publiés  par  son  fils  le  prince  Richard  de  Blellernich,  classés  et  réunis  par 
M.  A.  Kunkowslroem.  Paris,  E.  Pion,  Nourrit  et  G". 


ans,   davantage  peut-être,  quel   âge  pouvait  avoir  cette  jungfrau  que 
Lawrence  avait  peinte  à  Vienne,  en  1825,  sous  les  traits  autrichiens  œ 
la  pelite-fllle  de  Kaunitz,  ce  fameux  «  cocher  de  l'Europe  ))  que  Marie- 
Thérèse  avait  si  favorablepient  attaché  à  son  char  et,  disent  quelques- 
uns,  à   son  lit?   Dans  ce  portrait  idéal  d'où  la  vie  en  lleur  semble 
émaner,  comme  un  parfum  trop  céleste  pour  un  calice  d'ici-bas  et  ou, 
comme  à  travers  les  vases  trop  fragiles,  on  entrevoit  la  pâle  mort  des 
languissantes  poitrines  qui  va  bientôt  briser  cette  enveloppe  de  carnation 
ivoire  et  rx)se,  la  descendante  du  ministre-roi  a  déjà  appelé  l  aigle  de 
Ganymède  qui  tend  ses  ailes  et  qui  l'emportera,  dans  un  envolement 
des  frisures  évaporant  cette  adorable  tète,  et  des  gazes  légères  qui  ne 
retiennent  plus  ses  seins  nés  d'hier,  les  bras  tout  grands  ouverts  de  la 

déesse  à  son  départ. 

Ce  portrait  féerique  d'un  Gahymède  féminin  ou  d'une  divine  Hebe  est 
celui  de  la  comtesse  Éléonore  de  Kaunitz-Ueitberg,  morte  dans  sa  jeu- 
nesse et  sa  beauté,  en  1825,  l'année  même  où  elle  se  fit  peindre.  Mais, 
pour  en  deviner  toute  la  grâce,  c'est  à  côté  du  portrait  du  prince  Clé- 
ment de  Mettemich,  son  rival  en  grâce  et  son  mari  glorieux,  qu'il  faut 
le   contempler.  Vous   connaissez  peut-être  ce  deuxième  chef-d'œuvre 
de  Lawrence,   peint  vers   1850,  et  vous  n'en  aurez  jamais  vu  aucun 
autre  qui  exprimât  plus  fidèlement  à  la  fois  l'idéal  de  beauté  dont  un 
visa-e  d'homme  fut  jamais  orné  et  la  grandeur  de  caractère  dont  cet 
honmie  pût  distinguer  ce  visage.  Le  buste  haut,  les  épaules  légères, 
la  tête  oblongue  et  s'enfuyant  vers  le  front  grand  ouvert,  comme  une 
intelligence  vers  son  temple,  le  modèle  de  ce  portrait,  —  qui  vieillira 
jusqu'à  »iuatre-vingt-six  ans  et  qui  toujours  ressemblera  â  lui-même,  — 
ce  prince  (pie  la  gloire  appellera  bientôt  tout  court  Mettemich,  n'est 
encore  que  l'heureux    descendant   des    Winnebourg-zu-Beylstein.    Ses 
pères,  depuis  (|uatre  cents  ans,  électeurs  de  Trêves  et  princes  du  Saint- 
Empire,  ont  laissé  à  leur  héritier  assez  de  terres  en  Tyrol,  pour  qu  il 
n'ait  pas  le  goiit  d'en  aller  chercher  ailleurs  de  plus  grandes.  Il  a  vingt 
ans,  comme  dirait  Byron  dont  ce   portrait  est  l'identique  image.  Ses 
études  sont  achevée:  à  l'université  de  Strasbourg,  où  les  professeurs  de 
Napoléon  Bonaparte  lui  ont  appris  les  mêmes  malhématiques  et  la  même 
escrime.  Passant  par  les  salons  de  Vienne,  œmme  un  Childe  llarold  moins 
boiteux  et  plus  fascinateur  que  l'autre,  il  y  eueille  au  passage  la  plus 
suave  fleur  que  Paristocratie  autrichienne  ait  produite,  l'unit  à  la  sienne 
et,  au  ravissement  de   ceux  qui  voient   passer  ce  couple  de  parfaite 
b(>auté  et  d'idéal  amour,  il  va  aussitôt  faire  s'épanouir  leurs  deux  splen- 
deurs jumelles  aux  solitudes  protectrices  du  Rennweg. 


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LA   PRÉLATURE   DE    LÉON    XIIL 


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Ce  dut  être  durant  ce  court  passage,  de  Vienne  au  Tyrol,  que  Lawrence 
conçut  ridée  de  peindre  cette  image  révoe  du  dieu  de  l'amour,  qu'une 
volonté  su[)érieure  allait  bientôt  me'tamorphoser  en  dieu  de  la  politique. 
Mais  si,  pnr  ordre  de  l'empereur  d'Autriche,  les  portes  mystérieuses  de 
la  montagne  allaient  bientôt  se  rouvrir  et  perdre  pour  toujours  cet  amant 
du  repos  qui  ne  s'y  arrêterait  jamais  plus,  Clément  de  Metternicb 
aurait-il  à  s'en  plaindre?  Ce  meneur  d'bonmies,  aimé  des  femmes,  ne 
fleurira-t-il  pas  toute  sa  vie  entre  deux  épouses,  entre  le  regret  d'en 
avoir  si  prématurément  perdu  une  et  le  plaisir  d'en  retrouver  si  tôt  une 
autre?  Ainsi  pourtant  vivra  ce  Don  Juan  de  l'iimour  légitime,  trop  occupé 
par  les  alTaires  de  l'État,  et  négligeant  jusqu'à  la  troisième  et  dernicre 
de  ses  esclaves  qui  furent  ses  épouses  et  qui  tinrent  dévotement,  à  sa 
place,  heure  par  heure,  le  journal  de  sa  vie. 

La  princesse  Mélanie,  née  comtesse  de  Zichy-Ferraris,  semble,  de 
toutes  les  trois  dont  l'existence  fut  également  précieuse  à  Metternicb, 
celle  à  (pii  nous  devons  la  relation  la  plus  étendue  sur  les  actes  intimes 
et  publics  de  son  illustre  époux.  Aussi  fortement  subjuguée  que  les  pré- 
cédentes par  cette  irrésistible  beauté  du  visage  (|ui  reflétait  en  cet 
hmime  une  indéridable  sérénité  d'àme,  Mélanie  de  Metternicb  l'ut, 
dès  le  jour  de  ses  noces,  Lbeureuse  adoratrice  de  son  idole  et  la  con- 
templatrice attendrie  de  tous  les  actes  de  son  dieu.  Elle  écrit,  dès  la 
première  quinzaine  de  ses  noces  :  «  Aujourd'hui,  pour  la  première  fois 
depuis  mon  mariage,  j'ai  déjeuné  avec  Clément.  Il  m'a  longuement 
[)arlé  d'affaires,  m'a  initiée  à  ses  idées  et  à  ses  projets,  et  j'ai  été  sur- 
prise de  voir  jus((u'où  allait  mon  ignorance.  Je  voudrais  arriver  à  le 
comprendre  au  premier  mot,  à  pouvoir  l'aider  en  toutes  choses,  suivre 
ses  discussions,  discuter  moi-même  avec  lui;  en  un  mot,  je  voudrais 
être  plus  qu'une  fenmie  aimante,  —  ce  qui,  en  vérité,  est  un  métier 
trop  facile.  »  Et,  plus  loin  :  «  (ilément  travaille  beaucoup.  J'ai  été  un 
mojnent  [)rès  de  lui,  et,  si  je  pouvais  en  faire  à  ma  volonté,  je  resterais 
toujours  appuyée  sur  son  é[)aule,  pour  voir  comment  il  écrit  ses  dépê- 
ches ;  car  c'est  un  spectacle  aussi  intéressant  que  curieux.  Le  soir,  il  a 
parlé  d'une  manière  très  attrayante  des  événements  du  jour,  et  il  a  con- 
tinué la  conversation  lorsque  nous  sommes  reslcs  seuls.  Cet  homme  est 
admirable.  Dieu  veuille  le  conserver  pour  le  monde.  »  Dans  le  cabinet  du 
grand  homme  d'Etat  où,  en  ^851,  la  douce  princesse  veut  cpi'une  grûce 
particulière  de  Dieu  l'ait  fait  entrer  plutôt  que  son  droit  strict  d'épouse, 
Mélanie  se  met  aussitôt  en  présence  des  volumineux  papiers  de  Metter- 
nic!i  qu'il  fimt  classer,  réunir  en  volumes  et  laisser  eih trésor  à  l'histoire. 
«  Y  pcnsez-vo:!s?  lui  répond  Frédéric  de  Gentz  qu'elle  appelle  à  son 


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(le  dut  ètro  (liinuit  ce  court  pnssa^^e,  do  Vioiuie  ;iu  Tyrol,  que  Lawrence 
courut  ridi'e  de  |>cindre  celte  image  revee  du  dieu  de  l'amour,  qu'une 
volonté  supérieure  alLiil  bientôt  métamorphoser  en  dieu  de  la  politi(pie. 
Mais  si,  par  ordre  de  l'empereur  d'Autriche,  les  portes  mystérieuses  de 
la  montagne  allaient  bientôt  se  rouvrir  et  [)erdre  pour  toujours  cet  amant 
du  repos  qui  ne  s'y  arrêterait  jamais  plus,  (llémcnt  de  Metternich 
aurait-il  à  s'en  plaindre?  Ce  meneur  d'IuMimies,  aimé  des  l'emmes,  ne 
llcurira-t-il  pas  toute  sa  vie  entre  deux  épouses,  entre  le  regret  iVri\ 
avoir  si  prématurément  perdu  une  et  le  plaisir  d'en  retrouver  si  lot  nue 
autre?  Ainsi  ponriant  vivra  ce  Don  Juan  de  l'amoui"  légitime,  trop  occupé 
par  les  alVaires  de  l'Ktal,  et  négligeant  juscpi'à  la  troisième  et  dernière 
de  ses  esclaves  «pii  l'urenl  ses  épouses  et  qui  tinrent  dévotement,  à  sa 
place,  b(Mire  par  benre,  le*  journal  de  sa  vii'. 

La  princesse  Mélanie,  née  comtesse  de  /icliy-l'erraris,  semble,  de 
toutes  les  trois  dont  l'existence  fut  également  précieuse  à  Melternicb. 
celle  à  (pii  nous  devons  la  relation  la  plus  étendue  sur  les  actes  inlime> 
et  publics  de  son  illustre  époux.  Aussi  lortement  subjuguée  que  les  pré- 
cédentes par  celle  irrésistible  beauté  du  visage  cpii  rellelait  en  ce! 
b  )nnne  une  indéridable  sérénité  d'àmc,  Mélanie  de  Metternich  lut, 
dès  le  jom*  de  ses  noces,  l'heureuse  adoratrice  de  son  idoli'  el  la  con- 
lenq)latrice  attendrie  de  tous  les  actes  de  son  dieu.  Klle  écrit,  dès  la 
première  cpiinzaine  de  ses  noces  :  <(  Aujourd'hui,  pour  la  première  lois 
depuis  mon  mariage,  j'ai  déjeuné  avec  ('dément.  Il  m'a  longuemeni 
|)arlé  d'alï'aires,  m'a  initiée  à  ses  idées  et  à  ses  projets,  et  j'ai  été  sur- 
prise de  voir  jusqu'où  allait  mon  ignorance.  Je  voudrais  arriver  a  le 
conq»rendre  au  premier  mot,  à  pouvoir  l'aider  en  toutes  choses,  suivre 
ses  discussions,  discuter  moi-même  avec  lui;  en  un  mol,  je  voudrais 
être  plus  «[u'une  l'eunne  aimante,  —  ce  qui,  en  vérité,  est  un  mélier 
tro[)  facile.  »  Kt,  ()his  loin  :  «  (Jément  travaille  beaucoup.  J'ai  été  un 
moment  près  de  lui,  et,  si  je  pouvais  en  faire  à  ma  V(donté,  je  resterais 
toujours  appuyée  sur  son  épaule,  pour  voir  connnent  il  écrit  ses  dépè- 
ches; car  c'est  un  spectacle  aussi  intéressant  «pie  curieux.  Le  soir,  il  a 
parlé  d'une  manière  très  attrayante  des  événements  <lu  jour,  et  il  a  con- 
tinué la  conversation  lors(pie  nous  sommes  restés  seuls.  Cet  honnm'  est 
admirable.  Dieu  veuille  le  conserver  pcuir  le  monde.  »  Dans  le  cabinet  du 
grand  homme  d'Klal  où,  en  18,11,  la  douce  princesse  veut  «pi'une  grâce 
particulière  de  Dieu  l'ait  1;hI  entrer  plutôt  que  son  droit  strict  d'épouse, 
Mélanie  se  met  aussitôt  en  [)résence  des  volumineux  papiers  de  Mcller- 
nicîi  (pi'il  faut  classer,  réunir  en  volumes  cl  laisser  eih  trésor  à  Ihistoire. 
«   V  pensez-vous?  lui  répond  Trédéric  de  (ientz  <iu'elle  appelle  à  son 


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DE    ClIATEAUBRIAiND    A   METTERMCII.  185 

aide.  Mais  il  faudrait  y  dépenser  toute  une  vie.  »  Ce  sera  donc  Ja 
sienne  que  la  princesse,  heure  par  heure,  y  emploiera.  Et  la  voici, 
ouvrant  les  paperasses  des  premières  années  de  la  vie  politique  du 
pnnce  et,  des  notes  précieuses  qu'elle  y  relève,  complétant  le  précieux 
jounial  qu'elle  nous  laissera  dans  la  suite.  Sans  jalousie,  sans  om- 
brage, elle  remonte  à  l'année  1800  où  l'empereur  François  enviant  la 


Gciitz  (Jcan-Frédéric). 

reliaile  des  jeunes  amoureux.  Clément  et  Éléonore,  perdus  au  fond  de 
leur  paisible  manoir  du  Tjrol,  avait  dit  à  Metternich  : 

—  Vous  vivez,  comme  je  serais  heureux  de  vivre  à  votre  place.  Tenez- 
vous  a  ma  disposition.  C'est  tout  ce  que  je  vous  demande,  pour  le 
moment.  ' 

Ce  moment  fut  de  courte  durée.  Napoléon  commençait  à  s'ariter 
jusqu  a  Vienne,  et  il  fallait  lui  trouver  enfin  „n  homme  à  oui  ileùt 
sérieusement  affaire.  Metternich,  choisi  par  son  Souverain  pour  devenir 
cet  homme,  écrit  sur-le-champ  ses  principes  pi>litiques  avec  les  lignes 
suivantes  <,ui  dessinent,  aux  premiers  pas,  la  route  droite  qu'il  suivra 
...nexiblemcnt  jusqu'au  bout  de  sa  longue  carrière  :  «  Ce  qui  caractérise 


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186 


LA   PRÉLATUUE    DE    LÉON   XIll. 


le  monde  moderne-,  ce  qui  le  distingue  essentiellement  du  monde 
ancien,  c'est  la  tendance  des  États  à  se  rapprocher  les  uns  des  autres, 
et  à  former  une  sorte  de  corps  social  reposant  sur  la  même  base  que 
la  grande  société  humaine  qui  s'est  formée  au  sein  du  (Jiristianisme. 
Cette  base  n'est  autre  que  le  précepte  formulé  p;ir  le  Livre  par 
excellence  :  «  Ne  fais  pas  à  autrui  ce  que  tu  ne  veux  pas  qu'on  te 
«  fasse  ».  Appliquée  à  l'Étiit,  celte  règle  fondamentale  de  toute  société 
humaine  s'appelle  réciprocité.  Dans  la  pratique,  elle  <létermine  ce 
que  dans  le  langage  de  la  diplomatie  on  nomme  les  bons  procèdes 
ou,  en  d'autres  termes,  la  prévenance  récipro<jue  et  l'honnêteté  dans 
les  rapports.  Dans  le  monde  ancien,  la  politique  se  renfermait  dans 
l'isolement  et  pratiquait  l'égoïsme  le  plus  absolu,  sans  autre  frein 
que  la  prudence  humaine.  La  loi  du  talion  élevait  des  barrières  éter- 
nelles et  provoquait  d'éternelles  inimitiés,  entre  les  diflérentes  asso- 
ciations :  à  chaque  page  de  l'histoire  ancienne  se  retrouve  la  réci- 
procité du  mal  qu'on  se  faisait.  La  société  mcxlerne,  au  contraire, 
nous  montre  l'application  du  principe  de  la  solidarité  et  de  l'équilibre, 
entre  les  États,  et  nous  otfre  le  spectacle  des  efforts  réunis  de  plu- 
sieurs États  pour  s'opposer  à  la  prépondérance  d'un  seul,  pour 
arrêter  le  progrès  de  son  influence  et  le  forcer  de  rentrer  dans  le 
droit  commun.  Le  rétablissement  des  ra[»ports  internationaux  sur  la 
base  de  la  réciprocité,  sous  la  garantie  de  la  reconnaissance  des  droits 
acquis  et  du  respect  de  la  foi  jurée,  constitue  de  nos  jours  l'essence 
de  la  politique  dont  la  diplomatie  n'est  que  l'application  journalière. 
Entre  les  deux,  il  y  a,  selon  moi,  la  même  différence  qu'entre  la 
science  et  Vart.  »  De  ces  principes  préliminaires  à  la  formule  géné- 
rale, la  force  dans  le  droit,  dont  Metternich  résumera  plus  tard  tout 
son  système  de  politique  impérative  et  consciencieuse,  il  n'y  aura  que 
quelques  pas  àfiûre.  Et  aussitôt,  sans  ambition  ni  répugnance,  dès  1803, 
l'heureux  seigneur  du  paisible  Rennweg  s'est  mis  en  route.  Il  semble 
qu'une  Providence  d'élection  le  conduit,  comme  par  la  main,  de  Vienne 
à  Dresde  et  de  Dresde  à  Saint-Pétersbourg,  pour  lui  apprendre,  avant 
de  le  diriger  sur  Paris,  quelle  est  cette  Allemagne  dangereuse  dont  il 
faudra  vouer  les  ambitions  aux  armes  répressives  de  la  France,  et  (|uelle 
est  cette  Russie  dont  l'alliance  désirable  sera  le  palladium  de  l'Autriche. 
Une  fois  ce  double  plan  bien  conçu  auquel  Metternich  rapportera  tous 
les  actes  de  sa  vie  politique  avec  une  admirable  suite  d'idées  et  une 
parfaite  rectitude  de  conscience,  il  part  en  1805  pour  Paris,  à  l'heure 
où,  l'empereur  d'Autriche  ne  jugeant  pas  utile  de  s'allier  à  l'empereur 
des  Français  aussi  longtemps  que  Frédéric  de  Prusse  arrêterait  à  sa 


DE   CnATEAFBRIANO    A   METTERNICH. 


187 


frontière  les  armées  victorieuses  de  Napoléon,  ce  fut  tout  à  coup  sur 
Vienne  que  ce  dernier  décida  de  diriger  ses  aigles  : 

—  Monsieur  d'Alopeus!  put  dire  Metternich  déjà  triomphant  à  l'am- 
bassadeur de  Russie,  le  soir  où  celui-ci  cherchait  aux  pieds  de  son  secré- 
taire la  lettre  que  lui  envoyait  son  Souverain  et  qui  lui  avait  glissé  dans 
la  manche  :  cette  lettre  providentielle,  la  voici.  Répondez  au  Tsar  que 
l'alliance  austro-russe  est  faite.  Je  cours  à  Paris,  amuser  Napoléon 
sur  Féchiquier  où  je  dérangerai  quelques  pions,  pour  donner  aux  mains 
de  François  et  d'Alexandre  le  temps  de  s'unir  à  la  frontière  de  leurs 
empires,  menacés  aussi  périlleusemenl  l'un  que  l'autre. 

—  Trop  tard.  Monsieur  de  Metternich!  put  répondre  Napoléon  en 
voyant  arriver  l'ambassadeur  d'Autriche,  à  l'heure  même  où  subrepti- 
cement l'Empereur  ordonnait  à  Murât  et  à  Lannes  de  fra^^chir  la  Prusse 
par  Anspach  et  d'aller  prendre  leurs  quartiers  d'hiver  aux  environs  de 
Vienne  :  trop  tard.  Je  ne  joue  plus! 

L'Empereur  joua  bien,  quehjuesmois  encore,  mais  non  plus  aux  échecs. 
Ici  vient  une  histoire  que  les  Metternich  n'ont  pas  consignée  dans  leur 
Journal  et  dont  ils  ont,  d'ailleurs,  depuis,  pris  leur  revanche.  Avant 
son  départ  de  Vienne,  on  avait  dit  au  nouveau  plénipolenli;iire  qu€,  dans 
Paris,  quand  les  hommes  ne  parlent  plus,  c'est  le  moment  de  faire  cau- 
ser les  femmes.  Metternich,  trop  honnête  pour  réussir  à  ce  jeu,  pensa 
faire  un  chef-d'œuvre  d'une  intrigue  banale  et  n'en  tira  qu'une  plaisante 
histoire,  dont  il  paya  tous  les  frais.  Napoléon  avait  pour  confident  secret 
M.  Regnault,  président  de  la  section  de  l'Intérieur  au  Conseil  d'EUU;  et 
M.  Regnault  avait  pour  confidente  plus  secrète  encore  Augustine  X..., 
danseuse  ordinaire  de  l'Opéra.  Savoir  que  la  belle  habitait  rue  de  la 
Michodière,  n'était  pas  chose  si  malaisée  ;  et,  sur  le  conseil  de  la  Cour 
d'Autriche,  par  un  bel  après-midi  où  le  jaloux  Regnault  sommeillait 
au  Conseil  sur  sa  bonne  conscience,  le  galant  Metternich  fit  monter  à 
son  cœur  deux  étages,  —  le  premier  demeurant  bien  réservé  à  la  prin- 
cesse Éléonorc.  — et  déposa  celui-ci,  lourd  de  la  bourse  qu'il  supportait, 
aux  pieds  de  la  divette.  Ainsi  l'hommage  monétaire  du  galant  homme 
serait  entretenu  jusqu'à  la  somme  totale  de  quatorze  mille  francs  que 
l'empereur  d'xVutriche  garantissait  sur  sa  bonne  renommée  de  payeur, 
à  une  seule  condition  :  —  «  Laquelle?...  repartit  la  minette.  —  Que 
M.  Regnault  n'en  saura  rien.  —  A  Dieu  ne  plaise!  »  ajouta-t-elle.  0  for- 
tune! le  secrétaire  de  Napoléon  était  suborné  en  la  personne  de  sa  maî- 
tresse, et  Dalila  allait  Uvrer  les  pensées  de  Samson....  «  Surtout, 
continua  M.  Regnault  qui  sut  l'histoire  avant  le  souverain  d'Autriche 
qui  la  payait,  garde-toi  bien,  ma  fille,  de  fermer  ta  main  droite.  Moi,  je 


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186 


LA   PRÉLATURt:    DE    LÉON   XIU. 


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le   monde   moderne,  ce  qui   le    dislingue   essentiellement    du    monde 
ancien,  c'est  la  tendance  des  États  à  se  rapprocher  les  uns  des  autres, 
et  à  former  une  sorte  de  corps  social  reposant  sur  la  même  base  (pie 
la  grande  société  humaine  qui  s'est  formée  au  sein  du  (Christianisme. 
Cette  base    n'est  autre    que    le   précepte   formulé   par   le   Livre    par 
excellence  :  «  Ne  fais  pas  à  autrui  ce  que  tu  ne  veux   pas  qu'on  te 
«  fasse  ».  Appliquée  à  l'ÉUit,  cette  règle  fondamenUde  de  toute  société 
humaine   s'appelle  réciprocité.    Dans   la  pratique,  elle  détermine   ce 
que  dans  le  langage  de   la  diplomatie  on  nomme  les   bons  procèdes 
ou,  en  d'autres  termes,  la  prévenance  récipro<|ue  et  l'honnêteté  dans 
les   rapports.   Dans  le  monde  ancien,  la  politique  se  renfermait  dans 
l'isolement  et  pratiquait  Tégoïsme  le  plus   absolu,    sans    autre   frein 
que  la  prudence  humaine.  La  loi  du  talion  élevait  des  barrières  éter- 
nelles et  provoquait  d'éternelles  inimitiés,    entre  les  diflérentos   asso- 
ciations   :  à  chaque  page  de  l'histoire  ancienne  se  retrouve  la  réci- 
procité du  mal  qu'on  se    faisait.  La  société  moderne,  au    contraire, 
nous  montre  l'application  du  principe  de  la  solidarité  et  de  l'équilibre, 
entre   les  États,  et  nous   ofl're  le  spectacle  des  efforts  réunis  de  plu- 
sieurs   États    pour    s'op|)Oser    à    la    prépondérance    d'un   seul,    pour 
arrêter  le  progrès  de   son    inlluence  et  le  forcer   de  rentrer  dans   le. 
droit  commun.  Le   rétablissement  des   rapports  internationaux  sur  la 
base  de  la  réciprocité,  sous  la  garantie  de  la  reconnaissance  des  droits 
acquis  et  du  respect  de  la  foi  jurée,  constitue  de  nos  jours  l'essence 
de  la  politique  dont  la  diplomatie  n'est  que  l'application  journalière. 
Entre  les   deux,  il  y  a,    selon  moi,  la  même  différence  qu'entre  la 
science  et  Yarl.  »  De  ces  principes  préliminaires  à  la  fornmle  géné- 
rale, la  force  dans  le  droit,  dont  Metternich  résumera  plus  tard  tout 
son  système  de  politique  impérative  et  consciencieuse,  il  n'y  aura  que 
quelques  pas  à  fîûre.  Et  aussitôt,  sans  ambition  ni  répugnance,  dès  1805, 
l'heureux  seigneur  du  paisible  Uennweg  s'est  mis  en  route.  11  semble 
qu'une  Providence  d'élection  le  conduit,  comme  par  la  main,  de  Vienne 
à  Dresde  et  de  Dresde  à  Saint-Pétersbourg,  pour  lui  apprendre,  avant 
de  le  diriger  sur  Paris,  quelle  est  cette  Allemagne  dangereuse  dont  il 
faudra  vouer  les  ambitions  aux  armes  répressives  de  la  France,  et  quelle 
est  cette  Russie  dont  l'alliance  désirable  sera  le  palladium  de  l'Autriche. 
Une  fois  ce  double  plan  bien  conçu  auquel  Metternich  rapportera  tous 
les  actes  de  sa  vie  politicjue  avec  une  admirable  suite  d'idées  et  une 
parfaite  rectitude  de  conscience,  il  part  en  1805  pour  Paris,  à  l'heure 
où,  l'empereur  d'Autriche  ne  jugeant  pas  utile  de  s'allier  à  l'empereur 
des  Français  aussi  longtemps  que  Frédéric  de   Prusse  arrêterait  à  sa 


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DE   CHATEAIBRIAND    A   METTERMCIL 


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l'ronticrc  les  armées  victorieuses  de  Napoléon,  ce  fut  tout  à  coup  sur 
Vienne  que  ce  dernier  décida  de  diriger  ses  aigles  : 

—  Monsieur  d'Alopeus!  put  dire  Metternich  déjà  triomphant  à  l'am- 
bassadeur de  Russie,  le  soir  où  celui-ci  cherchait  aux  pieds  de  son  secré- 
taire la  lettre  que  lui  envoyait  son  Souverain  et  qui  lui  avait  glissé  dans 
la  manche  :  cette  lettre  providentielle,  la  voici.  Répondez  au  Tsar  que 
l'alliance  austro-russe  est  faite.  Je  cours  à  Paris,  amuser  Napoléon 
sur  l'échiquier  où  je  dérangerai  quelques  pions,  pour  donner  aux  mains 
de  François  et  d'Alexandre  le  temps  de  s'unir  à  la  frontière  de  leurs 
empires,  menacés  aussi  périlleusement  l'un  que  l'autre. 

—  Trop  tard,  Monsieur  de  Metternich!  put  répondre  Napoléon  en 
voyant  arriver  l'ambassadeur  d'Autriche,  à  l'heure  même  où  subrepti- 
cement l'Empereur  ordonnait  à  Murât  et  à  Lannes  de  fra»ichir  la  Prusse 
par  Anspach  et  d'aller  prendre  leurs  quartiers  d'hiver  aux  environs  de 
Vienne  ;  trop  tard.  Je  ne  joue  plus! 

L'Empereur  joua  bien,  quehjues  mois  encore,  mais  non  plus  aux  échecs. 
Ici  vient  une  histoire  que  les  Metternich  n'ont  pas  consignée  dans  leur 
Journal  et  dont  ils  ont,  d'ailleurs,  depuis,  pris  leur  revanche.  Avant 
son  départ  de  Vienne,  on  avait  dit  au  nouveau  plénipolenli;iire  que,  dans 
Paris,  quand  les  hommes  ne  parlent  plus,  c'est  le  moment  de  faire  cau- 
ser les  femmes.  Metternich,  trop  honnête  pour  réussir  à  ce  jeu,  pensa 
faire  un  chef-d'œuvre  d'une  intrigue  banale  et  n'en  tira  qu'une  plaisante 
histoire,  dont  il  paya  tous  les  frais.  Napoléon  avait  pour  confident  secret 
M.  Regnault,  président  de  la  section  de  l'Intérieur  au  Conseil  d'E>t:U;  et 
M.  Regnault  avait  pour  confidente  plus  secrète  encore  Augustine  X..., 
danseuse  ordinaire  de  l'Opéra.  Savoir  que  la  belle  habitait  rue  de  la 
Michodière,  n'était  pas  chose  si  malaisée;  et,  sur  le  conseil  de  la  Cour 
d'Autriche,  par  un  bel  après-midi  où  le  jaloux  Regnault  sommeillait 
au  Conseil  sur  sa  bonne  conscience,  le  galant  Metternich  fit  monter  à 
son  cœur  deux  étages,  —  le  premier  demeurant  bien  réservé  à  la  prin- 
cesse Éléonore,  —  et  déposa  celui-ci,  lourd  de  la  bourse  qu'il  supportait, 
aux  pieds  de  la  divette.  Ainsi  l'hommage  monétaire  du  galant  homme 
serait  entretenu  jusqu'à  la  somme  totale  de  quatorze  mille  francs  que 
l'empereur  d'Autriche  garantissait  sur  sa  bonne  renommée  de  payeur, 
à  une  seule  condition  :  —  «  Laquelle?...  repartit  la  minette.  —  Que 
M.  Regnault  n'en  saura  rien.  —  A  Dieu  ne  plaise!  »  ajouta-t-elle.  0  for- 
tune! le  secrétaire  de  Napoléon  était  suborné  en  la  personne  de  sa  maî- 
tresse, et  Dalila  allait  livrer  les  pensées  de  Samson....  «  Surtout, 
continua  M.  Regnault  qui  sut  l'histoire  avant  le  souverain  d'Autriche 
(|ui  la  payait,  garde-toi  bien,  ma  fille,  de  fermer  la  main  droite.  Moi,  je 


188 


LA   rRÉLATURE    DE   LÉON    XllL 


mettrai  dans  ta  gauche  les  quelques  petites  économies  que  ta  sagesse 
m'aura  permis  de  faire,  en  attendant.  »  Et  recommandant  l'éloquence  a 
Auguslinc,  ce  fut  alors  qu'il  ne  ménagea  plus  à  la  soubrette  les  secrets 

du  Conseil. 

On  triomphait  déjà  apparemment  à  Vienne  lorsque  Napoléon,  las  de 
rire,  fit  appeler  M.  de  Metternich  et  lui  apprit  ce  qu'Augustine  ne  lui 
avait  pas  révélé  :  à  savoir  que  l'ambassadeur  d'Autriche  n'avait  plus 
qu'à  rentrer  à  Vienne,  pas  assez  tôt  cependant  pour  empêcher  les  régi- 
ments de  Masséna  d'y  arriver  avant  lui.  Faut-il  donner  à  cette  histoire  le 
même  crédit  qu'à  celle  du  vase  de  Sèvres  que  Napoléon  aurait  brisé  aux 
pieds  de  Metternich,  en  disant  qu'il  briserait  l'Autriche  semblablement? 
On  ne  trouve,  dans  les  papiers  des  Metternich,  pas  plus  trace  du  vase  de 
Sèvres  que  de  l'histoire  d'Augustine.  Au  demeurant,  si  celle-ci  est  vraie, 
une  autre  femme,  —  une  autre  Metternich,  sous  un  autre  Najioléon,  — 
s'est  chargée,  on  le  sait,  d'en  prendre  amplement  la  revanche. 

Mais,  bien  avant  les  intrigues  de  Pauline  Sandor  à  la  cour  de  Napo- 
léon 111,  les  brusques  lendemains  d'Austerlitz  et  d'iéna,  qui  conduisirent 
Napoléon  ^"^  jusqu'à  Moscou  et  jusqu'à  sa  perte  finale,  donnèrent  à 
Metternich  des  représailles  faciles.  L'ambassadeur  joué  n'écrit-il  pas, 
après  ces  dates  :  «  Selon  moi,  la  victoire  d'iéna  marque  l'apothéose  de 
Napoléon.  Si,  au  lieu  de  vouloir  anéantir  la  Prusse,  il  avait  borné  son 
ambition  à  affaiblir  cette  Puissance  et  à  la  liiire  entrer  ainsi  réduite  à 
la  Confédération  du  Rhin,  il  aurait  pu  donner  une  base  solide  et 
durable  à  l'édilice  immense  qu'il  était  parvenu  à  élever.  C'est  ce  que 
la  paix  de  Tilsilt  ne  put  faire.  » 

Et,  plus  loin  :  «  La  carrière  parcourue  par  Napoléon,  en  si  peu  de 
temps,  avait  ébloui  bien  des  observateurs  et  ne  leur  avait  pas  laissé  le 
loisir  de  peser  froidement,  impartialement,  les  conditions  sur  les- 
quelles reposait  son  existence.  J'entrepris  cette  tâche  avec  amour, 
convaincu  que  l'analyse  de  ce  produit  personnifié  de  la  Révolution 
m'éclairerait  nécessairement  sur  la  manière  dont  cet  homme,  parti  de 
si  bas,  avait  pu  s'élever  si  haut.  »  Et  encore  :  «  Au  fond.  Napoléon 
ne  songeait,  ni  à  la  Porte,  ni  à  l'Asie;  et  si  la  haine  qu'il  avait  vouée 
à  l'Angleterre  lui  suggéra  un  moment  l'idée  de  l'attaquer  dans  ses 
possessions  asiatiques,  ce  projet  n'exista  que  comme  une  éventualité 
subordonnée  à  la  réunion  de  circonstances  difficiles  à  prévoir.  Na|)oléoii 
s'occupait  plutôt  de  compléter  son  système  continental  et  de  chasser 
les  Rourbons  du  trône  d'Espagne.   » 

Enfin  la  date  où  le  patient  Metternich  eut  la  mesure  entière  de  sa 
vengeance  après  le  mariage  de  l'archiduchesse  d'Autriche  qu'il  avait 


DE    CHATEAUBRIAND   A    METTERNICH. 


180 


. 


consenti,  ce  fut  celle  du  20  juin  1815  oh  eut  lieu  l'entrevue  de  Dresde 
entre  l'empereur  battu  et  le  ministre  triomphant.  Metternich  la  raconte, 
telle  qu'elle  se  passa  au  palais  Marcolini  :  «  Napoléon  m'attendait 
debout,  au  milieu  de  son  cabinet,  l'épée  au  côté,  le  chapeau  sous  le 
bras.  Il  s'avança  vers  moi,  avec  un  calme  afïecté,  et  me  demanda  des 
nouvelles  de  la  santé  de  l'Empereur.  Bientôt  ses  traits  s'assombrirent 
et,  se  plaçant  devant  moi,  il  me  parla  en  ces  termes  :  «  Ainsi,  vous 
((  voulez  la  guerre?  C'est  bien  :  vous  l'aurez!  J'ai  anéanti  l'armée  prus- 
«  sienne,  à  Lutzen.  J'ai  battu  les  Russes,  à  Raûtzen.  Vous  voulez  avoir 
«  votre  tour?  Je  vous  donne  rendez-vous  à  Vienne.  Les  hommes  sont 
t  incorrigibles,  les  leçons  de  l'expérience  sont  perdues  pour  eux.  Trois 
((  fois,  j'ai  rétabli  l'empereur  François  sur  son  trône;  j'ai  épousé  sa 
«  fille.  Je  me  disais  alors  :  tu  fais  une  folie!  Mais  elle  est  faite.  Je  la 
«  regrette  aujourd'hui....  »  Ce  préambule  me  fit  sentir  mieux  encore 
combien  ma  situation  était  forte.  A  ce  moment  décisif,  je  me  regardai 
comme  le  représentant  de  la  société  européenne  tout  entière.  Le  dirai- 
je?  Napoléon  me  parut  petit.... 

«  —  Vous  n'êtes  pas  soldat,  me  dit-il  rudement,  et  vous  ne  savez 
((  pas  ce  qui  se  passe  dans  l'àme  d'un  soldat.  J'ai  grandi  sur  les  champs 
«  de  bataille,  et  un  homme  comme  moi  se  soucie  peu  de  la  vie  d'un 
<(  million  d'hommes.  »  En  disant,  ou  plutôt  en  criant  ces  mots,  il  jeta 
dans  un  coin  du  salon  le  chapeau  que,  jusqu'alors,  il  avait  tenu  à  la 
main.  Je  restai  calme,  m'appuyai  contre  une  console  entre  les  deux 
fenêtres;  et,  profondément  ému  de  ce  que  je  venais  d'entendre,  je  lui 
((  dis  :  —  ((  Pourquoi  vous  adressez-vous  à  moi?  Pourquoi  me  faire, 
((  entre  quatre  murs,  une  pareille  déclaration?  Ouvrons  les  portes,  et 
«  puissent  vos  paroles  retentir  d'un  bout  de  la  France  à  l'autre.  Ce  n'est 
((  pas  la  cause  que  je  représente  qui  y  perdra.  » 

«  Napoléon  se  remit  k  se  promener  avec  moi,  dans  le  salon.  Au 
second  tour,  il  ramassa  son  chapeau.  En  même  temps,  il  en  vint  à 
reparler  de  son  mariage  :  —  «  Oui,  dit-il,  j'ai  fait  une  bien  grande 
a  sottise,  en  épousant  une  archiduchesse  d'Autriche.  J'ai  voulu  unir  le 
<(  présent  au  passé,  les  préjugés  gothiques  et  les  institutions  de  mon 
«  siècle.  Je  me  suis  trompé,  et  je  sens  aujourd'hui  toute  l'étendue  de 
«  mon  erreur.  Cela  me  coûtera  peut-être  mon  trône,  mais  j'ensevelirai 
((  le  monde  sous  ses  ruines  »  Il  avait  dit  précédemment  :  —  «  Vos 
((  Souverains,  nés  sur  le  trône,  peuvent  se  laisser  battre  vingt  fois  et 
({  rentrer  toujours  dans  leurs  capitales.  Moi,  je  ne  le  puis  pas,  parce 
((  que  je  suis  un  soldat  parvenu.  Ma  domination  ne  survivra  pas  au  jour 
«  où  j'aurai  cessé  d'être  fort  et,  par  conséquent,  d'être  craint....   )) 


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190 


LA    PRÉLATURE    DE    LÉON   XIII. 


Comme  l'entrevue  prenait  fin  :  —  «  Eh  Lien!  reprit  Napoléon  en  me 
«  frappant  sur  l'épaule,  savez-vous  ce  (|ui  arrivera?  Vous  ne  me  ferez 
«  pas  la  guerre.  —  Vous  êtes  perdu,  Sire!  m'écriai-je  vivement.  J'en 
«  avais  le  pressentiment  en  venant  ici.  Maintenant  que  je  m'en  vais,  j'en 
«  ai  la  certitude.  » 

Cette  partie  du  Journal  est  navrante  pour  toute  ame  française  (jui,  se 
rai^pelant  l'acculade  elfra vante  contre  la  hutte  de  Waterloo  et  la  finale 
dans  le  sang  de  l'épopée  géante  qui  avait  aussi  commencé  dans  le  sang, 
préfère  à  l'histoire  des  conquêtes  inutiles  celle  des  victoires  moins 
bruyantes  dont  on  fait  de  plus  profitables  réserves,  et  compare  ces 
impétueux  capitaines  cpie  Ta  monstrueuse  comète  sur  la  queue  enllamméc 
de  laquelle  ils  chevauchent  se  charge  d'engloulir  dans  les  feux  mêmes 
de  sa  tourbillonnante  volute,  à  ces  diplomates  tranquilles  qui  siègent 
sur  leur  conscience  et  non  sur  la  chimère  et  qui  attendent  patiemment 
qaun  lendemain  meilleur  se  lève  sur  leur  malheureuse  patrie  abîmée 
—  non  sans  espoir  —  dans  les  ténèbres  et  les  ruines  que,  de  son  ombre 
et  de  son  tourbillon,  cette  comète  égarée  dans  l'espace  leur  a  faites. 

Vei-s  cette  fin  du  premier  Empire,  oii  Napoléon  n'est  plus  traîné  de 
Fontainebleau  à  l'île  d'Elbe,  et  de  l'île  d'Elbe  à  Paris,  que  par  une  aile 
battante  de  l'aigle  impériale  mortellement  blessée;  alors  cpie  Mellernich  a 
fini  par  accoupler  l'oiseau  d'Autriche  portant  deux  tètes  et  deux  couronnes 
à  celui  de  Russie,  dont  les  serres  doubles  portent  la  foudre;  les  cahiers 
du  chancelier  satisfait  passent  avec  une  sobriété  qui  les  honore  la 
revue  de  ce  (jui  reste  encore,  à  Paris,  des  gloires  survivantes.  Camba- 
cérès  est  «  l'homme  dans  les  talents  administratifs  du(|uel  Napoléon 
avait  le  plus  de  confiance  ».  Eouché  devient  «  le  contraste  parfait  de 
((  Talleyrand  »,  et  Talleyrand  «  une  intelligence  hors  ligne  ».  Sur 
celui-ci,  Metternich  ajoute  :  «  Je  l'ai  vu  d'assez  près,  pour  l'étudier 
à  fond  et  reconnaître  (ju'il  était  fait  pour  détruire,  plus  encore  (|ue  pour 
conserver.  Empêcher  de  faire  quebjue  chose  de  définitif,  tel  était  le 
grand  talent  de  cet  homme  d'État.  «  Je  m'adresse  à  lui,  disait  Napoléon, 
quand  je  ne  veux  pas  faire  une  chose,  en  ayant  l'air  de  la  vouloir.  »  Ces 
quelques  lignes  de  Metternich  sur  Talleyrand  pourront  servir  de  texte 
à  l'argumentation  solide  des  historiens  qui,  par  le  contraste  de  deux 
natures  si  dissemblables,  voudront  reconnaître  les  bienfaits  dont  la  droi- 
ture de  l'un  fit  part  à  sa  patrie,  et  les  désastres  que  la  sinuosité  de 
l'autre  sut  préparer  à  la  sienne. 

Une  chose  frappera  surtout  la  critique,  quand  elle  op[>osera  les  dons 
diplomatiques  et  les  actes  politiques  de  ces  deux  hommes  :  à  savoir,  la 
divergence  de  leurs  vues  sur  les  mêmes  questions,  qui  mit  une  telle 


DE   CUATEAl'BRIAND   A   METTERNICH. 


191 


, 


différence  dans  leurs  conclusions  que  celles  de  Metternich  l'élèvent 
indiscutablement,  tandis  que  celles  de  Talleyrand  le  rabaissent.  Après 
les  pa[)iers  du  chancelier  autrichien,  nous  avons  lu  ceux  du  plénipo- 
tentiaire de  France;  et  qu'avons-nous  appris  sur  la  question  des  alliances 
(jui,  depuis  le  Congrès  de  Vienne,  est  devenue  la  question  vitale  des 
États?  —  Au  point  de  vue  oii  Metternich  s'est  placé,  dès  l'origine,  et  où 
il  est  resté  ferme  jusqu'à  la  fin  de  sa  carrière,  une  seule  alliance  était 
profitable  à  l'Autriche  :  celle  de  la  Russie.  —  Pour  le  bien  de  la  France, 
que  l'extension  de  l'Allemagne  menaçait  tout  autant  que  l'Autriche, 
quelle  alliance  bizarre  était-elle  rêvée  par  le  caprice  de  Talleyrand  qui 
employa,  à  l'obtenir,  la  faible  constance  dont  il  était  capable?  Le  croirait- 
on?  l'alliance  autrichienne! 

—  Mais  elle  vous  perdra  !  eut  la  franchise  de  lui  répondre  un  Autri- 
chien de  premier  ordre.  Vos  intérêts  sont  ailleurs.  Cherchez.  Vous 
trouverez. 

Talleyrand  chercha,  certes  ;  et  il  nous  dit,  dans  son  étude  sur  M.  le  Duc 
(le  Choiseul,  ce  qu'il  trouva.  La  Prusse,  dont  il  devinait  pour  la  France 
des  dangers  qu'il  ne  sut  pas  conjurer,  «  est,  écrit-il,  géographiquement 
une  puissance  si  mal  constituée  qu'elle  ne  peut  point  ne  pas  être 
déj)endante.  Avec  une  assez  grande  étendue  de  côtes,  sans  pouvoir 
créer  une  marine  militaire,  attendu  que  ses  revenus  bornés  ne  suf- 
fisent qu'à  grand'peine  à  l'entretien  de  ses  armées  de  terre,  elle  sera 
toujours,  à  cet  égard,  à  la  merci  de  PAngleterre  qui  peut  en  un  instant 
ruiner  tout  son  commerce.  Obligée  de  tenir  ses  forces  disséminées 
sur  une  bande  longue  et  étroite,  elle  sera  toujours  dépendante  de 
la  Russie  qui  peut  envahir  le  duché  de  Posen  et  la  Silésie  avant 
([u'une  arnïée  prussienne  ait  été  réunie.  »  En  vérité,  pour  tant  occuper 
l'esprit  de  Talleyrand  et  de  Napoléon  lui-même,  la  faible  Prusse  de  1808 
méritait  bien  de  devenir  la  Prusse  de  1870.  Le  danger  pour  la  France 
autant  que  pour  l'Autriche,  ajoutait  Metternich,  n'est  pas  dans  celte 
minuscule  Prusse  que  personne,  —  Napoléon  à  part,  —  ne  songe  d'at- 
taquer. Il  est  dans  cette  Prusse  grandissante  qui,  au  nord,  va  naturel- 
lement servir  de  tête  à  ce  géant  invincible  et  h  cette  hydre  affamée  par 
sa  misère  même  qui  s'appelle  la  Confédération  Germanique  et  qui  vous 
terrassera  à  la  fin,  vous  et  nous,  si  nous  ne  l'empêchons  de  lier  entre 
eux  ses  membres  disparates.  Trois  gardiennes  géographiques  sont 
ap[>elées,  par  la  situation  de  leurs  frontières,  à  veiller  au  sommeil  du 
géant  dont  les  membres  sont  étendus  de  toute  part  :  la  France,  l'Au- 
triche et  la  Russie. 

La  Russie?...   plaisante  Talleyrand,  «  on  n'a   su  voir  en  elle  qu'un 


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LA   PRÉLATLRK   DE   LÉON   XIII. 


[)ays  qui,  par  son  étendue  et  ses  immenses  déserts  et  par  la  rigueur 
de  son  climat,  est  à  l'abri  de  toute  invasion  et  a  sur  les  autres  d'incal- 
culables avantages;  que,  n'ayant  rien  à  faire  pour  la  défense,  il  peut 
réunir  tous  ses  efforts  pour  l'attaque;  que  le  peuple  encore  tout 
barbare  qui  l'habite,  joignant  un  courage  féroce  à  une  grossièreté 
d'organe  qui  en  double  la  force,  une  soumission  absolue  à  une 
obéissance  passive,  n'ayant  que  des  besoins  peu  nombreux  et  qui  ne 
dépassent  point  les  bornes  du  nécessaire  le  plus  strict,  est,  entre  les 
mains  de  son  gouvernement,  un  instrument  aussi  facile  à  manier 
(ju'il  est  formidable.  »  Et  inscrivant  ironicfuement  au  compte  des 
philosopîies  du  xvm'^  siècle  le  crédit  (jue  leur  fit  Catherine  11  et  son 
empire,  il  ajoute  :  «  La  France  et  la  Hussie  n'ont  toujours  aucun 
intérêt  commun;  tous  ceux  qui  les  divisaient  autrefois  doivent  les 
diviser  désormais,  s'il  est  possible,  encore  davantage.  Et  si,  contre 
tous  les  conseils  de  la  prudence,  il  pouvait  arriver  un  jour  que  la 
France  recherchât  une  seconde  fois  cette  alliance,  l'effet  inévitable  et 
immédiat  qu'elle  aurait,  serait  de  produire  un  rapprochement  intime 
entre  l'Autriche  et  la  Prusse....  Un  rapprocbement  aux  dépens  de  la 
France  ne  manquerait  pas  de  s'opérer  entre  les  trois  Puissances  du 
Nord,  et  l'on  verrait  une  répétition  des  événements  de  1815  et  181  i, 
et  probablement  avec  des  conséquences  encore  plus  fâcheuses  ». 

Pour  si  subtil  et  si  retors  qu'on  soit,  on  suit  malaisément  l'argumen- 
tation incohérente  du  mystificateur  de  Valençay  ;  on  en  constate  surtout 
le  décousu  quand  l'acrobate,  rompant  sa  corde  et  son  pourpoint,  tombe 
dans  cette  conclusion  bien  inattendue  :  que  la  France,  s'alliant  à  la 
Russie,  favoriserait  aussitôt  la  jonction  de  l'Autriche  à  l'Allemagne. 
C'est  précisément  ce  que  la  France  eût  évité,  en  s'alliant  en  même 
temps  alors  à  la  Russie  et  à  l'Autriche,  contre  les  États  Germa- 
niques, perpétuelle  menace  des  trois  Puissances  (jui  les  entourent  et 
qui  les  eussent  maintenus,  ainsi  unies  k  trois,  dans  l'impossibilité  de 
se  nuire. 

Par  un  engouement  bizarre,  que  ne  suggéraient  pourtant  pas  les 
tristes  conséquences  de  la  guerre  de  Sept  Ans  et  les  compromissions 
fâcheuses  des  cabinets  de  Paris  et  de  Vienne,  mais  par  un  besoin  de 
comprendre  l'histoire  autrement  que  Richelieu  et  peut-être  aussi  pour 
le  malin  plaisir  de  comparer  la  taille  de  l'ex-évêque  d'Autun  à  celle  de 
l'ex-évêque  de  Luçon,  ce  fut,  à  l'exclusion  de  toute  autre,  l'alliance 
autrichienne  que  Talleyrand  prôna  :  a  Tout  bien  considéré,  je  ne  vois 
que  la  France  et  l'Autricbe  qui  puissent  former  une  "alliance  dans  le 
but   que  j'ai  indiqué.  Leur  étendue,  leur  puissance,  leurs  richesses, 


\.o  )niiicc  Clémi'iil  (le  MottiTiiicli,  en  1848. 


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pays  (]ui,  par  son  étendue  et  ses  immenses  déserts  et  par  la  ripfueur 
de  son  climat,  est  à  l'abri  de  toute  invasion  et  a  sur  les  autres  dinial- 
eulahles  avantages:  que,  n'ayant  rien  à  l'aire  pour  la  défense,  il  peul 
réunir  tous  ses  elï'orts  pour  l'allaipie;  (jue  le  pi'U|de  encore  tout 
liarbare  qui  Tliabite,  joignant  un  courage  léroce  à  une  grossièreté 
d'organe  qui  en  double  la  force,  une  soumission  absolue  à  une 
obéissance  passive,  n'ayant  que  des  besoins  |>eu  nombreux  cl  (jui  no 
dépassent  point  les  bornes  du  nécessaire  le  plus  strict,  est,  entre  les 
mains  de  son  gouvernement,  un  instrument  aussi  facile  à  manier 
qu'il  est  formidable.  »  VA  inscrivant  ironi«|uement  au  compte  ties 
pliilosop!]es  du  xvni^  siècle  le  crédit  que  leur  lit  Catlierine  11  et  s«»n 
empire,  il  ajoute  :  «  La  France  et  la  lUissie  n'ont  toujours  aucun 
intérêt  connnun;  tous  ceux  (|ui  les  divisaient  autrefois  doivent  les 
diviser  désormais,  s'il  est  possible,  encore  davantage.  Kt  si,  contre 
tous  les  conseils  de  la  prudence,  il  pouvait  arriver  un  jour  «pie  la 
France  rechercbàt  une  seconde  fois  cette  alliance,  lelVet  inévitable  et 
immédiat  qu'elle  aurait,  serait  de  produire  un  rapprocliement  intime 
entre  l'Autricbe  et  la  Prusse....  Un  rapprochement  aux  dépens  de  la 
France  ne  mampierait  pas  de  s'opérer  entre  les  trois  Tuissances  du 
Nord,  et  l'on  verrait  une  répétition  des  événements  de  181."»  et  ISii, 
et  probablement  avec  des  conséquences  encore  plus  lâcheuses  ». 

Pour  si  subtil  et  si  retors  qu'on  soit,  on  suit  malaisément  l'argumen- 
tation incohérente  du  mystificateur  de  Valençay;  on  en  constate  surtout 
le  décousu  (piand  l'acrobate,  rompant  sa  corde  et  son  pourpoint,  tombe 
dans  cette  conclusion  bien  inattendue  :  que  la  France,  s'alliant  à  la 
Russie,  favoriserait  aussilcH  la  jonction  de  l'Autriche  à  l'Allemagne. 
C'est  précisément  ce  «[ue  la  France  eut  évité,  en  s'alliant  en  même 
temps  alors  à  la  Russie  et  à  l'Autriche,  contre  les  Flats  Germa- 
ni([ues,  j»erpétuelle  menace  des  trois  Puissances  «pii  les  entourent  et 
qui  les  eussent  maintenus,  ainsi  unies  à  trois,  dans  rinq)ossibilité  de 
se  nuire. 

Par  un  engouement  bizarre,  que  ne  suggéraient  pourtant  pas  les 
tristes  conséquences  de  la  guerre  de  Sept  Ans  et  les  com[)romissions 
fâcheuses  des  cabinets  de  Paris  et  de  Vienne,  mais  par  un  hesoin  de 
comprendre  l'histoire  autrement  «pie  Richelieu  et  peut-être  aussi  ])our 
le  malin  plaisir  de  conq>arer  la  taille  de  rex-évé«|ue  d'Autun  à  celle  de 
rex-évê(|ue  de  Luçon,  ce  fut,  à  l'exclusion  de  toute  autre,  l'alliance 
autrichienne  que  Talleyrand  [>rôna  :  «  Tout  bien  considéré,  je  ne  vois 
que  la  France  et  l'Autriche  qui  puissent  former  une  "alliance  dans  le 
but    que  j'ai  indiqué.  Leur  étendue,   leur  puissance,  leurs  richesses, 


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LA    PRÉLATLRE    DK    LKON    MM. 


sont  telles  qu'elles  n'ont  ri«?n  à  envier  a  personne,  rien  à  désirer  que 
de  conserver  ce  qu'elles  |>ossèdent.  Elles  ont  la  force  nécessaire  pour 
maintenir  par  leur  accord  tout  en  repos  autour  d'elles.  Les  plus 
fortes  puissances  du  centre  de  Tturope,  elles  seraient  aussi  les  plus 
fortes  de  l'Europe  entière,  si  depuis  un  siècle  il  ne  s'en  était  élevé 
une  au  nord,  dont  les  effrayants  et  rapides  pro-rès  doivent  faire 
craindre  que  tant  d'envaliissements,  par  lesquels  elle  s'est  déjà 
signalée,  ne  soient  encore  que  le  prélude  d'envahissements  toujours 
croissants,  qui  (iniront  i.ar  tout  engloutir.  » 

Le  principal  contraste  (pii  oppose  Metternich  a  Talleyrand,  et  la  gran- 
deur d'àme  de  l'un  à  la  pusillanimité  de  l'autre,  consiste  en  ce  que, 
tous  deux  envisageant  le  même  danger  du  coté  de  la  Prusse,  le  chan- 
celier autrichien  le  conjura  toute  sa  vie  |)ar  de  durahles  amitiés  avec  la 
Rjssle  (les  affaires  de  Sadowa  ne  devant  survenir  qu'après  sa  morl); 
tandis  que  le  plénipotentiaire  inconstant  de  l'Empire  coiime  de  la  I\es- 
tauration,  et  de  Charles  X  connue  de  Louis-Philippe,  le  laissa,  dans 
l'isolement  des  alliances  stahles  que  son  jahot  flottant  déconcertait, 
grandir  et  croître  jusqu'à  cet  amoncellement  de  images  derrière  lesquels 
1  Allemagne  unifiée  se  cachait  et  n'apparut  à  la  France  surprise  que  dar.s 
le  ciniue  formidahle  de  Sedan  où,  en  1870,  la  forte  partie  enfin  jouée 

dut  se  perdre. 

Mais,  loin  de  ces  tumultes  d'em[)ires  qui  se  hàtissent  sur  les  champs 
de  hataille  et  tout  à  coup  se  ruinent  dans  un  Congres,  il  convient  de 
rentrer  dans  le  cahinet  plus  calme  du  prince  de  Metternich  et  d'ohserver, 
sur  les  papiers  qui  manjuent  la  vie  si  droite  de  cet  hjmme  et  dont  la 
princesse  son  épouse  veut  hien  nous  tourner  elle-même  les  pages,  de 
quelle  rectitude  lut  faite  cette  vie  dont  la  devise  était  : 

La  force  dans  le  droit. 

On  dit  que  les  hergers,  en  Corse,  n'ont,  pour  tout  vêtement,  qu'une 
veste  taillée  dans  la  toison  et  dans  la  peau  d'une  hrebis,  et  que,  deux  fois 
par  an,  en  été  et  en  hiver,  cpiand  ils  retournent  la  toison  à  i'envers  de  la 
peau  ou  la  peau  à  l'envers  de  la  toison,  ils  se  contentent  d'ajouter  avec 
un  air  très  satisfait  de  ce  sommaire  rechange  : 

—  B3nedeita  la  pulizûa!  0  hïanlicuvmsc  propreté! 

De  combien  d'hommes  d'État  n'en  dirait-on  pas  autant,  si  l'on  voulait 
retourner  leur  habit!  Et  c'est  cette  belle  tenue  de  l'homme  du  foyer  qui 
charme,  en  Metternich,  autant  ([ue  celle  de  l'homme  du  forum  en 
impoaa.  Il  semble  que  ce  seigneur  de  race,  né  pur  plaire,  n'entra 
aux  aifii-es  que  pour  commander    par   hasard;   et   que,    le   Congrès 


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DE   CIIATEAl  lUtlA.M)    A    MKTTKIIMCII. 


105 


de  Vienne  —  son  œuvre  et  son  chef-d'œuvre  —  l'ayant  fait  pour  la 
vie  le  monarque  des  ambassadeurs,  il  n'eut  pas  de  plaisir  plus  vif  que 
celui  de  retourner  vile  auprès  de  sa  jeune  famille  et  de  continuer 
jusqu'à  sa  mort  son  règne  en  gouvernant,  de  préférence,  avec  une 
galanterie  d'idéal  gentilhomme,  ses  femmes  et  les  enfants  qu'il  eut 
d'elles. 

C'est  la  troisième  de  celles-ci  qui  nous  initie,  dans  son  Journal,  à 
la  vie  intime  de  son  époux  et  de  son  dieu.  Elle  est  digne  de  tout 
éloge,  par  l'attention  qu'elle  met  à  hériter  du  passé  de  ses  rivales 
dont  les  mémoires  ressuscitées  eussent  pu  lui  paraître  cruelles. 
Pour  la  princesse  Mélanie,  les  épouses  précédentes  de  Metternich  sont 
devenues  ses  sœurs;  les  enfants  des  autres  lits,  ses  fils  propres.  Elle 
recherche  avec  amour,  dans  les  papiers  du  prince,  les  dates  et  les  faits 
oîi  tressaillit  son  àme,  le  jour  où  le  peintre  Lawrence  lui  présenta 
le  portrait  d(^  la  princesse  Éléonore,  celui  oîi  la  charmante  déesse 
Iriompîia  de  toute  la  Cour  à  un  bal,  celui  où  il  la  déposa  au  tombeau 
vi\  un  rayom^^ment  de  dernière  et  inoubliable  beauté.  Et  puis,  ce 
fut  aussi  le  tour  de  sa  fillette  Marie,  à  clore  pour  toujours  ses  veux 
de  fée  «  que  Lawrence  regrettera  de  ne  plus  pouvoir  peindre  »  ;  Marie, 
celte  image  naïve  de  l'ingénuité  qui,  ne  comprenant  pas  qu'on  la 
trouvât  si  belle  (juand  on  se  retournait  à  son  passage,  disait  au  prince, 
son  père  : 

—  Il  faut  (jue  ces  gens  n'aient  jamais  vu  un  chapeau  comme  le 
mien  ! 

Ce  père  et  cet  époux  au  veuvage,  ne  pouvant  plus  vivre  dans  la  soli- 
tude de  son  foyer,  remit,  l'année  suivante,  à  ses  genoux  une  deuxième 
femme  qui  adorerait  lidole,  aussi  pieusement  (|ue  la  première.  Moins 
longtemps  qu'elle,  hélas!  En  1829,  la  comtesse  Antoinette  de  Beylstein 
en  mourant  laissa  encore  le  prince  à  sa  solitude  et  à  son  déses- 
poir :  «  Je  comprends  votre  sentiment  de  peine,  comme  si  vous  n'étiez 
pas  mon  fils,  vou^  qui  êtes  l'ami  né  de  ma  vie,  »  répond-il  aux  con- 
doléances de  S3n  aîné.  Pour  chercher  une  cojisolation  m  'illeure,  il  se 
tourne  vers  le  petit  hichard  dont  la  naissance  a  occasionné  la  mort  de 
sa  mère  :  a  Le  petit  Dichard  se  porte  très  bien.  Il  est  fort,  robuste  «t 
très  laid;  ce  qui  me  donno  l'espoir  qu'il  ne  le  sera  plus,  quand  il 
sera  grand.  Il  ne  ressemble  à  personne  qu'à  lui-même.  La  seule 
ressemblance  qu'il  ait  avec  sa  pauvre  mère,  ce  sont  les  mains.  »  En 
s'exprimant  ainsi  sur  les  mains  de  son  fils,  le  prince  était  parlemen- 
taire. Ne  dit-on  pas  j)lus  vulgairement,  en  cette  circonstince,  (pie  c'est 
par  les  (ùeds  que  tel  fils  accuserait,  encore  (jui'  de  loin,  un  vague  air  de 


f  : 


il 


,96  LA   PRÉLATIRE   DE   I.ÉOX   XHI- 

hmillc?  Le  prince  Richard  de  Mellcrnich,  en  j  mettant  le  temps,  n-«rri- 
vera  pas  mL  h  autant  de  distinction  et  d'intelligence  que  son  père; 
et  ceiu  qui  ont  fréquenté  le  bel  ambassadeur,  dans  les  salons  de  Impc^ 
ratrice  Eugénie  ou  chez  lui,  riront  complaisamment  à  cette  sa.lhc  du 
vicu^  chancelier  dAutriche,  jaloux  peut-être  de  son  contmuateur  poh- 

tiiiue  en  France.  .         .        •     ,  •    -, 

Cependant,  près  de  ce  laideron  au  berceau,  le  prmce  s  ennuie  et  ecn 
J,  son  amie  la  comtesse  de  Zichj-Fcrraris  qu'il  ny  tient  i^us  et  qu  .1 
veut  se  remarier.  L'amie  ne  cherche  pas    plus  lo.n  qu  autour  d  elle. 


Le  prince  Hichard  de  Melleriiicli. 

et,  Jephtc  féminin,  elle  envoie  aussitôt  sa  fille  pleurer  sa  liberté,  no., 
plus  comme  celle  du  Juge  d'Israël  sur  les  hauteurs  du  Galaad,  mais 
dans  les  solitudes  du  Johannisberg,  ou,  vers  18W.  Mettern.cl.  sent  -lue 
l'acculent  les  révolutions  contenues  jusqu'alors  par  sa  mam  de  1er,  qui 
pèse,  toute  seule,  sur  la  carte  d'Europe  tout  entière.  Le  Journal  de  la 
princesse  devient  encore  plus  intéressant,  vers  cette  époque;  et  on  en  lira 
'melques  extraits  avec  l'intérêt  qu'ils  comportent,  malgré  la  rapidité  des 
citations  empruntée  aux  événements  qui  se   multiplient  et  se  preci- 

'"  Ks  l'année  1847,  la  princesse  a  deviné  l'orage -qui,  de  la  France  et 
de  rilalie.  va  éclater  sur  l'Autriche  et  emporter  dans  sa  tempête  l'aul- 


l)K   CHATEAUBRIAND   A  METTERNICH. 


107 


TÏté  de  Metternicli  :  «  On  vend  en  pleine  rue  de  Rome  des  poignards, 
■dont  le  manche  est  formé  de  la  tiare  avec  les  armes  pontificales  et  cette 
léaende  :     Viva  Pio  Nono!...   «  Clément  est  admirable.  La  crainte 
n'a  pas  de  prise  sur  lui,  mais  il  est  parfois  très  agité....  Depuis  que  je 
vis  à  ses  côtés,  je  tremble  de  voir  venir  le  moment  où  il  sera  fatigué  du 
fardeau  qui  l'accable,  delà  vie,  en  un  mot  »....  «  A  di\  heures  du  soir, 
pendant  qu'on  se  battait  sur  les  glacis  de  Vienne,  j'appris  que  l'on  com- 
mençait à  faire  des  concessions,  et  que  la  première  concession  accordée 
était  la  chute  de  mon  mari.  Au  premier  moment,  je  regardais  la  chose 
comme  impossible.  Mourir,  oui,  mais  avec  gloire!  Faire  des  concessions, 
<'ela  me  paraît  trop  misérable.  »  Et  enfin,  le  12  mars  1848  :  «  Je  n'ai 
Jamais  fait  grand  cas  des  hommes,  mais  j'avoue  que  je  ne  me  les  étais^ 
pas  figurés  aussi  vils.  De  même  que  les  rats  abandonnent  un  navire  «fui 
sombre,    de   même    nous   avons  été  fuis  par  une  foule  d'amis  égarés 
|>ar  la  peur....  Tout  le  monde  avait  perdu  la  tête  (malheureusement  on 
lie  peut  pas  perdre  ce  qu'on  n'a  pas).  Clément  est  resté  calme  et  résigné. 
J'ai  taché  de  le  paraître  aussi,  mais  mon  cœur  se  brisait.   »  On  sait  la 
suite,  la  (in  de  l'histoire  :  les  concessions  demandées  par  le  j)arti  lihérrl 
^le  Vienne  à  l'homme  qui  s'était  défini  lui-mcme  «  un  tempérament  histch- 
rlqucy  antipathique  à  tout  ce  qui  tient  du  roman,  ))  et  (|ui,ne  oomp re- 
liant pas  qu'on  puisse  bâtir  un  gouvernement  républicain  sur  les  bases 
d'un   gouvernement  monarchique,  aima  mieux  prendre  congé  de  son 
Empereur  et  quitter  les  affaires  pour  n'y  plus  revenir.  Alors  ce  furent 
Jes  voyages  de  l'exil  où,  Antigone  dévouée  à  son  Œdipe  qui  ne  voyait  plus 
rien  au  monde,  hors  la  diplomatie  dont  les  révolutions  lui  refusaient  la 
ronduile,  la  princesse  Mélanie,  de  ville  en  ville  et  d'hôtel  en  hôtel,  mena 
•son  dieu  déchu.  A  Bruxelles,  à  Ostende,  à  Carlsbad,  on  ralluma  pour  un 
tenq)s  la  lampe  du  foyer.  Des  confidences  plus  intimes  s'échangèrent, 
H-nlre  les  hommes  qu'ils  avaient  vus;  et  Metternich,  qui,  ((  ayant  fait  de 
l'histoire,  n'avait  pas   eu  le  temps  d'en  écrire,  »  dictait,  par  passe- 
temps,  à  son  épouse,  quelques  phrases  qui  serviraient  plus  tard  à  une 
ivdaction  moins  imparfaite. 

Sur  M.  Thiers,  elle  dit  :  «  Mon  mari  a  passé  la  matinée  avec 
M.  Thiers,  qui  l'a  consulté  un  peu  tardivement  au  sujet  de  son  Histoire 
(lu  Consulat  et  de  l'Empire.  Ce  livre  contient  déjà  tant  d'erreurs,  que 
îes  conseils  me  paraissent  inutiles.  M.  Thiers  a  trouvé  à  la  Cour  un 
.jiccucil  des  plus  empressés.  On  a  donné  en  son  honneur,  à  Hœcken,  un 
grand  dîner  auquel  il  est  arrivé  trop  tard  et  dans  une  tenue  qui  n'était 
pas  correcte.  Il  avait  une  cravate  noire  et  un  pantalon  gris.  Tout  le 
inonde  a  été  choqué. 


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fanille''  l.c  prince  Richard  de  Melternicl.,  en  v  ...citant  le  len.ps  ..-arri- 
«..-a  ,.as  ...«'..s  r.  autant  de  distinction  et  d'intelligence  que  son  |.ere; 
et  cenx  ..ni  ont  rré-incnlé  le  l.el  an.bassadenr,  .lans  les  salons  de  In-l-c- 
r-arice  l':uRé..ie  on  d.e/,  lui,  riront  cou.i.laisan.n.ent  î.  cette  sa.ll.e  ... 
vieux  eha.reelicr  d-A..t.iehe.  jalon,  pcut-èh^e  de  so..  conlin..aleur  |.ol.- 

tici.ie  en  F.-a..ce.  .         .  . 

Ce,.e..dant.  près  de  ce  lai.leron  au  berceau,  le  pr...ce  sennu.eet  e.r. 
;,  J  au..e  la  con.tesse  de  Zicl.y-Fcrraris  .lu'il  n'y  lient  pins  et  .,..  .1 
v,„,  .c  rcnarier.  I/aïuie  ne  cl.ercl.e  pas    pl..s  loin  .p.  a..tonr  d  elle. 


I,,'  |>nin»'  llkliiinl  tir  Mi-IUtiikIi. 

a  J.uhlé  le.ni.iin,  elle  envcu.  aussitôt  sa  lille  pleurer  sa  libertr,  n(>.r 
plus  connue  eelle  du  Ju^e  d'Israël  sur  les  hauteurs  du  Galaad,  mais 
dans  les  solitudes  du  Johanuisber-s  où,  vers  iSid,  Metlernuh  sent  4"^; 
l'acculent  les  révolutions  contenues  jus.iu'alors  par  sa  niani  de  ier,  qm 
PÎ.SC,  toute  seule,  sur  la  carte  d'Kurope  tout  entière.  Le  Journal  de  la 
princesse  devient  encore  plus  intéressant,  vers  cette  époque;  cl  on  en  lira 
Inieluuos  extraits  avec  l'intérêt  cju'ils  comportent,  nial^^ré  la  rapidité  des 
citations  empruntée  aux  événements   qui   se    multiplient  et  se  preci- 

^**  d"s  l'année   lHi7,  la  princesse  a  deviné  l'orage 4iui,  de  la   France  et 
de  rilalie,  va  éclater  sur  l'Autriche  et  enq.orler  dans  sa  tempête  1  auto- 


l)K    CllATKALBlUAxM)    A    METTKU.MCH. 


lia 


rite  de  Metternich  :  «  On  vend  en  jdeine  rue  de  Home  des  poignards, 
dont  le  manche  est  formé  de  la  tiare  avec  les  armes  pontificales  et  cette 
légende   :     Vira    Pio  Nnno!...    «   Clément  est  admirable.  La  crainte 
n'a  pas  de  prise  sur  lui.  mais  il  est  parfois  très  agité....  Depuis  que  je 
vis  à  ses  colés,  je  ir('mi)le  de  voir  venir  le  moment  où  il  sera  fatigué  du 
iardeau  (jui  l'accable,  delà  vie,  en  un  mot  »....  «  A  dix  heures  du  soir, 
pi'iidant  ([u'on  se  battait  sur  les  glacis  de  Vieinie,  j'appris  que  l'on  com- 
ancnçait  à  faire  des  concessions,  et  que  la  première  concession  accordé^ 
élail  la  chute  de  mon  mari.  Au  premier  moment,  je  regardais  la  cho<e 
comme  inqiossible.  Mourir,  oui,  mais  avec  gloire!  Faire  des  concession^, 
4ela  me  paraît  trop  misérable.  »  Lt  enfin,  le  i^l  mars  1848  :  «  Je  n'ai 
jamais  fait  grand  cas  des  hommes,  mais  j'avoue  (pie  je  ne  me  les  étais 
pas  figurés  aussi  vils.  De  même  que  les  rats  abandonnent  un  navire  qui 
sombre,    de    mémo    nous    avons  élé  fuis  par  une  foule  d'amis  égarés 
(par  la  peur....  Tout  le  monde  avait  perdu  la  tète  (malheureusement  on 
ne  peut  pas  perdre  ce  qu'on  n'a  pas).  Clément  est  resté  calme  et  résigné. 
J'ai  lâché  de  le  paraître  aussi,  mais  mon  cœur  se  brisail.   »  On  sait   la 
suite,  la  fin  de  l'histoire:  les  concessions  demandées  }>ar  le  parti  libérrl 
^le  Vienne  à  l'homme  (jui  s'était  défini  lui-même  «  un  tempérament  hi:<to- 
rique^  antipathi(|ue  à  tout  ce  (jui  tient  du  roman.  ))  «'t  qui, ne  .)onq)r(- 
.naut  pas  ipi'on  puisse  bâtir  un  gouvernement  républicain  sur  les  bases 
d'un   gouvernement  monarcbicjue,  aima  mieux  prendre  congé  de  son 
Kmpereur  et  (piitler  les  affaires  pour  n'y  plus  revenir.  Alors  ce  furent 
les  voyages  de  l'exil  où,  Antigone  dévouée  à  son  Œdipe  cpii  ne  voyait  plus 
rien  au  monde,  hors  la  diplomatie  dont  les  révolutions  lui  refusaient  la 
conduite,  la  princesse  Mélanie,  de  ville  en  ville  et  d'hôtel  en  hôtel,  mena 
•sou  dieu  déchu.  A  llruxelles,  à  Ostende,  à  Carlsbad,  on  ralluma  pour  un 
l(  inps  la  lampe  du  foyer.  Des  confidences  [dus  intimes  s'(*changèrent, 
•eutre  les  hommes  «pi'ils  avaient  vus;  et  Melternieh.  (pii,  ((  ayant  fait  de 
riiisloire,  n'avait  |)as    eu  le  temps  d'en  écrire,  »  dictait,  par  passe- 
•temps,  à  sop  épouse,  qu«'l(pies  phrases  qui  serviraient  [dus  tard  à  une 
rédaction  moins  imparfaite. 

Sur  M.  Thiers,  elle  dit  :  k  Mon  mari  a  i)assé  la  matinée  avec 
M.  ïhiers,  qui  l'a  consulté  un  pou  tardivement  au  sujet  de  son  Histoire 
(lu  Omsulal  et  de  l'Empiri'.  Ce  livre  contient  déjà  tant  d'erreurs,  que 
les  conseils  me  paraissent  inutiles.  M.  Thiers  a  trouvé  à  la  Cour  nu 
-accueil  des  plus  empressés.  On  a  donné  «mi  son  honneur,  à  llffîcken,  un 
grand  dîner  auquel  il  est  arrivé  trop  tard  et  dans  une  tenue  ([ui  n'était 
4)as  correcte.  Il  avait  une  cravate  noire  et  un  pantalon  gris.  Tout  le 
monde  a  élé  cliofjiié. 


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LA    l'UÉLATLUE    DE    IKON    MH. 


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V 


M    : 


1    . 


Plus  loin,  elle  parle  d'une  visite  que  Berner  leur  a  faile,  cl  où  il  leur 
a  rapporté  ee  propos  tenu  récemment  devant  lui  par  Victor  Hugo  :  «  Je 
u\  vois  plus,  je  deviens  aveugle,  comme  les  autres!  —  Qui  donc,  les 
autres?  —  Comme  Milton  et  Homère!  »   En  vérité,  pouvait-on  l'être 

davantage? 

Au  lendemain  de  la  publication  d'un  nouveau  livre  de  M.  de  Lamen- 
nais, la  princesse  écrit  cette  saillie  (pie  Metternicli  rapporte  de  Chiileau- 
briand,  sur  cet  honmie  :  «  Les  Paroles  d'im  Croi/aut,  c'est  179Ô  qui 
fait  sa  conlession  pascale  ».  Et  ailleurs  :  «  Lal'ayette  est  mort  aujour- 
d'bui.  Trop  tard,  pour  le  monde  1  » 

Une  autre  Fois,  c'est  de  la  littérature  des  Mémoires  (ju'ils  s'entre- 
tiennent :  «  J'ai  passé,  ce  matin,  une  beure  très  intéressante.  Clément 
parla  des  Mémoires  de  la  ducbesse  d'Abranlès,  (pii  n'olVrent  pas,  il  est 
vrai,  un  attrait  bien  considérable,  mais  dont  l'auteur  passera  à  la  posté- 
rité, ainsi  que  Mme  Récamier.   On  les  tiendra  toutes  deux  pour  des 
lémmes  remarquables,  des  personnalités  capables  de  l'aire  de  grandes 
clioses  et  de  concevoir  de  grands  desseins.  Leur  existence  sera  enveloppée 
d'une  sorte  de  mystère,  et  l'on  ne  soulèvera  le  voile  «pie  dans  l'espoir 
de  recueillir  des  faits  romanesques,  de  découvrir  même  les  causes  des 
plus  grands  événements,  et  de  trouver  en  elles  des  femmes  pareilles  à 
celles  du  siècle  de  Louis  XIV.  Mais  ceux  qui  les  ont  connues  de  plus 
près,  conmie  Clément,  par  exenq)le,  savent  fort  bien  qu'elles  n'ont  profilé 
des  grands  événements  de  Ibistoire  que  pour  acquérir  une   certaine 
célébrité,  en  remplissant  les  moments  de  loisir  des  bommes  en  vue  de 
le  temps-là.  La  ducbesse  d'Abranlès  joignait  à  la  passion  de  plaire  et  à 
la  beauté  extérieure,  un  esprit  vif  et  agréable.  Mme  Hécamier  n'était 
que  belle  et,  pour  le  dire  sans  détour,  elle  avait  dans  son  temps  la 
réputation  d'être  niaise.  A  présent,  elle  s'est  tout  à  fait  jetée  dans  la 
dévotion;  ce  qui  ne  l'emi)êcbe  pas  d'être,  selon   toute  api.arence,   au 
mieux  avec  Cbaleaubriand.  » 

Celte  cbasse  sur  le  terrain  d'aulrui,  tentée  à  petits  coui)s  de  badine 
par  les  deux  cbàlelains  du  Jobannisberg  si  beureux  de  vieillir  sans  un 
regret,  ne  peint  pas  au  juste  le  caractère  airiiable  des  deux  causeurs. 
Mais  la  veillée  s'attarde.  La  lampe  baisse.  Lîf  princesse  a  peur  de  voir 
s'éteindre  aussi  son  dieu,  bienlot  octogénaire;  et,  si  elle  le  pi(iue  ainsi, 
ce  n'est  que  pour  l'empècber  de  s'endormir  avant  l'iieure.  Sa  malicieuse 
gaieté  recouvre  mal  la  tristesse  sacrée  des  dernières  heures  «pii  appro- 
chent :  «  A  cliaque  pas,  écrit-elle,  Clément  semble  dire  adieu  a  la  vie. 
Cela  est  bien  pénible.  Il  faut  surtout  que  je  me  taise,  ce  qui  souvent 
me  coule  beaucoup.  » 


Wi  I J 


*|i*tf: 


DE    CllATEAUDRlAND    A   METTEU.MCIf. 


1 09 


A  la  date  de  février  1850,  nous  lisons  cette  mélancolie  :  «  J'ai  fait 
chanter  chez  moi  (à  Bruxelles)  des  chanteurs  slyriens,  (pii  sont  ici  de 
passage.  Cela  m'a  rappelé  notre  pays,  mais  m'a  rendue  bien  triste.  »  Et 
puis,  trois  ans  après,  le  T»  mars  1854,  la  poétique  veilleuse  que  la  prin- 
cesse avait  entreti'iiue  vingt-trois  ans  devant  l'autel  de  son  idole  s'étant 
éteinte  la  première,  ce  fut  le  dieu  qui  prit  la  plume  abandonnée  sur  le 
Journal  par  la  morte,  et  qui  ajouta  ces  lignes  dignes  de  leurs  deux 
âmes  de  vieillards  et  de  contemplatifs  :  «  Le  dernier  moment  de  Mélanie 
a  été  comme  la  fin  d'une  lumière  (|ui  s'éteint  doucement,  connue  le 
sommeil  d'un  enfant,  comme  le  tran(|uille  départ  pour  une  éternelle  pa- 
trie ».  Ainsi,  loin  des  trois  tombes  de  ses  trois  chères  femmes  auxquelles, 
chacune  à  son  heure,  il  avait  donné  tout  son  cœur;  loin  des  afl'aires 
publiques  que  le  lion,  vieilli  par  cinquante  ans  de  luttes,  ne  pouvait 
plus  régir,  Metternich,  dont  la  |)ensée  sereine  redresse  encore  son  beau 
front  aussi  haut  qu'à  vingt  ans,  reprend  tout  seul,  de  ville  en  ville, 
l'ancien  voyage  de  Childe  Harold. 

—  Je  suis  vivant,  écrit-il,  avant  de  reprendre  sa  canne  de  pèlerin 
solitaire,  mais  je  suis  du  nombre  des  morts. 

A  Cologne,  il  s'arrête  pour  mander  5  sa  fille  :  «  Salue  de  ma  part 
le  lilas,  s'il  est  en  lleurs  ».  A  Kœnigwart,  il  prend  rendez-vous  avec 
son  fils  Bichard  et  la  princesse  Pauline,  sa  bru  nouvelle  dont  il  devine 
l'esprit  brillant  qui  jettera  sur  la  Cour  sémillante  de  Napoléon  III  de  si 
ardentes  étincelles  :  «  Bichard  et  Pauline  ont  été  exacts;  ils  sont  arrivés 
ici,  le  i.  Ils  ont,  tous  deux,  très  bonne  mine  et  sont  exactement  satisfaits 
de  leur  existence.  Pauline  est  pleine  d'esprit;  elle  a  de  l'assurance  et 
parle  comme  une  personne  mûrie  par  Page,  sans  que  ses  paroles  perdent 
le  charme  de  sa  jeunesse.  On  l'écoute  avec  plaisir,  quand  elle  parle  des 
attentions  dont  la  comblent  les  hauts  dignitaires  avec  lesquels  elle  se 
trouve  en  contact;  et  tout  ce  que  j'entends  dire,  de  l'impression  qu'elle 
a  faite  à  la  Cour  et  dans  la  société,  lui  fait  honneur.  » 

A  Mayence,  il  fixe  ce  trait  exquis  et  comme  ce  rayon  du  dernier 
automne  qui,  sentant  bien  (ju'il  dore  seulement  des  fruits  qu'il  ne  peut 
plus  laire  mûrir,  salue  sous  le  verger  la  vie  qui  louche  à  son  soir  : 
«  J'ai  déjeuné  hier  chez  les  Crenneville,  avec  une  de  mes  amies  d'enfance, 
une  comtesse  d'Eltz  qui  célèbre  aujourd'hui  son  quatre-vingt-onzième 
anniversaire  de  naissance.  Elle  m'a  rappelé  les  menuels  (|ue  nous  dan- 
sions ensemble,  aux  bals  denfants  que  donna  l'Électeur  de  Mayence. 
Tout,  dans  ce  pays,  est  à  la  fois  trop  ancien  et  trop  nouveau  pour  moi.  » 

Ainsi,  le  lied  étant  fini  et  le  charmant  minnes.Tnî;er  avant  atteint  la 
quatre-vingt-sixième  année  de  sa  vie,   le  11  juin  1859,  Clément  de 


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200  LA   PRÉLATLRK   l>E   LÉON    XIII. 

Metternich  s'éteignit  dans  le  sourire  le  plus  doux  dont  puisse  être 
auréolée  la  vieillesse  d'un  l.on.me.  Son  fils  Richard  de  Meltern.ch  reçut 
son  dernier  souffle,  le  ,,lus  pur  .|ui  ait  servi  au  ,.lus  lionnète  gent.l- 
hommc  pour  exprimer  de  ces  paroles  qui  ont  le  poids  de  1  or  dans  les 
balances  où  se  pèsent  les  destinées  des  peuples,  et  dont  la  d.plou>atie 
éprouve,  pour  des  siècles,  la  puissante  inHuence.  Ce  fut  à  la  princesse 
Pauline  .lu'écl.ut  la  plun.e  .pii  avait  écrit  pour  quelles  causes  le  pren.ier 
l-mpirc  croula,  -  la  même  princesse  qui,  de  la  même  plume,  nous 
apprendrait,  plus  lard,  en  de  nouveaux  .Mémoires,  pour  «luels  mot.ls  le 
dernier  Empire  ne  résista  pas  davantage. 

—  J'ai  été  un  rocher  de  l'ordre!...  avait  dit,  vers  la  fin  de  ses  jours, 
rinfrangil.le  chancelier  d'Autriche  à  un  ami  d'autrefois  qui  était  venu 
lui  faire  visite.  Et  comme  l'ami,  se  retirant,  s'était  arrêté  sur  le  seuil 
pour  regarder  une  dernière  fois  le  grand  vieillard  dont  le  huste  mcas- 
sable  se  redressait  sur  ses  papiers  de  cabinet  où  sa  main  toujours  ferme 
essayait  décrire  encore,  Metterni.h.  solennel  et  souriant,  de  repeler 
encJre  :  —  ...  Un  rocher  de  l'ordre!  . ,  , ,    . 

Un  rocher  de  l'ordre,  et  le  plus  inébranlable,  et  le  plus  semblable  a 
la  pierre  angulaire  sur  laquelle  l'Église  doit  établir  pour  les  siccU-s  son 
Gouvernement  ici-bas;  n'était-ce  pas,  enfin  trouvé,-,  la  formule  politique 
à  la(|uelle  l'esprit  d'ordre  et  de  gouvernement  de  Joachim  l'ecci  allait 
se  conformer  par  tenipéranient  personnel,  aussi  bien  que  par  éducati.m 
ecclésiastique';  Oii   l'eût  conduit,  au  contraire,  la  barque  instable  de 
Chateaubriand  qui,  pour  toucher  aux  plus  extrêmes  rivages,  nembar- 
«lua  que  plus  dangereusement  les  plus  humaines   et  plus   périssables 
passions?  L'élève  vieillirait  bien  assez,  pour  mêler  la  pondération  trop 
rétrograde  d'un  Metternich  i'i  l'envolement  trop  prompt  d'un  thaleau- 
hriaml.  De  ces  deux  éléments,  sagement  combinés,  il  se  composerait  a 
la  longue  un  manuel  politique  bien  personnel  à  cet  élève  «lUi,  sachant 
accorder  plus  lard  les  monarchies  et   les  républi(|ues,   les    princiix-s 
immuables  des  temps  anciens  et  les  formules  variables  des  temps  mo- 
dernes l'Église  qui  demeure  et  le  siècle  (pii  passe,  deviendrait,  grâce, 
à  ses  deux  maîtres  si  divers,  le  politicien  le  plus  com|.let  peut-être  du 
XIX»  siècle,  et  peut-être  le  Pape  le  plus  accompli  de  tous  les  temps. 
Fl  déjà,  malgré  son  extrême  jeunesse,  Joiichim  Pecci  n'était-il  pas  deja 
assez  instruit  aux  choses  de  l'Église  et  du  siècle  dans  le  silence  de  la 
cellule  où  l'heure  sonnait  joyeusement  la  sortie  de  noire  futur  diplo- 
mate, si  ambitieux  cl  à  si  juste  titre?  Ce  fut  vers  la  fin  de  1857.  quand, 
pour  recevoir  le  mantelet  du  monsignore  en  même  temps  que  1  onction 
au  sacerdoce,  l'abbé  Pecci  se  présenta  ?i  l'Antichambre  du  Pape. 


I  0  carrosse  <1i'  Mgr  Joacliiin  Pecci. 


ÎY 


l/AMICII.VMnRE    DU    P.^PE 

Quand  le  soleil  s'incline  sur  Uome  et 
tombe  derrière  les  aqueducs  de  Claudius 
dont  les  arceaux  géants  relient  la  ville  à 
la  montagne  avec  leurs  mille  bras  de  co- 
losses  toujours  dressés  et  toujours  im- 
muables, c'est  un  spectacle  grandiose  de 
voir,  le  soir,  s'en  aller  l'astre  en  feu  le 
\m"  de  ces  arcs  en  ruines  et  sous  les 
murs  de  celte  ville  éternelle  vraiment  oîi 
^       une  grande  chose  semble  finir  à  cliaijuc 
fois   qu'une   autre   grande  chose  recom- 
mence.  Quelle   était,    sur   le   cadran   de 
Dieu,  l'heure  marquée  aux  destinées  de 
Uome  quand  le  pape  Grégoire  XVI  suc- 
céda au  pape  Pie  YIU,  comme  un  soleil 
dhiver  descend  après  un  soleil  d'automne  sur  la  désolante  grandeur 
de  cette  campagne  romaine  où  l'horizon  ne  connaît  d'autres  bornes 


Mgr  Joadiiin  IVcci. 


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200  LA    l'IîfiLATtRK    liK   LÉON    MU. 

Melternicl,  sVicignit  Jans  le  souri ,p  lo  |.lns  .lo.ix  dont  |mis^e  .■lie 
aun-'oléc  la  vieillesse  ci-.in  hoiunic.  Son  fils  Iticliard  de  Medern.ci,  rer.U 
son  der.,ier  sonllle,  le  plus  ,m>-  .|ni  ail  servi  au  pins  lionnèle  f:.nl.l- 
iiomme  pour  exprinier  de  ces  paroles  ([ni  ..nt  le  poids  de  1  or  dans  les 
iMianees  oii  se  pèsent  les  destinées  des  peuples,  et  dont  la  d.plo.iiade 
épronve.  pour  des  sièeles,  la  puissante  inllnenee.  Ce  (ut  à  la  pnn.rsse 
Pauline  (inéeliut  la  plume  qui  avait  éeril  pour  .pielles  causes  le  premier 
l'inpire  croula.  -  la  nièni..  piiiicsse  .|ui.  de  la  même  plum,'.  nous 
iipprendrait,  plus  lard,  en  de  nouveaux  Mnunires,  pour  ipiels  motils  le 
dernier  Empire  ne  résista  pas  davantage. 

—  Jai  été  un  rocher  d.^  l'ordre!...  avait  dit,  vers  la  (in  de  ses  jours, 
linfran-iMe  chancelier  dAulriclie  à  un  ami  d'autrelois  qui  était  venu 
lui  |;,ire  visite.  Et  comme  Cami,  se  reliranl.  s'élail  arrêté  sur  le  semi 
iwur  regarder  une  dernière  (ois  le  grand  vieillard  dont  le  l.uste  incas- 
.ahlc  se  redr..ssait  sur  ses  papiers  de  cdiinet  oi.  sa  main  toujours  (erm.' 
essavail  décrire  encore,  Melleinicli,  solennel  el  souriaiK,  de  ivpeler 
onc(ire  :  —  ...  In  rocher  de  l'ordre  1 

Un  rocher  d.'  Tordre,  el  \,'  plus  inéhranlahle.  et  le  pins  semblable  a 
la  pierre  aimulaire  sur  laquelle  l'Église  doit  établir  pour  les  siècles  son 
r.ouverii..ment  ici-bas;  nélait-ce  pas.  endn  (rouvce.  la  Cormule  polKique 
-,   la.iuelle  l'esprit  d'ordre  el  de  gouvernenient  de  Joaclnin  l'ecci  a((ail 
se  conCormcr  par  (empérament  personnel,  aussi  bien  que  par  educal...n 
occlésiastique'.'  Oîi    leùt  conduit,  au  contraire,  la   l.ar<|ue  instable  de 
Chateaubriand  cpii.  pour  toucher  aux  plus  extrêmes  rivages,  n  embar- 
qua que  plus  dangereusement  les  plus   humaines    el   ,dus    périssables 
passions?  l/clèvc  vieillirait  bien  assez,  pour  mêler  la  pondcralion   trop 
rétrouraile  d'un  Metternich  à  renvolcmenl  trop  prompt  d  un  Chalcau- 
hriand    Ile  ces  deux  élénienls,  sagement  combinés,  il  se  composerait  a 
la  l.m.ue  un  nianu.i  pcditique  bien  personnel  à  cet  élève  qui,  sachant 
accorder   plus  lard   les   monarchies  et    les   républi.pies,    les    principes 
immuables  des  temps  anciens  el  les   formules  variables  des  temps  iimh 
dcrncs,  l'Église  qui  demeure  et  le  siècle  .pii  passe,  deviendrait,  grâce, 
à  ses  deux  mailles  si  divers,  le  politicien  le  plus  complet  pent-ê'lre  du 
xiv   siècle,  .'t  pcul-êlr.>  le  l'ape  le  plus  .iccompli  de  tous  les  Icmi.s. 
El  d.Mà.  malgré  son  exlième  jeunesse.  Joachim  l'ecci  n'était-il  pas  dcja 
assez  instruit  aux  choses  de  l'Église  cl  du  siècle  dans  le  silence  de  la 
,elhile  oîi  l'heure  sonnait  jovcuscment  la  sortie  de  noire  (udir  diplo- 
mate, si  ambitieux  el  à  si  juste  tilre'M;e  Cul  vers  la  fin  de  Isr.i.  ,piand, 
pour  recevoir  le  mantelet  du  monsignnre  en  même  temps  que  I  onction 
du  sacerdoce,  l'abbé  l'ecci  se  présenta  .-.  rAntichambre  du  l'ape. 


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\r  rîinusM'  «If  Mgr  JtMLliiin  Pecri. 


IV 


i/A.MiciiAMr.r.K  nu   i'ai'F. 

Oiiaiid  If  soioil  s'incline  snr  Uonic  et 
lonihe  derrière  les  acjneducs  de  Claudnis 
dont  les  arceaux  «géants  relient  la  ville  à 
la  niontapie  avec  leurs  mille  bras  de  co- 
losses   toujours  dressés  et   toujours  im- 
Miualdes,  c'est  un  spectacle  grandiose  de 
voir,  le  soir,  s'en  aller  l'astre  en  feu  le 
long  de  ces  arcs  en   ruines   et   sous  les 
murs  de  celle  ville  éternelle  vraiment  où 
une  grande  chose  semble  finir  a  clKUjue 
fois   qu'une    autre    grande  chose  recom- 
mence.  Quelle   était,    sur   le   cadran    de 
Dieu,   l'heure  man|uée  aux  destinées  de 
Home  quand  le  pape  Grégoire  Wl  suc- 
céda au  pape  Pic  Vlll,  comme  un  soleil 
dhiver  descend  après  un  soleil  d'automne  sur  la  désolante  grandeur 
de  cette  canq^agne   romaine  où  l'horizon  ne   connaît   d'autres  bornes 


M<;r  Joarliiin  IN'ki. 


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202 


LA    PRÉLATLHK    DE    LKO.X    MIL 


que  celles  des  tombeaux?  Mais  ces  tombeaux  du  passé,  oa  nous  avons 
vu   Chateaubriand  vieilli   aimer  à  ployer   ses  genoux,  pour  rendre   U 
la  poussière  l'homme  qui  en  était  sorti,  et  pour  lui  donner  son  argile 
mortelle  en  échange  de  la  statue  d'argile  que  les  mortels  y  pétriraient^ 
peut-être,  un  jour;  ces  tombeaux  de  l'an  mort,  oîi  nous  avons  vu  aussi 
la  silhouette  de  Pecci   adolescent   profiler  les  graciles  contours  de  sa 
l'réle  personne  et  la  mélancolie  de  sa  jeunesse  errante,  à  lacjuelle  était 
promis  l'avenir  ;  ces  h>pogées  de  tant  de  siècles  disparus  sans  laisser 
d'autres  traces  (jue  celles  des  l'unèbres  sillons  dont  Rome  est  labourée  en 
tout  sens,  n'étaient-ils  pas  les  reposoirs  sacrés  où  la  main  de  Dieu  a  jeté, 
comme  les  grains  de  sa  moisson  mystique,  d'immortelles  promesses?  Cet 
avenir,  assuré  à  Home  et  à  ses  Papes,  quel  serait-il?  L'alliance  fatale  et 
désormais  irrémissible  de  la  religion  chrétienne  avec  les  libertés  mo- 
dernes, telle  que  Chateaubriand  l'avait  demandée  devant  le  guichet  du 
Conclave  à  une  assemblée  de  vieillards  invités  à  «  replacer  la  religion  à 
la  tète  de  la  marche  de  la  société  »,  cette  union  des  vieilles  monarchies 
décadentes  avec  les  jeunes  démocraties  ascendantes  à  la(|uclle  le  pape 
Castiglione  n'avait  eu  que  le  temps  de  présider,  le  pape  Cappellari  aurait- 
il  l'énergie  de  la  consommer  et  de  la  conclure  pour  le  bonheur  des  peuples 
catholiques  confiés  spirituellement  à  sa  garde? 

En  attendant  que  Iiome  parlât,  Paris  agissait.  11  envoyait  à  l'Angle- 
terre geôlière  du  premier  Napoléon  déchu  le  dernier  Bourbon  en  désht'- 
rence,  qu'elle  saurait  garder  de  languir  à  l'ombre  hospitalière  des  arbres- 
magnifiques  d'Holyrood.  Facteur  clandestin  de  la  première  Révolution  qui 
emporta  sa  belle-sœur  Marie-Antoinette,  comme  dans  la  finale  tourbillon- 
nante du  dangereux  valtzer  pour  lequel  le  comte  d'Artois  avait  servi  de 
cavalier  et  d'imprésario  à  la  reine  de  France,   une   fois  roi  pour  son 
compte  Charles  X  devait  être  aussi  justement  emporté  par  la  Révolu- 
tion suivante.  Les  derniers  coups  de  canon  n'avaient  pas  annoncé  la  fin 
du  bombardement  d'Alger   et  la   conquête  d'une  terre  nouvelle  à  la 
France,  que  celle-ci  invitait  les  fournisseurs  de  la  Cour  à  nettojer  leurs 
écussons.    «  Ceux  qui  jadis  avaient  recouvert  les  aigles  napoléoniennes 
peintes  à  l'huile  de  lis  bourboniens,  détrempés  à  la  colle,  n'eurent  besoin 
que  d'une  éponge  pour  nettoyer  leur  loyauté,  »  dit  Chateaubriand  ;  et  le 
nettoyage  du  vieux  parti  fut  encore  en  faveur  de  la  phalange  des  «  vété- 
rans réengagistes  »  de  la  monarchie  au  rancart,  et  des  ci-devant  régi- 
cides convertis  a  la  royauté  constitutionnelle  par  la  conversion  même  de 
la  rente  qui,  des  derniers  carmagnolains  de  1793,  avjiit  fait  les  premiers 
bourgeois  de  1850.  Philippe  d'Orléans  n'était-il  [las  leur  homme,  étant 
de   cette   famille  qui  «   ne  dit  et  ne  fait  jamais   rien  de  complet,   et 


L'A.MICIIAMHRE   DU    PAPE 


205 


laisse  toujours  une  porte  ouverte  a  l'évasion  ».  Aux  cris  de  :  «  Plus  de 
lk)urbons  î  »  le  cousin  de  Charles  X  avait  reçu  à  l'Hôtel  de  Ville,  du  popu- 
laire de  Paris,  la  couronne  de  France  en  même  temps  i[uc  l'accolade  de 
Lafayelte,  sur  la  joue  oîi  le  Christ  avait  reçu  le  soufllet  de  la  foule. 

—  Vous  venez  de  prendre  de  grands  engagements,  lui  dit  un  de  ses 
satellites.  S'il  vous  arrivait  d'y  manquer,  nous  sommes  gens  à  vous  les 
rappeler. 

—  Monsieur,  je  suis  honnête  homme  î  répondit  Louis-Philippe  à 
ce  Dubourg  costumé  en  général  avec  des  nippes  du  magasin  de  l'Opéra- 

Comique. 

Honnête  homme!    c'est  qu'il    l'était  aussi,   cet  Edouard  Cavaignac, 
mieux  connu  sous  le  titre  de  «  Na[)oléon  de  l'Émeute  »   que  lui  avaient 
valu  sa  vie  de  conspirateur  sans  trêve  et  sa  mort  qui  arriva,  pour  lui 
comme  pour  Ronaparte,  un  5  mai  :  «  Votre  père  fut  régicide,  comme  le 
mien!  ))  dit-il  au  fils  de  Philippe-Egalité  devenu  roi  des  Français,  «  cela 
vous  recommande  dans  la  lignée  des  autres  rois  ».  C'est  qu'honnête 
homme,  il  l'était  encore,  ce  Casimir-Périer  bureaucrate  de  la  démocratie 
en  bancpie,  de  i\m  le  duc  Decazes  disiiit  :  «  Que  voulez-vous  faire  d'un 
homme  qui  regarde  toujours  sa  langue   dans  une  glace?  »   Honnêtes 
hommes,  c'est  (|u'ils  l'étaient  tous  ensemble  et  séparément  ces  Thiers, 
ces  Guizot,  ces  Mignet,   ces  Carrel,  ces  Royer-Collard ,  ces  Dupont  de 
l'Eure,  ces  Laflitte,  qui  retenaient  comme  le  trait  d'union  le  plus  favo- 
rable, entre  la  royauté  absolue  et  l'absolue  république,  cette  forme  de 
monarchie  constitutionnelle  qui,  selon  la  juste  expression  d'un  chroni- 
queur des  États  de  la  Ligue,  rend  ses  souverains  d'emprunt  «  maîtres  et 
valets  tout  ensemble  ».  Contre  cette  forme  nouvelle  de  la  monarchie  des 
bourgeois,  (jue  pourra  faire  la   romanesque  duchesse  de  Rerry,  pour 
revendiiiuer  la  couronne  de  France  confisquée  à  son  fils,  le  roi  légitime? 
Une  conspiration  sur  les  côtes  de  Provence  où  le  pire  naufrage  qu'elle 
pourra  éprouver  sera  celui  de  ses  partisans  qui  feront   tous  défaut  à 
son  royal  apiKil.  «  C'est  Walter  Scott,  et  non  sa  folle  lectrice,  qu'il  faut 
pendre!  »  disaient  les  royalistes  sourds  à   la  voix  de  la  duchesse.  Sem- 
blable à  la  sirène  dont  l'eau  perpétue  les  accents,  ou  au  phénix  qui  renaît 
de  ses  cendres  et  dont  les  fabulesques  images  furent  si  chères  à  son  style 
de  magicien  et  de  chanteur,  que  pourra  encore  essayer  le  dernier  servi- 
teur de  cette  monarchie  retardataire  et  de  sa  folâtre  régente,  avant  de 
clore  la  série  des  classiques  et  démodées  métaphores  par  quelque  chant 
du  cygne,  dont  le  plumage  blanc  s'est  tout  à  coup  fait  noir;  ce  pauvre 
vieux  Chateaubriand  qui,  sur  les  ruines  de  sa  croulante  Ihon,  s'appelle 

pour  finir  une  «  inutile  Cassandre  »  qui  a  ((  assez  fatigué  le  trône  et  la 


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L'ANTICHAMBRE   Di:   PAPE. 


205. 


204 


LA    PRÉLATURE    DE    LÉON    MIL 


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patrie  de  ses  avorlisscmenls  dédaignés  »  ?  Que  lui  reslera-t-il  à  l'aire,  sinon 
de  «  s'asseoir  sur  les  débris  d'un  naufrage  tant  de  fois  prédit  »  ?  «  Je  re- 
<îonnais  au  malheur  toutes  les  sortes  de  puissance»  excepté  celle  de  me 
délier  de  mes  serments  de  lidélité.  Je  dois  aussi  rendre  ma  vie  uniforme  : 
après  tout  ce  que  j'ai  fait,  dit  et  écrit  pour  les  Bourbons,  je  serais  le 
dernier  des  misérables,  si  je  les  reniais  au  moment  où,  pour  la  troisième 
-et  dernière  l'ois,  ils  s'acheminent  vers  l'exil.  »  Ainsi  la  Cassandre  de 
Charles  X,  se  transformant  en  cygne  deLéda  pour  la  duchesse  de  Berry, 
en  phénix  pour  Henri  Y  et  en  sirène  pour  les  Pairs,  ses  auditeurs  char- 
més encore,  n'a  plus,  avant  de  disparaître  pour  toujours,  (ju'annoncer 
à  la  phalange  des  «  vétérans  réengagistes  »  l'entrée  en  scène  d'une  «  mo- 
narchie domestique  »  avec  laquelle  la  liberté,  habile  dans  l'art  d'accom- 
moder les  restes,  fera  son  pot-au-feu;  a  défaut  de  l'autre  monarchie  trop 
vieille  et  trop  grande  dame  à  qui  il  a  manqué   «  de  l'élan,  de  la  jeu- 
nesse, de  l'intrépidité,  |K)ur  tourner  le  dos  au  passé  et  marcher  avec 
Ja  France  à  la  rencontre  de  l'avenir  ».  De  Paris  à  Rome,  on  applaudit 
le  tibicinaire  virtuose.  «  Dans  le  journal  que  je  vous  envoie,  écrit  Joachim 
Pecci  à  son  frère  Titta,  vous  trouverez,  encore  qu'en  résumé,  la  lin  du 
bel  et  éloquent  discours  que  Chateaubriand  vient  de  prononcer  devant 
la  Chambre  des  Pairs'.  »  Et  les  funérailles  des  vieilles  monarchies,  ainsi 
ordonnancées  en  France,  n'ont  plus  qu'à  suivre  au  pas  d'enterrement 
joyal,  l'une  après  l'autre,  les  grandes  et  les  petites  cours  d'Europe. 

Les  petites,  d'abord.  Et  c'est  premièrement,  sous  la  protection  falla- 
cieuse de  Sa  Majesté  Chrétienne  d'Autriche  et  sous  la  garde  Gdèle  de  Met- 
ternich  son  grand-maître  des  cérémonies,  la  déiapitation  syslémalique 
de  tous  les  petits  États  italiens.  Les  rois  eux-mêmes  avaient  admirable- 
«lent  préparé  leur  déchéance  future  et  le  prochain  avènement  des  jeunes 
républiques,  avec  le  traité  de  Vienne  et  son  adjudant  complémentaire  de 
Paris,  le  '20  novembre  1815;  ces  deux  actes  de  la  Sainte  Alliance  par 
desquels  les  monarques,  alliés  contre  le  démembrement  européen  de  Napo- 
léon, voulurent  donner  un  lendemain   à  la  journée  sanglante  que  vit 
l'auberge  de  la  Belle-Alliance,  et  où  ils  signèrent  a  leur  tour  leur  Water- 
loo. —  En  Italie  donc,  les  partageurs  de  l'aigle  impériale  avaient  retenu 
|)our  l'Autriche  voisine  la  Vénétie  et  la  Lombardie,  comme  les  deux  ailes 
de  l'oiseau  adriatique  et  méditerranéen  qui,  ainsi  lié,  ne  serait  plus  bon 
►ipi'à  vendre  au  plus  ofl'rnnt  sur  le  marché  des  esclaves.  —  Un  frère  de 
l'empereur  autrichien,  Ferdinand  111,  prendrait  pour  son  compte  la  Tos- 
*cane,  comme  le  cœur  de  celte  pauvre  Itahc  qui  n'avait  plus  qu'à  battre 

1.  Cf.  TKpislola'iv  «l««  Joni'liim  Pf-i.  «lan;  l.i  Jrnnrfxc  de  l/ur.\  MU.  p.  200. 


pour  ses  envahisseurs.  —  A  Marie-Louise  reviendrait  Parme  et  Plaisance 
comme  un  joyau  de  fête  que  ne  saurait  plus  porter  dans  son  veuvage  celle 
qu'on  a  si  justement  appelée  la  o  Niobé  des  nations  » .  —  Naples  et  Sicikv 
apanage  séculaire  des  Bourbons  d'Espagne  depuis  que  les  Bourbons  de 
France  y  avaient  implanté  le  lis  rouge  d'Anjou  et  des  Vêpres,  pouvaient-^ 
elles  encore  semer  et  récoller  pour  d'autre  maître  que  Ferdinand  1*'%  dans 
leur  double  grenier  d'abondance  qui  ne  laissait  de  vides  que  les  entrailles- 
des  laboureurs?  —  Comme  une  monstrueuse  prison  d'Etat,  au  centre 
de  cette  Italie  démembrée  qu'il  faudrait  surveiller,  Modène  s'élevait  en 
forteresse  farouche  où  l'on  plaça,  comme  garde-chiourme,  un  Autrichien, 
encore,  ce  félon  François  IV  que  sa  mère  Marie-Béatrice  éleva  à  l'école 
de  l;i  déloyauté,  avec  les  préceptes  suivants,  pour  ligne  de  conduite  : 

—  Commande  à  les  yeux.  Place-toi  au-dessus  des  lois,  qui  n'ont  pas 
à  en  imposer  à  qui  peut  les  faire  et  défaire.  L'honnête,  pour  les  princes., 
est  ce  (pii  tourne  à  leur  profit.  Dans  la  haine  contre  les  esprits  forts,, 
sois  ferme  comme  un  pilier.  Aux  républicains  de  1789  on  ne  pardonne 
jamais.  Ne  prêle  pas  l'oreille  aux  lamentations  de  les  sujets;  tu  ne  sau^ 
rais  les  contenter  ;  plus  ils  seront  pauvres,  plus  ils  seront  soumis.  Ne  te 
laisse  circonvenir  ni  dominer  par  personne  :  par  leur  faiblesse,  trop  de 
princes  ont  perdu  leur  couronne.  Plus  tu  seras  avare  de  ton  argent,  plus- 
tes  serviteurs  te  seront  fidèles.  Va  e  fa  dane!  Va  et  bals  monnaie! 

Beslait  encore  Gênes,  qui  n'a  plus  renoué  les  chaînes  de  son  port  depuis 
que  Pise  les  brisa  pour  les  emporter  en  ex-volo  dans  son  Campo-Santo- 
où  elle  les  conserve  encore,  sans  en   tirer  d'autre  profit  que  le  baïoc 
dédaigneux  dont  le  touriste  en  paye,  chemin  faisant,  le  spectacle  :  on  la 
donna  au  roi  de  Sardaigne  dont  Joachim  Pecci  annonçait  à  ses  frères  la. 
mort,  en  ces  lermes  :  «  Le  roi  de  Sardaigne  a  cessé  de  vivre,  le  27  avril. 
Le  nouveau  roi,  Charles-Albert,  de  Savoie-Carignan,  en  est  à  sa  trente- 
troisième  année  et  s'est  fait  connaître  par  ses  idées  libérales*.  »  C'est  de- 
celte  île,  sœur  jumelle  de  la  Corse,  que  se  lèvera  à  son  heure  l'éman- 
cipaleur  de  l'Italie  moderne,  en  la  personne  de  ce  même  Charles-Albert 
dont  le  jeune  Pecci  applaudit  déjà  le  libéralisme.  C'est  aussi  à  cette 
heure  que  Joachim  Pecci,  promenant  sur  l'Europe  un  œil  déconcerté  par 
tant  de  changements  que  Phistoire  enregistre  et  que  Dieu  n'a  pas  ratifiés, 
écrit  encore  :  «  Les  aiîaires  du  Portugal,  comme  celles  d'Espagne,  sont 
terminées  au  détriment  de  la  légitimité....  Don  Miguel,  réduit  aux  der- 
nières ressources,  a  souscrit  à  tous  les  engagements  et  est  monté  sur  un 
vaisseau,  pour  être  conduit  où  bon  lui  semblera.  Don  Carlos  est  aussi,  dit- 

1.  Cf.  la  Jeunesse  de  Léon  XIII,  p.  542. 


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L'ANTICHAMBRE    DU    PAPE. 


207 


206 


LA   PRÉLATLRE    l»E    LÉON    XIII 


on,  avec  Don  Miguel.  Voici  donc  comme  tout  est  pousse  à  l'extrême*  ». 
Kt,  plus  loin  :  «  Les  nouvelles  d'Espagne  ne  man(juent  pas  d'intérêt.  La 
reine  Christine,  à  la  suite  d'une  insurrection  militaire,  a  accepté  la 
Constitution  qui  règle  la  forme  nouvelle  du  Gouvernement  espagnol.  Vous 
savez  que  cette  Constitution  n'est  formée  que  d'éléments  démocrates,  et 
qu'en  substance  le  Gouvernement  (|u'elle  régit  est  presque  républicain*  ». 
Et,  plus  loin  encore  :  «  A  Rome,  au  palais  Marescotli,  nous  possédons 
Don  Miguel  de  Bragance.  C'est  un  lionmie  fort  laid  de  ligure.  Taille  courte. 
Iront  ridé,  cheveux  très  noirs,  yeux  vifs,  barbe  épaisse  et  longues  mous- 
taches; tel  est  ce  Don  MigueP.  »  Et  voici  déjà  la  réponse  de  Dieu  aux 
tètes  couronnées  de  la  Sainte-Alliance  cpii  commencent  à  leur  tour  à 
choisir,  pour  auberge  de  leur  Delle-Alliance  et  de  leur  NVaterloo,  cette 
Home  dont  l'enseigne  est  bien  «  le  Carrefour  des  Nations  »,  comnn; 
l'appelait  De  Demis.  N'est-ce  plus  là  que  s'acheminent,  tôt  ou  lard,  pour 
y  mourir,  ces  grandeurs  un  temps  maîtresses  des  destinées  du  monde  et 
qui  ne  le  sont  pas  de  la  leur?  ((  C'est  à  Rome  que  je  voudrais  mourir, 
a  écrit  l'une  d'elles.  En  échange  d'une  petite  vie,  j'aurais  du  moins  une 
grande  sépulture  jusqu'au  jour  où  j'irai  renq)lir  mon  cénotaphe  dans 
le  sable  qui  m'a  vu  naître*,  w  Ainsi  va  de  l'Europe,  comme  de  l'Ilalie, 
;i  cette  heure.  Mais  nous  voudrions  surtout  savoir  cv.  (ju'il  va  advenir  des 
États  du  Pape,  pendant  le  règne  de  Grégoire  XVI  où  nous  sommes  : 
mesquine  gageure  de  quelques  hectares  de  royauté  laclice  que  les 
monarques  de  la  terre  ont  donnée  au  monarque  du  ciel,  pour  couvrir 
de  son  indulgence  leurs  méfaits  ou  de  sa  connivence  leurs  actes,  sous 
la  solidarité  du  même  sceptre  (jue  rois  et  pape  ont  ainsi  en  commun! 
Pour  pénétrer  plus  sûrement  dans  ce  jardin  des  llespérides  chrt'- 
tiennes  dont  les  fruits  d'or  seraient  trop  beaux,  s'ils  l'étaient  autrement 
(|ue  d'apparence  et  si  le  redoutable  gardien  qui  en  a  pris  désormais  la 
surveillance  n'était  le  dangereux  Metternicli,  au  lieu  de  l'inolfensif  Gré- 
goire XVI,  il  faut,  avec  notre  jeune  Pecci,  ([xù  s'y  présentera  souvent 
avant  l'heure  de  sa  prochaine  prélature,  que  nous  montions  au  Vatican 
et  que  nous  fréquentions  aussi  pour  notre  compte  YAulicamera  du  Pape. 


Le  personnage  principal  autour  du(|uel  toute  la  Cour  pontificale  et 
Piome  entière  évoluent,  comme  les  astres  grands  et  petits  autour  du 


I,  Cf.  la  Jeunesse  de  Léon  XIII ,  p.  ÔM. 

•2.  Ibidrnt,  p.  410. 

7k  Cf.  Ihidcm.  p.  406. 

i.  Mémoires  dOiilre-Tonihe.  I.  V,  p.   22î). 


■soleil,  est,  croirez-vous,  Grégoire  XVI?  Non,  mais   son   tout-puissant 
maître  de  chand)re,  le  vrai  pape  secret  de  la  mystérieuse  Antichambre 
où  se  lie  et  se  délie  ce  que  le  monde  catholi(iue  possède  à  la  fois  de  j)lus 
petit  et  de  plus  grand  :  c'est-à-dire  l'intrigue  qui,  d'un  simple  moine, 
fera  un  potentat  de  l'Église;  et  même,  d'une  Éminence  redoutable  hier 
4încore,  un  cardinal  sans  influence  aujourd'hui.  Cet  homme,  autour  de 
4|ui  tout  le  Vatican  évolue  avec  des  inclinaisons  pareilles  à  celles  du  sys- 
tème planétaire,  plus  ou  moins  profondes  selon  la  position  de  ces  astres 
de  cour  toujours  en  mouvement  sur  le  zodiaque  romain  ;  ce  domestique 
du  Pape,  qui  tient  L's  clefs  de  l'appartement  de  celui  qui  tient  celles 
de  Pierre  ;  ce  maître  de  son  maître  qui,  sur  le  seuil  de  l'inaccessible 
4mtichambre,  traite  d'égal  à  égal  avec  les  })lus  grands  de  Rome  et  de 
l'Étranger  venus  ici  pour  implorer  les  faveurs  du  Cameriere  di  Sua 
Santila  d'abord,  celles  du  Souverain  Pontife  ensuite,  s'appelle  le  Che- 
valier Gaelano  Moroni    et,   pour  les  rares  familiers,   tout  simplement 
daetanino.  N'allez   pas  croire  que  Gaelanino  soit  un  mjthe,  ou  que 
faiutante  da  caméra  di  Sua  Santila  soit  un  domestique  comme  les 
autres.  Grand  et  bel  homme,  comme  un  Romain  de  race,  le  visage  char- 
mant comme  celui  d'un  Ganymède  imberbe  ou  rasé  de  frais  chaque  jour, 
l'œil  bleu  de  mer,  la  bouche  en  cœur,  l'air  de  visage  aussi  intelligent 
4ju'aimable,  le  corps  bien  fait  et  portant  la  soutane  violette  du  service 
pontifical  avec  l'aisance  que  mettrait  un  oificier  d'ordonnance  dans  son 
uniforme  de  camp,  le  cavalière  Moroni,  —  pour  qui  son  maître  recon- 
^laissant  semble  avoir  spécialement  créé  l'ordre  de  ^'ail^t-Grégoire,  —  n'a 
pas  son  pareil  à  recevoir  le  monde.  D'un  soiir'r.'  toujours  charmant,  il 
.iiccueille  sur  le  pas  de  la  première  antichambre  preslolets  et  prélatins 
A\u\  n'ont  pas  d'autres  titres  à  franchir  les  suivantes.  S'il  se  porte  au  seuil 
^e  la  deuxième,  c'est  pour  y  conférer,  avec  un  sourire  plus  gracieux 
encore,  sur  les  titres  majeurs  qu'ont  les  visiteurs  de  j^lus  grosso  pezzo 
à  obtenir  l'audience  pontificale.   Et  c'est  enfin  avec  une  inclination  de 
mei%o  corpo  digne  de  l'honmie  de  cour  le  mieux  laçonné  aux  usages, 
'que  notre  cérémoniaire  de  la  dernière  antichambre  va  au-devant  des  am- 
J[)assadeurs  et  des  princes  qui  auraient  pu  se  résoudre  à  quitter  Rome 
sans  avoir  vu  le  Pape,  mais  non  sans  avoir  vu  son  camérier. 

—  Troppo  onorsy  Eccellenui!...  Serritor  tuo,  Eminenza  reveren- 
dissima  ! 

Ce[»endant,  un  autre  monde  (jue  celui  des  Excellences  et  des  Éminen- 
lissimes  obtenait  les  sourires  de  ce  Ganymède  en  soutane  :  c'était  le 
monde  des  érudits.  Sous  le  violet  paonazzo  de  sa  soutane  domestique. 
Je  bel  et  séduisant  Gaetanino  recouvrait  un  lettré  de  primo  carlello.  Ses 


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208 


LA   PRÉLATUHE    DE    LÉON    XIII. 


amis  préférés  étaient  les  livres  et  leurs  auteurs.  Mais,  le  service  quoti- 
dien de  la  chambre  du  Pape  ne  permettant  pas  à  Moroni  d'écrire,  i) 
eut  l'ambition  de  faire  écrire.  Un  plan  gigantesque  d'études  sur  toutes 

-  les  choses  de  l'Eglise  et  leur  histoire  encyclopédique  s'était  dressé  dans 
son  esprit  chercheur;  et,  à  la  réalisation  de  ce  projet,  il  employait  tous 
les  ouvriers  de  plume  et  de  grimoire,  qu'au  hasard  des  rencontres,  au 

-  Vatican  et  à  la  Ville,  il  pouvait  embaucher  de  toute  part,  clerc  et 
laïque,  homme  d'Église  et  homme  du  monde,  simple  étudiant  et  claris- 
sime  professeur,  petit  frate  de  couvent  et  gros  fralone  d'abbaye, 
pauvre  prêtre  de  scagnotza  et  riche  [irélat  de  corle,  minutante  di* 
congrégation  et  eminenza  de  curie,  l'historien  et  l'archéologue,  le  cano- 
niste  in  utroqne  jure  et  le  computiste  de  omni  re  scibili,  toutes  les 
plumes,  toutes  les  sciences,  le  monde  romain  tout  entier.  Ce  monument 
en  cent  volumes,  l'étonnant  camérier-éditeur  voudrait,  dans  son  infati- 
gable ambition,  qu'il  devienne  la  plus  belle  couronne  du  pontificat  de  son 
maître  et  la  plus  belle  tentative  qu'ait  pu  jamais  oser  un  domestique  du 
pape,  —  pape  lui-même  à  sa  manière  et  Mécène  indéconcerlable  des 
Lettres  de  son  temps.  Telle  fut  pourtant  l'œuvre  de  compilation  gigan- 
tesque, le  magazine  énorme  de  dix-huit  siècles  de  sciences  historiccn- 
ecclésiastiques,  qu'à  l'égal  d'un  Muralori  clironologiste,  d'un  Cancellicri 
littéraire  ou  d'un  Nibby  archéologue,  réalisa,  comme  il  l'avait  rêvé,  Gaetano 
Moroni,  barbier  de  profession  et,  par  élection  inespérée  du  moine  Cap- 
pellari,  aujourd'hui  camérier  omnipotent  de  Sa  Sainteté  Grégoire  XVI. 

L'étonnant  Figaro  romain,  en  effet,  avant  de  passer  premier  moutar- 
dier du  Pape,  n'avait  été  rien  de  plus  qu'un  pauvre  petit  barbier.  Né  à 
Rome  le  17  novembre  1802,  —  pour  mourir,  à  Rome  encore,  le  3  no- 
vemvre  1885,  — Gaetanino  avait  eu  pour  père  un  certain  Rocco  Moroni, 
dont  la  petite  boutique  de  parrucchiere  ouvrait  rue  San-Romualdo, 
près  la  place  Venise.  Sa  mère  s'appelait  Catherine  Benccrini.  Le  blaireau 
et  les  ciseaux  furent  ses  premiers  outils  sur  les  têtes  plutôt  humbles 
qu'élevées  de  la  clientèle  paternelle,  en  attendant  que  les  Frères  de  la 
Doctrine,  —  les  Ignorantelli  de  Rome,  —  lui  apprissent  à  se  servir 
aussi  de  la  plume.  Ce  fut  un  moine  camaldule  d'un  petit  couvent  voisin 
de  la  boutique,  où  le  petit  allait  faire  les  barbes  et  les  tonsures  de  la 
communauté,  qui  en  fit  son  élève  dans  l'art  de  tenir  aussi  les  ciseaux 
sur  les  feuilles  des  livres,  —  ces  autres  vaines  touffes  des  têtes  humaines 
que  la  main  d'un  enfant  peut  suffire  à  abattre,  en  attendant  la  faux  du 
temps  qui  tranchera  du  même  coup  le  lettré  et  ses  folliculaires,  —  en 
sorte  que  notre  jeune  artiste  capillaire  saurait  tondre  à  la  fois  les  têtes 
des  clients  et  les  cerveaux  des  penseurs.  Par  une  coïncidence  plaisante,  (pii 


Cn'îfoirc  XVF,  on  1840. 


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208 


LA    PHÉLATIHK    DK    LKON    Mil. 


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amis  préfén's  étaient  les  livres  et  leurs  auteurs.  Mais,  le  service  quoti- 
dien de  la  ehaiiiNre  du  Pape  ne  permettant   pas  à  M(»roni  d'écrire,   il 
eut  l'ambition  de  faire  écrire.   Un  plan  •;i«'antes<jue   d'études  sur  toutes 
les  choses  de  l'K^dise  et  leur  histoire  eneyelopédi(jue  s'était  dressé  dans 
son  esprit  chercheur;  et,  à  la  réalisation  de  ce  projet,  il  employait  tous 
les  ouvriers  de  plume  et  de  grimoire,  qu'jui  hasard  des  rencontres,  au 
Vatican  et  à  la   Ville,  il   pouvait  emhaucher   de   toute   part,    clerc  et 
laïque,  homme  d'Kglise  et  homme  du  monde,  sim[de  étudiant  et  claris- 
sime   professeur,   petit    fraie  de   couvent   et   gros   fratone   d'ahhaye, 
pauvre  prêtre  de  scaynozza  et  riche  prélat  de  corle,  miuulante  d 
congrégation  ci  eminenza  de  curie,  l'historien  et  l'archécdogue,  le  cano- 
niste  in  vlroquc  jure  et  le  compulisle  de  omni  re  scibili,  toutes  les 
plumes,  toutes  les  sciences,  le  monde  romain  tout  entier.  Ce  monument 
en  cent  volumes,  l'étonnant  camérier-éditeur  voudrait,  dans  son  infati- 
gahle  ambition,  (|u  il  devienne  la  plus  belle  cc^uronnedu  ponlilicat  de  son 
maître  et  la  plus  belle  tentative  qu'ait  pu  jamais  oser  un  domesti()ue  du 
pape,  —  pape  lui-même  à  sa  manière  et  Mécène  indéconcerlable   des 
Lettres  de  son  temps.  Telle  l'ut  pourtant  l'œuvre  de  conq)ilation  gigan- 
tesque, le  mnijazine  éntn-me   de  dix-huit  siècles  de  sciences  historico- 
ecclésiastiques,  cpi'à  l'égal  d'un  Muratori  chnuiologiste,  d'un  Cancellieri 
littéraire  ou  d'un  Nibby  archéologue,  réalisa,  connue  il  l'avait  rêvé,  Gaetam» 
Moroni,  barbier  de  profession  et,  par  élection  inespérée  du  moine  Cap- 
pellari,  aujourd'hui  camérier  omnipotent  de  Sa  Sainteté  Grégoire  XVI. 

L'étonnant  Figaro  romain,  en  elfet,  avant  de  passer  premier  moutar- 
dier du  Pape,  n'avait  été  rien  de  pins  qu'un  pauvre  petit  barbier.  Né  à 
Rome  le  17  novendjre  ISO^,  —  pour  mourir,  ;i  Uome  encore,  le  5  no- 
vemvre  iHSr»,  — Gaetanino  avait  eu  [)Our  père  un  certain  Rocco  Moroni, 
dont  la  petite  boutiipie  de  panuccliieie  ouvrait  rue  San-Romuaido, 
près  la  place  Venise.  Sa  mère  s'appelait  Gatherine  Remerini.  Le  blaireau 
et  les  ciseaux  furent  ses  premiers  outils  sur  les  têtes  plutôt  humbles 
qu'élevées  de  la  clientèle  })aternelle,  en  attendani  tjue  les  Frères  de  la 
Doctrine,  —  les  lijnoranleUi  de  Rome,  —  lui  ap|>rissent  à  se  servir 
aussi  de  la  plume.  Ce  fut  un  moine  camaldule  d'un  petit  couvent  voisin 
(le  la  boutique,  où  le  petit  allait  faire  les  barbes  et  les  tonsures  de  la 
communauté,  qui  en  lit  son  élève  dans  l'art  de  tenir  aussi  les  ciseaux 
sur  les  feuilles  des  livres,  — ces  autres  vaines  loufl'es  des  têtes  humaines 
que  la  main  d'un  enfant  peut  suffire  à  abattre,  en  attendant  la  Auix  du 
temps  qui  tranchera  du  même  coup  le  lettré  et  ses  folliculaires,  —  en 
sorte  que  notre  jeune  artiste  capillaire  saurait  tondre  l\  la  fois  les  têtes 
des  clients  et  les  cerveaux  des  penseurs.  Par  une  coïncidence  plaisante,  «pii 


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Civ^oirr  \V[.  en   1X40. 


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210 


LA    PRÉLATURE   DE    LÉON    XIII. 


s'ajoutait  à  celle  des  ciseaux  de  notre  barbier  compilateur,  son  client  en 
ca/tiglialura  s'appelait  Cappellari.  Don  Mauro,  camaldule  du  couvent  de 
San-Michele  de  Murano,  avait  été  élu  abbi'  de  San-Giorgio  de  Rome,  et 
sa  cellule  se  trouvait  précisément  voisine  de  la  boutique  des   Moroni. 
Pour  se  rendre  à  San-Giorgio,  sur  le  mont  Cœlius,  le  moine  passait  quo- 
tidiennement devant  l'humble  ménage  des  barbiers  et  ne  se  faisait  pas 
lautc  d'y  entrer,   pour  admirer  les  vertus  domestiques  de  chacun  :  la 
more  Catherine,  vaquant  aux  saponale  du  plat  à  barbe,  dont  elle  pré- 
parait le>   mousses,   sans  laisser  d'aller   aussi   écumer   le   pot-au-feu 
(|u'elle  préparait  pour  ses  hommes  dans  rarricre-bouli(pie  ;    le   piTe 
liocco,  aux  chiacchierate  du  client  bavard  qu'il  fallait  bien  entendre  et 
à  qui  il  fallait  bien  répondre,  en  ce  métier  spécial  de  gais  parleurs  ; 
(iaetanino  enfin,  au  lavotino  sur  ses  cahiers  d'école,  quand  il  n'était 
pas  à  la  tavoletta  sur  les  barbes  et  sur  les  cheveux  des  pratiques  ;  le 
tout,  dans  ce  simple  saloney  propret  comme  les  âmes  simples  qui  l'ha- 
bitaient, égayé  par  quelques  pots  de  (leurs  sur  les  consoles,  par  quebpie 
cage  d'oiseau  au  plein  soleil.  Quand  Gaelanino,  plus  instruit  aux  leçons 
de  l'abbé  qui  se  plaisait  au  commerce  de  cette  intelligence  facile,  fut 
devenu  le  grand  beau  jeune  honmie  que  l'on  sait,  Don  Mauro  Ca[)pellari 
le  prit  pour  compagnon  des  promenades  journalières  qui  le  conduisaient 
à  son  abbaye  de  San-Giorgio,  non  sans  passer  Via  ilei  Fornari,  par  la 
{•harmacie  Ricci  qui  tenait  l'angle  de  cette  rue  et  du  Forum  Trajan.  Là, 
se  tenait  bureau  d'esprit,  selon  la   coutume  du  temps,  avec  (piebpies 
abbés  célèbres  de  l'époque.  On  entrait,  la  tabatière  d'une  main,  la  canne 
de  l'autre.  Pour  se  présenter  la  prise  de  rapè  de  l'amitié,  on  décoillait 
du  tricorne  sa  belle  téie  à  queue  poudrée,  selon  l'usage  que  les  purs 
codini  conservaient  de  l'autre  siècle.  Enfin,  la  soutanelle  a  frac,  libre- 
ment ouverte  sur  le  jabot  de  soie  et  le  gilet  à  fleur  (lu'allait  soulever  la 
franche  gaieté  et  la  romaine  bonhomie  de  ces  abbés  savants,  chacun 
jirenait,   entre  les  grands  pots  de  porcelaine  pour  les  onguents  et  les 
grands  llacons  de  cristal  pour  les  sirops,  les  hauts  fauteuils  de  paille  où 
siégeaient  sans  cérémonial  ces  curieuses  compagnies  de  grands  hommes 
en  chambre  ou  en  pharmacie.  Là,  souvent,  d'un  siècle  à  l'autre,  on  se 
montrait  celui  où  s'était  assis  un  Nibby,  un  Fea,  un  Scarpellini,  un 
Mariollini,  un  Missirini,   un  Cancellieri.  Il  y  a  quelques  années  encore, 
dans  cette  même  pharmacie  Ricci,  on  voyait  le  fauteuil  où  l'abbé  Mauro 
Cajjpellari  était  venu  presque  (|uolidiennement  se  reposer. 

Ce  fut  dans  cette  compagnie  de  savants  aimables  que  Gaetano  Moroni, 
accompagnant  en  Télémaque  attentif  son  Mentor  aussi  hilare  que  sage, 
apprit  l'art  de  composer  des  livres  en  même  temps  que  des  perruques; 


L'ANTICIIAMURE    DU    PAPE. 


211 


jusqu'à  ce  que  son  maître,  improvisamment  appelé  à  échanger  le  f.in- 
teuil  (le  paille  de  la  pharmacie  Ricci  contre  le  siège  de  i>ierre  de  l'Kiilise 
romaine,  voulut  que  son  Gaetanino  l'accompagnât  aussi  au  Vatican." 

Cet  événement  double  delà  vie  d'un  moine  et  de  celle  d'un  perruquier 
arriva  le  2  février  i  851,  après  50  jours  de  conclave.  Après  20  mois  d'un 
règne  sans  effort.  Pie  YIH  s'était  éteint  sans  bruit.  Les  pasquinades  qui 
avaient  accueilli  la  mort  du  pape  Castiglioni,  connue  elles  l'avaient  fait 
de  ses  prédécesseurs  par  ce  besoin  inné  qu'éprouve  le  Romain  des 
Papes  pour  la  paynotla  et  le  sc/ieno  et  qui  rappelle  celui  du  Romain 
des  Césars  [mir  pain  et  le  cirque,  se  résumèrent  en  celle-ci  : 

riiunlo  Pio  innanzi  à  Dio 

F«  richiesto  :  —  «  Cosa  hai  f;itlo!  » 

Gli  rispose  :  —  «  Niente  alfatto.  » 

Commencées  le  50  novembre,  les  funérailles  durèrent  jusqu'au  14  du 
mois  suivant.  Alors,  le  Conclave  vit  revenir  au  Quirinal  à  peu  [irès  les 
mêmes  cardinaux  qui  avaient  fait,  vingt  mois  avant,  l'élection  précédente. 
Les  mêmes  candidats  papables  y  furent  aussi  présentés  par  les  groupes 
des  papeggiants;  mais  le  camaldule  blanc,  aux  mœurs  si  douces,  y  sem- 
blait recueilhr  encore  plus  défaveurs.  Si  seulement  ce  Mauro  Cappellari, 
originaire  de  Delluno,    voulait   pactiser  avec  l'Autriche  dont  le  redou- 
table cardinal  Albani  continuait  à  être  le  grand  électeur.  Mais  n'était-ce 
pas  ce  même  moine  Cappellari  qui  dirait,  plus  tard,  à  son  compalrioîe 
(^esarc  Cantu  :  —  «  Connue  citoyen,  je  suis  le  sujet  de  la  sérénissime 
Venise;   mais,  comme  pape,  je  ne  suis  le  sujet  de  personne  ».  Dans 
cette  incertitude  du  maître,  autrichien  ou  non,  en  laquelle  les  cardinaux 
s'attardaient  a  Rome  et  le  Conclave,  comme  l'écrit  encore  Joachim  Pecci, 
n'ofl'rent  que  peu  d'intérêt  et  même  pas  du  tout.  Les  bruits  qui  courent 
en  ville  sont,  pour  la  jdupart,  faux  et  ne  présentent  pas  les  choses  sous 
leur  aspect  véritable.  iXombrouses  sont  les  satires,  qui  courent  de  main 
en  main  ;  mais  je  n'en  possède  aucune,  et  je  n'ai  pris  aucun  soin  d'en 
avon*  ».  Si  le  champ  de  l'information  est  moins  couru,  cette  fois,  par 
Joachim  Pecci  que  ne  relanc9  plus  Chateaubriand  exilé  de  Paris  et  de 
Rome  avec  ses  rois  légitimes,  du  moins  Mgr  Dardano,  conclaviste  du  car- 
dmal  Morozzo,  nous  reste  pour  nous  apj)rendre  que  ce  Conclave,  présidé 
par  le  capucin  Micara,  ressemble  à  un  couvent.  Pourra-t-on  se  résoudre 
à  n'y  point  rire  du  tout?  La  monotonie  des  séances  interminables,  qui  no 
concluent  encore  à  rien,  est  bientôt  rompue  parla  supplicjue  des  fncchiui 

i.  Cf.  la  Jevuesee  de  IJon  Mlf,  p.  9i.;,^ 


>  A"!»  P"P  ■".1'  .  ."l'mm 


^12 


LA    PRÉLATURE    DE    LÉON   XIIL 


de  Rome  «  qui  demandent  au  Sacré-Collège  une  élection  prompte  du 
nnpe  pour  faire  revenir  les  aiïaires,  ou  qui  menacent  de  proclamer  la 
ilépubli(|ue  ».  Il  Y  a  aussi  le  docteur  Bomba,  médeciu  du  (lonclave,  qui 
y  meurt  d'ennui  et  qui,  à  l'orce  d'inslances,  «  obtient  la  permission  de 
revenir  cohabiter  avec  sa  Dulcinée  :  «  Riavicinarla  »,  écrit  le  conclavislo 
italien  pur  délier  toute  traduction  possible  de  son  annotation  aussi 
canonique  qu'égrillarde.  D'ailleurs,  au  plaisant  s'ajoutant  le  sévère,  ce 
Conclave,  ennuyeux  comme  la  pluie  cpii  ne  finissait  pas  de  tomber, 
n'avait-il  pas  menacé  de  devenir  un  drame  complet,  avec  conspiration 
des  poudres  dans  les  sous-sols  du  palais,  apparition  des  fantômes  le  long 
des  murs,  et  le  reste?  «  Un  de  ces  soirs,  on  a  vu,  sous  les  vieilles  tapis- 
series d'Arras  qui  recouvrent  les  murs  de  certaines  salles  du  Ouirinal, 
un  honune  en  bras  de  chemise  se  cacher.  On  crut  d'abord  qu'un  étranger 
venait  de  s'introduire  au  Conclave,  et  certes  il  était  à  plaindre  si  son 
intention  eût  été  de  voler;  car  ici  nous  sommes  tous  capucins.  Et  puis, 
chaque  porte  de  cellule  a  trois  ou  quatre  personnes,  pour  la  défendre.  Un 
lui  supposait  donc  un  autre  projet,  connue  celui  d'aller  mettre  le  feu  à 
la  biicherie  et  de  presser  ainsi  les  canlinaux  embourbés  dans  leurs  réso- 
lutions. L'îs  jdus  avisés,  en  constatant  le  bris  des  roues  à  l'entrée  du  Con- 
clave, supposèrent  quelque  intrigue  de  femme,  un  mari  soupçonneux  qui 
serait  allé  placer  les  cornes  sur  sa  porte  pour  conjurer  la  je//a////Y7,  <ui  un 
jeune  marié  qui,  grâce  à  sa  femme,  eut  voulu  s'inscrire  au  droit  de  citoyen 
de  Corneto  sans  en  avoir,  au  préalable,  formulé  la  demande.  Cette  dernière 
supposition  paraissait  la  plus  vraisemblable'  ».  Ouebjues  jours  avant 
qu'on  eut  constaté  le  bris  de  clôture  au  Conclave,  un  malin  ne  s'était-il 
pas  avisé  de  faire  jouer  des  engins  explosibles  sous  les  murs  du  Quiri- 
nal  ?  «  Oh  !  dit  Joachim  Pecci  qui  raconte  plaisamment  l'aventure  à  ses 
frères,  quatre  ou  cinq  kilos  de  poudre,  une  simple  petite  châtaigne. 
Celle-ci  avait  été  fortement  empaquetée  dans  une  double  enveloppe,  bien 
ficelée,  liée,  serrée.  Le  plaisant  vint  donc  a  Montecavallo  avec  son  bibe- 
lot et  le  déposa  contre  une  colonne  du  portail  principal,  en  ayant  soin  de 
bien  allumer  la  mèche.  Puis,  prudemment,  sans  être  vu,  il  s'écarta  tan- 
dis que  le  feu  gagnait  l'intérieur  de  la  boîte  et  occasionnait  cette  explo- 
sion à  tout  jamais  mémorable'.  »  De  son  côté,  c'est-à-dire  de  l'inté- 
rieur du  Conclave  ahuri  par  un  semblable  vacarme,  Mgr  Dardano 
donne  ainsi  l'impression  des  cardinaux  épouvantés  :  «  Vers  neuf  heures 
et  demie  du  soir,  écrit-il,  un  gros  hotm  de^poudre  éclata  si  fort 
sous  le  portail   de   Montecavallo,    que   les    uns   crurent   à    un   coup 

1.  Cf.  le  Diario  de  Mg:r  Daiilaiio  pour  le  Coiulavr  île  Grégoire  XVL  inanuso.  cil. 

2.  Cf.  la  Jeunesse  de  Léon  Mil,  p.  50i. 


L'ANTICHAMBRE    DL    PAPE. 


215 


de  canon,  les  autres  à  l'explosion  d'une  mine.  L'appréhension  fut 
presque  générale;  et  plusieurs  cardinaux  payèrent  à  la  pancia  le  tri- 
but de  leur  frayeur  :  les  uns,  comme  l'éminentissime  Dandini,  en 
n'osant  plus  aller  se  coucher;  les  autres,  comme  le  duc  de  Rohan,  en  se 
sentant  pris  d'un  accès  de  fièvre.  »  Enfin  l'élection  avait  eu  heu,  au  béné- 
fice du  cardinal  Cappellari  qui  avait  fini  i)ar  recueillir  52  voix,  contre 
7  données  à  Pacca,  5  à  De  Gregorioet  2  a  Galeffi.  Et  c'était  le  vaincu  de 
la  journée,  le  cardinal  Albani  qui,  «  un  peu  nerveux,  écrit  Joachim 
Pecci,  etaflectant  tant  bien  que  mal  l'indifférence»  »,  avait  proclamé, du 
haut  de  la  loggia  du  Quirinal,  le  nom  du  nouveau  pape.  11  désirait 
s'appeler  Grégoire  XYI.  U  désirait  aussi  changer  de  Secrétaire  d'État,  et 
le  ch(ûx  fut  significatif  en  la  personne  du  cardinal  Bernelti  qui,  supplanté 
dans  cette  charge  par  Albani  sous  le  pontiliciit  précédent,  supplanta  à 
son  tour  son  rival,  prince  et  cardinal,  sous  le  règne  suivant  où  un 
pauvre  moine  et  son  humble  barbier  allaient  mener  ensemble  les  affaires 
dans  les  États  du  Pape  fort  endommagés,  à  cette  heure. 

Thomas  Ikrnetti  sortait  de  la  bonne  école  du  cardinal  Consalvi. 
Libéral  avec  les  intransigeants  de  l'absolutisme  que  Metternich  condui- 
sait à  l'assaut  des  républiques  naissantes,  il  i)Ouvait  aussi  aisément 
passer  pour  réactionnaire  aux  yeux  des  républicains  que  Chateaubriand 
avait  voulu  gagner  à  la  cause  de  la  monanhie.  Et  piécisément,  entre 
l'absolutisme  de  Charles  X  et  le  constitulionalisme  de  Louis-Philippe,  il  y 
avait  peut-être  place  pour  un  gouvernement  de  sages  alliances  avec  les 
libertés  modernes  auxtpielles  celui  de  l'Eglise  se  familiariserait  peut-être, 
sous  la  direction  prudente  du  nouveau  et  habile  Secrétaire  que  Grégoire  X\  I 
donnait  à  ses  États.  Né  à  Fermo  en  1779,  par  sa  famille  de  bonne  no- 
blesse et  par  son  oncle,  le  cardinal  Brancadoro  aussi  riche  d'écus  que  de 
nom  et  que  de  sympathique  renommée,  ce  beau  Domain  des  Marches 
d'Ancone  n'était  à  peine  entré  dans  les  ordres  que  pour  s'immiscer  tout 
à  fait  dans  les  affaires.  Sous-diacre  à  brevet,  — ce  qui  lui  eût  permis,  du 
jour  au  lendemain,  de  prendre  moglie  en  rendant  les  fiocchi,  âgé  de 
50  ans  au  plus,  il  arrivait  pour  la  deuxième  fois  à  la  Secrétairerie  de 
l'État.  En  le  créant  cardinal,  Léon  XII  l'avait  fait  succéder  au  vieux 
Délia  Somaglia,  non  seulement  pour  la  cliurge  ecclésiastique  que  cette 
octogénaire  Éminence  lui  abandonnait  sans  regret,  mais  aussi  pour  les 
relations  mondaines  «lue  le  galant  ex-secrétaire  avait  liées  avec  M™'^  de 
Staël,  M""'  de  Krudner,  M"^'  de  Tholosan,  et  que  le  nouveau  promu 
saurait  continuer  avec  la  princesse  Doria  et  les  dames  les  plus  élégantes 

m 

1.  Cf.  la  Jeunesse  de  Léon  XIIL  p.  51'.K 


i 


1  ! 


'''^0- 


^214 


LA   PRÉLATURE    DK   LÉON    XllL 


(le  Rome.  N'était-ce  pas  dans  les  salons  et  par  les  femmes,  que  les  plus 
l'ortes  parties  se  jouaient  sur  réelii(|uier  européen,  et  les  baleines  trans- 
parentes d'un  éventail  ne  valaient-elles  pas  \gs  grilles  ajourées  d'un 
confessionnal  pour  pénétrer  avec  souplesse  tels  secrets  nécessaires  à  la 
sûreté  des  l^lats?  Sans  doute,  à  ce  flirt  dangereux  d'un  cardinal  poli- 
tique, s'entouiant  à  plaisir  d'un  cercle  d'éventails  plus  diplomatiques 
que  galants,  quelques  plumes  risqueraient  5  tomber.  Mais  autant  en 
emporterait  le  vent,  et  la  réj)ulalion  du  cardinal  Ik'rnotti  resterait 
intacte,  même  après  l'inconsciente  équipée  de  la  Doria,  lui  demandant  le 
déplacement  immédiat  d'un  simple  computkla  camerale,  —  gralte- 
l)apicr  des  bureaux  apostoliques,  —  pour  l'insolente  fortune  de  ce  rie- 
coue  (|ui  pouvait  payer  à  sa  femme,  sur  le  revenu  de  sa  cbarge,  un 
drap  (juadruple  de  caclicmire  que  la  princesse  avait  marcliandé,  quinze 
jours  durant,  et  s'était  laissé  linalement  enlever  par  certaine  Gi"ia 
lienucci. 

—  Et  c'est  la  place  du  sieur  Benucci  que  je  viens  demander  îi  Votre 
Kminence,  jiour  le  prince  Doria,  mon  mari,  qui  pourra  ainsi  me  paver 
(les  cachemires,  à  mille  écus  la  pièce! 

Le  cardinal  Hornolti  revenait  donc  aux  aflaires,  quand  les  Romagnes 
se  soulevant  allaient  multiplier  les  diflicultés  du  Gouvernement  pontificiil. 
Sous  le  règne  d'un  pape  vénitien  et  anti-autrichien  de  naissance,  lui,  son 
secrétaire,  originaire  des  Marches  libérales,  comment  se  résoudrait-il  à 
entrer  en  comjjromission  avec  Metternich  dont  le  concours  gratuit 
s'imposait  presque  à  un  État  sans  armes  et  à  un  Pontife  sans  argent*' 
((  On  ne  sait  pas  exactement  à  quelles  conditions  l'Empereur  d'Autriche 
a  daigné  envoyer  ses  troupes  dans  l'État  pontifical  '  »,  écrit  Joachim 
Pecci,  en  constatant,  dès  les  premiers  jours  du  pontificat  de  Grégoire  XVI, 
l'acceptation  forcée  de  l'intervention  tudesque  pour  ramener  l'ordre  dans 
les  llomagnes  soulevées.  Mais  à  quoi  serviront,  sur  un  volcan  si  prompt 
à  porter  l'incendie  dans  les  provinces  italiennes  toutes  préparées  aux 
flammes  révolutionnaires,  h  quoi  serviront  ces  Tudesques  qui  ont, 
((  quand  ils  marchent,  comme  on  dit,  des...  pieds  de  plomb»?  o  En 
présence  de  deux  dangers,  Bernelti  acceptera  le  moindre.  Ainsi,  en  dépit 
du  principe  de  «  non-intervention  »  admis  par  les  États  de  l'Europe 
à  l'égard  des  États  du  I»ape,  il  admet  les  secours  de  l'Autriche, 
('(juipe  une  milice  de  Sanfedistes  avec  ses  dernières  ressources,  provoque 
la  capitulation  d'Annme  pour  la  violer  sit()t  après  et  finit  par  mettre  les 


I.  Cf.  la  JeiueHSie  de  Léon  XIII,  |».  .'2i. 
"2.  IIj'mIcit).  |).  ">0. 


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L'ANTICHAMBRE    DU    PAPE. 


"IVo 


Françiiis,  qui  avancent,  en  face  des  Autrichiens  qui  reculent  :  «  On  dit, 
poursuit  Joachim  Pecci,  (juc  les  troupes  autrichiennes  s'apprêtent  à  éva- 
cuer immédiatement  tous  les  points  occupés  par  elles  sur  le  territoire 
des  États  pontificaux.  Cette  nouvelle,  conmie  vous  le  voyez,  encore  que 
déjà  prévue,  est  en  elle-même  assez  déplorable  ;  car,  abandonnés  par  les 
i'orces  tudesques,  nous  sommes  exposés  à  redevenir  victimes  de  quelque 
nouveau  coup  de  main  des  rebelles.  Le  Pape  n'a  pas  d'armée,  et  les 
ressources  lui  man(tuent  pour  en  improviser  une.  De  plus,  les  province^, 
encore  (|u'apparemment  tranquilles,  couvent  un  feu  qui  pourrait  bien 
éclater  à  la  dernière  heure.  Vous  voyez  bien  que  j'avais  raison,  quand  je 
vous  disais  précédenmient  que  non  seulement  le  ciel  de  l'Europe,  mais 
encore  celui  de  l'Italie  allait  s'obscurcir,  et  quand  je  présageais  [m\v 
nous  un  avenir  fort  triste  et  plein  d'angoisses*.  «L'échec  autrichien  «juc 
Joachim  Pecci  déidore  ne  servira-t-il  pas  à  l'avantage  français  dont,  eu 
sous-main  peut-être,  Bernelti  s'applaudit?  A  moins  que,  par  une  poli- 
ti(iue  assez  romaine  que  le  cardinal-secrétaire  ne  renie  pas.  Français  et 
Autrichiens  ne  doivent  servir,  chez  le  Pape,  qu'à  se  chasser  les  uns  les 
autres  et  à  laisser  enfin  libres  les  États  pontificaux  qui  les  ont  supportés 
trop  longtemps.  En  attendant,  voici  Ancône  qui  se  rend  aux  soldats  dh 
général  Cubières,    malgré   les  protestations   des   Sanfedistes  que  leur 
timide    commandant    Uuspoli    invite   à    aller   déposer  sagement   leurs 
armes,  en  compagnie  des  républicains  libres  du  joug  autrichien,  entre 
les  mains  du  libéral  évê(|ue  de  Spolète   dont  la  première  bénédiction 
sera,  —  quand  le  cardinal  Mastai  sera  pape,  —  pour  les  libéraux  de  bonne 
volonté  et  d'intentions  encore  meilleures.  En   politique,   quel  progrès 
peut-on    faire,   sans   récipro(iues  concessions?   Ce  n'est  pourtant  pas 
encore  le  sentiment  de  Joachim  Pecci  qui  ne  veut  pas  copier  le  texte  do 
la  capitulation  d'Ancône  pour  ses  frères  de  Carpinelo  :  «  Si  je  la  copiais 
sur  cette  lettre,  je  m'exposerais  au  danger  de  la  lîiire  lire  par  d'autres 
que  par  vous....  Cette  capitulation,  on  la  dit  une  indignité.  On  assure 
que  son  fameux   commandant,  le  chevalier  Ruspoli,  aurait  été  destitué 
après  ce  beau  fait  d'armes*  ».  Il  ne  peut  se  faire  au  spectacle  d'un 
Sercognani,  «  cet  enragé,  l'un  des  rares  exempts  de  l'amnistie  accordée 
par  le  pape'*  »,  au  bras  du  général  Cubières.  Et  que  sont  venus  faire  ces 
Français,  en  Italie?  «  Le  fait  est  que,  par  leurs  actes,  les  Français  sont 
en  opposition  avec  eux-mêmes,  quand  ils  disent  qu'ils  ont  été  envoyés  i«  i 
pour  protéger  le  Pape.  S'ils  étaient  venus  pour  fomenter  une  révolte,  s'y 

I.  Cf.  la  Jeunesse  de  Léon  XllL  p.  'il. 
"l.  Cf.  ibi.lfiii,  I».  ri.V2. 
.">.  Ilti  lom,  p.  5(>2. 


'■^; 


■■^■TT^TMnw 


2I(Î 


LA    PRÉLATURE    DE   LÉON    XIIÎ. 


seraient-ils  pris  autrement  *  ?  »  Après  tout,  notre  chaleureux  correspon- 
dant n'entend  peut-être  pas  encore  les  choses  poHtiques  comme  il  faudrait. 
Aussi  bien,  «  les  cours  reprendront,  jeudi,  au  Collège  Romain,  et  j'aurai 
en  mains  un  travail  qui,  sans  m'accorder  de  Irêve,  m'obligera  à  beaucoup 
de  latigue  ».  A  Bernetti,  de  gouverner  l'État  à  sa  guiso.  Plus  guère 
longtemps,  lui  non  plus.  Car,  ami  secret  de  la  France,  Bernetti  peut-il 
en  être  manifestement  absous  par  l'Autriche  qui  demande  et  finira  par 
obtenir  du  Pape  le  rappel  de  son  ministre?  Un  jour  de  l'année  1830, 
Grégoire  XVI  a  commande'  qu'on  attelle  son  carrosse  et  ordonné  (pi'on  le 
conduise  chez  Bernetti  malade,  contrairement  à  l'usage  du  Pape  qui  ne 
faisait  de  visites  qu'm  extremis  à  ses  cardinaux  mourants.  Il  s'agissait 
aussi  d'enterrer,  avant  l'heure  peut-être,  le  cardinal  secrétaire.  Bernetti, 
trop  intelligent,  ne  voulut  pas  comprendre  son  souverain  visiteur  (jui, 
lui  parlant  de  démission,  n'en  obtint  que  des  remercîments  sur  une 
santé  à  peine  touchée  par  une  attaque  de  goutte.  11  fallut  (|ue,  le 
lendemain,  Grégoire  XVI  libellât  en  forme  la  démission  de  Bernetti  «pii, 
la  recevant  en  même  temps  qu'une  corne  de  rhinocéros,  —  don  de  la 
République  de  l'Equateur,  ave<:  laquelle  il  venait  de  signer  un  concor- 
dat, —  se  contenta  de  répondre: 

«   La  Secrétairerie  d'État  m'aura  du  moins  rapporté  (quelque  chose, 
puisque  j'en  sors  avec  un  cor  no  î    » 

Si  la  France  et  l'Autriche,  inversement  conjurées,  enlèvent  au  pauvre 
pape  ses  Légations  et  ses  légats  en  la  personne  du  cardinal  Benvenuti 
escamoté  par  la  Révolution,  comme  une  muscade  par  Cagliostro,  ses 
Etats  et  ses  secrétaires  en  la  personne  de  Bernetti  que  le  prince  de 
Metternich,  autre  Cagliostro,  lui  subtilise  ;  du  moins  le  iidèle  Gaetanino 
reste  au  malheureux  Grégoire  XVI.  Le  souverain  et  son  confident  sont 
même  plus  inséparables  que  jamais.  Quand  le  désespéré  vieillard  n':i 
qu'un  reste  de  sa  bonne  humeur  naturelle,  pour  se  consoler  des  déboires 
que  le  gouvernement  impossible  de  ses  États  lui  cause,  c'est  ce  dernier 
trésor  dont  le  doux  maître,  —  appelé  à  tort  le  Gregoraccio,  —  veul 
conlier  la  garde  à  un  seul  homme  de  confiance  absolue  et  éprouvée.  El 
c'est  encore  et  toujours  son  cameriere  Moroni,  qui  ferme  sa  |)orte  au 
monde  qui  va  da  se,  dit-il,  et  qui  n'a  pas  besoin  de  tant  de  réformes. 
N'a-t-il  pas  déjà  fait  fermer  sa  fenêtre  d'où,  à  Civita-Castellana,  par 
exemple,  il  eut  pu  lire  sur  un  transparent  les  vœux  des  prisonniers, 
voisins  de  l'évêché,  qui  demandaient  pardon  au  Pape*^  Cliiudete  queslra 
finestra!  se  contenta-t-ii  de  répondre,  en  recommandant  toutefois  qu'on 


\.  (if.   la  Jeunesse  de  Léon  XIII,  \).  ."G2. 


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LA    IVHKLATLKE    DK    LÉON    Mil 


serait'iit-ils  pris  aulrcnient  '  !  )>  A|)rès  tout,  iiolrc  chaleureux  correspon- 
danl  neiilend  poul-èlre  j)as  encore  les  choses  jjoliliques  comme  il  faudrait. 
Aussi  hien,  «  les  cours  reprendront,  jeudi,  au  Collèiie  Romain,  et  j'aurai 
en  mains  un  travail  cpii,  sans  m'accorder  de  trêve,  m'ohli-iera  a  heaucouj» 
de  latigue  )).  A  Bernelli,  de  ijiouverner  l'Htat  à  sa  yuise.  Plus  guère 
longtemps,  lui  non  plus.  Car,  ami  secret  de  la  Trance,  liernetli  peul-il 
en  être  manilestement  ahsous  par  rAulriche  (pii  demande  et  linira  par 
ohtenir  du  Pape  le  rappel  de  son  ministre?  In  jour  de  l'année  I8r»(). 
Grégoire  XVI  a  commande  ((u'on  attelle  son  carrosse  et  ordonné  «m'on  le 
conduise  chez  Bernelli  malade,  contrairement  à  l'usage  du  Pape  (pii  ne 
iaisait  de  visites  (\\iin  extieniis  à  ses  cardinaux  mourants.  Il  s'agissait 
aussi  d'enterrer,  avant  l'heure  peut-être,  le  cardinal  secrétaire.  Iternelli, 
trop  intelligent,  ne  voulut  pas  comprendre  son  souverain  visiteur  cpii, 
lui  parlant  de  démission,  n'en  ohtint  ipie  des  remerchnents  sur  une 
santé  à  peine  touchée  par  une  attaipie  de  goutte.  Il  fallut  cpie,  le 
lendemain,  Grégoire  XVI  llhcllàt  eu  forme  la  démission  de  IJernelti  «pii» 
la  recevant  en  même  temps  (pi'une  c(U'ne  de  rhinocéros,  —  dini  de  la 
lU'puhli(pie  de  l'hjpiateur,  avec  laquelle  il  venait  de  signer  un  concor- 
dat, —  se  contenta  de  répondre: 

0    La  Secrélairerie  d'Ktat  m'aura  du  moins  ra[>porté  quehpie  chose, 
puiscpie  j'en  sors  avec  un  covno  !    »> 

Si  la  France  et  l'Autriche,  inversenu'ut  c(Mijmées,  enlèvent  au  pauvre 
pape  ses  Légations  et  ses  légats  en  la  [MTSonne  du  cardinal  Henvenuli 
escamoté  par  la  Piévolution,  connue  une  nuiscade  par  Caglioslro,  ses 
Etais  et  ses  secrétaires  en  la  persomie  de  IJernelti  cpie  le  prince  de 
Metternich,  autre  Cagliostro,  lui  suhlilise  ;  du  moins  le  lidèle  Gaetanino 
reste  au  malheureux  Grégoire  XVI.  Le  souverain  et  son  cimfidenl  sont 
même  plus  inséparahles  (pie  jamais.  Quand  le  désespéré  vieillard  n':i 
qu'un  reste  de  sa  honne  humeur  naturelle,  pour  se  consoler  des  déhoircs 
que  le  gouvernement  impossihie  de  ses  États  lui  cause,  c'est  ce  dernier 
trésor  dont  le  doux  maître,  -  appelé  à  tort  le  Gregoraccio,  —  veul 
conlicr  la  garde  à  un  seul  homme  de  conliance  ahsolue  et  éprouvée.  Kl 
c'est  encore  et  toujours  son  cameriere  Moroni,  (|ui  ferme  sa  porte  au 
monde  ipii  va  da  se,  dit-il,  et  «pii  n'a  pas  hesoin  de  tant  de  réfonnes. 
N'a-l-il  [)as  déjà  fait  fermer  sa  fenêtre  d'où,  à  Givila-Castellana,  par 
exemple,  il  eut  pu  lire  sur  un  transjjarent  les  vœux  des  prisonniers, 
voisins  de  l'évêché,  (pii  demandaient  pardon  au  i'ape'^  C/iiudete  (jueslra 
fineslra!  se  contenta-t-il  de  répondre,  en  recommandant  toutefois  (ju'ou 

1.  I.f.    la  Jeunesse  de  Léon  Mil,  |».  ."0*_'. 


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I 


218 


LA   PRKLATLRE    DE    LÉON    MIL 


traitât  bien  les  détenus.  Désormais,  sans  camérier  Moroni,  plus  de  pape 
Grégoire.  Le  domestique  est  devenu  pour  son  maître  toute  la  vie  du  dé- 
faillant vieillard,  il  lui  est  tout  Rome  qui  n'a  plus  d'autres  histoires  que 
celles  qu'il  lui  conte;  tout  le  Consistoire,  qui  n'a  pas  d'autres  créatures 
que  celles  qu'il  lui  présente.  C'est  l'État  et  l'Église  même  que  Moroni 
gouverne,  do  la  chambre  papale.  Et  qu'il  ne  s'avise  pas,  par  maladie,  d'y 
faire  un  jour  défaut;  car  alors,  ce  serait  Grégoire  XVI  qui  irait  faire  sa 
chambre  de  celle  de  son  serviteur,  (irégoire  XVI  passa,  dit-on,  chez  Moroni 
les  heures  les  plus  intimes  de  .«;on  pontificat,  en  compagnie  du  petit 
Gregorio  quil  aimait  Aiirc  jouer  sur  ses  genoux.  C'était  l'unique  enfant 
de  Gaetano.  Quand  la  mort  l'enleva  prématurément  à  son  père,  elle  fit 
couler  sur  le  i)etit  cercueil  plus  d'encre  même  «lue  de  larmes.  De  l'en- 
semble des  éloges  posthumes  tiue  les  adulateurs  adressèrent  au  père,  en 
mémoire  de  l'enfant,  on  composa  un  volume  in-folio,  (Rome,  typographie 
Salviucci,  1817»),  où  les  plumes  les  plus  célèbres  du  temps  n'hésitèrent 
pas  à  mesurer  sur  le  mètre  de  Virgile  la  grandeur  du  nouveau  fils 
d'Octavie  que  le  ciel  venait  de  ravir  à  la  terre  : 


Tn  Marcellus  cris! 


Dans  l'intimilé  impénétrable  de  ces  cliambres  closes,  le  pape  Grégoire 
ne  reçoit  donc  que  du  camérier  Moroni  les  impressions  du  dehors.  Que 
font  ses  cardinaux  de  curie  ?  —  Le  brillant  Gamberini  continuait  à 
mener  le  sous-secrétariat  d'Etat,  connue  une  cause  au  barreau  de 
Milan  où  le  redoutable  ex-bàtonnier  avait  laissé  une  réputation  de  mata- 
more avant  que,  sur  le  tard,  du  coup,  le  diable  se  fît  ermite  et  cardinal.  — 
Depuis  qu'il  avait  trouvé  son  pâle  successeur  à  la  Secrélairie  d'État,  en 
L»  personne  inolfensive  du  barnabite  serre-frein  Lambruschini,  le  fuisu- 
rant  sigisbée  Bernetti  se  plaisait  à  servir  de  lustre  au  salon  de  la  prin- 
cesse Doria.  —  Le  beau  Guerrieri,  justifiant  en  tout  bien  tout  honneur 
son  nom  et  sa  descendance  des  Gonzague,  chassait  à  courre  en  attendant 
de  chasser  à  conclave.  —  Benvenuti  et  Oj>pizzoni,  de  retour  des  Léga- 
tions dans  le  landau  fameux  d'où  la  Révolution  les  avait  renvoyés  les  yeux 
bandés  à  la  papauté  qui  utiliserait  mieux  leurs  services,  se  consolaient 
réciproquement  de  l'od\ssée  d'Ancone  dans  la  barque  de  Pierre,  vaisseau 
d'Ulysse  pour  leurs  grandeurs  battues  par  la  folle  tempête.  —  Ne  pou- 
vant plus  faire  de  la  politique  pour  le  compte  de  la  France,  sa  passion,  et  de 
Chateaubriand,  son  idole,  Zurla  composait  un  Traité  de  Gcojvaphie  où 
il  trouvait  encore  à  célébrer  ses  divinités  malheureuses.  —  Rivarola 
continuait  à  mettre  son  talent  dans  ses  relations  et  préparait,  dans  le 
silence  de  son  Nazareth  romain,   le  prochain  pnpc  qui  ne  serait  autre 


I 


L'AXTICIIAMRHE    DU    PAPE. 


219 


peut-être  que  lui-même.  —  De  Gregorio,  ce  Tanta|e  de  la  tiare  qui 
avait  bu  de  si  près  au  lac  fameux,  n'attendait  pas  d'être  proposé  h  un 
nouveau  Conclave  pour  se  faire,  en  grandissime  seigneur,  sa  propre  cour 
en  compagnie  des  plus  opulents  cardinaux  dont  le  palais  rigide  du 
Gregoraccio  n'utilisait  pas  les  pourpres  mirobolantes  :  l'ancien  beau 
majordome  Frosini,  qui  parlait  toutes  les  langues,  et  son  rival  bien 
r.onuné  Nasali  (jui  ne  parlait  que  celle  de  son  nez.  —  Un  autre  major- 
dome, en  retraite  forcée,  était  ce  vieux  Naro  qui  ne  pouvait  pardonner 
à  Pie  VII  d'avoir  rapporté  l'ordre,  donné  par  lui,  de  détruire  les  embel- 
lissements que  Napoléon  avait  faits  au  palais  des  papes;  et,  depuis  1814, 
ce  cardinal  anlibonapartiste  en  reparlait  chaque  jour.  —  Heureusement, 
pour  les  aigles  de  l'Empire,  le  plébéien  Micara  survivait,  et  sa  réputation 
d'orateur  pouvait  permettre  à  sa  pourpre  de  prince  d'entrer  sans  honte 
dans  la  loge  de  la  villa  Ruffaneili  dont  son  pauvre  frère  tenait  les  clefs, 
pour  faire  visiter  au  touriste  les  anciens  appartements  de  Lucien  Bona- 
parte, lui,  son  concierge  resté  fidèle.  Un  charretier  n'avait  il  pas  été  le 
père  du  cardinal  Papcrano,  et  y  avait-il  déshonneur  pour  le  frère  du 
cardinal  Micara,  à  recevoir  du  touriste  quelques  baiocs  en  pourboire, 
dans  la  villa  d'un  Bonaparte?  —  Baïocs  ou  paoli,  quattrini  papalins  ou 
sons  français,  plus  ignorant  qu'un  concierge  sur  la  valeur  des  monnaies, 
c'était  ce  doux,  ce  juste,  ce  bienfaisant  Pacca  que  les  conclaves  précédents 
auraient  déjà  porté  sur  le  siège  de  Pierre,  si  ce  Sisyphe  infatigable  de  la 
p;ipauté  en  exil,  après  avoir  roulé  de  Rome  à  Paris  et  de  Paris  à  Rome 
le  roc  inamoindri  où  s'était  assis  Pie  VII,  n'avait  pas  été  roulé  à  son  tour 
par  un  neveu  incorrigible,  ce  trop  fameux  Tibère  Pacca  dont  les  folies 
féminines  et  financières  faisaient  partager  au  plus  infortuné  des  oncles 
une  réputation  qu'il  ne  méritait  pas.  —  Mais  la  chronique  scandaleuse 
s'arrêtait  au  seuil  d'autres  plus  humbles  cardinaux,  pour  n'y  laisser 
passer  que  le  bon  renom  de  science  et  de  piété  d'un  Galletti,  d'un  Pal- 
lotta,  d'un  Dandini,  d'un  Sala,  d'un  Polidori;  ces  vrais  amis  du  stu- 
dieux ancien  moine  Cappellari,  dont  le  pape  Grégoire  demandait  le  plus 
sympatlii(juement  des  nouvelles. 

Grégoire  XVI  laissait  bien  volontiers  les  cardinaux,  princes  de 
Rome,  à  l'insignifiance  de  leurs  milieux  retardataires  où  la  dernière 
noblesse  d'ancien  temps  jouait  sa  dernière  partie  de  wislh  ou  de  tarot 
en  compagnie  des  nobles  dames,  leurs  tantes,  leurs  nièces  ou  leurs 
sœurs,  sous  l'œil  observateur  de  (|uelque  peintre  qui,  la  palette  à  la 
main,  en  tirait  tout  au  plus  quel(|ue  amusant  tableau.  —  C'était  le 
cardinal  Doria,  dont  la  taille  d'enfant  et  la  voix  féminine  représentaient 
bien  cette  caste  romaine  à  qui  la  grandeur  du  passé  suffisait  et  qui, 


) 


220 


LA  PKÉLATLRE  DE  LÉO.N  XIU 


I 


pour  un  eflurt  [personnel  qu'elle  lui  eut  coulé,  n'eût  njoulé  à  oucui» 
prix  une  coudée  à  la  taille  ainsi  rapetissée  des  aïeux,  auprès  desciuels  les- 
petits-fils  n'apparaissaient  plus  (pie  des  nains.  —  C'était  Macchi,  écono- 
misant les  bascpies  de  ses  minables  larbins  en  frac,  pour  ajouter  (jucl- 
ques  paniers  de  plus  aux  robes  lamentables  de  ses  nièces  ruinées.  — 
C'était  Odescalchi,  simple  et  doux  comme  le  permettaient  ses  dernières- 
ressources,  et  n'ayant  plus  pour  toute  fortune  que  le  bon  mot  qu  avait 
prononcé  son  commensal  de  la  veille  et  que  l'Éminence  en  déficit  servi- 
rait à  son  bote  du  lendemain.  —  C'était  encore  ce  jeune  et  sémillant 
grand  de  Na[)les,  Riario  Sforza,  en  qui  la  dernière  noblesse  s'attardait 
de  briller  comme  les  lustres  d'un  salon  sur  des  ruisseaux  de  diamants 
qui  vont  rouler  dans  d'autres  lits,  après  les  dernières  mesures  du  biil 
fini.  —  Mais,  c'était  surtout  cet  octogénaire  et  toujours  invincible  car- 
dinal Albani,  représentant  irréductible  d'une  aristocratie  d'ancien  régime, 
qui  n'avait  pas  capitulé  à  Ancône,  celle-là;  celte  Kminence  des  ci-devant 
en  frac  de  soie,  en  culottes  à  boucles  et  en  jabot  plissé,  qui,  chaipic 
5oir,  dans  les  salons  oîi  les.  derniers  chevaliers  de  réchii|uier  et  du 
pharaon  faisaient  la  partie  et  tenaient  la  banque,  ne  détournait  pas. 
même  la  tète  vers  le  cartel  doré  sonnant  significativement  minuit.  Albani 
interrompait  tout  au  plus  son  jeu  pour  écouter  un  morceau  de  harjn^ 
et  dire  à  la  Bellucia  Palombi,  qui  avait  fini  son  menuet  de  Mercadante 
ou  sa  sonate  de  Paccini. 

—  Per  DiOj  quanto  sei  bella  ! 

Sans  sortir  de  son  cabinet  où  il  se  plaisait  à  suivre  ses  anciennes 
habitudes  de  moine  au  couvent  de  Saint-Romuald,  Grégoire  XVI  con- 
naissait, par  les  rapports  de  son  fidèle  messager,  la  vie  de  la  noblesse 
romaine,  grande  et  petite.  Et  i)lut()t  la  petite  cpii  faisait  d'assez  bonnes 
affaires  avec  les  adjudications  de  l'État,  pour  se  payer  des  musiciens  et 
des  sorbets  en  des  soirées  mirobolantes,  d'où  la  «irande,  à  tout  jamais 
ruinée  et  incapable  de  négocier  rien  plus  que  ses  billets  d'emprunt,, 
s'était  exclue  en  fermant  ses  salons  et  en  s'exilant  même  de  Home.  La 
roue  de  la  fortune  avait  tourné,  et  c'était  une  simple  femme  de  compu- 
iste  qui  se  payait  des  cachemires  (juadru^iles  que  ne  pouvaient  plus 
s'acheter  les  princesses  romaines,  et  qui  recevait  en  soirées  dansantes 
et  chantantes  les  derniers  nobles  de  la  ville,  prêts  à  redorer  leur  blason 
en  combinant  dans  ces  mêmes  soirées  (luelijues  riches  mariages  bour- 
geois. —  On  trouvait,  par  exemple,  au  [>alais  de  Valdambrini,  à 
Ripetta,  certaine  Romagnoli  (pi'avait  épousée  le  manpiis  Sacrati,  et 
pour  l'amour  de  qui  s'était  ruiné  Cnudi,  le  trésorier  des  Romagnes. 
A  ses  soirées,  fréquentaient  littérateurs  et  politiciens  mêlés,  Ciordoni 


!' 


'\ 


L'ANTICUAMBRE    DU    PAPE. 


•221 


^t  Mamiani,  De  Romanis  et  Gian  Gherardo  de  Rossi,  Biondi  et  Perlicari, 
le  chev.dier  Palombi,  qui  se  vantait  d'avoir  engagé  la  partie  avec  quatre 
Souverains  à  la  fois,  et  la  femme  Belluccia  Moroni,  que  le  cardinal 
Albani  se  plaisait  à  complimenter  sur  sa  beauté,  chez  les  autres  comme 
chez  elle,  avec  la  même  désinvolture  qu'il  mettait  à  provoquer  et  à 
battre,  a  la  table  de  jeu,  ses  partenaires  habituels  Sauli  et  Zauli,  le 
comte  Alborghetti  et  le  marquis  Lepri.  —  Chez  la  belle  Corneglia  Mar- 
liiielli,  où  l'on    avait  vu  Canova  et  Stendhal,  on  rencontrait  Odoardo 


Maison  à  louer.  (D'après  Ccsbroii.) 

Fabri,  qui  fut  plus  tard  ministre  de  police  de  Pie  IX  et  beau-frère 
d'Allemps,  et  le  commandant  de  gendarmerie  Cecilia  qui  faillit  arrêter, 
en  1830,  ce  même  comte  Fabri,  dans  la  maison  même  des'  Mar- 
tinelli  et  préféra  le  laisser  s'échapper  jusqu'à  Imola,  où  l'avéré  carbonaro 
se  fit  prendre.  Res  abbés  de  ruelle  et  d'académie,  dits  codini,  Coppi, 
Palma,  Marcello,  Calandrelli,  Grazioli,  qui  ne  dcpasssèrent  pas  les 
honneurs  de  la  Nicchia  et  de  VAlmanach  des  Muses,  y  rencontraient  des 
prélats  di  fiocclii,  devenus  depuis  les  cardinaux  Darili,  Fornari,  Mori- 
«  hini,  Viale,  Rrunelli,  les  avocats  Tarenghi  et  Semprebene,  le  mathé- 
maticien Tisi,  le  préfet  des  études  .Mgr  Testa  et  une  envolée  de  belles 
que  la  renommée  des  grandes  soirées  chantantes  appelait  la  Sorlofra,  la 
Viale,  PAltemps,  la  Lampugnani.  —  Chez  les  Yera,  où  une  ancienne 


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220 


LA    PHKLATIHK    DK   LÉO.N    Xill 


pour  un  fflort  [lersonuel  ([u'olli*  lui  eut  toute,  irt'ùl  njoulr  à  îiucui» 
prix  une  coudée  à  la  taille  ainsi  ra[>etissce  des  aïeux,  au[>rès  destpiels  le- 
petits-fils  n'apparaissaient  plus  (pie  des  nains.  —  C'était  Maeehi,  éeeim- 
niisant  les  basques  de  ses  minables  larbins  en  Irae,  pour  ajouter  <[ut  I- 
(|ues  paniers  de  plus  aux  robes  lanuiilables  de  ses  nièces  ruinées.  — 
C'était  Udescalcbi,  simple  et  doux  connue  le  permellaient  ses  dernières 
ressources,  et  n'ayant  plus  [K)ur  tonte  fortune  que  le  bon  mot  ([u  av.iit 
})rononcé  son  commensal  de  la  veille  et  que  rCminence  en  déficit  serNi- 
rait  à  son  bote  du  lendemain.  —  C'était  encore  ce  jeime  et  sémillant 
grand  de  iNa|)les,  Uiario  Slorza,  en  qui  la  dernière  noblesse  s'altardail 
de  briller  connue  les  lustres  d'un  salon  sur  des  ruisseaux  de  diamants 
(pii  vont  rouler  dans  d'autres  lits,  après  les  dernières  mesures  du  bal 
fini.  —Mais,  c'était  surtout  cet  octojiénaire  et  toujours  invincible  car- 
dinal Albani,  représentant  irréductible  d'une  aristocratie  d'anc'ien  réginu', 
ipii  n'avait  pas  cjqûtulé  à  Ancone,  celle-l;«  ;  celte  Kminence  des  ci-devant 
en  Irac  de  soie,  en  cubâtes  à  boucles  et  en  jabot  plissé,  qui,  cb.Kpu- 
soir,  dans  les  salons  où  les  derniers  cbevaliers  de  l'écliiquier  et  du 
pbaraon  Taisaient  la  pîulie  et  tenaient  la  banque,  ne  détournait  [ms 
même  la  tète  vers  le  cartel  doré  soimant  si^nilicativement  minuit.  Mbani 
interrompait  tout  au  plus  sou  jeu  [tour  écouter  un  morceau  de  barpr 
et  dire  à  la  Hellucia  Palombi,  qui  avait  fini  son  menuet  de  Mercadanle 
ou  sa  sonate  de  l'accini. 

—  Per  DiOy  qnanlo  sei  helln  ! 

Sans  sortir  de  son  cabinet  où  il  se  plaisait  à  suivre  ses  anciennes 
babitudes  de  moine  au  convcul  de  Saint-Iioniuald,  (Iréj^oire  X\l  con- 
naissait, par  les  ra|)porls  de  son  fidèle  messager,  la  vie  de  la  noblesse 
rtunaine,  grande  et  petite.  Et  plulol  la  [U'iite  «pii  l'.ns:ut  d'a^-sez  bonnes 
alîaires  avec  les  adjudications  de  IKlat,  p(Mir  se  payer  des  musiciens  cl 
des  sorbets  en  des  soirées  mirobolanles,  d'où  la  grande,  à  tout  jamais 
ruinée  et  incapable  de  négocier  rien  |)lus  «pie  ses  billets  d'tMupruuL 
s'était  exclue  en  fermant  ses  salons  et  en  s'exilant  même  de  \\on\e.  La 
roue  de  la  fortune  avait  tourné,  et  c'était  une  simple  fennne  de  conipn- 
iste  «pii  se  payait  des  cacbemires  «piadriqdt's  (pie  ne  pouvaient  plus 
s'acbeter  les  princesses  romaines,  cl  (pii  recevait  en  soirées  dansanb's 
et  cbantantes  les  derniers  nobles  de  la  ville,  prêts  à  redorer  leur  blason 
en  combinant  dans  ces  mêmes  soirées  (piebpies  ricbes  mariages  bour- 
geois. —  On  trouvait,  par  exenq»le,  au  palais  (je  Valdambrini,  a 
lUpetta,  certaine  Uomagnoli  (pi'avait  épousée  le  manpiis  Sacrali.  et 
pour  l'amour  de  (pii  sétail  ruiné  (lundi,  le  trésorier  des  Ibunagnes. 
A  ses  soirées,  fré([uentaient  littérateurs  et   politiciens  mêlés,   (iiordoni 


U    ! 


L'A.NTICIIAMnnK    bU    l'APE. 


'221 


it  Mamiani,  De  Komanis  et  Cian  (iberardo  de  Uossi,  Ifiondi  et  Terlicari, 
le  cliev.dier  Palombi,  (pii  se  vantait  d'avoir  (^ngagé  la  partie  avi^c  quatre 
Souverains  à  la  fois,  et  la  fennne  Ijelluccia  Moroni,  (pie  le  cardinal 
Albiini  se  plais;iil  à  conqiliinenter  sur  sa  beauté,  cbez  les  autres  coninie 
(liez  elle,  avec  la  même  désinvolture  (pi'il  mettait  à  provotpier  et  à 
battre,  à  la  table  de  jeu,  ses  partenaires  babiluels  Sauli  et  Z.iuli,  le 
4*omle  Alborglietti  et  le  manpiis  Lepri.  —  Cbez  la  belle  Corneglia  Mar- 
*iiu'lli,  où   l'on    avait    vu   Canova  et  Slendlial,  on   rencontniit  (Idoardo 


MiiiM>n  à  huicr.    IVapivs  (Icslirou.) 


Tabri,  (jui  fut  plus  tard  ministre  de  ptdice  de  Pie  IX  et  beau-frère 
«l'Allemps,  et  le  commandant  de  gendarmerie  Cecilia  qui  faillit  arrêter, 
en  1850,  ce  même  comte  Fabri,  dans  la  maison  mé-me  des-  Mar- 
tinelli  et  préféra  le  laisser  s'écbapper  jus(prà  Iinola,  où  l'avéré  carbonaro 
se  (il  prendre.  Des  abbés  de  ruelle  et  d'académie,  dits  codini,  Coppi, 
Palma,  Marcello,  Calandrelli,  Crazioli,  qui  ne  dépasssèrent  pas  les 
honneurs  de  la  Mcchia  et  de  VAlmanach  des  Muses,  y  rencontraient  des 
pn'lats  di  fiocclii,  devenus  depuis  les  cardinaux  Darili,  Fornari,  Mori- 
<  bini,  Viale,  l»runelli,  les  avocats  Tarengbi  et  Semprebene,  le  matlK'- 
inalicieii  Tisi,  le  préfet  des  études  Mgr  Testa  et  une  envob'e  de  belles 
que  la  renommée  des  grandes  soirées  cbantantes  appelait  la  Sorlofra,  la 
Niale,  l'Altemps,  la  Lampugnani.  —  Chez  les  Vera,  où  une  ancienne 


222 


LA  PRÉLATUaE  DE  LÉON  XIIL 


s 


actrice,  Carlotta  Hacser,  faisuit  les  lioiineiirs  de  sa  «.orge  célèbre,  so 
coudoyaient,  pour  entendre  clianter,  les  princes  de  Piomhino,  Odescalclii 
et  de  Viano,  les  marquis  Capranira  et  Antici,  et  les  di|)loniales  Dunson 
de  Prusse  et  Gagarin  de  Russie  qui  succéda  à  cet  octogénaire  Souvarow- 
Italinsky  dont  la  galanterie  sans  vacances  faisait,  encore  à  80  ans, 
l'ébahissement  des  dames.  11  ne  l'ut  vaincu  en  cet  art  que  par  son  rival 
octogénaire  Hoeflin,  se  pàniant  devant  la  Boccabadati  et  la  Tamburini 
quand  elles  interprétaient  en  duos,  avec  leurs  maris  respectifs  et  ras- 
surés, les  pages  les  plus  enllammées  de  Cimarosa  et  de  Mercadante. 

Chez   le   satiriste    Giovanni    Giraud,    au    palais   Ruspoli,    on    allait 
voir  jouer  la  comédie.   Inspecteur  des  théâtres  de  l'État  pontifical,  le 
maître  de  céans  avait  écrit  pour  son  compte  seize  volumes  de  savnetles, 
dont  les  plus  applaudies  n'étaient  pas  les  moins  mordantes.  *L;i,    se 
donnaient  rendez-vous,  comme  étalons  en  foire,  les  plus  beaux  restes  de 
la  vieille  noblesse  à  laquelle  il  faillit  un   sang  nouveau  et  des  écus 
plus  neufs  :  la  duchesse  Lanle  et  ses  trois  filles  qui  s'v  trouvèrent  troi. 
comtes  pour  maris  ;  la  belle  Morici  et  sa  sœur  plus  belle  encore,  Gigia 
liavaglini,  qu'on  appelait  couramment  ÏÀnlichambre  du  Paradis  et  pmir 
laquelle  le  prince  Louis  Bona])arte,  —  plus  tard  Napoléon  111,  —  s'habilla 
en    femme,    seul     stratagème   qui    permît    au    futur   Knq)ereur    des 
Français  d'admirer  de  jdus  près  cette  beauté  (pi'il  venait  contempler  de 
si  loin.  —  On  liiisait  de  la  musique  au  palais  Golonna  qu'occupait  un 
vigneron  de  Genazzano,  le  riche  Vaiuiutelli,   pour  y  faire  entendre  à  bi 
harpe  sa  femme  Girometti,  qu'Andréa  Corsini  venait  écouler.  Chez  les 
Carnevali,  on  conversait  avec  Massimo  d'Azzelio  ;  et  chez  les  Lozzano,  alliés 
aux  Carpegna  et  aux  Falconieri,  on  retrouvait  les  Vera  et  les  Vannutelli. 
Le  romagnol  Marconi,  enrichi  aux  adjudications  de  l'État  Pontifical  sous 
Pie  VII,  s'était  payé,  déjà  vieux,  son  mariage  avec  une  Giustiniani  et  son 
salon    de   réception   avec    tcule  une  vraie  banquise  de  corail,   devant 
laquelle  venaient  parader  les  pauvres  naufrages  de  cette  dernière  noblesse 
C'était  la  princesse  Chigi,  qui  devait  24000  écus  à  son  voisin  IJersani* 
le  charcutier  de  la  rue  Cacciabove,  et  qui  finit  par  le  payer  en  lui 
cédant  sa  terre  de  Casaletto,  hors  la  porte  San-Pancrazio.  Celait  don 
l^rancesco  Chigi,  qui   s'était  marié  par  caprice  avec  une  paysanne  de 
Frascati,  apptlée  parle  peuple  la  Duchessaccia.  alliance  qui  faisait  tant 
rougir  un  des  gendres  du  duc,  le  prince  de  Teano  don  Philippe  (iaetani 
que  celui-ci  n'osa  plus  revenir  à  Rome  et  vécut,  jusjju'à  sa  mort    ii 
Florence.  C'était  le  duc  Caffarelli,  mari  en  secondes  noces  de  la  femme 
d  un  boucher,  certaine  Pozzonelli.  C'était  le  duc  Bonnelli  qui,  pour  .a 
part,  avait  pris  une  revendeuse  de  légumes.  La  vieille  robe  de  l'archi. 


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L'ANTICUAMBRE    DU   PAPE. 


225 


séculaire  noblesse  romaine  ne  pendait  plus  qu'en  loques,  à  la  défroque 
de  ses  palais  abandonnés  où  la  nouvelle  noblesse  des  affaires  allait 
remplacer  l'écu  des  chevaliers  par  les  écus  des  marchands  et  maqui- 
gnonner  en  mariages  interlopes,  comme  en  libres  haras,  un  troc  élionté 
de  purs  sangs.  Le  plus  fameux  macjuignon  de  cette  espèce  avait  été  le 
brasseur  d'affaires  Jean  ïorlogne,  venu  d'Auvergne  à  Rome  sous  Pie  VII 
pour  bazarder  l'État  pontifical  presque  entier  à  son  seul  et  inavouable 
profit.  Les  Borghèse,  les  Ruspoli,  les  Colonna  et  jusqu'aux  Sforza- 
Cesarini,  —  dont  un  |)rocès  scandaleux,  auquel  nous  pouvons  seulement 
faire  ici  allusion,  a  rendu  le  nom  célèbre  dans  les  annales  de  la  scato- 
logie, —  furent  d'abord  les  commensaux  et  puis  les  alliés  de  ces  Torlonia 
sans  rivaux  pour  les  bals  qu'ils  donnaient  à  leur  monde  et  à  l'autre*. 
A  un  de  ces  bals,  entre  autres,  un  soir,  une  belle  comtesse  entra  comme 
chez  elle.  Et,  en  vérité,  elle  ne  pouvait  y  entrer  autrement;  cette  belle 
comtesse  de  la  ville  de  Pérouse  n'étant  autre  (|ue  la  Piazza,  au  sujet  de 
qui  le  duc  Torlonia  avait  répondu  à  quelqu'un  lui  demandant  quelle 
place  (en  italien  piazza),  il  préférait,  de  toutes  les  cités  de  l'Italie  : 

—  La  Piazza  di  Perugia! 

Cette  même  Piazza  avait  introduit  avec  elle,  à  ce  bal,  sans  autre  pré- 
sentation, une  jeune  marquise  répondant  au  nom  encore  inconnu  de 
Florenzi  et  dont  la  beauté,  aussi  effrontée  qu'idéale,  allait  faire  courber 
sous  elle  le  front  d'un  roi.  L'avis  de  la  duchesse  Torlonia,  qui  ne  se  fit  pas 
défaut  de  le  dire  hautement,  était  que  ces  manières  de  s'introduire  dans 

1.  M.  Torlonia  aiinoiu'o  une  aneclote.  On  fait  cercle  autour  de  lui,  et  il  entre 
dans  tous  les  détails  d'une  ruse  adi-oite,  au  moyen  de  laquelle  il  obtint  des  marchands 
de  glaces  de  Paris  (|>our  les  places  de  ses  salons  de  Uome),  un  rabais  de  5  0/0.  Il  se 
vêlit  encore  plus  mal  qu'à  l'ordinaire,  sa  physionomie  prit  une  teinte  encore  plus 
misérable  cl  plus  juive.  Ainsi  grimé,  il  se  présenta  aux  marchands  de  Paris,  auxquels 
il  dit  que  ce  banquier  ilalien  si  avare,  le  fameux  Torlonia,  l'avait  chargé  lui,  pauvre 
miroitier  de  Home,  d'acheter  des  glaces  à  Ix)ndres  ou  à  Paris.  Ilolfraitde  payer  comptant  : 
«  C'est  ainsi,  poursuit  le  millionnaire  triomphant,  que  j'ai  arraché  un  rabais  de  5  0/0 
sur  le  prix  le  plus  restreint  que  j'aurais  pu  obtenir  en  me  présentant  sous  mon  nom. 
Ce  rabais  de  5  0/0  fil  une  st)mme  assez  ronde.  »  Et  les  petits  yeux  du  banquier 
brillent  de  joie  et  perdenl,  pour  un  moment,  leur  air  inquiet. 

Plus  tard,  vers  les  une  heure,  M.  Torlonia  parlait  de  ses  fils  au  groupe  où  était  la 
pauvre  miss  Balhurst.  Un  tel,  disait-il  en  montrant  l'aîné,  je  crois,  est  un  nigaud;  il 
aime  les  tableaux,  les  arts,  les  slalues  ;  je  lui  laisserai  trois  millions  et  deux  duchés. 
Mais  l'autre,  c'est  bien  différent  :  celui-là  est  un  homme,  il  connaît  le  prix  de 
I  argent.  Aussi  lui  laisserai-je  ma  maison  de  banque  ;  il  l'augmentera,  l'élendra  et,  un 
jour,  vous  le  venez  non  pas  plus  riche  que  tel  ou  tel  prince,  mais  que  tous  les 
pniK  es  romains  pris  ensemble  ;  et  s'il  arrive  à  la  moitié  de  la  prudence  de  son  père, 
il  fera  son  fils  pape. 

A  deux  pas  du  duc,  la  célèbre  lady  N...  était  attristée  de  voir  cette  figure  à  argent, 
c  Torloma,  disait-elle,  ne  devrait  pas  se  trouver  aux  bals  qu'il  donne.  Les  princesses, 
ses  filles,  en  feraient  mieux  les  honneurs.  »  —  Stendhal,  Promenades  dans  Home. 


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224 


LA    l'RÉLATlRE    DE   LÉON   XHI. 


Je  monde  pouvaient  passer  à  Pérouse,  mais  non  à  Rome.  Les  deux  étran- 
^^ères,  ainsi  toisées  par  leur  hôtesse,  ne  perdirent  rien  de  leur  taille  élé- 
.^ante  et  attendirenr,  pour  se  venger  à  leur  manière  aussi,  l'ouverture  du 
bal.  Les  musiciens  étaient  au  pa!ço  et  tout  le  monde  allait  danser  cpiand 
<lon  Marino  Torlonia,  l'aîné  des  lîls  du  duc,  se  présenta  devant  le  roi  de 
Bavière  et  l'invita,  à  titre  de  premier  invité,  à  choisir  pour  le  vallzer^n 
dame.  Ce  moderniste  Louis  h%  qui  |)orJait  le  frac  noir  comme  à  la  soirée 
.«|ue  lui  doima  Chateaubriand  quand  celui-ci  en  écrivait  :  «  Ce  souverain 
<frec,  en  portant  une  couronne,  semble  savoir  ce  qu'il  a  sur  la  télé  et 
comprendre  qu'on  ne  cloue  pas  le  temps  au  passé  »,  accepta  sur-Ie- 
•champ  l'invitation  du  jeune  duc.  Passant  devant  la  Borghcse,  la  Piom- 
bmo,  la  Grazioli  et  la  Torlonia,  cpii  brillaient  conmie  des  lampadaires 
<lans  leurs  corsages  de  diamants,  il  alla  droit  à  l'inconnue  petite  mar- 
(luise  qui  portait  pour  toute  parure  une  fleur  blanche  dans  ses  cheveux 
iioirs,  et  lui  offrit,  au  scandale  de  l'assistance,  son  bras  roval  d'où  la 
(rop  célèbre  Florenzi  ne  s'est  plus,  depuis,  détachée.  Peut-être,  à  ces  bals, 
<'tait;aussiinvitélej)rincePoniatowski,aco(|uiiiéà  une  fille  des  rues  que  la 
police  avait  traquée,  de  nuit,  jusqu'au  palais  où  elle  se  réfugia  pour  en 
devenir  la  maîtresse.  Et  pcut-élrc  aussi  y  voyait-on  ce  don  Miguel  de  Por- 
tugal qui  dépensait  en  folles  noces,  dignes  de  figurer  dans  les  Nolti 
Romane  de  Verri,  le  prix  d'un  tronc  joyeusement  dépensé  dans  l'exil, 
au  pays  de  Priape  et  de  Bacchus  ;  ce  même  roi  des  festins  libres  qu'un 
pauvre  savant  de  Rome,  le  bon  codino  Bartolucci,  apostrophait,  cotide  à 
-coude,  en  plein  Corso,  avec  l'épilhcte  suivante  : 
—  Com  voleté  voi,  sor  re  di  coppe? 

D'autant  plus  clos  dans  son  Ouirinal  ou  dans   son  Vatican,  que  se 
^•épandait  davantage  au  dehors  cette  noblesse  décadente  dont  il  ne  pou- 
vait  plus  arrêter  la  chute  prochaine  et  dont  il  n'était  encore  le  Souve- 
rain que  de  nom,  le  vieux  Grégoire  XVI  ne  demandait  même  plus  a  son 
informateur  intime  Gaetanino  des  nouvelles  d'un  monde  qui  trouverait, 
sans  doute,  d'autres  réformateurs  que  lui.  «  //  mondo  va  da  se!  Je  suis 
trop  vieux  pour  le  refaire  !  »  répétait-il  en  se  promenant,  d'un  fauteuil 
à  un  autre,  dans  ces  appartements  pontificaux  où  Moroni  n'avait  le  droit 
d'introduire  personne,  mais  où  il  se  chargeait  de  faire  passer  qui  il  vou- 
lait des  invites  de  son  maître.  Un  cardinal  ou  un  ambassadeur  se  pré- 
sentait-il à  l'audience,  c'était  Moroni  qui  l'abordait  le  premier  et  s'in- 
formait, entre  les  compliments  obséquieux,  de  l'aflaire  que  l'introduit 
venait  exposer  au  pape.  Et  cet  ambassadeur  ou  ce 'cardinal  n'avaient 
»pas  dépassé  les  premières  salles  pour  arriver  jusqu'au  cabinet  du  pon- 
tife, que  l'avisé  domestique  avait  déjà  envoyé  à  Grégoire  XVI,  entre  deux 


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224 


l\    l'RKLATLUE    DE    LÉON    Mil. 


le  monde  pouvaient  passer  à  Pérousc,  mais  non  à  [>,ome.  T.es  deux  ('tran- 
-ères,  ainsi  toisées  par  leur  hôtesse,  ne  perdirent  rien  de  leur  taille  élé- 
gante et  attendirent,  pour  se  venger  à  leur  manière  aussi,  l'ouverture  du 
l)al.  Les  nnisiciens  étaient  au  pafço  et  tout  lo  monde  allait  danser  cpiand 
<lon  Marino  Torlonia,  l'aînc'  des  fils  du  duc,  se  présenta  devant  le  roi  de 
Bavière  et  l'invita,  à  litre  de  premier  invité,  à  choisir  pcuir  le  vallzery.x 
dame.  Ce  moderniste  Louis  \%  ipii  portait  le  frac  noir  comme  à  la  soirée 
<|ue  lui  donna  Chateauhriand  (piand  celui-ci  en  écrivait  :  «  Ce  souverain 
(/rec,  en  portant  une  couronne,  sendjle  savoir  ce  qu'il  a  sur  la  tèle  et 
comprendre  .pron  ne  cloue  pas  le  temps  au  passé  »,  accepla  sur-le- 
champ  l'invitation  du  jeune  duc.  Passant  dcvani   la  nor-hcse,  la  Piom- 
hino,  la  (irazioli  et   la  Torlonia,  .pii  hrillaient  conmic  des  lampadaires 
dans  leurs  corsages  de  diamants,  il  alla  droit  à   linciMume  petite  mar- 
(juise  qui  portait  |.our  toute  parure  une  lleur  hlanchc  dans  ses  <heveux 
noirs,  et  lui  oll'rit,  au  scandale  de  Passistance,  son  hras  royal  d'où  la 
trop  célèbre  Florenzi  ne  s'est  plus,  depuis,  détachée.  Peut-être,  à  ces  hais, 
était  aussi  invité  le  prince  Poniatovvski,  acoquin.-  à  une  lille  des  rues  (pie  la 
jîoliee  avait  traquée,  de  nuit,  jusqu'au  palais  où  elle  se  réfugia  pour  en 
devenir  la  maîtresse.  Kl  peut-être  aussi  y  voyait-on  ce  don  Miguel  de  Por- 
tugal qui  dé|)ensait  en  folles  noces,  dignes  de  (igurer  dans  les  Noffi 
llomnne  de  Verri,  le  prix  d'im  troue  joyeusement  dépensé  dans  l'exil, 
au  pays  de  Priape  et  de  lîacchus  ;   ce  même  roi  des  festins  lihres  qu'un 
()auvre  savant  de  P,ome,  le  hou  coilino  llartolucci,  ap(.stro])hail,  coude  à 
toude,  en  plein  Corso,  avec  l'éiMllicle  suivante  : 
—  Cosa  voleté  voi,  sor  re  tli  coppe? 

D'autant  plus  clos  dans  son  Quirinal  ou  dans  son  Vatican,  que  se 
répandait  davantage  au  dehors  cette  niddesse  décadente  dont  il  ne  pou- 
vait  plus  arrêter  la  chute  prochaine  et  dont  il  n'était  encore  le  Souve- 
rain que  de  nom,  le  vieux  Grégoire  \V|  ne  demandait  même  plus  à  son 
informateur  intime  Caetanino  des  nouvelles  d'un  monde  qui  trouverait, 
sans  doute,  d'autres  réformateurs  que  lui.  «  //  mondo  va  da  se!  Je  suis 
trop  vieux  pour  le  refaire  I  »  répêlait-il  en  se  promenant,  d'un  fauteuil 
à  un  autre,  dans  ces  appartements  ponlilicaux  où  Moroni  n'avait  le  droit 
d'introduire  personne,  mais  où  il  se  chargeait  de  faire  passer  qui  il  vou- 
lait des  invités  de  son  maître.  Un  cardinal  ou  un  ambassadeur  se  pré- 
sentait-il à  l'audience,  c'était  Moroni  (jui  l'abordait  le  premier  et  s'in- 
formait, entre  les  complinients  obséquieux,  de  l'an'aire  que  l'introduit 
venait  exposer  au  pape.  Kt  cet  ambassadeur  ou  ce 'cardinal  n'avaient 
pas  dépassé  les  premières  salles  pour  arriver  jusqu'au  cabinet  du  pon- 
4ife,  que  l'avisé  domestique  avait  di^à  envoyé  à  (;régoire  \VI,  entre  deux 


I  > 


L'ANTICHAMBRE    DU   PAPE. 


225 


ieuiilcls  d'un  livre  qiu'lcontjuo,  une  note  détaillant  par  le  menu  les 
secrets  que  le  visiteur  apportait  à  l'audience  pontiticale  et  que  le  maître 
avait  le  temps  de  connaître  avant  de  recevoir  son  visiteur.  De  la  sorte, 
personne  ne  parvenait  jamais  à  le  surprendre.  Un  jour,  entre  autres, 
Pellej^Tino  Uossi  se  présenta  à  l'antichambre,  chargé  par  Louis-Phihppe 
de  venir  intercéder  auprès  de  Grégoire  XVI  pour  que  le  décret  de  l'Index, 
qui  censurait  le  Manuel  de  Droit  Lcclésiastique  Françai^idc  M.  Dupin, 


Les  deux  noblesses.  (D'après  Escoura.) 

ne  fut  pas  puhlié.  L'envoyé  du  roi,  qui  n'eut  [)as  confié  son  secret  à  son 
ombre,  ne  pjt  le  dissimuler  à  Moroni;  et  sa  surprise  ne  fut  pas  ordi- 
naire, de  trouver  Grégoire  XVI  en  train  de  lire  et  d'annoter  ce  même 
livre  dont,  pensait  Pellegrino  Kossi,  le  Pape  ne  connaissait  pas  même  le 
titre. 

—  Dites  à  Sa  Majesté  le  roi  des  Français  combien  je  regrette  ne  pou- 
voir rien  faire  pour  Elle,  en  cette  circonstance.  Mais,  à  l'heure  tardive  où 
vous  m'informez  du  louable  désir  de  votre  maître  souverain,  le  texte  du 
décret  court  la  poste.  H  sera  publié  partout,  en  France,  quand  votre 
dépêche  y  arrivera.  Monsieur  le  chargé  d'affaires,  nous  serons  plus 
heureux  une  autre  fois. 


15 


k'-î 


i 


L'ANTIClIAMIiUi:    l>l    PAI»i:. 


'lih 


(euillols  (l'un  livre  (juclcoiiijîio,  une  iKito  dctaillanl  pjir  le  inciiii  les 
secrels  que  le  visiteur  u|»jMtrl;iit  à  rardieiice  pontilicîile  et  (jue  le  maître 
avait  le  leni|)s  île  eonuaître  avant  de  recevoir  son  visiteur.  Pe  la  sorte, 
personne  ne  parvenait  jamais  à  le  surprendre.  \  n  jour,  entre  autres, 
Pelleurino  jiossi  se  présenta  à  l'anticliambre,  eliargé  par  Louis-Philippe 
de  \enir  intercéder  auprès  de  (irégoire  Wlpour  (pie  le  décret  de  l'Index, 
qui  censurait  le  Manuel  de  Droit  Ecclédaslique  FranvaUàv  M.  I)upin, 


lit's  <l('uv  noblesses.   |D  après  Escoura.) 

ne  lut  pas  puMi('.  j/envoyé  du  roi,  »pii  n'eut  pas  confié  son  secret  à  son 
ond)re,  ne  j)  il  le  dissimuler  à  Moroni;  et  sa  surprise  ne  l'ut  pas  ordi- 
naire, de  tnuiver  Gré^roire  \VI  en  Irain  de  lire  et  d'annoter  ce  môme 
livre  dont,  [>ensait  IVIIegrino  liossi,  le  Pape  ne  connaissait  pas  même  le 
litre. 

—  Dites  à  Sa  Majesté  le  roi  des  Trançais  combien  je  rej^retle  ne  pou- 
voir rien  faire  pour  Klle,  en  cette  circonstance.  Mais,  à  l'heure  tardive  oi^i 
vous  m'informez  du  loualde  désir  de  votre  maître  souverain,  le  texte  du 
dé<rcl  couri  la  poste.  Il  sera  publié  partout,  en  IVance,  (piand  votre 
(b'pècbe  y  arrixera.  Monsieur  le  chargé  d'affaires,  nous  serons  plus 
heui'i'ux  une  autre  fois. 


15 


-wmitiMÊÊÊm 


t226 


LA    PRÉLATURE    DE    LÉON    XIII. 


L'ironie  du  pape  Grégoire,  si  à  point  servie  par  un  introducteur  si 
habile,  ne  se  faisait  point  défaut  de  se  manifester  plus  librement  avec 
de  moins  importants  personnages.  Un  autre  jour,  — ce  jour-là,  venait-il  de 
lire  une  page  de  Paul  de  Kock  ({ui  ne  fut  qu'après  son  bréviaire  son 
auteur  favori,  s'il  faut  en  croire  la  légende  qu'aucun  témoin  sérieux  n'a 
contrôlée,  —  le  pape  avait  daigné  recevoir  en  audience  le  graveur  dio- 
vani  Folo  chargé  de  reproduire  au  burin,  pour  la  Cakogra[)hie  pontificale, 
un  Adam  et  Eve  du  Titien.  Le  pontife,  amateur  passionné  des  belles 
estampes,  examinait  tous  les  détails  de  celle-ci.  L'observation  artistique 
en  était  si  sincère  que  le  graveur,  se  familiarisant  tout  à  coup,  s'oublia, 
pour  l'amour  des  beaux-arts,  jusqu'à  dire  le  plus  naturellement  du 
monde  :  «  Saint-Père,  remarquez  les  mamelles  d'Eve  !  Votre  Sainteté 
n'est-elle  pas  d'avis  que  le  i)eintre  a  fait  là  deux  pures  merveilles?  — 
Vous  aimez  donc  bien  les  femmes  ?  lui  demanda  le  Pape,  sans  se  décon- 
certer et  en  relevant  i)laisamment  ses  lunettes  brillantes  vers  l'artiste, 
tandis  que  l'estampe  semblait  être  tombée  d'étonnement  sur  les  genoux 
du  Pontife.  —  J'en  suis  foui  »  répondit  Folo,  sur  un  ton  si  convaincu, 
(|ue  Grégoire  XVI  n'insista  pas.  Mais  il  s'informa,  le  lendemain,  de  la 
moralité  de  l'artiste;  et  quand  il  eut  appris  que  cet  homme  sincère  était 
un  père  de  famille  accompli,  il  lui  fit  adresser  la  commande  de  plusieurs 
autres  scènes  du  Paradis  terrestre  à  graver  pour  son  compte,  d'après 
les  maîtres  célèbres. 

Entre  deux  dolciumi  que  lui  faisait  si  bien  cuire  Gioacchino  Saraceni, 
son  cuisinier  pontifical,  et  deux  flûtes  de  Champagne  que  Louis- Philippe 
continuait  fidèlement  à  lui  servir  aussi,  Grégoire  XVI  se  plaisait  à  rece- 
voir alla  buona  et  pour  le  compte  de  Gaetanino,  qui  s'y  retrouvait  bien, 
les  privilégiés  de  son  valet  de  chambre.  Telle,  la  crestaia  ou  modiste  en 
renom  donna  Massoni,  qui,  après  avoir  coiffé  les  plus  élégantes  et  folles 
tètes  de  Home,  voulut  aussi  coiffer  ses  deux  fils.  Le  chapeau  à  soufflet, 
—  que  les  hommes  portaient  alors  et  que  le  haute-forme  rigide  a  si  désa- 
gréablement remplacé  depuis  les  derhijs  d'Auteuil  où  Louis-Philippe  mit 
le  gibus  à  la  mode,  —  n'ayant  pu  trouver  grâce  aux  yeux  delà  difficile 
Massoni,  elle  sollicita  si  habilement  les  faveurs  du  tout-puissant  Moroni, 
que  l'aîné  de  ses  fils  parvint  à  coifl'er  les  fiocchi  des  prélats  attachés  à 
la  Secrétairerie  d'État.  Pour  son  second  garçon,  elle  obtint  le  zuccheito 
de  nonce  accrédité  près  le  grand-duc  de  Toscane  : 

—  Et  Madame  la  Mort,  comment  la  coifferons-nous?  demanda  Grt*- 
goire  XVI  à  l'heureuse  crestaiaj  en  la  félicitant  des  b'êaux  plumets  qu'elle 
faisait  porter  à  tant  de  têtes  à  l'envers  de  cette  société  romaine,  où  le 
vieux  pasteur  démodé  ne  reconnaissait  déjà  plus  ses  ouailles. 


L'AMICIIAMRRE   DU   PAPE.      '  227 

Au  lieu  des  redingotes  à  triple  collet  et  des  habits  iT  la  française  trop 
courts  devant  et  trop  longs  derrière,  surtout  au  lieu  de  ces  modernes 
têtes  touffues  que  le  chapeau  à  soufflet  porté  sous  le  bras  ne  savait  plus 
coiffer  aussi  bien  qu'avait  fait  l'antique  tricorne  les  têtes  bien  peignées 
et  bien  poudrées  des  retardataires  porte-queue,  que  ne  parlait-on  au 
vieux  Grégoire  XVI  de  ces  fracs  bien  drapés  et  de  ces  jabots  bien  étoffés 
des  vieux  cordini,  ses  premiers  amis?  Fréquentait-il  encore  la  ISicchia 
au  palais  Huspoli  où  avaient  fait,   entre  deux  orangeades,  leur  cercle 
littéraire  les  Magden,  les  Xibby,  les  Tambroni,  les  Cœcilia,  les  Salvatore 
IJetti,  les  Amiati,  les  Fea?  Et  YAi^  dei  Carbognari,  où  le  Cercle  des 
Gardes-Nobles  s'était  recruté  des  comtes  et  marquis  buoniemponi,  ama- 
teurs de  beaux-arts  et  de  belles  manières?  Et  le  Coffè  del  Veneziano, 
sur  la  place  Sciarra,  où  l'on  trouvait  le  docteur  Metaxa  et  le  professeur 
Scarpellini,  le  docteur  Feliciano  et  le  professeur  Bartocci?  Et  le  cercle 
de  la  Place  du  Clémentine,  où  allaient  Morichini  et  Prela,  Bartolucci   et 
.Mauri,  et  iNicolai?  Et  l'imprimerie  du  Cracasi  Et  les  cabinets  de  lecture 
du  presque  légendaire  Vieusseux  et  des  deux  Romanis?  Et  la  pharmacie 
Uicci,  où  l'on  ne  voyait  plus  le  beau  Cancelliori  parlant,  ore  roimdo,  du 
haut  de  ses  cent  soixante  et  un  volumes  manuscrits  que  la  postérité  in- 
grate n'irait  pas  même  chercher  Via  del  Mascherone  où  le  fécond  et 
éloquent  abbé  se  retira  pour  mourir,  en  conversation  avec  lui  seul.  Là 
non  plus  ne  reviendrait,  de  son  jardin  de  la  Via  del  Lateranooxx  il  plan- 
tait ses  choux,  le  satiriste  Mariottini,  après  avoir  épuiséla  verve  débor- 
dante d'un  Giraud.  Le  fauteuil  de  Mauro  Cappellari  y  restait  encore,  mais 
vide;  et  le  carrosse  pontifical  ne  passait  plus  devant  les  bocaux  évaporés 
de  la  Via  dei  Fornari  sans  évoquer,  dans  l'àme  attristée  du  vieux  Gré- 
goire XVI,  les  souvenirs  odorants  comme  un  pré  où  la  faux  a  passé. 
C'étaient  les  bonnes  remembrances  d'un  passé  plein  de  charme  et  d'oubli 
qui  ne  reviendrait  plus,  ni  pour  le  Stato,  ni  pour  son  Pape. 

Les  foins  étaient  coupés  et,  faucheur  ou  fauché,  il  fallait  sortir  d'un 
siècle  où  l'on  n'avait  plus  rien  à  faire.  Le  soir  du  31  mai  1845,  comme 
le  prince  Torlonia  préparait  à  Rome  entière  une  fêle  à  laquelle  Gré- 
goire XVI  avait  promis  d'assister,  le  Pape  absorbait  un  dernier  dulciume 
quand  il  se  sentit  pris  d'un  malaise  que  son  ordinaire  bonne  santé  n'expli- 
quait  pas.  Vers  minuit,  il  tomba  en  syncope  et  fit  perdre  la  tête  à  son 
fidèle  Gaetannio,  qui  prit  la  porte,  pour  aller  cacher  chez  lui  ses  larmes 
et  ne  pius  revenir.  Quand,  au  matin  du  1-  juin,  des  étrangers  ouvrirent 
l  apparlement  du  Pape,  l'état  du  moribond  était  désespéré.  Et,  le  soir  de 
ce  jour,  on  mit  dans  son  cercueil,  —  pour  toute  couronne,  celle  du 
Rosaire  dans  ses  mains,  et  non  plus,  sur  sa  tête,  celle  de  l'État  pontifical 


M      >. 


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228 


LA    PRÉLATURE    Ï)E   LÉON    XIU. 


aux  trois  quarts  défleuronné,  —  le  dernier  Pape  souverain  dont  l'Eu- 
rope,  dgà  aux  trois  quarts  républicaine,  reconnaissait  encore  l'autorité 
temporelle. 

De  ce  règne  infécond  pour  les  libertés  grandissantes  des  génération*^ 
nouvelles  qui  demandaient  leur   place  légitime  au  soleil,   de  ce  règni- 
fermé  aux  justes  revendications  des  déshérités  de  la  vie  qui  rck^-la  ni  aient 
toujours  leur  part  aux  favoris  de  la  naissance  qui  la  leur  refusaient  sans 
cesse,  —  et  vous  vous  rappelez  encore  la  fenêtre  de  Civita-Castellana  que 
Grégoire  XVI  avait  fait  fermer  jiour  ne  pas  lire,  sur  un  tran>parent,  la 
pétition  que  lui  tendaient  d'une  autre  fenêtre  les  prisonniers  de  la  for- 
teresse voisine,  —  une  création  heureuse  était,  du  moins,  sortie.  C'était 
celle  d'un  humble  étudiant  de  l'Académie  Noble  qui,  son  stage  d'univer- 
sité iini,  s'était  décidé  à  expérimenter  pour  son  compte  la  périlleuse 
antichambre  du  Ptqie  et  les  faveurs  de  son  inabordable  Souverain.  Dési- 
reux de  réaliser  tôt  ou  tard,  pour  le  bonheur  des  autres  plutôt  que  pour 
le  sien,  le  rêve  humanitaire  qu'avait  déjà  formé  son   Ame  généreuse^ 
conscient  de  sa  force  exceptionnelle  qui  excusait  sa  particulière  ambi- 
tion, Joachim  Pecci  s'était-il  résolu  à  invcwpier  Grégoire  XVI,  par  l'inter- 
cession de  Gîjctano  Moroni?  Ses  amis  le  disent.  Lui  seul  le  sait.  Dans  ses 
lettres  de  cette  époque  nous  ne  trouvons  trace  que  des  faveurs  obte- 
nues :  «  Grâce  aux  protections  puissantes  que  ma  conduite  et  mes  études 
m'ont  procurées  auprès  de  S.  Em.  Pacca  et  d'autres  cardinaux.  Sa  Sain- 
teté, le  6  février  courant,  anniversaire  de  son  couronnement,  a  daigné 
dans  sa  clémence  me  compter  au  nombre  de  ses  prélats  domesti(|ues  et 
m'a  accordé  la  manelletta  de  faveur»,  »  écrit-il  à  son  frère  Charles,  le 
8  février  1837.  Et,  le  29  juin  de  la  même  année  :  a  J'ai  le  plaisir  de 
vous  apprendre  que  j'ai  reçu,  hier,  de  la  Secrétairerie  d'État,  le  billet 
qui  me  nomme  Ponenle  du  Buon  Governo.  Ce  poste  était  rendu  vacant 
par  la  promotion  de  Mgr  Amici  à  la  charge  de  Votante  di  Seynalura, 
Bien  que  je  fusse  le  dernier  des   prélats  créés  par  Sa  Sainteté,  et  bien 
que  d'autres  eussent  sur  moi  l'avantage  de  l'ancienneté  en  prélature,  je 
n'ai  pas  moins  été  le  candidat  préféré'.  »  La  carrière  diplomatique  était 
assurée  par  ce  début  à  Joachim  Pecci.  Il  pouvait  donc  entrer  dans  les 
Saints  Ordres,  et  il  les  reçut  justement  assez  tôt  pour  être  prêtre  et  pré- 
fet, presque  en  même  temps.  Le  12  février  1858,  Mgr  Joacchim  Pecci, 
prêtre  depuis  le  51  décembre  1857,  recevait  de  la  Secrétairerie  d'État 
le   billet    qui  le   nommait   Délégat  ai>ostolique,- pour  la  province  de 
Bénévent. 

1.  Cf.  la  Jeunesse  de  Léon  XIII.  p.  427. 

2.  Ibidem,  p.  40 i. 


%XS^Sm^m^?^SSm 


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L'ANTICUAMBRE    DU   PAPE. 


229 


—  Je  suis  trop  vieux  pour  réformer  l'État!  disait,. vers  cette  époque, 
<]régoire  XVI  à  Mgr  Capaccini,  ancien  secrétaire  du  cardinal  Consalvi. 

En  ouvrant  à  la  fois  à  Mgr  Pecci  la  carrière  des  honneurs  et  des  affaires . 
le  pape  Cappellari  avait  au  moins  le  mérite  d'avoir  découvert  et  de  pré- 
senter au  monde  le  futur  et  providentiel  Pontife  qu'espéraient,  pour 
leur  rénovation  autoritaire  et  libérale  à  la  fois,  les  sociétés  modernes. 


Aux  premiers  jours  du  mois  de  mars  1858,  une  des  lourdes  berlines 
des  écuries  pontificales,  chargées  de  pourvoir  au  service  des  Délégations 
ou  Préfectures  du  StatOy  suivait,  au  trot  de  quatre  chevaux,  attelés  en 
llèche,  la  route  qui  va  de  Bome  à  Terracine  et  de  Terracine  à  Bénévent. 
A  la  portière  de  cette  chaise  de  poste  liguraient,  en  cartouche  extérieur, 
Jes  armes  prélatices  du  i)ersonnage  dont  la  présence,  à  l'intérieur,  était 
-nnsi  signalée  :  un  pin  barré  d'une  banderole  en  sautoir,  avec  une 
étoile  rayonnant  d'en  haut  à  sénestre,  le  tout  sous  le  chapeau  et  les 
glands  des  prélats  simples.  Le  voyageur  que  cette  berline  emportait 
se  distinguait,  tout  jeune  encore,  par  un  visage  longuement  ovale  et 
^lussi  gracieux  que  sévère.  De  ses  deux  yeux,  petits  et  vifs,  qui  bril- 
laient sous  d'épais  sourcils  noirs  avec  l'éclat  glacial  de  deux  aiguës 
marines,  il  regardait  froidement  la  campagne  où  le  printemps  prochain 
sommeillait  encore.  Parfois  aussi,  il  interrogeait  brièvement  ses  domes- 
tiques dans  leurs  épaisses  livrées  de  valets.  Coiffés  de  grands  bicornes  à 
galons,  ensevelis  en  d'immenses  fracs  aux  basques  hiasonnant  en 
pointe,  les  uns,  cocher  et  valet  de  pied,  tenaient  le  siège  de  devant;  les 
autres,  majordorme  et  camérier,  occupaient  le  siège  de  derrière.  L'abbé- 
secrétaire,  répondant  au  nom  de  Don  Philippe  Salina,  faisait,  à  l'inté- 
rieur, compagnie  à  son  maître.  Et  toute  la  maison  du  prélat  ainsi  sus- 
pendue, entre  les  malles,  aux  lèvres  minces  et  prescjue  toujours  closes 
<le  monsignor  Gioacchino  Pecci,  patricien  d'Anagni,  prélat  domestique 
de  la  Saniita  di  Nostro  Signore  le  pape  Grégoire  XVI  et,  par  la  grâce 
du  Saint-Siège,  délégué  apostolique  de  Bénévent  ;  toute  cette  maisonnée 
de  camériers,  de  cuisiniers,  d'estafiers,  de  valets  de  pied  et  de  cochers, 
—  cmq  en  tout,  —  était  une  même  Aimille  de  frères,  nés  à  Carpineto 
€t  répondant  par  leur  nom  italien  Cappucci  à  notre  vocable  français 
Choufleuri.  Est-ce  à  dire  que  ces  charmants  La  Fleur  de  notre  jeune 
prélat  avaient  autant  d'esprit  que  de  grâce,  et  ne  sera-ce  pas  de  ces 
cinq  choux  fleuris  que  Mgr  Pecci  plaisantera  bientôt  en  se  plaignant  de 
ne  pouvoir,  avec  tant  d'herbes  à  la  fois,  faire  une  bonne  soupe  : 

—  E  con  tanti  cappucci,  non  posso  fare  iina  minestra! 


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230 


LA   PRÉLATURE  DE   LÉON   XIII. 


t. 


Pour  l'instant,  de  plus  graves  pensées  occupaient  Mgr  Joachim  Pecci, 
en  route  vers  sa  Délégation.  Il  gagnait,  au  trot  de  ses  bétes,  un  poste 
assez  dilficile  à  gouverner  après  tant  de  maîtres  qui  y  avaient  fait  fleurir 
la  contrebande  et  le  brigandage,  comme  en  principauté  d'exception. 
Et  c'était  précisément  l'heure  où  le  dernier  prince  en  titre  de  Bénévent 
se  préparait  à  mourir  mieux  (ju'il  n'avait  vécu,  en  la  personne  de  l'ex- 
évêque  apostat  Talleyrand-Périgord  dont  l'abjuration,  attendue  par  le 
Pape,  ne  serait  signée  par  l'excommunié,  montre  en  main,  que  quel- 
ques heures  avant  le  jour  même  de  sa  mort,  cpii  devait  arriver  le 
17  mai  1858. 

—  Vous  soufl*rez?  lui  demanda  Louis-Philippe. 

—  Sire,  comme  un  damné!  lui  répondit  Talleyrand. 

—  Déjà?...  ne  put  s'empêcher  d'ajouter  le  roi,  au  bord  du  lit  de  son 
moribond  ministre,  qui  le  fut  aussi,  —  par  quel  prodige  de  mauvais 
génie  ou  par  quel  aveuglement  du  mauvais  sort!  —  des  précédents  gou- 
vernements, douze  fois  changés  et  douze  fois  rétablis  depuis  la  première 
Révolution  française.  Quelle  leçon  des  hommes  et  des  choses  présen- 
tait  l'histoire,   sur  le  premier  feuillet  où  elle  invitait  à  lire,  chemin 
faisant,  un  si  jeune  prélat  ([ui  succédait  à  un  si  vieil  ex-évéque  :  ce  pur 
génie  à  son  aurore,  lorsque  celui  du  triste  patriarche  de  Valençav  tou- 
chait à  son  couchant;  ce  visage  idéal  de  Joachim  Pecci  à  son  premier 
printemps  de  gloire,  devant  ce  visage  décharné   de  Talleyrand  à  son 
dernier  hiver  et  à  sa  dernière  ambassade  dans  le  rovaumc  de  la  morti 
Dans  la  haute  quiétude  de  Dénévent  et  dans  la  solitude  sévère  de  la  for- 
teresse qui  lui  servira  de  palais,  Mgr  Pecci  continuera,  sans  doute,  une 
méditation  si  utile.   C'est  là,   que  le  laissant,  pour  étudier  nous  aussi 
son  état  d'âme  par  la  lecture  de  ses  simples  lettres  de  famille,  nous 
irons  lui  demander  comment,  par  la  loi  des  contrastes,  un  Talleyrand  a 
pu  engendrer  un  Pecci  et  le  patriarche  déshonoré  de  la  politique  des 
intérêts  former,  de  longue  main,  le  Pape  glorieusement  légendaire  déjà 
de  la  poh tique  du  sacrifice  et  de  l'Évangile. 


DEUXIÈME   PARTIE 


EPISTOLAIRE  DE  W  JOACHIM  PECCI 


\ 


i 


'3 


1 


LA    DÉLÉGATION    DE    BÉNÉVENT 


Sommaire.  —  Arrivée  à  Bénêvent  et  maladie  de  Mj;r  Pecci  (I-IX).  —  .Mgr  Oifei 
emporte  la  caisse  de  la  préfecture  (X-XVI).  —  Tallevrand  compromet  le 
duché  de  Bénévent  (XVII-WIII).  —  Achat  de  chevaux  et  premières  courses 
(XIX-XXII).  —  Le  prince  Borohése  à  Carpineto  et  le  marquis  Muti  à 
Bénévent  (XXIII-XXVIII).  —  Mélliode  de  gouvernement  de  Mgr  Pecci  (XXIX- 
XXX).  —  In  mari:.gc,  s.  v.  p.!  (XXXI-XXXVIII).  —  A  la  cour  de  Naples 
et  bruils  de  changemeni  préfecloral  (XXXIX-XLII).  —  Mort  du  cardinal  Sala 
cl  visite  du  cardinal  P.cca  (XLIII-XLVIll).  —  Un  poste  à  Borne,  quel  qu'il 
soit  (XLIX-LI).  —  Du  carnaval  de  Bénévent  aux  vacances  de  Carpinelo 
(LIÏ-LX).  —  SUmislas  Suuhini  et  la  Direction  des  Douanes  (LXI-LXVII). 
—  La  nomination  de  Spolète  (LXVIII-LXX).  —  En  route  i)our  Snolète  oii 
pour  Pérouse  (LXXÏ-LXXIV). 


I 

Catherine  Pecci,  dame  Lolli  de  Ferentino,  à  son  frère 
Charles,  à  Carpineto.  —  C'est  avec  un  indicible  plaisir  que 
j*ai  appris  la  nomination  de  Joachim  comme  délégat  de 
Bénévent.  Mais,  d'autre  part,  j'ai  déplaisir  qu'il  parte  de 
Rome.  J'ai  reçu  par  la  poste  une  de  vos  chères  lettres  où 
vous  me  donnez  des  nouvelles  de  Joachim.  Il  m'est  impos- 
sible de  vous  exprimer  le  plaisir  que  j'en  ai  éprouvé. 
J'espère  que  Dieu  voudi^a  que  notre  frère  se  fasse  honneur 
et  qu'il  rehausse  le  lustre  de  notre  famille.  Joachim  est  un 
jeune  homme  qui  promet  beaucoup.  C'est  l'opinion  gêné- 


Il  irtlMii 


«iPPiWiBMi 


t/. 


LA    DÉLÉGATION    DE    BÉNÉVENT 


Sommaire.  --  Arriver  à  B^'hôvoiiI  ol  mM.uWo  de  Mur  Vecn  (l-l\).  —  M^v  (liioi 
t>iii|M»rte  ia  caisse  de  la  pivloctinv  (\-\Vi).  —  TaJN.vrand  compiomel  le 
diichr  dt»  i;«''in''venl  (WII-WIII).  \,|,;,(  d,.  chevaux  el  premières  course^ 

(\l\-\\ll).  —  le  prince  nor-lièsc  à  Carpinelo  et  le  inî«rquis  Mnli  à 
Hériévenl  (Wlll-WViJj).  —  .Mélliode  de  -(uivcriiemenl  de  Mgr  Pecci  (\\l\- 
\\\).  -  In  inarii.-e,  s.  v.  p.!  (\\\|-\\\VIII).  —  A  la  cour  de  Naple. 
4.U  hruifs  de  clian-em.Mil  prélWloial  (\\\|.\-\LI|).  _  Mort  du  cardinal  Sala 
et  visile  du  cardinal  P.iccn  (\I.III-\LVIII  ).  —  In  poste  à  Home,  «p.el  (p.'il 
soil  (\LI\-M).  —  Un  rarnaval  de  llénévcnt  aux  vacances  de  Carpinelo 
(Lir-L\).  —  Stanislas  Sl«'rltini  et  la  Direrlion  des  Douanes  (L\I-IAVIIK 
—  Li  nomination  de  Spolèle  (LXVII|-IA\).  —  En  route  i»our  Spolètc  ou 
pour  IVrouse  (lAM-LWIV). 


('(ilhcnne  Prrri,  dame  Lolli  de  Ferentino,  à  son  frire 
Charles,  à  CnrjHncto.  —  C'est  avec  im  indicible  ])lnisirque 
j'ai  nppi'is  la  nominalioii  de  Joacliim  coiiinie  délé^at  de 
Béfirvenl.  Mais,  d'atilie  paii,  j'ai  déplaisir  qu'il  parte  de 
Home.  J'ai  reeti  par  la  peste  une  de  vos  chères  lellies  oi'i 
vous  nie  donnez  des  nouvelles  de  Joacliiin.  ]|  m'est  iinpos- 
sil)le  de  vous  exprimer  le  plaisir  que  j'en  ai  éprouvé. 
J'espère  (|ue  Dieu  voudra  que  notre  frère  se  lasse  liotineur 
et  qu'il  rehausse  le  luslre  de  notre  famille.  Joachim  est  un 
jeune  homme  qui  promet  beaucoup.  C'est  l'opinion  «;éné- 


ÉiiwiMh  û  \im\émuÊÊÊàmimimtÊà 


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254 


LA    PRÉLATURE   DE   LÉON   XIIF. 


Il 


raie.  J'espère  bien  que,  pour  la  confirmer,  il  aura  la  vie 
longue  et  qu'il  arrivera  juscju'à  cent  ans.  C'est  la  grâce  que 
je  lui  souhaite,  de  tout  mou  cœur. 

Fcrcntino,  22  février  I8r»8. 

Il 

Joachim  Pecciau  frère  Jean-Baptiste,  à  Home.  —  Vous 
et  l'oncle  Antoine,  vous  apprendrez  en  même  temps  par 
cette  lettre  mon  heureux  voyage  et  ma  bonne  arrivée  dans 
la  cité  de  Bénévent.  Jusqu'à  présent,  je  n'ai  qu'à  me  louer 
de  l'esprit  de  cette  population,  très  docile  et  affectueuse. 
De  toute  part,  j'en  reçois  des  démonstrations.  Mgr  Orlei, 
qui  partira  demain  pour  Rome,  me  comble  d'amabilités. 
De  votre  côté,  en  raison  de  ce  que  je  vous  dirai  i)lus  tard, 
vous  voudrez  bien  vous  rendre  chez  lui  et  le  remercier 
encore,  en  votre  nom,  de  toutes  les  bontés  dont  il  me  fait 
part. 

Bénévct:t,  10  mars  1838. 

III 

Le  comte  Antome  à  son  neveti  Charles,  à  Carpineto.  — 
Nino  était  arrivé  à  Bénévent  en  excellente  santé  ;  mais,  après 
quelques  jours,  il  s'est  senti  pris  de  rhume  et  de  gastrite.  II 
paraît  qu'aujourd'hui  le  malade  va  mieux.  Nous  attendons 
d'autres  lettres  et,  par  le  même  courrier,  je  vous  enverrai 
d'autres  nouvelles. 

Rome,  27  mars  1838. 


I) 


IV 


Du  même  au  même,  à  Carpineto.  —  L'état  de  Nino  a 


^^. 


«WWWWW»*.., 


LA   DÉLÉGATION   DE   BÉAÉVE.NT. 


255 


empiré.  Nous  avons  reçu  une  lettre  de  Peppuccio  (Joseph), 
qui  élait  parti  tout  de  suite  pour  Bénévent.  Il  faut  prier,' 
pour  (|ue  Dieu  fasse  au  malade  la  grâce  de  guérir.  Ce  soir,' 
Titia  partira  aussi  pour  Bénévent. 


Home,  31  mars  I8.")8. 


La  comtem  Lolli  à  son  frère  Charles,  à  Carpineto.  —  A 
toute  heure,  je  suis  dans  une  anxiété  indescriptible  pour 
n'avoir  plus  aucune  nouvelle  sur  l'état  de  IVino.  Jeudi  der- 
nier, on  m'écrivit  de  Rome  que  les  choses  s'élaienl  aggravées, 
et  je  vous  donne  à  penser  mon  affliction.  Dimanche,  j'ai  eu 
aussi  une  lettre  de  M.  Nino  Ambrosi,  qui  s'était  chargé  de    • 
porter  dans  sa  voiture  dom  Philippe  Salina  jusqu'à  Capoue. 
Celui-ci  lui  avait  écrit,  à  la  date  du  50  mars,  que  Nino  lui 
avait  dépêché  jusqu'à  Capoue  deux  bersagliers,  qu'il  l'avait 
trouvé  en  voie  de  guérison  et  qu'il  serait  revenu  le  voir,  le 
jour  suivant.  A  son  tour,  M.  Nino  Ambrosi  m'a  confirmé  les 
mêmes  nouvelles  ;  mais,  à  dater  de  ce  jour,  je  n'ai  plus 
rien  su.  Je  vous  répète,  mon  cher  frère,  que  j'en  suis  très 
troublée.  Si  vous  avez  quelques  informations,  pour  la  voie  de 
Rome,  communiquez-les  moi  au  plus  vile.  M.  Ambroise  m'a 
dit  aussi  que  notre  frère  Joseph,  le  jésuite,  à  peine  connue 
la  maladie  de  Nino,  était  parti  pour  Bénévent  et  qu'il  s'y 
trouve  encore. 

Fiorenlino,  5  avril  1838. 


VI 


LecomteAntoineàsonwveuCharles,àCarpineto.—'^m 
a  été  à  la  mort.  Ici,  à  Rome,  celte  afireuse  nouvelle  s'était 


11 


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!256 


LA   PRÉLATURE   DE   LÉON   XIH. 


; 


I 


déjà  répandue  ;  mais,  Dieu  merci  !  hier,  5  courant,  j*ai  ap|)ris 
par  Peppuccio  et  par  Salina  que  Télat  du  malade  s'est  amé- 
lioré. Titla,  comme  je  vous  Tai  écrit,  est  parti  samedi,  de 
nuit,  sur  les  instances  de  Peppuccio,  qui  se  trouve,  seul  de 
la  famille,  à  Bénévent.  Espérons,  de  jour  en  jour,  de  meil- 
leures nouvelles. 

Rome,  0  avril  1858. 

VU 

Le  comte  Antoine  Pccci  à  son  neveu  Charles,  à  Carpinelo, 
—  Nino  a  été  sur  le  point  de  mourir.  Cette  nouvelle  se 
répandait  dans  Rome  quand,  ^ràce  à  Dieu,  hier,  5  courant, 
j*ai  appris  de  Peppino  et  de  dom  P.  Salina  que  l'élatdu  ma- 
lade s'améliorait.  Titta,  comme  je  vous  Tai  déjà  écrit,  est 
parti  pour  Bénévent,  samedi  dans  la  nuit,  sur  les  instances 
ile  Peppino,  (jui  ainsi  ne  sera  pas  seul,  là-has.  Espérons  de 
recevoir  encore  de  meilleures  nouvelles. 

Rome,  G  avril  1858. 

VIII 

Charles  Pecci  à  dom  Philippe  Salina,  à  Bénévent,  — 
Veuillez  faire  savoir  à  mon  frère  que  les  termes  me  manquent 
pour  exprimer  dans  cette  lettre  combien  vif  a  été  l'intérêt 
que,  dans  une  circonstance  si  attristante,  tous  ces  messieurs» 
d'Anagni  ont  pris  à  Télat  du  malade.  Quant  à  Carpineto,  le 
désir  de  recevoir  des  nouvelles  y  a  été  si  grand,  que  la 
population  en  est  venue  jusqu'à  déchirer  la  bourse  du  cour- 
rier et  y  prendre  la  lettre  que  vous  nous  adressiez  et  que  la 
foule  a  apportée  chez  nous,  dans  une  lièvre  générale. 

Carpinelo,  7  avril  1858. 


"-■'  ifïïlr^îfi''  -  i  I  â 


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LA  DÉLÉGATION  DE  BÉNÉVENT. 


*j.>  / 


IX 

Le  comte  Antoine  Pecci  à  son  neveu  Charles,  à  Carpineto. 
—  Vous  avez  bien  raison  de  faire  célébrer  une  messe  chan-^ 
tée  pour  remercier  saint  Vincent.  Nino  est  un  mort  qui 
ressuscite. 

Rome,  11   avril  1858. 

t 

X 

Charles  Pecci  à  Voncle  Antoine,  à  Rome.  —  J'ai  reçu 
hier  une  lettre  dans  laquelle  j'ai  eu  la  consolation  de  revoir 


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i-       (     ,-^    '        ,, 


' '^^^f^^HWa^ii*  ^^, 


Autour  du  Palais  de  la  Délégation,  à  Bénévent. 

récriture  de  Nino.  Grâce  au  ciel,  son  rétablissement  va 
progressant  chaque  jour.  Le  récit  de  sa  maladie  et  de  toutes 
les  souffrances  qui  l'ont  accompagnée,  jusqu'au  moment 


'.. .  ■ 


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LA    IT»KLATUnE    DE    LF:0N    Mil. 


i\é\h  n'pandue  :  mais.  Dieu  nioici  !  Iiier,  ricourani,  j'ai  appiis 
par  PeppiRTÎo  et  |)ar  Salina  (jiie  l'étal  du  malade  sVst  amé- 
iioiV'.  Tilla,  comme  je  vous  Tai  écrit,  es!  parti  samedi,  de 
unit,  sui'  les  instances  de  l*eppuccio,  qui  se  trouve,  seul  de 
la  famille,  à  Bénévent.  Espérons,  de  jour  n\  jour,  dr  meil- 
leures nouvelles. 

riumc,  0  avril  LS-^S. 

Vil 

Le  comte  Antoine  Vcrvi  à  son  neveu  Charles,  a  Cavplnelo, 
—  ^ino  a  été  sur  le  point  de  momir.  (ielte  nouvelle  se 
ré|)andait  dans  Rome  (juand.  uiàce  à  Dieu,  hier,  5  conranl, 
j'ai  ap(»ris  de  Peppino  et  de  dom  V,  Salina  (jue  Télatilu  ma- 
lade s'améliorait.  Titia,  comme  je  vous  l'ai  déjà  écrit,  est 
parti  |)our  lîénévent,  samedi  dans  la  nuit,  sur  les  instances 
«le  lVp|)ino,  qui  ainsi  ne  seia  pas  seul,  là-has.  Es|)ér«uis  de 
recevoir  encoie  de   meilleures  nouvelles. 

rioiae,  ()  avril  1858. 

VJll 

Charles  PeccI  à  dom  Philiifjte  Salina,  à  Bénérent.  — 
Veuillez  faire  savoirà  mou  IVèi'eipie  les  termes  me  man(|uenl 
pour  exprimei' dans  cette  lettre  cmnhien  vif  a  été  Tiutéi'ét 
(|ue,  dans  une  circonstance  si  attristante,  tous  ces  messieurs 
4rAnagui  ont  pris  à  l'état  du  malade.  QuanI  à  ('arpinelo,  le 
désir  de  recevoir  des  nouvidles  y  a  été  si  urand,  (|ue  la 
|)opulation  en  est  venue  jus(pi'à  déchirer  la  bourse  du  cour- 
rier et  y  prendre  la  lettre  (juc  vous  nous  adressiez  et  que  la 
l'oule  a  apportée  chez  nous,  dans  une  lièvre  générale. 

Carpinelo,  7  avril  18Ô8. 


e  -,.<f^-î 


LA    DÉLÉliATION    DE   Bl-NÉVENÏ. 


2.17 


IX 

Le  comte  Antoine  l^ecci  a  son  neveu  Charles,  à  Carpineto. 
—  Nous  avez  l)ien  raison  de  faire  célébrer  une  messe  chau- 
lée pour  remercier  saint  Vincent.  Nino  est  un  mort  qui 
ressuscite. 

llomc,  11   avril   18r>S. 


X 

Charles  Pecci  à  loncle  Antoine,  à  Rome.  —  J'ai  reçu 
hier  une  lettre  dans  laquelle  j'ai  eu  la  consolation  de  revoir 


Aiildiir  <lii  r.il.iis  de  la  IK'li'<;aliuii,  à  Déiiovoiit. 


l'écriture  de  Nino.  Grâce  au  ciel,  son  rétablissement  va 
pn^gressant  chaciue  jour.  Le  récit  de  sa  maladie  et  de  toutes 
les  souffrances  qui   l'onl  accompagnée,  jusqu'au  moment 


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238 


LA   PRÉLATURE   DE   LÉON   XUI. 


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HÂ 


OÙ  son  existence  môme  n'était  plus  qu'une  question 
d'heures,  attendrirait  jusqu'à  un  cœur  de  pierre.  C'est 
miracle  qu'il  en  soit  échappé.  11  est  vrai  qu'il  y  a  fallu  des 
dépenses  énormes.  Qu'il  vous  suffise  de  savoir  (jue,  pour 
deux  visites  du  docteur  Vulpes,  médecin  de  la  cour  et 
sommité  de  Naples,  nous  avons  payé  cent  cinquante  écus. 
Autres  cinquante  écus  sont  allés  chez  deux  médecins  de 
Bénévent.  Et  je  ne  compte  pas  les  remèdes  et  autres  acces- 
soires qu'a  nécessités  une  si  grave  maladie.  Ajoutez  à 
cela  l'embarras  occasionné  par  les  honoraires  du  mois  de 
mars,  que  s'est  attribués  son  prédécesseur,  Mgr  Orfei  ;  de 
sorte  que  mon  frère  a  eu  le  poids  de  cette  charge,  sans  en 
avoir  un  sou  de  récompense.  11  mérite  réellement  que  tous 
les  membres  de  la  famille  s'emploient,  de  leur  mieux,  à  lui 
venir  en  aide  ;  c'est  un  devoir  strict  que  commandent  le 
sang  et  les  qualités  remarquables  de  notre  convalescent*. 

Carpincto,  28  avril  1838. 


XI 


Joachim  Pecci  à  ronde  Antoine  Pecci,  à  Rome.  —  Vous 
voudrez  bien  excuser  l'écriture  étrangère  que  j'emploie.  Ma 
main  est  encore  trop  faible  et  trop  tremblante  pour  me  per- 
mettre de  rédiger  cette  lettre  moi-même.  Néanmoins,  je  me 
trouve  en  bonne  convalescence.  L'appétit  revient,  et  avec  lu 
je  commence  à  reprendre  peu  à  peu  mes  forces  premières 
Je  peux  vous  assurer  que  le  danger  auquel  j'échappe  a  été 
très  grave.  Les  médecins  avaient  presque  désespéré  de  moi 
Je  peux  dire  que  j'ai  touché  le  bord  du  sépulcre  et  frappé 
aux  portes  de  l'éternité.  Le  Seigneur  iTieu,  dans  son  infinie 

I .  A  la  date  de  celte  maladie  remonte  un  testament  que  Mjjr  Joachim  Pecci 
lédigea.  L'original  est  conservé  dans  les  archives  des  Pecci,  à  Caipinelo. 


LA    DÉLÉGATION   DE    BÉNÉVENT.  roi) 

miséricorde,  n'a  pas  permis  que  ses  portes  s'ouvrissent, 
(iraces  en  soient  rendues  h  lui  et  à  la  Vierge  sainte,  ils 
m'ont  sauvé,  comme  par  miracle. 

Je  suis  véritablement  ému  de  la  part  d'intérêt  très  vif 
qu'ont,  me  dites-vous,  pris  à  mon  cas  et  à  la  gravité  d'un 
mal  qui  m'avait  mis  à  toute  extrémité,  tous  nos  amis;  ceux 
que  nous  connaissons  et,  puis-je  ajouter,  ceux  que  nous  ne 
connaissons  pas.  Je  désire  manifester  à  tout  ce  monde  mes 
sentiments  degralitude,pour  l'empressement  qu'on  a  témoi- 
gné envers  moi  qui  ne  le  mérite  nullement.  Dès  la  première 
occasion  d'un  messager  partant  pour  Rome,  je  vous  enverrai 
un  échantillon  des  pâtisseries  bénéventines;  et  je  ne  doute 
pas  que  vous  les  agréerez  avec  plaisir  et  qu'elles  vous  paraî- 
tront réussies. 

Voilà  trois  jours  que  mes  frères  Joseph  et  Jean-Baptiste  ont 
déjà  quitté  Bénévent.  A  cette  heure,  ils  sont  à  Naples.  Joseph 
rentrera  à  Rome  vers  la  fin  de  la  semaine  couranle;  vous 
pourrez  ainsi  le  voir,  dimanche,  au  Collège  Romain.  De  son 
côté,  Jean-Baptiste  se  propose  de  jouir  plus  longtemps  de 
la  capitale.  Le  recteur  Salina,  à  qui  je  dicte  cette  lettre, 
vous  envoie  ses  hommages  distingués.  11  apporte  un  soin 
particulier  à  l'économie  de  ma  maison.  C'est  pour  moi  un 
compagnon  excellent.  Avec  une  attention  vraiment  affec- 
tueuse et  aimante,  il  me  facilite  un  rétablissement  bien 
désiré*. 

bénévent,  18  avril  1838. 

I .  La  lettre  se  termine  par  un  envoi  de  confitures  à  la  famille,  d'une  provi- 
sion de  lahac  à  Mgi-  Sinihaldi,  président  de  l'Académie  Noble,  et  par  une 
demande  d'argent  assez  urgente,  après  une  telle  maladie  qui  a  vidé  la  bourse 


Ml 


du  délégat. 


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-V,   '■   *A,-*^ 


2i0 


LA   PRÉLATURE   DE   LÉON   XIH. 


XU 


Au  frère  Charles,  à  Carpinelo,  —  Je  profile  de  Tobli- 
goance  de  nolie  cher  Salina  poui'  dicter  ces  deux  lignes, 
que  je  n'ai  pas  la  force  d'écrire  encore.  Je  suis  sûr  que 
vous  en  aurez  quchpie  plaisir,  tant  il  y  a  de  jours  que 
vous  n'avez  reçu  de  mes  lettres  et  que  vous  ne  ne  re- 
voyez plus  mon  écriture.  C'est  que  j'ai  passé  par  de  hien 
graves  dangers.  Donc  me  voilà  heureux  de  vous  confirmer 
mes  bonnes  nouvelles;  depuis  déjà  dix  jours  et  plus,  je  suis 
entré  en  convalescence,  et  celle-ci  progresse  rapidement. 
J'espère  bien  être  complètement  rétabli  au  mois  de  mai 
prochain,  et  pouvoir  me  mettre  tout  entier  à  la  direction 
et  au  bien-être  de  cette  province. 

Il  faut  que  je  vous  dise  une  chose.  Il  était  bien  naturel 
que  votre  titre  de  frère  et  l'aflection  toute  particulière  (jui 
vous  lie  intimement  à  moi  vous  fissent  prendre  une  part  très 
vive  à  ma  maladie,  juscju'à  vous  faire  perdre  la  tète  à  mon 
égard  et  à  adresser  à  Dieu  et  aux  Saints  des  prières  pour  ma 
guérison.  Mais  si  je  ne  vous  exprime  pas,  h  vous,  ma  recon- 
naissance, il  faut  ([uejVn  fasse  part  à  tous  nos  bons  paysans 
de  Carpineto  pour  leurs  démonstrations  d'intérêt,  |)our  la 
tristesse  et  la  stupéfaction  oii  les  plongeait  mon  état.  Faites- 
vous  l'interprète  de  mon  entière  giatitude,  et  remerciez 
bien  vivement  tout  le  monde. 


h 

1 1 

Tf) 


Bénévenl.  18  avril  J8Ô8. 


XIII 


Le  comte  Jean-Baptiste  à  son  frère  Charles,  à  Carpineto, 
-De  Naples,  je  réponds  à  votre  lettre  pour  vous  confirmer, 


:.>».~HÉÉ.igiCî::' 


LA  DÉLÉGATION  DE  BÉNÉVENT. 


24i 


à  notre  commune  satisfaction,  que  la  santé  de  Nino  va 
s'améliorant  si  bien  que  nous  louchons  à  son  rétablissement 
complet.  Telles  sont  les  nouvelles  que  je  reçois,  chaque 
jour,  deBénévent,  où  j'ai  laisséNinoen  pleine  convalescence. 
Cette  maladie  a  exigé  de  fortes  dépenses.  Au  seul  Vulpes, 
un  des  médecins  de  la  cour  de  Naples  et  le  plus  célèbre 
docteur  de  cette  capitale,  il  a  fallu  verser- 21 5  ducats  pour 


Sous  les  murs  de  la  Drlrjiatioii. 


deux  visites  qu'il  a  faites  à  Bénévent.  Ce  sont  les  honoraires 
d'usage  pour  un  docteur  de  ce  renom,  cjuand  on  l'appelle  ;  et 
nous  ne  pouvons  pas  trouver  cette  somme  excessive  quand, 
grâce  à  ce  médecin,  la  guérison  est  obtenue*. 

Nanlos.  Ifi  25  avril  1838. 

1.  A  l:i  s:)in:no  que  le  frèro  Jonn-Baptisle  jivait  laissée,  le  secréinire  de 
Mgr  Pecei,  Don  S:iliii:i,dnt  ajouter  100  écus.  On  a  donné  1213  ducats  au  docteur 
Vulpes  el  50  ducats  aux  médecins  ordinaires  et  à  l'apothicaire,  dont  les  notes 
étaient  discrèles.  dette  pénurie  du  Délégat  nia'ade  était  imputable  à  la  situation 
(|uc  son  prédécesseur,  Mgr  Orfei,  lui  avait  faite  en  emportant  la  paye  de 
vingt  deux  jouiN  qui  ne  lui  étaient  plus  dus.  (le  déficit  aurait  forcé  Mgr  Pecci 
à  se  gratter  le  ventre  «  a  grattarsi  la  pancia  »,  selon  son  expression,  si  la 
maladie  même  ne  l'avait  obligé  à  jeûner.  Atteint  de  fièvre  typhoïde,  il  ne  fut 
guéri  que  p;n-  une  cure  radicale  aux  bains  froids. 

!6 


241) 


LA    PUÉLATLRE    hK    LKON    Mil. 


Xll 


Au  frère  Charles,  à  Carpineto.  —  Je  inufile  de  Tiddi- 
fieancc  de  noire  eher  Salina  jHMir  dieler  ces  deux  li|^nes, 
que  je  n'ai  pas  la  l'oree  d'écrire  encore.  Je  suis  sur  que 
vous  en  aurez  (juel(|ue  plaisir,  tant  il  y  a  de  jours  que 
vous  n'avez  l'ecu  de  mes  lellres  et  que  vous  ne  ne  re- 
voyez plus  mon  écriture.  C'est  cpie  j'ai  passé  par  de  hien 
graves  (lanciers.  Donc  me  voilà  heureux  de  vous  confirmer 
mes  bonnes  nouvelles:  depuis  déjà  dix  jours  et  plus,  je  suis 
entré  en  convalescence,  et  celle-ci  proj^resse  ra[M*d(Mnenl. 
J'espère  hien  être  complètement  rétabli  au  mois  de  mai 
prochain,  et  piuivoir  me  mettre  tout  entier  à  la  direction 
et  au  hien-étre  de  cette  province. 

Il  faut  que  je  vous  dise  une  chose.  H  était  hien  naturel 
que  votre  titre  de  frère  et  ralTectiim  toute  particulière  qui 
vous  lie  intimement  à  moi  vousliss(Mit  prendre  une  paît  très 
vive  à  ma  maladie,  jus(|u'à  vous  Taire  peidic  la  tète  à  mon 
égai'd  et  à  adresser  à  Dieu  et  aux  Saints  des  piières  pour  ma 
guérison.  Mais  si  je  ne  vous  exprime  pas,  à  vous,  ma  recon- 
naissaïice,  il  iaul  (pie j'en  lasse  pari  à  tous  noslxms  pavsans 
de  Carpineto  ])Our  leurs  démonstralions  d'inlérél,  piuir  la 
tristesse  et  la  stupéfaction  où  les  plongeait  mon  élal.  Failes- 
vous  l'interprète  de  ukui  entière  gialilude,  et  remerciez 
hien  vivement  tout  U)  monde. 


lU-névenl.  IS  .ivril  l8âS. 


xin 


Le  comte  Jean-B(iptisle  â  son  frcre  Charles,  à  Carpineto. 
-De  tapies,  je  réponds  à  votre  lettre  pour  vous  conlirmer. 


LA    DKLKliAilUN    DK    UKNKVKM. 


24! 


à  noire  ccunmune  satisfaction,  que  la  santé  de  Nino  va 
s'améli(;ranl  si  hien  que  nous  UmicIious  à  s(ui  rétahlissemeni 
complet .  Telles  sonl  les  nouvelles  (pie  je  recois,  chaque 
j(uir,  de  l)éru''venl,  où  j'ai  laissé  Nino  en  |deine  convalescence, 
dette  maladie  a  exigé  de  foites  dépenses.  Au  seul  Yulpes, 
un  des  médecins  de  la  cour  de  Xa|)les  et  le  plus  céli'hrt; 
docteur  de  celle  capilale,  il  a  l'allu  verser- ^217)  ducals  |>our 


S(Mi>  les  murs  de  hi  Drh'n.itioii. 

deux  visites  (ju'il  a  faites  à  Bénévent.  Ce  sont  les  honoraiies 
d'usage  pour  nu  docteur  de  ce  renom,  (juand  on  l'apixdle;  el 
nous  ne  pouvons  [)as  li'ouver  cette  somme  excessive  ((uand, 
grâce  à  ce  médecin,  la  guérison  est  obtenue'. 

N:i|ilos.  le  '.'"  .jviil   ISr.S. 

1.  A  I:»  siiiriH'  (|;n'  \e  fivir  .l«vm-l»;i|»lisl('  ;iv;iit  l;iiss('«\  !<•  sccivinire  de 
Mgr  iN'ici,  Doti  Siilin-udiil  ;ij<>iil<M'  IIM)  ('eus.  On  a  donné  217)  durais  au  dcicliMir 
Viilpos  «'l  .M)  ducals  aux  nuMlccins  (H'diuaircs  cl  à  l'apulhicaiic,  doul  les  noies 
claicnt  discrclcs.  Celle  |M>nurle  du  l)('>l(''g:d  uia'adc  T'hiil  iui|)iil:dde  ;'i  la  siluation 
(|uc  son  |»r«'dcccsscur.  Mur  Oifei,  lui  av.iil  l'aile  en  enijioilani  la  paye  de 
vjnjil  deux  jours  (|ui  ne  lui  élaieul  plus  dus.  (!c  déficil  auiail  foicc  Mj^r  l'ecci 
à  se  i^ialler  le  vrulie  ((  a  grallarsi  la  pancia  »,  selon  son  cxjti'cssion,  si  la 
maladie  même  ne  l'avail  ol»li^(''  à  jeûner.  Allciul  de  lièvre  Ivplioidc.  il  ne  fui 
jidcri  (jue  pu*  une  cui'c  radicale  aux  liains  !Vo:ds. 


m 


n'iri. 


"^  Jà'-éf' 


-— ^       -  _  -,     '-^±^ 


3s^ 


'2l> 


l\    PRiaVTniE    l)K    LÉON    Mil. 


XIV 

Joachim  Peccl  au  frcrr  Charles,  à  Carpineto.  —  Apivs  les 
m.uivais  temps  que  nous  avons  passés,  aurez-vous  plaisir 
à  relire  mon  écriture?  Aussi  hien,  je  m*empresse  à  tracer 
pour  vous  ces  lignes  de  ma  propre  main,  parce  (lu'ainsi 
je    suis   sur    de  vous  apporter    quelcpie  assurance.   Tout 
d'abord,  il  faut  que  je  vous  donne  des  nouvelles  de  ma  santé, 
qui,  Dieu  merci,  va  toujours  s*améliorant.  Je  suis  maink- 
nant  en  sure  et  rapide  convalescence.  Pour  tant  que  je  puisse 
concilier  la  santé  et  le  travail,  je  m'occupe  déjà  des  allaires 
de  cette  délégation  dont,  par  souveraine  clémence,  j'ai  Thon- 
neur  d'occuper  le  gouvernement.  Présentement,  je  respire 
l'air  de  la  campagne,  à  un  mille  hors  de  Rénévent,  dans  un 
site  qu'a  mis  à  ma  disposition  le  jeune  comte  Capasso.  Jus- 
f[u'à  aujourd'hui,  l'expérience  ne  me  fait  pas  trouver  trop 
insalubre  l'air  de  Hénévent.... 

Déiicvenl,  12  mai  1838. 

\v 

Au  frère  Jean-Bapliste,  à  Rome,  —  Les  bruits  qui  ont 
couru  et  qui  courent  encore  sur  ma  mutation  de  Réné- 
vent, je  ne  les  crois  pas  assez  fondés.  La  venue  du  marquis 
del  Carretto,  —  je  tiens  ce  renseignement  de  source  cer- 
taine,—  a  pour  objet  principal  la  délimitation  des  confins  sur 
la  grande  ligne  de  division  des  deux  États,  dans  les  provinces 
d'Ascoli,  de  Rieli  et  de  Terracine.  De  là,  l'infoimation  que 
le  Gouvernement  a  demandée  aux  délégats  de  ces  provinces. 
Sur  cette  ligne  s'élèvent  de  continuelles  contestations,  de 
telle  sorte  que  les  deux  (iouvernements  limitrophes  se  sont 


^JI»Wi»»<>fw^^wp#v. 


^S^^T-'  ■•   *■; 


LA    DKLKGATION    OK    IIKNKVE.NT.  ^i\:, 

décidésà  terminer  amicalement  cette  affaire,  pour  leur  tran- 
quillité personnelle  cl  pour  celle  de  leurs  suj(îls. 

Je  ne  serais  aucunement  étonné  qu'il  soit  aussi  (juestion 
de  Bénévent;  car  Naples  désire  pour  elle  ce  territoire,  et  le 
Saint-Siège  ne  s'est  jamais  montré  opposé  à  une  rétrocession 
ou,  pour  mieux  dire, 
à  un  échange,  pourvu 
<|u'on    lui    fasse    des 
conditions  justes  et  ho- 
norables. En  outre,  ici 
on  considère  la  chose 
comme   déjà   faite,   et 
bon  nombre  de  Béné- 
ventins    s'en    applau- 
dissent déjà.  Beaucou|) 
d'autres  s'en  affligent, 
et  d'autres  enfin,  dont 
les  intentions  ne  sont 
pas  bonnes  et  dont  le 
cerveau  est  troublé,  en 
prennent    motif  pour 
crier  contre  le  Governo 
et  ameuter  le  peuple. 

Pauvres  fous!  ils  ne  connaissent  pas  la  durée  de  leur  imbé- 
cillité et  le  caractère  de  cette  population.  Si  par  un  hasard 
étrange  ces  combinaisons  aboutissaient,  ma  mission  serait 
bientôt  terminée,  et  en  même  temps  s'évanouiraient  mille 
projets  que  j'ai  en  tète  pour  certaines  réformes  à  opérer 
dans  cette  Délégation  où  les  abus  ne  manquent  pas.  Je  vous 
prie    de   croire    que  je   regretterais   vivement    de   partir 

ICI. 

Vous  savez  l'intérêt  et  l'aflection  que  m'a  témoignés  le 


I^  clioiiiiii  (le  ronde. 


n 


'Ji> 


LA  i'K!':i.\n  iiK  i)i:  i.kon  mu. 


\l\ 


l\    hKI.KGATION    l)i:    IIKNKVKM. 


'Ji.") 


.liHirltltn  Perd  an  frrrr  Clnnlrs,  à  Carpincto,  —  Apivs  les 
m.Hivais  ItMiips  que   nous  avons  passés,  anivz-v(Mis  plaisir 
à  iviiiv  mon  éciiluiv?  Aussi  hicn,  je  niVni|)ivsse  à  Iracer 
|)our  vous  ces  lignes  de  ma   propre   niain,   parce  qu'ainsi 
je    suis    sur    de  vous  aj^poiler    (|uel(pie  assurance.    Tout, 
d'aljord,  il  faut  (|ue  je  vous  donne  des  nouvelles  de  ma  sanlé, 
(pii,  Dieu  merci,  va  (ouj(mrs  s'amélioiant.  Je  suis  mainlc- 
nanl  en  sure  el  rapide  convalesceiue.  INmr  lanl  que  je  puisse 
concilier  la  sanlé  el  le  Iravail,  je  m'occupe  déjà  des  alliiins 
de  celle  déléi-alion  dont,  par  souveraine  clémence,  j'ai  Thon- 
neur  d'occuper  le  «iouveinement.   l*résenlemenl,  je  respire 
l'air  de  la  campagne,  à  un  mille  hors  de  Rénévenl,  dans  un 
site  qu'a  mis  à  ma  disposiiion  le  jeune  ccunle  Capasso.  Jus- 
(ju  à  aujourd'hui,  l'expérience  ne  me   fail  pas   li'ouver  Inq» 
insaluhre  l'air  de  r»éné\enl.... 

Iténôvenl,  l'2  mai  IS"8. 


Au  frère  Jean-Ihtjfllste,  à  Rome.  —  Les  hruils  (pii  (Mil 
couru  et  ([ui  ccmreni  enc(uc  sur  ma  mulalion  de  lîéné- 
venl,  je  ne  les  ciois  pas  assez  fondés.  La  venue  du  marquis 
del  Carrello,  — je  liens  ce  renseignement  de  source  cer- 
laine,  —  a  pour  ohjet  princi[»al  ladélimilationdesconlins  sur 
la  grande  ligne  de  division  des  deux  Liais,  dans  les  piovinces 
d'Ascoli,  de  Uieli  et  de  Terracine.  De  là,  l'inlmnialion  (juc 
le  (iouvernement  a  demandée  aux  délégals  de  ces  provinces. 
Sur  celle  ligne  s'élèvent  de  conlinuelles  conteslalioiis,  de 
telle  sorte  (jue  les  deux  (louveiiiemenls  limilro[)Iies  se  sont 


décidésà  Icrmineiamicalementcelleairaire,  poui-  leui'  Iran- 
«iiiillilé  personnelle  et  jHMirctdle  de  leurs  sujels. 

Je  ne  serais  aucunement  élonné  qu'il  soit  aussi  (jueslion 
de  Uénévent;  car  Naples  désire  pour  elle  ce  teriiloire,  et  Ui 
Saint-Siège  ne  s'esl  jamais  inonlré  (q)poséà  une  réli'ocession 
ou,  pour  mieux  dire. 


a  un  échange,  pourvu 

qu'on     lui     fasse    des 

condilimis  jusies  et  ho- 

norahles.  En  oulre,  ici 

on   considèi'e   la  chose 

comnu;    déjà    faile,    el 

hon  nomhi'e  de    Héné*- 

ventins     s'en    applau- 
dissent tléjà.  JleaiRMuqj 

d'aulres  s'en  al'fli<»(Mil, 

et  d'aulres  enfin,  doni 

les  intentions  no  soni 

pas  honnes  el  dont  le 

cerveau  est  Irouhlé,  en 

pi'ennent    molif    pour 

crier  contre  le  (iorerifo 
nt  ameuler  le  |)euple. 
PauYi-es  fous!  ils  ne  connaissent  pas  la  durée  de  leur  imhé- 
<-illilé  et  le  caractère  de  cette  population.  Si  [)ar  un  hasard 
étrange  ces  comhinaisons  ahoutissaient,  ma  mission  seiait 
hieiitot  terminée,  et  en  même  temps  s'évanouiraient  mille 
pr(>jets  que  j'ai  en  télé  pour  certaines  réformes  à  o|)érer 
dans  celle  Délégation  où  les  ahus  ne  manquent  pas.  Je  vous 
prie    de    croire    que  je    regielterais    vivement    de    partir 

1%  •     •  ■*■ 

ICI. 

Aous  savez  l'intérêt  et  raffeclion  que  m'a   témoignés  le 


L<'  vlicmin  de  loiido. 


Il 


=«Sr:^      .  » 


24i 


LA    PKKLATLHE    DE   LÉON    Mil 


|)c'uple  de  Bénévent.  Je  serais  un  ingrat  si,  en  réciprocité, 
je  n'en  conservais  pas  une  éternelle  reconnaissance. 


Bénévent,  19  mai  1858. 


XVI 

Au  frère  Jean-Bapliste,  à  Rome,  —  Ci-inclus,  vous  trou- 
verez le  laisse z-passer  pour  les  chevaux.  La  poste  de  ce  tnatin 
me  Ta  apporté.  Comme  vous  le  verrez,  j'ai  olilenu  celle 
pièce  du  ministre  des  finances  le  marquis  d'Andréa,  vu 
l'inutilité  des  démarches  laites  auprès  du  ministre  de  l'inté- 
rieur. 

On  continue  à  répéter  pul)liquement  que  le  Saint-Siège 
cédera  ce  duché  au  roi  de  Naples.  Les  uns  veulent  (|ue  ce 
suit  à  titre  d'échange  de  territoire,  les  autres  à  titre  de  vente. 
Si  sur  ce  point  vous  avez  des  nouvelles  |M)silives.  j'aurai 
j»laisir  à  les  connaître  pour  ma  gouverne. 

I/état  de  ma  santé  continue  à  être  excellenl,  elc 

BcjiévcnJ,  *27  mai  1838. 


XVII 

Au  frère  Jean-Baplisle,  à  Rome.  —  Aujourd'hui,  non- 
obstant ce  que  je  vous  ai  écrit  dans  ma  précédenle  lettre,  on 
sait  olTiciellemenl  que  les  négociations  pour  l'échange  du 
duché  de  Bénévent  sont  très  avancées.  C'est  au  point  que, 
même  au  prix  de  grands  sacrifices  que  s'imposera  Naples, 
la  conclusion  de  l'affaire  sera  en  faveur  de  l'échange. 

Me  voici  donc  probablement  en  disponibilité  d'emph)i, 
après  trois  mois  de  séjour  dans  Bénévent.  J'aurai  passé  le 
premier  au  lit,  Dieu  sait  comment!  le  second  en  convales- 


LA  DÉLÉGATION  DE  BÉNÉVENT. 


245 


cence,  et  seulement  le  troisième  en  activité  de  service. 
Le  domaine  pontifical  dans  ce  duché  grandirait  si  le  vieux 
duc  de  Bénévent,  le  prince  de  Talleyrand,  cessait  de  vivre'. 
Dans  cette  ville,  à  très  peu  d'exceptions  près,  la  plainte  est 
générale;  et  même,  dans  le  bas  peuple,  l'irritation  que  cause 
ce  déplaisir  fait  qu'on  se  forme  la  fausse  opinion,  non  d'un 
échange,  mais  d'une  vente  réelle.  —  Sans  date. 

XVIII 

Au  frère  Jean-Baptiste,  à  Rome,  —  ...  Pour  les  chevaux, 
ne  regardez  pas  à  quelques  écus  de  plus.  Il  y  a  ici  giand 
luxe  d'équipages.  C'est  le  faible  de  nos  Bénéventins,  et  il  ne 
faut  pas  que  récpiipage  du  délégat  fasse  tache'. 

Rcnévcnf,  "0  mai  1858. 


XIX 

A  don  Philippe  Satina,  à  Bénévent.  —  J'ai  bien  reçu  les 
lettres  et  la  boîle  que  m'adresse  le  majoidome  de  M.  le  car- 
dinal. La  visite  à  iMonte-Vorgine  aurait  eu  lieu,  ce  matin,  si 
Son  Eminence  ne  m'avait  engagé  à  la  remettre  à  lundi, 
jour  où  elle  se  joindra  à  nous.  Ce  jour  de  la  Saint-Guil- 
laume, en  effet,  est  jour  de  grande  fête  à  Monte- Vergine. 

Je  compte  rentrer  mardi  à  Sant-Angelo-à-Scala,  et  mer- 
credi à  Bénévent.  Employez-vous  à  me  procurer  une  voiture 
fermée,  —  |)ar  exemple,  celle  de  Capasso  avec  chevaux  de 

I.  Le  prince  (te  Talleyrand,  duc  de  Bénévent,  était  mort  à  Paris,  dans  son 
hôte!  de  la  rue  Saint-Florenlin,  quand  Mgr  Joachini  Pecci  écrivait  ces  lignes.  Le 
17  mai  18.)8,  le  patriarche  de  Valençav  avait  cessé  de  vivre,  à  l'âi^e  de  84  ans. 

Î2.  Mgr  l»eeci  attendait  ces  chevaux  pour  la  fête  du  Corpus  Domini.  a  Oh  ! 
la  maigre  ligure  que  je  ferai  î  »  écrivait-il  encore,  mais  inutilement.  Il  ne  put 
paraître  à  la  procession  qu'avec  des  chevaux  de  louage 


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LA    rnKLATlRK    DE    LÉON    Mil. 


remise;  ou  ln'en  celle  de  Masti,  comme  vous  le  jugerez 
meilleur,  —  afin  que  je  puisse  faire  plus  commodément  le 
reste  de  la  i*oute.  Tenez  cela  au  secret. 

Je  vous  rappelle  que,  en  affaires  de  police,  vous  aurez 
à  vous  régler  sur  les  conseils  du  président,  ])our  mandats 
d'amener,  etc.  En  afï^iires  d'administration,  rapportez-vous- 
en  exclusivement  au  secrélaire  général.  S'il  faut  encore 
vérifier  les  tabacs,  employez-y  La  Talle,  Jannassi,  un  des 
Mutarelli,  Pace,  ou  tout  autre  que  vous  désignera  M.  le  secré- 
taire général;  mais  donnez  toujours  la  préférence  aux  plus 
capables  et  aux  plus  [)auvres. 

Je  me  porte  très  bien,  et  l'air  de  ce  pays  m'est  tout  à  fait 
favorable.  M.  rarchiprélre  Simeoni,  qui  nous  béberge,  est 
une  agréable  personne,  pleine  de  boulé  el  de  cœur,  etc. 

Saiil-Anijolo.  25  juin  1858. 

XX 

.1//  frcre  Jean-Ikijftisle,  à  Ihtmc.  —  Mardi  prochain,  je 
serai  de  retour  à  Bénévenl,  a|)rès  avoir  visité  le  sanctuaire 
do  Monle-Vergine  en  compagnie  d(^  M.  le  cardinal,  qui 
actuellement  se  retrouve  dans  ce  pays  pour  sa  tournée  pas- 
torale. Les  moines  verjîinienssont  descendus  de  la  montaîjrnc 
pour  nous  inviter  lundi  à  la  fête  de  saint  Guillaume,  leur 
fondateur;  et  nous  avons,  d'avance,  accepté  l'invilahon,  etc. 

;iul  Anpclo-iVScala,  25  juin  IS58. 


Sa 


XXI 

Au  comte  Antoine  Pecciy  avocat  à  Borne.  -^  En  ce  mo- 
ment, je  me  trouve  très  occupé  par  de  multiples  affaires 
concernant  cette  province.  La  ville  de  Bénévent,  enclavée 


> 


LA   nfiLKCATIUN    I)K    IKNKVKM. 


247 


dans  un  royaume  étranger,  présente  de  gra-ves  embarras 
qu'il  faut  chercher  à  surmonter,  du  mieux  qu'on  peut.  Les 
affaires  d'administration  et  de  police  exigent,  spécialement 
de  moi  qui  débute  dans  ce  genre  de  gestion,  beaucoup  de 
piudence,  de  vigilance  et  d'activité.  J'ai  pourtant  plaisir 

a   voir  que  tout  va    son 

chemin,  de  bon  train  et 

régulièrement. 

Mercredi    dernier,    je 

suis  rentré  d'une  explora- 
tion faite  sur  le  territoire 

bénéventin.    J'ai    poussé 

jusqu'à     Sant-Angelo-à- 

Scala,  où   se    trouvait   le 

cardinal  Bussi  en  tournée 

pastorale.  J'ai  visité  Cep- 

paloni,    Fietra-Stornina, 

Bocca-Bascievana ,     etc. , 

forteresses    sises    sur    h» 

territoire    d'Avellino.   De 

là,  en  compagnie  du  dis- 
tingué cardinal ,  je  me  suis 

rendu  au  sanctuaire  célèbre  de  Monle-Vergine,  situé  sur  les 
hautes  crêtes  de  l'Apennin.  Nous  y  avons  séjourné  un  jour  et 
passé  une  nuit,  traités  par  les  moines  avec  une  magnificence 
royale,  en  un  souper  et  deux  dîners  des  plus  somptueux. 
Nous  sommes  descendus  à  Loreto,  résidence  de  l'abbé  géné- 
ral et  des  plus  hauts  dignitaires  de  l'ordre.  Us  habitent  un 
superbe  palais  octogone,  bâti  sur  les  mêmes  dessins  que 
celui  de  Caserte,  près  de  Naples;  il  n'a  rien  à  envier  aux 
plus  beaux  palais  de  ce  royaume.  De  là,  toujours  escortés 
et  recevant  les   honneurs  militaires,  nous  avons  regagné 


La  place  de  Moiilclanico,  pivs  ilo  Carpiucto. 
^Foiilaiiio,  par  Erncsto  HiDiidi.] 


k**-^ 


'■t  '-;•  ;*s: 


2i(J 


f,\  rjiKf.An  lii: 


LKHN    Mil, 


l'cinisc;  ou  lu'eii  celle  de  Masli,  conune  vous  le  ju;4eiT/ 
meilleur,  —  nfin  ([ue  je  puisse  fnii'e  plu^  commodénieiil  le 
reste  de  la  loute.  Tenez  cela  au  secret. 

Je  vous  rappelle  (pie,  eu  alTaires  de  pidice,  vous  aui'ez 
à  vous  ivi^lei-  sur  les  conseils  du  piésidenl,  pour  mandats 
(ramen(M\  etc.  Kn  afVaires  cradministralion,  ra|)porlez-vou^- 
en  exclusivement  au  secrélaire  <;énéial.  S'il  faut  encore 
v<'rifi(M'  les  lahacs,  eitiployez-y  La  Talle,  Jannassi,  un  des 
îfutarelli,  Pace,  ou  tout  autre  (jne  vous  dési^^nera  ^[.  lesecré- 
laii'e  néiUM'al;  mais  donmv  loujtuirs  la  ])ivrérence  aux  [du^ 
capaMes  et  aux  plus  pauvivs. 

Je  me  poile  1res  hien,  et  Tair  de  ce  pays  m'esl  Inul  à  l'ait 
lavoralde.  M.  rarchipièlre  Simeoni,  qui  nous  li(''h(»ri:e,  est 
une  agréable  personne,  pleine  de  honlé  el  de  cieur,  etc. 

Saiit-Aiiuclo.  "2"   juin   1S.~S. 

\\ 

An  frhr  ,lc(fH-l)((jfllsli\  à  Honir.  —  Mardi  priichain.  je 
serai  de  retour  à  lîénévi'ul,  après  avoir  visité  le  sancluaii'e 
d(;  )lonle-\er^ine  en  c<)m[Kiiinie  de  M.  le  cardinal,  (|ui 
actuellemeni  se  relr(Hive  dans  ce  pays  pour  sa  louiiiée  pas- 
torale. Les  moines  vcr^iniens>ont  descendus  de  la  mnnlanne 
pour  nous  inviter  lundi  à  la  l'ète  de  saint  (inillaume,  leur 
roiidateui';  el  nous  avons,  d'avance,  acce|>lé  l'invilatimi,  etc. 

Saiil  AnjiohHà-Siala,  2."  juin   IS.'S. 

\\1 

Ât(  comte  Anttrinr  Vecci,  ((vocal  ()  Homo.  -^  Kn  ce  nm- 
ment,  je  me  trouve  très  occupé  [Uir  de  multiplet  alVaiies 
concernant  celte  province.   La   ville  de  Dénévent,  erudavée 


I.A    liKLKCAMON    DK    I.KNKVKM. 


2i 


À  i 


dans  un  royaume  étran^cM',  présente  de  p-,Y\o<  embarras 
qu'il  faut  chercher  à  surmonter,  du  mieux  (pi'on  jumiI.  Les 
alFajres  d'administiatimi  et  de  police  ex i,i»enl,  spécialement 
de  moi  (jui  déhute  dans  ce  <i(»nre  de  ^eslicm,  beaucoup  de 
prudence,  de  vij'ilance  et  d'activité.  J'ai  pourlanl  plaisir 
à  voir  (pie  t(uit  va  son 
cliemin,  de  hmi  train  et 
n';:»uli('remenl. 

Mercredi     dernier,     je 
suis  rentré  d'une  explora- 
lion  faite  sui'  le  teiritoire 
hénévenlin.     J'ai     poussé 
jusrpiVi      Sant-Ani;el()-;i- 
Scala,   où    se    trouvait    le 
cardinal  J]ussi  en  touiîK'e 
pastoiale.  J'ai  visité  Cep- 
paloni,     Pieira-Stornina. 
Ilocca-Dascievana,     etc., 
forteresses    sises    sur    1;' 
territoire    d'Av(dlino.    Ile 
là,  en  com|)a^nie  du  dis- 
tingué cardinal,  je  me  suis 

rendu  au  sancluaii'e  célèbre  de  Monte-Vei;iiine,  silué  sur  les 
hautes  crêtes  de  rApennin.  Nous  y  avons  st'journé  un  jour  et 
passé  uneniiil,  lrail('s  pai'  les  moines  avec  une  majiiiificence 
royale,  en  nn  souper  el  deux  dîners  des  plus  somptueux. 
Nous  sommes  descendus  à  Lorelo,  résidence  de  l'abbé  génc'- 
ral  el  des  plus  hauts  dionitaires  de  l'ordre.  Ils  habitent  nn 
superbe  |)alais  octogone,  bàli  sur  les  méuK^s  dessins  (pie 
celui  de  Caserle,  près  de  Naples;  il  n'a  rien  à  envier  aux 
plus  b(\uix  palais  de  ce  royanme.  De  là,  toujours  escort(3s 
et  recevant   b^s    honneurs  militaires,   nons   avons  regagné 


\.n  |il;ni'  (jt>  Monltl.iiiin»,  jir.--;  il.'  CMi'pim'fo, 
Konl.iiiir.  |);ii-  Knicsio  liioiiiii. 


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248 


LA    PRÉLATLRE    DE    LÉON   XIII. 


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Saiit-Aiigelu-à-Scala,   el,   le  jour  suivaiil,  j'ai  opéré  mon 
retour  à  Bénévent. 


Eéiiévcnl,  30  juin  1808. 


XXII 


Au  frère  Jean-Baptiste,  à  Carpineto.  —  ...  Je  voudrais 
que  ces  chevaux  courussent  comme  des  éclairs.  Je  compte 
les  jours  qui  me  séparent  de  leur  arrivée,  parce  que  je  suis 
fatigué  d'en  emprunter.  Cela  me  fait  ici  le  plus  grand  tort. 
Le  délégal  ne  sort  jamais  à  pied.  Je  dois  donc  passer  des 
journées  entières  à  la  maison,  au  grand  préjudice  de  ma 
santé  ^... 

XXlll 

Au  frère  Charles,  à  Carpineto,  —  Si  vous  conmiissiez 
Tesprit  de  celle  petite  proviuce,  aussi  l)ien  (jue  vous  en  [)os- 
sjdez  la  lopograpliie,  je  suis  sûr  que  vous  me  conseilleriez 
d'y  rester,  au  lieu  de  m'inviter  à  me  rendre  à  Carpineto 
pour  la  venue  de  M.  le  prince  Borghese.  Je  me  suis  pres(|ue 
repenti  d'être  allé  à  Monte-Vergine.  Je  ne  sais  même  si,  l'au- 
tomne prochain,  je  devrai  me  rendreàNaples  pour  me  pré- 
senter au  roi,  tant  sont  nomhreuses  les  affaires  qui  m'oc- 
cupent ici.  De  quel  cœur  donc  pourrais-je  entreprendre  un 
voyage  de  cent  trente  milles  et  plus  encore,  même  dans  le 
cas  ou  le  ministère  supérieur  de  la  Secrétairerie  d'État  m'en 
aurait  donné  la  permission?  Uéjouissez-vous  donc,  en  com- 

1.  Les  chevaux  arrivent  enlin,  mais  l'un  des  deux  est  si  vieux  qu'il  enfle 
<!es  jambes.  A  celte  nouvelle,  Jean-Baptiste  vexé  n'écnt  plus.  «  Avez-vous 
l'esprit  assez  borné,  lui  mande  le  Délégat,  pour  vous  émouvoir  et  me  faire  indû- 
ment un  reproche  d'un  fait  dont  je  voulais  seulement  vous  faire  la  preuve, 
et  nullement  vous  rendre  responsable?  » 


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r\  Pina\Ti  HK  hK  lkon  mil 


Saiit-Aiifiolo-îi-Scahi,   et,    h»  jour   suiviuiL    j'ni   opôiv   mon 
retour  à  BciK'veuL 

rôiiévonl.  TA)  juin   1S"8. 


AU  I 


XXII 


'/'OY'  Jfdif'Uaptislr,  à  Carplurto. 


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«'  vouurais 


11 


<[ue  CCS  clicvîiux  couiusscnl  coninic  des  rclairs.  Je  couiple 
les  jouis  (|ui  me  s<''p;n'eul  de  leui'  arrivée,  parce  <jne  je  sui> 
l'ahLiuc'  d'eu  ein|)ruu(ei-.  (Icla  nie  Tail  ici  le  [dus  lijand  loil. 
Le  délé^al  ne  sort  jamais  à  pied.  Je  dois  doiu-  passer  des 
joui'uéi's  enlii'res  à  la  mai>ou,  au  <;raud  pivjudice  de  nia 
santé' 


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Âtf  frhr  (liarlrs,  à  Cdriunrio.  —  Si  \(»us  cmi naissiez 


1 


»os- 


espril  (le  celle  petite  province,  aussi  hien  (jue  vous  en  j 
s''dez  la  lopo^rajdiie,  je  suis  sur  (jue  vous  me  conseilleiicv, 
<l'y  rester,  au  lien  de  nrinviler  à  me  l'cndre  h  Caipineto 
pour  la  venue  de  M.  le  piinee  ilor^hf'^,'.  ,\r  me  suis  piesipie 
repenti  d'être  all<''  à  Monlc-Vei'uinc.  Je  ne  sais  même  si,  l'aii- 
tomne  pi'ochain,  je  devrai  me  rendreà  Naples  |)our  me  pré- 
senter an  roi,  tant  sont  nmnhreuses  les  aU'aires  <pii  m'oc- 
cupeiil  ici.  De  (piel  ca'ur  donc  pourrais-je  entreprendre  un 


dans  l( 


voyage  de  cent  trente  mules  el  plus  cucore,  même  t 

cas  où  le  ministère  supérieur  de  la  Secrétairerie  d'Etal  m'en 


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lurail  donne  la  permission  :  lîejiMiissez-vous  donc,  en  com- 


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es  ilK'Viiux  ;ii  rivciil  ciiliii,  iiiiiis  riiii  «les  deux  esl  si    vii'iix  «lU  il  «'iilh 


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<les  j;tinlK's.    A    celte    nouvelle,   Jeiiii-H;i|»liste   vexé    iréeiit   plus.    ((  Ave/.-v 

resjtiit  assez  l>oi'né,  lui  mande  le  DéK'j^al,  |)(»ur  vous  émouvoir  el  uie  faire  indù- 

lueiil    un    reproelie  d'un   l'ail  doni   je  voulais  seulemeul   vous  laiie  lu  preuve, 
el  nullement  vous  rendre  lesjMtnsable?  » 


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LA    l'HKLATURK    DK    LÉON    MIL 


LA   DÉLÉGATION   DE   DÉNÉVENT. 


251 


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pagnie  de  Jean-Bnpliste  et  de  M.  le  prince;  tandis  que  moi 
j'aurai  à  m^occuper  de  bien  d'autres  affaires,  pour  Thon- 
neur  même  de  notre  maison. 

Présentez  mes  com|)liments  au  prince  Borghèse,  et  soyez 
rmterprete  de  mes  sentiments  auprès  de  lui. 

Bcnévenf,  19  août  18,"8. 

XXIV 

Au  frère  Charles,  à  Carpineto,  —  J'envoie  le  brigadier 
Cappucci  jusqu'à  Frosinone,  pour  qu'il  remette  à  M.  Ignace 

Conti  deux  boîtes  de  pâ- 
tisseries fines.  Selon  vos 
désirs  et   ceux   de  Jean- 
Haptiste,  je  les  ai  l'ait  faire 
exprès,  à  l'occasion  de  la 
visite  que  vous  aurez,  à 
Carpineto,  de  M.  le  prince 
Horghèse.  J'espère  qu'elles 
réussiront  à  votre  gré.  Il 
y  a  des  pâtes  d'amande, 
des    ossa   da  morto\  et 
d'autres  morceaux  divers 
de  la  meilleure  qualité. 

J'aimerais  apprendre  en 
temps  voulu  comment  la 
rencontre  et  l'accueil  au- 
ront eu  lieu,  et  quelle  aura  été  la  satisfaction  du  prince. 
Mes  précédentes  lettres  vous  auront  convaincu  de  l'impos- 
sibilité où  je  me  trouve  à  quitter  Bénévent,  et'à  laisser  à 

1.  PiUisseric  faite  avoc  des  œufs  ef  du  sucre,  usitée  surtout  à  Pérousc. 


L'hôtel  des  Pecci,  à  Carpiiidu. 


découvert  toute  ma  charge.  Il  n'aurait  pas  été  agréable  au 
Gouvernement  supérieur  que,  pour  des  raisons  de  famille, 
jehii  eusse  demandé  un  congé,  encore  que  provisoire.  Vous 
suppléerez  à  mon  absence,  et  en  mon  nom  vous  vous  ferez 
un  devoir  de  présenter  au  prince  mes  compliments  et  mes 


hommages. 

Bcncvent,  25  août  1858. 

XXV 

Dom  Philippe  Salinn  à  Jean-Baptiste  Pecci,  à  Maenza. 
—  .l'ai  le  plaisir  de  vous  apprendre  que  Monseigneur 
reprend,  de  jour  en  jour,  sa  santé  première  et  que,  comme 
je  l'espère,  celle-ci  se  raffermira  encore  mieux  au  bon  air 
de  Sant-Angelo,  où  nous  nous  rendrons  vers  la  fin  de  cette 
semaine,  si  aucun  empêchement  ne  survient.  Votre  frère, 
en  attendant,  continue  à  faire  un  usage  modéré  de  quinine. 
11  n'a  plus  souffert  de  maux  de  tète,  ni  manqué  d'appétit. 

Le  ^4,  Mgr  le  cardinal-archevêque  est  parti  pour  Monte- 
fosco;  de  là,  il  se  rendra  à  Sant-Angelo  et  y  partagera 
quelque  temps,  avec  Monseigneur,  la  même  villégiature. 
I/accord  qui  règne  entre  ces  deux  autorités  est  à  la  fois  le 
plus  étroit  et  le  plus  admirable.  Cet  accord  est  d'autant 
plus  heureux,  que  pas  un  des  deux  prédécesseurs  de 
Mgr  le  Délégat  n'a  su,  aussi  bien  que  lui,  l'établir  et  le  main- 
tenir. Etc.*. 

Bénévciil,  26  septembre  1858. 

I.  A  la  fin  de  celte  lettre,  Mgr  Joacliim  Pecci  recommande  à  son  frère  Jean- 
llaptistc  que  leur  autre  frère  Charles  reçoive,  à  Carpineto,  —  ainsi  que  la 
tamille  des  iVcci  en  a  usé,  de  temps  immémorial,  —  Mgr  Annevazzi,  évèque 
d'Anagni,  son  ami,  qui  fut  toujours  un  homme  s;uîs  cérémonies.  Mgr  Annevazzi 
devait  être  accompagné  par  les  abbés  Belli  et  (iigli,  anciens  amis  de  la  maison. 
Belli  est  devenu  cardinal,  et  Gigli  évèque  de  Tivoli. 


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|)ngnir  (Ir  Jcjni-lî.iplisle  cl  ilf  M.  le  priiico;  landis  rpio  moi 
jVuinu  à  nrocciiprr  dr  Imcii  craulrcs  affaires,  pour  l'hon- 
neiir  mèrric  de  notre  maison. 

Présentez  m(s  complimeiils  an  prinee  r)or<;hèse,  et  soyez 
rinlerprèle  de  mes  sentiments  auprès  de  lui. 

liénôvoul,    II»  .(oiil  [^T,H. 


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Au  frère  Charln.  à  Car/Hncto.  —  J'envoie  le  Ini-adier 
Cappucci  jusiju'à  Frosinoiie,  pour  rpTil  remette  à  M.  I<inaeo 

(i(mli  deux  boîtes  de  pâ- 
tisseries  Unes.  Selon  vos 
d('sirs   et    eeu\    de  Jean- 
llapliste,  je  les  ai  l'ail  l'aire' 
expies,  il  Toceasion  de  la 
vi<it(^  que   vous   aui'ez,    à 
(iarpinelo,  de  M.  le  |)riiu*e 
llorglièse.  respère(prell(S 
i'<''ussi l'ont  à  voti'e  un'*.  Il 
V   a   des  pâtes  d'amande, 
des    (ma   da    moiii)\  el 
d'autres  morceaux  divers 
de  la  meilleure  qualité. 

J'aimerais  apprendre  en 
temps  voulu  comment   la 
l'encontre  el  Taceueil  au- 
ronl  eu  lieu,  et  quelle  aura  été  la  salisfaelion  du  prince. 
Mes  précédentes  lettres  vous  aunml  convaincu  de  l'impos- 
sibilité oîi  je  me  trouve  à  quitter  Bénévent,  et'à  laisser  à 

I.   hili-nio  f^.il,.  :.v.T  (1rs  uM.f;  ,1  ,lu  siinv,  usil.V  sinloul  à  IVioiisc. 


I/1j(jIo1  (h's  Pt'ai,  à  Carpinrh.. 


'^liiilrittlÉÉiÉ)fÉiiiiÉÉ^fti«bK«aiiiÉtt^ 


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i.A  I)l^rJ^(;ATlo^  m-:  iii':m':vi:nt. 


201 


découvert  t(Mite  ma  cbarjre.  11  n'aurait  pas  été  agréable  au 
riouveriuMuenl  supérieur  (pu%  |)our  des  raisons  de  l'amille, 
je  lui  eusse  demandé  un  conjiié,  encore  que  |)rovisoire.  Vous 
suppléerez  à  uKui  absence,  et  en  mon  nom  vous  vous  ferez 
un  devoir  de  piésenter  au  prince  mes  compliments  et  m(  s 


liommages. 

nrncv.'iil,  L>5  août  IH.lX. 

Ihnu  l^lullpifr  Sallna  à  Jcum-Baptlstc  PeccI,  à  Mdcnza, 
—  .1  ai  le  |daisir  de  vous  apprendre  (pie  Monseigneur 
repi-end,  de  jour  en  jour,  sa  santé  première  et  (jue,  comme 
je  l'espèie,  celle-ci  se  rafleiiniia  eiH'ore  mieux  au  bon  air 
<le  Sant-Angelo,  où  nous  nous  rendrons  vers  la  lin  de  cette 
semaine,  si  aucun  empécbement  ne  survient.  Votre  rrèr(% 
en  attendant,  continue  à  l'aire  un  usage  modéi'é  de  (juinine. 
Il  n'a  plus  souflèrt  de  maux  de  télé,  ni  manqué  d'appétit. 

Le  îî,  Mgr  le  cardinal-aicbevécpie  est  parti  pour  Monte- 
l'osco;  de  là,  il  se  ivndra  à  Sant-Anii(do  el  v  î)arta<>era 
quelque  temps,  avec  Monseigneur,  la  même  villégialuie. 
l/accoi-d  (|ui  règne  entre  ces  deux  autorités  est  à  la  lois  le 
[dus  étroit  el  le  plus  admiiable.  Cet  accord  est  d'autant 
plus  heui-eux,  que  pas  un  des  deux  i)rédécesseurs  de 
Mgr  le  Délégal  n'a  su,  aussi  bien  que  lui,  l'établir  el  le  main- 
tenir. Ktc.'. 

llriicvciiU  2G  SP|)toinl»rc   ISHS. 

I.  A  la  fin  (le  t-ellc  Icllrc,  >i-:r  Joacliiiu  Pocci  roconunaiule  à  son  fiôre  Jean- 
l!a|tlisl('  (|ii(>  Icm-  aiilic  l'ivre  Cliaili's  rec-oive,  à  Car|»iiu'lo,  —  ainsi  (jno  la 
lamillc  (les  iVcci  en  a  usé,  de  temps  iminéinoi  ial,  —  Mj^m-  Anncva/zi,  évècjiic 
d'Anajini,  son  ami,  ({iii  fnl  lonjonrs  un  liomine  sans  cérémonies.  M^r  Annevazzi 
devait  être  accompaj^né  par  les  aldiés  Delli  el  (iijji,  anciens  amis  de  la  maison. 
Helli  e>l  deveiui  cardinal,  el  (iigli  évéquc  de  Tivoli. 


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LA   PRÉLATIRE    DE    LÉON   XIIL 


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XXVI 

iîi  /y'6^/'^  Jeati'Bapiiste,  à  Maenza.  —Dans  un  inslani, 
je  pars  en  villégiature.  Je  vais  en  pays  soumis  à  ma  délé- 
gation, en  pays  de  Principauté  ultérieure.  Si  présentement 
ma  santé  est  suffisante,  je  me  trouverai  bien  mieux  encore 
à  respirer  un  air  plus  salubre  que  celui  de  Bénévent. 

Des  personnes  amies  se  sont  employées  à  demander  mon 
changement  [mur  Ascoli,  sans  que  j'en  eusse  rien  appris. 
Tai  prié  qu'on  suspende  toutes  ces  démarches,  étant  pour 
rinstant  très  content  de  mon  séjour  à  Bénévent,  où  je  ferai 
de  mon  mieux  pour  que  ce  climat  ne  nuise  plus  à  ma  santé. 

Kéncvent,  ."O  scplembrc  IX."8. 

XX\J[ 

Au  comte  Antoine  Pecci,  à  Carpineto,  —  ...  iMa  santé 
est  bonne.  L'air  nouveau  que  je  respire  m'est  salutaire.  J'ai 
déjà  parcouru  une  bonne  paitie  de  la  province  de  Princi- 
pauté ultérieure,  dans  le  royaume  de  Naples.  iM.  le  cardinal, 
lui  aussi,  se  porte  très  bien. 

Sant-Angelo,  14  octobre  1838.| 

XXVllI 

Au  comte  Antoine  Pecci,  à  Carpineto.  —  Le  H,  je  me 
suis  hâté  de  revenir  à  Bénévent,  pour  retenir  à  dîner  le 
marquis  Muti,  le  jour  du  12.  iMon  hôte  en  a  témoigné  son 
vif  enchantement.  11  est  parti  le  jeudi  suivant  pour  Avellino, 
en  compagnie  de  Calamani.  11  se  rend  à  Naples,  après  avoir 
passé  quelques  jours  à  Home. 


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XXVI 

Au  frère  Jean-Baptiste,  à  Maenzn,  —Dans  un  inslanl, 
je  pars  en  villé<iia(nre.  Je  vais  (mi  pays  soumis  à  ma  délé- 
l^alion,  en  pays  de  Prinei|)aulé  ultérieure.  Si  présenlemenl 
ma  santé  est  suffisanle,  je  me  trouverai  l>ieii  mieux  encore 
à  respirer  un  air  plus  sainhre  fjue  celui  de  Bénévent. 

Des  personnes  amies  se  sont  employées  à  demander  mon 
clian<iement  pour  Ascoli,  sans  que  j'en  eusse  rien  appris, 
.l'ai  prié  i\\\\n\  suspende  toutes  ces  démarches,  étant  ponr 
l'instant  très  content  de  mon  séjour  à  Dénévent,  où  je  ferai 
de  mon  mieux  pour  (|ue  ce  climat  no  nuise  plus  à  ma  santé. 

Rénovent,  ."0  srpleiiihro  IS'X. 

XWJI 

Au  comte  Antoine  Pecri,  à  Carpineto.  —  ...  Ma  santé 
est  bonne.  I/air  nouveau  (|ue  je  respire  m'est  salutaire.  J'iii 
déjà  parcouru  une  honne  paitie  de  la  province  de  Trinci- 
|)auté  ultérieure,  dans  le  royaume  de  Aaples.  M.  le  cardinal, 
lui  aussi,  se  porte  très  bien. 

Sanl-Anjiclo,  1  i  ocJohm  185S.| 

XXVIII 

Au  comte  Antoine  Pecci,  à  Carpineto,  —  J.e  11,  je  me 
suis  hâté  de  revenir  à  Bénévent,  pour  retenir  à  dîner  le 
marquis  Muti,  le  jonr  du  12.  Mon  hôte  en  a  témoigné  son 
vif  enchantement.  Il  est  parti  le  jeudi  suivant  pour  Avellino, 
en  compagnie  de  Calamani.  Il  se  rend  à  Naples,  après  avoir 
passé  quelques  jours  à  Bome. 


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2^*^  l^A    l'RfiLATrnK    [)K    LÉO.N   XIII. 

L'air  du  petit  paye  de  Sant-Angelo-à-CupoIe  est  vif, 
salubre,  et  va  bien  à  mou  tempérament.  De  fait,  j'en  ai 
éprouvé  la  bienfaisante  influence  en  recouvrant  la  santé,  tout 
à  fait  et  en  un  rien  de  temps. 

Je  serais  curieux  de  savoir  pour(|uoi  s'est  évanoui  le 
projet  de  voyage  que  le  prince  Borghèse  devait  faire  à 
Carpineto,  ou  qu'il  s'était  du  moins  proposé  de  laire. 

Bénévent,  21  octobre  1838. 


LA  DÉLÉGATION  DE  HKNÉVKNr. 


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Au  frère  Jean-Baptiste,  à  Maenza,  —  Comme  vous  le 
savez,  notre  frère  Joseph  passe  à  Reggio-di-Modena.  Moi,  je 
me  porte  bien,  et  j'ai  tiré  bon  parti  des  villégiatures  faites  à 
diverses  reprises  et  en  des  endroits  différents. 

Les  affaires  de  la  province  sont  en  régie.  L'opinion  de 
la  majorité,  c'ost-dire  du  peuple,  m'est  favorable.  Mon 
guide,  en  toute  affaire,  est  la  conscience  et  le  devoir;  mon 
système,  un  affranchissement  complet  de  toute  espèce 
d'entrave;  et  je  suis  à  l'éveil  devant  chaque  cabale,  chaque 
intrigue.  Cette  taclique  sied  mal  aux  nobles  et  autres  gens, 
accoutumés  à  un  système  différent.  Elle  ne  m'a  pas  moins 
mérité  le  titre  d'amant  de  la  justice,  et  n'en  satisfait  que 
mieux  ma  conscience.  Celle  raison  fera  que  je  ne  m'en 
départirai  jamais. 

J'imagine  vos  angoisses,  vos  craintes,  pour  la  réception 
de  don  Camille  Aldobrandini  à  Carpineto;  mais  je  suis 
persuadé  que  mon  imagination  est  encore  impuissante  à  me 
dépeindre  la  réalité  des  choses.  Le  retard  prolongé  de  ce 
prince  aura  encore  accru  vos  peines.  Je  désire  que,  pom- 
ma distraction,  vous  m'en  fassiez  une  description  détaillée, 
minutieuse....  Mais,  quelle  inimitié  pour  les  hommes  mani- 


festez-vous! Quel  esprit  antisoi-ial  !  Bon  Dieu!  à  quoi 
sommes-nous  réduits?  Par  pitié,  ne  sacrifiez  pas  l'honneur 
de  la  famille. 

Bénévent,  28  octobre  1858. 

XXX 

Au  frère  Charles,  à  Carpineto,  —  J'ai  pris  beaucoup  de 
plaisir  aux  nouvelles  que  vous  m'avez  envoyées  sur  l'arrivée, 
le  séjour  et  le  départ  du  prince  Camille  Aldobrandini,  en 
visite  à  Carpineto.  Mon  plaisir  a  élé  grand  d'apprendre 
aussi  que  ce  prince  a  été  satisfait  de  l'hospitalité  offerte,  et 
<iue  notre  famille  s'en  est  tirée  à  son  honneur.  J'accepte 
l'invitation  que  vous  me  faites,  d'écrire  moi-même  au 
père  du  prince  une  lettre  de  félicitations.  Elle  partira  par 
la  poste  de  mercredi  prochain,  et  semblera  correspondre 
aussi  bien  à  l'invitation  que  j'avais  déjà  faite  moi-même  au 
prince  dans  llome. 

Donnez  de  mes  nouvelles  et  mon  salut  à  tous  les  nôtres 
<jui  prolongent  leur  villégiature  dans  Carpineto.  Ma  province 
me  donne  des  satisfactions.  Les  affaires  y  suivent  régu- 
lièrement leur  cours,  à  l'enchantement  du  Gouvernement 
supérieur. 

Bénévent,  ô  novembre  18."8. 

XXXI 

Au  frère  Charles,  à  Carpineto.  —  Bien  qu'éloigné  de  la 
famille  je  ne  négligerai  aucun  moyen,  comme  je  l'ai  fait  par 
le  passé,  pour  faire  cesser  l'état  d'angoisse  où  elle  se 
trouve.  Oui,  c'est  une  agonie,  puisque  la  succession  n'est 
pas  assurée  ;  c'est  donc  la  fin  prochaine  de  notre  nom.  Ayez 


Kl' 


^N 


5*^-Ç. 


250 


LA  pi;  KL  A  Tir.::  dk  lko.n  mil 


au  moins  la  volinliî  ih'  lair*;  (jiicl(|iie  chose,  car,  si  celle 
volonlé  maiiquo,  luus  nos  elTorls  seroiil  inutiles.  Moi,  j'avais 
le  sincère  désii*  de  Wûw  ([ueliine  chose,  et  j'y  ai  réussi. 
Vous  me  voyez,  i)ie;i  qn:'  tout  jeune  encore,  parvenu  à  un 
])oste  où  n'est  ariivé  aucu:i  memhre  de  la  famille  avant 
moi;  poste  (|ui  apporte  honneur  el  lustre  a  m)tre  famille. 


L"s  ftrr.'s  Miii;'ms  de  Sîm-j'ic'ro.  à  rupiiirto. 

en  même  temps  (ju'j  noliv  pays.  Je  ne  dis  pas  cela  par 
vaine  forfanterie  on  pai'  une  |)résomption  orgueilleuse  que 
j'ahhorre,  mnis  p;)ur  vous  montrer  un  exemple  des  elFels  de 
la  honne  volonté.  Papa  est  moit,  el  j'ai  la  persuasion 
absolue  que  j'ai  répandu  pleinement  à  ses  vœux;  et  ma 
douleur  est  immense,  (|u'il  ne  puisse  en  être  témoin*.... 

Béi;évLMil,  le  'J8  imve.sj!»:e  I8."S.  ^ 

1.  Il  s";igiss::it  de  dccidvv  JiMU-L^iplisk»  ;i  se  lUîniiT,  puisque  CIimiIos  s'y 
refusai!,  (our  que  la  fiimlMo  «Irs  iVcci  ne  sVliM-rnil  |»:is.  I);uis  une  letlrè 
réservée  (lu  H  uoreinhie  I8.".s,  Mgi- iVcii  énil  :  «  L'exisleuce  de  la  famille 
dépend  de  Je.in-Hq)lisle.  Ainsi  «pie  Cliailes.  il  avance  en  âge.  Moi,  je  me  suis 


LA   DÉLÉGATION    DE    UÉNÉVKNT.  tiô? 

XXXII 

Au  frère  Jean-Baptiste,  à  Maenza.  —  ...  Je  me  suis 
réjoui  de  n'avoir  été  proposé  à  aucun  changement  dans  les 
promotions  dernières,  bien  qu'à  Rome  la  chose  fût  retenue 
pour  certaine,  ainsi  que  me  l'écrivaient  affirmativement 
les  amis.  Je  voudrais  conserver  Tillusion  que  je  resterai,  au 


Environs  de  Carpincto. 

moins  deux  ans  encore,  dans  cette  Délégation  où  je  me 
trouve  content. 

Béncvent,  C  mars  1859. 


XXXIII 
An  frère  Charles,  à  Carpineto.  —  ...  Voici  donc  Tanni- 

châtré,  propler  regnum  cœlonuiu  Si  ni  l'un  ni  l'autre  ne  se  décide, 
l'extinction  de  la  famille  est  fatale.  »  Le  18  janvier  1859,  il  ajoute  :  «  Sacri- 
liez  i»our  la  famille  un  peu  de  votre  bonheur  privé.  »  Et,  le  17  février  :  «  Si 
vous  ne  voulez  que  la  famille  périsse,  il  faut  que  vous  ou  Carluccio  preniez 
femme.  »  Enfin,  en  avril,  l'effort  suprême  est  tenté  :  «  Faut-il  laisser  une 
famille  qui  a  coûté  tant  de  sueurs  à  nos  ancêtres.  »  Alors,  un  des  deux  frères 
se  décide  au  mariage,  el  c'est  ce  même  Charles  qui  promettait  un  célibataire 
endurci.  Mais  qui  a-t-il  choisi?  «  Une  femme  qui  n'est  pas  de  sa  condition  et 
qui  fera  sa  ruine  !  »  Celte  négociation  délicate  n'est  pas  près  d'al)Outir. 

17 


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LA  riiK I. A 1 1  i;::  u\:  i.îjw  \\\i 


au  inoin^  la  v<>h:il;''  (!;•  laii»'  (luclipic  cIium',  car,  si  (•('(!(' 
voloiHr  i:i;)n(|ii;\  l;;;;s  n;is  ciïorls  sn'oiil  imililcs.  Moi,  j'avais 
le  sinciMV  ilésii"  ilc  lair.'  <jii('li|ii('  cho'-e,  cl  j'v  ai  n'-ussi. 
Nous  me  voyez,  l>ie:i  i|n;*  hml  jeune  eiieoi'e,  pai\euu  à  un 
pusle  où  u'esl  ai'iivc  aui-uu  UKMnhre  de  la  rauiille  avant 
ni(u';  |M)sle  (|ni  apjiorle  lionneur  et  lu>li'e  à  noire  faniille, 


I.  •>  rivr.'>   M:ii    iii^  <!(•  S;iii-|'i,'i(>.   ;i  ('.  ii  piiirlo. 

en  inr'ine  lenips  (ju'à  noire  |>ay>.  Je  ne  (!i>  pas  cela  par 
vaine  forfarîlerie  ou  par  une  |uvH)inplion  ori^uei lieuse  que 
j'abhorre,  mais  pjur  vous  monli'er  un  exemple  des  elFels  de 
la  lionne  volonlé.  Papa  (  si  mori,  e(  j'ai  la  persuasion 
absolue  (|ue  j'ai  ivpimdu  pleinement  à  ses  vœux;  et  ma 
douleui'tst  immt^nse,  (pi'il  ne  puisse  en  èlre  lémoin'.... 

Im-i.i'vciiI.  le  t:S  iiiiM'.:i!.;v  1S"S. 

1.  H  s";i-iss::il  «le  (liridci-  .Icim-irapli.lc  ii  s,,  mni  irr.  pnivqiic  CIlhIcs  s*\ 
refusait,  | oiir  <ji!.'  la  lainillc  des  \Wr\  iir  v'/'lci-nii  jm^.  haiis  iiric  Iclliv 
ivsiMvtV  (In  li  ii..v.'mliic  iS.'s'.  M^i- |N.(ci  ('•ciil  :  .,  I.V\i>lriico  «If  l:i  raiiiillr 
<K'|KMnl  (le  .l(';tii-i;.|.lislc.  Ainsi  •|im>  Chaiio.  il  axancc  vu  à-t'.  Moi,  je  me  suis 


LA    Dl-Ll-CATIO.N    DK    HKM-VKNT.  -lUl 

XXXII 

Au  frère  Jcan-Baptisle,  à  Maenza.  —  ...  »le  me  suis 
réjoui  de  n'avoir  été  proposé  à  aucun  cban^iemenl  dans  les 
promotions  dernières,  bien  (pi'à  Rome  la  chose  fûl  retenue 
pour  certaine,  ainsi  (|ue  me  l'éerivaient  arilrmalivemenl 
les  amis.  Je  voudiais  conserver  Tillusion  que  je  resterai,  au 


Environs  de  (  jirpinclo. 

moins  deux  ans  encore,  dans  cette  Délégation  oii  je  me 
trouve  content. 

Bénévenl,  G  mars  \STi{\ 

XXXIII 
.1'/  frère  Charles,  à  Carpineto.  —  ...  Voici  donc  l'anni- 

clijilré,  inoplcr  rajuam  cd'lonim.  Si  ni  l'un  ni  l'anl rc  no  so  décide, 
rexiinclion  de  la  famille  est  fatale.  »  Le  J8  janvier  1851),  il  ajoute  :  ((  Sacri- 
liez  |)our  la  famille  un  pou  de  votre  bonheur  privé.  »  Et,  le  17  février  :  «  Si 
vous  ne  voulez  que  la  famille  pelisse,  il  faut  que  vous  ou  Carluccio  preniez 
femin»'.  »  Knfin,  en  avril,  l'eflort  suprême  est  tenlé  :  «  Faut-il  laisser  une 
famille  qui  a  coûté  tant  de  sueurs  à  nos  ancêtres.  »  Alors,  un  des  deux  frères 
se  décide  au  mariage,  et  c'est  ce  même  Charles  qui  promettait  un  célibataire 
endurci.  Mais  qui  a-t-il  choisi?  a  Une  femme  qui  n"esl  pas  de  sa  condition  et 
qui  fera  sa  ruine  î  »  Cette  négociation  délicate  n*est  pas  près  d'aboutir. 

17 


_A 


t>58 


LA    PHKLATl  KK    DE    LÉON    Mil. 


versaire  de  mon  arrivée  à  Bénévent  el  de  la  maladie  qui 
m'aurait  conduit  à  la  tombe,  si  la  sainte  Vierge  ne  m'avait 
secouru.  Après  Pâques,  j'irai  à  Naples  me  présentei*  à  la 
Cour,  comme  Tout  fait  les  délégats  mes  prédécesseurs.  Je 
renouvellerai  mes  hommages  à  tout  le  ministère  royal. 
I/archiduc  Charles  est  à  Naples.  Le  roi  est  allé  à  sa  ren- 
contre, jusqu'à  Manfredonia. 

Bénévent,  20  mars  1850. 

XXXIV 

Au  comte  Antoine  Pecci,  à  Rome.  —  ...  Je  désirerais 
savoir  si  don  Phih*|)pe  Salina  pourra  descendre  chez  vous 
en  venant  à  Rome,  à  l'occasion  de  la  canonisation  prochaine. 
Jl  m'en  a  fait  lui-même  la  demande;  car,  en  cas 
d'empêchement  que  je  ne  peàx  pas  prévoir,  il  devra 
penser  à  se  loger  ailleurs.  Le  cardinal  aussi  viendra  au 
palais  Muti,  et  vous  le  connaissez  bien.  Par  la  même  occa- 
sion, vous  pourrez  aussi  me  faire  savoir  si  la  lettre  partie 
pour  Reggio,  à  l'adresse  de  mon  frère  jésuite,  a  été 
afTianchie. 

Dénévcnt.  20  mars  \ST,*J. 

XXXV 

Ail  comte  Antoine  Pecci.  —  Don  Philippe  Salina  viendra 
définitivement  à  Rome,  pour  faire  suite  au  cardinal.  Celui-ci 
sera  chez  vous  avec  sa  suite,  non  le  23,  mais  le  25,  sauf 
les  cas  toujours  imprévus  qui  peuvent  se  présentei*  au  cours 
d'un  long  voyage.  Partant  moi  aussi  à  cette  époque  pour 
Naples,  je  lui  tiendrai  peut-elre  compagnie. 

Bénévent,  4  avril  18")'.). 


LA    DKLKCÎATION    DE    BÉNÉVENT.  250 

XXXVI 

Don  Philippe  Salina  an  comte  Antoine  Pecci,  à  Uomr.  — 
Le  1"  du  mois  courant,  Mgr  le  Délégal,  en  compagnie  de 
S.  Em.  Bussi,  est  allé  à  Magnano  visiter  le  sanctuaire  célèbre 
de  Sainle  Philomène.  Le  soir  du  2,  une  demi-heure  après  le 


Los  fivros  Angnislinions  de  riiùiiilîil.  à  Carpiiiclo. 

coucher  du  soleil,  tous  deux  éUiient  de  retour  après  un 
heureux  voyage.  Le  jour  de  Pâques,  Mgr  le  Délégat  s'est 
porlé  en  grande  pompe  à  la  métropole,  accompagné  des 
carrosses  de  la  magistrature  communale  et  de  la  troupe, 
qui  ont  assisté  à  la  messe  pontificale.  Celle-ci  terminée,  on 
est  allé  diner  chez  le  cardinal-archevêque.  Etc...\ 

Bénévent,  7  avril  1830. 

i.  Au  bas  de  celte  lettre,  M-r  Pecci  érril  à  l'oncle  Antoine  :  k  Le  départ 
pour  Naples  s'efifeclut^ra,  le  mois  courant.  » 


^*-  • 


t. .  ^  .  .--:;-• 


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LA    nîKLAïniK    l)H    LKO.N    Mil. 


versairc  de  mon  arrivée  à  nénévenl  el  de  lîi  maladie  (|ui 
m'aurait  conduit  à  la  tombe,  si  la  MÛnio  Vierge  ne  nravail 
secouru.  Après  IVicjues,  j'irai  à  Naples  me  présenter  à  la 
Cour,  comme  l'ont  fait  les  délégals  mes  prnlécesseuis.  .le 
renouvellerai  mes  liomma<»es  à  tout  le  ministère  roval. 
l/areliidue  Charles  est  à  Xa[)les.  Le  roi  est  allé  à  sa  ren- 
conti'e,  jus(ju'à  ManlVedonia. 

Hciiévonl,  '20  imr<  isr><>. 

\\\IV 

Au  comte  Attlolne  PcccI,  à  Tloync.  —  ...  .le  désirerais 
savoii*  si  don  Phili[n>e  Salina  [ïouiia  descendie  chez  vous 
en  venant  à  Rome,  à  riK'casion  de  la  canonisMli(Mi  prochaine. 
Il  m'en  a  l'ail  lui-même  la  demande;  car,  en  cas 
d'empéchefuenl  (pie  je  ne  peux  [>as  piévoii*,  il  devra 
penser  à  se  louer  ailleurs.  Le  cardinal  aussi  viendra  au 
palais  Muli,  et  vous  le  connaissez  hien.  Par  la  même  occa- 
sion, vous  |Mmrrez  aussi  me  laiie  savoir  si  la  leltie  pailie 
|)our  Ileiigio,  à  l'adresse  de  UKUi  IVère  jé'suile,  a  éié 
aiïranchie. 

JH-névcnl,  ^H)  mai-  KS.7.>. 

\X\Y 

Âti  comte  Antoine  l*cccl.  —  Don  Philippe  Salina  viendra 
définitivement  à  liome,  pour  l'aire  suile  au  cardinal.  Celui-ci 
sera  chez  vous  avec  sa  suite,  non  le  '27),  mais  le  2*),  sauf 
les  cas  toujours  imprévus  qui  peuvent  se  piésenttM"  au  cours 
d'nn  lon<^^  voyape.  Partant  moi  aussi  à  celle  épo(|ue  pour 
Naples,  je  lui  tiendrai  peul-élie  compaj^nie. 

Itriiévenl.  i  avril   lsr»U. 


LA    hKLK(iATI(»N    lU:    BKNKVKNï. 


2:>î> 


XXWI 

Don  Vhilippe  Sdlhid  an  comte  Antoine  Vecci,  n  Uome.  — 
Le  1"  du  mois  couiant,  Mgr  le  Délé-'al,  en  compagnie  d.; 
S.  Em.  Hussi,  est  allé  à  Ma,i»iian(f  visilei-lesancluaire  célèhre 
de  Sainle  IMiilomène.  Le  soir  du  '2,  nuLMlemi-heure  apiès  le 


Lrs  fivrcs  Aiip-nsliiiiciis  de  riiôpil.il.  à  Cariiiiicld. 

coucher  du  soleil,  tous  deux  étaient  de  retour  ajuès  un 
heureux  Vi^ya^e.  Le  jour  de  Pà(|ues,  Mur  le  Délégal  s'est 
porlé  en  grande  pompe  à  la  métropole,  accompagné  des 
carrosses  de  la  magistrature  communale  et  de  la  troupe, 
qui  ont  assisté  à  la  messe  pontificale.  Celle-ci  terminée,  on 
est  allé  dint'!'  chez  le  cardinal-ai'chevé(|ue.  Etc...'. 

Boiirvcnl,  7  avril  IXÔW. 


1.  Au  hiis  lie  iM'IU»  l('(li(\  M^r  l'cici  érril  ;'i  rctrulc  Aiiloiiu'  :  (\  Le  (lc|>;ut 
pour  Niiplos  s'olfectucra,  le  mois  coiinuil.  » 


260 


LA    l'RÉLATUHE    DE    LKO^    Xlll. 


XXXYII 

Mgr  Joachim  Perd  au  frère  Jean-Baptiste,  à  Maenza.  — 
Les  nouvelles  que  vous  apportera  celle  cinquième  lellre  sonl 
toules  pleines  crallégresse  el  de  paix.  Elle  vous  dira  en 
substance  que  je  partirai  de  Bénévent  avec  S.  E.  le  cardinal- 
archevêque  Bussi,  le  22  du  mois  courant;  que,  le  25  au  soir, 
je  me  trouverai  avec  lui  à  San-Germano.et  au  sommet  de 
Montecanino;  que,  le  surlendemain,  tandis  que  le  cardinal 
poursuivra  son  chemin  jusqu'à  Bome,  je  resterai  encore  là 
à  admirer  les  merveilles  de  ce  monastère;  et  enfin  que,  par 
Oapoue,  je  me  rendrai  à  Naples. 

Vous  êtes  donc  invité  à  vous  trouver  à  San-Germano  le 
soir  du  23,  c'est-à-dire  mercredi,  si  vous  voulez  avoir 
l'honneur  de  baiser  la  pourpre  sacrée  du  respectable 
porporalo,  et  en  même  tem])s  le  plaisir  de  présenter  vos 
hommages  au  chanoine  auditeur  Pillei.  A'ous  y  retrouverez 
un  ami  de  famille,  don  Philippe  Salina,  qui  est  compris 
dans  la  suite  du  cardinal,  et  vous  pourrez  enfin  m'embrasser 
une  fois  de  plus.  Si  vous  n'êtes  pas  trop  pressé  de  rentrer 
ensuite  à  Maenza,  vous  pourrez,  après  avoir  visité  Monteca- 
nino, me  faire  compagnie,  le  25,  jusqu'à  Capoue. 

Bénévent,  15  avril  1839. 

XXXVIU 

Au  frère  Charles,  à  Carpineto,  —  Après  avoir  accom- 
pagné jusqu'à  San-Germa|;io  l'Ém.  cardinal  Btissi,  arche- 
vêque de  Bénévent,  qui  se  rend  à  Bome  pour  la  canonisation 
prochaine,  j'ai,  le  jour  suivant,  admiré  le  fameux  monas- 
tère de  Montecanino,   la  surprenante    merveille  de  cette 


LA  DKLÉGAT10>  DE  HÉNÉVENT. 


%1 


contrée.  Et  enfin  je  suis  arrivé,  le  soir  du  25,  à  Naples  par 
la  direction  de  Capoue. 

Je  séjournerai  dans  cette  magnifique  et  enchanteresse 
cité,  une  bonne  partie  du  mois  de  mai.  Après  avoir  pré- 
senté mes  hommages  à  S.  M.  le  roi  Ferdinand  el  fait  mes 
devoirs  au  ministère  royal,  je  me  propose  d'admirer  en 
détail  toutes  les  beautés  que  la  nature  et  l'art  ont  répandu 
si  largement  dans  cette  métropole  et  dans  son  voisinage. 

Don  Philippe  Salina,  comme  vous  le  savez,  est  à  Bome* 
De  là  il  passera  à  Carpineto. 

Naples,  27  avril  1839. 

XXXiX 

Au  comte  Antoine  Pecci,  à  Rome.  —  Depuis  huit  jours, 
je  suis  à  iSaples  avec  un  temps  peu  favorable.  La  tempéra- 
ture y  est  variable  et  la 
pluie  fréquente.  Nonobs- 
tant, j'ai  déjà  admiré  quel- 
ques-unes des  merveilles 
de  celle  ville. 

Lundi  dernier,  j'ai  eu 
mon  audience  chez  le  roi. 
Je  lui  ai  été  présenté  par 
Mgr  Asquini,  ex-nonce  de 
Naples,  qui  devait  lui  apporter  en  même  temps  ses  lettres 
de  rappel.  L'entrevue  a  duré  un  quart  d'heure  environ.  Le 
roi  s'y  est  montré  plein  de  bonté;  il  m'a  demandé  depuis 
combien  de  temps  j'étais  à  Bénévent,  et  il  m'a  invité  à  voir 
toutes  les  raretés  de  sa  capitale. 

Le  soir,  en  compagnie  du  même  nonce,  je  suis  allé  en 
société  chez  le  prince   de  Cassero,   ministre  des  Affaires 


Sainle-Marie  du  Peuple,  à  Carpineto. 


•  -i 


f  ïKiaL'j.  »_ 


IjJ 


200 


\A    PIIKKATUIIK    hK    KKO^    MM. 


WXVll 

M(jr  Joarlilrn  Perri  nu  frhr  JraH-lhtptIstc,  à  Maenza.  — 
Les  nouvelles  (jue  vous  appoileia  celle  ciu(|uiènie  lellie  soiil 
toutes  pleines  d'allégiesse  et  de  paix.  Mlle  vous  dira  en 
sul)slanee  que  je  parlirai  de  liénéveiit  avec  S.  E.  le  cardinal- 
arclievèquc  lUissi,  leS'idu  mois  courant  ;  (jue,  le  2.1  au  s(dr, 
je  me  Irouveiai  avec  lui  à  San-(jermano  el  au  sommet  de 
Monlecanino;  (jue,  le  surlendemain,  tandis  que  le  caidinal 
poursuivra  son  chemin  juscju'à  Uonie,  je  resterai  encore  là 
à  admirer  les  merveilles  de  ce  monastère;  et  enfin  (jue,  pai* 
Otqioue,  je  me  rendiai  à  Xaples. 

Vous  êtes  donc  invité  à  vous  li'ouver  à  San-Germano  le» 
soir  du  t^ô,  c'est-à-dire  mercredi,  si  vous  voulez  avoir 
riionneur  de  baiser  la  pourpre  sacrée  du  respectalde 
porporalo,  et  en  même  temps  le  plaisir  de  présenter  vos 
liomma<i('s  au  chanoine  auditeur  Pillei.  Vous  v  retrouverez 
un  ami  de  l'ami  Ile,  don  IHii  lippe  Salina,  (jui  est  compris 
dans  la  suite  du  cardinal,  el  vous  pourrez  enlin  m'emhrasser 
une  fois  de  plus.  Si  vous  n'êtes  pas  trop  [uessé  de  rentnM' 
ensuite  à  Maenza,  vous  pourrez,  après  avoir  visité  Monleca- 
nino, me  l'aire  compagnie,  le  21),  jusqu'à  (lapoue. 

Bonéveiit,  lô  avril  ISjO. 

XWVllI 

Ai(  frère  Charlc^^  à  Carpinelo,  —  Après  avoir  accom- 
pagné jus(prà  San-Germano  TEm.  cardinal  Ihissi,  arche- 
vè([ue  de  Bénévenl,  cjui  se  rend  à  Rome  pour  la  canonisation 
prochaine,  j'ai,  le  jour  suivant,  admiré  le  fameux  monas- 
tère de  Monlecanino,    la   surprenante    merveille   de  celle 


LA    DKLKf.ATlON    IH!    r.l':.\  KVi:  NT. 


^r.t 


contiéi'.  Et  enlin  je  suis  airivé,  le  soir  du  25,  à  Saples  par 
la  direction  de  Ca[)oue. 

Je  séjournerai  dans  celte  magnifKpie  et  enchanteresse 
cité,  une  bonne  partie  du  mois  de  mai.  Après  avoir  pré- 
senté mes  hommages  à  S.  M.  le  roi  Eei'dinand  et  fait  mes 
devoiis  au  minislère  lojal,  je  me  propose  d'admirer  en 
détail  IcMites  les  beautés  (|ue  la  natuie  el  l'art  ont  ré[)andii 
si  largement  dans  celle  métropole  et  dans  son  voisinage. 

Don  i*hilippt»  Salina,  comme  vous  le  savez,  est  à  ]{ome. 
De  là  il  passera  à  Garpinelo. 

Naplcs,  27  avril  1S31>. 

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Au  comte  Antoine  Pecci,  à  Home.  —  Depuis  huit  jours, 
je  suis  à  >aples  avec  nn  tem|)S  peu  favorable.  La  tempéra- 
ture y  est  variable  et  la 
pluie  fréquente.  Nonobs- 
tant, j'ai  déjà  admiré  (juel- 
ques-unes  des  merveilles 
de  celle  ville. 

Lundi  dernier,  j'ai  eu 
mon  audience  chez  le  roi. 
Je  lui  ai  été  présenté  par 
Mgr  Asipiini,  ex-nonce  de 
Napics,  qui  devait  lui  apporter  en  même  temps  ses  lettres 
de  rappel.  L'entrevue  a  duré  un  quait  d'heure  environ.  Le 
roi  s'y  est  montré  plein  de  bonté;  il  m'a  demandé  depuis 
combien  de  temps  j'étais  à  Bénévenl,  et  il  m'a  invité  à  voir 
toutes  les  raretés  de  sa  capitale. 

Le  soir,  en  compagnie  du  même  mmce,  je  suis  allé  en 
société  chez  le  prince   de  Cassero,   ministre  des  Affaires 


Saiiilc-.Maru'  <lii  IV-upIt'.  à  Carpiiu'l(». 


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262 


LA   PRÉLATLUE   DE   LKO.N    XIII. 


Élrangères;  et  le  jour  suivant  j'ai  été  reçu  a  la  table  de 
rÉm.  Caraccioli,  eartlinal- archevêque  de  Naples,  à  qui 
j'avais  précédemment  fait  mes  devoirs.  Le  repas  y  était 
splendidc  et  somplueux;  huit  évéques  du  royaume  y  assis- 
taient. 

La  marquise  Muli  et  don  Salina  m'écrivent  que  le  bruit 
court  de  mon  changement  à  Rieli.  Je  ne  le  crois  nullemeni 
probable.  Si  ce  bruit  se  mainlicul,  il  est  pourtant  bon  que 
j'en  sois  informé  à  temps,  pour  commencer  les  démarches 
opportunes. 


Napics,  2  mai  185î>. 


XL 


A  don  Philippe  Salina,  à  Uome.  —  Non,  je  n'ai  pas 
mérité  d'être  réputé  indigne  d'avancement.  Vous  qui,  mieux 
que  personne,  connaissez  la  marche  des  choses  au  cours 
de  ma  gestion,  vous  rirez,  comme  je  ris  moi-même  de  bon 
cœur,  de  ces  aristarques  qui  prononcent  une  sentence,  sans 
connaître  la  cause,  sans  citer  des  faits,  sans  procéder  à  une 
accusation  régulière.  J'ai  beau  m'examiner,  je  ne  trouve 
rien  à  me  reprocher....  Je  ne  crois  pas  aller  bien  loin  de  la 
vérité,  en  croyant  qu'il  y  a  quelque  complot  visant  ma 
ruine.  Mais  rien  ne  peut  m'elfrayer,  tant  que  je  garderai 
la  conscience  du  devoir  accompli.... 

Bcnôvent,  le  2  mai  18Ô0. 


XM 

A  don  Philippe  Salina,  à  Uome.  —  J'ai  Uni  la  visite  des 
principales  beautés  et  raretés  de  Naples,  les  écoles,  le  refuge 
des  pauvres,   l'arsenal,    la    chapelle    de    Saint-Sévère,    la 


LA    DKLÉGATIO.N    I  ^    BÉ.NLVî:NT. 


2G3 


Mergellina,  le  Tausilippe,  la  grolle  de  Pozzuoli,  Pompei,  les 
délices  royales  de  Portici  et  de  Capodimonle,  etc.,  etc.  Je  ne 
suis  pas  du  tout  tranijuillisé  par  les  termes  dont  vous  vous 
servez  au  sujet  de  la  santé  du  cardinal  Sala,  quand  vous 
dites  ([il  il  y  a  plus  à  craindre  quà  espérer.  Ne  manquez 
pas  de  m'en  écrire  tous  les  jours  et  avec  tous  les  détails 
que  vous  pourrez  en  apprendre. 
Sans  date. 

XLll 

A  don  Philippe  Salina,  à  Uome,  —  Je  dois  d'abord  vous 
faire  savoir  que  je  suis  rentré  à  Hénévenl,  le  5  couiani, 
comme  je  l'ai  écrit  déjà  à 
Tonde  Antoine.  Après 
avoir  attendu  inutilement 
à  Naples  Mgr  Capaccini, 
j'ai,  durant  ce  long  séjour, 
pu  observer  toutes  les  mer- 
veilles de  cette  ville  et  pro- 
curer à  ma  santé  un  sen- 
sible progrès. 

Je  suis  heureux  de  vous 
apprendre  qu'aujourd'hui, 
9  courant,  aura  lieu  la  pose 
solennelle  de  la  première 
pierre  pour  la  nouvelle 
église  à  dédier  à  la  Vierge 
des  Grâces.  Dans  une  lettre 

prochaine,  je  vous  décrirai  cette  cérémonie.  Les  prépara- 
tifs en  sont  magnifiques,  et  tout  fait  croire  que  la  solen- 
nité aura  lieu  en  présence  de  Bénévent  presque  tout  entier 
et  d'une  grande  affluence  d'étrangers.  Le  Père  provincial 


Le  Père  Joseph  Pccei. 


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202 


LA    PIIKLATIIIK    HK    LKON    MM. 


Élran^èrt's;  cl  le  jour  suivant  j*ai  r\r  roru  à  la  table  tic 
l'Em.  (laraecii^li,  cardinal- ucheveciue  de  Naples,  à  ijui 
j'avais  précédemment  fait  mes  devoirs.  Le  repas  y  était 
splendide  et  somptueux;  huit  évéques  du  royaume  y  assis- 
taient. 

La  man|uise  Muti  et  don  Salina  nféci  ivent  (jue  le  hruit 
court  de  mon  changement  à  liieli.  .le  ne  le  crois  nullement 
probable.  Si  ce  bruit  se  maintient,  il  est  pourtant  bon  que 
j'en  sois  infoimé  à  tem|)s,  pour  commencer  les  démarches 
oppoitunes. 

.\:iplrs.  2  mai    IS."1>. 


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.1  ilon  l^hillppc  Sulina,  à  llainr.  —  Non,  je  n'ai  pas 
mérité  d'être  réputé  indigne  d'avancr'Uient.  Vous  (jui,  mieux 
«jue  personne,  connaissez  la  marche  des  chostîs  au  ccuirs 
de  ma  gestion,  vous  rirez,  comm(^  je  ris  moi-même  de  bon 
cœur,  de  ces  aristaïques  (|ui  prononcent  une  sentence,  sans 
connaître  la  cause,  sans  cilei"  des  faits,  sans  procéder  à  une 
accusation  régulière.  J'ai    beau    m'examinei',  je  ne  trouve» 

rien  à  me  re|)rocher le  ne  crois  [)as  allei'  bien  loin  de  la 

vérité,  en  crojant  (ju'il  y  a  (piehpu'  complot  visant  ma 
ruine.  Mais  rien  ne  |ieut  m'effrayer,  tant  que  je  garderai 
la  conscience  du  devoir  accompli  — 

Bôiiévoiit,  le  2  mai   IS.'U. 


A  don  PlnUifpr  Salliui,  à  Itome.  —  .l'ai  lini  la  visite  des 
piincipales  beautés  et  raretés  de  Naples,  les  écoles,  le  refuge 
des  pauvres,    l'arsenal,    la    chapelle    de    Saint-Sévère,    la 


\A  \)KiVA\\'ï\i)S  \v.  iikn: :v::m". 


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Mergellina,  le  Pausilippe,  la  gro»!e  de  iVrzzuoli,  P-ompei,  les 
délices  royales  de  Portici  et  de  (lapculimonte,  etc.,  etc.  .le  ne 
suis  pas  du  tout  tiaujpiillisé  par  les  termes  dont  vous  vous 
servez  au  sujet  de  la  santé  du  cardinal  Sala,  cpiand  vous 
dites  i[uil  ij  a  plus  à  craindre  (juà  espérer.  Ne  manquez 
pas  de  m'en  écrire  tous  les  jours  et  avec*  tous  les  détails 
que  vous  pourrez  en  apprendre. 
Sans  date. 

XLIl 

.1  don  Philippe  Salina,  à  Home.  —  .le  dois  d'abord  vous 
faii'e  savoir  que  je  suis  rentré  à  liénévenl,  le  5  couiani, 
comme  je  l'ai  écrit  déjà  à 
l'oncle  Antoine.  Ai)rès 
avoir  attendu  inutilement 
à  Na[)les  Mgr  Capaccini, 
j'ai,  durant  ce  long  séjour, 
pu  observer  toutes  les  mer- 
veilles de  cette  ville  et  pro- 
curei'  à  ma  santé  un  sen- 
sible pi'ogivs. 

,1e  suis  heureux  de  vous 
apprendre  ([u'aujourd'hui, 
1)  courant,  aura  lieu  la  pose 
solennelle  de  la  première 
pierre  pour  la  jiouvelle 
église  à  dédier  à  la  Vierge 
des  Grâces.  Dans  une  lettre 

prochaine,  je  vous  décrirai  cette  cérémonie.  Les  prépara- 
tifs en  sont  magnihiiues,  et  tout  fait  croire  que  la  solen- 
nité aura  lieu  en  présence  de  l^énévent  i)res(iue  tout  entier 
et  d'une  grande  affluence  d'étrangers.  Le  Père  provincial 


Le  IV'ic  J(»S('|ili  iVcci. 


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264 


LA    PRÉLATLRE    DE    LEON    Xllf. 


des  M.  M.  0.  0.  est  venu  exprès  de  Naples*  Toutes  les 
autorités  publiques  comparaîtront  en  corps,  et  j'accomplirai 
les  fonctions  sacrées  comme  représentant  de  Son  Ém.  Tar- 
chevêque,  avec  Tassistance  du  chapitre  de  la  métropole. 
Le  Père  Betti  prêchera.  M.  le  vicaire  général  a  publié  un 
avis  par  lequel  il  invite  les  fidèles  à  prendre  part  à  la  céré- 
monie et  à  contribuer  à  l'œuvre  par  une  aumône.  Aujour- 
d'hui, pendant  l'office,  la  quête  sera  confiée  à  MM.  le  vicaire 
général  lui-même,  don  Paul  Pacca,  le  comte  Fabius  Capasso 
et  le  chanoine  son  frère,  deux  Jésuites,  deux  Augustiniens, 
Liberatore  Collenea,  etc. 

Donnez  toutes  ces  nouvelles  à  Son  Éminence,  dans  l'es- 
poir qu'elles  lui  seront  agréables;  et  ajoutez  que  je  ne 
tarderai  pas  à  lui  en  adresser  le  texte  officiel,  comme  c'est 
mon  devoir.  Tout  à  fentour,  les  fondations  sont  creusées 
en  grande  partie;  et,  par  fortune,  à  trente  ou  quarante 
pieds  de  profondeur,  on  a  trouvé  un  gisement  de  brèches 
anciennes  sur  lesquelles,  de  l'avis  des  architectes,  on  peut 
asseoir  les  bases  en  toute  assurance. 

Béncvcnl,  0  juin  1850. 


XLIII 

Au  comte  Antoine  Pecci,  à  Carpineto,  —  J'ai  appris  par 
l'excellent  don  Philippe  votre  heureux  retour  au  pays  et  le 
bon  état  de  votre  santé,  malgré  l'été  qui  nous  accable  ici 
d'une  chaleur  suffocante,  à  rendre  fou.  Mais  à  Carpineto  elle 
se  fera  moins  sentir,  ou  du  moins  elle  ne  sera  fatigante 
que  quelques  heures  de  la  journée. 

Depuis  la  mort  du  cardinal  Sala,  dont  j'ai  été  très  doulou- 
reusement frappé,  ma  santé  s'est  beaucoup  altérée.  Je  ne 


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LA    priKLATTRE    DK    LEON    MU. 


des  M.  JF.  0.  0.  est  venu  exprès  de  Naples,  Toutes  les 
aulorilés  publiques  comparaî'roiit  en  corps,  et  j'accomplirai 
les  fonctions  sacrées  comme  représentant  de  Son  Em.  Tar- 
chevêque,  avec  Tassistance  du  chapitie  de  la  métropole. 
Le  Père  Helli  prêchera.  M.  le  vicaire  général  a  publié  un 
avis  par  lequel  il  invite  les  lidèles  à  prendre  part  à  la  céré- 
monie et  à  contribuer  à  l'œuvre  par  une  aumône.  Aujour- 
d*bui,  pendant  rollice,  la  (juète  sera  conliée  à  MM.  le  vicaire 
général  lui-même,  don  Paul  Pacca,  le  comte  Fabius Capasso 
et  le  chanoine  S(mi  livre,  deux  Jésuiles,  deux  Au«^usliniens, 
Libéra  tore  Collenea,  etc. 

Donnez  toutes  ces  nouvelles  à  Son  Eminence,  dans  l'es- 
poii'  qu'elles  lui  seront  a<^réables;  et  ajoutez  (jue  je  ne 
tarderai  pas  à  lui  en  adresser  le  texte  olTiciel,  comme  c'est 
mon  devoir.  Tout  à  Tentour,  les  fondations  sont  creusées 
en  grande  partie;  et,  par  fortune,  à  trente  ou  (|uarante 
pieds  de  [)rofondeur,  on  a  trouvé  un  gisement  de  brèches 
anciennes  sur  lesquelles,  de  l'avis  des  architectes,  on  peut 
asseoir  les  bases  en  toute  assurance. 

liénévenl.  0  juin  1850. 


XLIII 

Ati  comte  Antoine  Pecci,  à  Carpitteto.  —  J'ai  appris  par 
l'excellent  don  Philippe  voire  henreux  retour  au  pays  et  le 
bon  état  de  votre  santé,  malgré  l'été  (|ui  nous  accable  ici 
d'une  chaleur  sulfocante,  à  rendre  fou.  Mais  à  Carpineto  elle 
se  feia  moins  sentir,  ou  du  moins  elle  ne  sera  fatigante 
que  quelques  heures  de  la  journée. 

Depuis  la  mort  du  cardinal  Sala,  dont  j'ai  été  très  doulou- 
reusement frappé,  ma  santé  s'est  beaucoup  altérée.  Je  ne 


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LA  DÉLÉGATION  DK  BÉNÊVENT.  265 

peux  dire  encore  que  je  suis  complètement  rétabli.  J'espère 
me  remettre  bientôt,  de  façon  à  ne  pas  redouter  d'autres 
conséquences. 

Béncvcnt,  13  juillet  1839. 

XLIV 

  don  Philippe  Salina.  —  Les  officiers  de  la  province 
marchent  régulièrement,  à  ce  quil  me  paraît.  Au  capi- 


Environs  du  Vésuve. 

taine  P...  a  succédé,  comme  vous  le  savez,  le  capitaine  D... 
qui  me  donne  toute  sécurité,  quant  à  Tordre  public  de  la 
province.  Il  est  de  beaucoup  supérieur  à  P....  que  j'estimais 
grandement,  du  reste,  pour  son  activité,  sa  capacité  et,  ajou- 
terai-je,  sa  religion.  Grâce  à  ses  soins,  les  troupes  de  la 
garnison  ont  déjà  subi,  pour  les  mœurs  et  la  discipline, 
une  réforme  salutaire. 

Bcnévent,  le  7  juillet  1839. 


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2G6 


KA    PRÉLATUItE    DE    LÉON    Xlfl. 


XLV 

Au  frère  Jean-Baplhte,  à  Maenza,  —  Je  peux  aujour- 
d'hui de  ma  propre  main  vous  donner  des  nouvelles  de 
ma  sanlé,  qui  s'est  améliorée  sensiblement.  Comme  en 
septembre  passé,  la  quinine  a  encore  triomphé  de  ma 
fièvre  périodique.  A  cette  heure,  je  ne  ressens  guère  autre 
chose  qu'une  extrême  faiblesse. 

J'attends  en  septembre  l'intendant  d'Avellino,  pour  opérer 
le  tracé  de  nouvelles  roules  dans  le  duché.  D'autres 
messieurs  de  Naples  viendront  aussi,  parmi  lesquels  le 
prince  Ruffo  et  l'auditeur  de  la  nonciature,  mon  ami. 
Probablement  aussi  viendra  le  cardinal  Pacca,  selon  la 
promesse  qu'il  a  faite  aux  siens,  pour  les  noces  de  sa 
pelite-nièce  avec  le  jeune  marquis  Mosti. 
Etc.... 

Béiiéveiil,  20  juillet  IS.IO. 


XLYI 

Au  frère  Charles,  à  Carpineto,  —  Depuis  longtemps  je 
désirais  vous  écrire,  et  je  vous  assure  que  j'en  ai  eu  l'inten- 
tion pendant  que  je  séjournais  à  Naples,  et  ensuite  dès  mon 
retour  à  Bénévent.  Mais  les  délices  enchanteresses  qu'on  ne 
se  lasse  pas  assez  de  goûler,  et  les  distractions  qui  assaillent 
(luicon([ue  pose  pour  la  première  fois  le  pied  dans  cette 
brillante  capitale,  m'ont  empêché  de  mettre  là-bas  mon 
projet  en  exécution.  Et,  dès  que  je  fus  rentré  à  Bénévent,  je 
ne  le  pus  encore,  tant  étaient  nombreuses  les  affaires  dont 
j'eus  à  m'occuper  après  une  absence  de  plus  de  quarante 


:^ 


. 


LA  DÉLÉGATION  DE  BÉNÉVENT. 


267 


jours.  Je  souhaite  que  cette  lettre  supplée  au  manque  des 
autres  que  je  vous  devais. 

Je  commence   par   vous   donner  des  nouvelles   de   ma 
santé  qui,  à  iNaples,  fut  excellente  et  se  maintint  bonne 
jusqu'au  commencement  de  juillet  courant;  mais,  vers  la 
moitié  de  ce  mois,  j'ai  été  atteint  par  une  fièvre  intermittente 
qui  m'a  cueilli  à  l'improviste.  Les  deux  premiers  médecins 
de  Bénévent  m'ont  ordonné  la  quinine,  dont  on  use  beau- 
coup dans  ce  pays;  c'est  un  remède  qui  semble  tout  indiqué 
dans  cette  atmosphère,  pour  les  fièvres  de  ce  genre.  Et,  de 
fait,  comme  je  l'ai  éprouvé  en  septembre  de  l'année  dernière 
au  deuxième  accès  de  cette  fièvre,  j'ai  employé  ce  remède 
qui  a  arrêté  net  le  mal,  et  je  n'ai  plus  rien  ressenti.  J'avais 
l'intention    de    changer   d'air    aussitôt   et    d'aller    passer 
quatre  jours  à  San-Lencio,  pays  de  celte  délégation  situé  à 
<|uatre  petits  milles  de  Bénévent,  d'où  j'aurais  pu  vaquer 
sans  difficulté  aux  occupations  et  au   débrouillement  des 
affaires  publiques.  Mais,  jusqu'à  présent,  des  circonstances 
imprévues  ne  me  l'ont  pas  permis.  Pour  l'instant  je  crois 
me  bien  porter,  autant  que  peut  le  permettre  la  fatigue  que 
nous  fait  éprouver  ici  la  chaleur  véritablement  suffocante. 
En  septembre  viendra  à  Bénévent  le  chevalier  Patroni, 
intendant   de    la    province  de  Principauté  ultérieure.   De 
Naples,  viendront  aussi  d'autres  messieurs  avec  lesquels  j'ai 
lié  récemment  d'utiles    relations.  On   attend  également  le 
cardinal  Pacca,   selon  la  promesse  qu'il  en  a  faite  à   sa 
famille. 

Bénévent,  27  juillet  1859. 


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268  LA    PUI.LATIIU:    DK    I.KON    Mil. 

XLVII 

A  Mgr  de  Prospéra  Caterini,  secrétaire  de  la  S.  Congré- 
gation des  Études,  à  Borne.  —  Liiiuli  dernier,  j'ai  eneore  été 
pris  de  fièvres  intermillenles,  qui  sont  revenues  me  faire 
visite  le  mercredi  suivant.  Ces  récidives  ne  laissent  pas  de 
me  donner  quelque  appréhension,  et  je  vous  avoue  qu'en 
voyant  s'approcher  Tautonme,  je  sens  croître  mes  craintes. 
Un  an  et  demi  de  séjour  à  Rénévent,  et  déjà  trois  maladies, 
dont  une  qui  fut  mortelle  !  Aujourd'hui,  je  suis  bien  forcé 
d'avouer  que  l'air  de  ce  pays  m'est  tout  à  fiiil  contraire.  En 
laissant  de  côté  toute  autre  considération,  sur  le  conseil 
même  des  médecins,  je  serai  forcé  de  changer  d'air,  s'il  est 
vrai  que  la  sanlé  soit  parmi  les  choses  de  ce  monde  le 
premier  des  trésors.  Provisoirement,  je  me  contenterai  de 
chercher  dans  le  voisinage  un  air  plus  favorable;  mais 
j'aurais  besoin  de  passer  à  Naples,  pour  me  rétablir  tout  a 
fait.  Que  s'il  ne  plaisait  |)as  au  Governo  d'aviser  autrement, 
ou  de  s'inquiéter  autrement  de  ma  personne,  etc — 

XlVIil 

Au  frère  Charles,  àCarpineto.  —  ...  Ce  n'est,  ni  pour  la 
fumée  des  honneurs,  ni  pour  l'ambition  de  commander,  et 
pas  davantage  afin  d'aggraver  les  charges  de  la  famille,  que 
je  suis  entré  dans  la  carrière  prélatrice;  mais  seulement 
pour  servir  Dieu  et  l'Eglise,  et  pour  apporter  quelque  lustre 
à  notre  famille  dans  un  chemin  noblement  suivi  par  nos 
ancêtres,  et  pour  réporulre  aux  intentions  de  notre  excellent 
père.  Je  ne  suis  pas  un  dissipateur,  je  ne  me  traite  pas  avec 


LA    DÉLÉGATION    llK    liÉNÉVENT. 


^209 


une  magnificence  de  prince;  je  me  tiens,  au  contraire,  dans 
la  condition  modeste  qui  convient  à  une  famille  aisée  de 
la  légation  de  Velletri,  —  et  j'en  connais  bien  d'autres*. 
C'est  ce  que  je  vous  prie  de  demander,  si  le  témoignage  de 
Salina  ne  vous  suffit  pas,  aux    18  000  Ames  de  Bénévent; 


Le  Pausili|»p»',  près  do  Naplcs. 

et  vous  entendrez  ce  qu'elles  répondront,  d'une  voix  una- 
nime. 

Bénôvcnt,  50  novembre  1839. 


XLIX 

Au  frère  Charles,  à  Carpineto.  —  Je  vous  remercie 
de  la  narration  que  vous  m'adressez  sur  les  fêtes  célébrées  à 
Carpineto,  en  l'honneur  de  saint  Uoch  et  de  saint  Sébastien. 

1 .  Il  s'agissait  d'obtenir  50  écus  pour  payer  la  dépense  des  rafraîcbissements 
offerts  k  la  réception  du  cardinal  Pacca  et  du  prince  Ruflb.  Est-ce  que 
Mgr  Medici,  pi'édécesseur  de  Mgr  LoUi  son  parent  à  la  vice-légation  de  Velletri, 
ne  mettait  pas  1000  écus  de  sa  poche  à  son  budget  de  représentation? 


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^ 


:^.u. 


270 


LA   PRKLATinE   DE    LÉO.N    Xllf. 


Vous  avez  suivi  rexemple  de  nos  bons  ancêtres,  et  cela  me 
plaît  beaucoup.  Puissent  ces  glorieux  protecteurs  continuer, 
à  Tavenir,  comme  ils  Tout  fait  visiblement  clans  le  passé,  à 
sauver  notre  Carpineto  clos  malheurs  et  des  disgrâces  cjui  le 
peuvent  menacer  ! 

BcnévenJ,  5  février  1840. 


Au  frère  Jean-Baptiste,  à  Maenza.  —  ...  Rien  de  nou- 
veau pour  rheure,  sur  mon  changement.  Pour  le  moment, 
on  ne  parle  d'aucune  promotion  nouvelle  ;  mais  je  compte 
sur  une  mutation  à  bref  délai.  Je  conviens  avec  vous  de 
Tavanlage  qu'il  y  aurait,  à  passer  dans  notre  province  natale 
ou  à  Rome.  Je  vous  embrasse  de  tout  mon  cœur,  et  je  me 
redis  vôtre  très  affectueusement,  etc.... 

Béiiévent,  I'2  IV'vrior  18  iO. 


LI 

Au  frère  Jean-Baptiste,  à  Maenza.  —  ...  J'attends  tou- 
jours avec  empressement  de  vos  lettres,  sur  nos  affaires  de 
famille.  Faites  en  sorte  que  votre  correspondance  ne  se 
ralentisse  pas  et  devienne  plus  active,  pour  que  nous  puis- 
sions faire  quelque  chose  à  votre  avantage.  Je  n*ai  pas 
encore  écrit  à  Charles  sur  nos  importantes  et  urgentes 
affaires  domestiques  ;  j'attends  d'abord  votre  réponse  à  une 
de  mes  dernières  lettres. 

Pour  l'instant,  on  ne  parle  d'aucun  avancement.  On  ne 
m'écrit,  non  plus,  rien  de  Rome  au  sujet  de  la  proposition 
faite  par  Mgr  Orlandini.  Ainsi,  il  faut  attendre.  Mon  désir 


LA  DÉLÉGATION   DE   BÉNÉVENT. 


271 


cependant  serait  d'obtenir  un  poste  a  Rome,  quel  qu'il  soit. 
Ma  santé  se  maintient  bonne,  malgré  les  froids  de  Sibérie 
que  nous  subissons  depuis  quelques  jours.  Nous  voilà,  de 
partout,  couverts  de  neige.  Je  vous  embrasse,  et  de  tout  mon 
cœur  je  me  dis  vôtre,  etc. 

licuévent,  26  février  1840. 

LU 

Au  comte  Antoine  Pecci,  à  Rome.  —  ...  A  Bénévent 
aussi,  nous  avons  eu  un  brillant  carnaval,  l/année  passée, 


Dans  les  moiilagiies  de  Carpineto. 

nous  avions  reçu  une  troupe  de  musiciens  ;  celte  année, 
c'est  une  troupe  dramatique  qui  a  figuré  sur  notre  théâtre. 
Elle  s'y  fait  honneur,  particulièrement  dans  la  Maschera 
Partlienopea,  autrement  dit  «  le  Polichinelle  »,  qui  a  eu 
lieu  le  jeudi  et  le  dimanche.  La  célèbre  improvisatrice  Rosa 


M'-Tij 


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•*.  ^-•«. 


270  LA    l'IlKLATI  Ki:    DK    LKO.N    \|||. 

Vous  avez  suivi  rexoniple  de  nos  hous  ancêtres,  e(  cela  nie 
l)lait  beaneoup.  Puissenlces  ««lorieux  pi'olecleiii'sconlinnei*, 
à  Tavenir,  comme  ils  Tonl  fait  visiblement  dans  le  passé,  à 
sauver  noire  Caijiinelo  des  malheuis  et  des  disgrâces  nui  le 
peuvent  menacer  ! 

néiiéven».  5  février  1840. 


Aif  frirr  .Jpaii-Uapîisle,  à  Maenza.  —  ...  Ilicn  de  nou- 
veau [)our  riieure,  sur  mon  chan<^enienl.  Pour  le  momenl, 
on  ne  parle  d'aucune  piomolion  nouvidle  ;  mais  je  comple 
sur  un(»  mufalion  à  hrel*  délai.  Je  conviens  avec  vous  de 
l'avanlaije  (pfil  y  aurai!,  à  passer  dans  noire  province  nalale 
ou  à  liome.  Je  vous  embrasse  de  tout  mon  cœur,  et  je  me 
ivdis  votre  1res  alTeclueusemenl,  etc.... 

BcMicveiil.  I'2  r.'vricr  18  K). 


u 

Ak  frèrr  .Ican-lhjnhtc,  à  Macnzd.  —  ...  J'atlends  tou- 
jours avec  em|)ressement  de  vos  lettres,  sur  nos  affaires  dcî 
Tamille.  Faites  en  sorte  (pie  votre  correspondance  ne  se 
ralentisse  pas  et  devienne  plus  active,  pour  (|ue  nous  puis- 
sions faire  quebiue  cliose  à  votre  avantage.  Je  ifai  pas 
encore  écrit  à  Cliarles  sur  nos  impoi'tantes  et  urgentes 
affaires  domestiques;  j'attends  d'abord  votre  réponse  à  une 
de  mes  dernières  lettres. 

Pour  rinstant,  on  ne  parle  d'aucun  avancement.  On  ne 
m'écrit,  non  plus,  rien  de  Piome  au  sujet  de  la  proposition 
faite  par  Mgr  Orlamlini.  Ainsi,  il  faut  attendre.  Mon  désir 


LA    liKLI-r.ATION    DK    Bi^M^iVENT. 


ri\ 


cependant  serait  d'obtenir  un  poste  à  Uonie,  quel  (ju'il  soit. 
Ma  santé  se  maintierit  bonne,  malgré  les  froids  de  Sibérie 
que  nous  subissons  depuis  quebjues  jours.  Nous  voilà,  de 
partout,  couverts  de  neige.  Je  vous  embrasse,  et  de  tout  mon 
cœur  je  me  dis  votre,  etc. 

lit'iiévcnl,  i>G  rôvriei-  18  iO. 

MI 

Au  œnUc  Antoine   Pccci,  à  liomr.  —  ...  A  BénévenI 
aussi,  nous  avons  eu  un  brillant  carnaval.  L'année  passée, 


D;iM>  les  iTi(nit;igii('s  de  ("arpiiich». 

nous  avicuis  reçu  une  troupe  de  musiciens;  cette  année, 
c*est  une  troupe  dramaticpie  qui  a  (îguré  sur  notre  lliéàtre. 
Elle  s'y  lait  bmmeur,  parliculii'iement  dans  la  Masrltrni 
Parlhcuopon ,  autrement  dit  «  le  Policbinelle  »,  qui  a  eu 
lieu  le  jeudi  et  le  dimancbe.  La  célèbre  impi'ovisatrice  Ilosa 


f\ 


272 


LA   PRÉLATURE   DE    LÉON   XIH. 


Taddei  a  donné  trois  séances  d'extra,  également  au  théâtre. 
Il  y  a  eu  mascarades  et  banquets.  Ces  messieurs  ont,  de  plus, 
ouvert  une  souscription  qui  a  produit  qualre  cents  écus. 
Avec  cette  somme,  ils  ont  donné  trois  bals  magnifiques  au 
palais  du  marquis  Terragnoli,  avec  rafraîchissements  somp- 
tueux et  danses  prolongées  jusqu'au  jour.  Pour  ces  ban- 
quets, on  a  fait  venir  exprès  de  Naples  une  société  musicale 
qui  a  coûté  environ  cent  cinquante  écus.  Ainsi  vous  voyez 
que,  même  dans  notre  ville,  les  divertissements  n'ont  pas 
manqué. 

Ce  même  prince  Léopold,  comte  de  Syracuse  et  frère  du 
roi  de  Naples,  qui  s'est  amusé  à  Rome  à  jeter  des  confetti, 
vint  à  Bénévent  au  mois  de  décembre  de  Tannée  dernière, 
et  je  l'accompagnai  pour  lui  faire  admirer  les  principales 
curiosités  de  notre  ville.  Il  reçut  l'hospitalité  dans  la  maison 
Pacca. 

Ma  santé  s'est  trouvée  quelque  peu  endommagée,  ces 
jours  derniers,  par  les  froids  excessifs  dont  nous  avons 
souffert. 

Bénévent,  4  mars  1840j 


LUI 

Au  frère  Jean-Baptiste,  à  Maenza.  —  ...  Ma  santé  se 
maintient  bonne.  J'ai  fait  dernièrement  un  petit  voya^^e  à 
Salerne,  et  j'ai  vu  le  délicieux  littoral  d'Amalfi  et  le  fameux 
monastère  de  la  Cava. 

Si  cette  année  on  fait  des  promotions,  j'ai  quelque 
espoir  d'avancement  ;  mais  il  n'y  a,  quant  à  présent,  rien 
de  positif. 

Bénévent,  29  mai  18  iO. 


LA    DÉLÉGATION   DE   BÉNÉVENT.  '       273 

LIV 

Au  frère  Charles,  à  Carpineto,  —  Je  vous  remercie  de 
l'empressement  que  vous  m'exprimez  dans  votre  dernière 
lettre  pour  que  je  cherche,  par  tous  les  moyens,  à  échapper 
à  ce  climat  défavorable  au  bon  état  de  ma  santé.  Pour  tant 
que  cela  a  pu  dépendre  de  moi,  j'ai  fait  toutes  les  démar- 
ches possibles  ;  mais  il  faut  attendre  qu'une  circonstance 
propice  se  présente  et  que  des  ouvertures  convenables  me 
soient  faites.  Les  promotions,  qui  deviennent  rares  aujour- 
d'hui, constituent  un  obstacle  de  plus  à  une  permutation  et 
à  un  arrangement.  Le  poste  qu'on  pouvait  espérer  pour 
la  Saint-Pierre  ne  sera,  dit-on,  occupé  qu'en  septembre. 

En  attendant,  pour  ce  qui  concerne  ma  santé,  j'use  de 
toutes  les  attentions  et  de  toutes  les  précautions  possibles. 
Je  vous  remercie  enfin  de  la  proposition  que  vous  me 
faites  de  participer  aux  dépenses  qu'au  moment  de  quitter 
ce  poste  nécessitera  le  long  voyage  du  retour. 

Béncvcnl,  22juin  iSiO. 

LV 

Au  comte  Antoine  Pecci,  à  Carpineto.  —  Je  suppose 
que  vous  vous  trouvez  déjà  dans  Carpineto,  et  que  vous 
avez  quitté  Rome  en  cette  saison  d'été.  J'adresse  donc  là 
cette  lettre,  en  pensant  bien  qu'elle  vous  y  rejoindra  en  toute 
sûreté. 

N'ayant  plus  pour  l'instant  aucun  espoir  de  promotion, 
j'aurais  idée  de  demander  un  congé  de  quelques  mois  pour 
raison  de  santé,  et  il  ne  me  serait  pas  difficile  de  l'obtenir. 
Au   lieu   d'aller  passer  ce  temps  à  Naples,  je  pourrais 

18 


'.«I 


274 


LA   PRKLATUHE    DE    LÉON    MIL 


retourner  à  Rome,  ce  qui  profilerait  à  toute  bonne  conclu- 
sion que  j'espère.  En  ce  cas,  les  choses  pourraient  se  com- 
biner (le  telle  sorte  que  je  vienne  aussi  a  Carpineto  pour  un 
peu  de  temps.  Je  le  désirerais,  pour  revoir  tout  le  monde, 
pour  favoriser  ma  santé  et  pour  régler  nos  affaires  de  famille. 

Bénévont,  19  juillet  1840. 


LVI 

Au  comte  Antoine  Pecci,  à  Carpineto,  —  Je  ne  peux  pas 
vous  dire  encore  quand  je  pourrai  m'éloigner  de  ma  rési- 
dence.  I/Km.  cardinal  Lamhruschini  m'a  accordé  mon 
congé,  depuisdix  jours  déjà;  mais  je  n'ai  pas  encore  ret^'udu 
cardinal  Gamberini  la  même  permission,  qui  m'est  aussi 
nécessaire.  Dés  qu'elle  me  sera  parvenue,  je  vous  en  don- 
nerai communicalion  pour  que  vous  fassiez  en  sorte  que  je 
trouve,  à  Rome,  quelques  personnes  de  la  maison. 

Etc..  . 

Bônévcnt,  9  août  I8i0. 


LVll 

Aîi  comte  Antoine  Pecci,  à  Carpineto.  —  J'ai  obtenu  le 
congé.  Comme  je  vous  en  ai  écrit,  je  l'avais  aussi  demandé 
à  la  Secrétaireriedes  Affaires  Étrangères.  Je  me  luUe  de  vous 
en  aviser,  pour  que  vous  donniez  à  Rome  vos  ordres,  en  vue 
de  mon  arrivée.  Je  n'ai  pas  encore  fixé  le  jour  de  mon 
départ,  ni  si  je  séjournerai  d'abord  quelque  temps  à  Naples, 
ou  si  je  me  rendrai  directement  à  Rome.  Mais  il  n'en  sera 
pas  moins  expédient  que,  après  la  date  du  25  courant,  quel- 
qu'un des  nôtres  soit  à  Rome  pour  me  recevoir.  Si  Charles 


LA  DÉLÉGATION  DE  DÉNÉVENT. 


275 


y  vient  après  les  fêtes  de  la  Saint-Augustin,  il  m'y  trouvera 
sûrement. 


Bénévenl,  10  août  1840. 


LVIII 

Au  comte  Antoine  Pecci,  à  Carpineto,  —  J'attends  en 
toute  hâte  les  clefs  de  l'appartement,  car  me  voilà  à  Rome 


De  Rome  à  Carpineto. 

depuis  trois  jours.  J'y  suis  heureusement  arrivé  en  compa- 
gnie du  marquis  de  Simone.  Une  occasion  s'étant  pré- 
sentée à  l'improviste,  je  n'ai  pu  vous  notifier  plus  tôt  le  jour 
de  mon  départ.  Mais  arrivé  a  Villetri,  je  priai  Mgr  Lolli  de 
dépêcher  à  Carpineto  un  messager  qui  avertirait Ja  famille 
de  ma  venue,  selon  ce  que  je  vous  avais  précédemment 
écrit.  J'espérais  recevoir  ces  jours  derniers  les  clefs,  par 
l'intermédiaire  d'une  personne  envoyée  exprès;  mais,  ne 


s^t;. 


ytpT^'- 


27C  LA   PRÉL-VTURE    DE   LÉON    XMI. 

voyant  rien  arriver  encore,  je  vous  renouvelle  avec  ces 
lignes  mes  instances,  afin  que  je  ne  continue  pas  à  donner 
à  des  étrangers  Tennui  de  m^héberger. 

J'espère  être  à  Carpineto  après  les  fêtes  de  la  Madone  de 
Septembre,  et  avoir  alors  profitablement  dépêché  cer- 
taines affaires  concernant  la  province  de  Bcnévenl. 


Rome,  26  août  1840. 


LIX 


Au  comte  Antoine  Pecci,  à  Carpineto.  —  Hier  soir, 
Charles  est  arrivé  ici.  Il  a  fait  bon  voyage  et  se  porte  bien. 

Demain  j'irai  à  Castel-Gandolfo  pour  le  baisemcnt  de 
pied  du  Saint-Père.  Pour  Pinstant,  je  ne  puis  vous  faire 
savoir  le  jour  où  je  viendrai  à  Carpineto  ;  mais  je  m'en 
rapporte  à  ce  que  je  vous  ai  écrit  dans  ma  dernière  lettre. 

...  Je  désirerais  savoir  où  sont  les  billets  originaux  de  la 
Secrétairerie  d'État  portant  mes  nominations  à  la  mantel- 
letta,  au  Buon  Governo  et  à  la  Délégation  de  Bénévent.  Il 
faut  que  je  les  présente.  Je  vous  prie  donc  de  m'écrire  où 
je  peux  les  retrouver,  car  je  les  laissai  à  la  maison  quand 
je  partis  pour  Bénévent.  Etc....* 

Rome,  1"  septembre  1840. 


LX 

Au  frère  Charles,  à  Carpineto.  —  Je  suis  heureusement 
arrivé  à  Ferentino,  après  la  vingt-deuxième  heure*.  Dans  la 

1.  Après  avoir  séjourné  plus  d'un  mois  à  Carpineto,  du  15  sopleinbrc  au 
24  octobre  1840,  Mgr  Joachim  Pecci  partit  pour  Ferentino,  où  il  revit  sa  sœur 
Catherine,  mariée  avec  le  chevalier  Lolli.  De  là,  il  continua  son  chemin  par 
Ceprano  jusqu'à  Bénévent. 

2,  Deux  heures  avant  la  nuit. 


LA   DÉLÉGATION   DE   BÉiNÉVENT. 


277 


plaine  de  Yillamagna  j'ai  fait  halte,  près  d'une  heure,  pour 
goûter  et  me  reposer. 

Je  vous  renvoie  par  un  garçon  les  deux  bêtes  de  somme. 
Je  retiens  une  mule  et  le  garçon  Raymond,  pour  le  transport 
des  bagages  à  Ceprano,  lundi  prochain  ;  car  j'ai  résolu  de 
rester  à  Ferentino  toute  la  journée  de  demain. 

Ferentino,  24  octobre  1840. 


11} 

.  Le  comte  Stanislas  Sterbini  à  Mgr  Joachim  Pecci,  à 
Maples.  —  C'est  un  devoir  pour  moi  de  vous  adresser  cette 
lettre,  alin  de  vous  apprendre  que  mon  voyage  jusqu'à  Béné- 
vent a  été  très  bon  et  que,  par  un  effet  de  votre  bonté,  je  me 
trouve  on  ne  peut  mieux  installé  dans  votre  résidence  apos- 
tolique. Je  tiens  aussi  à  vous  renouveler  par  ces  présentes 
l'expression  de  ma  plus  entière  gratitude  pour  les  si  gra- 
cieuses et  si  nombreuses  attentions  dont  vous  vous  êtes  plu 
à  m'honorer. 

L'ennui,  que  m'avait  procuré Pabsence  de  ma  famille  et  le 
brusque  éloignement  de  mes  affaires,  a  pris  fin  avec  l'assu- 
rance de  votre  amitié  et  la  certitude  qui  m'est  faite  d'être 
désormais  en  rapport  avec  une  personne  recommandable  de 
tout  point.  Je  ferai,  croyez-le,  lous  mes  efforts  pour  con- 
server votre  amitié.  Soyez  assez  bienveillant  pour  conserver 
aussi  la  mienne.  Je  garderai  un  perpétuel  et  reconnaissant 
souvenir  de  vous,  heureux  si  j'ai  jamais  la  bonne  fortune 
de  vous  exprimer,  par  quelque  manière  que  ce  soit,  ma 
gratitude. 

A  peine  arrivé  dans  Bénévent,  j'ai  pris  connaissance  des 
affaires.  Ma  principale  occupation  a  été  de  relever  aussitôt 
les  comptes  de  la  Principauté,  avec  le  marquis  Mossi  que  j'ai 


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LA   PRÉLATURE   DE   LÉON   XIII. 


trouvé  très  affairé  pour  le  mariage  d'une  de  ses  filles, 
célébré  hier.  A  première  vue,  les  affaires  de  la  délégation 
me  semblent  aller  vraiment  très  mal.  Quand  vous  serez  de 
retour,  nous  pourrons  commencer  à  nous  occuper  de  ce  qui 
fait  l'objet  des  préoccupations  du  Gouvernement.  Veuillez 
agréer,  je  vous  prie,  avec  mes  plus  distingués  hommages 
ceux  de  M.  Fora,  etc.... 

Bénévcnt,  5  novembre  1840. 


LXII 

J/f/r  Joachim  Pecci  au  frère  Jean-Baptisle,  à  Maenza.  — 
Je  nx'empresse  à  vous  donner  des  nouvelles  de  mon  heu- 
reux retour  dans  Bénévent,  jeudi  dernier,  en  bon  état  de 
santé.  Après  un  séjour  de  quatre  pleines  journées  dans 
Ceprano,  où  la  courtoisie  parfaite  du  marquis  Ferrari 
m'obligea  à  m'arrêter,  je  me  suis  rendu  à  Naples  avec  la 
diligence.  Là,  je  passai  dix  jours  a  jouir,  pour  la  seconde 
fois,  des  beautés  de  ce  délicieux  pays.  Etc 

Bénévent,  14  novembre  18 iO. 


LXIII 

Au  frère  Charles,  à  Carpineto.  —  A  la  hâte,  je  vous 
envoie  des  nouvelles  de  mon  heureuse  arrivée  dans  Bénévent 
le  12  courant.  Ma  santé  est  bonne.  Après  avoir  passé  deux 
jours  à  Ferentino  et  avoir  dîné  le  lendemain  chez  Mgr  le 
délégat  de  Frosinone,  je  me  suis  arrêté  quatre  jours  à 
Ceprano,  où  j'ai  été  comblé  d'égards  par  le  marquis  Fer- 
rari. Là,  j'ai  pris  la  diligence  de  Naples.  Je  suis  arrivé 
-lans  cette  ville  vers  les  premiers  jours  de  ce  mois,  et  j'en 


LA  DÉLÉGATION  DE  BÉNÉVENT. 


279 


ai  passé  dix  à  y  terminer  heureusement  ma  longue  villé- 


giature. 


Ces  messieurs  de  Bénévent  se  sont  plu  à  me  faire  une 
entrée  d'honneur.  Ils  ont  envoyé  à  mon  devant,  sur  la  route 
qui  mène  à  Montesarchio,  à  neuf  milles  de  ma  résidence, 


Le  jubé  do  la  cathédrale,  à  Bénévent. 

douze  voitures  à  la  suite  desquelles,  au  jour  indiqué  plus 
haut,  je  suis  rentré  dans  ma  Délégation. 

Saluez  de  ma  part  don  Philippe  et  tous  nos  bons  paysans. 
Et  avec  une  fraternelle  affection,  croyez-moi  votre,  etc. 

Bénévent,  14  novembre  1840. 


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1 1 


i>78 


LA    l'UKLAÏLKE   DK   LÉON    \III. 


trouvé  très  alTairé  |)our  le  maiiage  (ruiie  de  ses  filles, 
céléhré  hier.  A  première  vue,  les  affaiies  de  la  délé^aliou 
me  semblent  aller  vraimeul  très  mal.  Ouand  vous  serez  de 
retour,  nous  pourrons  eommencer  à  nons  oecuper  de  ce  qui 
fait  l'objet  des  préoccupations  du  (jouvernement.  Veuillez 
agréer,  je  vous  prie,  avec  mes  plus  distingués  hommages 
ceux  de  M.  Fora,  etc.... 

Jjéncvcnl,  5  novembre  iSiO. 


LXII 

M(ir  Joachim  Pcici  an  frère  .kan-lUijdhle,  à  Maenza, — 
Je  nrem|)resse  à  vous  donner  d(*s  nouvelles  de  mou  heu- 
i'eux  retour  dans  J]énévent,  jeudi  dei'uier,  en  hou  état  de 
sanlé.  Api'ès  un  séjour  de  (juatre  pleines  journées  dans 
Ceprano,  où  la  courtoisie  pailaite  du  maripiis  Feri'ari 
m'(d)ligea  à  m'airéler,  je  me  suis  rendu  à  Naples  avec  la 
diligence.  Là,  je  passai  dix  jours  à  jouir,  pour  la  seconde 
lois,  des  heaulés  de  ce  délicieux  pays.  Elc 

lîéiH'vcnJ,   ii  novembre  ISIO. 


LXIII 

Au  frère  Charles,  à  Carpinelo.  —  A  la  hâte,  je  vous 
envoie  des  nouvelles  de  mon  heureuse  arrivée  dans  Rénévenl 
le  12  courant.  Ma  sanlé  est  bonne.  Après  avoir  passé  deux 
jours  à  Ferentino  et  avoir  dîné  le  lendemain  chez  î[gr  le 
délégat  de  Frosinone,  je  me  suis  arrêté  quatre  jours  à 
Cepi'ano,  où  j'ai  été  cond>lé  d'égards  par  le  marcpiis  Fer- 
rari. Là,  j'ai  pris  la  diligence  de  Naples.  Je  suis  arrivé 
dans  celte  ville  vers  les  premiers  jours  de  ce  mois,  et  j'en 


LA    I»KLK(;AT10N    1)K    liKNKVKMT. 


2711 


ai  passé  dix  à  y  terminer  heureusement  ma  longue  villé- 


giature. 


Ces  messieurs  de  Hénévent  se  sont  {)lu  à  me  faire  une 
entrée  (riionneui-.  Ils  ont  envové  à  mon  devant,  sur  la  route 
qui  mène  a  Monlesarchio,  à  neuf  milles  de  ma  résidence, 


Le  jubé  (le  la  eatliédiale,  à  Béiiévent. 


douze  voitures  à  la  suite  desquelles,  au  jour  indiqué  plus 
haut,  je  suis  rentré  dans  ma  Déléuation. 

Saluez  de  ma  part  don  Philippe  et  tous  nos  hons  paysans. 
Et  avec  une  fraternelle  airection,  croyez-moi  votre,  etc. 


Bénévcnl,  14  novembre  18i0. 


'^ 


280 


LA  PRÉLATURE  DE  LÉON  XIII 


LA  DÉLÉGATION  DE  BÉNÉVENT. 


281 


I 


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.1 


LXIV 

Au  comte  Antoine  Pecci,  â  Rome.  — J'ai  reçu  votre  chère 
lettre  du  ll2  courant,  après  avoir  passé  quatre  jours  à 
Ceprano  et  dix  à  Naples.  Mais,  après  le  deuxième  jour  de 
mon  arrivée,  j*ai  payé  à  Bénévent  le  tribut  accoutumé,  qui 
consiste  pour  moi  en  une  constipation  légère.  Elle  a  pour- 
tant vite  cessé,  et  ma  santé  est  présentement  bonne.  Etc.... 

Bénévent,  19  novembre  1840. 


LXV 


Au  comte  Antoine  Pecci,  à  Rome,  —  A  rapproche  dos 
letes  de  Noël,  je  vous  envoie,  selon  l'habitude,  des  boîtes  de 
torroni  et  de  mostaccini  (pâtisseries  aux  amandes)  qui  font 
la  renommée  de  Bénévent.  Trois  de  ces  boîtes  portent  les 
adresses  d'Antoine,  de  Jean-Baptiste  et  de  Charles,  et  don 
Philippe  Salina;  elles  sont  inscrites  sous  les  numéros  103, 
104  et  105.  Je  vous  prie  de  les  faire  retirer,  selon  l'usage, 
à  la  douane  de  la  Piazza  di  Pietra.  Vous  enverrez  par  la 
première  occasion  deux  de  ces  boîtes  à  Carpineto  et  à  Maenza, 
et  vous  agréerez  de  ma  part  le  numéro  105,  du  poids  de 
vingt  livres.  Je  vous  prie  d'offrir  de  ces  gâteaux  à  la  famille 
Muti,  à  qui  je  n'adresse  pas  d'envoi  particulier,  pour  ne  pas 
multiplier  les  boîtes  sans  nécessité. 

Acceptez  en  celte  circonstance  les  bons  souhaits  de  pros- 
périté que  je  fais  pour  vous,  et  que  Mme  la  marquise  me 
permettra  d'étendre  jusqu'à  elle  et  jusqu'à  sa  famille.  Etc.... 

Bénévent,  16  décembre  1840. 


li 


LXVI 

An  frère  Charlea,  à  Carpineto.  —  ...  Les  nouvelles  de 
ma  santé  sont  bonnes,  malgré  quelque  indisposition  souf- 
ferte durant  la  saison  rigoureuse  qlienous  venons  de  p'asser. 


I.a  fa.ade  de  la  calhêdrale,  à  Bénévent. 


Avec  ce  mois  de  mars  commence  la  quatrième  année  de  ma 
délégation  à  Bénévent.  Sera-ce  la  dernière?  Espérons-le! 

fi  i  c  •  •  « . 


Réiicvcnt,  5  mars  18 il 


LXYII 


Le  comte  Stanidas  Sterbini  à  Mgr  Joachim  Pecci.  — 
...  Ayant  ainsi  terminé  la  première  partie  de  mon  message, 
je  me  flatte  de  l'espoir  que  votre  Excellence,  après  avoir 


'^ 


iK^'é  ji-jtjfi— i-ï- 


ti80 


LA    l'HKLATLHE    HK    LKON    Mil 


LA   l>KLKr.ATI(IN    1)F    IJÉNÉVENT. 


t>H1 


LXIY 

.4?/  comte  Antoine  Pecci.à  Home,  — .rai  roru  voliv  vhhva 
lollrc  du  H  couiaiil,  ajuvs  avoir  passé  (jiialie  jours  à 
(A'praiio  et  dix  à  Naples.  Mais,  aprt'S  le  deuxiiMiie  jour  de 
mon  arrivée,  j*ai  payé  à  Bénévenl  le  Iriluit  accoutumé,  (|ui 
consiste  pour  moi  en  une  consli|)alion  légère.  Elle  a  |»our- 
lant  vite  cessé,  et  ma  santé  est  présentement  bonne.  Klc 

Belle  vent,  19  novembre  1840. 


I*  ' 


LXV 


An  comte  Antoine  Vccci,  à  Home,  —  A  Tapproclic  des 
leles  de  Noël,  je  vous  envoie,  selon  l'Iiahilude,  des  hoîles  d(; 
to)'ro)ii  vi  de  "inostaccini  {\m[hscr\Q'>  anx  amandes)  qui  foni 
la  renommée  de  lîénévenl.  Trois  de  ces  ])oîles  portent  les 
adresses  d'Antoine,  de  Jean-lîaptiste  et  de  Cliailes,  cl  don 
Philippe  Salina;  elles  sont  inscrites  sous  les  numéros  103, 
104  et  105.  Je  vous  prie  de  les  faire  retirer,  selon  Tusage, 
à  la  douane  de  la  Viazza  di  Pietra.  Vous  enverrez  par  la 
première  occasion  deux  de  ces  boîtes  à  Tarpinetoet  à  Maenza, 
et  vous  agréerez  de  ma  part  le  numéro  105,  du  poids  de 
vingt  livres.  Je  vous  prie  d'offrir  de  ces  gâteaux  à  la  famille 
Muli,  à  qui  je  n'adresse  pas  d'envoi  particulier,  pour  ne  pas 
multiplier  les  boîtes  sans  nécessité. 

Acceptez  en  cette  circonstance  les  bons  souhaits  de  pros- 
périté que  je  fais  pour  vous,  et  que  Mme  la  marcpiise  me 
permettra  d'étendre  jusqu'à  elle  et  jusqu'à  sa  famille.  Etc.... 

Bénévenl,  10  décembre  18i0. 


LXYI 

An  l'rrre  Charles,  à  Cni'inneto.  —  ...  Les  nouvelles  de 
ma  santé  sont  bonnes,  malgré  (juelque  indisposition  souf- 
ferle  duraiil  la  saison  ligoureuse  qlienous  venons  de  passer. 


V     !  ''^^    .  -    ^  . 


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la  fa. aile  de  la  (allu'drale,  à  Bénévenl. 


Avec  ce  mois  de  mars  commence  la  quatrième  année  de  ma 
délégation  à  jjénévent.  Sera-ce  la  dernière?  Espérons-le! 
Etc.... 


Ilénévenl,  5  mars  18  U 


LXVll 

Le  comte  Stanislas  Sterbini  à  Mgr  Joachim  Pecci,  — 
...  Ayant  ainsi  termine  la  première  partie  de  mon  message, 
je  me  ilatte  de  l'espoir  que  votre  Excellence,  après  avoir 


i.) 


^282 


LA   PRÉLATURE   DE    LÉON   \[|I. 


examiné  mon  rapport,  le  trouvera  digne  de  son  approba- 
tion, non  moinsquedecelle  de  rÉminentissime  Pro-Trésorier 
général  à  qui  vous  voudiez  peut-être  soumettre  ces  comptes. 
Afin  que  vous  puissiez  vous  faire  quelque  idée  des  dil'licultés 
rencontrées  à  Bénévent  et  de  ce  qu'on  y  entend  par  douane, 
il  faut  que  je  vous  dise  qu'un  seul  nom  suffit  pour  y  désigner 
une  foule  de  personnes  ou  de  choses.  Un  vieil  instituteur, 
un  chef  et  un  sous-chef  de  finances  et  un  garçon  de  bureau, 
tel  est  le   personnel  de  Tadminislration.  Dix  douaniers  à 
peine  stipendiés  veillent  aux  portes  et  sur  les  environs  de  la 
ville,  pour  réprimer  la  contrebande.  La  perception  n'est  pas, 
à  proprement  parler,  douanière;  c'est  seulement  une  taxe 
payable  par  tout  étranger  à  la  porte  de  la  ville.  Cette  taxe 
est  proportionnelle  aux  divers  modes  de  moyens  de  trans- 
port;  et  il  en  ressort  une  nomenclature  et  un  iml)roglio 
dont  on  ne  peut  imaginer  les  pareils.  Pour  les  impots,  on 
met  en  usage  certains  cahiers  que  l'on  a[>pellerait  des  bulle- 
tins,  dit-on,  mais  qui  n'y  ressemblent  que  par  un  numéro 
d'ordre*.  Sur  ces  bulletins  on  indique  seulement  en  chiffres 
l'encaissement,  sans  y  marquer  nom  de  personne  ni  autre 

J.  Le  bulletin  de  trnnsit  ('bit  libellé,  à  Bénévent,   de  la  manière  suivante 
<iue  nous  reproduisons  d'après  une  fiebe  ori«nnale  ; 


^ 

i 

^ 

^ 
^ 


DOGANA  CAMERALE  DI  BENEVENÏO 

.^.         A  di  ,84 

Ha  pagato 
per 
transitât 

//  Rcgolatore 


,*;^mm,rp^gmm^mkm 


•—'» 


< 


LA  DÉLÉGATION  DE  RÉNÉVENT. 


285 


litre.  Chacun  d'eux  porte  quatre  numéros  à  talon  et  souche. 
On  détache  le  talon  qu'on  appelle  nizzo  et  qui  sert  de 
transit  au  contribuable  quand  il  passe  devant  les  postes 
de  surveillance.  Toute  la  garantie  de  pareils  bulletins  réside 
dans  le  timbre  de  la  douane.  Mais  cette  douane^  tout  le 
monde,  à  mon  su,  en  fait  partie. 

liCS  receveurs  sont  de  quatre  ordres,  selon  l'importance 
des  encaissements  qu'ils  font.  J'en  ai  découvert  même  un 
cinquième;  et  c'est  tout  sim|)lement  un  prêtre  que  commis- 
sionnc  le  percepteur  et  qui  se  rend,  la  nuit,  à  domicile  pour 
mettre  plus  à  l'aise  le  contribuable.  Les  tarifs  sont  aussi 
ridicules  que  surannés;  j'ajoute  qu'ils  sont  inapplicables, 
parce  qu'ils  varient  selon  les  circonstances,  de  la  plus  arbi- 
traire fa(^*on.  La  commune,  par  l'intermédiaire  de  la  douane, 
encaisse  un  carlin,  par  passage  de  voiture;  cette  monnaie  du 
royaume  de  Naples  correspond  à  huit  baiocs.  Les  gardes 
ont  toute  faculté  de  recevoir  l'argent  des  passagers;  cet 
encaissement  n'a  de  sanction  que  sur  les  feuilles  de  répar- 
tition, et  la  monnaie  est  reçue  dans  un  tronc  placé  en  cha- 
cun de  ces  postes  de  finances  que  les  gens  du  pays  appellent 
des  baraques.  Pour  conclure,  je  dirai  que  j'ai  vu  régner 
partout  le  désordre,  et  qu'il  n'y  a  encore  aucun  moyen  de 
contrôle  possible,  tant  la  contrebande  est  facile  et  sauve  de 
toute  immunité*. 

Je  termine  celte  lettre  en  vous  apprenant  que  je  vaque 
présentement,  non  seulement  à  la  rédaction  de  l'inventaire 
des  divers  objets  concernant  mon  administration,  mais,  etc. 

liénôvont,  février  18 il. 

1.  Au  secrétaire  du  substitut  de  l'État  Pontifical,  le  comte  Sterbini  dit  dans 
une  autre  lettre  :  Concludero  che  il  sistema  è  regolato  darhocchissimameme. 
Et  c'est  un  mot  charmant,  pour  celui  de  baïoc  qu'il  rappelle  dans  un  État  où 
celte  monnaie  de  pourboire  faisait  miracles  d'indulgence,  entre  contrebandiers 
et  carabiniers. 


wxz^trw/r': 


281  LA    PRÉLATURE   DE   LÉON  XIIL 

LXVIII 

Mgr  Joachim  Pecci  au  frère  Jean-Baptiste,  à  Rome,  —  Je 
vous  laisse  à  penser  dans  quels  nombreux  embarras  je  me 
trouve,  à  la  suite  de  cet  inespéré  événement  de  ma  nomi- 
nation à  la  Délégation  de  SpollHe.  Dans  le  nombre  des 
lettres  reçues  par  la  poste  de  dimanche,  j*en  ai  trouvé  une 
de  vous,  qui  m*est  très  chère  et  oîi  vous  m'avisez  de  votre 
séjour  dans  la  capitale.  Je  désire  vous  retrouver  là-bas 
quand  je  passerai  par  Rome;  mais  je  ne  peux  rien  encore 
vous  préciser  sur  ce  prochain  voyage.  Il  faudra  que  j'attende 
ici  mon  successeur, à  moins  que  je  ne  reçoive  de  Rome  l'in- 
vitation particulière  d'avoir  à  me  rendre  d'urgence  à  mon 
poste  nouveau. 

Bénévcnt,  15  juin  184L 

LXIX 

* 

Au  frère  Charles,  à  Rome.  —  Voici  la  confirmation  que 
je  vous  annonçais  au  cours  d'un  de  ces  derniers  mois,  c'est- 
à-dire  mon  changement.  J'espère  que  vous  vous  en  réjouirez, 
pour  ma  fortune  personnelle  et  pour  le  désir  que  vous 
m'avez  toujours  manifesté  de  me  voir  passer  en  un  pays  oîi 
l'air  serait  plus  favorable  à  mon  tempérament.  J'entends 
dire  qu'à  Spolète  on  respire  un  air  pur  de  montagne,  et 
que  le  séjour  de  Terni  est  des  plus  cléments  pendant  les 
mois  d'hiver....  C'est  avec  plaisir  que  j'apprends  votre 
passage  à  Rome.  Je  ne  peux  pas  vous  dire  encore  à  quelle 
date  j'y  passerai  aussi;  cela  dépend  de  l'arrivée  de  mon 
successeur  à  Bénévent. 


Bénévent,  16  juin  18 il. 


LA   DÉLÉGATION   DE   BÉNÉVENT. 


285 


LXX 

Au  frère  Jean-Baptiste,  à  Rome.  —  Je  réponds  à  votre 
lettre,  qui  m'est  arrivée  par  le  courrier  d'hier  soir.  Mgr  Mella 
m'a  écrit  qu'il  partira  de  Rome,  vers  la  première  semaine 
de  juillet  ;  je  pense  donc  qu'il  sera  à  Bénévent,  vers  le  20  de 
ce  mois.  Si  cette  prévision  se  vérifiait,  je  quitterais  cette 
ville,  vers  le  15.  Je  prendrais  par  la  route  de  San-Germano. 
Je  m'arrêterais  un  jour  à  Frosinone,  pour  répondre  à  la 
gracieuse  invitation  que  m'adresse  en  cette  circonstance 
Mj^r  Orlandini,  et  mieux  encore  pour  me  faciliter  une  entre- 
vue  avec  le  président  du  tribunal  de  cette  ville,  M.  Piergen- 
lili,  originaire  de  Spolète. 

Je  ferai  ce  voyage  dans  ma  propre  voiture  et  avec  des 
chevaux  de  louage.  Mes  chevaux  à  moi,  —  que  je  n'ai  pas 
réussi  à  vendre  à  Mgr  Arborio,  —  feront,  comme  ils  étaient 
venus,  ce  voyage  de  retour  par  petites  journées.  Les  gens  de 
service  qui  m'accompagneront  seront  au  nombre  de  trois, 
c'est-à-dire  le  camérier  et  deux  serviteurs.  Les  bagages 
auront  pour  escorte  l'ordonnance  et  un  soldat  de  cavalerie, 
qui  ont  toute  ma  confiance. 

11  serait  bon  qu'à  Frosinone  vous  préveniez  quelqu'un  de 
votre  connaissance  et  qui  soit  votre  ami,  pour  qu'il  y  reçoive 
les  deux  serviteurs  et  qu'il  en  épargne  cet  embarras  à 
Mgr  Orlandini. 

C'est  tout. 


Bénévent,  25  juin  1841. 


LXXI 


Au  frère  Jean-Baptiste,  à  Rome.  —  En  réponse  à  votre 
lettre  du  oO  juin,  je  peux  vous  apprendre  que  Mgr  Mella 


286 


LA   PRÊLATURE    DE    LÉON   XIII. 


sera  h  Bénévcnt  vers  le  10  courant,  selon  Tavis  qu'il  m'en 
a  donné  par  lettre.  En  ce  cas,  je  compte  être  à  Home  vers  le 
20,  en  partant  d*ici  vers  le  15. 

J'ai  reçu  de  la  Trésorerie  fçénérale  les  dispositions  que  j'en 
attendais,  et  pour  lesquelles  je  vous  avais  déjà  prié  d'aller 
presser  M.  Sterbini.  Celui-ci  m'exprime  le  regret  de  n'être 
pas  mon  hôte  en  sa  propre  maison,  pendant  mon  séjour  à 
Rome  ;  mais  j'ai  du  l'en  remercier,  ayant  là-bas  maison 
ouverte  chez  mon  oncle  et  mes  frères. 

Je  ne  puis  croire  l)ien  fondé  le  bruit  qui  court,  dites-vous, 
de  ma  destination  pour  Pérouse  et  non  pour  Spolete.  Ce 
transfèrement  ne  me  semble  pas  régulier,  et  je  n'estime  pas 
qu'il  soit  proportionné  à  mes  forces.  Néanmoins,  avertissez- 
moi  si  ce  bruit  prend  consistance  et  fondement  de  véiité. 

Etc.... 

Bonôvcnt,  0  juillet  Î8il. 

LXXII 

Au  frère  Jean-Baptiste,  à  Rome.  —  Si,  comme  il  le 
semble,  Mgr  Mella  arrive  à  Bénévent  dans  le  courant  de  cette 
semaine,  (et  lui-même,  après  les  dernières  lettres  que  je  lui 
ai  écrites,  a  résolu  aussitôt  de  hâter  son  voyage),  je  me  met- 
trai en  route  aux  premiers  jours  de  la  semaine  prochaine, 
c'est-à-dire  au  plus  tard  après  les  deux  ou  trois  jours  f[ue  je 
lui  aurai  donnés,  pour  compagnie.  Cependant  il  m'écrit 
qu'il  fera,  lui  aussi,  son  voyage  par  petites  journées.  De  la 
sorte,  je  ne  serai  peut-être  à  Home  que  vers  le  25  courant. 

Je  regrette  de  n'avoir  pu  me  trouver  là  bas,  pour  la  pro- 
motion au  cardinalat  de  Mgr  lielli;  mais  je  ne  doute  pas  que 
le  porporatQ  et  les  bons  provinciaux  qui  auront  pu  remar- 
quer mon  absence  n'en  aient  connu  par  vous  les  motifs 


LA    DÉLÉGATION    DE    RÉNÉVE.NT.  iiS? 

raisonnables  pour  lesquels,  malgré  moi,  j'étais  tenu  loin 
de  Home.  J'ai  écrit  au  cardinal,  comme  le  devoir  me 
le  commandait. 

S'il  y  a  des  auberges  à  Frosinone,  j'y  logerai  mes  serviteurs. 
Je  connaissais  déjà  l'exiguïté  de  la  résidence  du  délégat; 
je  crois  cependant  que  Mgr  Oïlandini  me  recevra  à  la  Rocca 


Le  tloilre  de  Saiiil-Juvrnal,  à  Bénévcnt. 


OÙ  j'apprends  tju'il  s'est  rendu;  et  ce  sera  précisément  le 
jour  de  Saint-Silvère. 

Bénévcnt,  14  juillet  18 il. 
I    I 

LXXIII 

Ah  frire  Jean-Baptiste,  à  Borne,  —  Mgr  Mella  est  arrivé 
ici  vendredi  dernier,  à  une  heure  de  nuit.  J'avais  résolu  de 
quitter  Bénévent  demain,  19  ;  mais  je  ne  partirai  que  le  20, 
c'est-à-dire  mardi,  parce  que  nous  attendons  pour  demain 
le  cardinal-archevêque  à  qui  je  dois  raisonnablement  pré- 
senter mes  hommages,  comme  je  vous  l'ai  écrit.  Je  voyagerai 


1 

t 

\ 


'/; 


28(î 


LA    l'fiKLATUUK    DK    LKON    Mil. 


sera  h  Rénéveiil  vers  le  10  eomnnt,  selon  l'nvis  (m'il  lîi'eii 
a  donné  par  lelliv.  Kn  ce  cas,  je  compte  èlre  à  Konie  vers  le 
!2(1,  en  parlant  d'ici  vers  le  15. 

J'ai  lecu  de  la  Tiésoieiie  <»énéinle  les  dispositions  «pie  j'en 
attendais,  et  ponr  lesrpielles  je  vous  avais  déjà  i)rié  d'jiller 
presser  M.  Steihini.  Celui-ci  m'exprime  le  re^iet  de  n'être 
pas  mon  hôte  en  sa  propre  maison,  |>end.'mt  mon  séjour  a 
liome  ;  mais  i'iii  du  Ten  remercier,  avant  là-has  maison 
ouverte  chez  mon  oncle  et  mes  IVères. 

.le  ne  [mis  croire  hien  Ibndé  le  hruit  (pii  court,  dites-vous, 
de  ma  destination  pour  Pérouse  et  non  pour  Spolete.  Ce 
Iransièrement  ne  me  semide  pas  régulier,  et  j(»  n'estiiiie  pas 
qu'il  soit  pi'oportionné  à  mes  loi'ces.  iNéanmoins,  avertissez- 
moi  si  ce  l)ruit  prend  consistance  et  fondement  de  vérité. 
E(c — 

{{(•ncvciit,  (>  juillol  ISil. 


LWII 

Au  frère  Jcan-Baptiislc,  à  Rome.  —  Si,  comme  il  le 
semhle,iMgr  Mella  arrive  à  Hénévent  dans  le  courant  de  cette 
semaine,  (et  lui-même,  après  les  dernières  lettres  que  j(;  lui 
ai  écrites,  a  résolu  aussitôt  de  hâter  son  voyage),  je  me  met- 
trai en  route  aux  j)remiers  jours  de  la  semaine  prochaine, 
c/est-à-dire  au  plus  lard  après  les  deux  ou  trois  jouis  que  je 
lui  aurai  donnés,  pour  compagnie.  Cependant  il  m'éciil 
qu'il  fera,  lui  aussi,  son  voyage  par  petites  jouinées.  De  la 
sorte,  je  ne  serai  peut-être  à  Home  que  vers  le  io  courant. 

Je  regrette  de  n'avcdr  |)U  me  trouver  la  bas,  pour  la  pi'o- 
molion  au  cardinalat  de  Mgr  iîelli;  mais  je  ne  doute  pas  que 
le  porporfffo  et  les  bons  provinciaux  qui  auronl  pu  remar- 
quer mon  absence  n'en  aient  connu   par  vous  les  motifs 


LA  iM':M'(iA'noN  i)i:  UK>Kvi^.\'r. 


'JS7 


raisonnables  pour  lesquels,  malgré  moi,  j'étais  tenu  loin 
de  liome.  J'ai  écrit  au  cardinal,  comme  le  devoir  me 
le  ccnnmandait. 

S'il  y  a  des  auberges  à  Frosinone,j'y  logerai  mes  serviteuis. 
Je  connaissais  déjà  l'exiguïté  d(,'  la  résidence  du  délégat; 
je  crois  cependant  (pje  My:\'  Orlandini  me  recevra  à  la  Piocca 


Le  cluili-,'  (le  Sjiiiil-Juvriial,  à  liriirvciil. 


(u'i  j'apprends  (ju'il   s'est   rendu;  et  ce  sera  précisément  le 
jour  de  Saint-Silvi'ie. 

Bcncveiil.  It  juillet  I8il. 

LXXIII 

An  frvre  Jean-Baplisic,  à  Borne.  —  Mgr  Mella  est  arrivé 
ici  vendredi  dcM-nier.  à  une  heure  de  nuit.  J'avais  résolu  de 
quitter  Hénévent  demain,  19  ;  mais  je  ne  partirai  que  le  '20, 
c'est-à-dire  mardi,  parce  (pie  nous  attendons  pour  demain 
le  cardinal-arclievé(jue  à  (pii  je  dois  raisonnablement  pré- 
senter mes  hommages,  comme  je  vous  l'ai  écrit.  Je  voyagerai 


,( 


'1, 


288 


LA  PRÉLATIJRE    DE    LÉON    XIIL 


par  petites  étapes  et  avec  toutes  les  commodités  possibles, 
car  nous  voici  sous  les  ardeurs  de  la  canicule...  Aujour- 
d'hui encore  le  bruit  de  ma  destination  à  Pérouse  est  géné- 
ral. De  nombreuses  personnes  m'en  ont  écrit  avec  des 
paroles  de  certitude.  Je  suis  étonné  et  confus  de  cette  nou- 
velle preuve  de  souveraine  bienveillance.  Au  reste,  je  n'en 
ai  jusqu'à  cette  heure  aucune  notification  officielle. 

Bénévent,  18  juillet  1841. 


Il 


LA    DÉLÉGATION    DE    PÉROUSE 


i). 


LXXIV 

Au  frère  Jean-Baptiste,  à  Rome.  —  Je  vous  écris  de  Fro- 
sinone,  où  je  suis  heureusement  arrivé  ce  matin.  Demain, 
samedi,  je  serai  à  Rome  vers  la  troisième  ou  la  quatrième 
heure  de  nuit;  car  j'ai  décidé  que  je  partirai  de  Valmontone 
demain,  après  la  vingt  et  unième  heure.  Je  vous  embrasse 
;i  la  haie. 

Frosinonc,  23  juillet  1841. 


SoMMAinE.  —  Chez  rami  Milella  (LWV-IAXVII).  —  Premières  impressions  de 
i'érouse  et  réception  de  (Irégoire  XVI  (LXXVIll).  —  Le  portrait  de  Mgr  Pecci 
commandé  (LXXIX).  —  L'envoi  des  pi(/noccate  et  la  villégiature  deMagliano 
di  Sabina  (LXXX-LXXXIII).  —  In  pèlerinage  à  Assise  (LXXIV-LXXXVI).  — 
Connnent  Mgr  Pecci  travaille  à  Pérouse  (LXXXVll).  —  Rappel  à  Rome  et 
bruits  de  nonciature  (LXXXVIll-XCl).  —  Nonce  et  archevêque  (XCIl-XCVI). 

—  Il  y  a  promesse  de  mariage  (XCVII-C).  — Trois  sièges,  trois  victoires  (Cl). 

—  Les  félicitations  (GlI-CVll).  —  Pérouse  dit,  non  pas  adieu,  mais  au  revoir 
(CVIII-CXIH). 


LXXV 

Au  frère  Jean-Baptiste.,  à  Borne.  — Je  suis  arrivé  à  llieti, 
vers  une  heure  de  nuit.  A  Corese,  je  m'étais  arrêté  cinq 
heures,  soit  de  la  treizième  à  la  dix-huitième.  La  roule  de 
Corese  à  llieti  est  horrible  à  ce  point  que,  pendant  un  trajet 
de  vingt-huit  milles,  on  ne  traverse  que  gorges  eflVayamment 
escarpées,  avec  moulées  et  descentes  vertigineuses.  Je  suis 
arrivé  jusque-là,  le  corps  bien  un  peu  ballotté,  mais  la  santé 
pourtant  bonne.  Demain,  à  la  première  heure,  je  serai  au 
bas  de  la  côte  des  Marmore,  et  de  là  vite  à  Terni. 

Mgr  Milella  salue  affectueusement  toute  notre  maison. 
Ce  soir,  il  y  aura  chez  lui  grande  réception  et  rafraîchisse- 
ments, pour  fêter  ma  venue.  Que  d'embarras  je  cause  !  Eté — 


Ricti,  15  août  1841. 


19 


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LA   PRÉLATURE    DE   LfiON   XlII. 


LXXVI 

Au  frère  Jean-Baptiste,  à  Rome.  —  Deux  lignes  en  cou- 
rant, pour  vous  apprendre  mon  arrivée  dans  cette  résidence, 
hier  soir,  à  VAce  Maria.  A  part  quelque  fatigue,  je  n'ai 
souffert  de  rien  pendant  ce  voyage.  Mgr  Milella  nous  a 
traités  magnifiquement,  au  rwfresco  qu'il  nous  a  offeil,  le 
15  courant,  avec  le  concours  de  toute  la  noblesse  de  Uieti. 
Nous  avons  quitté  cette  ville,  le  matin  du  16,  et  nous  avons 
admiré  ensemble  les  fameuses  chutes  des  Marmore  près 
Terni,  où  nous  étions  arrivés  avant  midi.  Là  encore,  nous 
étions  les  holes  de  Tévêque.  Quand  le  soir  est  venu,  Mgr  Mi- 
lella a  pris  la  direction  de  Rieti,  et  moi  celle  de  Spolèle. 

Arrivé  à  Spolète,  vers  1  heure  1/2  de  nuit,  j'en  reparlais 
vers  la  12*"  heure  du  lendemain  matin.  J'ai  fait  halte  à  Foli- 
gno  et  au  sanctuaire  des  Anges,  sous  Assise,  où  j'ai  déjeuné; 
et,  le  soir  même,  j'étais  heureusement  dans  Pérouse, 

J'y  trouve  beau  climat,  belles  vues,  belles  routes  et  habi- 
tants courtois.  Je  vous  en  dirai  plus  long  quand,  dans  une 
autre  lettre,  je  pourrai  vous  écrire  plus  tranquillement. 
Les  premiers  moments  sont  toujours  des  moments  de  confu- 
sion. 

l'ôrousc,  18  août  1841. 


LXXVll 

Au  frère  Charles,  à  Carpineto,  —  La  semaine  passée, 
m'est  parvenue  une  de  vos  lettres  où  vous  m'exprimez  la 
satisfaction  éprouvée  par  notre  famille  sur  le  très  grand 
honneur  que  j'ai  eu  à  recevoir  le  Saint-Père  dans  ce  palais 
de  la  Délégation  de  Pérouse,  et  à  accompagner  Sa  Sainteté, 


LA  DÉLKGATIO.N  DE  PÉROUSE. 


291 


un  long  bout  de  chemin,  sur  le  territoire  de  cette  province. 
Dieu  merci  !  tout  s'est  bien  passé,  etc'est  la  récompense  la 


'^î 


Les  chutes  des  Marmore. 


\ 


meilleuœ  des  nombreuses  fatigues  et  combinaisons  qu'il  a 
fallu  dépenser  en  cette  circonstance....  La  santé  se  maintient 
bonne.  Je  profite  beaucoup  du  repos  que,  de  temps  en 


(aKUMB^aasBOi 


! 


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2l»0 


LA    PKKLATLRE    DE    LÉON    Mil, 


LXXM 

Au  frh'e  Jean-Baptiste,  à  Home.  —  Dlmix  lijiiies  en  cou- 
nuil,  pour  vous  apprendre  mou  arrivée  clans  celle  résidence, 
hier  soir,  à  Y  Ace  Maria.  A  pari  quelque  rali|jiue,  je  n'ai 
soufTert  de  rien  pendant  ce  voya<ie.  )[«ir  Milella  nou>  a 
traités  ina<,^niliquenient,  au  ritffresco  (ju'il  nous  a  ollerl,  le 
io  courani,  avec  le  concours  de  lonle  la  noblesse  de  liieti. 
Nous  avons  quille  cette  ville,  le  malin  du  10,  et  nous  avons 
admiré  ensemMe  les  fameuses  chutes  des  Marmore  près 
Terni,  où  nous  étions  arrivés  avanl  midi,  i^à  encore,  nous 
étions  les  holes  de  Tévéque.  Quand  le  soir  est  venu,  MjJir  Mi- 
lella  a  pris  la  direction  de  Rieli,  et  moi  celle  de  Spolète. 

Arrivé  à  Spolète,  vers  1  heure  1  '2  de  nuil,  j'en  reparlais 
vers  la  12'^  heure  du  lendemain  malin.  Tai  l'ail  halte  h  F(di- 
gno  et  au  sanctuaire  des  Anges,  sous  Assise,  où  j'ai  déjeuné; 
cl,  le  soir  même,  j'étais  heureusemenl  dans  IVrouse, 

J'y  trouve  l)eau  climat,  ])elles  vues,  helles  loules  et  halu- 
lanls  courtois.  Je  vous  en  dirai  plus  loni»  quand,  dans  une 
aulre  lettre,  je  pouriai  vous  écrire  plus  Irancpiillemeiil. 
I.es  premiers  monu'uts  sont  toujours  des  momenls  de  conl'ii- 
sion. 

PiM-oiiso,  IS  août  ISil. 


LXXVll 

Au  frère  Charlea,  à  Carpineto.  —  La  semaine  passée, 
m'est  parvenue  une  de  vos  lettres  où  vous  m'exprimez  la 
satisfaction  éprouvée  par  noire  famille  sur  le  très  grand 
honneur  que  j'ai  eu  à  recevoir  le  Saint-Père  dans  ce  palais 
de  la  Délégation  de  Pérouse,  et  à  accompagner  Sa  Sainteté, 


"^i-'ïrs^aj'**  jk  .yijÇi  Pi 


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LA    DKLKr.ATlUN    DK    PÉIIOISE. 


291 


un  long  bout  de  chemin,  sur  le  territoire  de  celle  province. 
Dieu  merci  !  tout  s'est  bien  passé,  et  c'est  la  récompense  la 


I     '  ! 


Los  chutes  «les  Mnrmore. 


meilleure  des  nombreuses  fatigues  et  combinaisons  qu'il  a 
fallu  dépenser  en  cette  circonstance....  La  santé  se  maintient 
bonne.  Je  profite  beaucoup  du   repos   que,  de  temps  en 


292 


LA   PRÉLATURE    DE   LÉON   XIII. 


temps,  je  vais  prendre  dans  ces  villas  de  Pérouse  où  l'on 
jouit  d'une  vue  magnifique,  sur  la  vallée  de  TOmbrie.  J'ai 
séjourné  à  Monte  Mcllino  et  à  Monte  Sperello  qui  est  un 
apanage  de  la  maison  de  ce  nom.  Ces  deux  châteaux  sont 


situés  au  voisinage  du  ïrasimène. 

Pérouse,  28  octobre  1811. 


LXXVIII 

Au  frère  Jean-Baptiste,  à  Maenza,  —  Depuis  mon  arri- 
vée dans  Pérouse,  je  ne  vous  ai  plus  écrit,  tant  ont  été 
extraordinaires  les  affaires  qni  m'y  ont  occupé.  Vous  aurez 
eu  cependant  de  mes  nouvelles,  de  Carpinclo  même  où  j'ai 
écrit  à  la  famille,  vers  les  premiers  jouis  du  mois  courant. 
Celles  queje  vous  envoie  aujourd'hui  sont  également  bonnes, 
eu  égard  aux  tracas  sans  nombre  que  j'ai  eu  à  supporter.  Le 
beau  mois  d'octobre,  dont  nous  avons  joui,  a  contribué  pour 
sa  bonne  part  à  mon  bien-être.  Je  l'ai  passé  à  visiter  diveis 
lieux  de  délices  appartenant  à  des  notables  de  Pérouse,  et 
j'ai  séjourné  plusieurs  jours  dans  quelques-unes  de  leurs 
villégiatures  exquises. 

A  présent,  il  faut  penser  à  l'hiver  qui,  sous  le  ciel  pérou- 
sien,  a  coutume  d'être  rigoureux  et  inclément.  Les  occupa- 
tions de  ma  charge  ont  aussi  besoin  d'ordre  et  de  méthode; 
car  elles  sont  excessives,  proportionnellement  à  l'étendue 
de  la  province. 

Pérouse,  28  octobre  1841. 

LXXIX 

.     .  il,.. 

Au  frère  Charles,  à  Car  pi  neto,  —  Je  ne  sais  si  la  Gazette 
du  Trasimène  vous  arrive  ré^i^ulièreraent  et  si  vous. aurez 


LA    DÉLÉGATlOiN    DE    PÉROUSE. 


295 


plaisir  que  l'envoi  vous  en  soit  continué.  Faites-moi  signe, 
sur  ce  point. 

Le  climat  de  Pérouse  est  très  sain,  mais,  comme  il  est 
aussi  très  rigoureux,  il  faut  y  employer  beaucoup  de  pré- 
cautions pour  conserver  bonne  sa  santé.  Celle-ci,  malgré  une 
constipation  légère  dont  j'ai  souffert  dernièrement,  continue 
à  être  satisfaisante.  Dieu  merci  !  Quant  à  ma  province,  je 
m'en  déclare  content. 

Envoyez-moi  les  mesures  de  hauteur  et  de  largeur  du 
tableau  de  Mgr  Joseph  Pecci.  Elles  me  serviront  pour  un 
autre  tableau  semblable,  que  je  voudrais  faire  exécuter  par 
un  valeureux  artiste  de  Pérouse.  Ce  sera  mon  portrait,  et  je 
l'enverrai  à  la  famille. 

Pérouse,  23  novembre  1841. 

LXXX 

Au  frère  Charles,  à  Carpineto.  —  ...  Je  vous  retourne 
les  souhaits  de  prospérité  tant  spirituelle  que  temporelle, 
que  vous  m'envoyez  pour  les  prochaines  fêtes  de  Noël.  Par 
la  première  occasion  qui  se  présentera,  j'expédierai  à  votre 
adresse  une  boîte  de  pignoccate  et  d'ossa  di  morto.  Ces 
pâtisseries  font  la  renommée  de  Pérouse.  Les  nouvelles  de 
ma  santé  sont  bonnes.  Je  salue  tout  le  monde  et  je  me 
redis,  avec  l'affection  la  plus  cordiale  et  la  plus  fraternelle, 
votre,  etc. 

Pérouse,  18  décembre  1841. 

LXXXl 

Au  frère  Charles,  à  Carpineto,   —   ...  J'ai   plaisir  à 
apprendre  que  les  feuilles  de  notre  Trasimène  vous  par- 


■V    ii.         *        *•■  ■ 


iOl 


LA  PRÉLATt  l!E   DE  LÉOM   XJII. 


viennenl  régulièrement.  Vous  avez  ainsi  l'occasion  de  con- 
naître, de  temps  à  autre,  les  nouvelles  et  les  fêles  de  cette 
province.  Le  numéro  que  je  vous  envoie  aujourd'hui  vous 
apprendra  l'état  déplorable  des  choses  religieuses  en  Espagne 
et  les  prières  qu'à  cette  intention  le  Souverain  Pontife  vient 
de  prescrire  à  l'Eglise  universelle.  En  vous  donnant  sur  ma 
santé  de  bonnes  nouvelles  et  en  embrassant  toute  la  famille, 
je  vous  renouvelle  en  toute  affection,  etc. 

Pérousc,  0  raais  IXi'i. 


LXXXII 

Au  frère  Charles,  à  Carpineto.  -  iVi  passé  presque 
tout  le  mois  de  mai  dernier  hors  de  ma  résidence  de 
Pérouse,  soit  pour  la  visite  que  j'ai  faite  d'une  partie  'de 
celte  province,  soit  pour  les  quelques  jours  que  j'ai  passés 

aMagliano  di  Sabina  où  se  trouvait  lecardinal  Lamhruschini 
Secrétaire  d'État.  Pour  ces  divers  motifs,  il  ne  m'a  pas  été 
facile  de  vous  écrire  et  de  continuer  à  vous  envoyer,  comme 
précédemment,  les  numéros  du  Trasimène,  Mais  aujour- 
d^hui  je  reprends  mes  expéditions,  et  je  vous  envoie  en 
môme  temps  cette  lettre  pour  vous  demander  de  vos  nou- 
velles et  de  celles  de  la  famille.  Les  miennes,  grâce  à 
Dieu  !  sont  bonnes,  malgré  les  nombreuses  aHliires  qui 
m'assaillent  et  que  je  vous  laisse  à  imaginer. 

Je  vous  envoie  deux  exemplaires  du  programme  des  fêtes 
dont  on  m'a  honoré  à  Todi,  à  l'occasion  de  ma  dernière 
visite  en  celte  ville. 

Pérouse,  3  juin  I8i2. 


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t.A    MIKI.ATI  IlE    HE   LfioN    XIII. 


vicnncnl  iTguIi,".,vmcnl.  Vous  avez  ainsi  i-occasioii  .le  con- 
"ailie,  de  temps  à  aiilre,  les  nouvelles  et  les  fêles  .le  celle 
province.  Le  numéro  que  je  vous  envoie  aujour.n.ui  vous 
appi-enilia  rélal.Iéi.loral.le.lesehoses  ivligieusesen  Espajrne 
cl  les  pri.-.res  .lu'à  celle  intenli.,n  le  Souverain  l'..ulile  vient 
.le  prescrire  à  l'Eglise  universelle.  En  vous  donnanl  sur  ma 
santé  (le  lu.nnes  nouvelles  cl  en  eml.rassanl  toute  la  lauiille, 
je  vous  renouvelle  eu  toute  allection,  etc. 

Pérouso,  0  mars  KSl'J. 


I.WXII 

A>,  frhr  Charles,  à  Carpinrlo.  -  .Pai  passé  presque 
lout  I,.  mois  de  mai  ,l,.rnier  hors  .1..  ma  ivsid.m.r  de 
l'énnise,  soit  p.mr  la  visite  .p„.  j'ai  fait,,  d'une  partie  de 
celle  province,  s.,it  pour  I.-  quel-pn-s  jouis  .p,e  j'ai  passés 

aMagliano.liSahina,.ùseln.uvaill,.,-ar.linalLainiuuselii,ii 
Secrétaire  d'Elat.  Pour  ces  divers  nuMils,  il  ne  m'a  pas  été 
la.ile  de  vous  écrire  et  de  continuer  à  vous  envover,  comme 
|'récé.lemmenl,  les  numén.s  du    Traùmme.  Mais  aiijour- 
<rhui  je  reprends  m.'s  exp.'.,lilioiis,  .^t  je   vous  envoie  en 
uième  temps  cette  lettre  pour  vous  demander  de  vos  nou- 
velles el  de  celles   de  la    famille.   Les    miennes,   orâce   à 
l>icu  !  sont   liouiies,   malgré  les   n..inl.reuscs   alfaiivs  ipii 
m'assaillenl  et  que  je  vous  laisse  à  imagin.T. 

Je  vous  .■nvoie  deux  ex.Muplaires  du  programme  des  fêles 
(ioul  on  m'a  honoré  à  Todi,  à  l'occasion  de  ma  .lernière 
visite  en  cette  ville. 

IViouse,  5  juin  1812. 


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296 


LA    PRÉLATURE    DE    LÉON   XllI. 


LXXXllI 


Au  comte  Antoine  Pecci,  à  Rome.  —  Les  imprimés  que 
vous  recevrez  en  même  temps  que  celle  lettre,  je  pensais 
vous  les  envoyer  par  une  occasion  particulière.  Mais  celle-ci 
m'ayant  fait  défaut,  je  remets  ces  plis  à  la  poste  afin  de  n'en 
pas  trop  retarder  le  départ.  Ces  papiers  ont  été  imprimés  à 
Todi  où  des  fêtes  publiques  ont  eu  lieu,  en  mon  honneur, 
h  Toccasion  des  quelques  jours  que  j'ai  passés,  dans  celle 
ville  comprise  dans  la  juridiction  de  ma  province.  Je  m'y 
suis  rendu  par  Narni,  après  mon  retour  de  Magliano  où 
j'étais  allé  complimenter  l'Eminentissime  Lamhruschini. 

Ma  santé  est  bonne,  malgré  les  occupations  de  ma  charge 
qui  ne  me  laisse  presque  aucun  repos.  Si  j'en  ai  la  per- 
mission, au  mois  d'août,  j'irai  faire  une  cure  aux  bains  de 
Nocera  parce  que,  par  une  heureuse  combinaison,  les 
affaires  de  ma  Délégation  ne  me  presseront  plus  autant. 

Donnez-moi  de  vos  nouvelles  et  de  celles  de  la  fi\mille, 
cl  présentez  mes  respects  à  toute  la  maison  Muli.  En  toute 
affection  je  me  redis  votre,  etc.. 

Pérou  se,  4  juin  1842. 

LXXXIV 

Au  frère  Charles,  à  Carpineto,  —  Je  reprends  Texpédi- 
lion  des  journaux  que  j'avais  suspendue,  pendant  mon 
absence  de  Pérouse.  J'ai  passé  presque  tout  un  mois,  soit 
aux  bains  de  Nocera,  soit  aux  fêtes  du  pardon  d'Assise,  soit 
en  divers  autres  lieux.  Des  eaux  de  Nocera,  j'ai  retiré  pour 
ma  santé  quelque  avantage,  et  des  fêles  d'Assise  un  sujet 
d'édification  due  au  grand  concours  des  pèlerins  et  aux 


.•luéi 


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LA    PHKLATIKE    DE    LÉON    XIII. 


LXXXIII 

Au  comte  Antoine  Pecci,  à  Uome.  —  Les  imjuiniés  (|iie 
vous  receviez  en  même  temps  que  celle  lellre,  je  pensais 
vous  les  envoyer  pai'  une  occasi(ui  particulière.  Mais  c(»lle-ci 
m'ayant  fait  défaul,  je  remets  ces  plis  à  la  |)oste  afin  <le  n'en 
[)as  ti'oj)  relaider  le  tiépail.  Ces  papiers  ont  été  imprimés  à 
Todi  où  (les  l'êtes  publiques  ont  eu  lieu,  en  mon  InMiniUir, 
à  Toccasion  des  (juel(|ues  jours  cpie  j'ai  passés,  dans  celle 
ville  com|)rise  dans  la  juridiclion  de  ma  province.  Je  m'y 
suis  rendu  par  Narni,  après  mon  retoui-  de  Magliano  (»ù 
j'étais  allé  complimenter  rKminenlissime  Lambruschini. 

Ma  santé  est  lumne,  mal^-ié  les  occupations  de  ma  char«ie 
qui  ne  me  laisse  presque  aucun  repos.  Si  j'en  ai  la  [per- 
mission, au  mois  d'août,  j'irai  l'aircî  une  cure  aux  hains  de 
Noceia  [)arce  que,  par  une  heureuse  coml)inaison,  les 
affaires  de  ma  Délégalion  ne  me  |)resseront  plus  aulaiil. 

Donnez-moi  de  vos  nouvelles  et  de  celles  de  la  famille, 
et  présentez  mes  respects  à  toute  la  maison  Muli.  Kn  loule 
afTection  je  me  redis  votre,  etc.. 

Pérolisc,  4  juin  1842. 

LWXIV 

An  frère  Charles,  à  Carpineto.  —  Je  reprends  l'expédi- 
tion des  journaux  que  j'avais  susj>endue,  pendant  mon 
absence  de  Pérouse.  J'ai  passé  presque  tout  un  mois,  soit 
aux  hains  de  Nocera,  soit  aux  fêtes  du  pardon  dWssise,  soit 
en  divers  autres  lieux.  Des  eaux  de  Nocera,  j'ai  retiré  pour 
ma  santé  quelque  avantage,  et  des  fêtes  d'Assise  un  sujet 
d'édificalion  due  au  grand  concours  des  pèlerins  et  aux 


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4. 


LA    DÉLÉGATION    DE    l'ÉKUUSE. 


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manifestations  sympathiques  que  m*a  faites  cette  séraphique 
cité. 

Donnez-moi  des  nouvelles  de  Garpineto  ;  elles  ne  peuvent 
pas  ne  point  m*intéresser.  Ici,  en  Ombrie,  les  récoltes  de 
blé  et  d'huile  ont  été  très  abondantes,  et  l'exportation  de  ces 
produits  s'est  faite  du  côté  de  Livourne  et  d'Ancône.  Avez- 
vous  aussi  réalisé  là-bas  pareille  abondance?  Je  suis  sans 
nouvelles  de  Jean-Baplisle,  depuis  plusieurs  mois;  et  j'en 
désire,  en  espérant  qu'elles  sont  bonnes. 

A  la  haie,  je  vous  renouvelle  mes  sentiments  de  constante 
alTeetion  fraternelle  avec  laquelle  je  suis,  etc.. 

Porousc,  11  juillet  18W, 


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LXXXV 


A  M.  Bertiy  à  Pérome.  —  La  fête  de  ce  jour  s'est  passée 
dans  un  ordre  et  un  calme  parfaits,  nonobstant  l'affluence 
énorme  des  pèlerins;  et,  de  l'avis  de  ceux  qui  ont  pu  com- 
parer celle-ci  aux  précédentes,  elle  a  même  été  supérieure 
aux  fêles  des  années  passées.  Suivant  l'habitude,  les  tapa- 
geurs paysans  du  pays  s'y  sont  fait  remarquer  avec  leurs 
mains  jointes  et  levées  au  ciel.  Ils  s'avançaient,  se  frappaient 
la  poitrine,  passaient  et  repassaient  par  bandes  devant  la 
sainte  chapelle.  C'est  un  spectacle  qui  a  son  côté  burlesque 
et  grossier,  mais  (jui  pourtant  émeut  quiconque  réfléchit 
à  la  foi  vive  et  sincère  qui  amène  ces  foules  des  points 
extrêmes  de  l'Ombrie,  et  qui  leur  fait  prendre  ces  poses  et 
pousser  ces  clameurs  au  bout  desquelles  est,  pour  eux, 
l'indulgence  gagnée  et  le  pardon  obtenu» 

Sainte-Marie  des  Anges,  1"  août  1842. 


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-^^•-•teu.aimXiati.t 


298 


LA    PHKLATURE    I)K    LKQN    Mil. 


LXXXVI 


* 


Au  frère  Jean-Boplhle,  à  Macnza.  -  Voilà  plusieurs 
mois  que  je  n'ai,  ni  lellres,  ni  nouvelles.  Je  pense  qu'il  n'y 


Sailli  Fraiiiois,  sur  la  Place  de  la  (jillic.lrale,  à  Assij.'. 
(D'après  Giuvaiiiii  Duprc.) 

a  de  raison  à  ce  manque  que  vos  occupations,  bien  que 
celles-ci  ne  soient  ni  si  nombreuses,   ni   si  continuelles 


LA   DÉLklGAlION   DE   l'ÉROlSE.  2fl9 

qu'elles  vous  excusent  de  me  priver  si  longtemps  de  vous 
lire.  Je  n'en  dirai  pas  de  même  de  moi,  malgré  ma  bonne 
volonté.... 

Pendant  les  mois  derniers  j'ai  visité  une  grande  partie  de 
celle  vaste  province.  Des  gorges  du  Fossalo,  par  la  route  de 
Fabbrianese,  je  suis  allé  jusqu'au  lac  Trasimène  et  aux 


Façade  (Je  Saiiilc-Maiie-iles-Aiiô^cs. 

(•onlins  de  la  Toscane.  Ensuite,  au  mois  de  juin,  j'ai  du 
faire  une  cure  d'eau  à  Nocera,  au  grand  avantage  de  ma 
santé.  Le  1"  août  courant,  j'ai  présidé  les  solennités  du 
pardon  d'Assise,  au  sanctuaire  de  Sainte-Marie-des-Anges, 

En  général,  je  suis  très  content  de  cette  province  où  je  me 
trouve  depuis  déjà  un  an. 

Je  désire  recevoir  bientôt  une  de  vos  chères  lettres  et  je 
vous  renouvelle,  avec  mon  affection  constante,  etc. 

Térouse,  12  août  1842. 


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LA    PHKLATL'UK    I)i:    LKO.N    \ill. 


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ÂH  frire  Jean-Ba/nlste,   à  Maniza.  —  Voilà  plusicniis 
mois  que  je  n'ai,  ni  Jellres,  ni  nouvelles.  Je  pense  (|u'il  n^y 


SainI  IVaiirois.  sur  l.-i  VUur  «le  hi  CallMMlnilr.  à  A^^i..■. 
l>'.'i|>ri's  Gioviiiiiii  Duprè.; 

(le  niison  à  co  manque  (|i.c  vos  (Kciipaliciis,  bien  que 
Jlles-ci   ne  soient  ni  si   noniliieus..s.    ni    si   conlinuelles 


a  (1 
ce 


LA   llÉI,KGATIO.\    liK   l'KROLSE. 


2!lit 


qu'elles  vous  excusent  de  me  i.iiver  si  longtemps  de  vous 
lire.  Je  n'en  dirai  j.as  de  même  de  moi,  malgré  ma  bonne 
volonté 

Pendant  les  mois  derniers  j'ai  visité  une  grande  partie  de 
cette  vaste  province.  Des  gorges  du  Fossalo,  par  la  route  de 
l'aidiriancse,  je  suis  allé  jusqu'au   lac  Trasimène  et  aux 


Façade  de  SaiMl('-Mai-ic-ilL's-Aii.;t's. 

eonlins  de  la  Toscane.  Ensuite,  nu  mois  de  juin,  j^d  du 
faire  une  cure  d'eau  à  .Noceia,  au  grand  avanlage  de  ma 
sanlé.  Le  J"  août  courant,  j'ai  présidé  les  solennités  du 
pardon  (KAssise,  au  sanctuaire  de  Sainle-Marie-des-Anges. 

En  général,  je  suis  1res  coulent  de  celte  province  où  je  me 
trouve  depuis  déjà  un  an. 

Je  désire  recevoir  I)ientot  une  de  vos  clières  lettres  et  je 
vous  renouvelle,  avec  mon  affection  constante,  etc. 

rérouso,  12  août  184'2. 


^^Qnr^ 


500 


LA    PRÉLATLIU:    DE    LÉON    XIIL 


LXXXVII 

A  la  sœur  Catherine  Lolli,  à  Ferentino,  —  Depuis  long- 
temps, je  désirais  vous  écrire  ;  mîus,  dans  celle  vie  deconli- 
nuelles  affaires  que  je  suis  obligé  de  mener,  il  ne  m'arrive 
presque  jamais  de  pouvoir  réaliser  mes  résolulions  les  meil- 
leures. Ici,  je  ne  reçois  pas  moins  de  trois  courriers  par 
jour,  et  les  paquets  en  sont  ordinairement  si  volumineux 
que  vous  pouvez  bien  compter,  dans  Tespace  d'une  semaine, 
un  millier  environ  de  lettres  reçues  ou  envoyées.  Je  ne  vous 
parle  pas  de  toutes  les  autres  occupations  que  m'impose  ma 
charge;  elles  sont  si  nombreuses,  qu'elles  absorbent  les 
meilleures  heures  du  jour.  Quand  le  travail  cesse,  la  fatigue 
se  fait  sentir;  et  plutôt  que  de  vaquer  à  des  occupations 
nouvelles,  je  ne  sens  plus  que  le  besoin  de  la  tranquillité  el 
du  repos. 

Péroi:sc,  10  srulcmltrt'  I8i2. 


LXXXVllI 

An  frère  Charles,  à  Carpineto,  —  Je  vous  écris  de  Rome 
où  je  suis  arrivé,  lundi  dernier,  appelé  là  par  le  Cardinal 
Secrétaire  d'Etat.  Cette  convocation  a  pour  objet  de  pressentir 
mes  intentions  sur  la  Nonciature  apostolique  de  Belgique, 
la  volonté  de  notre  très  bienfaisant  Souverain  m'ayant  déjà 
destiné  à  ce  poste.  Quelle  impression  a  produite  sur  moi 
celte  nouvelle!  Comme  elle  continue  à  m'émouvoir,  je  suis 
incapable  de  vous  la  traduire. 

Je  me  hâte  de  vous  en  donner  la  notification  officielle, 
pensant  faire  ainsi  chose  qui  vous  sera  agréable,  et  croyani 
que  toute  la  famille  participera  à  la  même  allégresse,  à  l'an- 


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-■*=■►  ■"■«FTçrK- 


LA   DÉLÉGATION   DE   PÉROLSE. 


301 


nonce  d'une  telle  nouvelle.  Oh!  si  seulement  nos  bons 
parents  vivaient  encore  !  Je  ne  peux  y  penser  sans  sentir 


Intérieur  de  Sainle-Marie-dvis-Aiiges. 


intérieurement  se  déchirer  mon  cœur.  Je  vous  attends  à 
Romepour  la  consécration  épiscopale  qui  aura  lieu,  en  février 
prochain.  Elle  sera  faite  par  l'Éminentissime  Lambrus- 
chini.  Le  titre  qui  me  sera  conféré  sera  celui  d'Archevêque 


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LA    l'HKLATniK    \)K    LKON    \HI, 


LWXVII 


LA    DKLKGATION    DE    l'KUOLSK. 


501 


A  la  sœur  Catherine  Lolli,  à  Verentino,  —  Dopiiis  lon^r- 
lemps,  je  désirais  vous  écrire;  mais,  dans  celle  vie  ileconli- 
iiuelles  aiïaires  que  je  suis  ol)li«'é  tie  meuer,  il  ne  m'anivc 
presque  jamais  de  pouvoir  réaliser  mes  résolutions  les  meil- 
leures. Ici,  je  ne  rei;ois  pas  moins  de  Irois  courriers  pai- 
j(Mir,  et  les  pa(|uets  en  sont  ordinairement  si   volumineux 
que  vous  pouvez  bien  compter,  dans  l'espace  d'une  semaine, 
un  millier  environ  de  lettres  reçues  ou  envoyées.  Je  ne  vous 
parle  pas  de  toutes  les  autres  occupations  que  m'impose  ma 
charge;  elles  sont   si  nombreuses,  qu'elles  abscubenl   les 
meilleures  heures  du  joui*.  Ouand  le  travail  cesse,  la  fatiffue 
se  fait  sentir;  et  plutôt  (pie  de  va(juer  à  des  occupations 
nouvelles,  je  ne  sens  plus  que  le  besoin  de  la  trainpiillité  et 
du  l'epos. 


LXXXMII 

Aa  frèrr  Charles,  à  Carpinelo,  —  Je  vous  écris  de  Home 
où  je  suis  arrivé,  lundi  dernier,  a|)pelé  là  par  le  Cardinal 
Secrétaire  d'Etal.  Cette  convocation  a  pour  (dqel  de  pressentii 
mes  intentions  sur  la  Nonciature  apost(di(|ue  de  Helgi(|ue, 
la  volonté  de  notre  très  bienlaisant  Souveiain  m'ayant  déjà 
destiné  à  ce  poste.  Ouelle  impression  a  pioduite  sur  ukm 
celte  nouvelle!  Comme  elle  continue  à  m'émouvoii',  je  suis 
incapable  de  vous  la  traduire. 

Je  me  hâte  de  vous  en  donner  la  n(>tilicalion  olUcielle, 
pensant  l'aire  ainsi  chose  qui  vous  seia  agréable,  el  croyant 
que  toute  la  famille  participera  à  la  même  allégresse,  à  l'an- 


nonce d'une   telle  nouvelle.   Oh!   si   seulement  nos   bons 
paients  vivaient  encore!  Je  ne  peux  y  penser  sans  sentir 


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Inlc'ricur  dr  S.iiiilo-M.ir'n'-d.'j-Aiipps. 


intérieurement  se  déchirer  mon  cœur.  Je  vous  attends  à 
Uome|)Our  la  consécration  épiscopale  qui  aura  lieu,  en  février 
prochain.  Elle  sera  faite  par  l'Eminentissime  Lambrus- 
chini.  Le  litre  qui  me  sera  conféré  sera  celui  d'Archevêque 


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502 


LA  PRÉLATURE   DE   LÉO.N   XIII. 


de  Damielle.  A u  mois  de  mars,  je  partirai  pour  la  Belgi(|ue. 

Faites  à  mon  égard  tout  ce  que  vous  dicteront  vo'lre  cœur 
et  la  solennité  de  la  circonstance. 

Avec  le  désir  de  vous  embrasser  bientôt,  je  me  redis  en 
toute  affection  votre,  etc. 

Rome,  12  janvier  I8i5. 


LA   DÉLÉGATION   UE   PÉROLSE. 


305 


LXXXIX 

  Sou  Eminence  le  cardinal  Btmi,  archevêque  de  Béné- 
venl.  —  L'affection  vraiment  paternelle,  dont  Votre  Emi- 
nence révérendissime  a  daigné  toujours  m'honorei-,  exige 
que  je  vous  fasse  part  de  tous  les  événements  importants  de 
ma  vie.  A  cette  heure,  il  s'en  présente  un  de  très  solennel 
pour  moi,  et  je  me  hâte  de  vous  en  donner  communication. 
Ainsi  que  Voire  Eminence  l'aura  remarqué  en  suscription 
de  celte  lettre,  j'ai  l'honneur  de  vous  écrire  de  Rome.  Appelé 
ici  en  toute  urgence  par  la  volonté  de  notre  Souverain,  je 
m'y  transportai  avant-hier  avec  la  plus  grande  célérité.  Ma 
promotion  nouvelle  à  la  Nonciature  de  Belgique  en  était  la 
cause  et  j'en  devais  prendre  notification  de  notre  bien-aimé 
Pontife.  Ce  poste,  très  estimé  par  les  uns  et  très  redouté  par 
les  autres,  me  donne  à  réfféchir  ;  car  je  connais  ma  faiblesse, 
en  face  de  tant  de  devoirs  auxquels  cette  charge  m'appelle.' 
Aussi  celte  mission  ne  sera  pas  un  effet  de  présomption  de 
ma  part,  mais  seulement  une  preuve  d'obéissance  au  sou- 
verain Pasteur  et  de  soumission  aux  décrets  mystérieux  du 
Ciel. 

^  Mon  séjour  à  Rome  devant  se  prolonger  quelques  mois, 
j'aurai  toute  facilité  pour  adresser  à  Votre  Eminence  d'autres 
lettres  dans  lesquelles  je  me  ferai  un  devoir  de  vous  commu- 


niquer d'autres  r.ojvclles  qui  pourront  avoir  Irjil  à  la  Non- 
cialurj  annoncée. 


n 


Abside  de  Saiiile-Marie-tles-Aiigcs. 

En  attendant,  incliné  pour  le  baisement  de  la   sainte 
pourpre,  avec  le  plus  profond  respect  je  me  confirme,  etc. 

Home,  12  janvic  18  J3. 


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502 


LA   PHKLATURK    DE    LJ{0.\    XMI. 


de  Uamielte.  Au  mois  de  mars,  je  partirai  pour  la  De|oi(jue.... 

Faites  à  mon  égard  tout  ce  que  vous  dicteront  voUe  cœur 
et  la  solennité  de  la  circonstance. 

Avec  le  désir  de  vous  embrasser  bientôt,  je  me  redis  en 
toute  affection  votre,  etc. 

ItoiDO,   12  janvier  18}.". 


LXXXIX 

  Son  Eminence  le  canlinal  Biissi,  archerêqne  dn  Dnir- 
reiit.  —  L'alfeclioii  viaiment  palenielle,  donl  Votre  Emi- 
nence révércndissimo  a  dai-né  lo.ij(.iiis  ni'lioi„„er,  cxi-e 
(|ue  je  vous  fasse  pari  de  U.us  les  évéïienienls  imporlarKs  "u-, 
ma  vie.  A  celle  heure,  il  s'en  présente  un  de  très  solennel 
pour  moi,  et  je  me  hâte  de  vous  en  donner  communication. 
Ainsi  que  Votre  Eminence  l'aura  remarqué  en  suscripliou 
de  celle  lettre,  j'ai  l'honneur  de  vous  écrire  de  Rome.  Appelé 
ici  en  toute  urgence  par  la  v.donté  de  notre  Souveraiu,jc 
m'y  transportai  avant-hier  avec  la  plus  grande  célérité.  Ma 
promotion  nouvelle  à  la  Nonciature  de  Bel-icjue  en  était  la 
cause  et  j'en  devais  prendre  nolilicalion  de  notre  hien-aimé 
Ponlile.  Ce  poste,  liés  estimé  par  les  uns  et  très  redouté  par 
les  autres,  me  donne  à  réiléchir;  car  je  connais  ma  faihlcsse, 
en  hcc  de  tant  de  devoirs  auxquels  celle  charge  m'a|)pelle. 
Aussi  celle  mission  ne  sera  pas  un  ellet  de  présomption  de 
ma  part,  mais  seulement  une  preuve  d'obéissance  au  sou- 
verain Pasteur  et  de  soumission  aux  décrets  mystérieux  du 
Ciel. 

^  Mon  séjour  à  Home  devant  se  prolonger  quelques  mois, 
j'aurai  toute  facilité  pour  adressera  Votre  Émînence  d'autres 
lettres  dans  lesquelles  je  me  ferai  un  devoir  de  vous  commu- 


LA    IIÉMvCAÏlON    I)K    l'KIlOLSK. 


50j 


iiiijuir  d'autres  i.o.ivellei  qui  pourront  avoir  Irait  à  la  No:i- 
cialiir.'  annoncée. 


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Al)si<h'  iW'  Saiiilc-MîJrio-iies-Aiigos. 


En  attendant,  incliné  pour  le  baisement  de  la   sainte 
pourpre,  avec  le  plus  profond  respect  je  me  confirme,  etc. 


Ilonio,  12  janvio"  1813. 


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504 


LA  PRÉLATURE   DE    LÉON    XllI. 


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A  la  Magistrature  de  Pérome.  —  Sa  Béatitude,  ayant 
égard  bien  plus  à  la  générosité  de  son  ame  paternelle  qu'à 
mon  insignifiance,  a  daigné,  dans  sa  bonté,  me  choisir 
comme  Nonce  apostolique  en  Belgique.  Pendant  que  je  me 
prépare  à  obéir  aux  ordres  de  mon  Souverain  vénéré,  je 
m'empresse  d'en  faire  part  à  votre  excellente  Magistraluie 
qui,  m'ayant  donné  des  preuves  éclatantes  de  particulière 
sympathie,  ne  sera  pas,  puis-je  croire,  indiiïérenle  à  cette 
communication  obligée. 

Et  en  l'assurant  que,  malgré  la  distance,  ma  mémoire 
conservera  toujours  le  souvenir  reconnaissant  des  membres 
méritants  qui  la  composent  et  qui,  j'en  ai  l'espoir,  garde- 
ront ce  même  souvenir  dans  leurs  âmes  l)ien  nées,  je  me 
redis  en  particulière  et  alVectueuse  estime,  etc. 

Rome,  12  janvier  184^. 


XCI 

Au  frère  Jean-Bapthte,  à  Maenza.  —  Comme  vous  vous 
en  apercevrez  par  la  date  de  cette  lettre,  c'est  de  Rome  que 
je  vous  écris.  Les  appels  supérieurs  dont  je  vous  parlais  dans 
ma  dernière  lettre  se  sont  renouvelés,  et  j'ai  été  obligé  de 
quitter  Pérouse  en  toute  hâte.  Arrivé  à  Rome,  on  m'a  fait 
part  de  la  volonté  de  mon  Souverain  qui  me  destine  à  la 
nonciature  de  Belgique. 

Qu'en  dites-vous? 

Moi,  je  vous  confesse  que  cette  nouvelle,  encore  que  très 
agréable  et  très  désirée  par  d'autres,  a  mis  mon  âme  dans 


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LA  PRKLATURK    DE    LKON    XIII. 


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À  la  Mmiislvalnre  de  Pérouse,  —  Sa  Dôaliluile,  ayaiil 
é«»ai'il  bien  plus  à  la  générosilé  de  son  aine  paternelle  qu'à 
mon  insigniliance,  a  (lai«j;né,  dans  sa  honlé,  me  choisir 
comme  Nonce  apostolique  en  l)el<»ique.  IVndanl  (juc  je  me 
prépare  à  obéir  aux  oidres  de  mon  Souverain  vénéré,  jr 
m'empresse  d'en  faire  |)arl  à  voire  excellente  Majjiislraluit' 
qni,  m'ayanl  donné  des  |>reuves  éclalanles  de  |)ai'liculière 
svmpalhie,  ne  sera  pas,  |)uis-je  croire,  indilléienle  à  celle 
communication  obligée. 

Et  en  l'assnranl  «pie,  malgré  la  dislauce,  ma  mémoire 
conservera  toujours  le  souvenir  reconnaissant  des  mend^res 
méritants  (pii  la  composent  et  (|ui,  j'en  ai  l'espoir,  garde- 
ront ce  même  sonvenir  dans  leurs  âmes  bien  nées,  je  me 
redis  en  particulière  et  allectueuse  estime,  etc. 

Uomo,  l'i  janvier  18 i'. 


XCl 


Ail  frère  Jean-Bififtiste,  à  Maenza.  — Comme  vous  vous 
en  apercevrez  par  la  date  de  cette  lellre,  c'est  de  Rome  <|ue 
je  vous  écris.  Les  appels  supérieurs  dont  je  vous  parlais  dans 
ma  dernière  lettre  se  sont  renouvelés,  et  j'ai  élé  «ddigé  de 
quitter  Pérouse  en  tonte  hâte.  Arrivé  à  Rome,  on  m'a  lait 
part  de  la  volonté  de  mon  Souverain  cpii  me  destine  à  la 
nonciature  de  Belgi([ue. 

Qu'en  dites-vous? 

Moi,  je  vous  confesse  que  cette  nouvelle,  encore  que  très 
agréal)le  et  très  désirée  par  d'autres,  a  mis  mon  àme  dans 


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LA    PHÉLAtlUE    DE   LÉON   XIII. 


un  grand  embarras  et  je  ne  saurais  vous  exprimer  avec  des 
paroles  l'impression  qu'elle  a  produite  en  moi. 

Je  serai  préconisé  au  Consisloire  du  27  courant,  et  TÉmi- 
nentissime  Lambruschini  me  consacrera  arcbevéque  de 
Damielte,  en  février.  Mon  départ  pour  la  Belgique  aura  lieu 
dans  le  courant  du  mois  de  mars.  Je  vous  attends  à  Uome, 
et  vile. 

Piomo,  I."  janvier  iSi'. 

XCII 

Le  frère  Charles  à  Mgr  Joacliim  PeccI,  à  lioiue.  — 
...  Loin  de  nous  les  funèbres  souvenirs,  et  réllécbissez 
(jue  toutes  les  grandes  joies  ressemblent  aux  grandes  dou- 
leurs. Si  nos  parents  vivaient  encore,  eux  qui  avaient  Tàmc 
si  sensible,  ils  en  auraient  éprouvé  sans  doute  une  commo- 
tion violente  qui  eût  été  nuisible  à  leur  santé. 

Pendant  que  vous  resterez  à  Rome,  lacbez  de  vous  divertir, 
trétre  tranquille  et  gai. 

Carpincio,  le  15  janvier  ISi'. 

XCIII 

Le  frère  Jean-Baplisle  à  M(jr  Jocuhnn  Pecci,  à  Rome,  — 
Nonce  et  archevêque,  voilà  deux  choses  qui,  pour  les 
digérer,  requièrent  un  bon  estomac.  Les  affaires  de  TEglise, 
en  Belgique,  vont  bien,  je  crois.  Pourtant  vous  avez  à 
traiter  avec  un  roi  qui  ne  croit  guère  à  ces  choses'.  J'aime- 

l.  Les  Belges  av;iient  eu  à  choisir  pour  roi  entre  un  jtrotesl:inf,  le  prinen 
Léopoltl  (le  Siixe-Cobourg-(iolha,  et  un  catholique  le  duc  de  Nemours,  [ils  de 
Louis-Philippo.  A  une  voix  de  majorité,  celui-ci  fui  élu;  mais  le  roi  de  France, 
n'ayant  pas  obtenu  poui'  son  fus  Tunanimité  des  sudrages,  crut  devoir  refuser 
pour  le  duc  de  Nemours  le  trône  de  Belgique  qui  échut  ainsi  au  prince  Léopold. 


LA   DÉLÉGATION   DE    PÊUOUSE. 


►07 


rais    assister  à  votre  consécration.  Si  elle  avait  lieu  dans 

Téglise  des  Stigmates,  je  crois  que  les  ossements  de  notre 

mère  et  ceux  de  Mgr  notre  oncle  tressailliraient  de  joie, 
dans  leur  glaciale  immobilité.     . 

Macnza,  le  10  janvier  184!>. 


XCIV 

Le  cardinal  Rasai,  archevêqae  de  Rénécent,  à  Mgr  Joa- 
chim  Pecci,  —  I/affection  que  je  porte  à  Votre  Seigneurie 


'       I^  Via  délia  Conca,  à  Pérouse. 

Illustrissime  et  Bévérendissime  me  faisait  désirer  de  vos 
nouvelles,  et  je  regrettais  de  n*en  pas  avoir  depuis  long- 
temps. Imaginez-vous  avec  quelle  satisfaction  j'ai  reçu  votre 
lettre  du  12  courant,  par  laquelle  vous  me  faites  part  de  la 
nouvelle  preuve  dont  vous  honore  la  Clémence  Souveraine, 
en  vous  destinant  à  la  Nonciature  Apostolique  du  royaume 
belge. 


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LA    ri{KLVTli;K    l)K    LKON    XIII. 


un  grniul  embnrras  ol  jr  ne  saurais  vous  exprim»'!-  avec  «les 
paroles  rinijnession  (|u'elle  a  pi'otluile  eu  moi. 

Je  serai  préconisé  au  Cousisloire  du  il  couraul,  cl  l'Huii- 
uenlissime  Lanihruscliini  me  eonsacreia  ai'clH'\é<|uo  do 
Damielle,  en  février.  Mon  dépait  pour  la  lîoliiique  aura  lieu 
dans  le  couranl  du  mois  de  mars.  Je  vous  allends  à  Home, 
et  vite. 

lîonio.   1."  janvier  ISi"». 

XCII 

Le  frètr  (Jlittrlrs  à  M(jr  Joachha  Peccl,  à  llmîc.  — 
...  Loin  de  nous  les  lunMu'es  souvenirs,  ot  réiléchissez 
([ue  toutes  les  giandes  joies  ressemldent  aux  i»randes  dou- 
leurs. Si  nos  parents  vivaient  eneoi'e,  eux  qui  avaient  l'àmc 
si  sensible,  ils  en  auraiont  é|)rouvé  sans  doulo  une  eommi»- 
lion  violente  (|ui  eut  été  iiuisilde  à  leur  santé. 

Pendant  que  vous  resterez  à  Home,  tachez  de  vou^  divertir, 
d'être  tranquille  (H  uai. 

C:ujiiiic|m,  |(;  là  jainicr  ISi.". 

XCill 

Lr  fri'ir  Jran-lhiithslr  â  }f(jr  Juarlfini  Prni,  à  Vvnnr.  — 
INonce  et  archevêque,  vcnlà  deux  choses  (jui,  pour  les 
di<^érer,  lecjuii'rent  un  hini  olomac.  Les  allaires  di'  rKiilise, 
en  r)el,ni(iue,  vont  hien,  je  crois.  Pourtant  vou*<  avez  à 
Irailei'  avec  un  Vi)\  qui  ne  cioit  ^ui'ie  à  ces  choses'.  J'aime- 

I.  L»'s  l»cl^f('s  ;iv;ii('iil  en  ;*(  clioi^ir  pu:ii'  roi  ciilic  liii  |Hol('vl;iiil,  je  pi  iiiri' 
Lùopold  (le  S;i\('-C(tliour^-(lolJi;i,  cl  un  cMllioliiiin'  !«'  duc  yW  Nt'nnuii'<,  fils  (!«' 
L(Miis-IMiili|i|to.  .V  mir  v«»ix  de  ni;ij(tiil(''.  (('Iiii-ci  fut  ('lu;  mais  le  loi  «le  Kraiirt'. 
n'ayaul  pas  (>l»t«'?m  jmuii-  snii  lils  i'mianimilt'  des  snlïia^»'-;,  criil  devoir  leriiser 
|»owr  le  due  de  .Neniouis  le  Uôiie  de  llel^i([ue  (|iii  écliiil  iiiii^i  an  («i  itiee  Léopold. 


LA    I>KLK(;ATI0N    de    VKllOLSK. 


►07 


rais    assister  à  votre  consécration.  Si  elle  avait  lieu  dans 

réalise  des  S'ijiuiates,  je  crois  (|ue  les  ossements  de  notre 

mère  et  ceux  de  M^ii*  notre   oncle  tressailliraient  de  joie, 
dans  leur  glaciale  immobilité. 

Mncn/a,  \o  I(i  janvier  18i". 

XCIY 

Le  rardliKfl  llnssi,  arclœrème  de  hènévenl,  à  Myr  Joa- 
ch'nn   l^ecxi .  —  L'aiïivtion  que  je  poite  à  A'otre  Seigneurie 


l,a  Via  délia  Conta,  à  l'éronse. 

usirissime  et  Piévércndissime  me  faisait  désirer  de  vos 
nouvelles,  et  je  regrettais  de  n'en  j)as  avoir  depuis  long- 
temps. Imaginez-vous  avec  (|uelle  satisfaction  j'ai  reçu  votre 
lettre  du  h2  courant,  j)ar  lacjuelle  vous  me  faites  part  de  la 
nouvidle  preuve  dont  vous  honore  la  Clémence  Souveraine, 
c;n  vous  destinant  à  la  Nonciature  Apostolique  du  loyaume 
Ix'lge. 


'/m»mm 


508 


LA    l'RÉLATURE   I)K    LÉO>    Mil. 


La  prévoyance  du  Gouvernement  Pontifical  répond  ainsi  a 
la  satisfaction  {:é:iérale  de  tous  cenx  qui  ont  pu  connaître 
vos  excellentes  qualités,  votre  talent,  votre  prudence,  dans 
le  maniement  des  affaires.  Je  m'en  félicile  de  plus  en  plus, 
et  je  vous  sonliaite  des  hasards  meilleurs  encore  et  de  pins 
hautes  ascensions,  pour  le  hicn  de  rÉglise. 

Vous  trouverez  à  Bruxelles,  si  on  y  a  conservé  les  anciens 
papiers  de  la  Nonciature,  les  mémoires  du  cardinal  J.  Balt. 
Bussi,  mon  ancélFC  qui,  au  commencement  du  dernier  siècle, 
fut  envoyé  Nonce  apostolique  ad  tracium  Uheni,  selon  l'ex- 
pression usitée  en  ce  temps-là  par  le  Saint-Siège.  Je  ne  sais 
aujourd'hui  quels  sont  les  termes  en  vi^îneur.  Mais  je  ne 
doute  pas  que  votre  zèle  mettra  tout  en  œuvre,  pour  la  plus 
grande  gloire  de  la  religion  catholique  et  pour  le  lustre  du 
Saint-Siège  en  celle  contrée. 

Je  vous  prie  de  ne  pas  ouhlier  dans  vos  prières  ce  véri- 
table serviteur  et  cet  ami  affectionné  que  vous  avez  en  moi 
et  que  vous  pourrez  honorer  encore  de  vos  commissions, 
malgré  d'aussi  lointaines  distances. 

Je  me  confirme,  de  Votre  Seigneurie  Illustrissime  et  Révé- 
rendissime,  etc. 

Bt'iu'vcnf,  18  janvier  1843. 


xcv 


M(jr  Joachim  Pecci  à  son  Exe.  Mgr  Fornari,  nonce  à 
Bruxelle.^.  —  Vous  savez  déjà,  mon  cher  Seigneur,  que 
Sa  Béatitude,  par  une  excessive  bonté,  a  daigné  m'appeler  à 
votre  succession  dans  cette  Nonciature  apostolique.  Si,  de 
mon  côté,  je  suis  heureux  de  ce  choix  qui  m'honore,  je  le 
suis  forcément  davantage  en  pensant  que  le  dignitaire  que 


LA   DÉLÉGATION    DE    PÉROLSE. 


509 


j(î  vais  remplacer  dans  sa  noble  charge  m'est,  depuis  long- 
temps, uni  par  les  liens  de  l'amitié.  Je  ne  peux  pas  douter 
de  cette  amitié,  surtout  à  l'heure  où  elle  me  permet  de 
compter  sur  vos  utiles  conseils  et  vos  lumières  nécessaires 
(jui  me  serviront  de  guide  dans  la  difficile  carrière  où  je 
m'achemine.  J'es- 
père bien ,  mon 
cher  Seigneur,  que 
non  seulement 
vous  aurez  prévu 
la  prière  que  je 
viens  vous  faire 
par  cette  lettre  et 
par  les  autres  que 
je  vous  adresserai 
dans  la  suite,  mais 
encore  que  vous 
serez  tout  disposé 
à  y  répondre.... 

Ce  sera  un  plai- 
sir bien  doux  et 
bien  cher  pour 
moi  de  vous  em- 


La  porte  de  Cambio. 


brasser  encore  et  de  renouer  ensemble  les  choses  pré- 
sentes aux  souvenirs  passés.  Mes  désirs  précipitent  le 
jour  où  j'aurai  la  fortune  de  vous  revoir  à  Bruxelles, 
bien  que  je  sache  que  j'y  jouirai  peu  de  temps  de  votre 
compagnie.  Vous  êtes,  de  votre  côté,  sollicité  vers  Paris;  et 
je  vous  ai  complimenté  de  la  nonciature  qui  vous  attend 
dans  cette  ville,  par  une  lettre  précédente  que  je  vous 
écrivis  quand  j'ignorais  encore  mon  propre  sort.  J'espère 
qu'avec  vos  lettres  vous  allez  me  rendre  ce  retard  moins 


r 


„^i* 


..^f^i^iéM-fc^S^ 


r>u8 


LA    PKÉLATIHE    DK    LKO.N    Mil. 


La  prévoyance  du  (jouvernoiiieiit  Puiitifical  rq^md  ain^l  à 
la  salisl'aclion  «.é.irrale  iK'  loiis  ceux  qui  nul  pu  counaîln' 
vos  cxLMîllciiles  qualités,  voire  lalcnU  voliv  prudoiuc,  dans 
le  nianicnicnt  dos  alTaiios.  Je  m'iMi  félicile  de  plus  en  plus, 
et  je  vous  souliaile  des  hasards  meilleurs  encore  el  de  plus 
hautes  ascensions,  poui'  le  hien  de  TKjilise. 

A'mis  trouverez  à  lîruxeHes,  si  on  v  a  conservé  les  anciens 
papieis  de  la  Nonciatuie,  les  mémoires  du  cardinal  J.  I^nlt. 
lîussi,  mon  ancêtre  qui,  au  commencement  du  dernier  siècle, 
fut  envoyé  Nonce  aposl(di(|ue  (/^/ //7/c//n//  Ulirnl,  selon  1  ex- 
piession  usitée  en  ce  temps-là  pai'  le  Sainl-Sièi^e.  Je  ne  sais 
aujourd'hui  quels  sont  les  teinies  en  vigueur.  Mais  je  ne 
doute  pas  (jue  votre  zîde  mettra  tout  en  uMivie,  \nnii  la  plus 
friande  lihdre  de  la  lelij^ion  catlndique  et  pour  le  lustre  du 
Sainl-Sièue  en  cette  contrée. 

Je  vous  ])rie  de  ne  pas  ouldier  dans  vos  prières  ce  véri- 
tahle  sei'viteur  et  (ct  ami  alTectionné  que  vous  avez  en  moi 
et  que  vous  pourrez  honorer  encore  de  vos  commissi«»ns, 
malgré  d'aussi  lointaines  distances. 

Je  nn'  c(uilii"me,  de  Votre  Seigneurie  Illustrissime  et  Révé- 
rendissime,  etc. 

Hi'urvcnl,    18  jnrivioi-  iSiî. 


xcv 

M(/r  Joachlm  Pecci  à  son  Exe.  Mijr  Fonutri,  nonce  à 
Bruxelles.  —  Vous  savez  déjà,  mon  cher  Seigneui',  (jue 
Sa  Béatitude,  par  une  excessive  lunité,  a  daigné  m'a|)peler  à 
votre  succession  <lans  cette  Nonciature  a])ostoli(|ue.  Si,  de 
mon  coté,  je  suis  heureux  de  ce  choix  qui  m'honoie,  je  le 
suis  forcément  davantage  en  pensant  que  le  dignitaire  que 


LA    hKLKGATiON    DE    l»KH(MSE. 


:m 


j<;  vais  remplacer  ilans  sa  n(d)le  charge  m'est,  de[)uis  long- 
temps, uni  par  les  liens  de  l'amitié.  Je  ne  peux  pas  douter 
de  celle  amitié,  surtout  à  riieure  où  elle  me  permet  de 
com|)ler  sur  vos  utiles  conseils  et  vos  lumières  nécessaires 
qui  me  serviront  de  guide  dans  la  diflicile  carrière  où  je 
m'achemine.  J'es- 
père hien,  iikhi 
cher  Seigneuj-,  que 
non  seulement 
vous  aurez  prévu 
la  prière  que  je 
viens  vous  faire 
par  cette  lettre  et 
par  les  autres  (pie 
je  vous  adresserai 
dans  la  suile,  mais 
enc(ue  (pie  vous 
serez  tout  disposé 
à  y  rép(uidre.... 

Ce  sera  un  plai- 
sir hien  doux  et 
hien  cher  pour 
moi  (le  vous  em- 
hrasscr  encore  et  de  renouer  ensemhle  les  choses  pré- 
sentes aux  souvenirs  pass(''s.  Mes  désirs  précipitent  le 
jour  où  j'aurai  la  fortune  de  vous  revoir  à  Bruxelles, 
hien  (jue  je  sache  (pie  j'y  jouirai  j)eu  de  lemps  de  votre 
compagnie.  Vous  êtes,  de  votre  cùié,  sollicité  vers  Paris;  et 
je  vous  ai  complimenté  de  la  nonciature  qui  vous  attend 
dans  cette  ville,  par  une  hUtre  piécédenle  que  je  vous 
écrivis  quand  j'igiKu-ais  encore  mon  propre  sort.  J'espère 
(pi'avec  vos  lettres  vous  allez  me  rendre  ce  retard  moins 


La  |>(M'l<'  (ic  Cainliio. 


mm  I  l'i  I  »'ji«»._..jBu  jn.w.m 


■«W""«^»^P«w*»" 


510 


LA    PRÉLATURK   DE   LKON    XIII. 


pénible.  En  attendant  de  les  lire,  je  nie  redis,   en  toute 
estime  et  amitié,  etc. 

Rome,  14  janvier  1843. 


XCVI 

Mgr  Fornari  à  son  Exe.  M(jr  PeccI,  à  Rome.  —  Je  ne 
sais  comment  vous  exprimer  la  joie  vive  et  la  vraie  allé- 
gresse que  j*ai  éprouvées,   ce   matin,   en   recevant  votre 
aimable  lettre  de  Rome,  en  date  du  14  courant.  Je  ne  vous 
dirai  rien  du  récit  que  vous  me  faites,  sur  vos  affaires  el 
votre  position;  car,  ce  matin  même,  j*ai  reçu  une  dépécbe 
de  S.  E.  le  Secrétaire  d'Élat,  me  disant  que  le  Saint-Père 
s'est  définitivement  résolu  à  vous  nommer  Nonce  aposto- 
lique auprès  de  S.  M.  le  Uoi  des  Belges;  nouvelle  (jui,  ainsi 
que  j'ai  répondu  à  Son  Eminence,  m'a  rempli  Tàme  d'une 
suave  jocontlilé.  Mon  cher  Seigneur,  il  ne  pouvait  èlre  fait 
lin  meilleur  choix  que  celui  qu'a  fait  le  Saint-Père  en  votre 
personne;  et,  aujourd'hui  même,  je  me  charge  de  porter 
celte  heureuse  nouvelle  a  la  connaissance  de  M.  le  Ministre 
des  Affaires  Etrangères  qui,  j'en  suis  sur,  exultera  de  joie 
quand  il  saura  par  ma  bouche  les  qualités  supéiieures  qui 
vous  distinguent.  Ecviral  mon  cher  Seigneur.  C'est  Dieu 
qui  vous  choisit  pour  que  vous  fassiez  du  bien  dans  ce 
pays.  Et  vous  en  ferez  beaucoup,  et  vous  suppléerez  à  celui 
que  je  n'ai  pu  y  opérer,  et  vous  remédierez  aussi  au  mal 
que  ]\  aurai  pu  commettre.  Vous  en  avez  tous  les  moyens 
et,  le  plus  nécessaire  de  tous,  la  vertu  qui  malheureuse- 
ment me  fait  défaut.  Croyez  bien  que  ce  que  je  vous  ai 
dit,  je  le  pense  sincèrement  et  qu'en  apprenant  le  choix 
dont  vous  êtes  le  sujet,  je  n'ai  pu  m'enqiècher  de   m'é- 
crier  : 


A 


XA    DÉLÉGATION   DE   PEROLSE. 


511 


—  Béni  soit  Dieu,  qui  protège  les  Belges! 

Pour  aujourd'hui,  je  ne  vous  ennuierai  pas  davantage;  et 
je  termine  en  me  recommandant  à  vos  prières  et  en  me 
confirmant,  de  tout  mon  cœur,  etc. 

RruxcUe?,  25  janvier  184". 


XCVII 

Mgr  Joacltim  Peccl  à  son  frère  Jean-Baptiste,  à  Maenza. 
—  ...  Comme  il  me  serait  agréable  de  célébrer  moi- 
même  votre  mariage  !  Ayant  à  m'éloigner  de  la  famille,  qui 
sait  pour  combien  d'années,  je  partirais  plus  content. 
Assurément,  il  ne  vous  déplairait  pas,  non  plus,  de  profiler 
de  cette  occasion.  Faites  donc  pour  moi  le  plus  que  vous 
pourrez,  et  je  vous  en  serai  reconnaissant*. 

Les  dépenses  pour  ma  nomination  à  l'Archiépiscopat  et  à 
la  Nonciature  ne  seront  certainement  pas  petites —  Per- 
mellez-moi  de  vous  allendre  pour  les  premiers  jours  de 
février.  La  consécration  n'aura  pas  lieu,  puis-je  croire, 
avant  le  10  du  mois  prochain.  Pour  ne  pas  me  manquer  à 
moi-même  dans  le  nouveau  poste  diplomatique  et  dans  la 
nouvelle  mission  qui  me  sont  confiés,  j'ai  grand  besoin  de 
l'aide  du  Seigneur  à  qui  il  faut  d'abord  promptement  obéir. 
Je  me  confie  uniquement  en  son  assistance. 

Je  vous  embrasse  et  je  reste,  en  toute  cordialité,  votre 
frère  bien  affectueux,  etc. 

Rome,  17  janvier  1843. 

1 .  Mgr  IVcci  désirait  marier  son  frère  avec  une  charmante  jeune  pei'sonnc 
d'Anagni,  nièce  du  cardinal  Delli. 


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*       * 


LA    PRKLATinK    DE    LKON    \IP, 


XCYllI 


Au  frère  Charles,  à  Carpineto,  —  Je  vous  remercie  de  la 
|)rom[)liliuIe  avec  laquelle  vous  m'avez  remis  les  deux 
extrails  de  bapleme  et  de  confirmation.  Il  avait  été  impos- 
sible de  les  retrouver  aux  archives  du  vicariat  de  Rome, 
bien  qu'ils  y  aient  été  présentés  déjà  deux  fois  pour  les 
Ordres  Mineurs  et  pour  la  Préirise. 

Au  sujet  du  secrétaire  que  vous  me  proposez,  je  n'ai 
aucune  exceplion  à  faire  et  je  retiens  pour  ferme  que  cette 
personne  devra  être  des  mieux  choisies.  Vous  conviendrez 
cependant  avec  moi  que,  pour  un  choix  pareil,  il  faut  aller 
jnano;  d'autant  mieux  qu'en  exigeant  de  ce  sujet  une 
connaissance  approfondie  des  disciplines  ecclésiastiques, 
il  faudra  lui  demander  beaucoup  d'autres  qualités  même 
extérieures,  et  autant  que  possible  l'usage  de  la  langue 
française.  Je  ne  vous  cacherai  pas  que  j'ai  en  vue  une  autre 
personne,  qui  me  semble  réunir  toutes  ces  qualités.  C'est 
un  prêtre  auquel,  depuis  quinze  ans,  je  porte  une  grande 
affection.  Au  reste,  il  est  bon  d'en  avoir  plusieurs  en  vue, 
afin  de  choisir  le  meilleur.  Aux  noms  déjà  proposés  nous 
joindrons  celui  de  l'abbé  Roberti,  votre  protégé. 

Saluez  de  ma  part  ma  sœur  Anne-Marie  et  tous  les 
nôtres.  Je  vous  embrasse  de  tout  cœur  et  je  vous  prie  de 
me  croire  en  toute  affection  \otre,  etc. 

Rome,  22  janvier  1843. 

XCIX   • 

La  Rév.  Mère  Thérèse  Cherubina  de  Jésm,  abbesse  de 
Cori,  à  Mgr  Joachim  Pecci.  à  Rome.  —  Je  me  réjouis  avec 


en 

3 
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l\    VWÎAAÏWW:    DK    LKON    \  !  | '. 


XliViil 

.J/<  fràr  Charles,  à  Cnr/iineto.  —  J^  vous  romiMcic  de  In 
(M'oin|>li(ii(le  avoc  IjHjiiclh'  vous  in'nvez  roinis  les  deux 
cxIrjMls  (Ir  Implèino  el  de  couliinialiiui.  Il  avnil  élé  im|M>s- 
silde  de  les  reliouvei*  aux  arehives  du  vicariat  de  llouie, 
hieu  qu'ils  y  aioul  «''lé  jU(''S('ul(''s  déjà  «loux  lois  imur  le-* 
(h'dies  Mineuis  el  pour  la  Prèlrise. 

Au  sujet  du  seerélaire  que  vous  ino  pnq)(»sez,  je  u'ai 
aucuue  exeepliou  à  l'aiie  el  je  relieus  \h)uv  l'ei me  que  cette 
persouue  devra  èlie  des  uiieux  choisies.  Vous  couvieudre/. 
cepeiulaut  avec  moi  (|ue,  pour  iiu  choix  pareil,  il  i'aul  aller 
jiHinax  d  aulaut  mieux  «ju'eu  exijicant  de  ce  sujet  uue 
couuaissauce  appridoiidie  des  disciplines  ecclésiasli(|ues, 
il  faudra  lui  demaudei'  heaucou|>  d'aulres  qualilés  mémo 
exlérieurc-^,  et  aulaut  que  |iossihle  l'usage  de  la  lan«:ue 
française.  Je  ne  vous  cacheiai  pas  rpie  j'ai  en  vue  une  aulre 
personne,  qui  me  semhie  réunir  loules  ces  qualilés.  C'e>l 
un  prêtre  auquel,  depuis  (piinze  ans,  je  porle  une  «grande 
alfectijui.  Au  resle,  il  esl  Ikui  d'en  avoii'  plusieurs  en  \\\i\ 
afin  de  choisir  le  meilleur.  Aux  noms  déjà  proposés  nous 
joindrons  celui  de  Tahhé  lîoherli,  votre  prolé^é. 

Saluez  de  ma  part  ma  sieur  Anne-Maiie  et  tous  les 
maires,  .le  vous  emhrasse  de  loul  co-ui'  el  je  vous  prie  de 
me  croire  iMi  lonlc  affection  votre,  elc. 

Home.  2*2  janvier  18  5". 


XCiX   • 

La    I\h\   Mère   Thèrhe  CherKhinn  de  Jésus^  abbesac  de 
Cori,  à  Mgr  Joachhn  Pecti.  à  liomr.  —  .le  me  réjouis  avec 


il 


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r>i4 


LA   PRÉLATURK    DE   LÉON    XIII. 


VOUS  de  votre  élévation  a  la  dignité  d'archevêque  de 
Ijamielle  et  de  nonce  en  Belgique.  Celte  nouvelle  m'a  causé 
une  vraie  consolation.  Combien  de  grâces  fait  pleuvoir  le 
Seigneur  sur  votre  personne!  Que  de  bienfaits!  Plus  les 
bienfaits  de  Dieu  sont  grands,  plus  grande  aussi  doit  être 
votre  reconnaissance  envers  lui.  Rapportez  donc  tous  ces 
honneurs  à  lui,  car  à  lui  seul  est  due  toute  gloire.  Sans  son 
secours,  nous  ne  pouvons  rien.  Et  que  sommes-nous  en  sa 
présence?  Ne  tirez  pas  vanité  des  honneurs  de  ce  monde; 
ils  s'évanouissent  comme  de  la  fumée,  et  vous  en  êtes 
bien  persuadé.  Agissez  en  toute  chose  avec  une  intention 
droite  et  pour  la  gloire  de  Dieu.  Aimez-le,  servez-le  de 
grand  cœur,  parce  qu'il  le  mérite  et  aussi  parce  que  c'est 
votre  intérêt  personnel,  et  qu'ainsi  vous  vous  amasserez  un 
beau  capital  pour  la  vie  éternelle.  Excusez  ces  quelques 
mots  que  je  vous  écris,  tels  que  me  les  dicte  le  sentiment 
du  bien  que  je  vous  veux.  Aussi  longtemps  que  le  Sei- 
gneur me  conservera  dans  ce  monde,  je  ne  manquerai  pas 
un  seul  jour  de  vous  recommander  à  lui.  Faites  de  même,  à 
mon  égard;  et  quebjuefois  écrivez-moi.  J'ai  plaisir  à  vous 

lire. 

Je  vous  salue  bien  chèrement  et,  avec  atTection  je  me 
redis  voire  bien  afTectueuse  et  bien  dévouée  tante 

M.  Thérèse  Chéri  bina  de  Jksus  Sac,  abbesse. 

Cori,  2r»  janvier  184'. 


LA   DÉLÉGATION    DE    PÉROl'SE. 


515 


aussi,  je  suis  mandé  ailleurs;  et  vous  le  savez  déjà,  puisque 
voilà  rendue  publi(|ue  ma  nomination  à  la  Nonciature  Apos- 


J\} 


Mijr  Joachim  Pecci  à  Mgr  Jérôme  (T Andréa,  Nonce  Apos- 
ioUqne  à  Lucerne,  —  Désormais,  de  vos  montagnes,  vous 
ne  m'envierez  plus  l'azur  de  notre  ciel  riant.  Voilà  que,  moi 


luU-ritMir  du  Duomo  de  Pûrousc. 


lolique  du  Royaume  Belge.  Ainsi  bientol,  en  soupirant, 
(lirai-je  adieu  à  Rome  et  au  ciel  italien,  pour  me  rendre  où 
m'envoie  la  généreuse  bénignité  de  notre  commun  Père  et 


•i'vr 


'6 


'14 


LA    PRÉLATlRt:    l)K    LÉON    Mil. 


vous  ele  votre  élcvalion  h  la  tlignilr  <rairliev(M|m'  (1<^ 
Jjamii'tle  el  de  nonce  en  Uel^^iijue.  Celle  nnnvclle  m'a  eaiisi' 
unr  vraie  consolaîion.  Combien  de  jj^races  fait  plenvoir  le 
Seij^nenr  sur  voire  personne!  Que  de  hienCails!  Plus  les 
hienfails  de  Dieu  sont  grands,  plus  grande  aussi  doit  ètie 
votre  reconnaissance  envers  lui.  lîapportez  donc  tous  ces 
honneurs  à  lui,  car  à  lui  seul  est  due  t(Mile  l'hure.  Sans  son 
st'Cour>,  nous  ne  pouvons  rien.  Kt  (|ue  >onunes-nous  en  sa 
pré>ence?  Xe  tirez  j)as  vanilc  des  honneurs  de  ce  monde; 
il>  s'rvanouissent  comme  de  la  fumée,  el  vous  en  êtes 
hleii  |K'rsuadé.  Ajiissez  en  loule  chose  avec  une  inlenlion 
droile  et  pour  la  «gloire  de  Dieu.  Aimez-le,  servez-le  ch' 
|:rand  canir,  parce  ([u'il  le  méiite  et  aussi  paice  (jue  c\>l 
votre  intérêt  personnel,  et  «[u'ainsi  vous  vous  amasserez  un 
beau  capital  pour  la  vie  éternelle.  Excusez  ces  (jueh[ucs 
mois  (pie  je  vous  écris,  tels  (|ue  me  les  dicte  le  senlimcnl 
du  hien  (pu^  je  vous  veux.  Aussi  lonjitemps  ([ue  le  Sei- 
i:!icui'  me  conservera  dans  ce  monde,  je  ne  man(|uerai  pa^ 
un  M'ul  jour  de  vous  recommander  à  lui.  Tailes  de  même,  à 
uKMi  éiiard:  el  (piehpiefois  écrivez-moi.  J*ai  plaisir  à  vous 

lire. 

Je  NOUS  salue   hien  chèremenl   e(,   avec   afTeclimi  je  me 
ivdi>  voire  hien  alVecUuMise  el  hien  dév(Uiée  lanle 

M.  TuKUÈsE  CiiKiu  niNA  i)K  Jksis  Sac,  ahhcssc. 

(lori,  2."  jauvior  IS4'. 


M^jr  Joachim  Pecri  à  M<jr  Jcrônie  d' Andréa,  I\onn*  Àpos- 
tidhpii*  à  Lucernr.  —  Désormais,  de  vos  monlaune>,  vous 
ne  m'envierez  plus  l'azur  de  notre  ciel  riant.  Voilà  <pie,  moi 


LA    IH-LKCATKLN    DE    I^LIIOISK. 


7)  I  r» 


au»i,  je  suis  mandé  ailh'urs;  et  vous  le  savez  déjà,  puisque 
Voilà  l'enduc  puhli(pie  ma  nominati(m  à  la  Nonciature  x\pos- 


Inlrrit'iii'  du   Duoîho  «le   l'ri'<»usi' 


.     Il 


loli(pie  du  Iioyaume  Del^^e.  Ainsi  hienlô!,  en  smipiranl, 
dirai-je  adicMi  à  Dôme  et  au  ciel  italien,  pour  me  rendre  oii 
m'envoie  la  «généreuse  hénignilé  de  noln^  commun  Dère  et 


'    I, 


fffmmmm''wm*fi 


ïpîïfii^fi*^n9 


NP»fr 


■a«,iji 


51U 


LA   PRÉLATLRE   DE   LÉON    XIH. 


Souverain.  Devanl  cet  ordre  bienfaisant,  inattendu,  ines- 
péré, j'ai  dii  m'incliner  avec  d'autant  plus  de  reconnais- 
sance que  je  connaissais  davantage  mon  indignité  à  remplir 
un  tel  ministère.  Me  voilà  donc  votre  confrère,  dans  Tarènc 
glorieuse  de  notre  religion.  Mais  quelles  sont  mes  espé- 
rances, et  quelles  sont  les  forces  qui  me  permettront  de  les 
réaliser?  Mieux  vaut  ne  pas  penser  à  cette  chose  qui  me 
trouble,  et  croire  que  Celui  qui  a  commencé  l'œuvre 
daignera  l'accomplir.  Je  n'ai  à  espérer  qu'en  Lui. 

Même  en  épiscopat,  je  me  trouve  au  voisinage  de  l'excel- 
lent Sinibaldi;  car  il  est  patriarche  de  Constanlinople,  et  je 
suis  évêque  de  Damiette.  Mais,  malgré  ce  voisinage  de  nos 
deux  diocèses,  il  ne  viendra  pas  vers  moi,  et  je  n'irai  pas 

vers  lui. 

Je  saluerai  pour  vous,  à  Bruxelles,  mon  prédécesseur  et 
notre  commun  maître,  Mgr  Fornari,  que  je  reverrai  avec  le 
plus  sensible  plaisir  et  non  sans  grande  utilité  |)our  moi  ; 
car  je  me  promets  bien  de  demander  à  sa  sagesse  et  à  son 
expérience  de  profitables  avis. 

J'espère  que  vous  ne  me  laisserez  pas  longtemps  privé  de 
vos  lettres,  quand  je  serai  en  possession  de  mon  poste.  Loiji 
des  miens,  de  mes  amis,  je  serais  bien  à  plaindre  si  je 
n'avais  plus  de  leurs  nouvelles.  Les  lettres  les  plus  cordiales 
qu'en  cette  circonstance  j'ai  reçues  des  bons  et,  comme 
vous  dites,  cultivés  Pérousiens,  m'ont  grandement  consolé 
du  regret  de  me  séparer  d'eux. 

Conservez-moi  encore  votre  précieuse  amitié  et  croyez  aux 
sentiments  vraiment  distingués  de  votre  tout  dévoué  et 
affectionné,  etc. 


Rome,  20  janvier  18Î5. 


-^. 


.L.\    DÉLÉGATION    DE   I^ÉROISE. 


317 


CI 


Le  comte  Charles  Pecci  à  Mgr  Joachim  Pecci,  à  Rome. 
—  Nous  avons  bien  reçu  votre  diplôme  de  nomination  à 
l'église  métropolitaine  de  Damiette.  Il  sera  classé  dans  nos 
archives,  avec  les  autres  papiers  et  documents  qui  vous 
honorent.  Qui  aurait  cru,  il  y  a  trois  ans,  que  vous  occu- 
periez un  jour  le  siège  épiscopal  de  Mgr  Sinibaldi  dont  nous 
parlions  ici  chaque  jour?  En  apprenant  cette  nouvelle,  je 
me  suis  d'abord  imaginé  que  Mgr  Sinibaldi  était  passé  de 
vie  à  trépas  et  que  le  gazetier  avait  oublié  de  l'annoncer 
dans  ses  Ephémérides.  Mais  aujourd'hui  je  suis  heureux 
d'apprendre  que  Mgr  Sinibaldi  est  non  seulement  bien 
vivant,  mais  encore  qu'il  est  devenu  patriarche  de  Constan- 
tinople. 

Souffrez  aussi  que  je  hasarde  une  réflexion  sur  tous  ces 
lieux  où  vous  avez  été  et  oii  vous  allez  être  encore  appelé  à 
siéger.  Les  plus  célèbres  faits  d'armes  s'y  rattachent  hislo- 
ri(iuement.  Bénévent  est  fameux  pour  la  grande  déroule 
que  les  Romains  essuyèrent  aux  Fourches  Caudines; 
Pérouse,  pour  la  défaite  des  mêmes  Romains  au  lac 
Trasimène;  Bruxelles,  pour  la  terrible  bataille  de  Waterloo 
où  se  décidèrent  les  destinées  de  l'Europe;  Damiette  enfin, 
l'ancienne  Héliopolis,  pour  le  siège  qu'en  firent  les  Croisés 
et  qui  remplit  d'une  immense  joie  la  chrétienté  tout 
entière,  là  même  où  se  trouva  saint  François  d'Assise  qui 
eut  le  courage  de  prêcher  la  foi  devant  Saladin.  Siège  pour 
sièges,  attendu  toutes  ces  circonstances,  vous  n'aviez  pas 
peu  à  vous  réjouir  et  à  vous  faire  courage. 

Je  finis  en  vous  saluant,  en  même  temps  que  l'oncle 
Antoine  et  toute  la  maison  Muti,  et  en  vous  priant  de  me 


.--I 


7,18 


LA    PRÉLATLIIE   DE    LÉON    Mil. 


LA    DÉLÉGATION    DE    PÉROUSE. 


519 


croire   toujours  en  sincère  amilié,  volrc  frère  Lien  affec- 
tueux, 

Carjtinclo,  28  janvier  1843. 

Cil 

Mgr  Jérôme  d' Andréa,  à  M(jr  Joachim  Pecci,  à  Rome. 
—  Ainsi,  pour  vous  faire  prendre  la  plume,  il  n'a  fallu 
lien  moins  que  voire  nomination  à  la  Nonciature  de 
Belgique,  dont,  naguère,  les  journaux  français  nous  oui 
entretenus.  Ainsi,  sans  un  pareil  événement,  le  ciel  riant 
de  ritalie  et  les  charmes  de  Pérouse  ne  vous  auraient  plus 
permis  de  reportei'  votre  pensée  vers  celui  (|ui  a  pour 
compagnie  la  solitude  et  les  neiges?  Mais  qu'il  en  soit 
comme  vous  voudrez,  et  que  vous  ayez  tort  ou  raison,  je 
dois  vous  dire  que  j'ai  bien  agréé  votre  lettre  du  20  du 
mois  dernier,  par  laquelle  vous  me  conlirmez  votre  éléva- 
tion à  la  haute  et  importante  dignité  de  représentant  du 
Siège  Apostolique  dans  le  Royaume  des  Belges. 

Donc,  mihi  (jaudeo,  libi  f/raitilor.  Et  tibi  gratulor 
d'autant  mieux,  que  le  pays  où  vous  êtes  appelé  à  maiulenir 
les  droits  du  Primat  et  de  l'Eglise,  est  franchement  catho- 
lique et  gouverné  par  un  Souverain  sage,  qui  respecte  avec 
fidélité  les  droits  de  la  confession  chrétienne.  Et  tihi  fjra- 
tdlor,  pour  l'honneur  (jui  vous  échoit  de  succéder  h 
l'illustre,  au  distingué,  au  valeureux  Mgr  Fornari  qui  a 
pour  vous  le  titre  d'ami  et  de  maiire.  Ce  prélat  vous  sera 
nn  guide  sûr,  soit  pour  les  conseils  qu'il  pourra  vous 
donner,  soit  pour  l'expérience  dont  il  vous  fera  part  dans 
les  ad'aires  qui  vont  vous  être  confiées.  De  la  sorte,  oulie 
vos  forces  personnelles  et  votre  bonne  volonté  qui  est  la 
force  principale  de  l'homme,  vous  n'aurez  pas  peu  d'avan- 


tages  pour  vous  distinguer  dans  l'arène  glorieuse  oii  vous 
allez  lutter  pour  le  Saint-Siège  et  pour  le  religion. 

Agréez  de  nouveau  mes  félicitations  et  croyez-moi,  etc. 


Lucerne,    4  février  18i5. 


cm 

Mijr  Joiirhim  Pecci  à  Mgr  Prospéra  Caterini,  Auditeur 
Séréiimimc  cl  Sécréta  ire  de  la  S.  C.  des  Études,  à  Itome.  - 


Bruxelles.  —  Place  «le  riIolel-ile-ViUc. 

J'ai  entretenu  TEminentissime  Camerlingue  sur  la  fameuse 
aiïaire  de  l'Université  de  Pérouse,  et  j'ai  beaucoup  apprécié 


..^.A 


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''fvn.  j^g«    g  ilf»'^^ 


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HM.  J.'»M5M!fc«a!t 


320 


LA   PRÉLATLKE   DE    LÉOiV   XUI. 


les  oKscrvalions  de  la  S.  Congiégalion  des  Éludes  sur  la 
question  de  compétence.  Il  m'avait  même  chargé  d'en 
causer  avec  son  Em.  Lainhruschini  à  qui,  d'ailleurs, 
il  se  réservait  d'en  parler  lui-même.  Mais  je  ne  me  suis  pa^ 
encore  acquitté  de  celte  commission,  parce  que  je  n'ai  pas 
encore  pris  toutes  mes  informations  sur  l'audileur  de  non- 
ciature que  je  choisirai;  et,  à  la  même  audience,  je  voudrais 
en  donner  pleine  décharge  à  l'Éminence.  Sur  mon  can- 
didat, les  uns  me  disent  un  monde  de  merveilles,  les  autres 
appréhendent  une  médiocrité.  J'espère  pourtant,  aujour- 
d'hui mém.e,  savoir  la  vérité  et  me  décider  à  accepter  ou 
à  refuser  ce  sujet.  Mgr  Brunelli  en  fait  heaucoup  d'éloges. 
En  sait-il  autre  chose?  Etc.. 

Rome,  5  ftjvricr  1845. 


CIV 


Le  Père  M.  Passionniste  à  M(jr  Joachim  PeccI,  à  Pérome, 
—  Mon  très  vénéré  Seigneur,  vous  aurez  du  courage,  et  un 
grand  courage;  et  vous  en  acquerrez  toujours  davantage,  en 
rétablissant  sur  la  confiance  en  Dieu  et  la  défiance  de  vous- 
même.  Courage  donc!  Dieu  vous  a  destiné  à  de  grandes 
choses.  Courage,  confiance  et  crainte  :  crainte  de  vous- 
même,  confiance  en  Dieu. 

Todi.  le  7  lévrier   1843. 


cv 


Mgr  Joachim  Pecci  au  Père  3/.,  à  Todi,  —  Votre 
affectueuse  lettre  m'est  parvenue  d'une  fiiçon  vraiment 
opportune,  La    très   honorable  nomination   qui  vient  de 


21 


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en 


1 


1     ! 


I    ol 


^    m^ymimi^mmif^ 


520  LA    MiKLATLIIK    DK    LÉON    \lli. 

Itvs  ohscrvalions  de  la  S.  Conuiv^nlion  des  Kliidos  sur  la 
question  de  compéleiiee.  Il  uravait  nieuie  cliap-é  «l'en 
causer  avec  son  Ein.  Lainluuscliini  à  (|ui,  d'ailleurs, 
il  se  réservait  d'en  parler  lui-même.  Mais  je  ne  me  suis  pas 
encore  acquitté  de  celle  commission,  paice  que  je  n'ai  pas 
encore  pris  tontes  mes  inlormali«ms  sur  l'audilcur  de  non- 
ciature que  je  choisirai;  et,  à  la  même  audience,  je  voudrai> 
en  donner  pleine  décharge  à  l'Éminence.  Sur  imm  can- 
didat, les  uns  me  disent  un  inonde  de  merv^'illes,  les  auhes 
appréhendent  une  médiocrité.  J'espère  pt»urtant,  aujour- 
d'hui même,  savoir  la  \érité  et  me  décider  à  accepter  ou 
à  refuser  ce  sujet.  M^r  lUnnelli  en  l'ait  heaucoup  d'éloges. 
Kn  sait-il  autre  chose?  Etc.. 

Ilonn'.  r>  février  iSi'», 


CIV 

Le  Père  M.  Passiouniste  à  M(fi  Jonrhim  /Va/,  à  Pêrousc. 
—  Mon  très  vénéré  Seigneur,  vous  aurez  du  couiage,  et  un 
grand  courage;  et  vous  en  acquerrez  toujours  davantage,  en 
réta])lissant  sur  la  confiance  en  Dieu  et  la  défiance  de  vous- 
même.  Courage  donc!  Dieu  vous  a  destiné  à  de  grandes 
choses.  Courage,  conliance  et  crainte  :  crainte  de  vous- 
même,  confjancc  en  Dieu. 

Totli.  I«'  7  lévi-ii-r    ISi". 


cv 

%/•  .lodchhn  Pecci  au  Père  J/.,  à  Todi.  —  Votre 
affectueuse  lettre  m'est  iKirvenue  d'une  lacon  vraimeni 
opportune.   La    très    honorahle   nomination    (jui   vient   de 


Te 


.      'I 


21 


^-MiiilHi^ÉiÉiiaiÉiÉfiA 


|t-»ir- 


5:^2 


LA   PRÉLATURK    DE    LÉON    Xlll. 


m'èU-e  conférée  par  la  Clémence  souveraine  est  de  telle 
nature,  que  je  ne  puis  m'empêcher  de  reconnaître  mes 
faibles  forces,  tout  à  fait  inférieures  aux  devoirs  qui  m'in- 
combent.  En  conséquence,  je  me  prépare  à  ma  mission 
avec  une  grande  crainte.  Aussi  les  lettres  d'encouraîrement, 
qui  tendent  h  m'inspirer  conliancc,  me  sont  extrêmement 
chères,  parce  que  j'en  sens  davantage  le  besoin.  De  ce 
genre  est  la  vôtre,  et  c'est  pourquoi  je  vous  en  remercie 
de  tout  cœur. 

Je  vous  supplie  de  me  recommander  au  Seigneur  dans  vos 
prières  afin  que,  égard  pour  mon  indignité  et  en  seule 
considération  du  bien  de  TÉglise,  il  daigne  m'assisler,  par 
sa  divine  grâce,  dans  la  difficile  carrière  que  je  vais  entre- 
prendre. 

Pérouse,  le  15  fcvner  1843, 


4 


CYI 

M(jr  Fornari,  nonce  à  Paris,  à  M.  Barccl,  conseillera  la 
Cour  d'appel  de  Bruxelles.  —  )[gr  Pecci  est  un  prélat  d'une 
haute  piété,  de  grand  talent  et  de  beaucoup  de  connais- 
sances. 11  est  peut-être  un  peu  timide  de  caractère,  ou 
plutôt  son  excessive  modestie  ressemble  à  de  la  timidité; 
mais  cela  est  compensé  par  son  esprit  grandement  réfléchi 
et  par  sa  prudence,  grâce  auxquels  il  ne  fera  jamais  un 
faux  pas.  Je  ne  savais  pas  qu'il  ne  parlât  pas  du  tout  le 
français'.  Il  est  certain  que  cela  pourra  retarder  son  action, 
en  diminuant  ses  rapports  avec  les  personnes  auxquelles 

1.  Mgr  Pecci,  en  s'embarqiiant  sur  le  Scamaudre,  in'it  une  -ijuninaile 
fninçaise.  Durant  la  travei^ée,  il  se  donna  à  lui-même  sa  premièie  leçon  en 
cette  langue  qu'il  devait,  plus  tard,  parler  si  courannncnt  et  si  diplomatique- 
ment. 


..'^  jÈ.^-*.  :^%.  ...4ii. 


LA    DKLKUATION    DE    PÉROLSE. 


èti.» 


il  aura  affaire.  Mais,  petit  à  petit,  il  se  familiarisera  avec 
cette  langue,  et  il  arrivera  à  pouvoir  parler  avec  tout  le 
monde. 


Paris,  février  1843. 


CVll 

M.  Noyer,  charr/é  d'Affaires  de  Uehjique  à  Borne,  au 
cardinal   Wiseman.  —  Mgr  Pecci   est  un   homme  d'un 


.  f't 


'Y\ 


Saiiilo-Giulnlc    (anule). 


caractère  excellent,  d'un  esprit  calme  et  posé,   et  d'une 
piété  exemplaire.  Avec  son  grand  désir  de  bien  faiie,  je  ne 


t»l 


.•v*ié!*.«  ■ 


52f  LA    PRÉLATLRK    DE    LÉO.N    \UI. 

doule  pas  que  Mgr  Pecci  ne  satisfasse  à  toutes  les  exigences 
de  sa  position.  .        ' 

Rome,  le  14  février  1845. 

CVIII 

Mgr  Joachim  Pecci  à  Mgr  Giacomo  Baglioni,  auditeur  ae 
la  S.  Rote.  — M.  le  comte  Marc-Antoine,  voire  très  digne 
frère,  a  voulu  me  faire  une  très  gracieuse  surprise. en  fai- 
sant imprimer  à  Pérouse  deux  belles  gravures  qu'il  m'a 
adressées  à  Rome,  à  l'occasion  de  ma  consécration  épisco- 
pale.  Tai  infiniment  été  sensible  à  cette  nouvelle  preuve  de 
cordialité  et  d'affection,  de  sa  part.  Dans  la  lettre  qui 
accompagnait  cet  envoi,  votre  frère  m'a  chargé  de  vous 
faire  parvenir  vingt  exemplaires  de  ces  gravures.  Vous  les 
recevrez  en  môme  temps  que  ces  lignes.  Pour  que  je 
prenne  une  résolution,  au  sujet  de  la  personne  que  vous 
me  recommandez,  il  faudrait  que  celle-ci  se  présentât 
chez  moi,  demain,  entre  9  et  10  heures  du  matin.  Ainsi 
pourrais-je  choisir  le  meilleur  sujet,  dans  le  nombre  de 
ceux  qui  se  sont  offerts.  Je  profile  avec  plaisir  de  cette  ren- 
contre favorable  pour  vous  renouveler  mes  sentiments  de 
respectueuse  estime  et  d'amitié.  Etc. 

Palais  Muli,  25  février  1845 


CIX 

Au  comte  Baglioni-Otldi,  à  Pérouse.  —  C'est  une  bien 
a^M'éable  surprise  que  vous  avez  voulu  me  faire,  Monsieur  et 
très  vénéiv  Comte,  en  m'envoyant,  le  jour  de  ma  consé- 
cration,  plusieurs   exemplaires  d'inscriptions  variées  qui 


LA    DKLÉr.ATION    DE   PÉROUSE. 


525 


sont  vraiment  très  belles  et  très  précieuses.  Au  lieu  d'y 
faire  lire  le  nom  de  Mgr  Joachim  Pecci,  mieux  eût  valu  que 
ces  textes  portassent  celui  de  toute  autre  personne  qui 
aurait  su  s'en  rendre  digne.  Vous  y  avez  employé  tant  de 
courtoisie,  que  je  ne  sais  comment  vous  en  exprimer  digne- 
ment ma  reconnaissance.  Qu'il  me  suffise  de  vous  dire  que 
je  conserverai  toujouis  la  mémoire  de  ce  trait  de  votre 
bonne  amitié.  Je  vous  en  remercie  de  tout  mon  cœur,  et 
j'en  remercie  tous  ceux  qui  ont  partagé  votre  pensée  et  qui 
l'ont  rendue  publiquement  manifeste  par  de  telles  démons- 
trations de  bienveillance  que,  certainement,  je  n'ai  pas 

méritées. 

Agréez,  Monsieur  le  Comte,  l'expression  encore  que  faible 
de  mon  ame  reconnaissanle,  accordez-moi  l'occasion  de 
vous  en  donner  par  quelque  fait  une  meilleure  preuve,  et 
veuillez  croire   toujours  aux   sentiments   distingués   avec 

lesquels  je  me  dis,  etc. 

Joachim  Pecci. 

Rome,  25  lévrier   1845. 


ex 

Au  cardinal  Bussi,  archevêque  de  Bénévent.  —  Pour  la 
même  raison  qui  m'avait  poussé  à  faire  connaître  à  V.  E. 
Uévérendissime  le  titre  que  S.  S.  venait  de  m'accorder,  je 
crois  de  mon  devoir  de  vous  donner  aujourd'hui  la  nouvelle 
de  ma  consécration.  Celle-ci  a  eu  lieu,  dimanche,  19  cou- 
rant, dans  l'église  de  S.  Laurent  in  Panisperna.  L'évêque 
consécrateur  était  S.  E.  Monsieur  le  cardinal  Lambruschini 
qui  avait  pour  évéques  assistants  :  Mgr  Asquini,  secrétaire  de 
la  S.  C.  des  Êvc(|ues  Réguliers,  et  Mgr  Castellani  évêque  de 
Porphyre  et  sacriste  de  S.  S.  Dans  l'assistance  on  remar- 


or 


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^V'jjtf*^-^»^  rr  -1*^":^~  '^- 


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52(1 


LA    PKKLATLRE    DE    LÉOiN   XIII. 


qiiait  Son  Excellence  M.  le  comte  crOullremont,  ministre  du 
Uoi  (les  Belges  près  le  Saint-Siège,  les  membjes  composant 
la  légation  royale  et  beaucoup  craulres  personnages  dis- 
tingués, parmi  lesquels  plusieurs  prélats.  Le  poids  des 
nombreux  et  lourds  devoirs  que  cette  cérémonie  sacrée  m*a 
imposés,  se  fait  sentir  sur  mon  Ame.  Priez  Dieu  qu'il  daigne 
me  donner  la  force  suffisante  pour  soutenir  cette  charge.  Je 
pi'ie  Votre  Eminence  Révérendissime  de  me  conserver  tou- 
jours en  sa  bonne  grâce.  Je  m'incline  au  baisement  de  votre 
sainte  pouipre  et,  avec  le  pins  profond  respect,  je  me  fais 
riionneur  de  me  ledire,  votre  tout  dévoué  serviteur,  etc. 

liomc,  2."»  IV'vrior  18i3. 


I-. 


CXI 

Le  cardinal  Bum  à  Mgr  Pecci,  à  Rome.  —  J'ai  eu  une 
1res  grande  consolation  à  recevoir  la  nouvelle  que  V.  S. 
Illustrissime  et  Révérendissime  s'est  plue  li  me  commu- 
niipier,  au  sujet  de  votre  consécration  a  rarchevéché  do 
Damiette,  accomplie  par  l'Éminenlissime  Lambruscliini. 
\ous  avez  eu  aussi  l'amabilité  de  m'envoyer,  avec  une 
touchante  sollicitude,  les  diverses  compositions  qu'on  a 
imprimées  et  publiées  en  celte  occasion;  et,  ainsi,  vous 
m'avez  offert  un  nouveau  gage  de  votre  constante  bienveil- 
lance à  mon  égard. 

Sans  doute,  le  fardeau  qu'on  vous  impose  avec  l'onction 
sacrée  est  lourd;  mais  vous  savez  aussi  que  la  giace  divine 
ne  manque  pas  d'assister  ceux  qu'elle  appelle  à  des  devoirs 
de  particulière  importance.  Entrez  donc  en  toute  confiance 
dans  la  carrière  où  vous  êtes  visiblement  appelé.  Pour  ma 
part,  malgré  ma  faiblesse,  je  m'emploierai  à  contribuer  par 
mes  prières  au  bon  succès  de  la  mission  que  vous  entre- 


LA    DÉLÉGATION    DK    PÉROISE. 


0127 


prenez,  pour  la  gloire  de  Dieu  et  aussi  pour  mon  pro|)rc 
honneur. 

Je  vous  assure  que  je  conserverai  immuables  ces  senti- 
ments de  respectueuse  estime  et  d'amitié  vraie  avec  lesquels 


Sainte-Gudulc  (|K)rtail  latéral). 

je  me  dis,  en  vous  embrassant  les  mains  de  tout  cœur,  de 
V.  S.  Illustrissime  et  Révérendissime,  le  serviteur  et  l'ami. 

Ijcncvcnt,  5  mars  18 i3. 


CXII 

Mme  Catherine  Lolli,  née  Pecci,  à  Mgr  Joachim  Pecci, 
à  Rome.  —  Ce  matin,  Titta  est  parti  pour  Anagni.  Demain 


.1 


3:28 


LA   PRÉLATLRE    DE   LÉON    XIIJ. 


.1 


pcut-èlrc,  il  sera  à  Rome  pour  assister  h  votre  départ. 
Je  ne  peux  vous  exprimer  assez  le  regret  que  j'éprouve  de 
u'avoir  pu  vous  revoir  avant  que  vous  alliez,  si  loin,  installer 
votre  maison.  En  cette  circonstance,  j'ai  cru  pouvoir  dire  à 
mon  frère  Tilta  de  payer,  à  mon  compte,  la  croix  d'or  que 


i^^. 


Anvers.  —  Quartier  de  la  calhéiliale. 

vous  avez  achetée.  Ainsi,  emporterez-vous  de  moi  un  petit 
souvenir.  Puisse-t-il  vous  rappeler  de  prier  pour  votre  sœur 
et  pour  sa  famille,  afin  que  le  Seigneur  la  secoure  et  donne 
au  chef  plus  de  vigilance  et  d'activité  dans  les  affaires 
domestiques.  Je  me  confie  en  vos  prières. 

N'oubliez  pas  de  me  faire  savoir  comment  vous  serez 
arrivé.  Je  ne  suis  pas  tranquille.  Je  vous  salue  bien  chcre- 


14 


Pérousc.  —  La  sacristie  du  Duomo. 


.iâ^'iS^i  ,..^. 


,v:8 


LA    PnKLATIME    DK    IKON    XIII. 


poîil-èlre,  il  sora  à  Rome  pour  assister  à  votre  départ, 
.le  ne  peux  vous  expriiiiei'  assez  le  regret  que  j'éprouve  de 
n'avoii' pu  vous  revoir  avant  que  vous  alliez,  si  loin,  installer 
votre  maison.  Kn  celte  circonstance,  j'ai  cru  pouvoir  dire  à 
mon  frère  Tilta  de  [)ayor,  à  mon  compte,  la  croix  d'or  que 


Anv»'!': 


Oiiarlicr  <l»'  la  c;illit'<lial<'. 


vous  avez  achetée.  Ainsi,  onqMMlerez-vous  de  moi  un  pelil 
souvenir.  Puisse-t-il  vckis  lajqK'Ier  de  prier  pour  ventre  sœur 
et  pour  sa  famille,  atin  que  le  Seigneur  la  senmre  et  donne 
au  cher  plus  de  vigilance  cl  d'adivilé  dans  les  afl'aires 
domestiques.  Je  me  conlie  en  vos  prières. 

N'oubliez  pas  de  me   faire  sav(Mr  comment  vous  serez 
arrivé.  Je  ne  suis  pas  tranquille.  Je  vous  salue  hien  chère- 


I 


Pcrouse.  —  La  sacrislie  «lu  Duomo. 


528 


LA   PRÉLATURE    DE   LÉON    XIII. 


1 


pcut-élrc,  il  sera  à  Rome  pour  assister  a  votre  dépari . 
Je  ne  peux  vous  exprimer  assez  le  regret  que  j'éprouve  de 
n'avoir  pu  vous  revoir  avant  que  vous  alliez,  si  loin,  installer 
votre  maison.  En  celte  circonstance,  j'ai  cru  pouvoir  dire  à 
mon  frère  Titta  de  payer,  à  mon  compte,  la  croix  d'or  que 


Anvers.  —  Qnaiiier  Je  la  catliétiiale. 

vous  avez  achetée.  Ainsi,  emporterez-vous  de  moi  un  petit 
souvenir.  Puisse-t-il  vous  rappeler  de  prier  pour  votre  sœur 
et  pour  sa  famille,  afin  que  le  Seigneur  la  secoure  et  donne 
au  chef  plus  de  vigilance  et  d'activité  dans  les  alïîiires 
domestiques.  Je  me  confie  en  vos  prières. 

N'oubliez  pas  de  me  faire  savoir  comment  vous  serez 
arrivé.  Je  ne  suis  pas  tranquille.  Je  vous  salue  bien  chèrc- 


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Pérouse.  —  La  sacristie  du  Duomo. 


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LA    rnÉLATlHE    DK    LKO.N    XIIJ. 


|:('îit-elre,  il  sera  à  Home  pour  assister  à  voire  déparl. 
Je  lie  peux  vous  expiiuier  assez  le  rej^ret  que  j'éprouve  de 
u'avoir  pu  vous  revoir  avaul  (pie  vous  alliez,  si  loin,  installer 
votre  maison.  Kn  celte  circonstance,  j'ai  cru  jiouvoir  dire  à 
mon  frère  Titta  de  payer,  à  mon  compte,  la  croix  d'or  que 


Anvors.  —  Oiiarlit-r  do  la  calli.'.lral.-. 

vous  avez  achetée.  Ainsi,  ('mporterez-vous  de  moi  un  petit 
souvenir.  Puisse-t-il  vous  rappeler  de  prier  pour  votre  sœur 
et  pour  sa  famille,  afm  que  le  Seigneur  la  secoure  et  donne 
au  chef  plus  de  vi^'ilance  et  d'activité  dans  les  affaires 
domestiques.  Je  me  confie  en  vos  prières. 

N'oubliez  pas  de  me  faiie  savoii-  comment  vous  serez 
arrivé.  Je  ne  suis  pas  tianquille.  Je  vous  salue  bien  chère- 


Péi'oiiso.  —  La  sacrislic  du  Dnomo. 


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550 


LA    l»aÉLATLKE    DE    LÉON    MIL 


ment  avec  tous  mes  frèics.  En  vous  embrassant,  je  me  dis 
en  toule  afTeclion,  votre  sœur  bien  dévouée. 


Feront i no,    12  mars  I8i3. 


CXIII 

Ah  cardinal  BussI,  à  BénécenL  —  J'ai  bien  re^u  voire 
lettre  du  5  courant.  Apres  en  avoir  remercié  sans  fin  V.  E. 
Uévérendissime,  j'ai  le  plus  grand  déplaisir  à  lui  apprendre 
avec  ces  lignes  que  je  prends  congé  d'elle. 

Je  quitterai  les  Etats  Pontificaux  avec  le  bateau  frani^'ais 
r Amsterdam  qui  larguera  de  Civita-Veccbia,  le  15  ou  le  20. 
Ce  vapeur  me  portera  à  Marseille  et,  de  cette  ville  je  continue- 
rai mon  voyage  par  voie  de  terre,  en  traversant  la  France 
jusqu'à  Bruxelles.  De  là,  j'enverrai  à  Y.  E.  de  mes  nouvelles 
qui,  je  l'espère,  provoqueront  l'écliange  avec  celles  de  V.  E. 
et  je  soubaile  que  celles-ci  soient  telles  que  je  les  désirerai 
toujours.  Si,  dans  mon  nouveau  poste,  V.  E.  me  croit  apte  à 
lui  rendre  quelque  service,  je  la  prie  de  me  commander  en 
ce  que  j'aurai  le  plus  grand  bonneur  do  faire  pour  elle. 

En  baisant  afiectueusement  et  religieusement  votre  pour- 
pre sacrée,  je  me  fais  honneur  à  me  dire,  avec  le  plus  [iro- 
fond  respect,  etc. 

Home,  15  mars  1843. 


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III 


LA   NONCIATURE  DE  BRUXELLES 


Sommaire.  —  \hi  Rome  à  Marseille  (C\IV-C\V).  —  De  Lyon  à  Hruxellcs  (CXVII- 
CXIX).  —  Premières  impressions  de  lielgique  et  premiers  règlements  do 
comptes  ((lX\-(iX\ll).  —  l'olitiqut  de  nonce  et  d'universilaire  (CXXIII- 
CXXIV).  —  Compliments  à  Gioberli  (CXXV).  —  Un  portrait  de  la  reine  Vic- 
toria d'Angleterre  (CXXVI-CXXVII).  —  Les  comptes  d'nn  nonce  (CXXVII).  — 
Un  mariage  manqné  (CXXVIII-CXXX).  —  A  la  recherche  de  Mazzini  (CXXXI- 
CiXXXII).  —  De  (ïarpineto  à  AVaterloo  (CXXXIII).  —  Les  jurys  d'examen 
devant  la  CJiamhre  des  députés  (CXXXIV-CXLIV).  —  Un  vol  à  Carpineto  el 
le  nonveau  portrait  du  nonce  (CXLV-CXLVl).  —  Bruits  de  retour  à  Pérouse 
(CXLMI.CXLMII).  —Disgrâce  ou  avancement  (CXLIX-CLVI).  —  De  Bruxelles 
à  Bome  (CLVII).  —  Pie  IX  au  roi  des  Belges  (CLVIll).  —  En  rouie  pour 
Pérouse  (CLIX-CLXI). 


CXIV 

Mgr  Joadùm  Pecci  à  M,  Stanislas  Stcrhini,  à  Rome,  — 
Nous  voici,  depuis  quelques  heures  seulement  et  très  favora- 
bb^ment,  arrivés  à  Marseille.  La  traversée  a  duré  48  heures, 
dont  9  passées  dans  Livourne.  La  mer  était  on  ne  peut  plus 
calme.  Malgré  le  temps  de  Téquinoxe,  nousn*avons  éprouvé 
aucun  malaise.  Ce  prétendu  mal  de  mern'a  fait  son  efletque 
sur  le  cuisinier,  le  valet  de  chambre  et  Tabbé  démenti.  Ni 
moi,  ni  mon  secrétaire,  ni  le  domestique  suisse,  nous  n'en 
avons  souder  t. 


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332 


LA   PRÉLATLRE    DE   LÉON    XIII. 


J'en  remercie  Dieu  qui  sait,  au  besoin,  donner  force  et 
courage  aux  plus  faibles. 

Et  vous,  comment  vous  portez-vous  ?  Oh  !  combien  j'ai 
souffert,  au  moment  de  la  séparation  cruelle,  à  bord  du 
Scamandrel  Comme  la  vue  de  votre  bateau  tournant  autour 
de  notre  navire  me  fut  dure,  à  nous  permettre  de  nous  ré- 
péter encore  nos  adieux  !  Et  comme,  ensuite,  j'eus  plus  de 
peine  à  tout  voir  disparaître  en  quelques  instants,  autour  de 
moi! 

Je  vous  écrirai  de  Lyon  où,  si  Dieu  le  veut,  je  serai  samedi 
soir.  Saluez,  de  ma  part,  ma  chère  famille,  la  votreetGarri- 
gos  ;  et  permettez-moi  de  vous  recommander  le  pli  ci-inclus. 

Marseille,  i  mars   1845. 


cxv 

s.  s,  le  PapeGré(joire  XVI  àS,M.  Léopolill'%  roi  desBebjes. 
-  Avec  ces  lettres,  se  présentera  ii  vous  Notre  vénérabh^ 


■~\  *»f 


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Jf»,«^^'*«  ■•-f>^/v.   -* 


Le  palais  du  rui. 

frère  Joachim,  archevêque  de  Damiette,  Notre  nonce  et  celui 
du  Saint-Siège.  Nous  vous  le  recommandons  avec  instances,  à 
vous,  très  cher  Fils  et  à  Nos  vénérables  Frères.  Dans  toutes  les 


LA    NONCIATURE    DE    BRUXELLES. 


333 


affaires  qu'il  traitera  avec  vous  en  Notre  Nom,  vous  lui  prê- 
terez la  même  foi  que  vous  Nous  prêteriez  h  Nous-même,  si 
Nous  parlions  en  votre  présence  ;  et,  avec  le  dévouement  et 
le  respect  que  vous  portez  au  Siège  Apostolique,  vous  l'as- 
sisterez partout  oii  il  aura  besoin  de  vos  conseils  et  de  votre 
aide,  pour  accomplir  avec  succès  le  très  grave  ministère  dont 
il  est  chargé.  Vous  trouverez  en  lui  un  homme  remarquable 
par  sa  piété,  son  intégrité,  sa  prudence  et  les  qualités  de 
son  esprit;  aussi  Nous  ne  doutons  pas  qu'il  ne  se  concilie 
votre  particulière  bienveillance.  Nous  nous  souviendrons 
de  tous  vos  bons  offices  à  son  égard,  et  Nous  vous  en  serons 
reconnaissant,  comme  s'ils  Nous  avaient  été  rendus  à  Nous- 
même. 

riRÉGoniE  P.  P. 

Donné  à  Rome,  mars  1843. 


CXVI 

Mgr  Jonchim  Pecci  à  iL  Stanislas  Sterbini,  à  la  Direction 
générale  du  Domaine,  à  Rome.  —  Parti  de  Marseille,  le  23 
courant,  je  croyais  pouvoir  arriver  à  Lyon,  le  samedi  25. 
Mais  je  dus  m'arrêler  et  séjourner  deux  jours,  entre  Aix  et 
Avignon,  par  suite  d'une  indisposition  qui  me  surprit  en 
roule.  Je  n'ai  pu,  en  conséquence,  arriver  qu'avant-hier  à 
Lyon.  11  me  reste  donc  a  faire  encore  500  bons  milles  et  h 
soupirer  dix  autres  jours  encore,  comme  les  Hébreux  après 
la  Terre  Promise  ;  la  mienne  étant  celte  Belgique  qui  m'ap- 
paraît  encore  de  si  loin.  Le  temps  nous  a  été  très  favorable 
et,  jusqu'à  cette  heure,  le  ciel  de  France  ne  se  montre 
guère  différent  du  ciel  d'Italie. 

Hier,  j'ai  écrit  au  cardinal  pro-lrésorier  en  datant  ma 
lettre  du  50  courant,  afin  qu'il  passe  en  cours  de  payement 


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534 


LA    PRÉLATLRE    DE    LÉO>    Mil. 


los  mandais  échus  pour  moi  à  celte  échéance,  cl  |)our  (ju'il 
en  soit  de  même  des  échéances  mensuelles  suivantes.  Si, 
de  la  sorte,  je  réussis  à  obtenir  ma  mensualité  de  mars,  je 
serai  ainsi  remboursé  des  dépenses  de  ce  voyage  qui  ne 
s'élèveront  pas  à  moins  de  1000  écus.  Si  ce  règlement  souIVre 
difficulté,  n'insistez  pas  ;  nous  attendrons  le  règlement 
d'avril.  Donnez,  je  vous  prie,  de  mes  nouvelles  à  mes  frères 
et  à  mon  oncle.  Saluez,  de  ma  part  tous  les  vôtres  et,  en 
loute  affection,  croyez-moi  votre,  etc.. 


I. 


I.yon,  27  mars  1843. 


|.v 


CXYII 


fi 


Ah  même,  à  Home,  —  Je  vous  écris  de  Xanuii',  ville  des 
Belges,  à  vingt  lieues  seulement  de  Bruxelles.  Me  voici  donc 
presque  à  la  fin  de  ce  long  voyage,  fait  ;i  petites  journées.  Si 
cette  façon  d'aller  a  augmenté  les  frais  de  roule,  elle  m'a, 
par  contre,  procuré  deux  avantages.  Le  premier  est  de 
n'avoir  pas  beaucoup  dérangé  ma  santé,  après  le  malaise 
éprouvé  entre  Aix  et  Avignon.  Le  second  est  d'avoir  ainsi  pu 
visiter  les  villes  de  France  (pie  je  rencontrais  sur  ma  route. 
Valence,  Vienne,  Lyon,  les  deux  Chàlons  sur  Saône  et  sur 
Marne,  Dijon,  Troyes,  Reims  et  Mézières.  J'ai  vu  leurs 
industries  et  le  grand  mouvement  que  produit  leur  com- 
merce. Demain,  en  quelques  heures,  j'espère.  Dieu  aidant, 
atteindre  enfin  Bruxelles  et  ma  résidence.  De  là,  je  vous 
écrirai,  après  avoir  pris  quelques  jours  de  repos  et  avoir 
rempli  les  premiers  devoirs  importants  de  ma  charge.  Sa- 
luez, de  ma  part,  tous  les  vôtres,  Garrigos,  Cappello,  etc.. 

Namiir,  0  avril  ISiô. 


,  *.  4.-.it«4**;î 


LA    NONCIATURE    DE    BULXELLES. 


555 


CXVIII 

M(jv  Fornari  à  M(jr  Joachim,  à  Bruxelles,  —  JVspère  que 
les  fréquents  entreliens  que  vous  aurez  avec  Sa  Majesté  vous 
feront  connaître  toujours  davantage  sa  propension  décidée 
vers  la  bonne  cause.  Avec  le  temps,  vous  verrez  que  cette 
propension  ne  sera  pas  stérile,  bien  qu'il  y  ait  des  gens  qui 


Le  palais  <it's  iialiuiis. 


n'en  soient  |)as  persuadés.  Quant  à  la  reine,  il  n'est  pas 
douteux  qu'elle  ne  soit  d'une  vertu  éminenle,  et  qu'on  ne 
puisse  l'appeler  une  véritable  sainte. 


Paris,  19  mai   1845. 


CXIX 

Ml/r  Joachim  Pecci  à  M.  Stanislas  Sterbini,  à  Rome.  — 
Je  vous  adresse,  pour  plus  de  sûreté,  celte  lettre  dans  un  pli 


556 


LA   PRÉLATURE    DE   LÉON    XIII. 


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que  j'envoie  à  la  Secrétaircrie  d'État.  Je  n'ai  rien  reçu  de 
vous,  depuis  ma  dernière  lettre  où  je  vous  parlais  long:iie- 
ment  de  mon  installation  à  la  Nonciature,  de  raccident  de 
Vilvorde  et  des  autres  petites  aventures  qui  me  sont  arrivées 
ici.  Je  vous  accusais  aussi  réception  de  votre  premier  man- 
dat d'avril.  Et  depuis,  plus  de  Jetlre  de  vous.  Que  veut  dire 
ce  silence  d'un  mois  entier?  Sans  doute,  les  lourdes  charges 
de  votre  ministère,  et  peut-être  aussi  le  mariage  de  votre 
Mariuccia,  vous  auront  outre  mesure  occupé  et  distrait.  Sa- 
chez pourtant  que  j'attache  un  grand  prix  à  vos  lettres,  que 
je  désire  en  recevoir  souvent  et  que  je  vous  prie  de  m'en 
faire  mainte  fois  l'heureuse  surprise. 

Je  vous  répète  ce  que  je  vous  ai  déjà  dit,  concernant  les 
f^rosses  dépenses  que  j'ai  dû  faire  pour  m'installer  convena- 
blement. A  ces  dépenses  énumérées  précédemment,  il  faut 
ajouter  aujourd'hui  celles  de  deux  voitures,  —  dont  une  de 

o-ala, et  l'achat  des  chevaux  qu'heureusement  je  n'ai  pas 

payés  plus  de  3t20  écus.  La  perspective  des  dépenses  que  j'ai 
aussi  à  faire  quotidiennement  et  toujours,  n'est  guère  con- 
solante. Ici,  tout  coûte  deux  fois  plus  cher  qu'à  Rome.  Le 
loyer  de  la  maison  reste  fixé  à  8000  francs  par  an.  Les  gages 
aux  domestiques  exigent  3000  francs,  ou  bien  près.  11  faut 
aussi  compter  3000  francs  pour  l'éclairage  et  le  chauffage, 
et  1300  francs  pour  l'entretien  des  chevaux.  En  abordant 
dans  cette  proportion  les  autres  dépenses,  je  vois  que  je 
m'en  tirerai  a  grand'peine  avec  2000  francs  par  mois.  Pour 
le  moment,  il  faut  laisser  les  choses  dans  l'état  ou  elles  sont. 
J'ai  une  provision  avec  les  4000  francs  qui  restent,  des 
15000  retirés  par  cet  excelkînl  Delfosse,  banquier.  Avec  ces 
fonds  de  réserve  je  ferai,  au  besoin,face  à  quelques  excessives 

dépenses. 

La  santé,  Dieu  merci,  se  maintient   bonne,  malgré  la 


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-^sèSr^î-Éî-'^. 


ROME.  —  Le  popolino  faisant  des  feux  de  joie,  le  Samedi-Saint,  et  devant  le  palazzo  de  chaque  cardinal 

défunt  dont  il  héritait  les  menus  restes.  (Dessin  de  Thomas,  1830.) 


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LA    l'HKLVTlUK    DK    LKON    Mil. 


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que  j'envoie  îi  la  Sec  ré  la  ire  rie  trKtal.  Je  n*ai  rien  reçu  d 
vous,  depuis  ma  dernière  lettre  où  je  vous  parlais  longue- 
ment de  mon  installation  à  la  Nonciature,  de  l'accident  de 
Vilvorde  et  des  autres  petites  aventures  «pii  me  sont  arrivées 
ici.  Je  vous  accusais  aussi  léception  de  votre  premier  man- 
dat d'avril.  Et  depuis,  plus  de  letlre  de  vous.  Que  veut  dire 
ce  silence  d'un  mois  entier?  Sans  doute,  les  lourdes  charges 
de  votre  ministère,  et  peut-être  aussi  le  mariage  de  votre 
Mariuccia,  vous  auront  outre  mesure  occupé  et  distiail.  Sa- 
chez pourtant  (jue  j'attache  un  grand  prix  à  vos  lettres,  (|ue 
je  désire  en  recevoir  souvent  et  (|ue  je  vous  |)rie  d(.'  m'en 
faire  mainte  fois  l'heureuse  surprise. 

Je  vous  répète  ce  ([ue  je  vous  ai  déjà  dit,  concernant  les 
o rosses  dépenses  (|ue  j'ai  du  l'aire  pour  m'installer  convena- 
blement. A  ces  dé|)enses  énumérées  précédemment,  il  faut 
ajouter  aujourd'hui  celles  de  deux  voilures,  —  dont  une  de 

oala    et  l'achat  des  chevaux  (lu'heureusemenl  je  n'ai  pas 

payés  plus  de  TdO  écus.  La  perspective  des  dépenses  ((ue  j'ai 
aussi  à  faire  <|uotidiennement  et  l(Uijours,  n'est  guère  con- 
solante. Ici,  tout  coûte  deux  fois  plus  cher  qu'à  Home.  Le 
loyer  de  la  maison  reste  fixé  à  8000  frap.cs  par  an.  Les  gages 
aux  domestiques  exigent  oOOO  francs,  ou  bien  près.  11  faut 
aussi  compter  5000  francs  |)our  l'éclairage  et  lechaulfage, 
et  1500  francs  pour  rentretien  des  chevaux.  En  abordant 
dans  celte  proportion  les  autres  dépenses,  je  vois  que  je 
m'en  tirerai  à  grand'peine  avec  '2000  francs  par  mois.  Poui 
|e  moment,  il  faut  hiisser  les  choses  dans  l'état  où  elles  sont. 
J'ai  une  provision  avec  les  iOOO  francs  qui  restent,  des 
15  000  retirés  par  cet  excellent  Dellosse,  bancpiier.  Avec  ces 
fonds  de  réserve  je  ferai,  au  besoin, face  à  (juelques  excessives 

dépenses. 

La  santé.   Dieu   merci,   se  uiaintienl    bonne,  malgré   la 


H 


ROME.  —  Le  popolino  faisant  des  feux  de  joie,  le  Samedi-Saint,  et  devant  le  palazzo  de  chaque  cardinal 

défunt  dont  il  héritait  les  menus  restes.  (Dessin  de  Thomas,  1830.) 


:h 


'fwgi^nf^f 


LA    NONCIATURE    DE   BUIXELLES. 


.)0/ 


rigueur  du  climal  (jui  nous  fail  expérimenter,  en  plein  juin, 
rinlensité  d'un  froid  comparable  à  celui  de  janvier.  Je  sui> 
encore  habillé  dédouble  laine.  Qu*adviendra-t-il  de  moi, 
en  hiver?  Que  Dieu  nous  aide  et  nous  fortifie. 

Je  salue  bien  cordialement  toute  votre  famille,  el  je  me 
plais  à  me  rappeler  à  tous  les  vôtres,  depuis  Mme  Benedetla 
jus(iu'à  Fauslino,  Annibal,  Louise,  Mariuccia,  Barberuccia, 
Nanna,  Lvdia,  Cecchina,  et  je  finis  par  votre  cher  petit  Jules 
(|ui,  j'espi're,  n'aura  pas  encore  oublié  mon  nom; je  lui 
donne  bien  parliculièrementet  de  tout  cœur  ma  bénédiction. 
Veuillez  présenler  mes  respects  à  M.  le  comte  Frossi  et  à 
(larriiros.  Salutations  amicales  à  Fora,  et  à  vous  etc.. 

nrnxolN's,  8  juin  ISlô. 


CXX 


, 


k 


Le  comte  Slnvislu^  Slerhitii  à  M(j)\  Joiuhini  Pecci,  à 
Bruxelles,  —  J'avais  liàle  de  recevoir  de  vos  nouvelles.  Je 
crai'niais,  malgré  le  temps  très  favorable,  que  vous  ayez  eu 
à  souffrir  sur  mer.  Je  ne  sais  vous  dire  avec  quel  plaisir  j'ai 
reçu  votre  lellre  de  Marseille,  par  laquelle  j'ai  appris  com- 
menl,  après  quarante  heures  de  traversée,  vous  êtes  arrivé 
en  France  sans  aucune  indisposition.  Ainsi  j'ai  vu  se  réaliser 
les  souhaits  de  bon  voyage  que  je  vous  avais  ftiils,  devant  le 
fort  de  Civila-Vecchia.  Les  nouvelles  suivantes  que  j'attends 
anxieusement  encore,  j'espère  qu'elles  me  parviendront 
telles  que  je  les  désire. 

Je  me  suis  empressé  de  remettre  chez  vous  la  lettre  que 
vous  adressiez  aux  vôtres.  Je  vous  donne  à  penser  le  plaisir 
qu'ont  éprouvé  voire  famille  et  la  mienne,  en  recevant  de 
vos  bonnes  nouvelles.  Garrigos,  Cappello  et  Fora  s'en  sont 

22 


-i^ 


A        î.»i 


^T^ÇS» 


».    .     «;.  . 


iSi^:, 


558 


LA   iMlÉLATLRE    DK   LÉO.N    Mil. 


également  réjouis.  Souvent  nous  parlons  de  vous,  eux  et 
moi;  et  votre  voyage  fait  encore  le  sujet  principal  de  notre 
conversation,  entre  votre  oncle,  vos  frères  et  moi,  depuis  que 
nous  vous  avons  quitté  à  Civita-Vecchia  pour  rentrer,  le 
lendemain,  à  Rome.  Je  vous  assure,  cher  Monseigneur, 
(ju'ici  vous  avez  des  personnes  qui  vous  aiment  beaucoup, 

et  je  vous  prie  de  croire  que  je  ne  suis 
pas  le  dernier,  à  ce  titre,  parmi  elles. 
Si  vous  avez  souffert  à  bord  du  .S^v;- 
maudre,  au  moment  de  la  séparation, 
je  ne  saurais  vous  exprimer  Tanxiélé 
que  j'éprouvai  aussi.  Vous  pensez  bien 
(|u*après  les  preuves  d'affection  si  nom- 
Jj      bieuses  que  vous  m'aviez  manifestées, 
de  liome  à  Civita-Vecchia  et  pendant  le 
court  séjour  que  nous  avions  fait  en- 
semble en  cette  ville,  voire  départ  ne 
pouvait  (lue  me  faire  éprouver  la  plus 
grande  tristesse.  Pendant  votre  absence, 
je  trouverai  consolation  et  confort  dans 
vos  lettres   et  dans  vos   commissions 
qui  me  permettront  de  m'occuper  de 
vous.  Vous  savez  comme  mes  vaines  pai-oIes  répondent  mal 
à  Tamitié  que  je  vous  garde.  Soyez  vous-même  rinlerprèle 
de  mes  sentiments.  Je  n'en  dis  pas  davantage. 

Je  vais  vous  dire  en  quelques  mots  les  affaires  que  j'ai 
traitées  et  qui  vous  intéressent. 

A  Civita-Vecchia,  l'hôtel  a  été  payé;  et  la  dépense  nen  a 
atteint  que  les  prix  les  plus  doux.  Le  suisse  a  voulu  nous 
traiter  en  ami.  Le  cocher  et  le  valet  l'ont  imité;  en  somme 
tout  en  est  résulté,  grâce  à  eux,  avantageusement  |X)ur  nous. 
Les  frais  encourus  ne  le  sont  qu'à  titre  de  compensation. 


TKo^'Ve^JyJrs 


Maliiios. 
Maison  du  Saumon. 


. 


LA    NONCIATURE    DE    BRUXELLES. 


55'.) 


L'un  des  deux  domestiques  pouvait,  aux  termes  de  la  lettre 
du  marquis  de  Sorbella,  réintégrer  Pérouse;  mais  il  a  pré- 
féré Rome.  J'ai  réglé  avec  Eugène  les  frais  de  bagages  et  de 
voiture.  Le  voiturier  Rianconi  est  payé.  Les  passementeries 
seront  bientôt  prêtes.  Les  deux  tableaux  et  le  secrétaire  expé- 
diés de  Pérouse  sont  rentrés,  et  la  voilure  de  transport  esl 


Maliiics.  —  L'ancien  palais  du  Grand  Conseil. 

acquillée.  Le  lout  est  déposé  chez  vous.  Voire  frère  Jean- 
Raptiste  vous  avisera  de  l'expédition  d'un  des  deux  tableaux, 
et  de  l'impossibilité  de  vous  envoyer  le  secrétaire  dont  il 
nous  faudrait  la  clef,  pour  en  vérifier  l'intérieur.  Il  s'agit 
d'un  meuble  dont  la  forme  se  rapproche  de  celle  du  secré- 
taire que  j'ai  dans  ma  chambre  à  coucher,  entre  les  deux 
fenêtres,  —  je  ne  sais  si  vous  l'avez  présent  à  la  mémoire. 
Les  dimensions  en  sont  telles  qu'il  faudra  qu'un  des  vôtres 
le  garde,  ou  qu'il  soit  vendu  pour  votre  compte.  Sur  ce 
point,  vous  donnerez  vos  instructions  à  votre  frère,  ou  à  moi . 


'ét^lK"^-^^^ 


idife&<&~ 


310 


LA    PRÉLATURE   DE    LÉON    Xlïf. 


La  vente  des  chevaux,  que  vous  aviez  confiée  à  mes  soins, 
est  plus  importante.  Il  a  fallu  la  (HlFérer  de  (juehjues  jours. 
Elle  a  été  enfin  conclue  au  prix  de  150  écus,  payables  par 
moitié.  Il  faut  aussi  se  défaire  des  foins  et  de  Tatlelage  ;  mais 
nous  ne  ferons  pas  mal  d'attendre  une  bonne  occa>ion,  pour 
toutes  ces  rentrées  (jui  ne  tarderont  pas  à  s'effectuer.  Jti 
vous  enverrai  facture  des  divers  payements  que  j*ai  faits, 
conformément  aux  comptes  que  je  vous  ai  signalés  plus 
haut. 

Là-dessus,  tenez-vous  tranquille  et  fa  Iles  compte,  commr 
si  vous  étiez  ici  vous-même.  Ne  pensez  qu'à  vous  bien  porter 
et  à  vaquer  à  vos  affaires  de  nonciature. 

La  nièce  de  Tabbé  D...  m'a  déjà  présenté  votreccunmande. 
Elle  envoie  ses  respects  à  vous  et  ses  saints  à  son  lils  dont  je 
lui  ai  transmis  les  bonnes  et  consolantes  nouvelles.  —  A 
peine  le  Trésor  aura  reçu  voire  lettre,  que  je  m'occuperai 
de  faire  passer  à  voire  crédit  votre  traitement  d'avril.  Je 
vous  ferai  aussi  parvenir  les  fonds,  de  la  manière  dont  nous 
avons  convenu.  En  somme,  votre  voyage  s'est  accompli,  sous 
tous  les  rapports,  on  ne  peut  plus  heureusement.  La  lettre 
de  change  vous  a-t-elle  été  ponctuellement  payée?  Le  climat 
répond-il  à  votre  état  physique?  Que  décidez-vous  pour  votre 
logement  et  votre  domeslicité?  Vous  étes-vous  présenté  à  la 
Cour? 

Combien  d'autres  demandes  je  voudiais  vous  faire,  el 
comme  je  souffre  de  n'être  pas  auprès  de  vous!  Je  voudrai^ 
vous  épargner  tant  et  tant  de  préoccupations.  Agréez-en  le 
désir,  du  moins.  A  Rome,  ne  m'épargnez  pas,  je  vous  prie. 
Pour  vous,  je  laisse  famille,  affaires,  toul. 

Acceptez  les  respects  de  tous  les  miens,  depuis  le  plus 
grand  jusqu'au  petit  Jules,  et  permettez-moi  d'y  joindre  les 
vœux  les  plus  sincères  que  je  forme  pour  votre  bonheur. 


/-*^ 


LA    NONCIATURE    !Π   RRUXELLES. 


541 


C(uiservez-moi  votre  bienveillante  amitié  et  croyez-moi,  en 
toute  estime  et  affection,  votre  dévoué,  etc. 


Rome,  27  juin  184'». 


CXXI 

M(jrJ(iachim  Pecci  à  M.  Stanislas  Sterbini,  à  Borne.  — 
J'ai  bien  reçu  votre  lettre  du  27  juin  et  la  lettre  de  change 
(ju'elle    renfermait.    Mais 
j'ai  constaté  avec  un  grand 
ennui  (|ue  ma  lettre,  pré- 
cédant  la  vôtre,  ne  vous 
est  pas  parvenue.  Je  vous 
y  parlais  longuement  de 
mes  affaires   et  des  pre- 
mières   visites    de    céré- 
monie qui  suivirent  mon 
arrivée  à  Bruxelles.  Quel 
ennui  !  Le  ton  confidentiel 
que  je  tenais   dans  cette 
lettre  me   laisse  à    réflé- 
chir, si  elle  est  tombée  en  d'autres  mains  que  les  vô,tres. 
A  présent,  je  comprends  pourquoi  je  ne  recevais  de  vous 
aucune  réponse  sur  ce  que  je  vous  communiquais   Quant 
à  vos  lettres  des  C  et  25  avril  et  la  dernière  du  28  mai, 
à  laquelle   une    lettre  de   change   était   jointe,    elles   me 
sont  régulièrement  parvenues.  C'est  avec  plaisir  que  je  me 
remettrai  à  vous  raconter,  un  peu  plus  tard,  ma  mésaven- 
ture de  Vilvorde  et  quelques  autres  faits  divers  qui   me 
touchent.  Pour  aujourd'hui,  la  hâte  que  je  mets  à  vous  écrire 
ne  me  le  permet  pas. 

Avec  les  comptes  courants,  j'ai  transmis  à  la  Secrétairerie 


Malincs.  —  Musée, 


342 


LA    PRKLATIRE   DE    LfiON    XIII. 


(rEiat,  la  noie  de  mes  dépenses  de  poste  pour  ce  dernier 
Irimeslre.  .Fen  ai  demandé  le  remboursemenl,  selon  Tliabi- 
tude  qui  le  consent  aux  nonces.  J'y  ai  compris  aussi  le  prix 
de  quelques  rayons  de  bibliothèque,  dont  Mgr  Fornari  a  fait 
emplette.  La  noie  ne  dépasse  pas  400  francs.  Elle' vous  sera 
passée  par  la  Secrétaireiie  dTlat,  pour  vous  être  remboursée 
par  le  Trésor.  Celle  somme  de  409  francs,  ajoutée  à 
90  francs  et  formant  le  total  de  505  francs,  vous  aurez  la 
bonté  de  la  remettre  à  M.  Clément  Buratti,  minutant  de  la 
Propagande,  à  qui  j'écrirai  pour  Tinviter  à  se  présenter  chez 
vous  pour  toucher  cette  somme.  I/équivalent  m'a  été  versé 
à  Bruxelles,  poiir  être  remisa  M.  Buratti,  qui  dira  autant 
de  messes  à  1  franc  Tune,  selon  le  désir  qu'il  en  avait  mani- 
festé lui-même.  C  est  pour  venir  en  aide  à  ses  missionnaires 
besogneux.  Si  vous  avez  des  nouvelles  qui  puissent,  de  près 
ou  de  loin,  m'intéresser,  communiquez-les  moi,  je  vous  (mi 
prie.  Je  ne  sais  si,  jusqu'à  celte  heure,  il  est  lien  arrivé  qui 
ne  soit  au  gré  des  autorités  supérieures.  J'espère  que  non. 
Mais  mon  désir  constant  de  maintenir  avantageusement  la 
bonne  opinion  dont  je  peux  bénéficier,  augmente  mon 
anxiété  d'en  obtenir  l'assurance  par  quelque  confidenlielle 
communication.  Et  me  voici,  sur  ce  point  encore,  tout  beso- 
gneux du  concours  des  amis  qui  peuvent  opportunément 
m'avertir  et  me  prévenir.  Or,  qui  est  mon  plus  grand  ami, 
si  ce  n'est  vous? 

La  santé.  Dieu  merci,  s'est  maintenue  bonne  jusqu'à 
présent.  Le  temps,  du  moins  en  cette  saison,  ne  peut  s'ap- 
peler mauvais;  mais  il  est  étrangement  variable.  Mes  colla- 
borateurs à  la  nonciature,  MM.  Clemenli  et  Pilaja,  se  por- 
tent bien  aussi.  Peut-être  pourraient-ils  mieux  faire;  mais, 
en  général,  je  n'ai  pas  à  m'en  plaindre. 

Bruxelles,  16  janvier  1843. 


LA    NONCIATURt:    DE    BRUXELLES. 


545 


CXXII 

An  même,  à  Ihme.  —  J'ai  bien  reçu  votre  excellente  lettre 
du  29  juillet  dernier,  en  même  temps  que  la  lettre  de  change 
de  204:2  francs,  pour  mon  règlement  du  mois  écoulé. 

Aujourd'hui,  je  vais  tenir  la  promesse  que  je  vous  avais 
faite,  devons  répéter  les  choses  que  je  vou^  avais  écrites  dans 


Malines.  —  La  GranH'Placc  de  Sainl-Rombaiit. 


la  lettre  (jui  s'est  malheureusement  perdue.  Je  me  rappelle 
que  je  vous  parlais,  en  premier  lieu,  de  mon  arrivée  à 
Bruxelles  et  de  la  visite  que  j'avais  faile,  quelques  heures 
durant,  sur  le  champ  de  bataille  de  Waterloo.  On  le  trouve 
sur  la  route  de  Namur,  à  la  distance  de  trois  ou  quatre  lieues 
de  cette  ville.  Le  temps  était  des  plus  mauvais  et  la  neige 
tombait  si  abondante,  que  tous  les  champs  aux  alentours  en 
étaient  recouverts.  La  curiosité  fut  plus  forte  que  la  mau- 


-•^j 


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«■MC»**?'^^?*^ 


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i44 


LA   PRÉLATIRE   DE   LÉON    XIII. 


LA   >0>CIATUHK    DE    BRUXELLES. 


vaise  saison  et,  à  l'aide  d'un  excellent  cicérone,  je  voulus 
visiter  tous  les  points  où  se  livra  la  mémorable  bataille. 
Des  positions  occupées  par  les  Anglais  et  les  Prussiens,  je 
passai  à  celles  des  Français.  J'ai  vu  le  lion  néerlandais  qu'on 
a  éri|^é  sur  la  cime  d'une  de  ces  collines,  en  mémoire  de 
cette  j-rande  journée;  et  je  conserve  quelques  balles  rouil- 

lées,  trouvées  par  des  paysans  (|ui 
labourent  ces  terres. 

Je  vous  parlais  aussi  de  ma 
réception  à  la  Cour,  et  de  la  céré- 
monie qui  eut  lieu  quand  je  pré- 
sentai aux  Souverains  de  Belgique 
mes  lettres  de  créance.  Le  roi  est 
plein  de  bienveillance,  et  la  reine 
est  vraiment  une  sainte.  Je  vous 
entretenais  également  de  l'accueil 
que  m'avait  lait  le  corps  diploma- 
tique. Mais,  après  quatre  mois, 
toutes  ces  clioses  ont  perdu  de 
leur  importance.  Au  lieu  de  les 
raconter  au  long,  il  sut'lit  mainte- 
nant de  les  indiquer. 

Le  24  avril,  je  me  suis  rendu  à 
Malines  avec  Tauditeur  et  le  secrétaire  de  la  nonciature, 
pour  recevoir  le  cardinal-archevêque  et  lui  remettre  le 
Bref  de  Sa  Sainteté.  Le  soir,  en  rentrant,  nous  passions 
par  un  pays  qui  se  nomme  Vilvorde  et  qui  se  trouve  sur 
la  grand'route.  Là,  le  cocher  voulut  relayer  les  chevaux. 
Il  venait  de  descendre  de  son  siège  pour  dételer  les  bétes, 
quand  une  charrette  passa.  Cette  vision  imprévue  elTrava 
les  chevaux  à  ce  point  que,  retournant  la  voiture  du  coté 
de  Malines,  ils  s'élancèrent,  bride  abattue,  en  une  course 


-.jC.  , 

Anvers.  —  Une  fontaine, 


vertigineuse.  En  vain  s'eflorcèrent  à  courir  après  eux,  pour 
essayer  de  les  airéler,  le  cocher,  les  domestiques  et  tout 
le  monde.  Les  chevaux  avaient  déjà  franchi  un  long  espace, 
et  déjà  était  proche  le  canal  de  Vilvorde  aux  eaux  très 
profondes.  Selon  la  diiection  que  suivaient  les  chevaux,  la 


Anvers.  —  La  sortie  de  l'Escaut. 

voiture  allait  se  précipiter  dans  l'eau  ou  se  biiser  sur  les 
|)arapets  qui  bordent  le  pont. 

Dans  l'un  ou  l'autre  cas,  nous  étions  menacés  d'un 
grand  péril  ou  d'une  mort  certaine.  Mais  la  Providence  a 
voulu  nous  sauver.  Pour  notre  bonheur,  un  brave  ecclé- 
siastique, curé  de  Borg,  bras  nerveux  et  esprit  froid,  se 
trouvait  à  passer  par  là.  Après  d'inutiles  efforts  qui  lui  valu- 
rent maintes  contusions,  ne  pouvant  refréner  les  chevaux 
((u'il  avait  saisis  par  le  mors,  il  parvint,  avec  le  bâton  qu'il 
portait,  à  asséner  à  la  tête  la  plus  effrénée  des  deux  bêtes 


.'itî 


546 


LA   PRÉLATIKE    DE   LÉON    MIL 


LA   NONCIATURE   DE    BRUXELLES. 


ù47 


qu'il  obattit.  Cependanl  quelques  ouvriers,  avec  des  échelles, 
avaient  barré  la  route  et  le  pont  du  canaf  à  la  fois.  Alors 
nous,  profilant  de  la  chute  du  cheval  et  de  Tarrêt  de  la 
voiture,  nous  mîmes,  sains  et  saufs,  pied  à  terre.  Grande 
avait  été  la  peur,  car  grand  avait  été  le  danger.  Le  bon  curé 
voulut  aussi  nous  offrir,  dans  son  presbytère,  hospitalilé 
et  confort  en  nous  prodiguant  ses  soins  et  ses  services. 
Nous  lui  devons  une  reconnaissance  éternelle.  Je  lis  à  pied 
le  reste  de  la  roule  jusquVi  Bruxelles,  soit  6  bons  milles;  et 
je  m'en  trouvai  bien,  car  je  ne  ressentis  plus  lien  de  Témo- 
tion  passée. 

Je  remets  les  autres  nouvelles  à  une  prochaine  leltre. 

Hier  seulement  j'ai  pu  retirer  a  la  douane  la  passemen- 
terie demandée  pour  mes  livrées.  Pour  frais  de  Iransporl, 
j^'ai  dû  payer  28  francs  45  centimes.  —  On  m'a  remis 
585  francs  pour  faire  dire  à  Rome  autant  de  messes,  à 
I  franc  1  une.  Je  reliens  celte  somme,  que  vous  pourrez 
prélever  sur  mon  traitement  du  mois  courant  et  la  sous- 
traire de  la  somme  que  vous  aurez  à  m'envoyer  en  lettre  de 
change.  Vous  donnerez  ces  honoraires  à  M.  Vaccari,  cha- 
noine de  Saint-Jean-de-Latran  ;  ils  proviennent,  en  partie, 
de  iMgr  Beck,  évrque  de  Bruxelles. 

Je  vous  remercie  des  bonnes  nouvelles  que  vous  me 
donnez  de  la  famille.  Je  lui  retourne  mes  plus  cordiales 
salutations.  A  notre  cher  petit  Jules  vous  direz  (|ue  je  l'at- 
tends à  Bruxelles  et  que,  s'il  est  bon  comme  je  l'espère,  je 
le  ferai  s'amuser  beaucoup  en  le  promenant  sur  les  chemins 
de  fer.  En  attendant,  etc. 

Bruxelles,  le  li  aoùl  1845. 


CXXIII 

Mgr  Fontari,  nonce  à  Paris,  à  Mgr  Joachim  Pecci,  à 
Bruxelles,  —  Je  suis  persuadé  que  votre  nonciature  réussira 
très  bien,  parce  que  le  Seigneur  exalte  ceux  qui  s'humilient. 
Pardonnez-moi  donc.  Monseigneur,  et  remerciez  Dieu  qui 
vous  a  donné  tant 
de  vertus.  Je  vou- 
drais qu'il  me  per- 
mît de  ne  pas  me 
borner  à  la  seule 
admiration,  et  qu'il 
me  donnât  encore 
la  force  de  vous 
imiter. 

Je  sais  bien  que 
vous  ne  pouviez 
pas  vous  dispenser 
«l'aller  à  l'Univer- 
sité, comme  moi 
non  plus  je  n'ai 
pu  m'en  dispenser, 

puisque  j'étais  allé  chez  les  jésuites.  Mais  j'ai  eu  plus  de 
chance  que  vous.  Je  n'ai  pas  eu  la  présence  du  cardinal, 
et  personne  n'est  venu  me  haranguer.  Vous  conviendrez 
avec  moi  que  la  conduite  de  M.  le  recteur  n'a  pas  été 
très  polie;  elle  a  constitué  une  véritable  surprise,  et  un 
galant  homme  ne  doit  jamais  agir  par  surprise.  Tel  est  le 
caractère  de  cet  homme  :  il  ne  fait  jamais  rien  sans  mille  et 
mille  calculs  préalables.. 

Quoi  qu'il  en  soit,  l'affaire  est  finie,  et,  croyez-moi,  n'y 


Liège.  —  Coui  du  Palais  de  Juslice. 


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r)'>8 


LA   PRKLATIRE    DE    LÉON    XIII. 


pensez  |)Iiis.  Soyez  sûr  que  le  recleur  de  Home  publiera 
voire  discours.  Mais  vous  pourrez  répondre  :  «  0»nnd  j*ai 
fait  ee  discours,  je  ne  savais  pas  »  ;  ou  bien  :  «  Ce  que  je 
trouve  actuellement  de  rcpréhensible  n'existait  pas  encore 
pour  moi  ».  Ne  craignez  rien  de  Home.  Une  autre  fois, vous 
préviendrez  le  recteur  que  vous  ne  voulez  pas  être  harangué. 
Vous  avez  très  bien  fait  d'écrire  à  Home;  car,  là-bas,  ils 
conviendront  que  ce  que  vous  avez  dit  en  public  était  exigé 
par  la  prudence,  et  que  votre  véritable  opinion  sur  l'Univer- 
sité est  seulement  exprimée  par  vos  dépécbes. 

Si  un  nonce  trouve    de    l'opposition  dans   un    évcque- 
cardinal  qui  se  plaint  et  ne  veut  pas  céder,  alors  la  Secrétai- 
rerie  d'État  crie  contre  le  nonce  qu'elle  accuse  d'avoir  fait 
naître  un  conflit.  Si  le  nonce  cède  tout  bonnement,  alors 
(»n  le  blâme  parce  qu'il  n'a  pas  tenu  haut  le  caractère  et  la 
dignité  de  la  représentation  apostolique.  Cela  fait  (|ue  les 
nonces  cherclieront  à  éviter  toute  espèce  de  rencontre  avec 
les  évéques-cardinaux,  surtout  dans  les  églises.  A  Paiis,  un 
nonce  ne  pourrait  se  défendre  contre  un  archevêque,  même 
non  cardinal;  parce  que  celui-ci,  suivant  les  libertés  galli- 
canes, prétend  ne  devoir  cédera  personne  autre  que  le  pape. 
Cela  fait  que  les  nonces  éviteront  toujours  les  rencontres. 
Ainsi  faisait  le  cardinal  Macclii,  lorsqu'il  était  nonce  à  Paris 
et  que  le  cardinal  Talleyrand-Périgord  y  était  archevêque. 

Vous  avez  formé  votre  jugement  sur  tous  les  évêques,  et 
il  me  paraît  que  vous  les  avez  tous  bien  jugés,  excepté  l'évê- 
que  de  Bruges  qui  n'est,  peut-être,  ni  si  borné  ni  si  vieux. 
Observez  l'administration  de  son  diocèse,  et  vous  verrez 
qu'elle  est  bonne.  Donc  révêcjue  a  du  talent. 

J'ai  reçu  le  grand  cordon  de  Léopold  dans  les  premiers 
jours  de  mars,  etc. 

Paris,  II  aoùl  ISTi. 


•  ^,t    •     ■* 


« 


LA  .NONCIATLUE  DE  BRUXELLES. 


oii» 


CXXIV 

Mgr  Joachim  Pecci,  au  comte  Antoine  Pecci  et  aux  frères 
Charles  et  Jean-Baptiste ,  à  Carpineto.  —  Depuis  longtemps 
je  désirais  vous  donner  de  mes  nouvelles  et  vous  intéresser 
au  pays  que  j'habite;  mais  encore  fallail-il  que  j'attende 


Anvers.  —  Le  Steeii. 

reîTel  produit  sur  moi  par  ce  climat,  et  que  je  voie  quelque 
chose  en  Belgique  pour  vous  en  parler  au  moins  sommaire- 
ment, n  fallait  laisser  passer  les  premiers  mois  d'un  désar- 
roi bien  naturel  pour  qui  vient  en  pays  étranger,  non  plus 
à  litre  privé,  mais  avec  charge  diplomatique,  —  ce  qui 
occasionne  toujours  d'infinis  embarras.  Maintenant  que  tous 
ces  premiers  tracas  sont  heureusement  Unis  ou  qu'ils  dimi- 
nuent tout  au  moins,  j'espère  que  rien  ne  m'empêchera 
encore  de  vous  écrire  avec  plus  d'empressement  et  de  régu- 
larité, et  de  communiquer,  chaque  mois,  de  mes  nouvelles 
à  la  famille. 


../TV...   -       ,--<*»-V»F«r^.Xi,.^j^^ 


*^3^>^fr^**-'*  ■■•'■ 


50 


LA   PUÉLATLKK   DE    LÉON   Mil. 


LA    NONCIATUUE    DE    DULXELLES. 


551 


II 

M 


h 


Coinmeni^toiis  donc  par  la  santé.  Elle  se  mainliont  bonne, 
Dieu  merci!  encore  qu'affaiblie  quelquefois.  L'amélioration 
que  j'avais  gagnée,  à  mon  séjour  dans  Pérouse,  semble 
vouloir  se  conserver  malgré  les  contre-coups  éprouvés  en 
des  climats  différents.  xMainlenant,  je  ferai  tout  ce  qui 
dépendra  de  moi  pour  que  cette  santé  se  consolide  en  se 
fortifiant.  La  température  rigoureuse  et  variable  de  la  Bel- 
gique demande  bien  des  précautions.  Pendaîit  les  mois  de 
juillet  et  d'août,  nous  avons  eu  à  Bruxelles  des  journées  si 
mauvaises,  qu'elles  ne  semblaient  pas  différer  de  celles  donl 
on  peut  souffiir  à  Home  pendant  le  plus  fort  de  novembre. 

La  ville,  bien  qu'en  édifices  publics  elle  n'offre  pas  nos 
magnificences  italiennes,  est  toutefois  vaste  et  élégante. 
Presque  toutes  les  églises  y  sont  d'une  bardie  arcbitecture 

gothique.Lesplusremarquablessont:Sainle-Gudule,  qui  sert 
de  cathédrale,  Notre-Dame-de-Sablon  et  Nolre-Dame-de-la- 
Chapelle.  Cependant  l'intérieur  de  ces  églises  ne  correspond 
pas  du  tout  à  leur  extérieur  imposant,  comme  dans  les 
églises  gothiques  de  France,  et  spécialement  à  Reims  et  à 
Dijon.  L'H(jtel-de-Yille  est  un  bel  édifice,  dominé  par  une 
belle  tour  gothique  à  laquelle  on  fait  présentement  des 
réparations.  Les  rues  sont  larges,  régulières  et,  les  princi- 
pales, bordées  d'élégants  magasins  et  de  candélabres  en  fer 
forgé  supportant  des  lampes  pour  l'éclairage  de  nuit,  au 
gaz.  Saint-Jacques-de-Caudembeig,  le  Palais  de  Justice  et  le 
Théâtre  de  la  Monnaie,  avec  leurs  portiques  et  leurs  colon- 
nades, imitent  les  anciens  édifices  grecs  et  romains  et  pré- 
sentent un  aspect  imposant.  Nombreuses  sont  les  prome- 
nades publiques.  Vastes  et  belles  les  campagnes,  autour  dj 
la  cité,  encore  qu'un  peu  monotones  aussi  en  raison  du  ter- 
rain uniformément  plainier  qui  n'est  pas  moins  j)ittoresque 
que  fécond. 


L'industrie  et  le  commerce  sont  on  ne  peut  plus  prospères 
en  Belgique.  Bruxelles,  placée  entre  Londres  et  Paris,  donne 
avec  son  mouvement  d'affaires,  une  idée  assez  satisfaisante 
de  ces  deux  grandes  capitales  du  monde.  Ce  développement 
y  est  produit  principalement  par  les  multiples  et  grandioses 


Costumes  belges. 

voies  de  communication,  surtout  par  les  chemins  de  fer  qui 
sillonnent  en  tous  sens  le  royaume  et  qui  transportent, 
avec  une  rapidité  extraordinaire,  des  masses  imposantes 
d'hommes  et  de  marchandises.  Six  voies  ferrées,  —  chose 
extraordinaire!  —  ouvrent  la  Belgique  à  la  grande  facilité 
des  parcours,  tant  y  est  abondant  le  fer  que  produisent 
ses  mines,  tant  les  Belges  sont  industrieux  et  persévérants 
dans  les  travaux  les  plus  ardus.  Le  15  de  juillet  dernier, 
fut  inauguré  le  chemin  de  fer  qui  relie  Liège  à  Verviers; 


M^^^mw^. 


352 


LA   PKÉLATinE    DE    LKON    Mij. 


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le  ÔOdii  même  mois,  celui  qui  va  à  Xamur;  el,  le  15  odc.l.ie 
prochain,   on   ouvrira   celui   de  Liège   à   Aix-la-Cliaj.elle, 
l'ancienne  Aquisgrana ;  de  telle  sorle  que,  bientôt,  sur  là 
même  voie  ferrée,  on  ira  de  Paris  à  Ciuxelles  el  de  Bruxelles 
à  Aix-la-Cliapelle  el  Cologne  en  quel(|ues   heures!  A  l'oc- 
casion   de    l'inauguration   du  chemin  de   Ter  de  Namur, 
(laquelle,  comme  je  vous  l'ai  dit,  a  eu  lieu  le  50  juillet),' 
j'ai  voulu  assister  à  la  cérémonie  et  accompagner  I.L.  .MM. 
le  Roi  et  la  Heine,  car  il  est  d'usage  qu'en  celle  circonslant c 
on  lasse  des  fêles  auxcjuelles  sont  invités  la  famille  rovale 
et  le  corps  diplomatique.  Rien  de  plus  merveilleux  que  ces 
courses  où,  en  une  heure,  on  lait  plus  de  20  milles;  d(. 
telle  sorle  qu'en  trois  heures  et  demie,  nous  sommes  reve- 
nus de  Namur  à  lîruxelles,  après  avoir  parcouru  une  dis- 
lance d'environ  (îi  milles.  A  droite  et  à  gauche  fuvaieni, 
eommc  des  illusions  d'optique,  les  plus  riantes  perspective! 
des  villas,  des  casinos,  des  villages.  Vous  trouverez,  jointe 
à  ma  lettre,  une  description  rapide  de  ces  fêles. 

Le  caractère  dulJelge  est  généralement  bon  et  hospitalier. 
Dans  ses  fêtes  les  plus  bruyantes,  vous  remarquez  en  lui  un 
je  ne  sais  quoi  de  llegmali.iue  qui  caractérise  bien  la  nature 
llamande. 

De  toute  cette  narration,  vous  concluerez  facilement  que 
la  vie  ne  m'est  point  ici  du  loul  désagréable,  encore  que 
bien  des  choses  y  manquent,  —  et  dans  leur  nombre  je 
compte  principalement  le  charme  de  notre  ciel  italien,  le 
brio  el  la  vivacité  de  nos  compatriotes.  J'our  aujouid'hui, 
qu'il  vous  suffise  de  ces  lignes,  pour  avoir  une  idée  générale 
de  ce  pays.  i:nc  autre  lettre  vous  parlera  en  détail  des 
auties  choses  que  j'aurai  vues  jusqu'alors, et  je  vous  v  con- 
terai les  particularités  de  ma  vie  privée.  Je  termine  celle-ci 
en  vous  disant,  à  vous,  oncle  Antoine,  de  vous  diveitir  fort 


^r^4^û.. 


LA   NONCIATURE    DE    BRUXELLES. 


o.)3 


dans  vos  promenades  fréquentes  à  cheval  jusqu'au  Casino, 
el  de  faire  volie  possible  pour  prolonger  la  vie  jusqu'aprèl 
cent  ans.  A  vous,  Charles,  je  dirai  que  vous  devez  vous 
conserver  en  bonne  humeur  el  chasser  loin  toute  pensée 
mélancolique.  Lorsque  j'ai  visité  le  fameux  champ  de 
bataille  de  Waterloo,  je  me  suis  ressouvenu  de  vous,  et 
j'eusse  désiré  alors  votre  compagnie.  J'ai  ramassé  sur  o'elte 


Le  lion  de  Walorhx». 


plaine  quelques  balles  rouillées  que  vous  recevrez  en  souve- 
nir de  celle  bataille,  et  que  je  vous  enverrai  par  la  première 
occasion  qui  se  présentera. 


Dnixellcs,  13  août  I8i", 


CXXY 


Mf/r  Fornari,  notice  à  Paris,  à  Mgr  Joachim  PeccI,  à 
Bruxelles.  —  ...  Si  vous  avez  occasion  de  voir  M,  Gioberti, 
remerciez-le  infiniment,  de  ma  part,  pour  les  volumes  qu'il 
vous  a  remis  à  mon  intention. 


Paris,  0  août  1844. 


25 


n 


H 


554 


LA    PHÉf.ATURE   DE    LÉON   \ll[. 


6 


I       * 


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C\XY[ 

Mgr  Joachim  Pecci  au  comte  Antoine  Pecci  et  a  ht  frères- 
Charles  et  Jean- Baptiste,  à  Carpineto.  —  Dans  ma  dernière 
lettre  (raoût  derniei-,  je  vous  ai  promis  de  vous  écrire  une 
fois  par  mois  et,  ainsi,  de  vous  donner  de  mes  nouvelles  plus 
régulièrement  que  par  le  passé.  Je  ne  veux  pas  laisser  finir 
le  mois  de  septembre  sans  remplir  ma  promesse. 

Durant  tout  le  mois  dernier,  nous  avons  eu  un  temps 
splendide;  j'ai  à  peine  souvenir  d'avoir  vu  en  Italie  journées 
plus  magniliques  et  sereines.  Ça  été  une  vraie  surprise 
dont  s'est  émerveillé  tout  le  monde,  tant  était  grand  le 
contraste  des  mois  de  juin  et  juillet,  pendant  lesquels  la 
pluie  fut  quotidienne.  Au  reste,  le  cas  est  rare  où  le  ciel  de 
Belgique  ne  soit  couvert  de  nuages;  il  semble  être  la  devise 
ou  le  drapeau  du  pays. 

Ma   santé.    Dieu   merci!  se  maintient  bonne  et,    bien 
qu'elle  soit  loin  d'être  parfaite,  je  me  contenterais  qu'elle 
ne  devienne  pire  sous  un  pareil  climat.  L'hiver  qui  arrive 
va  être   la  pierre   de  touche;   car,  comme   vous  le  savez, 
rhiver  est  ici  rigoureux  et  humide  à  l'excès.  Mais  la  Belgique 
offre  cet  avantage  que  les  maisons  y  sont  bien  closes  et  bien 
munies  contre  le  froid.  En  vérité,  les  portes  et  les  fenêtres 
y  sont  construites  avec  tant  de  soin,  que  le  moindre  courant 
d'air  ne  peut  y  pénétrer.  Les  parquets,  comme  les  escaliers, 
sont  en  bois.  De  plus,  dans  chaque  chambre,  on  trouve  un 
poêle,   c'est-a-dire  une   petite  cheminée    dont  un    tuyau 
conduit  la  fumée  dehors  ;  il  est  totalement  construit  en  fer, 
de  sorte  qu'avec  très  peu  de  bois  on  entretient  une  grande 
chaleur  dans  l'intérieur  de  la  pièce.  De  plus,  dans  l'inté- 
rieur même  des  épaisses  murailles,  circulent  des  tuvaux,  dits 


r-  "■.  »~  ». 


"^Jc^ 


LA    NONCIATURE    DE    BRUXELLES.  555 

calorifères,  lesquels  se  rejoignent  à  la  cuisine;  et  le  feu  qui 
est  allumé  dans  l'office  suffit  à  maintenir  dans  toute  la  mai- 
son une  température  suffisamment  chaude. 

Les  loyers  des  maisons  sont  proportionnels  a  celui  que  je 
paye  pour  la  mienne,  c'est-à-dire  exorbitants.  Celle  que 
jliabile'  el  <|ui  fut  habitée  avant  moi  par  Mgr  Fornari,  coûte 


Louvaiii.  —  Égliso  Saiiil-Picrro. 


la 


annuellement 
8000  francs  de 

location,  soit  en- 
viron 1700  écus 
romains.  Cette 
dépense  est  vrai- 
nient  doulou- 
rense,  mais  iJ 
est  impossible  d'avoir  à  meilleur  prix  une  maison  conve- 
nable et  propre  au  rang  que  je  dois  tenir;  aussi  faut-il  s'y 
résigner.  Et  même,  pour  les  autres  choses  d'usage,  les 
prix  sont  ici  au  double  de  ceux  d'Italie,  quand  ils  n'arrivent 
pas  au  triple  ou  au  quadruple.  Une  bouteille  de  vin  ne  coûte 
pas  moins  de  55  hajoechi,  c'est-à-dire  I  fr.  50  ;  car  la  Bel- 

1.  L'hôlcl  de  la  Nonciature,  hal)itc  par  Mgr  Pecci,  était  dans  le  voisina-e  de 
bainte-Giidule,  cVst-à-dire  dans  un  des  plus  beaux  quartiers  de  Bruxell^'es  » 
ecUe  époque.  ^^  ' 


"TTS^ 


b 


r)5r. 


LA    PRÉLATIRK   DE    LÉON    XIII. 


iqiie,  vous  le  savez,  ne  produit  pas  de  vin;  celui  qu'on  y 
boit,  vient  de  France  et  les  domestiques  se  conlenlent  de 
hière.  Un  autre  article  bien  coûteux,  c'est  le  bois  et  le 
charbon  de  terre  qui  s'emploie  exclusivement  a  la  cuisine, 
l/approvisionnement  de  ces  deux  articles  pour  un  an  exige 
la  dépense  de  ^2000  francs,  soit  à  peu  près  400  écus.  I.e 
fourrage  pour  les  chevaux  coûte  ici  le  même  prix  qu'en 
Italie;  mais  les  cochers  s'y  font  donner  des  gages  de  beau- 
coup supérieurs,  sans  ([u'ils  aient  la  souplesse  et  l'habileté 
des  nôtres;  il  est  vrai,  aussi,  qu'ils  sont  préférables  à  nos 
gens  pour  l'exactitude  et  la  patience.  J'aià  l'écurie  troisvoi- 
lures  :  une  de  grand  gala,  qui  m'a  coûté  3200  francs;  une 
autre,  qui  est  couverte  et  qui  peut  se  découvrir  a  volonté, 
comme  landau,  dont  l'acquisition  fut  faite  par  Mgr  Fornari 
au  prix  de  2000  francs;  une  troisième  enlin,  petite  voiture 
pour  l'usage  quotidien,  élégante  pourtant,  celle-là  même 
que  j'ai  changée  contre  le  carrozzino  parti  de  Rome  en 
même  temps  que  moi  et  qui  avait  un  peu  souffert  du  voyage. 

Durant  les  mois  de  juillet  et  d'août,  j'ai  eu  Toccasion  de 
de  voir  maints  châteaux,  qui  sont  des  maisons  de  campagne 
habitées  par  les  principales  familles  de  Bruxelles,  pendant 
l'été  et  l'automne.  Le  style  de  ces  châteaux  est  ordinairement 
gothique.  Ils  sont  tenus  avec  une  propreté  incomparable, 
note  caractéristique  de  la  race  flamande.  Les  campagnes,  les 
petits  bois  et  les  collines  qui  les  environnent,  ofl'rent  des 
points  de  vue  variés,  pittoresques.  J'ai  vu  deux  fois  la  ville 
de  Louvain,  célèbre  pour  son  Université  catholique,  et  celle 
de  Malines  qui  est  la  résidence  du  cardinal.  J'aurais  eu  sou- 
vent l'occasion  de  me  rendre  à  Anvers,  à  Gand,  à  Liège, 
etc.,  et  je  ne  l'ai  pas  fait  pour  ne  pas  m'absenter  de  la  capi- 
tale, sans  un  motif  sérieux. 

Les  journaux  vous  auront,  sans  doute,  appris  le  voyage  que 


^A.-^.  .j: 


•»! 


LA   NONCIATURE    DE   RRtXELLES. 


i  «1 

i  -il 


Vient  de  faire,  ce  mois-ci,  la  reine  d'Angleterre  en  France 
et  en  Belgique.  Le  18  septembre,  elle  a  fait  son  entrée  à 
Bruxelles.  J'ai  pensé  qu'un  récit  détaillé  de  ce  qui  est  arrivé 
en  cette  circonstance  vous  intéresserait  ;  aussi  je  vous  en  en- 
voie la  narration,  que  vous  trouverez  incluse  dans  cette  lettre. 
Voilà  donc,  sur  la  Belgique,  toutes  les  nouvelles  que  vou5 
pouviez  en  attendre.  C'est  maintenant  au  tour  de  ma  pensée, 
de  revenir  au  pays  natal  et  de  se  fixer,  tout  au  moins  un 
instant,  sur  Carpineto.  Je  désirerais,  d'abord,  connaître 
l'état  de  votre  santé  et  savoir  comme  vous  la  traitez  dans  nos 
montagnes.  J'imagine  que  vous  ne  changez  rien  à  la  bonne 
monotonie  des  antiques  coutumes;  que  l'oncle  Antoine 
continue  à  monter  sa  jument  favorite;  que  le  sédentaire 
Charles  reste  à  la  maison  et  se  livre  souvent  aux  sollicitudes 
domestiques;  que  Jean-Baptiste,  en  résidence  à  Maenza,  fait 
à  Carpineto  ses  courtes  apparitions  d'un  jour  à  l'autre. 
J'espère  bien  que  la  santé  de  tous  est  bonne;  mais  je  serais 
heureux  d'en  avoir  l'assurance  par  quelque  lettre  que,  de 
temps  en  temps,  j'aimerais  bien  recevoir. 

Bruxelles,  25  septembre  1843. 


CXXVII 

t 

Mgr  Joachim  Pecci  à  M.  Stanislas  Slerbhii,  à  Rome,  

J'apprends  avec  plaisir,  par  votre  dernière  lettre  du  28  sep- 
tembre dernier,  que  vous  avez  reçu  régulièrement  mes  pré- 
cédents messages  et  qu'aucun  autre  accident  de  poste  ne 
leur  est  arrivé.  Je  me  plais  à  espérer  que  la  régularité  du 
service  se  maintiendra,  à  l'avenir,  pour  notre  correspon- 
dance. La  contestation  provoquée  par  Taflaire  du  chanoine 
Buratti  et  les  démarches   imprudentes  que  ce  prêtre  s'est 


2â:i 


y 


558 


LA    PRKLATlFiK    f)E    LKON    Mil. 


i 


►j 


permis  de  faire,  m'ont  causé  la  plus  grande  surprise  et  le 
plus  vit'  déplaisir.  Certes,  en  outre  des  ennuis  continus  que 
je  vous  ai  procurés,  je  ne  m'allendais  pas  à  vous  en  causer 
d'autres,  encore  qu'innocemment  et  bien  involontairemenl. 
Comment  supposer  qu'on  eût  osé  vous  offenser  dans  votre 
honneur,  par  des  démarches  aussi  inconsidérées  ({u'impru- 
dentes?  Dans  la  lettre  de  reproches  que  j'ai  écrite  à  ce  cha- 
noine, j'ai  exj)rimé  tout  mon  mécontentement  el  j'ai  sommé 
le  coupable  d'avoir  à  réparer  son  méfait.  Il  a  promis  de  le 
faire  par  une  lettre  pleine  d'excuses,  qu'il  adresse  à  vous  el 
aux  autres  personnes  par  lui  offensées.  Il  y  a,  par  le  monde, 
des  gens  de  toute  sorte;  mais  je  ne  sais  s'il  en  est  de  plus 
dangereux  que  ceux  qui,  à  la  légèreléde  la  réflexion,  ajoutent 
l'imprudence  des  actes.  Quoi  qu'il  en  soit,  je  suis  heureux 
d'apprendre  par  votre  lettre  (lue  cette  affaire  est  terminée, 
oubliée  même. 

Dans  votre  pli,  j*ai  trouvé  le  relevé  des  dépenses  a  i)()iter  à 
mon  débit.  D'ici  même,  j'ai  reconnu  ce  compte  très  régulier. 
Vous  avez  bien  fait  d'y  ajouter  les  frais  de  poste  des  lettres 
que  vous  avez  reyues,  et  vous  voudrez  en  faire  de  même 
j)our  les  suivantes.  Après  ce  que  vous  m'aviez  écrit,  je  ne 
ni'atlendais  pas  à  voir  approuvée  la  dépense  des  rayons  de 
bibliothèque,  faite  par  Mgr  Fornari.  C'est  très  heureux  que 
la  Secrétairerie  d'État  ait  eniin  changé  d'avis,  en  admettant 
ce  compte. 

A  l'approche  de  l'hiver,  je  vois  avec  déplaisir  s'augmenter 
les  dépenses.  Je  suis  contraint  pai-  la  nécessité  de  grever, 
au  moins  pour  un  trimestre  et  pour  la  somme  de  50  écus, 
Tavance  des  100  écus  que  je  prends  à  la  Banque  Romaine 
sur  les  3000  francs  auxquels  j'ai  droit.  Cette  mesure  est 
motivée  entre  autres  par  l'approvisionnement  de  charbons  et 
de  bois  nécessaires,  en  celte  saison  et  sous  un  lel  climat, 


LA   iNONCIATURE   DE    BRUXELLES.  559 

pour  se  défendre  des  grands  froids.  D'autre  part,  les 
dépenses  quotidiennes  absorbent  la  somme  que  vous  me 
faites  remettre,  chaque  mois.  Ces  dépenses,  les  voici  : 

Loyer 007  francs. 

Nourri  tu  re /|,5() 

Gages  des  domestiques 371     

Ecurie Jt)() 

ï>ivers 450     — 

Soit,  par  mois.    .    .    .     2058  francs. 

Avec  les  50  écus  (jue  vous  ajouterez  à  mes  lettres  de 
change  courantes,  j'aurai  une  augmentation  et  une  réserve 
de  !270  francs.  Tout  le  mal  vient  de  ce  loyer  dispendieux  de 
UO  écus  par  mois.  Sans  cet  embarras,  les  choses  pourraient 
marcher.  Mais  que  faire?  Se  résigner. 

Jusqu'à  la  petite  réserve  (jue  j'avais  épargnée  el  qui,  de 
mois  en  mois,  s'en  est  allée.  Hécemment  encore,  j'ai  subi 
une  rude  secousse  du  coté  des  chevaux  qui  n'ont  pas  tenu  ce 
qu'ils  avaient  promis.  En  outre,  il  a  fallu  faire  l'acquisition 
d'une  voilure  ;  celle  que  j'avais  amenée  de  Rome  ne  pouvant 
plus  me  servir,  selon  les  convenances. 

Je  vous  remercie  des  nouvelles  que  vous  voulez  bien  me 
donner  sur  ma  sœur  mariée  à  Ferentino,  et  je  vous  envoie 
une  lettre  que  vous  aurez  la  bonté  de  lui  faire  parvenir. 
J'apprends  avec  plaisir  qu'elle  se  porte  bien.  J'ignorais  que 
Jean-Baptistefûtàllome;  je  luiécrivis,  l'autre  jour,  quelques 
lignes  adressées  à  Carpineto,  et  j'en  attends  la  réponse.  S'il 
est  venu  à  Rome  pour  arranger  les  afiaires  de  famille,  j'en 
ai  grand  plaisir.  S'il  y  est  encore,  exprimez-lui,  en  le  saluant 
affectueusement  de  ma  part,  mon  désir  et  ma  volonté  puis- 
que c'est  de  lui  que  dépend  l'avenir  de  notre  famille.  En 
perpétuant  son  indécision,  il  compromet  sa  personne  et  son 


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500 


LA   PUÉLATURE    DE   LÉON   XIJI. 


héritage.  Il  va  contre  la  volonté  de  notre  père  qui,  en  insti- 
tuant en  faveur  de  Titta  un  droit  de  primogéniture,  agissait 
contre  les  intérêts  de  ses  autres  enfants,  intérêts  en  quelque 


Louvain.  —  l/llôtel  de  Ville. 

sorte  annulés  et  compromis  par  cet  acte.  Ceci  dit  entre  nous 
seulement. 

Il  est  juste  qu'en  terminant  cette  lettre  je  réponde  à  votre 
demande  de  nouvelles,  sur  moi  et  sur  ce  pays.  En  commen- 
çant par  ce  dernier,  je  vous  dirai  que  Tévénement  le  plus 
important  de  septembre  écoulé  fut,  sans  conteste,  larrivée 
de  la  reine  d'Angleterre.  Plus  heureuse  que  la  France,  la 
Belgique  a  possédé  cette  Souveraine,  une  semaine  entière,  la 


¥. 


LA   NONCIATLRE   DE    BRUXELLES. 


0(1 1 


promenant  dans  les  principales  villes  du  royaume,  à  Ostende, 

àBruges,  — l'antique  capitale  des  Flandres,  — à  Gand,  à  An- 
vers, à  Bruxelles.  Partout,  ce  ne  furent  que  manifestations  et 
kermesses  sans  nombre  et  du  plus  splendide  effet.  Vous  en 
aurez  lu  le  récit  dans  les  gazettes.  La  reine,  arrivée  l\ 
Bruxelles  le  l(S,  en  repartit  le  jour  suivant.  I/entrée  fut  ma- 


l/Adoration  de  rAgncau  de  rA|)ocaIypse.  (D'après  Van  Eyck.) 

gnilîque,  par  la  rue  Boyale  qui  est  la  plus  belle  et  la  |)lns 
spacieuse,  et  par  le  Parc  qui  la  suit  et  qui  était  décoré  à 
grand  gala.  Le  soir,  les  illuminations  furent  superbes.  Au 
banquet  des  Souverains,  on  avait  aussi  invité  le  corps  di|)ln- 
matique.  La  reine  Victoria  tenait  le  milieu  de  la  table, 
entre  le  roi  et  la  reine  des  Belges.  Comme  j'étais  placé  h 
côté  d'eux,  j'eus  la  fiiculté  d'observer  les  hôtes  rovaux 
et  de  placer  quelques  paroles.  La  reine  d'Angleterre  est  de 
petite  taille,  son  expression  est  vive  et  sa  personne,  sans  être 
mal,  n'a  rien  de  trop.... 


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I 


LA    l'IlKLATlUK    DE   LKOX    Mil. 

iH'rilnov.  Il  va  coiilro  la  voloiilé  de  iiotiv  prie  (|iii,  rii  iiisli- 
(uaiit  en  faveur  de  Tilla  nn  drcMl  de  prinio-éniluiv,  a-issail 
coiilre  les  iiilérels  de  ses  aulres  eiiranls,  ijilérèls  en  (jneli|ne 


■'    ft-  ffi  tt^)Vif  5f  ^^ â  4î  'il  i'  1  ^h1' î  .f  ita  f ^ 


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Louv.iiii.  —  l,'ll«'tt<'l  «le   Villr. 


sorle  anmdés  et  compromis  par  cet  acie.  Ceci  tlil  nUre  7io}fs 
seulement. 

Il  est  jnsle  (pfen  lejininant  cette  lettre  je  réponde  à  vofie 
demande  de  nouvelles,  sur  moi  et  sur  ce  pays.  Kn  connnen- 
eant  par  ce  dernier,  je  vous  dirai  (|ue  l'événement  le  plus 
important  de  septembre  écoulé  lut,  sans  conleste,  Tarrivée 
de  lu  reiiie  d'Angleterre.  Plus  heureuse  (pn^  la  France,  la 
Beloi(|ue  a  possédé  cette  Souveraine,  une  semaine  enliérj,  la 


il 


LA    NONCJATlIli:    hK    illHXKLLKS. 


;i;i 


promena n(  dans  les  piincipales  villes  du  royaume, à Ostende, 

àBruges,  — ranli(|ue capilale  des  Flandres,  — à  r.and,  à  An- 
vers, à  nru\(dles.  Parloul,  vv  ne  fuivul  (pie  manileslalions  el 
kermesses  sans  nombre  et  du  plus  splendide  eiïel.  Vous  en 
aurez  lu  le  récit  dans  les  oazelles.  Fa  reine,  arrivée  à 
Bruxelles  le  IS,  en  repailil  le  jour  suivanl.  L'enirée  fui  ma- 


l/A<loiali(iii  «!.•  l'Agnoau  de  rA|KHjtlv|'so.  (D'jipivs  Van  Eyck.) 

guiri(jue,  parla  rue  Royale  rpii  est  la  plus  belle  et  la  jdus 
spacieuse,  et  par  le  Parc  qui  la  suit  et  cpii  était  décoré  à 
^rand  oala.  Le  soir,  les  illuminations  furent  superbes.  An 
bancpiel  des  Souverains,  on  avait  aussi  invité  le  corps  dijd(;- 
mali(pn\  La  reine  Victoria  tenait  le  milieu  de  la  table, 
entre  le  roi  et  la  reine  des  I]el<ivs.  Comme  jY'lais  placé  à 
coté   d'eux,   j'eus   la  faculté   d'observer    les    botes  rovaux 

t. 

et  de  placer  quebpies  paroles.  Fa  leine  (FAngleterre  est  de 

*  *  1  1 

petite  taille,  son  expression  est  vive  ct  sa  personne,  sans  être 
mal,  n'a  rien  de  lro|) 


HVPOM 


I   - 


•'"^  l'A   PRÉLATinE   DE   LÉON   XIII. 

La  semaine  passée,  j-ai  A.i,  une  échappée  jusqu'à  Gand. 
Cest,  comme  vous  le  savez,  la  seconde  ville  du  .ovaume, 
a  oO  milles  de  Bruxelles  environ.  l'ar  le  chemin  de  Ver,  en 

deux  heures,   j'y  étais  roni]u     ifrrw.  n  -  .       ,      . 

»  jj   t,idiï5  itnuu.  Mgr  I  eveque,  (jui    m  avait 

invité,  inc  lit  une  telle  ré- 
ception que  je  n'en  peidrai 
jamais  plus  la  mémoire. 
En  un  mol,  il  avait  voulu, 
par  les  démonstrations  les 
|)lus  pompeuses,  honorer 
en  ma  jieisonne  la  lepré- 


-SI 


Biuges.  —  Le  canal  du  Rosaire  au  Béeuiiiace 


senlalion  de  la  Nonciature  aposlolique.  Gand,  ou.  lut 
.ladis  le  berceau  de  Charles-Quint,  est  une  ville  riche  en 
monuments  qui  méritent  d'être  vus  et  admirés.  J'ai  été 
surtout  charmé  par  la  cathédrale,  dédiée  à  saint  Bavon 
«^  est  une  des  plus  belles  églises  des  Flandres,  pour  l'élé- 
f^ance  et  la  légèreté  de  son  style  gothique.  Je  me  suis  arrêté 
une  heure  à  y  admirer  un  tableau  merveilleux  du  peintre 
flamand  \an  Eyck,  inventeur  de  la  peinture  à  l'huile.  Cette 


I.A   XO.NCIATUItE   DE   BRUXELLES.  5C5 

toile,  conservée  dans  la  cathédrale,  représente  l'adoratioi. 
de  l'Agneau  de  l'Apocalypse.  J'ai  visité  de  nombreux  établis- 
sements, admirablement  bien  tenus,  pour  l'éducation  des 
garçons  et  des  filles.  J'ai  vu  aussi  la  maison  de  force,  bâtie 
au  siècle  passé  i)ar  Marie-Thérèse  d'Autriche,  d'après  un 
dessin  nouveau  et  original.  Klle  forme  un  octogone  et  pos- 


'^'^&e.  —  Le  palais  provincial. 

sède  une  cour,  au  milieu  de  laquelle  une  seule  sentinelle 
suffi!  à  veiller.  Chacun  des  huit  angles  vient  souder  là  sa 
tête,  et  chaque  aile  comprend  les  divers  métiers  que  les 
condamnés  peuvent  connaître  :  tisserands,  charrons,  menui- 
siers, tailleurs,  etc.  C'est  un  établissement  vraiment  magni- 
fique. ° 

Que  vous  dirai-je  du  petit  et  du  grand  Béguinage?  Imagi- 
nez-vous, dans  la  ville  de  Gand,  deux  autres  petites  villes  ou 
deux  aut.es  petits  pays,  avec  mu.-ailles  et  portes  de  clôture. 


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364 


LA   PRÉLATURK   DE   LÉOiN   XIII. 


Les  hahitanls  exclusifs  en  sont  des  femmes  qui  se  letirenl 
du  monde  et  qui,  pourtant,  appartiennent  encore  au  monde, 
n'étant  pas  des  religieuses  qui  font  des  vœux.  F.ihres  d'elies- 
mèmes,  ou  l)ien  elles  habitent  seules  une  maison  dans  le 
béguinage,  ou  bien  elles  vivent  en  communauté  et  forment, 
dans  ce  même  béguinage,  des  couvents  sans  aucune  disci- 
pline sévère  et  sans  dépendre  d'aucun  homme.  Eh  bien! 
chose  incroyable,  elles  vivent  dans  la  paix  et  la  concorde  les 
plus  parfaites,    et,   depuis    six   siècles    que   les   béguines 
existent,  elles  n'ont  jamais  provoqué  le  moindie  incideni 
fiicheux.  Cela  suftil,  sans  doule,  à  vous  donner  une  idée 
du  caraclère  flamand,  plein  de  mansuétude  et  de  sagesse. 
Le  petit  béguinage  compte  environ    iOO   femmes;  Ih  le 
grand,  700. 

J  étais  de  retour  à  Druxelles,  le  soir  du  G  courant. 
La  santé  se  maintient  assez  bonne.  Saluez  pour  moi  tous 
les  nôtres  et  aussi  Garrigos,  CappelJo,  Fora,  etc. 

Biiisollcs,  12  ocloWe  1843. 

P.  S.  Le  papier  me  faisant  défaut,  j'ajoute  sur  ce  verso 
mes  remerciemenis  pour  les  nouvelles  que  vous  m'avez 
données  sur  les  événements  des  Homagnes.  Espérons  qu'ils 
touchent  à  leur  terme.  La  caisse  de  l»érouse,  que  vous  avez 
reçue  après  mon  départ  de  Home,  contenait  un  secrétaire  et 
deux  portiails  de  moi.  Dites-moi,  je  vous  prie,  ce  que  tout 
cela  est  devenu. 


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•»»*■ 


LA   NONCIATLHE   DE    BRUXELLES. 


;65 


Relevé  des  sommes  reçues  et  payées  par  Stanislas  Sterbini  pour  le 
compte  et  sur  l'ordre  de  Mgr  Joachim  Pecci,  nonce  apostolique  à 
Bru  relies. 


1843 

Doit  : 

!«'  janvier.  —  Ilcsto  de  l'achat  de  4  flambeaux 

expédiés  à  Pérouse 1  écu  40  baïoques. 

20  mars.  —  Payé  à  Civita  Veechia  pour  Mgr.    .  50  —    »        _ 

20  mars.  —  Pour  les  dépenses  à  son  compte.  .         2  •—  85      

25  mars.  —  A  llapluiël  de  Vivo,  voiturier,  pour 

le  compte  dudit j  ^q      

15  avril.  —  A  Horace  Albino,  cuisinier,  pour  le 

compte  dudil |  c)q       

20  avril.  — A  Félix  Eugène,  deux  bons  de  demi- 
impériale,  en  guise  de  voiture,  pour  le  compte 
^»^»t 5-50       — 

20  avriL  —  Pour  trois  lettres,  de  Marseille,  de 

Nemours  et  de  Bruxelles 5  73      

20  avril.  —  Remisage  des  chevaux 7  ^25       _ 

27  avril.  —  Remboursé  SI  écus  1 1  baïotpies  au 

frère    de    Mgr ^1    11        

Total  .      1 57  écus  54  baïoques. 


1843 


Avoir  : 


27  avriL  —  Reçu  sur  la  vente  des  chevaux  dans 
laquelle  ne  sont  pas  compris  les  fourrages 
laissés  à  la  famille  de  Miîr. 

27  avril.  —  Payé  par  Félix  Eugène  0  écus  et 
2i  baïoques  pour  une  couverture  de  vova»e 
donnée  par  Mgr 

27  avril.  —  Au  même,  par  Stanishts  Sterbini. 


150  écus  ))  baïoques. 

o  —  21 

4  —  35      — 


Total  .     157  écus  54  baïoques. 


,  ^  ,'■  e^     ^t  if  --  et        ^    '.^.ir'^L 


i**.  wlkJ 


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^^^                         ^A   PRÉLATLîRE    DE    LfiOX  Xlfl. 

Paienienl fait  à  Mgr  ,)ar  son  frère  Jenn-Raptisto.  ;,0 nus  »   I,aïo.,ues 
tom  fourni  par  Bocchi   pendant   le    séjour  de 

Mgr  à   Rome ^  -.. 

Dépenses  |)oiir  les  chevaux 1—89       II 

Frais   de   voilure  pour  deux  colis  expédiés   de 

Pérouse ^  -7 

Aux  facchini  pour  le  transport  desdiles  caisses.  0  —  80       — 

A  Dianconi,  pour  les  voilures  louées  [)ar  M'T.    .  7  7       

Prorata  à  la  charge  de  Mgr,  [)our  les  dépenses 

laites  à  Civita-Vecchia 4  __  39       

Prorata  pour  le  pourhoire  à  l'auherge.    ...     *  »   -_     5       __ 
Moitié  de  la  taxe  payée,  à  la  vente  des    d.ux 

chevaux   ....  ^         .., 

TnT.vr..  81  écus  1 1  haïoipics. 


LA    NnNcïATliîK    Dl-     lUiliXELLKS. 


iC7 


CXXVIII 

HJgr  Joachim  Pecci  à  M,  Stanislas  Sterbhii,  à  Home.  — 
Je  vous  remercie  inlinimeiit  de  rinlérèl  que  vous  prêtez  à 
nos  affaires  de  famille,  et  de  vos  instances  auj>rès  de  mon 
frère  Jean-Baptisle  pour  le  décider,  dans  sa  perpétuelie  irré- 
solution, à  prendre  la  direction  de  la  maison  paternelle  et  à 
prendre  aussi  nn  parti.  S'il  pouvait  s'y  décider  enfin  et 
vite,  —  car  les  années  s'avancent,  —  j'en  éprouverais  un 
plaisir  inexprimable.  Et  c'est,  en  raison  contraire,  un  pro- 
fond  et  continuel  ennui  que  je  ressens  à  penser  que,  si  nous 
n'y  pourvoyons  bientôt,  la  famille  ira  peu  à  peu  s'éteignant 
après  tant  de  sueurs  (sic)  des  ancêtres  et  les  dispositions  si 
sages  de  notre  père. 

Je  regrette  que  vous  ayez  eu  à  me  demander  une  s...  avec 
mon  R»o...  Par  là,  vous  me  découvrez  et  vous  déjouez  mes 
projets.  Ayez  la  complaisance  d'attendre  encore  un  peu... 

Bruxelles,  le  15  novembre  18  i3. 


CXXIX 

%/•  Formri,  nonce  à  Paris,  à  Mgr  Joachim  Pecci,  à' 
Bruxelles.  —  ...  Ici,  nous  sommes  parfaitement  d'accord,'— 
nous,  c'esl-à-dire  tous  les  ambassadeurs  intéressés  au  bon 
ordre  des  cboses  en 
Italie,  —  pour  clier- 
cber  tous  les  movens 
de  rompre  les  rangs 
des     conspirateurs. 
Le   soi-disant    révé- 
lateur qui  s'est  pré- 
senté à  vous,  en  se 
qualifiant  d'Anglais, 
et  que  vous  avez  pris 
pour  un  Italien,  doit 
être  un  Polonais  qui 
a  fait  la  mémecliose 
avec    l'ambassadeur 
de    Naples    et   avec 
moi  et  qui   nous  a 

trouvés  tous  les  deux 

de  braves  gens,  et 

nous    a    mangé   de 

l'argent.  A  nous,  il 

a  déclaré  s'appeler  John  Maurice  et  nous  a  fait  les  mêmes 

historiettes  qu'à  vous.  Il  paraît  que  vous  avez  été  plus  malin 

que  nous  et  que  vous  ne  vous  êtes  pas  fait  manger  d'argent. 

Bravo!  j'en  suis  fort  aise. 

î»aris,  le  27  novembre  184'. 


Gand.  --  Caliiédi'ale  de  Saint-Bavon. 


'-^^^fmmm^t. 


^^•mm^^tmmmm. 


*:«!»' 


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5i!8 


l-A    l-fiKLAÏlRE    l)K    LÉO.N   Xlll. 


<;xxx 


Le  comte  Stanklas  SterhinI  à  Mgr  Joachim    Pccci,  à 
Bruxelles.  —  A  Fcienli.io,  j'ai  eu  un  long  enl.clien  avec 


ï-a  comU'sso  Joan-Raplislo  Pt'cci  (néo  Saliiia). 

inaJame  voire  sœiir^  et  votre  frère  Jean-Baptisle.  Celui-ci 
m'a  parlé  en  toute  sincérité.  Les  pourparlers  de  mariage, 

1.  Catherine  Pecci  était  mariée  avoc  un  Lolli,(le  la  petite  ville  de  Ferentino 
<roù  la  famille  des  Sterbini  était  originaire.  Mgr  Pecci  conseillait  à  Jean  Bap- 
tiste d'y  épouser  une  nirce  du  cardinal  Pelli,  mais  ce  parti  ne  convint  pas  à 
Titta,  comme  'cette  lettre  le  prouve.  Plus  tard,  il  épousa  Angèle  Salina  qui  est 
morle  seulement  en  189ÎK 


LA   NONCIATUnK    DE    BRUXELLES.  50i> 

engagés  précédemment  avec  Madame  Belli,  ne  lui  convien- 
draient plus  pour  divers  motifs.  Le  principal  tiendrait  à 
des  négociations  quVn  dehors  des  noires,  la  jeune  fille  et 
sa  Aunille  essayeraient  de  faire  réussir  ailleurs.  Votre  frère- 
m'a  assuré  qu'il  était  disposé  à  tout,  pour  répondre  à  vos- 
désirs  et  à  la  volonté  de  feu  votre  père.  Nous  avons  abordé 


Ciuscppo  Mazzini. 

I)ien  des  petits  détails  que,  pour  aller  plus  vite,  je  tais,  me 
contentant  d'indiquer  celui  qui  vous  intéresse  le  plus.  W 
m'a  donc  invité  à  m'occuper  activement  de  lui  rechercher 
un  parti  sortable  qui  répondrait  aux  désirs  divers  de  la 
famille. 

Borne,  le  28  novembre  1845. 

CXXXI      . 

Mgr  Fornari,  nonce  à  Paris,  à  Mgr  Joachim  Pecci,  è 
Bruxelles.  _  ...  On  sait  avec  précision  que  l'avocat  Mazzini,. 

24 


^K- 


['■'lXa^J.V4'.J.  ■  m..  L  lia  I.     ■  ■« 


ôfiX 


I.A    l'Ill-LATI  tiE    II)-:    I.KON    Mil. 


i:\\\ 


Le  vomie  SlanislaH  Slerhinl  à  M,,,-  .hachim    IWci,  à 
Hmxelln.  —  A  Fercnlino,  j'.i  eu  un  loim  c-nl.elieii  avec 


J?% 


la  comlrss.'  Ji'jiri-ll.iplislf   Prcri     un-  Saliim). 

inadaine  voliv  sœnr'  e(  V(j(iv  ùviv  Joan-nnptisle.  Celui-ci 
m'a  parlé  en  loule  sincéiilé.  Les  pourparlers  (!e  maria^'c, 

1.  Callieiino  rVcci  ('l;iit  innri.'o  ;iv.',-  un  Lclli.dc  h  poiiU'  villr  ,1,.  IViviilino 
«Koù  la  famille  des  SicrI.ini  ('«lait  oi  i-i,.;.!..,..  m^,-  p^cci  conseillait  à  Jean  {{aj.- 
li>^le  d'y  épouser  une  ni.Ve  du  cardinal  Pelli,  niais  ce  paili  ne  convint  pas  à 
Tilhi,  connue  'cette  lettie  U-  prouve.  JMus  tard,  il  épousa  An-èle  Satina  .jui  est 
morle  seulement  en  1891». 


■**!!!l* 


LA   NONCIATirii:    [)K    HKliXiaLKS.  ^^^^ 

en-ao(s  pivcédemmenl  avec  ^Fadamc  Belli,  ne  lui  convieu- 
(haieiil  |dus  pcuu'  divers  motifs.  Le  principal  liendrail  à 
des  neiiocialioFis  nu  an  dehors  des  noires,  la  jeune  iille  cl 
sa  lamille  essayeraient  de  faire  réussir  ailleurs.  Voire  frère- 
lUii  assuré  (|u'il  élail  disposé  à  louU  j^our  répondre  à  vos- 
désirs  el  à  la  vidonlé  de  feu  voire  père.  Nous  avons  ahordé- 


me 


Lieji  des  pelils  détails  (|ue,  pour  aller  plus  vite,  je  tais, 
cimtenlant  d'indiiiuer  celui  qui  vous  intéresse  le  plus.  Il 
ifa  donc  invilé  à  m'oecuper  aclivement  de  lui  rechercher 


in 


un  parli  sorlalde  qui  répmidrait  aux  désirs  divers  de   la 
famille. 


l'ionie,  le  28  noveuibre  ISi". 


ex XXI     . 

Mgr  Formri,  nonce  <}  Paris,  à  Mgr  Joach'm  Pecci,  à 
Bruxelles.  —  ...  Ou  siiil  avec  prccisio»  que  l'avocat Mazzini, 

n 


..  w  ;ï"  ...'at't.. 


570  l'A  PRÉLATURE   DE   LÉON   XIH. 

Génois,  chef  révolutionnaire,  fondateur  de  la  secte  la  Jeune 
Italie  (dont  Giobcrti  était  adhérent),  auteur  de  l'Apostolat 
populaire,  est  à  présent  à  Bruxelles,  venant  de  Londres,  et 
qu'il  s'occupe  à  rédiger  un  programme  à  l'adresse  de  tous 
les   révolutionnaires   italiens,  pour  régler   les   opérations 
qu'ils  devront  faire  maintenant  ou  au  printemps.  Leur  Lut 
est  de  révolutionner  l'Italie,  et  spécialement  les  États  l'ou- 
lifîcaux  et  le  loyaume  de  Naples.  Outre  lui,  il  doit  y  avoir  à 
Bruxelles  un  certain  nombre  d'Italiens  venus  avec  des  passe- 
ports anglais,  sous  des  faux  noms,  et  qui  ne  sont  que  des 
conspirateurs  sous  les  ordres  de  Mazzini. 

Failes-en  part  au  chevalier  Ilody,  administiateur  de  la 
Sûreté  publique  (à  Bruxelles). 

Pari?,  le  27  dccembie  ISiS. 


CXXXII 

3Jgr  Fornari  à  Mgr  Joachim  Pecci,  à  Bruxelles.  —  Je 
vous  remercie  de  tout  cœur  de  ce  que  vous  me  dites,  à  pio- 
pos  de  Mazzini.  Maintenant,  je  suis  persuadé  que  la  nou- 
velle de  son  arrivée  à  Bruxelles  est  fausse,  quoiqu'elle  ait 
été  communiquée  non  seulement  à  moi,  mais  aussi  à 
MM.  les  ambassadeurs  d'Autriche,  de  Sardaigne  et  de  Naples, 
par  M.  Guizot,  ministre  des  Affaires  Etrangères.  Le  canal,' 
par  lequel  nous  avions  reçu  cette  nouvelle,  nous  a  alarmés 
et  a  été  la  cause  de  l'ennui  que  nous  avons  causé  à  l'excel- 
lent chevalier  Hody. 

Paris,  décembre  1843, 


LA   NONCIATURE   DE   BRUXELLES.  571 

CXXXIII 

Au  frère  Charles,  à  Carpineto.  -  J'ai  revu  votre  letl.e 
avyc  un  bien  vf  plaisir.  Pourquoi  avez-vous  tant  tardé  à 
m  ecnre?  Dans  une  de  mes  dernières  missives  à  l'oncle 
Antome,  j'en  exprimais  à  juste  titre  mon  élonnemenl. 


Viiicciizo  Giobcrli. 

Quand,  en  septembre  et  octobre  derniers,  j'adressai  deux 
lettres-.  Carpineto,  j'y  joignis  un  papier  distinct  et  spécial 
pour  vous  et  Jean-Baptiste,  afin  de  ne  pas  multiplier  inu- 
tilement les  courriels.  Il  était  donc  bien  naturel  que  j'at- 
tendisse  de  vous  quelijue  réponse. 

Vous  me  dites  dans  votre  lettre  que  «  vous  n'aurez  de 
satisfaction  que  le  jour  où  vous  apprendrez  mon  retour  au 
pays  natal  ».  J'accepte  de  bon  cœur  l'augure  de  revenir  un 
jour,  à  Carpineto  et  d'y  revoir  le  foyer  paternel  ;  mais  vous 


^«.•6.;«,«a,ji„ 


572 


LA   PKÉLATURE   DE    LÉON   XIH. 


voyez  bien  qu  avant  que  ces  prévisions  s'accomplissent,  de 
longs  Jours  s'écouleront,  dix  ans  peut-être,  peut-être  davan- 
tage. Or,  qui  peut  se  promettre  de  vivre,  pendant  dix  ans? 
Les  choses  se  présentant  aussi  lointaines  et  aussi  incertaines, 
—  bien  que  Taugure,  je  le  répète,  m'en  soit  cher,  —  peut- 
être  vaut-il  mieux  s'en  remettre  tout  a  fait  à  la  Providence 

qui  règle  à  son  gré  les  événements  de 
la  vie  et  les  subordonne  sagement  à 
ses  lins. 

Au  reste,  que  ferait  ma  présence  au 
foyer,  surtout  (juand  je  n'y  relrouve- 
rais  pas  de  famille,  puis-je  dire,  ni 
belle-sœur,  ni  neveu*?  Les  affections 
de  famille,  dont  nos   pères  nous  ont 
fait  héritiers,  sont  en    moi  toujours 
vives  et  ne  pourront  jamais  s'affaiblir; 
mais  enlin  faut-il  aussi  que  cette  fa- 
mille se   leconstilue,  se   recompose. 
Dans  l'espoir  qu'arrivera  bientôt  ce 
moment  heureux  pour  moi,  et  tandis  que  je  vous  laisse,  à 
Titta  et  à  vous,  le  soin  de  le  hâter  ou  de  le  favoriser  tout 
au  moins,  laissez,  mon  bien  cher  frère,  que  je  m'occupe 
de  la  Belgique  où  la  volonté  du  Seigneur  m'a  appelé  pour 
y  remplir  une  grande  mission.   Les  devoirs  et  les  occu- 
pations de  ma  charge  sont  délicats  et  difficiles,  au  point 
que  vous  l'entendez  bien  sans  que  je  vous  en  parle  davan- 
tage.  Que   votre  prière   matinale   s'élance   des   flancs  du 
Capreo*,  et  qu'elle  implore  le  ciel  pour  moi  et  pour  le 
peuple  belge! 

1.  Le  fi'ère  Charles,  au  grand  déplaisir  de  Mgr  I»occi,  ne  voulait  pas  se 
minier.  De  fait,  il  est  mort  célibataire  obslioc. 

2.  Le  Capreo,  montagne  de  Carpin«ito. 


Clocher  de  Saiiil-Sauvour. 


•  tW- J»^^t.!L-»-. 


LA   NONCIATURE    DE   BUUXELLES. 


575 


Ce  'sera  la  première  fois,  je  crois,  que  Carpineto  et  la 
Belgique  se  rencontreront  au  cieb 

Jusqu'avec  jour,  j'ai  oublié  de  vous  envoyer  les  balles  que 
j'ai  ramassées  sur  le  champ  de  balaille  de  Waterloo.  C'est 
aussi  la  faute  des  rares  occasions  qui  se  présentent  pour  un 
voyage  en  Italie.  Ainsi,  ces  champs  ne  gardent  aujourd'hui 


Chevet  de  Saint-Sauveur. 

I 

que  la  mémoire  de  la  fameuse  bataille  oii  la  fortune  de 
Napoléon  a  péri,  mémoire  encore  mieux  confirmée  par  la 
présence  du  lion  néerlandais  qui,  de  son  piédestal,  domine 
celte  plaine.  Ces  campagnes,  au  resle,  sont  toutes  employées 
a  la  culture  et,  encore  qu'abreuvées  de  sang,  rendent  au 
laboureur  joyeux  du  blé  en  abondance. 

J'ai  vu  jusqu'à  cette  heure  les  villes  de  Namur,  de  Malines, 
d'Anvers  et  de  Gand,  patrie  de  Charles-Quint;  j'ai  visité 
leurs  monuments.  J'espère  voir,  l'année  prochaine,  Tour- 
nay,  Bruges,  antique  capitale  des  Flandres  ;  et  Liège,  cité 
fameuse,  elle  aussi,  comme  vous  savez.  Ainsi,  j'aurai  vu  et 
parcouru  toute  la  Belgique,  etc. 

Bruxelles,  14  février  184i. 


-'mmm,, 


■hi    *    m 


i  ^'f''~T 


-,^-w W-— ;. 


374 


M 


LA   PRÉLATLRE   DE   LÉON   XIII. 


CXXXIV 


Mrjr  Fon,nn  à  M,r  Joachun  Pecci,  à  Bruxelles.  -  Le 
projet  de  lo.  sur  les  j„rjs  d'exnmon  roncon.rc  de  ..ave! 


liruges.  -  Place  ,h,  Marché. 

difficullés,  et  j-incline  à  croire  cju',1  ne  passera  pas-  „,.is  ic 
no  VO.S  pas  eom.ent  cette  opp„si,io„  çL  to.lfeHerini 
-e,  puisque,  dans  tous  les  journaux,  je  lis  que    IN    ' 
l'omb  ne  posera  pas  la  question  de  cabinet....  ^  '" 

Taris,  le  28  février  1844». 


^  D'après  Mgr  T'SercIaës  (I,.  Pape  Léon  Xïil    .    i 
porterait  la  date  du  24  juin  1844.  '        '  P*'^'  ^^^)' 


celte  lettre 


t 


-♦«*'" 


NONCIATUKE   DE   BRUXELLES. 


57; 


cxxxv 

Du  même,  à  Mgr  Joachhn  Pecci,  à  Bruxelles,  —  Je  ne 
veux  pas  me  mêler  des  affaires  de  Belgique,   et  encore 


Brugc's.  —  La  Grand 'Place. 

moins  vous  traiter  comme  un  écolier,  ni  vous  donner  des 
leçons;  car  vous  avez  de  la  sagesse  à  en  revendi^e.  Je  trouve 
justes  les  réflexions  que  vous  avez  faites,  sur  mes  obser- 
vations  

Vous  me  dites  :  «  Je  cherche  à  seconder  les  vues  toujours 
sages  de  S.  M.,  et  d'en  assurer  le  succès  ». 

Quelles  sont,  sur  ce  sujet,  les  vues  du  roi?  Soutient-il 


II 


■::»«, i'ai***J 


têm,   mrm, 


Z^^>'^  . 


sSirvat-  ^.icim^-^-. 


■Sr*r»S 


.^ff»^.fw- 


x^L,  i 


Z16 


LA   PRÉLATURE   DE    LÉO.\   XHI. 


1 


INolhomb,  ou  est-il  de  l'avis  des  évèques?  Par  charil,". 
prenez  garde  de  vous  mettre  dans  la  balance,  contre 
lopm.on  des  évèques.  Maniez  toujours  le  roi  et  faites-lui 
voir  comluen  cette  affaire  est  différente  de  celle  de  la 
personnalité  civile  de  l'Université  de  Louvain.  I/autre  ne 
*-egarda>t  que  Tintérèt  matériel  de  l'Université,  et  la  majo- 
nte  des  catholiques  même  y  était  opposée.  Mais  cette  affaire 
peut  atteindre  l'existence  même  de  l'Université. 

Paris,  le  i  mars  18». 


ex  XX  Vf 

Du  même,  à  M,jr  Joachim  Pecci,  à  linueUes.  -  Je 

vois,  comme  vous,  qu'il  faudrait  une  combinaison.  Mais  si 

<^^omme  vous  me  le  dites,  il  est  impossible  que  les  évèque^ 

<^eaent  et  que  les  catholiques  se  rendent,  alors  il  n'y  a  pas 

<^  arrangement  possible.  Jl  y  aura  seulement  écroulement 

<i  une  partie  du  ministère,  chose  qui  l'affaiblira  aux  veux  du 

publie  el  qui  relardera  sa  démission  de  peu  de  jours". 

Tout   vaudrait  mieux   pourtant   que   la    démission    du 
niinislere. 

l'aris,  le  11  hi.iés  18 ii. 


CXXXVII 

Ou  même,  à  M.jr  Joachim  Pecci,  à  Bruxelles.  -  I  -, 
poste  de  France  n'a  aucun  .niérèt  à  connaître  la  correspon- 
dance entre  le  nonce  de  Paris  et  celui  de  Hruxelles.  S'il 
s  agissait  de  ma  correspondance  avec  le  Gouvernement  pon- 
tiiical,  elle  aurait  voulu  sans  doute  savoir  ce  qu'il  y  avait 
dedans.    Mais,   entre  vous  et  moi,  cela   n'excite  pas   sa 


I 


LA  NONCIATURE   DE   BRUXELLES.  077 

curiosité.^Et  puis,  quand  on  ouvre  les  lettres,  si  vous  saviez 
avec  quelle  adresse  on  le  fait!  Certainement,  on  ne  rompt 
plus  les  cachets;  car  on  possède  tous  les  cachets  des 
personnes  dont  on  veut  lire  les  lettres.  C'est  ainsi  qu'à  la 


poste  de  France,  au  Cabinet  Noir,  on  a  mes  cachets  et  ceux 
de  la  Secrétairerie  d'État. ... 

Paris,  le  If  avril  |8ii. 

ex  XXVIII 

Dh  viême,  à  Mfjr  Joachim  Pecci,  à  Bruxelles.  —  Qui 
dira  que  le  nonce  de  Bruxelles  n'est  pas  le  plus  heureux  des 
nonces?  La  nonciature  de  Pruxelles  est  la  lleur  des  non- 
ciatures, et  la  Belgique  le  paradis  terrestre  des  nonces. 


Si 


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578 


LA   PRÉLATURE    bK   LKON   Xllf. 


•  M 


Prépaiez-vous  au  moment  où  vous  devrez  passer  à  une 
autre  nonciature.  Quelle  qu'elle  soit,  vous  verrez  que  ce  qui 
vous  paraît  ici  épine,  vous  semblera  rose  ailleurs.  C'est 
beau  (le  commencer  par  la  Iteljfique,  comme  par  un  novi- 
ciat. Peut-être  ne  serez-vous  pas  d'accord  avec  moi;  mais 
c'est  ainsi.  L'expérience  fuluie  vous  prouvera  la  vérité  de 
ce  que  je  vous  dis. 


l'aris,  le  17  mai  18Si. 


CXXXIX 


Du  même,  à  Mfjr  Joachim  Pecci,  à  Bruxelles.  —  Si  le 
Gouvernement  tient  à  garder  secrète  la  succession  du  comte 
d'Oultremont  minisire  démissionnaire,  il  n'y  a  pas  lieu  -i 
négociations.  Et  il  parait  clair  qu'on  ne  veut  pas  entrer  en 
négociations.  En   général,   les  négociations   n'ont  pas  de 
raison  d'être,   parce  que  le  Gouvernement  a  le  droit  de 
nommer  son  ministre   sans  en    prévenir    le    Saint-Siè-re 
comme  celui-ci   a    le  droit  d'envoyer  un    nonce  sans  "en 
prévenir  le  Gouvernement.  Ainsi,  quand  il  s'est  a.^i   de 
votre   nomination ,    le   Secrétaire  d'État  a    tenu    la  chose 
tout  à  fait  secrète  pour  le  comte  d'Oultremont,  sans  jamais 
lui  en  rien  faire  savoir;  ce  dernier  se  plaignait  continuelle- 
ment dans  ses  lettres  au  ministre.  A  présent,  on  lait  encore 
assurément  la  même  chose  avec  vous. 

Si  j'avais  à  choisir,  je  préférerais  le  comte  de  Lannoy. 
Mais  vous  devez  faire  en  sorte  que  le  Gouvernement  ne 
sache  pas  que  la  proposition  vient  de  vous,  autrement  il  ne 
le  nommerait  pas,  sachant  bien  que  le  Gouvernement  ponti- 
fical excluait  tous  les  prélats  que  le  comte  d'Oultremont 
proposait  pour  me  succéder. 

Paris,  juin  I8U. 


I.A   NONCIATIRK   DE   URUXELI^ES.  579 

CXL 

I)>i  mê„K',  à  Mgr  Joachim  Pecci,  à  Bruxelles.  —  Obser- 
vez, je  vous  prie,  qu'en  Belgique  le  pape  est  dans  le  droit 
commun,  et  l'évèque  qui  demande  un  coadjuteur  doit  le 
•ecevoir  du  pape,    et  il  apparli,.nt  au   nonce   seul  de  le 


— — ••rf*»/-»«'T^"*'''*<^j 


^.:iZ 


Gnad.  —  Le  Quai  aux  llcrU's. 


proposer.   Il  est  vrai  que  l'évèque  qui  le  demande  peut 
l'-oposer  un  sujet  ;  mais  le  métropolitain  et  les  autres  évê- 
ques  provinciaux  n'ont  aucun   droit  de    s'en  mêler    Je 
vous  dis  cela  très  secrètement  parce  que,  quand  il  s'est 
agi  de  nommer  l'évèque  de  Gand,  l'archevêque  de  Malines 
ma  dit  que  le  pape  devait  demander    l'avis   des  autres 
eveques;  et  moi,  bien  que  simple  chargé  d'affaires,  je  m'y 
SUIS  opposé  disant  que  le  pape  était  tout  à  fait  maître  de 
choisir  qui  il  voulait  sans  demander  l'avis  de  personne 
parce  qu  il  n'admettait  pas  que  l'usage  s'en  introduisît  el 
que,  <le  la  multitude  des  cas,  on  arguât  de  précédents  qui. 


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580 


LA   PRÉLATLRE    DE   LÉON    XHL 


1; 


i'-  ( 


^(; 


ensuite,  lieraient  les  mains  du  pape.  Je  vous  prie  de  tenir 
tout  cela  dans  le  plus    grand   secret,  etc. 

Paris,  le  4  novembre  1844. 

CXLI 

Du  même,  à  Mgr  Joachim  Pecci,  à  Bruxelles,  —  Comment 
avez-vous  pu  comprendre  que  je  supposasse  que  vous  puis- 
siez croire  qu'il  fallait  consulter  Tarcheveque  de  Malines  et 
les  autres  évoques  de  la  province,  pour  proposer  au  Saint- 
Siège  un  sujet  pour  un  siège  vacant.  Je  n'ai  jamais  pu  sup- 
poser cela,  comme  je  n'ai  jamais  pu  supposer  que  vous  ne 
sachiez  parfaitement  que  le  Saint-Siège  est  tout  à  fait  libre 
d'agir  comme  il  veut,  et  de  choisir  qui  lui  plaît,  et  qu'il 
n'a  aucune  intention  de  consulter  à  ce  sujet  Tarchevcque 
de  Malines.  Je  vous  ai  dit  que  c'est  cet  archevêque  qui  pré- 
tendait que  le  Saint-Siège  devait  le  consulter,   lui  et  les 
évoques  de  la  province  ;  et  il  le  prétendait  depuis  le  jour 
où   il  s'est  agi  de  nommer  l'évéque  de  Gand,   époque  à 
laquelle   il  n'était  pas  cardinal.   Alors  je  n'ai  pas  voulu 
admettre  son  principe.  Seulement,  —  et  cela  a  peut-être 
été  une  imprudence  de  ma  part,  —  j'ai  voulu  vous  dire 
de  vous  mettre  en  garde  contre  sa  prétention. 

Paris,  le  10  novembre  18ii. 


CXLII 

Mgr  Joachim  Pecci  au  frère  Jean-Baptiste,  à  Maenza.  — 
S'il  faut  maintenant  vous  parler  de  moi,  j'ai  le  plaisir  de 
vous  assurer  que  ma  santé  a  été  jusqu'à  cette  heure  satisfai- 
sante, malgré  l'humidité  de  ce  climat  du  nord  et  la  rigueur 


LA   NONCIATURE   DE    BRUXELLES.  581 

de  l'hiver  passé.  Je  ne  dois  faire  une  exception  que  pour  la 
moitié  du  mois  de  mars  dernier  où  j'ai  été  pris  à  l'impro- 
viste  d'une  certaine  fièvre,  une  espèce  de  roséole;  c'est-à- 
dire  une  éruption  cutanée  qui  couvre  tout  le  corps,  maladie 
ici  assez  fréciuente  et  quelquefois  dangereuse.   Heureuse- 
ment aujourd'hui  tout  est  fini,  et  pour  longtemps,  j'espère. 
Dans  les  affaires,  je  n'ai  jusqu'à  présent  qu'à  me  déclarer 
satisfait  de  la   bonté  et  de  la   religion   solide   du  peuple 
belge.  Le  sentiment  chrétien  et  catholique  domine,  Dieu 
merci!  dans  la  nation  et  aux  Chambres.  Le  ministère  n'y  est 
pas  hostile  et  le  roi,  bien  que  protestant,  favorise  cet  esprit 
général.  Grâce  à  ces  bons  éléments  et  selon  les  nécessités  du 
temps  qui  court,  on  combat  sans  cesse;  mais  ordinairement 
on  gagne  la  victoire. 

Bruxelles,  10  avril  18 4i. 


t, 


CXLIII 

Au  frère  Charles,  à  Carpineto.  —  Que  vos  lettres  se  font 
rares!  Je  ne  peux  pas  croire  que  votre  affection  pour  moi  en 
soit  moins  vive  ni  moins  constante;  mais  je  vous  assure  que, 
pour  n'en  pas  douter,  au  moins  trois  ou  quatre  fois  l'an  je 
recevrais  avec  plaisir  de  vos  nouvelles  et  de  vos  lettres. 

Ma  santé,  grâce  à  Dieu!  continue  à  être  bonne.  Aux 
premiers  jours  de  ce  mois,  j'ai  fait  une  courte  échappée 
jusqu'à  Rruges,  la  vieille  résidence  des  comtes  de  Flandre, 
et  je  m'y  suis  plu  extrêmement.  C'est  un  pays  qui  intéresse 
beaucoup  par  ses  monuments  et  par  ses  souvenirs,  mais  il 
console  encore  davantage  par  le  constant  attachement  de  sa 
population  à  la  religion  catholique. 

Je   suis  allé  aussi  sur  la  plage  d'Ostende  et,  pour  la 


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582 


LA   PRÉLATURE   DE   LÉON   \\\l. 


1. 


Il 


première  fois,  j'y  ai  vu  les  vagues  de  l'Océan.  En  face   vous 
le  savez,  s'élèvent  les  côtes  de  rAngletene. 

Et  vous,  comment  vous  portez-vous?  Comment  ave/-vous 
passe,  la-bas,  ce  rigoureux  hiver?  Je  vous  fais  un  devoir 
urgent  de  vous  conserver  gai,  de  chasser  la  mélancolie  de 
mener  une  vie  laborieuse  et  active,  à  présent  que  la  belle 
saison  vous  invite  au  plein  air  et  aux  occupations  toujours 
joyeuses  et  robustes  des  champs.  Ce  sera  iout  bénéfice'pour 
votre  santé,  et  votre  esprit  y  acquerra  plus  de  souplesse  et 
de  vigueur. 

Combie.1  différente  est  ma  condition!  Mais  unmquhme 
permaneul  m  vocatione  ma,  et  qu'il  s'y  tienne  content. 

Bruxelles,  51  mai  1844. 


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CXLIV 

Mgr  Formri  nonce  aposloli.jne  de  Paris,  à  Mgr  Joachim 
Peca,  a  Bruxelles.  -  S'il  faut  vous  dire  mon  avis  sous 
oute    reserve   (sur    la    question    du   jury   d'examen    des 
Universités  de  «elgique,  dont  le  cabinet  Nothomb  revendi- 
quait la  nomination  d'un  tiers  des  membres  par  le  Gouver- 
nement et  non  par  la  Chambre),  je  pense  que  les  évéques  et 
le  parti  catholique  se  trompent  parce  qu'il  se  croient  beau- 
coup plus  forts  qu'ils  ne  le  sont,  et  qu'ils  comptent  pouvoir 
conserver  toujours  la  majorité  de  la  Chambre,  -  chose 
dont  je  doute  beaucoup.  S'il  arrive  un  jour  que  la  majo- 
rité devienne  libérale,  -  ce  qui,  à  mon  sens,  ne  tardera 
guère    -  alors  ils  verront  peut-être  quelle  loi  fera  une 
Chambre  libérale  :  ce  sera  une  loi  expressément  diri.^ée 
contre  e  parti  catholique.  Monseigneur,  il  ne  faut  pas  cL 
les  catholiques  se  fassent  illusion.  Ils  sont  plus  (bris  en 


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LA  JiO.NCIATUftE   DE   BItliXELLES.  335 

nombre,    mais  beaucoup    plus  faibles  en   activité  et  en 
énergie.  A  chaque  élection,  ils  perdent  du  terrain    Ou'ils 
s  en  persuadent  bien,  et  ils  reconnaîtront  que  ce  sera  un 
moindre  mal  de  laisser  le  choix  des  membres  du  jury  au 
(.ouvernement.  plutôt  qu'à  la  Chambre.  Le  premier  aura 
toujours    des    égards 
pour  la  partie  la  plus 
nombreuse  de  TÉtat; 
la  seconde  ne  se  lais- 
sera guider  que  par 
son  esprit  de  parti  el 
par  sa  haine  contre  le 
parti  opposé.    Si   les 
choses  étaient  exami- 
nées sans  idées  pré- 
conçues, on  les  ver- 
rait   beaucoup    plus 
clairement.  Au  reste, 
je   me    figurais    que 
M.  Nothomb  vous  en 
aurait  parlé  avant  de 
publier  son  projet  el 
que,   de   votre    côté, 
connaissant    la    ma- 
nière dont  les  évêques 

considéraient  la  chose,  vous  auriez  pu  le  prévenir  de  la 
forte  opposition  qu'il  aurait  trouvée  dans  l'épiscopat  el 
par  conséquent  dans  tout  le  parti  catholique.  Je  me  le 
figurais  d'autant  plus  que  ce  fut,  je  me  le  rappelle,  le  sujet 
de  la  conversation  qu'il  eut  avec  vous  en  ma  présence  le 
premier  jour  qu'il  vous  vil.  Il  ajouta  que  vous  en  auriez 
conféré  ensemble,  et  qu'il  vous  aurait  prié  de  faire  connaître 


Saim-Mcolas,  sur  le  Marcht-aux-Graiiis. 


384 


LA   PRÉLATIHE   DE   LÉON   Xlll. 


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an clergé  cl  aux  catholiques  la  justesse  (ce  sont  ses  paroles) 
et  rulililé  de  son  plan.  Cela  me  porlait  a  croire  que  vous 
auriez  eu  la  possibilité  de  Tavertir  que  le  clergé  se  serait 
opposé  à  la  loi,  de  toutes  ses  forces.  Je  inVtonne  que 
M.  Nothomb,  certain  que  les  libéraux  auraient  soutenu  son 
projet  de  loi,  n*ait  pas  cherché,  avant  de  le  présenter,  a  se 
rallier  quelques  voix  dans  le  parti  catholique  pour  s'assurer 
ainsi  de  Tissue  des  débats*. 

1.  Mgr  De  rSorclaës  à  qui  nous  empiuntous  ce  document,  dit,  dans  son 
Pape  Léon  XIU,  que  :  «  les  instrucfions  des  évèques  belges  à  leui-s  curés,  datées 
«!u  i>(>  janvier  1845,  prescrivaient  au  clergé  de  se  faire  le  soutien  de  l'école  et 
du  njaître  »....  En  s'opposant  à  ces  instructions,  M.  Notliomb,  ministre  libéral- 
unioniste,  inclinait  manifestement  vers  la  neutralité  scolaire.  Le  règlement  du 
15  août  1846,  accepté  plus  tard  par  le  cabinet  de  Theux,  exprimait  ainsi  les 
vœux  des  évèques  et  leur  donnait  une  vigueur  légale  : 

Art.  I.  —  Les  leçons  de  religion  et  de  morale  se  donnent  le  matin  pendant 
la  première  demi-beure,  et  l'après-midi  pendant  la  dernière  deii;i-beure  de  la 
classe. 

Art.  II.  —  Les  classes  commencent  et  finissent  jtar  une  prière  faite  en 
commun. 

Art.  III.  —  L'éducation  morale  et  religieuse  sera  entièrement  prise  à  cœur  : 
rin>tiluteur  en  fera  l'objet  de  ses  soins  assidus;  il  saisira  avec  zèle  les  occa- 
sions (jui  se  présentent  sans  cesse,  j>our  développer  les  principes  de  religion  et 
de  morale. 

Art.  IV.  —  Pour  ces  trois  articles,  l'instituteur  calbolique  suivra  la  direction 
émanée  des  évêques,  en  vertu  de  l'article  0  de  la  loi. 

Survint  l'affaire  des  Jésuites  du  collège  de  la  Paix  à  Nanmr,  où  ces  derniei-s, 
après  le  vole  de  la  loi  de  1844,  voulurent  faire  concorder  le  cours  de  philo- 
sophie avec  les  programmes  du  (iouvernem.nt  jwur  l'obtention  des  grades 
académiques.  L'Université  de  Louvain  se  jugeant  oflensée  par  celte  rivalisé  des 
Jésuites  de  Namur,  la  question  fut  priée  à  Rome;  et  Mgr  Pecci  la  fit  décider 
«lans  le  sens  d'un  cours  préparatoire  dont  le  Collège  de  Namur  garderait  le 
caractère,  mais  non  d'une  Faculté  complète,  telle  que  Louvain.  Mais  les  esprits 
étaient  animés.  Il  fallut  que  Mgr  Pecci  terminal  celle  aflaire  par  son  rappel  à 
r.omc 

Paris,  2 i  juin  18 4i. 


LA. NONCIATURE    DE   BRUXELLES.  385 

CXLV 

Au  frère  Charles,  à  Rome.  —J'ai  reçu  presque  en  même 
temps  deux  de  vos  lettres,  lune  du  28  février  passé  et 
Tautre  du  8  mai  courant.  Vous  voyez  à  quelle  distance 


■ 


Le  Cortège  de  la  Passion. 

sont  ces  dates.  Le  P.  franciscain  Hendrick,  porteur  de  la 
première  qu  accompagnaient  celles  de  Jean-Baptiste  et  de 
Toncle  Antoine,  retarda,  je  crois,  son  voyage  en  Belgique 
ou  bien  omit  certainement  de  me  faire  parvenir  ces  papiers 
à  Bruxelles. 

J'ai  appris  avec  un  vrai  déplaisir  le  vol  "commis  dans 

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586 


LA   l'RÉLATLRE   DE    LÉON    XIII. 


notre  maison,  la  veille  de  Noël.  La  peur  aura  été  grande, 
mais  que  serait-il  arrivé  si  Toncle  Anloine  s'élait  alors 
.trouvé  seul?  Dites-moi  si  Ton  a  arrêté  les  voleurs.  Dites- 
moi  aussi  si  ,dans  le  vol,  ont  été  comprises  les  quatre  mé- 
dailles d*or  qui  m*appartiennent  et  qui  valent  à  peu  près 
120  écus.  Elle  me  furent  données  par  le  Cardinal  Trésorier 
Tosti  et  je  les  laissai  à  la  maison,  dans  un  des  secré- 
taires. 

C'est  un  plaisir  pour  moi  d'apprendre  que  mon  portrait 
est  heureusement  arrivé  là-bas.  Bien  que  je  Teusse  confié 
en  bonnes  mains,—  aux  bons  soins  du  prince  Aldobrandini, 
—  néanmoins,  par  suite  d'un  tel  retard,  je  commençais  à 
craindre  que  ce  tableau  se  fût  égaré  ;  et  j'en  aurais  éprouvé 
un  grand  déplaisir,  car  cette  toile  m'a  coûté  50  écus.  Rappe- 
lez à  l'oncle  Antoine  qu'il   doit  aller  remercier  Mgr  San- 
lucci.  Vous  avez  maintenant  à  votre  charge  de  faire  faire 
un  cadre  convenable.  Arrangez-vous  pour  le  placer  à  Car- 
pineto,  entre  les  portraits  de  papa  et  de  maman.  C'est  une 
douce   ambition,    bien   permise   aux   lîls,    qu'ils    figurent 
auprès  de  leurs  parents. 

Vous  ne  vous  êtes  pas  trompé,  en  attribuant  mon  silence 
de  plusieurs  mois  h  quelque  mauvais  état  de  santé.  Ici, 
l'hiver  dure  neuf  mois  ;  et,  sans  exagération,  je  peux  dire 
qu'en  ces  neuf  mois  il  n'y  a  pas  eu  un  seul  jour  de  beau 
temps.  De  plus,  pendant  trois  mois,  nous  avons  été  ense- 
velis sous  la  glace  et  la  neige,  et  le  froid  a  été  tellement  vif 
<[ue  les  Belges  eux-mêmes  l'ont  trouvé  extraordinaire.  A 
présent,  nous  voici  fin  mai;  et,  de  printemps,  il  ne  s'en 
parle  pas  encore.  A  ma  faiblesse  ordinaire  d'estomac   se 
sont  ajoutés  des  accès  nerveux  bien  désagréables. 

Je  vous  avouerai  maintenant  en  toute  sincérité  que,  pré- 
cisément en  raison  de  ma  santé,  je  désirerais  un  chan^^ement 


LA    NONCIATURE    DE    BRUXELLES.  -  587 

de  poste,  car  ce  climat  a,  pour  moi,  trop  de  rigueur  et 
d'àpreté. 

A  vous,  mon  cher Titta,  je  vous  recommande  les  inlénts 
et  les   arrangements  de   famille.  Avec  la  fin  de  ce  mo;s. 
d'août  expire  l'induit  qui  me  fut  accordé  en  1858  ad  qwn- 
quennmm,  m'accordantà 
moi    seul    la    faveur   de 
célébrer  les  messes  à  bé- 
néfice de  Maenza.  Je  vous 
prie  très  instamment  de 
faire  célébrer  ces  messes, 
comme  par   le   passé,  à 
dater  de  septembre  pro- 
chain, par  un  prêtre  de 

Maenza  même;  et,  pour 

la  tranquillité  de  ma  con- 
science,    vous     voudrez 

bien  me  confirmer   cela 

par   un    mot.    Vous    me 

direz   aussi    ce  qu'il   est 

advenu  de  mon  portrait, 

parti    avec    moi   de    Pé- 

rouse,   à   destination  de 

Carpineto.  Que  devient  le  «  secrétaire  de  grande  valeur  »^ 
Ce  dernier,  vous  pouvez  le  retenir  là-bas,  en  souvenir  de 
votre  frère.  Je  salue  Anne-Marie,  Ninelta,  Salina,  tout  le 
monde,  et  je  me  redis  en  toute  cordialité,  etc. 

P.  S.  Quand  vous  m'écrirez,  adressez  vos  lettres  à  Ster- 
bini,  à  Rome.  Il  me  les  enverra  par  la  malle  de  la  Secrétai- 
rerie  d'État. 


Gand.  —  Maison  do  la  Liôve. 


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Bruxelles,  2i  mai  1845. 


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586 


LA    PRÉLATIHE    HK    LKON    XIII. 


noire  maison,  la  veille  de  Noël.  La  peur  aura  élé  frrande, 
mais  que  serait-il  arrivé  si  Toncle  Anhùne  s'élait  alors 
trouvé  seul?  Dites-moi  si  Ton  a  arrêté  les  voleurs.  Dites- 
moi  aussi  si  ,dans  le  vol,  ont  été  comprises  les  (jualie  mé- 
dailles d'or  qui  m'appartiennent  et  qui  valent  à  peu  près 
l'iO  écus.  Elle  me  furent  données  par  le  Cardinal  Trésorier 
Tosti  et  je  les  laissai  à  la  maison,  dans  un  des  secré- 
taires. 

C'est  un  plaisir  pour  moi  d'a[)prendre  que  mon  portrait 
est  heureusement  arrivé  là-bas.  Bien  (|ue  je  l'eusse  conlié 
en  bonnes  mains,—  aux  bonssoins  du  prince  Aldobrandini, 
—  néanmoins,  par  suite  d'un  tel  relard,  je  commen(;ais  à 
craindre  (jue  ce  tableau  se  fût  égaré  ;  et  j'en  auiais  éprouvé 
un  grand  déplaisir,  car  celle  toile  m'a  coulé  50  écus.  Uappe- 
lez  à  l'oncle  Antoine  qu'il  doit  aller  remercier  M<»r  San- 
tucci.  Vous  avez  maintenant  à  votre  charge  de  faire  faiie 
un  cadre  convenable.  Arrangez-vous  pour  le  placer  à  Car- 
pinelo,  entre  les  portraits  de  papa  et  de  maman.  C'est  une 
douce  ambition,  bien  permise  aux  lils,  (|u'ils  figurent 
auprès  de  leurs  parents. 

Vous  ne  vous  êtes  pas  trompé,  en  allribuant  mon  silence 
de  plusieurs  mois  à  quelque  mauvais  état  de  santé.  Ici, 
l'hiver  dure  neuf  mois;  et,  sans  exagération,  je  peux  dire 
qu'en  ces  neuf  mois  il  n'y  a  pas  eu  un  seul  jour  de  beau 
tcMnps.  De  plus,  pendant  trois  mois,  nous  avons  été  ense- 
velis sous  la  glace  et  la  neige,  et  le  IVoid  a  été  tellement  vif 
«jue  les  Belges  eux-mêmes  l'ont  trouvé  exlraordinaiie.  A 
présent,  nous  voici  fin  mai;  et,  de  printemps,  il  ne  s'en 
parle  pas  encore.  A  ma  faiblesse  ordinaire  d'estomac  se 
sont  ajoutés  des  accès  nerveux  bien  désagréables. 

Je  vous  avouerai  maintenant  en  toute  sincérité  cpie,  pré- 
cisément en  raison  de  ma  santé,  je  désirerais  un  chann^cment 


LA    NONCIATURK    DK    BKIXKLLES.  •  5S7 

de  poste,  car  ce  climat  a,  pour  moi,  trop  de  rigueur  et 
d'àpreté. 

A  vous,  mon  cherTilla,  je  vous  recommande  les  inlér(*js 
et   les   arrangements  de   famille.  Avec  la  lin  de  ce  mois 
d'août  expire  l'induit  qui  me  fut  accordé  en  18,18  ad  fjtiii:- 
fjucnn'nim,  nraccordant  à 
moi    seul    la    faveur    de 
célébrer  les  messes  à  bé- 
néfice de  Maenza.  Je  vous 
plie  dès   inslamment  de 
faire  célébrer  ces  messes, 
comme  par    le    passé,  à 
dater  de  septembre  pro- 
chain,  par  un  j)rélre  de 

Maenza  même;  et,  pour 

la  tranquilliléde  ma  con- 
science,    vous     voudrez 

bien   me  confirmer  cela 

pîu-   un    mot.    Vous    me 

direz   aussi    ce  qu'il   est 

advenu  de  mon  porlrail, 

pai'ti    avec    moi   de   Pé- 

rouse,   à    destination   de 

Carpineto.  Que  devient  le  «  secrétaire  de  grande  valeur  »? 

Ce  dernier,  vous  pouvez  le  retenir  là-bas,  en  souvenir  de 

votre  frère.  Je  salue  Anne-Marie,  Ninelta,  Salina,  tout  le 

monde,  et  je  me  redis  en  toute  cordialité,  etc. 

P.  S,  Quand  vous  m'écrirez,  adressez  vos  lettres  à  Stei-- 
bini,  à  Rome.  Il  me  les  enverra  par  la  malle  de  la  Secrélai- 
rerie  d'Étal. 


Garni.  —  Maifî<m  df  la  Liôvo. 


nruicllcs,  2i  mai  1815, 


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588 


LA   PRÉLATURE    DE    LÉON    XIII. 


CXLVI 


ÂH  comte  Antoine  Pecci,  à  Rome,  —  Le  P.  Ilendrick, 
Provincial  des  Franciscains,  m'a  fait  parvenir  voire  der- 
nière lettre  du  mois  de  février;  et  récemment  j'ai  eu 
encore  de  vos  nouvelles,  par  Charles.  Je  suis  bien  ennuyé 
d'apprendre  que  vous  avez  souffert  d'une  gastrite,  mais  je 
me  fais  aujourd'hui  à  la  pensée  que  vous  ùles  complètement 
rétabli. 

J'ai  plaisir  que  le  tableau,  après  trois  mois  de  retard, 
vous  soit  arrivé  en  bon  état.  J'espère  que  vous  aurez  pris 
toutes  les  précautions  (jue  je  vous  indiquai  dans  ma  der- 
nière lettre,  et  qu'ainsi  ni  le  coloris  ni  la  couleur  non  plus 
n'auront  souffert.  Dites-moi  comment  vous  l'avez  trouvé,  et 
si  vous  l'avez  déjà  expédié  a  Carpineto. 

Je  vous  confirme  mon  bulletin  de  santé,  le  mémo  que 
j'ai  communiqué  à  Charles  dans  ma  dernière  lettre.  Les 
précédentes  saisons  ont  été  extrêmement  point  variables,  et 
l'hiver  s'est  fait  sentir  avec  une  si  extraordinaire  rigueur 
qu'il  m'a  quelque  peu  enlevé  les  forces.  A  présent,  je  vais 
mieux  ;  le  temps  aussi  se  fait  meilleur.  Pour  me  fortifier 
les  nerfs,  peut-être  me  verrai-je  contraint  à  aller  prendre 
les  bains  de  mer  à  Ostende,  quand  l'été  sera  plus  avancé. 
Vers  cette  époque-là,  vous  aussi,  vous  jouirez  déjà  de  l'air 
et  des  délices  de  Carpineto. 

Bruxelles,  4  juillet  1845. 

CXLVII 

Au  frère  Charles,  à  Carpineto,  —  En  séjournant  à 
Rome,  vous  n'y  aurez  certainement  pas  ignoré  le  bruit 


> 


LA    NONCIATURE   DE   BRUXELLES. 


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qu'on  y  fait  courir  de  mon  passage  au  siège  épiscopal  do 
Pérouse,par  suite  des  instances  des  Pérousiens  eux-mêmes,. 


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Lellre  nut(»gi'j|>lii>  de  Mgr  l'occi. 


—  changement,  d'ailleurs,  peu  préjudiciable  à  ma  carricrey 
et  peut-être  même  avantageux. 

Je  dois  vous  dire,  en  toute  vérité,  que  cette  nouvelle  n'a 
jamais  eu  de  fondement  solide,  et  que  le  Pouvoir  supérieur 


-•-.— 


388 


LA    PHKLATURE    DE    f.KON    MIL 


CXLYI 


An  comtr  Antoine  IWci,  à  liomr.  —  Le  P.  llcndrick, 
rroviiiciîil  (les  Frimciscaiiis,  m'a  fait  parvcnii'  volrc  dci- 
mhiv  lellrc  du  mois  de  février;  el  iveemmenl  j'ai  eu 
oucore  de  vos  uouvelles,  par  Chailes.  Je  suis  hieu  euuuyé 
^l'apprendre  rpie  vous  avez  soudert  d'une  naslrile,  mais  je 
me  fais  aujourd'hui  à  la  pensée  (|ue  vous  éles  complèlemenl 
réialdi. 

J'ai  plaisir  (pie  le  tableau,  apivs  ti'ois  mois  de  relai'd, 
vous  soit  arrivé  en  bon  état.  J'esp(M'e  que  vous  aurez  pris 
l(mles  les  précautions  (pie  je  vous  indi^piai  dans  ma  der- 
ni('re  lettie,  et  qu'ainsi  ni  le  coloiis  ni  la  couleur  non  plus 
n'auront  souffert.  Dites-moi  comment  vous  l'avez  liouvé,  el 
f>i  vous  l'avez  (l(''jà  expédié  à  (laipinelo. 

Je  vous  confirme  mon  bulletin  de  santé,  le  même  que 
j'ai  communiipié  à  Charles  dans  ma  derni('re  lettre.  Les 
précédentes  saisons  ont  été  extrêmement  [)oint  variables,  et 
l'hiver  s'est  fait  sentir  avec  une  si  extraordinaire  rigueur 
qu'il  m'a  quchjuc  peu  enlevé  les  forces.  A  présent,  je  vais 
mieux;  le  temps  aussi  se  fail  meiUeur.  Pour  me  fortifier 
les  nerfs,  peut-être  me  veriai-je  contraint  à  aller  jjrendre 
les  bains  de  mer  à  Ostende,  quand  Télé  sera  plus  avancé. 
Vers  celte  époipuvlà,  vous  aussi,  vous  jouirez  déjà  de  l'air 
el  des  délices  de  Carpineto. 

Bruxollc?,  4  juillet  1845. 

CXLVIl 

Au  frère  Charles,  à  Carpineto,  —  En  séjournant  à 
Home,  vous  n'y  aurez  certainement   pas   ignoré   le   l)ruiL 


LA    NONCIATURE    DE    BiaXELLES. 


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quV)n  y  fait  courir  de  mon  passage  au  siJ'ge  épiscopal  de 
Pérouse,  |)ar  suite  des  instances  des  Pérousiens  eux-mêmes,. 


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Lt'llrc  aiihtgraplu'  dr  Mgr  iVcci. 

—  changement,  d'aiHeurs,  peu  pr('judiciable  à  ma  carrière,, 
el  peut-être  même  avantageux. 

Je  dois  vous  dire,  en  toute  vérité,  que  cette  nouveHe  n'a 
jamais  eu  de  fondement  solide,  et  (pie  le  P(uivoir  supérieur 


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LA   PRÉLATLRE    DE    Lf:ON    XIII. 


ne  semble  y  avoir  jamais  pensé  sérieusement.  Les  arde- 

liones  sont  si  nombreux  !  Ceux  de  la  Ville  Sainte  ont  bien 

un  peu  accrédité  ce  bruit,  mais  il  ne  faut  pas  s'en  étonner; 

car  telle  est  Tan  tique  façon  de  faire,  de  ces  gens-là.  Au  reste, 

une  mutation   bonorable  serait  loin  de   me  déplaire,  et 

volontiers  j'accepterais  un  poste  qui,  outre  un  climat  plus 

favorable  à  ma  sanlé,  me  procurerait  un  calme  et  un  repos 

plus  grands.  J'en  commence  à  sentir  désormais  le  besoin, 

après  la  vie  agitée  que  je  mène  depuis  deux  ans  de  pénibles 

travaux  et  de  continuelles  oiïaires.  Le  dernier  et  rigoureux 

hiver,  qui  a  duré  ici  neuf  mois,  m'a  un  peu  adaibli  et 

énervé.  Pour  réparer  mes  forces  et  obéir  aux  prescriptions 

des  médecins,    j'ai   passé  deux    mois  du   dernier  été  à 

Ostende,  plage  très  renommée  pour  ses  bains.  J'en  éprouve 

une  amélioration  sensible.  Espérons  que  cela  durera. 

Bruxcllc?,  18  scpicmbre  1845. 


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CXLVIII 

Au  comte  A  idoine  Pecci,  à  Carpinelo,  —  ...  Les  bruits 
de  ma  promotion  ou  de  mon  changement,  que  vous  n'êtes 
certainement  pas  sans  connaître,  continuent  à  courir  et 
n'ont  pourtant  rien  de  positif.  Au  mois  de  novembre  pro- 
chain, il  y  aura  un  Consistoire.  Alors,  on  saura  quelque 
chose  de  précis. 

En  attendant,  la  santé  se  maintient  bonne,  f^race  aux 
cinquante  bains  que  j'ai  pris  courageusement  sur  la  plage 
d'Ostende. 

Bruxelles,  9  oclol  ré  1845. 


LA   NONCIATURE   DE   BRUXELLES.  591 

CXLIX 

Mgr  Fornari  à  Mgr  Joachim  Peccu  à  Bruxelles,  —  J'ai 
reçu,  hier,  vôtre  bonne  lettre  du  5,  par  laquelle  vous  me  faites 
part  de  votre  promotion  à  l'évêché  de  Pérouse.  L'assurance 
qui  vous  est  donnée,  que  celte  translation  sera  considérée 
comme  le  passage  à  une  nonciature  de  l*"®  classe,  permet 
de  l'appeler  réellement  une  promotion.  Et  elle  est,  certes, 
très  honorable  pour  vous;  parce  qu'elle  est  due  aux 
instances  d'une  population  respectable,  au  désir  de  laquelle 
le  Saint-Père  n'a  pas  voulu  se  refuser,  tout  en  ne  voulant 
pas  non  plus  que  la  chose  nuisît  à  votre  carrière. 

Paris,  le  7  novembre  1845. 


- 


CL 

Mgr  Pecci  au  card.  Sterckx,  arcb,  de  Matines,  —  J'ai 
riionneur  d'informer  Votre  Excellence  Révérendissime  que 
le  Saint-Père  vient  de  me  nommer  à  l'Evêché  de  Pérouse.  Mon 
successeur  est  déjà  désigné  ;  c'est  Monseigneur  Alexandre 
de  San  Marzano,  prélat  aussi  distingué  par  sa  science  que 
par  sa  piété. 

Pendant  mon  séjour  en  Belgique,  j'ai  fait  tout  ce  qui 
dépendait  de  moi  pour  rendre  quelque  service  à  l'église  de 
Belgique  et  répondre  aux  désirs  du  Saint-Père,  lorsqu'il 
m'a  confié  cette  importante  mission.  Je  n'ai  que  des  remer 
ciments  à  adresser  à  Votre  Eminence,  pour  le  concours  bien- 
veillant que,  en  toutes  circonstances.  Elle  a  bien  voulu 
prêter  à  mes  efforts. 

Je  prie  Votre  Eminence  Révérendissime  d'agréer  l'hom- 
mage de  mon  respect  et  de  ma  profonde  vénération,  avec 


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392  LA   PflÉLATlRE    DE    LÉOX   XIII. 

lesquels  j'ai  Thonneur  d'être  votre  très  humble  et  très  obéis- 
sant  serviteur,  etc. 

Bruxelles,  8  novembre  18i5. 
L'original  de  cette  lettre  est  rédigé  en  français. 


CLI 

Mgr  Joachim  Pecci,  au  frère  Jean-Baptiste,  à  Maenza. 
—  Je  me  trouverai  à  Pérouse,  pour  les  conséquences  hono- 
rifiques de  ma  carrière,  comme  si  j'avais  été  à  Vienne  ou 
à  Paris.  J'en  aurai  avantage,  pour  la  santé  et  pour  la  bourse. 
Celte  carrière  des  nonciatures  est  belle,  bonne  et  brillante; 
mais,  pour  s'y  maintenir  avec  éclat,  il  faudrait  que  notre 
Gouvernement  donnât  des  appointements  meilleurs  ou, 
pour  mieux  dire,  sut  les  mieux  proportionner  aux  besoins 
de  chaque  pays.... 

Bruxelles,  9  novembre  1815. 


CLII 

Mgr  Fornart\[à  Mgr  Joachim  Pecci,  à  Bruxelles.  —  Il  n'y 
aura  jamais  de  reproche  plus  juste  à  vous  faire  que  celui 
d'être  passé  deux  fois  par  la  France,  d'avoir  vécu  trois  ans 
sur  sa  frontière,  sans  avoir  vu  Paris;  et  j'oserais  dire  que 
ce  serait  un  péché  irrémissible.  Je  crois  donc  que  vous 
devrez  venir  nécessairement.  Vous  trouverez  une  bien 
mauvaise  auberge,  rue  de  Grenelle-Saint-Germain,  71, 
(l'hôtel  de  la  Nonciature);  mais  au  moins  un  aubergiste  qui 
se  glorifiera  de  vous  avoir  pour  hôte.... 

Paris,  le  14  novembre  1845. 


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LA   .NOiXClATLRE    DE   BRUXELLES.  595 

CLIII 

Le  cardinal  Sterck  à  Mgr  Joachim  Pecci,  —  Je 
m'empresse  de  vous  remercier  pour  l'intéressante  lettre 
que  vous  avez  eu  la  bonté  de  m'écrire,  le  8  de  ce  mois. 
C'est  de  tout  mon  cœur  que  je  félicite  Voire  Excellence,  de 


Bruges.  —  l.o  porcljo  tic  Nolrc-Dame. 

sa  promotion  à  l'évéché  de  Pérouse.  J'en  félicite  bien  plus 
encore  les  habitants  de  cet  heureux  diocèse  qui  acquerront 
en  votre  personne  un  évoque  aussi  distingué  par  sa  science 
que  par  sa  piété,  un  modèle  de  toutes  les  vertus. 

Vous  avez  raison  de  dire.  Monseigneur,  que  pendant 
votre  séjour  dans  ce  pays  vous  avez  fait  tout  ce  qui  dépen- 
dait de  vous  pour  rendre  quelques  services  à  l'Église  de  Bel- 
gique. Personne  n'a  été,  plus  que  moi,  témoin  des  efforts 
que  vous  n'avez  cessé  de  faire  dans  ce  but;  aussi  vous 
en    garderai-je  une  éternelle  reconnaissance.  Je   regrette 


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394 


LA  PRÉLATIHE   DE   LÉON    XJII. 


d'aillant  plus  vivemeril  (|uc  vous  soyez  forcé  de  nous  quitter 
si  vite.  Vos  excellenles  intentions,  vos  vues  pleines  de 
sagesse,  votre  zèle  pour  la  prospérité  de  la  religion,  auraient 
pu  nous  être  encore  si  utiles. 

J'espère,  Monseigneur,  que  vous  conserverez  toujours 
poumons  les  sentiments  de  bienveillance  dont  vous  nous 
avez  donné  tant  de  preuves.  De  notre  coté,  nous  ne  cesse- 
rons d'adresser  nos  prières  au  ciel  pour  votre  constant 
bonheur. 

Je  vous  prie,  Monseigneur,  d'agréer  les  sentiments  d'une 
haute  estime  et  d'un  sincère  attachement,  avec  lesquels 
j'ai  rhonneur  d'être,  de  Votre  Excellence,  le  très  dévoué 
serviteur, 

ExcELBERT,  card.  arch.  de  Malines. 

Malincs,  le  10  novembre  1845. 

CLIV 

%/•  Veiid  à  M(jr  Spinello  Antinori,  anditmr  de  Rote,  à 
/?o,„e._  Une  indisposition  dont  j'ai  souffert,  le  mois  passé, 
m'a  empêché  de  répondre  aussitôt  que  je  l'aurais  désiré  à 
votre  très  honorée  du  mois  de  novembre  passé.  J'ai  relevé 
dans  cette  lettre  et  dans  la  feuille  qui  y  était  jointe  les 
désirs  exprimés  par  la  Magistrature  de  Pérouse,  et  les 
démarches  que  celle-ci  a  faites  pour  que  je  sois  nommé  au 
siège  épiscopal  vacant  de  votre  patrie.  En  même  temps,  je 
recevais  la  gracieuse  expression  de  votre  joie,  a  voir  le 
succès  désiré  répondre  à  vos  démarches.  Lié  par  de  r-i 
aimables  et  affectueux  services,  je  ne  peux  retarder  plus 
longtemps  l'expression  de  ma  reconnaissance  bien  vive  et 
bien  sentie. 

Je  vous  remercie  de  tout  mon  cœur,  des  compliments 


LA   NONCIATURE    DE   BRUXELLES.  595 

que  vous  voulez  bien  m'adresser.  Pourtant,  à  dire  vrai, 
très  vénéré  Seigneur,  aurez-vous,  en  favorisant  ma  candi- 
dature, rendu  à  votre  patrie  un  si  important  service  que 
vous  ayez  raison  de  tant  vous  en  réjouir  et  vous  en  compli- 
menter?  Et  même  vos  espérances  auront-elles  le  succès  assuré 
que  vous  croyez?  Je  dois  en  toute  sincérité  vous  déclarer  que. 


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Uiiigcs.  —  La  t;lia|>elle  du  Sainl-Saiig. 

réfléchissant  à  ce  que  je  puis  être,  je  ne  Irouve  que  motifs 
de  confusion  et  de  crainte.  Tout  ce  que  vous  me  dites  n'est 
qu'un  efl'elde  votre  bonté  et  de  votre  amitié  pour  moi.  Pour 
si  vive  et  si  ardente  que  soit  ma  volonté  de  faire  du  bien  à 
Pérouse,  ah!  combien  je  crains  qu'elle  ne  reste  stérile  et 
infructueuse  par  la  faiblesse  de  mes  ressources.  Toute  ma 
confiance  est  en  Dieu,  et  cette  religieuse  pensée  me  récon- 
forte et  m'encourage  à  implorer  de  là-haut  ces  dons,  ces 
qualités  dont  je  me  vois  tout  à  fait  dépourvu  et  à  l'aide 


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596 


LA   PRÉLATIUE    DE    LÉON   XIII. 


desquels  rinstrument  le  plus  foible  et  le  plus  vil  peut 
encore  opérer  d'utiles  choses. 

I/établissement  d'un  pensionnat  sera  certainement  Tobjel 
de  mes  premiers  soins.  Secondé  par  la  Magistrature,  j'ai  le 
ferme  espoir  de  conduire  à  bonne  fin  une  œuvre  si  long- 
temps souhaitée,  qui  fera  tant  d'honneur  à  la  patrie  pérou- 
sienne  et  tant  de  profit  à  la  religion.  On  m'écrit  de  Pérouse 
qu'on  y  attend  mon  arrivée  avec  impatience.  Moi  aussi, 
je  désire  ne  pas  trop  retarder  mon  départ,  mais  la  conve- 
nance m'impose,  en  raison  de  la  saison  d'hiver  et  de  la 
nécessité  oii  je  me  trouve,  d'attendre  en  Belgique  mon 
successeur.  Si  vous  avez  occasion  de  voir  Mgr  de  San 
Marzano,  poussez-le  à  presser  son  départ. 

Je  vous  prie  enfin  d'être  mon  interprète  auprès  de  la 
Magistrature  de  Pérouse.  Exprimez-lui  les  sentiments  de 
respect  et  d'affeclion  constante  que  je  garde  pour  elle.  Et, 
en  échange  des  souhaits  de  toute  sorte  de  prospérité  que  je 
forme  pour  vous  h  l'occasion  de  la  nouvelle  année  et  de 
beaucoup  d'autres  à  la  suite,  j'ai  le  plaisir  de  vous  renou- 
veler ma  plus  sincère  estime  et  de  me  dire,  de  votre 
Seigneurie  illustrissime,  le  très  obéissant  serviteur  et  ami, 

*f  J.  archev.  de  Damielte,  év.  de  Pérouse. 

Bruxelles,  16  janvier  1845, 


CLV 

Au  comte  Antoine  Pecci,  à  Rome.  —  Voilà  un  siècle  que 
je  n'ai  plus  de  vos  nouvelles.  Depuis  la  communication  faite 
à  la  famille  de  mon  transfèrement  à  l'évèché  de  Pérouse,  je 
n'ai  reçu  aucune  lettre  de  la  mai^^on.  Je  n'ai  jamais  pu 


LA   NONCIATURE  DE   BRUXELLES. 


507 


m'expliquer  la  raison  d'un  pareil  silence.  Quoi  qu'il  en  soit, 
par  la  présente,  je  viens  vous  avertir  de  ma  prochaine 
arrivée  à  Rome.  Si  Dieu  le  permet,  je  quitterai  Bruxelles 
avant  Pâques  et,  après  avoir  passé  une  dizaine  de  jours  à 
Paris,  je  prendrai  la  route  d'Italie  en  m'embarquant  à 
Marseille.  Attendez-moi  donc  là-bas,  dans  le  courant  d'avril 
prochain.  Ainsi  en  aurai-je  fini,  de  la  Nonciature,  carrière 
lumineuse,  brillante,  et  pas  peu  hasardeuse.... 

Bruxelles,  14  mars  1846. 


CLVI 

Le  roi  des  Belfies,  Léopold  /,  à  S.  S,  le  pape  Gré- 
goire  AT/.  —  Je  dois  recommander  à  la  bienveillante 
protection  de  Votre  Sainteté  l'archevêque  Pecci;  il  la 
mérite  à  tous  les  points  de  vue,  car  j'ai  rarement  vu  un 
dévouement  plus  sincère  a  ses  devoirs,  des  intentions  plus 
pures  et  des  agissements  plus  droits.  Son  séjour  dans  ce 
pays  lui  aura  été  très  utile,  en  lui  permettant  de  rendre  de 
bons  services  à  Votre  Sainteté.  Je  la  supplie  de  lui 
demander  un  compte  exact  des  impressions  qu'il  emporte 
sur  les  affaires  de  l'église  de  Belgique.  11  juge  toutes  ces 
choses  très  sainement,  et  Votre  Sainteté  peut  lui  accorder 
toute  confiance.  Je  suis,  etc. 

Léopold. 

Bruxelles,  le  14  mars  1840. 


CLVII 

Mgr  Joachim  Pecci  au  frère  Charles,  à  Carpineto.  — 
.  De  Bruxelles  à  Civitavecchia,  mon  voyage  a  été  très  heu- 


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398 


LA   PRKLATURK    DE    LfiO.N   XIII. 


reux;  mais  aux  portes  de  Rome,  puis-jc  dire,  j'ai  souffert 
d'une   légère^  indisposition.  Je  Tattrihuc   au    changement 
d'air  et  aux  journées  chaudes  et  suffocantes  qui  m'atten- 
daient ici,  A  présent,  je  suis  sain  et  sauf,  et  j'espère  bien 
désormais  raffermir  ma  santé  dans  le  climat  de  ma  chère 
Pérouse  qui,  particulièrement  en  été,  est  délicieux.  Je  pen- 
sais séjourner  dans  Rome  un  bon    mois   et,   ce  durant, 
faire   une    course   à   Carpineto.    Maintenant,   j'ai   changé 
de  projet,  par  suite  de  la  mort  inattendue  du  Souverain 
Pontife.  Quand  le  nouveau  Pape  sera  élu,  je  reviendrai  de 
Pérouse  à  Rome.   Je  partirai   pour  mon  évéché,  vers   le 
20  du  mois  courant.  xV  mon  retour,  —  et  ce  sera  vers  le 
mois  d'août  ou  celui  de  septembre,  —  il  me  sera  plus  aisé 
et  plus  commode  de  venir  à  Carpineto,  passer  quelques 
semaines. 


Rome,  7  juin   I84C. 


CL  VIII 

S,  S.  le  pape  Pie  IX,  à  S.  M,  Léopold  /,  roi  des  Beh/es. 
—  Mgr  Pecci,  ancien  Nonce  auprès  de  Votre  Majesté, 
a  remis  entre  Nos  mains  la  lettre  qu'Elle  adressait,  le 
14  mars  dernier,  à  notre  prédécesseur  de  toujours  chère 
et  regrettée  mémoire  ^  Le  beau  témoignage  que  Votre 
Majesté  daigne  rendre  à  Mgr  Pecci,  évéque  de  Pérouse, 
fait  le  plus  grand  honneur  à  ce  prélat  qui  expérimentera  en 
temps  opportun,  et  comme  s'il   avait  continué  le  cours 

1.  Mgr  Pecci  rentré  à  Rome,  le  22  mai  1846,  n'y  précéda  que  de  quelques 
jours  la  mort  de  Grégoire  XVI  et  dut  remettre  au  nouveau  Souvei-ain  Pontife 
la  lettre  du  roi  des  Belges  à  laquelle  Pie  IX  se  chargea  de  réi»ondre,  le  mois 
suivant. 


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508 


LA    rKKLATLHK    DE    LKO.N    MIL 


roux;  mais  aux  portes  de  Uoine,  puis-je  dire,  j*ai  souiïert 
d'uue    légereJiidis|)osilion.   Je  l'allrihue    au    eliaugeinenl 
d'air  et  aux  jouiuées  chaudes  et  sulïocanles  qui  m'atten- 
daient ici.  A  présent,  je  suis  sain  et  sauf,  et  j'espeie  l)ien 
désormais  rallermii'  ma  santé  dans  le  climat  de  ma  clièit; 
Pérouse  qui,  particulièrement  en  été,  est  délicieux.  Je  pen- 
sais séjounier  dans  Jlome  un   lum    mois   el,   ce  durant, 
faire   une    course    à   Caipineto.    MainlenanI,    j'ai    changé 
de  projet,  par  suite  de  la   moit  inattendue  du   Souverain 
Pontile.  Ouand  le  nouveau  Pape  sera  élu,  je  reviemlrai  de 
Pérouse  à   Piome.   Je  partirai    pour  mon  évéclié,   vers   le 
2U  du  mois  courant.  A  mon  ie(oui\  —  et  ce  sera  vers  le 
mois  d'août  ou  celui  de  seplemhiv,  —  il  me  sera  plus  aisé 
et  plus  commode  de  venii-  à   (;arpinet(»,  passer  quelques 
semaines. 

Home,  7  juin    1840. 


CLVIll 

S.  S.  le  pape  Pie  /A',  à  S.  M.  Léopold  /,  roi  des  Brh/rs. 
—  Mgr  Pecci,  ancien  Nonce  auprès  de  Volie  Majesié, 
a  remis  entre  Nos  mains  la  letlre  ipi'Klle  adressait,  le 
14  mars  dernier,  à  noire  prédécesseur  de  toujours  ehèiv 
et  regrettée  mémoire\  Le  beau  témoignage  que  Votre 
Majesié  daigne  rendre  à  Mgr  Pecci,  évnpie  de  Péivuise, 
fait  le  plus  grand  honneur  à  ce  prélat  (jui  expérimentera  en 
temps  opportun,  et  comme  s'il   avait  conlinué   le   cours 

1.  Mgr  Pecci  rentré  à  Rome,  le  2:i  mai  1841».  n'v  précéch  que  de  i^mAmw^ 

joui-s  la  mort  de  Gri-oire  \VI  et  .i.il  !ein,.||.v  .m  nouveau  Souveraiu  Pontile 

la  lettre  du  roi  des  Belges  à  hu|uelle  Pie  1\  ^o  chargea  de  répondre,  le  mois 
suivant. 


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400 


LA   PRÉLATCRE   DE   LÉON   XIII. 


régulier  des  nonciatures,  reflet  de  vos  bons  offices  royaux. 
Donné  à  Rome,  etc. 

PlK  IX.  P.  P. 


CLIX 

Mgr  Joachim  Pecci  au  comte  Antoine  Pecci,  à  Frascati. 
—  J'ai  beaucoup  regretté  de  n'avoir  pu  vous  revoir,  avant 
mon  départ  pour  Pérouse.  J'espérais  que  vous  reviendriez 
à  Rome  et  que  votre  villégiature  à  Frascati  ne  dépasserait 
pas  une  quinzaine  de  jours.  Mes  nombreuses  occupations 
et  la  retraite  que  j'ai  faite  à  Saint-André  du  Quirinal  m'ont 
absolument  empecbé  d'aller  vous  rendre  visite.  Remet- 
tons maintenant  à  l'automne  le  plaisir  de  nous  revoir 
dans  Carpineto.  Je  le  désire  vivement,  bien  que  je  redoute 
les  nombreuses  affaires  qui  m'attendent  à  Pérouse  et  qui 
mettront  peut-être  encore  quelques  obstacles  à  mes  pro- 
jets. Je  ferai  tout  ce  que  je  pourrai  pour  les  surmonter. 
En  attendant,  continuez  à  jouir  du  bon  air  de  Frascati  et 
à  vous  conserver  en  bonne  santé.  Donnez-vous  bon  temps 
et  bons  divertissements. 

Depuis  deux  jours,  l'amnistie,  —  promulguée  par 
Pie  IX,  —  met  Rome  dans  l'enthousiasme.  A  Montecavallo, 
grande  foule,  grandes  clameurs,  grands  vivats.  Ce  matin,  la 
même  manifestation  a  eu  lieu,  pendant  que  le  Saint-Père  se 
rendait  à  Montecitorio  pour  la  fête  de  Saint-Vincent-de- 
Paul.  Espérons  que  l'avenir  sera  bon,  etc.  r 


Borne,  19  juillet  1840. 


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LA  NONCIATURE   DE   BRUXELLES 


401 


CLX 

Au  frère  Jean-Baptiste  à  Rome.  ~  Deux  lignes,  pour 
vous  apprendre  notre  heureuse  arrivée  à  Narni,  après  une 


Une  salilOy  ii  Pérouse. 


halte  de  plusieurs  heures  à  Civita-Castellana.  Nous  par- 
tirons, ce  soir,  pour  Foligno  où  nous  comptons  arriver, 


S6 


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400 


LA    PRKL.VTLT.E    DK    LKON    XIII. 


ré^ifulier  des  nonciatures,  TelTet  do  vos  bons  offices  rovaux. 


Donné  à  Rome,  etc. 


PimIX.  p.  p. 


CLIX 

Mgr  Joachini  Pecci  nu  comte  Antoine  Peccl,  à  Frascati. 
—  J*ai  beaucoup  regrellé  de  n'avoir  pu  vous  revoir,  avant 
mon  dépai't  pour  Pérouse.  J'espérais  que  vous  reviendriez 
à  Rome  et  que  votre  villégiature  à  Frascali  ne  dépasserait 
pas  une  quinzaine  de  jours.  Mes  nombreuses  occupations 
et  la  retraite  que  f ai  faite  à  Sainl-André  du  Quirinal  m'tuit 
absolument  empécbé  d'aller  vous  rendre  visite.  Remet- 
tons maintenant  à  l'automne  le  plaisir  de  nous  revoir 
dans  Carpineto.  Je  le  désire  vivement,  bien  (jue  je  redoute 
les  nombreuses  all'aires  qui  m'attendent  à  Pérouse  et  qui 
mettront  peut-étie  encore  (juebiues  obstacles  à  mes  pro- 
jets. Je  ferai  tout  ce  (jue  je  pourrai  pour  les  surmonter. 
En  attendant,  continuez  à  jouir  du  bon  air  de  Frascali  et 
à  vous  conserver  en  bonne  santé.  Donnez-vous  I)on  temps 
et  bons  divertissements. 

Depuis  deux  jours,  l'amnistie,  —  promulguée  par 
Pie  IX,  —  met  Rome  dans  l'enlbousiasme.  A  Monlecavallo, 
grande  foule,  grandes  clameurs,  grands  vivats.  Ce  matin,  la 
même  manifestation  a  eu  lieu,  pendant  que  le  Saint-Père  se 
rendait  à  Montecitorio  pour  la  fête  de  Saint-Yincent-dc- 
Paul.  Espérons  que  l'avenir  sera  bon,  etc.  ^ 

Rome,  10  juillet  184G. 


LA  NONCIATURE    DE    BRUXELLES  401 

CLX 

Au  frère  Jean-Baptiste  à  Rome.  --  Deux  lignes,  pour 
vous  apprendre  notre  beureuse  arrivée  à  Narni,  après  une 


Une  salila^  à  Pérouse. 


halte  de  plusieurs  heures  à  Civita-Castellana.  Nous  par- 
tirons, ce  soir,  pour  Foligno  où  nous  comptons  arriver, 


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402  LA    PRÉLATURE   DE    LÉON    XIII 

demain  matin  ;  à  temps  pour  être  rendus  le  soir  à  Pérouse, 

si  c'est  possible. 

J'ai  oublié,  sauf  erreur,  l'étui  contenant  mes  déco- 
rations. Vous  le  trouverez  probablement  dans  un  des 
tiroirs  de  mon  secrétaire.  M.  Annibal  Sterbini  écrit  à  son 
frère  Stanislas,  pour  lui  réclamer  la  même  chose  et  pour 
que  des  recherches  soient  tout  de  suite  faites  et  que  cet 
étui  me  soit  adressé  par  la  poste  de  jeudi.  Ainsi,  vendredi 
soir,  je  pourrai  Tavoir  à  Pérouse.  J'aimerais  bien  porter  ces 
décorations,  dimanche  soir,  pendant  la  réception  que  je 
donnerai.  Si,  par  hasard,  M.  Sterbini  ne  vous  a  pas  pré- 
venu, je  vous  prie  d'agir  de  concert  avec  lui. 

Saluez  de  ma  part  Toncle  Antoine  et,  en  toute  affection, 
croyez-moi  votre,  etc. 

Narni,  21  juillet  1846. 

CLXI 

Au  frère  Jean-Baptiste,  à  Maenza.  —  J'avais  nourri  le 
bien  vif  désir  de  me  rendre  à  Carpineto  pour  me  trouver, 
ce  mois  courant,  au  partage  des  biens  de  famille.  Mais 
l'homme  propose,  et  Dieu  dispose.  Jusqu'à  ces  derniers 
jours,  j'ai  pensé  même  y  réussir;  mais,  au  moment  des 
fêtes  que  nous  célébrons  ici  avec  pompes  romaines,  en 
rhonneur  de  Pie  IX,  et  étant  donné  Tétat  actuel  des 
esprits,  quitter  Pérouse  serait  fort  imprudent  et  m'expo- 
serait à  de  justes  critiques.  La  nécessité  m'obligeant  donc 
à  la  résignation,  j'ai  cru  devoir  me  suppléer  en  envoyant 
à  Carpineto  mon  secrétaire,  l'abbé  De  Sanctis,  qui  a  mis- 
sion de  me  représenter  dans  ce  partage.  A  ce  sujet,  il  est 
muni  de  la  procuration  qu  il  faut.  De  Geccano,  son  pays 
natal,  il  ira  probablement  vous  faire  une  visite  a  Maenza. 


LA  NONCIATURE   DE   BRUXELLES 


403 


De  là,  si  vous  estimez  que  la  chose  puisse  ainsi  se  faire, 
vous  pourriez  vous  rendre  ensemble  à   Carpineto. 

Le§  choses  vont  bien  à  Pérouse,  jusqu'à  cette  heure.  La 
ville  et  la  population  se  montrent  affectueuses.  Espérons 
que  cela  continuera  et  finira  heureusement.  Mon  secrétaire 
pourra  entrer  dans  les  détails.  C'est  aussi  jusqu'à  ma  santé 
qui  se  maintient,  malgré  de  continuelles  fatigues.  Cepen- 
dant, par  mesure  de  précaution  et  sans  rien  faire  pour  la 
rechercher,  je  ne  m'opposerais  pas  à  la  chose  dont  fit  sujet 
de  correspondance  avec  mon  secrétaire  un  de  vos  amis, 
M.  Francesco  Sindici.  Enfin  les  circonstances  ne  me  sem- 
blent pas  défavorables.  Ici,  je  passe  pour  un  homme 
doux...  (1). 

Pérouse,  6  octobre  1846, 

(i)  La  suite   de  l'ÉpistoIaire  de  Mgr  Joachim   Pecci  est  renvoyée  au  volume 
Un  Cardinal  Italien  d'après  sa  correspondance  (Léon  XIII,  1846-1878). 


La  Place  du  Palais  épiscopal,  à  Pérouse. 


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402  LA    PRÉLATURE    DE    LÉON    XllI 

demain  malin  ;  a  temps  pour  être  rendus  le  soir  à  Pérouse, 

si  c'est  possible. 

J'ai  oublié,  sauf  erreur,  l'étui  contenant  mes  déco- 
rations. Vous  le  trouverez  probablement  dans  un  des 
tiroirs  de  mon  secrétaire.  M.  Annibal  Sterbini  écrit  à  son 
frère  Stanislas,  pour  lui  réclamer  la  même  chose  et  pour 
que  des  recherches  soient  tout  de  suite  faites  et  que  cet 
étui  me  soit  adressé  par  la  poste  de  jeudi.  Ainsi,  vendredi 
soir,  je  pourrai  l'avoir  à  Pérouse.  J'aimerais  bien  porter  ces 
décorations,  dimanche  soir,  pendant  la  réception  que  je 
donnerai.  Si,  par  hasard,  M.  Sterbini  ne  vous  a  pas  |)ré- 
venu,  je  vous  prie  d'agir  de  concert  avec  lui. 

Saluez  de  ma  part  l'oncle  Antoine  et,  en  toute  affection, 
croyez-moi  votre,  etc. 

Narni,  21  juillet  1846. 

CLXI 

Au  frère  Jean- Baptiste,  à  Maenza.  —  J'avais  nourri  le 
bien  vif  désir  de  me  rendre  à  Carpineto  pour  me  trouver, 
ce  mois  courant,  au  partage  des  biens  de  famille.  Mais 
rhomme  propose,  et  Dieu  dispose.  Jusqu'à  ces  derniers 
jours,  j'ai  pensé  même  y  réussir;  mais,  au  moment  des 
fêtes  que  nous  célébrons  ici  avec  pompes  romaines,  en 
l'honneur  de  Pie  IX,  et  étant  donné  l'état  actuel  des 
esprits,  quitter  Pérouse  serait  fort  imprudent  et  m'expo- 
serait à  de  justes  critiques.  La  nécessité  m'obligeant  donc 
à  la  résignation,  j'ai  cru  devoir  me  suppléer  en  envoyant 
à  Carpineto  mon  secrétaire,  l'abbé  De  Sanctis,  qui  a  mis- 
sion de  me  représenter  dans  ce  partage.  A  ce  sujet,  il  est 
muni  de  la  |)rocuration  qu'il  faut.  De  Ceccano,  son  [>ays 
natal,  il  ira  probablement  vous  faire  une  visite  à  iMaenza. 


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LA  NONCIATURE   DE    BRUXELLES 


403 


De  là,  si  vous  estimez  que  la  chose  puisse  ainsi  se  faire, 
vous  pourriez  vous  rendre  ensemble  à   Carpineto. 

Les  choses  vont  bien  à  Pérouse,  jusqu'à  cette  heure.  La 
ville  et  la  population  se  montrent  affectueuses.  Espérons 
que  cela  continuera  et  finira  heureusement.  Mon  secrétaire 
pourra  entrer  dans  les  détails.  C'est  aussi  jusqu'à  ma  santé 
qui  se  maintient,  malgré  de  continuelles  fatigues.  Cepen- 
dant, par  mesure  de  précaution  et  sans  rien  faire  pour  la 
rechercher,  je  ne  m'opposerais  pas  à  la  chose  dont  fit  sujet 
de  correspondance  avec  mon  secrétaire  un  de  vos  amis, 
M.  Francesco  Sindici.  Enfin  les  circonstances  ne  me  sem- 
blent pas  défavorables.  Ici,  je  passe  pour  un  homme 
doux...  (1). 

Pérouse,  6  octobre  1846, 

(1)  La  suite   de  l'Épistolaire  de  M'^f-  Joachim    Pecci  est   renvoyée  au  volume 
in  Cardinal  Italien  d'après  sa  correspondance  (Léon  XIII,  1846-1878). 


La  Place  du  Palais  épiscopal,  à  Pérouse. 


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TROISIEME    PARTIE 


L'ÉTAT  POSTIFICAL  SOUS  MONSIGNOR  JOACHIM  PECCI 


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l'ROISlEME    PARTIE 


L'ÉTAT  PONTIFICAL  SODS  MONSIGNOR  JOACHIM  PECCI 


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Place  S*aint-Ange.  —  (iOndamnés  promenant  leur  cartel  de  sentence. 
(D'après  un  dessin  de  l'époque.  —  Thomas,  1830). 


LES   PRISOINS   DE   l'ÉT.\T   PONTIFICAL   ET   LE   FORT   SAINT-ANGE 


Un  boulevard  du  Fort  Saint-Ange. 


Au  petit  ^joiir  du  9  mars 
1838,  la  lourde  berline  des 
écuries  [pontificales  qui  voi- 
turait  \ers  Bénévent  le  jeune 
délégat  nouvellement  nommé 
au  gouvernement  de  cette 
ville,  \enail  désengager  dans 
la  cité,  par  le  pont  tragique  où 
l'infortuné  Manfred  trouva, 
acco  del  ponte  comme  dit 
Dante,  sa  légendaire  sépulture. 
Quel  avenir,  obscur  encore, 
al  tendait  ce  prélat  aux  distin- 
guées manières,  dont  l'œil  petit 
et  vif  interrogeait,  chemin 
faisant,  par  la  portière  du 
carrosse,  cet  horizon  bénéven- 


tin  aussi  fermé  que  la  carrière  de  ce  diplomate  débutant  paraissait 
ouverte?  Tout  à  coup  entouré  par  les  Apennins  aux  hauts  massifs 
de  granit  rose,  M»""  Joachim  Pecci  voyait  bien  comment  il  venait  d'en- 
trer dans  ce  système  de  montagnes  profondes  et  assez  semblables  aux 


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Place  Saiiit-Aiiire.  —  (londainncs  promenant  leur  cartel  de  sentence. 
(D'après  un  dessin  de  l'ipoque.  —  Thomas,  1S30). 


LIS   PUISONS  DE   LKTAT  PONTIFICAL   ET   LE   FORT   SAINT-ANGE 


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■  Au   petit  ^joiir  du   9  mars 

I  IS3S,    la  lourde    berline   des 

W...  écuries  [ pontificales    qui  voi- 

turait  vers  BénéNcnl  le  jeune 
délégat  nouvellenienl  nommé 
au  gouvernement  de  cette 
ville,  venait  de  s'engager  dans 
la  cité,  par  le  pont  tragique  où 
l'infortuné  Manfred  trouva, 
acro  del  pante  comme  dit 
Dante,  sa  légendaire  sépulture. 
Quel  avenir,  obscur  encore, 
^L  m       attendait  ce  prélat  aux  distin- 

^K -.  "  M      guéesmanières,  dont  l'œil  petit 

et    vif    interrogeait,    chemin 
Vn  boulevard  du  Fort  Saint-Ango.  faisant,    par    la    portière    du 

carrosse,  cet  horizon  bcnéven- 
tin  aussi  feruic  que  la  carrière  de  ce  diplomate  débutant  paraissait 
ouverte?  Tout  à  coup  entouré  par  les  Apennins  aux  hauts  massifs 
de  granit  rose,  Mf''''  Joachim  Pecci  voyait  bien  comment  il  venait  d'en- 
trer dans  ce  système  de  montagnes  profondes  et  assez  semblables  aux 


408 


LA    PRÉLATURE    DE    LÉON    XIII 


doublures  d'une  poche  où  le  brigandage  et  la  contrebande,  enti*e 
États  limitrophes  de  Rome  et  de  Naples,  devaient  faire  prouesse;  et 
il  se  demandait  déjà,  non  sans  appréhension,  comment  il  en 
pourrait  sortir.  Tout  à  la  première  inipression  de  celte  entrée  en 
caverne  de  bandits  patentés  dont  le  pape  confiait  la  régie  difficile 
à  un  préfet  de  vingt-sept  ans  à  peine,  celui-ci  regardait  par  la  por- 
tière les  vieilles  rues  de  Bénévent,  la  tortueuse  où  la  berline  offi- 
cielle s'engagea  par  timides  sursauts,  comme  effrayée  des  bandits 
qui  l'attendaient  peut-être  en  quelque  coin.  Le  sanglier  de  Calydon 
n*était-il  pas  passé  dans  les  armes  de  la  ville  chère  à  Diomède  qui  y 
avait  laissé,  en  significatif  symbole  d'âpreté  à  la  rapine,  les  dents  de 
l'animal  vaincu  par  Méléagre?  Concordes  in  unum  S.  P.  Q.  R. 
disait  la  devise  de  ces  armes  pour  en  compléter  l'éloquence,  dans 
l'assemblée  des  contrebandiers  des  Étals  limiirophes  du  Pape  et  de 
Naples  qui  s'y  donnaient  rendez-vous. 

«  La  délégation  de  Bénévent, —  venait  d'écrire,  vers  cette  époque, 
kMs^  Pecci  lui-même,  le  plus  entendu  des  contrôleurs  des  finances 
pontificales  que  ce  jeune  préfet  allait  apprendre  à  connaître  et  aimer 
aussitôt  en  la  personne  du  comte  Stanislas  Sterbini,  — la  délégation 
de  Bénévent  compte  25,000  habitants,  dont  17,000  dans  le  chef-lieu. 
La  superficie  du  territoire  est  de  44  milles  carrés  napolitains,  et  le 
périmètre  en  est  de  52.  Cette  province  est  enclavée  dans  les  États  de 
S.  M.  sicilienne,  à  la  distance  de  40  milles  romains  de  Naples.  Le  sol 
très  fertile  est  arrosé  par  les  fleuves  Sabato  et  Calore  et  par  quelques- 
uns  de  leurs  affluents.  Formant  une  vaste  plaine,  la  principauté  de 
Bénévent  est  sillonnée,  sur  quelques  points,  de  petites  collines.  Les 
environs  de  la  ville,  construite  sur  une  de  ces  collines,  sont  couverts 
de  jardins.  Les  moissons  occupent  la  plus  grande  partie  du  territoire; 
les  vignobles  et  les  plantations  de  tabac,  ce  qui  en  reste.  La  récolte 
des  grains  en  dépasse  la  consommation.  On  ne  peut  en  dire  autant 
du  vin  qu'on  importe,  en  majeure  partie,  du  Royaume.  La  culture 
du  tabac  est  en  diminution,  bien  que  le  terrain  soit  tout  à  fait  propre 
à  ce  genre  de  culture.  Comme  il  n'y  a  pas  de  forêts,  le  bois  et  le 
charbon  font  défaut. 

«  La  position  de  la  province  de  Bénévent  devrait  en  faire  une  des 
plus  riches  de  l'État,  tant  par  son  commerce  que  par  son  industrie. _ 
Elle  est,  en  effet,  située  entre  le  golfe  de  Naples  et  celui  de  Manfre- 
donia,  et  à  proximité  des  plus  florissantes  provinces  du  Royaume, 
du  Conitat  de  Malizo,  d^s  Pouilles,  de  la  principauté  Ultra  et  delà 
terre  de  Labour.  Elle  est  actuellement,  au  contraire,  pauvi^  à  cause 


LES    PRISONS    DE    L'ÉTAT    PONTIFICAL 


409 


du  mauvais  état  des  terrains  cultivés,  d'ailleurs,  avec  peu  de  soin  et 

k  cause  de  son  commerce  toujours  décroissant  et  de  son  industrie 

peu    développée.  L'étranger  s'aperçoit    facilement    de  cet  état    de 


! 


Bénévent.  —  La  Place  de  la  Cathédrale. 

langueur,  à  voir  le  grand  nombre  des  mendiants  qui  lui  courent  après, 
sur  tous  les  points  de  la  ville,  et  à  constater  tant  de  paresse  chez  un 
si  grand  nombre  d'habitants.  Pour  qu'elle  puisse  redevenir  florissanle. 


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408 


LA  PRÉLATURE  DE  LÉON  Xlll 


doublures  d'une  poche  où  le  brigandage  et  la  contrebande,  entre 
États  limitrophes  de  Rome  et  de  Naples,  devaient  faire  prouesse;  et 
il  se  demandait  déjà,  non  sans  appréhension,  comment  il  en 
pourrait  sortir.  Tout  à  la  première  impression  de  celle  entrée  en 
caverne  de  bandits  patentés  dont  le  pape  confiait  la  régie  difficile 
à  un  préfet  de  vingt-sept  ans  à  peine,  celui-ci  regardait  par  la  por- 
tière les  vieilles  rues  de  Bénévent,  la  tortueuse  où  la  berline  offi- 
cielle s'engagea  par  timides  sursauts,  comme  effrayée  des  bandits 
qui  l'attendaient  peut-être  en  quelque  coin.  Le  sanglier  de  Calydon 
n'était-il  pas  passé  dans  les  armes  de  la  ville  chère  à  Diomède  qui  y 
avait  laissé,  en  significalif  symbole  d'âpreté  à  la  rapine,  les  dents  de 
l'animal  vaincu  par  Méléagre?  Concordes  in  nmim  S.  P.  Q.  H. 
disait  la  devise  de  ces  armes  pour  en  compléter  l'éloquence,  dans 
l'assemblée  des  contrebandiers  des  Étals  limitrophes  du  Pape  et  de 
Naples  qui  s'y  donnaient  rendez-vous. 

«  La  délégation  de  Bénévent, —  venait  d'écrire,  vers  cette  époque, 
ùMs""  Pecci  lui-même,  le  plus  entendu  des  contrôleurs  des  finances 
pontificales  que  ce  jeune  préfet  allait  apprendre  à  connaître  et  aimer 
aussitôt  en  la  personne  du  comte  Stanislas  Sterbini,  — la  délégation 
de  Bénévent  compte  25,000  habitants,  dont  17,000  dans  lechel-lieu. 
La  superficie  du  territoire  est  de  44  milles  carrés  napolitains,  et  le 
périmètre  en  est  de  Tiâ.  Cette  province  est  enclavée  dans  les  États  de 
S.  M.  sicilienne,  à  la  distance  de  40  milles  romains  de  Naples.  Le  sol 
très  fertile  est  an-osé  par  les  iïeuves  Sabatoci  Calore  et  par  quelques- 
uns  de  leurs  alduents.  Formant  une  vaste  plaine,  la  principauté  de 
Bénévent  est  sillonnée,  sur  quelques  points,  de  petites  collines.  Les 
environs  <le  la  ville,  construite  sur  une  de  ces  collines,  sont  couverts 
de  jardins.  Les  moissons  occupent  la  plus  grande  partie  du  territoire; 
les  vignobles  et  les  plantations  de  tabac,  ce  qui  en  reste.  La  récolle 
des  grains  en  dépasse  la  consommation.  On  ne  peut  en  dire  autant 
du  vin  qu'on  importe,  en  majeure  partie,  du  Royaume.  La  ('ullnre 
du  tabac  est  en  diminution,  bien  que  le  terrain  soit  tout  à  fait  propre 
a  ce  genre  de  culture.  Comme  il  n'y  a  pas  de  forêts,  le  bois  et  le 
charbon  font  défaut. 

«  La  position  de  la  province  de  Bénévent  devrait  en  faire  une  des 
plus  riches  de  l'Ltat,  tant  par  son  commerce  que  par  son  industrie.^ 
Elle  est,  en  effet,  située  entre  le  golfe  de  Naples  et  celui  de  Manfre- 
donia,  et  à  proximité  des  plus  florissantes  provinces  du  Royaume, 
du  Comtal  de  Malizo,  d^s  Pouilles,  de  la  principauté  Titra  et  delà 
terre  de  Labour.  Elle  est  actuellement,  au  contraire,  pauvre  à  cause 


LES    PRISONS    DE    L'ÉTAT    PONTIFICAL 


409 


du  mauvais  état  des  terrains  cultivés,  d'ailleurs,  avec  peu  de  soin  et 

à  cause  de  son  commerce  toujours  décroissant  et  de  son  industrie 

peu    développée.   L'étranger  s'aperçoit    facilement    de  cet  état    de 


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Bénévent.  —  La  Place  de  la  Cathédrale. 

langueur,  à  voir  le  grand  nombre  des  mendiants  qui  lui  courent  après, 
sur  tous  les  points  de  la  ville,  et  à  constater  tant  de  paresse  chez  un 
si  grand  nombre  d'habitants.  Pour  qu'elle  puisse  redevenir  florissante. 


410 


LA   PRÉLATURE    DE    LÉON    XIII 


Il  faudrait  morceler  en  petits  lots  le  sol,  aujourd'hui  propriété  exclu- 
sive  de  quelques  nobles  et  de  la  main-morte;  tout  le  reste  de  la  po- 
pulation   étant  asservi  et  tributaire,  dans  des  conditions  extrêmement 
onéreuses.  De  cette  manière,  les  classes  inférieures  du  peuple  auraient 
des  moyens  de  subsistance,  et  l'agriculture  prendrait  de  l'extension 
et  s  améliorerait  autant  que  possible.  Il  faudrait  aussi  ouvrir  et  rendre 
praticables  les  routes,  de  manière  à  faciliter  l'accès  dans  cette  province 
aux  habitants  des  provinces  du  Royaume  limitrophe,  qui  actuellement 
sont  dans  l'impossibilité  d'entretenir  des  communications  avec  Béné- 
vent  ou  n'y  arrivent  qu'en  surmontant  de  graves  difficultés,  en  pas- 
sant par  des  chemins  à  peine  praticables  aux  bêtes  de  somme,  surtout 
en  hiver,  et  souvent  coupés  et  dévastés  par  les  inondations  des  fleuves 
11  faudrait  y  attirer  les  étrangers  en  abolissant  les  nombreuses  taxes 
douanières  qu'ils  sont  obligés  de  payer,  non  seulement  à  rentrée  et 
a   la  sortie,  mais  aussi  pour  le  transit  des    marchandises.   Il  fau- 
drait faire  disparaître  les  abus  que  l'on  constate  dans  les  douanes   de 
la  part  des  négociants,  agents  de  poids  et   mesures,    mandataires 
commissionnaires  et  porteurs.   Il  faudrait  détruire  les   effets  de  la 
Convention  stipulée  entre  le  Gouvernement  pontifical  et  celui  de  Na- 
ples,  en  1819,  en  vertu  de  laquelle  on  li.nitela  culture  du  tabac  dans 
cette  province;  au  point  que,  de  100.000  ducats  environ  qu'on  y  reti- 

'^LVrl  T^^  ^''''  ^'''^"'^'  ''"'  '^"^"^^  ^^^  descendue  aujourd'hui 
a  ^U.OOO.  Il  faudrait  faire  disparaître  les  conséquences  actuelles  qni 
dérivent  de  l'autre  Convention  sur  les  postes,  toujours  en  vigueur 
depuis  l'époque  de  l'Occupation  napoléonienne,  quand  le  gouverneur 
de  Benevent  fut  le  prince  de  Talleyrand-Périgord.  Il  faudrait  enfin 
modérer  la  taxe  de  mouture  qu'on  a  encore  démesurément  accrue 
depuis  peu,  en  confrontation  du  passé;  car  Bénévent,  il  faut  le  recon- 
naître, possède,  avec  ses  trente-sept  moulins,  une  des  principales 
sources  de  sa  richesse...  » 

En  se  remémorant   ces  premières  indications  sur  la  ville  et   le 
peuplequ'il  venait  administrer,  M^-Joachim  Pecci continuait  à  re-arder 
a  travers  les  glaces  de  la  beriine  qui  venait  de  s'engager  sur  une  Place 
La,  s  élevait  une  espèce  de  monument,  moitié  forteresse  et  moitié 
château,  qui  menaçait  la  ciléavec  l'imposante  masse  de  ses  créneaux 
de  ronde  et  de  ses  deux  tours  angulaires.  Devant  cette  prison  ou  ce 
manoir,  s'arrêta  enfin  le  carrosse  du  nouveau  préfet  de  Bénévent  •  et  les 
valets  annoncèrent  à  Monsignor  le  Delegaf o  qu^il  était  arrivé  au  seuil 
de  sa  résidence  nouvelle.  Introduit  par  Mgr  Orfei,  le  précédent  préfet 
dont  II  allait  reprendre  la  succession,  Mgr  Pecci  visita  ces  hautes  salles 


LES    PRISONS    DE    L'ÉTAT    PONTIFICAL  411 

impressionnantes  depalazzo  ou  de  carcere  et  ne  mit,  depuis  ce  jour, 
pas  plus  de  deux  semaines  pour  y  contracter  une  de  ces  maladies 
que  les  médecins  appelèrent  fièvre  typhoïde  et  qui  menaça  le  reclus 
de  ce  palais  ou  de  cette  prison  d'y  mourir,  de  tristesse  ou  de  peur. 

Heureusement,  Grégoire  XVI  avait  dépêché  à  Bénévent,  presque  en 
même  temps  que  Mg-*  Pecci,  l'homme  le  mieux  entendu  dans  la  direc- 
tion des  douanes,  en  la  personne  du  comte  Stanislas  Sterbini  dont 
l'amitié  devait  si  longtemps  rester  fidèle  à  son  jeune  et  distingué 
collègue.  Et  aussitôt,  en  ce  Bénévent  si  peureusement  enclos  dans  le 
cercle  de  ses  montagnes  et  dans  les  conciliabules  de  ses  contrebandiers, 
ces  deux  intelligences  d'élite  cherchèrent   leur  unique  distraction 
dans  un  travail  commun  dont  le  but  idéal  serait   l'émancipation  de 
cette  terre  par  sa  culture  et  par  la  chasse  au  brigandage  invétéré  dans 
les  mœurs  du  pays.  S'ils  n'y  réussirent  pas  en  quelques  courtes 
années  de  séjour  dans  celte  province,  ils  y  laissèrent  du  moins  un 
règlement  qui  pouvait  passer  pour  un  chef-d'œuvre  de  Concordat  (1  j 
aux  yeux  de  la  Cour  romaine  qui  en  récompenserait  les  auteurs  en 
élevant  le  comte  Sterbini  à  la  direction  générale  des  douanes  de  l'État, 
et  Mg»-  Pecci  à  la  préfecture  plus  importante  de  Pérouse,  quand  Gré- 
goire XVI  s'apprêterait  à  la  visiter.  Qu'auraient-ils  fait  plus  longtemps 
dans  ce  Bénévent  interlope  où  certains  hobereaux  se  prévalaient  de  la 
naissance  du  cardinal  Pacca,  pour  prétendre  aussi  à  la  protection  du 
puissant  cardinal  sur  leur  fief  de  maltôtiers  indemnes  oii  la  contre- 
bandeet  le  brigandage  mêmepouvaientcontinuer  à  fleurir,  à  l'abri  d'une 
législation  qui  ne  semblait  pas  devoir  être  promulguée  pour  eux  : 

—  Si  vous  m'incriminez,  disait  l'un  d'eux  pris  en  flagrant  délit  de 
larcin  non  loin  du  Noyer  des  Sorcières,  j'irai  me  plaindre  au  Vatican. 

—  Allez!  avait  répondu  le  jeune  et  ferme  préfet,  et  n'oubliez   pas 
que,    pour^  s'y    rendre,    il   faut  passer  par   le  fort   Saint- Ange!... 

Le  fort  Saint-Ange?...  Qu'était  ce  donc  que  ce  Sésame  redoutable, 
même  pour  la  conscience  d'un  Calabrais? 

Qu'il  s'appelle  Moles  Adriana,  du  nom  de  l'empereur  romain  qui 
l'érigea  pour  son  mausolée,  Rocca  ou  bien  Castello  dl  SanfAngelo, 
dont  les  papes  du  Moyen-Age  firent  tour  à  tour  leur  citadelle  im- 
prenable ou  leur  farouche  manoir;  quel  que  soit  son  titre  à  travers 
les  dîx-huit  siècles  d'histoire  qui  ont  respecté  sa  masse  inébranlable, 

(1)  Voir  à  y  Appendice  de  ce  volume,  les  projets  de  ce  règlement  dans  la 
correspondance  inédite  du  comte  Stanislas  Sterbini,  directeur  général  des 
Douanes  de  l'État  pontifical. 


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412 


LA   PRÉLATURE  DE    LÉON    XIU 


ce  fort  ou  ce  château  Saint-Ange  fut  et  reste  un  tombeau  où  il  semble 
que  la  mort  seule  ait  jamais  eu  le  droit  de  paraître.  Il  fut  bâti  par  le 
bis  adoptif  de  Trajan  qui  en  commanda  l'érection  à  son  archi- 
tecte favori  Appollodore,  sur  un  coin  désert  des  Horti  Domitiani 


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que  peuplerait  ce  géant  avec  un  monde  de  statues  agrémentant  son 
périple  à  triple  assise,  le  quadrige  d'or  du  César  couronnant  le  faîte, 
ou,  —  suppose-t-on  encore,  —  l'énorme  pomme  de  pin  transportée 
depuis  au  Vatican,  dans  le  Cortile  délia  Pigna  qui  en  garde  aussi 


LES    PRISONS    DE    L'ÉTAT     PONTIFICAL  413 

le  nom.  A  peine  le  Pont  Elien,  dont  les  papes  feraient,  plus  tard, 
le  Pont  Saint-Ange,  eut-t-il  rattaché,  de  ses  arches  de  marbre  blanc  et 
de  son  toit  de  bronze  doré,  ce  môle  solitaire  qui  attendait  ses  morts  à 
la  bruyante  Rome  qui  les  lui  préparait,  que  l'artiste  génial  de  ce 


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colosse  lui  fut  dépêché  par  la  sanguinaire  folie  de  son  maître  pour 
l'habiter  le  premier. 

—  Et  toi,  demandait-t-on  à  Favorinus,  le  grammairien  d'Adrien, 
ne  voudras-tu    pas   aussi  critiquer   César,  comme  Apollodore  qui 


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LA    PRÉLATURE   DE    LÉON    XIII 


ce  lort  ou  ce  château  Saint-Ange  fut  et  reste  un  tombeau  où  il  semble 
que  la  mort  seule  ait  jamais  eu  le  droit  de  paraître.  Il  fut  bâti  par  le 
bis  adoptif  de  Trajan  qui  en  commanda  l'érection  à  son  archi- 
tecte favori  Appollodore,  sur  un  coin  désert  des  Horti  Domitiani 


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que  peuplerait  ce  géant  avec  un  monde  de  statues  agrémentant  son 
périple  à  triple  assise,  le  quadrige  d'or  du  César  couronnant  le  faîte, 
ou,  —  suppose-t-on  encore,  —  l'énorme  pomme  de  pin  transportée 
depuis  au  Vatican,  dans  le  CortUe  délia  Pigna  (lui  en  garde  aussi 


LES    PRISONS     DE    L'ÉTAT     PONTIFICAL  413 

le  nom.  A  peine  le  Pont  Elien,  dont  les  papes  feraient,  plus  tard, 
le  Pont  Saint- Ange,  eut-t-il  rattaché,  de  ses  arches  de  marbre  blanc  et 
de  son  toit  de  bronze  doré,  ce  môle  solitaire  qui  attendait  ses  morts  à 
la  bruyante  Kome  qui  les  lui  préparait,  (jue  l'artiste  génial  de  ce 


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colosse  lui  fut  dépéché  par  la  sanguinaire  folie  de  son  maître  pour 
l'habiter  le  premier. 

—  Et  toi,  demandait-t-on  à  Favorinus,  le  grammairien  d'Adrien, 
ne  voudras-tu    pas   aussi  critiquer   César,  comme  Apollodore  qui 


*'*  LA   PRÉLATURE    DE  LÉON    XIII 

ne    craignit   pas   de  lui    en    apprendre,    en    fait  d'architecture» 

dnl  .  T"'  ^''"'«^-^o"  <ï»eje  ne  tienne  pas  pour  le  pus 

«oete  du  monde  ce  ui  oui  a  tpi.nt«  i4_.„      •  .  ^ 

l'avisé  rhéteur.  ^'*"'  "  ''^^  "'"'•^^ •   'épondil 

fera.e„tu„edemeureàpiusieurssièclesdegénLtions   u  ^eu^^ 
de  drames  cet  as.ie  de  mort.  Sous  cette  nui,  de  crimes  ."op  .mm 
breux  pour  que  .histoire  en  ai.  retenu  seulement  les  noms  oTa  Te 
au  X  Siècle  et  au  bon  consulat  de  Crescen.ius  qui  veut  fair^d     ! 
l-écédent  Carcer  de  Théodoric,  une  première  Maiso„-de  Vi  ^ où  Rom. 
aurait  trouveyranchise  et  paix  pour  les  administrésde  ce  «^^^ 

aescenaance,  sous  les  vagues  pontificats  de  plusieurs  mnpc  i.. 
amants  ou  fils  de  ThéodnrA    l'n^-.        r        ^"'^'«"^s  Papes  Jean, 

Parce,  paler  palrum,  papissœ  prodere  parlum. 
Que  faut-il  retenir  de  ces  légendes  d'accouchements  survenus  au 

nécessaire  autocratie  des  papes  qui,  pour  se  défendre  des  Colonna  et 
des  Ors.n,  survenant  l'arme  au  poing  et  terrorisa..,  le  voisl,.aoe  2.... 
<le  Sa.nt-Ange,  en  fortifièrent  lesabo.ds  à  l'exemple  de  B     S  Tl 
plus.eurs  autres  séjournèrent  derrière  ce„e  ronde  murrilel  î  -i: 

Hadrtano  suffirai,,  avec  le  fort  Saint-Auge,  à  protéger  t  citlu^ 
n.ne  cont.e  toute  entreprise  armée.  Et  aln.si  if    Itfit  à  Eu"  „e    y 
d  ordonner  qu'on  levât,  au  passage  du  fameux  patriarche  d'Alexan 
dne,  G.ovanni  Vita.leschi,  la  sarrasine  de  ce„e  'por,e^  dépend"    a 


14^^ 


LES    PRISONS    DE    L'ETAT    PONTIFICAL  415 

chaîne  qui  barrait  le  pont  pour  enclaver,  comme  dans  une  souricière 
I  homme  vendu  à  la  cause  du  duc  de  Milan  et  l'enfermer  dans  celte 
forteresse    d'où  le  poison,  ajoute  l'Ammirato,  l'envova  vite  dans 
I  autre  monde. 

Mais  c'est  au  pape  Alexandre  VI  et  à  César  Borgia  que  le  château 
^alnt-Ange  doit  les  plus  beaux  ouvrages  de  boulevards  et  de  fortifica- 
tions, qui  le  rendirent  imprenable.  Là,  dans  les  salles  somptueuses 
que  1  élégant  pinceau  du  Pinturicchio  couvrit  de  fresques  compara- 
bles à  celles  du  même  artiste  à  VAppartemmto  Borgia  du  Vatican  et 
a  la  Ltbreria  de  la  cathédrale  de  Sienne,  le  roi  de  France  Charles  VÏII 
vint,  en  1495,  rendre  hommage,  malgré  lui,  au  pape  Alexandre  VI  et 
prêter  au  peintre  des  Borgia,  avec   son   élégante  Cour  de  France  le 
sujet   de   SIX   fresques  grandioses,  dit-on,  dont  on  ne  saurait  trop 
regretter  la  perte  pour  Thistoire   de  ce  temps  (1).  Là  aussi,  dans  la^ 
partie  réservée  aux  mystérieuses  prisons  des  Borgia,  les  cardinaux 
tout-puissants  connurent,  comme  de  simples  manants,  la  main  de  fer 
que  gantait  le  velours  et  la  soie  du  pape  ou  de  son  lieutenant  pour  en 
dissimuler  plus  habilement  les  meurtrières  étreintes.  Entr'autres  le 
cardinal  Jean  Orsini  dont  les  deux  neveux  Paul  et  François  venaient 

d  être  éli-anglés  par  César,ausorlirduguet.apensdeSinigaglia.  Le  car- 
dinal lui-même,  vieux  et  fatigué  par  une  captivité  trop  sévère,  mourut 
dans  sa  cellule  du  fort  Saint-Ange,  le  2-2  février  1503.  A  celte  date 
Burchardt,  maître  de  cérémonies  d'Alexandre  VI,  écrit  dans  son 
Journal,  qu'il  ne  réservait  pas  au  public  et  où  il  n'ose  cependant  dire 
tout  ce  qu'il  sait:  «  Ce  même  jour  de  mercredi  22  février,  le  B.  car- 
dinal Don  Orsini  est  mort  dans  le  château  Saint-Ange,  cvjus  anima 
requiescat  m  pace.  Amen.  »  Pour  diminuer  les  soupçons  d'empoi- 
sonnement, Alexandre  VI  exigea  que  le  corps  du  cardinal  défunt  fût 
porle  a  visage  découvert,  le  jour  des  funérailles,  et  qu'y  assistassent 
tous  les  membres  de  cette  puissante  famille  qui  avaient  pu  échapper 
aux  poursuites  du  pape  et  de  César. 

La  paix  resta  au  fort  Saint- Ange  jusqu  'à  ce  que,  sous  Clément  VII 
le  20  septembre  1526,  l'empereur  Charles-Quint  se  chargeât  de  lé 
prendre,  avec  le  pape  en  personne  dedans.  Ce  premier  siège  du  Cas- 
tello  que  Moncada  et  Colonna  menèrent,  au  nom  de  l'empereur,  et 
qu'ils  levèrent  après  avoir  obtenu  les  cardinaux  Cibo  et  Bidolfi  pour 
olages,  ne  fut  que  le  prélude  de  celui  que  devait  commander  le  Con- 

(1)  Voir,  dans  notre  Pinturicchio  et  le  Monde  pontifical  XV'  siècle,  les  six 
epigrammes  de  ces  six  fresques,  recueillies  par  Lorenz  Behaim  scriptor  latinus 
anno  Dni  1493.  (Cod.  716,  fol.  163,  bibl.  Munich.) 


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416 


LA   PRÉLATURE    DE    LÉON    XIII 


nétable  de  Bourbon  en  personne,  dès  le  6  mai  1527.  Il  faut  lire,  dans 
les  mirifiques  Mémoires  du  vantard  et  peut-être  véridiqueBenvenulo 
Gellini,  comment  ce  merveilleux  artiste,  s'improvisant  arquebusier 
pontifical,  se  chargea  de  bombarder,  du  haut  de  VAngiolOy  les 
auberges  environnantes  et  d'y  abattre,  comme  de  simples  bouchons, 
les  «  soleils  »  de  la  devanture  et  les  buveurs  qui  s'y  rencontraient.  Une 


Anciens  boulets  retrouvés  au  Fort  Saint-Ange. 

Ibis,  d'un  seul  coup  d'arquebuse,  ne  fendit-il  pas  en  deux  un  colonel 
espagnol  qui  se  promenait  dans  les  Prati  ?  Et  comme  Clément  VII  avait 
assisté,  de  la  terrasse  du  fort  Saint-Ange,  à  cette  exécution,  et 
qu'il  avait  aussitôt  fait  appeler  Gellini  :  «  Je  m'agenouillai,  écrit-il,  et  je 
priai  Sa  Sainteté  de  m'absoudre  de  cet  homicide  et  de  tous  ceux 
que  j'avais  commis  dans  le  Château,  pour  le  service  de  l'Eglise.  Le 
pape  leva  aussitôt  la  main,  traça  sur  moi  le  signe  de  la  croix  et  me 


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LKS    P.USONS    DE    I/ÉTAT    PONTIFICAL  4,7 

l'Eglise  apostolique:  ««""•""fa-s  encore,  pour  la  défense  de 

s>nfer,„a  avec      C  va  fein^^^^^  »-  aulre  fois,  et 

avaiienno  et  mo,,  pour  mettre  eu  sûreté  les  tiares 


Lo  quarlier  des  prises  au  Fort  Saint-Ange. 

et  les  nombreux  et  précieux  iovanï  h»  i»  n      u 

Cavalierino  avait  étendis  pZ::^^^  ^^::^'^J^ 

Français  de  très  vile  exti-aptinn    tvta  /^""'PPe  ^trozzi.    Il  était 

ravori  du  pape.  <.ui  Pa^iri  ï^^rLu;^,?/^-'''^  '' 
soi-mé.ne.  Lorsque  nous  fûmes  tous  tr      enf  ."  "^  S    '^T! 
le  Cavalierino  placèrent  devant  moi  les  tiares  etome;  iL 
..e  la  Chambre  apostolique.  Le  pape  mV^rd'ir  d'^^^^ct 

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LA    PRÉLATURK    DE    LÉON    XIII 


nétable  de  Bourbon  en  personne,  ûvs  le  0  mai  15^27.  Il  faut  lire,  dans 
les  mirifiques  Mémoires  du  vantard  et  peut-être  véridique  Benvenulo 
Cellini,  comment  ce  merveilleux  artiste,  s'impro\isant  arquebusier 
pontifical,  se  chargea  de  bombarder,  du  haut  de  VAmjwlo,  les 
auberges  environnantes  et  d'y  abattre,  comme  de  simples  bouchons, 
les  «  soleils  »  de  la  devanture  et  les  buveurs  qui  s'y  rencontraient.  Une 


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Anciens  boulets  retrouvés  au  Fort  Saint-Anj:e. 

fois,  d'un  seul  coup  d'arquebuse,  ne  fendit-il  pas  en  deux  un  colonel 
espagnol  qui  se  promenait  dans  les  Pmti?VA  comme  Clément  Vil  avait 
assisté,  de  la  terrasse  du  fort  Saint-Ange,  à  cette  exécution,  et 
qu'il  avait  aussitôt  fait  appeler  Cellini  :  «  Je  m'agenouillai,  écrit-il,  et  je 
priai  Sa  Sainteté  de  m'absoudre  de  cet  homicide  et  de  tous  ceux 
que  j'avais  commis  dans  le  Château,  pour  le  service  de  rKglise.  Le 
pape  leva  aussitôt  la  main,  traça  sur  moi  le  signe  de  la  croi'x  et  me 


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LKS    nuSONS    ,.E    ,/ÉTAT    PO.NT.FiCAL  4,7 

l'K,'li.scapos(olK,ne:    ''"'J' "'""""'"'•«'«  «"cor.,  pour  la  défense  de 

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raconter  eon  „J,         >  1  n      "T"'  *''"'''""''  ^^^nen^ents  art,,  de 

-n.er,na  ave.  I    C  v    L  1  ^l!''''  "'  ^'"^«'^■•'  -  -"-  fois,  et 

•"leuMo  u  moi,  ,,o„r  inelir,.  eu  sùreié  les  tiares 


Le  quartier  des  prisons  au  Fort  Saiut-Ange. 
Cl  les  nombreux  et  précieux  invanY  h»  i,  n 

Cavalierino  avait  étj  Jadis  pXîl^.i^- d%    ^^rr'^'irV-: 
français  de  très  vile  extrapfinn    ka.        / '"'"PPe  Miozzi.    Il  était 

ravori  du  pape.  ,ui ?.::;;:':,  ;r:;s e;'s:t-, r i"^"'"^  '- 

soi-mé,„e.  Lorsque  nous  fûmes  tous  tr  enf  ^f^S  ^l^^: 
le  Caval.erino  placèrent  devant  moi  les  tiares  ein  ,,!'..  ^*.""'"'.*^' 
..e  -a  Cambre  apostolique.  Le  pape  ^VZ^dT^^tZ™ 

27 


418 


LA   PRÉLATURE   DE    LÉON    XIII 


que  je  fis.  J'enveloppai  ensuite  chaque  pierre  dans  un  petit  morceau 
de  papier,  puis  nous  les  cousîmes  sous  la  doublure  des  vêtements 
du  pape  et  du  Cavalierino.  Tout  Tor,  qui  pesait  environ  200  livres, 
me  fut  laissé,  avec  ordre  de  le  fondre  le  plus  vivement  possible 

«  Je  montai  à  mon  poste  de  VAngiolo,  où  se  trouvait  ma  chambre 
que  je  pouvais  fermer,  de  façon  à  éviter  d'être  dérangé  par  personne. 
J'y  construisis,  en  briques,  un  petit  fourneau  à  vent,  au  fond  duquel 
j'établis  un  assez  grrand  cendrier  en  forme  de  plat  où  tombait,  peu  à 
peu,  ior  que  je  jetais  sur  les  charbons.  Pendant  que  ce  fourneau 
fonctionnait,  je  n'étais  pas  une  minute  sans  chercher  les  moyens  de 
nuire  à  nos  ennemis.  Comme  leurs  tranchées  étaient  à  une  petite 
portée  de  trait,  je  leur  faisais   beaucoup  de  domma-e  avec  de  la 
mitraille  que  j'avais  trouvée  parmi  les  ancieiinnes  munitions  du  châ- 
teau. J'avais  un  sacre  et  un  fauconneau  dont  l'embouchure  était  un 
peu  gâtée  :  je  les  bourrais  jusqu'à  la  gueule  avec  cette  mitraille,  qui 
ravageait  les  tranchées  d'une  manière  incroyable.  Tout  en  fondant 
mon  or,  je  tenais  constamment  les  deux  pièces  prêles  à  tirer. 

t  Un  jour,  un  peu  avant  l'heure  des  vêpres,  je  vis  passer  sur  le 
bord  de  la  tranchée  un  mulet  monté  par  un  personnage  qui  parlait 
aux  pionniers.  J'eus  soin  de  tirer,  avant  qu'il  fut  arrivé  en  face  de 
moi.  J'avais  si  bien  visé,  qu'un  morceau   de  mitraille  le  frappa  pré- 
cisément au  visage.  Le  mulet  reçut  le  reste  de  la  décharge  et  tomba 
mort.  J'entendis  partir  de  la  tranchée  un  bruit  extraordinaire  ;  alors 
je  mis  le  feu  à  mon  autre  pièce  qui  ne  laissa  pas  de  caiiser  de 
grands    dégâts.  Le  personnage  que  j'avais   blessé  était   le   prince 
d'Orange.  On  le  transporta  à  l'abri  de  la  tranchée,  dans  nne  hôtel- 
lerie voisine  où  bientôt  accourut  toute  la  noblesse  de  l'armée.  Le 
pape  Clément,  ayant  appris  ce  que  j'avais  fait,  me  manda  à  l'instant 
Je  lui  donnai  tous  les  détails  qu'il  réclamait,  et  je  lui  dis  que  le 
blessé  devait  être  un  officier  de  très  haute  importance;  attendu  que. 
autant  que  l'on  pouvait  en  juger,  tous  les  chefs  de  l'armée  étaient 
rassemblés  dans  l'hôtellerie  où  on  l'avait  déposé.  Le  pape,  en  homme 
sagace,  appela  le  commandant  de  l'artillerie,  messer  Antonio  Santa 
Croce,  et  lui  dit  d'enjoindre  à  tous    les   cannonniers   de  braquer 
contre  l'hôtellerie  leurs  pièces,  qui  étaient  très  nombreuses,  et  de 
faire  feu,  dès  qu'ils  entendraient  un  coup  d'arquebuse.  Nous  dispo- 
sâmes donc  nos  pièces,  suivant  l'ordre  de  Santa  Croce.  Nous  atten- 
dions le  signal,  lorsque  le  cardinal  Orsini,  instruit  de  ce  qui  se  pas- 
sait, engagea  une  violente  dispute  avec  le  pape,  déclara  que,  pour 
rien  au  monde,  on  ne  devait  agir  ainsi,  parce  qu'on  était  sur  le  point 


LES    PRISONS    DE    L'ÉTAT    PONTIFICAL  419 

(Titrer  en  accommodement;  que,  si  l'on  tuait  les  chefs,  l'armée 
n  étant  retenue  par  aucun  frein,  forcerait  le  château  et  compléterait 
no  re  ru.ne    yi  termina  en   disant  que  les  cardinaux   s^pp'  sS 
absolument  a  ce  que  Ton  tirât.    Le  pauvre  pape,   désespéré  e    si 
voyant  entouré  d'ennemis  au  dedans  comme  au  de^o  s     oT^^^^^^^^  ^ 
aisser  tout  à  leur  discrétion.  On  nous  transmit  donc    ontïe  orl 
Lorsque  j  appns  que  l'on  venait  nous  défendre  de  tirer,  je  ne  I; 
me  contenir  et  je  mis  le  feu  à  un  demi-canon  que  j'av  i    sous  il 
manK  Le  projectile  alla  frapper  un  pilastre  de  la  ïour'deThôte^^^^^^^^^ 
pr  s  duque  je  voyais  un  groupe  de  plusieurs  personnes.  Ce    0  p  fil 
tant  de  mal  aux  ennemis,  qu'ils  furent  su.  le  point  de  déserteMa 
maison.  Le  cardinal  Orsini  voulait  me  faire  pendre  ou  n  21^ 
mais  le  pape  prit  mon  parti.  Je  sais  quelles  paroles  ils  écrangeren   • 
mais,  comme  je  ne   fais  pas  profession   d'écrire   l'histoire,  ^ 
passe  sous  silence  pour  ne  parler  que  de  ce  qui  me  regarde  ' 

«  Dès  que  j'eus  fondu  l'or,  je  le  portai  au  pape  qui  me  ;emercia 
beaucoup  et  chargea  le  Cavalierino  de  me  remettre  vingt-cinqTu 
en  s  excusant  de  ne  pouvoir  me  donner  davantage.  Peu  de  Zrs 
après,  on  signa  l'accommodement.  »  ^  ^ 

Cepeudant,  nonobstant  les  exploits  de   l'orfèvre  bombardier  et  la 
mort  ,     Connétable  qu'il  faut  peut-être  attribuer  au  fa.l  nlea; 
Cellmi,  le  s.ege  durait  et  menaçait  de  mal  finir  pour  le  papeToîès  la 
jonction  du  luthérien  Philibert  d'Orange  et  de\ouis  Too;    J 
qui  venait  de  lorcer  l'entrée  de  Rome  par  le  Ponte  Sisto,  à  la  tête  ï 
1  -ufanterie  italienne.  Le  chapeau  violet  dont  Paul  Jove  couvra    Clé 
n.ent  V  I  passant  du  Vatican  à  Saint-Ange,  par  le  cor^Z  aX  en  t 
oOO  mètres  qu  avait  construit  Alexandre  VI,  ne  servait  plus  à  prôte! 
ger  ce  pontife  autrefois  soldat  et,  aujourd'hui,  tremblant  comm    u„ 

son  fidèle  Cavalierino,  en  travestis  de  paysans  et  portant  dans  les 
doublures  de  leurs  manteaux  les  rivières  de  diamants  que  Benvëuu  0 
>  avait  cousues,  passèrent  le  Tibre  sous  les  feux  protecteurs  dTfm 
^amt-Ange.  Ils  gagnèrent  Orvieto,  d'où  le  pape  ne  devait  revel 
q.1  au  6  octobre  de  l'année  suivante,  le  siège  de  Some  étant  1!::^ 

On  dit  que  la  vertu  n'a  pas  sa  récompense  dans  ce  monde.  Benve- 

rPaufirT""  '  ""  '^"  '"'^^"^'  --  '«  P-^tificat  suivant 

suri.  '      •.  T    '''k'"''"  ''"'"''  ''''^'''  ^"^  fraîchement  cueil 
^ur  le  seu.l  de  sa  boutique  et  conduit  au  fort  Saint-Ange  port 

répondre  des  bijoux  de  Clément  VII  n.ip  in  c  ^       ^ 

j         uc  v^iemeni  VII,  que  le  successeur  trouvait  en 


420 


LA    PRÉLATURE    DE    LÉON    XIII 


défaut  dans  la  cassette  pontificale.  Le  récit  de  cette  détention  et  de 
Tévasion  qui  la  termina  nous  mènerait  trop  loin  ;  il  ne  vaudrait 
pas,  d'ailleurs,  celui  qu'en  a  laissé  dans  ses  Mémoires  son  héros,  qui 
ne  craint  pas  de  rival  en  l'art  de  dire  le  plus  drôlement  les  plus  sé- 
rieuses choses.  On  y  suit  pas  à  pas  le  prisonnier  du  pape,  dans  ce 
château  Saint-Ange  qu'il  nous  fait  mieux  connaître,  en  détenu  qu'en 
artistp.  Est-ce  parce  qu'il  n>  avait  rien  de  plus  curieux  à  voir  que 
ce  gardien  chef  du  château,  à  qui  la  folie  avait  pris  de  croire  qu'il 
était  une  chauve-souris  et  qu'il  pouvait  voler,  comme  elle  : 

—  Et  comme  moi  aussi  !  insinua  Gellini,  pour  prendre  aussi  sa 
part  de  la  même  monomanie  qui  finirait  par  faire  ouvrir  les  portes 
de  la  prison  à  un  homme  si  fort  qu'il  pourrait  s'en  envoler,  à  son 
jour  et  à  sa  guise.  Mais  les  lecteurs  de  Benvenuto  s'étonnent  de  ne 
trouver,  dans  cette  détention  du  maître  au  fort  Saint-Ange  où  il  circu- 
lait librement,  trace  aucune  des  peintures  que  son  ami  Jules  Romain 
et  ses  élèves,  y  avait  déjà  faites  pour  le  compte  de  Clément  VII,  et  de 
celles  qu'y  préparait  Pierin  del   Vaga  dans   V Appartement  dit  de 
Paul  m.  Est-ce  parce  que  ce  pape  Farnèse,—  si  avare,  dit-on,  qu'il 
n'avait  même  pas  payé  l'admirable  portrait  qu'avait  fait  de  lui'  alors 
cardinal,  le  grand  Titien,  -  attendait  précisément  que  Gellini  rendît 
gorge  et  lui  permît  de  commander  son  Appartaîiiento  aux  élèves 
tant  soit  peu  décadents  de  Raphaël,  avec  l'or  prétendu  volé  par  l'or- 
fèvre de  Clément  VII?  On  sait,  en  outre,  que  le  flamand  Adrien  VI 
succédant  à  Léon  X,  avait  été  si  antipathique  aux  beaux-arts  que  les 
les  peintres  de  Rome  avaient  semblé  mourir  tous  de  faim  au  cours  de 
ce  pontificat.  La  Providence  des  artistes  le  fit,  heureusement,  de  la 
pluscourtedurée.Cequieslcertain,c'estque,  durantles  deux  épisodes 
de  sa  vie  que  Benvenuto  Cellini  fut  pensionnaire  du  château  Saint-Ange 
pas  une  seule  fois  il  ne  cite  aucune  de  ces  curieuses  peintures  que 
ses  contemporains  et  camarades  y  élaborèrent  et  dont  nous  n'étudie- 
rons pas  ici  les  sujets,  un  peu  trop  décadents  peut-être.  Ne  furent-ils 
pas  les  œuvres  de  cette  malheureuse  école  de  Raphaël,  qui  n'en  pro- 
duisait  déjà  plus?  Et  ces  œuvres  nesont-elles  pas  assez  significative- 
ment  exprimées  par  les  reproductions  dont  il  nous  plaît  d'illustrer  ce 
chapitre  sur  le  château  Saint-Ange,  pour  rendre  ainsi  à  Pieriii  del 
Vaga  qui  exécuta  les  principales  de  ces  peintures  et  à  Paul  III  qui 
les  commanda  toutes,  le  seul  tribut  d'hommage  qui  leur  sied^ 


Ninna  la  nanna, 
E  passa  via  Borbone  ! 


*■%-:-. ~  .*y»-i 


LES    PRISONS    DE    L'ÉTAT    PONTIFICAL  m 

Celte  berceuse,  que  les  nourrices  aux  opulentes  mamelles  de  l'ar- 
chaïque TraMevere  chantent  encore  pour  faire  peur  à  leurs  poupins 
depuis  les  temps  de  Charles  de  Bourbon,  -  ce  terrible  marchand  d^ 
sable  roupe,  -  nous  retiendrait  trop  longtemps  au  fameux  siège  de 
Rome  s.  no..s  voulions  y  relever  tous  les  hauts  faits  du  meurtrier 
Connétable  et  de  son  providentiel  tombeur  Benvenuto  Cellini.  A  moins 
que  1  exécuteur  du  reître  ne  fût  Jean  d'Udine,  selon  la  version  qu'en 
a  donnée  Vasar,.  Mais  le  château  Saint-Ange  n'en  était  pasTu." 
siège  près,  et  d'autres  histoires  nous  y  attendent. 

11  semble  que  le  pape  qui,  sans  ajouter  un  créneau  de  plus  à  la 
formidable  couronne  de  l'imprenable  fort  pontifical,  s'en  soit  le  plus 
terriblement  servi  pour  apprendre  à  ses  sujets  les  leçons  de  ïa 
sagesse  ou  celles  de  la  mort,  ce  fut  le  pape  Peretti.  Il  ne  fallut  pas 
plus  de  cinq  ans  de  règne  à  ce  Sixte-Quint  de  redoutée  mémoire 
pour  donner  aux  potentats  de  Rome  qui  abusaient  du  crédit  de  leurs 
noms  historiques,  les  plus  redouiables  représailles.  Sans  mettre  à 
son  compte  de  justicier  impitoyable  l'étranglement  du  cardinal  Char- 

e  Pa'inV  M  '"  "'''!"'''''^^  '^  J-"  -"  f-e.  -  tous  deux  neveux 
Lr  r      r  T"  '"  ^"'■'  Saint-Ange  par  Pie  IV  successeur  du 

pape  Urafa,  -  Sixte-Quint  eut  assez  d'en  imposer  à  ses  sujets,  de 

Lir'v   "TZ  ^'"  ^""'"  ""'"'  ^'"""^^°"'«  '''«"  Colonna,  d'un 

pari  tout  Vn'  1  '""  ''''""'''''  •'*•"='  "•'"'  "°"^  --«"«  à 
pa  le.   tout  à  I  heure,  le  pape  aux  légendaires  béquilles  se  promenait 

toull  Tvine  :     '"'■  "  "'""  '"''""""  '"  ^''"'■'^"°'-  ^'  '»'  '''*""»^"» 

s  arrêtant  tout  à  coup,  ou  les  frontons  des  palais  de  vos  Seigneuries 
sont  ornes,  ce  matin,  d'étranges  objets.  Allez  donc  voir  ce  que  c'est 
et  faites-le  moi  savoir,  je  vous  prie! 

C'étaient,  pendus  à  même  les  créneaux  de  leurs  palazzi,  les  cada- 
vres des  comtes  el  des  barons  bandits  qui.  par  ordre  du  pape,  avaient 

e  exécutes  dans  Route;  eu  même  temps  que  Marco  ScL'ra  et  le 
duc  d  Amalh  venaient   de  l'être  dans  leurs  repaires  campagnards, 

prétendus  inaccess  blés.  La  Rocca-Peirpll»  f„.  .,„    >^ 

inf-.mnc    ix       u,-        ,       nocca  i-eireiia  lut  un  de  ces  manoirs 

rtZ,      :  "  •**'  exemplaires  leçons  du  pape  Sixte,  à  trois 

règnes  de  celui-c.  et  a  quelques  années  à  peine  d'intervalle,  ce  même 
francesco  Cenci  crut  pouvoir  s'enfermer,  pour  y  commettre  sur  les 
personnes  de  sa  deuxième  femme  Lucrezia  et  de  Béatrice,  sa  tille 
d  un  premier  In,  des  monstruosités  que  son  assassinat,  commis  par 
ses  victimes,  ne  devait  pas  laver.  Ce  crime,  encore  mal  expliqué  par 


h 


■•  I 


422 


LA    PRÉLATURE   DE    LÉON    XIII 


l'histoire,  mena  la  plus  belle  et  peut-être  la  plus  pardonnable  des 
parricides,  avec  sa  complice,  sur  cette  même  Place  du  Fort  Saint- 
Ange  où  elles  furent  exécutées,  le  11  septembre  1599,  avec  un  céré- 
monial bien  étrange  : 

«  A  3  heures  du  matin,  dit  une  chronique  du  temps,  la  signora 
Beatrix   et   sa  belle-mère  Lucrezia  Petroni  se  confessèrent.    Mais 
avant  d'aller  à  la  messe,  la  signora  Beatrix  considéra  qu'il  n'était  pas 
convenable  de  paraître  sur  l'échafaud,  aux  yeux  de  tout  le  peuple 
avec  les  riches  habillements  qu'elles  portaient.  Elle  ordonna  deux 
robes,  l'une  pour  elle,  l'autre  pour  sa  mère.  Ces  deux  robes  furent 
faites,  comme  celles  des  religieuses,  sans  ornements  à  la  poitrine  et 
aux  épaules;  et  seulement  plissées,  avec  des  manches  larges    La 
robe  de   la   belle-mère  fut  en  toile  de  coton,  noire  ;  celle  de  la  jeune 
fille,  en  taffetas  bleu,  avec  une  grosse  corde  qui  ceignait  la  taille  On 
avait  dressé  sur  la  Place  Sainte-Anne,  un  grand  échafaud.  Vers  les 
3  heures  du   matin,  la  Compagnie  de  la  Miséricorde  apporta  son 
grand  crucifix,  à  la  porte  de  la  prison.  Les  chants  des   psaumes 
commencèrent  et  la  procession  s'achemina  lentement,  par  la  Place 
Navone.  vers  la  prison  Savella.  Arrivée  à  la  porte  de  la  prison,  la 
bannière  s'arrêta.  Les  deux  femmes  en  sortirent,  firent  leur  adoration 
au  pied  du  saint  crucifix  et  ensuite  s'acheminèrent  à  pied,  l'une  à  la 
suite  de  l'autre.  KUes  étaient  vêtues  ainsi  qu'il  a  été  dit,  la  tête  cou- 
verte  d'un  grand  voile  de  taffetas  bleu  qui  arrivait  presque  jusqu'à 
la  ceinture.   Beatrix  avait,  de  plus,  un  grand  voile  de  drap  d'argent 
sur  les  épaules,  une  jupe  de  drap  violet  et  des  mules  de  velours  blanc 
lacées  avec  élégance  et  retenues  par  des  cordes  cramoisies.  Elle  avait 
une  grâce  singulière,  en  marchant  dans  ce  costume;  et  les  larmes 
venaient  dans  tous  les  yeux,  à  mesure  qu'on  l'apercevait  s'avançant 
lentement  dans  les  rangs  de  la  procession.  Les   pauvres    femmes 
avaient  toutes  les  deux  les  mains  libres,  mais  les  bras  liés  au  corps, 
de  façon  que  chacune  d'elles  pouvait  porter  un  crucifix.  La  jeune 
Beatrix  montrait    un    grand    courage   et,  tournant   les    yeux   vers 
chacune  des  églises  devant  lesquelles  la  procession  passait,  elle  se 
mettait  à  genoux  pour  un  instant  et  disait,  d'une  voix  ferme  :  Adora^ 
mus  te,  Christel  La  procession  put  à  peine  traverser  le  bas  de  la 
Place  du  Pont  Saint-Ange,  tant  était  grand  le  nombre  des  carrosses 
et  la  foule  du  peuple.  On  conduisit  sur-le-champ  les  femmes  dans  la 
chapelle  qui  avait  été  préparée.  On  exécuta,  d'abord,  la  belle-mère 
Lucrezia  Petroni,  puis  Giacomo  Cenci.  Quand  Béairix  vit  la  bannière 
revenir  à  la  chapelle,  elle  dit  avec  vivacité  :  «  Madame  ma  mère  est- 


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LES    PRISONS    DE    L'ÉTAT    PONTIFICAL  i23 

elle  bien  morte?  .  On  lui  répondit  que  oui.  Elle  se  jeta  à  genoux 
devant  le  crucifix,  et  pria  avec  ferveur  pour  son  âme.  Q^and   le 
bourreau  Alexandre  parut  devant  elle,  avec  une  corde,  elle  lui  dit 
.  Lie  ce  corps  qui  doit  ê.re  châtié!  ,,  Puis,  s'adressant  au  crucifix  • 

nene  i'rïnrT'  '"  '"'  "T""  "'  ''"""'"''^'"^  ^'  '  ""«^  gloire  éter: 

la  ambê  Z  I    7  'f  "'"'T  '"  '''  ''  '''^<=^*f''"'l.  P^^-^  'estement 
la  jambe  sur  la  planche  et  s'arrangea  parfaitement  bien  elle-mén.e 

pour  éviter  d'être  touchée  par  le  bourreau.  Par  la  rapidité  Te  2 

u  ote  le  public  aperçut  ses  épaules  et  sa  poitrine.  Le  coup  fut  long 
a  être  donné  Pendant  ce  temps,  la  suppliciée  invoquait  à  Lte  vo£ 

e  nom  de  Jesus€hrist  et  de  la  sainte  Vierge.  Au  moment  fatal, 
corps  fit  un  grand  mouvement...  »  ' 

Cette  exécution  capitale,  dont  Rome  parle  encore  devant  le  portrait^ 
de  Béatrice  marchant  au  supplice,  _  d'après  un  tableau  delaGaler'e 
Barbenn,    peint  par  Guido  Reni  qui  en  a  fait  un  chef-d'œu^^rde 
p.tié  -fut  une  des  plus  impitoyables,  sans  être  la  dernière  qu'eurent 
à  ordonner  les  papes  exécuteurs  de  la  justice  humaine,  sur  leu 
t  mtcre  pontifical.  Clément  VIII  occupai,  alors  le  siège  pontifiS 
e    .In  est  pas  présumable  que  cet  Aldobrandini  intransige  nTi 
capable,  envers  ses  victimes  justiciables,  d'une  plus  dévotieuse  retenue 
que  n  en  usèrent  celles-ci  envers  leur  odieux  père  et  mari  qu'elle 
ne  voulurent  pas  faire  égorger,  le  jour  de  Noël  1598.  mais  le  lende- 
main seulement,  par  égard  pour  la  .>/«,/«„„«  santissima,  euTl. 
femme  du  duc  à  assassiner  avait  une  dévotion  particulière. 

Ce  fut  a  ce  même  Clément  VIII.  _  à  qui  le  Vatican  devait  l'achè- 
vement du  palais  pontifical  érigé  par  ,e  Bernin.  et  l'app  r tement 
actuel  des  papes,  précédé  de  la  vaste  salle  dite  Clémentine  -  " 
château  Sain  -Ange  dut  l'introduction  dans  ses  murs  des  p  us  nol  es 

EnTïïfr      ,"'    r  T'r  "'"""^  P"^^«'"  '-  -'«-  '-  garde 
bn  1.,92.  I  archiviste  Bartolomco  Cesi  reçut  de  son  Souverain  Ldve 

de  renfermer,  dans  une  salle  secrète  de  la  vieille  forteresse,  les  docu' 
ments  qui  y  cons.iiuèrent  le  fameux  Archivio  Segveto  di  Castel 
Sant  Angelo,  jusqu'en  1799  où  le  bibliothécaire' Antonio  VUaTe 
leur  fit  faii-e  retour  au  Vatican  qui  les  conserve  depuis,  dans  ses 
armoires.  Dans  une  antre  pièce  secrète  du  même  Saint-Ange  Six  e- 
Quiut  n'avait-il  pas  déjà  renfermé,  en  une  triple  armoire  d'fe'rq  'on 
y  voit  encore  aujourd'hui,  les  trois  millions  d'écus  d'or  qu'en  trois 
dépôt,  successifs  il  put  accumuler  là  pour  les  réserves  des  papes  sis 
successeurs?  En  1797,  il  appartiendrait  à  Pie  VI  de  vider  à  fond  me 


f*  ,• 


424 


LA   PRÉLATURE   DE    LÉON    XIII 


armoire  entre  les  mains  de  Bonaparte,  rédacteur  implacable  du 
t.-ailé  de  Tolenlino.  Pie  IV  y  avait  déposé  le  dossier  cardinalice  des 
Urafa  étranglés  par  ses  ordres,  dans  leur  cachot;  de  même  que  la 
riche  tiare  de  Paul  11  et  le  fameux  fermail  ou  pecioral  que  Clément 
VU  en  avait  commandé,  avec  le  plus  gros  diamanfde  ce  trirègne 
merveilleux,  à  Cellini  qui  en  avait  exécuté  le  vandale  chef-d'œuvre 
avec  cette  parole  de  son  Souverain  pour  l'en  remercier  : 

—  Si  j'étais  un  riche  empereur,  j'accorderais  à  mou  Benvenuto 
autant  de  terres  que  son  œil  en  pourrait  découvrir.  Mais  aujourd'hui 
que  nous  ne  sommes  plus  que  de  pauvres  empereurs  dépossédés, 
nous  lui  donnerons,  tout  au  moins,  autant  de  pain  qu'il  en  faudra  à 
ses  besoins  modestes. 

Avec  le  pape  BarberinI,-  qui  fit  ce  que  les  Barbares  n'avaient  osé, 
s  II  faut  en  croire  le  proverbe  romain,  -  le  château  Saint-Ange  s'en- 
richit de  joyaux  d'un  lout  autre  genre  et  calibre.  Avec  les  massives 
embrasses  de  bronze  antique  qui  harponnaient  et  reliaient  les  travées 
colossales  de  marbre  du  Panihéon  depuis  l'inutile  assaut  des  siècles 
et  celui  des  Barbares,  ce  Barberini  dévastateur  ordonna  la  fonte  de 
quatre-vingts  canons,  qui  ne  servirent  guère  à  défendre  le  règne  paci- 
fique d  Urbain  VIII.  Par  contre,  dans  la  suite  des  âges,  ces  mêmes 
canons  ne  seraient  pas  inutiles  à  l'attaque  et  à  la  ruine  même  de 
I  ttat  pontifical,  en  fournissant  des  armes  aux  ennemis  du  Stato  qui 
surent  les  retourner  contre  leurs  propres  maîtres.  D'ailleurs,  le  règne 
du  vieux  (on  Saint-Ange  était  virtuellement  fini,  avec  les  perfec- 
tionnements nouveaux  de  l'artillerie  moderne.  La  symbolique  statue 
du  saint  Michel  de  Raphaël  de  Montelupo,  érigée  au  faîte  du  tonione 
par  Clément  \  II,  pouvait  descendre  sans  regret  dans  les  fossés  du 
château  et  faire  place  à  celle  que  Benoît  XIV  commanda,  plus  tard 
au  fameux    Venchelfeld  et  qui  y  figure,  aujourd'hui  encore,  dans 
1  attitude  qui  sied  mieux  à  l'archange  désarmé,  -  son  inutile  épéc 
rentrant  au  fourreau  et  ses  ailes  s'ouvrant  toutes  grandes,   pour 
reprendre  leur  vol  vers  les  espaces  célestes  où  il  n'y  a  plus,  ui  otages 
de  gucire,  ni  prisonniers  d'Etat.  Le  dernier  siège  qu'eut  à  subir  lan- 
tique  Mole  d'Adrien,  tour  à  tour  château  des  papes  rois  et  cachot  de 
leurs  sujets  révoltés,  remonte  à  l'occupation  de  Kome  par  les  armées  de 
la  première  République  de  France,  en  1798.  Depuis  que  les  cocar- 
diers de  Championnet  et  de  Berthier  y  ont  laissé  à  peine  quelques 
cellules  ouvertes  pour  les  derniers  rebelles  des  papes  encore  rois    le 
vieux  refuge  des  quatre-vingts  canons  de  Barberini  n'en  a  plus  con- 
serve qu'un  seul,  au  sommet  de  son  inébranlable  masse  de  péperins 


jtitf'ftM  ^'  >*^iifc»>.  Ét^mik^tmmm€ÊA^.'^*m:m^i^tê.^m^. 


'*«.^A«.^.M  .  CEJitf*.-, 


LES    PRISONS    DE    L'ÉTAT    PONTIFICAL  425 

vin-t  fois  séculaires.  C'est  le  San  Pietro  qui  annonce,  cha(,ue  jour 
sur  le  coup  de  midi,  l'heure  du  bon  repas  aux  Romains  indifférents 
et,  aux  touristes  curieux,  celle  de  la  visite  du  monstre  toujours  san- 
glant où  un  cicérone  bonhomme  leur  racontera  des  histoires  de  l'autre 


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monde,  à   faire  ;  reculer:  d'épouvante  les  gens  encore   crédules  de 
celui-ci. 

Parmi   les   légendes  gratuites   de  barbarie,  dont  se  défend  sans 
peine  l'histoire  des  papes  souverains  d'un  Etat  où  la  justice  humaine 


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424 


LA   PnÉLATLRK   DE   LÉON    XUI 


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armoire,  entre  les  innins  de  Bonaparte,  rédaeteur  implacable  du 
traité  de  Tolentino.  Pie  IV  y  avait  déposé  le  dossier  cardinaliee  des 
Larala  étranglés  par  ses  ordres,  dans  leur  cai-hol  ;  de  même  que  la 
riche  tiare  de  Paul  II  et  le  fameux  fermail  ou  peeioral  que  Clément 
Ml  en  avait  commandé,  avec  le  plus  frios  diamant  de  ce  trirègne 
merveilleux,  h  Cellini  qui  en  avait  exécuté  le  vandale  clief-dœuvre 
avec  cette  parole  de  son  Souverain  pour  l'en  renieieier  : 

—  Si  j'étais  un  riche  empereur,  j'accorderais  à  mon  Benvcnulo 
autant  de  terres  que  son  œil  en  pourrait  découvrir.  Mais  mijourdhui 
que  nous  ne  sommes  plus  que  de  pauvres  empereurs  dépossédés 
nous  lui  donnerons,  tout  an  moins,  autant  de  pain  qu'il  en  faudra  à 
ses  besoins  modestes. 

Avec  le  |,ape  lîarlurini,-  qui  lit  ce  que  les  Barbares  n'avaient  osé. 
s  11  tant  en  croire  le  proverbe  romain,  —  le  château  Saint-An^e  s'en- 
richit de  joyaux  d'un  tout  autre  genre  et  calibre.  Avec  les  massives 
embrasses  de  bronze  antique  qui  harponnaient  et  reliaient  les  travées 
colossales  de  marbre  du  Panihéon  depuis  l'inutile  assaut  des  siècles 
et  celui  des  Barbares,  ce  Barberini  dévasiateur  ordonna  la  fonte  de 
quatre-vingts  canons,  qui  ne  servirent  guère  à  défendre  le  règne  paci- 
fique d  Urbain  VIII.  Par  contre,  dans  la  suite  des  âges,  ces  mêmes 
canons  ne  seraient  pas  inutiles  à  l'attaque  et  à  la  ruine  même  de 
I  Ltat  pontifical,  en  fournissant  des  armes  aux  ennemis  du  Slalu  qui 
surent  les  retourner  contre  leurs  propres  maiircs.  D'ailleurs  le  rè^ne 
du  vieux  lort  Saint-Ange  était  virtuellement  liiii,  avec  les  perfec- 
lionnements  nouveaux  de  l'artillerie  moderne.  La  symbolique  statue 
du  saint  Michel  de  Hapbacl  ,1e  Montelupo,  érigée  au  laite  du  loninne 
par  Clément  Ml,  pouvait  descendre  sans  regret  dans  les  fossés  du 
château  et  faire  place  à  celle  que  Itenoît  XIV  coinmanda,  plus  tar.l, 
au  fameux    Venchelfeld   et  qui  y  ligure,  aujourd'hui  encore,  dans 
I  atl.tude  qui  sied  mieux  à  l'archange  désaiiné,  -  son  inutile  épéc 
reiilrani   au  fourreau  et  ses  ailes  s'ouvraiit  toutes  grandes,    pour 
reprendre  leur  vol  vers  les  espaces  célestes  où  il  n'v  a  |.liis,  ni  ota-es 
de  guerre,  ni  prisonniers  d'Etal.  U  dernier  siège  (pi'eul  à  subir  laii- 
lique  Mole  d'Adrien,  tour  â  tour  château  des  papes  rois  et  cachot  de 
leurs  sujets  révoltés,  remonte  àrocciipaiion  .le  IJome  par  les  armées  de 
la  première  Républi-,ue  de  France,  en  1708.  Depuis  que  les  cocar- 
«iiers  de  Championnet  et  de  Berthier  y  ont  laissé  à  peine  quelques 
cellules  ouverles  j.our  les  derniers  rebelles  des  papes  encore  rois    le 
vieux  refuge  des  quatre-vingts  canons  de  Barberini  n'en  a  plus  con- 
serve qu'un  seul,  au  sommet  de  son  inébranlable  masse  de  péperins 


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LES    PRISONS    DE    I/ÉTAT    PONTIFICAL 


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vingt  fois  sénilaires.  C'est  le  San  Pietro  qui  annonce,  <'lia(iue  jour 
sur  le  coup  de  midi,  l'heure  du  bon  repas  aux  Romains  indiiférenls 
et,  aux  touristes  curieux,  celle  de  la  visite  du  monstre  toujours  san- 
glant où  un  cicérone  bonhomme  le;n«  racontera  des  histoires  de  l'autre 


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monde,  à   faire    reculer  d'épouvante  les  gens  encore  crédules  de 
celui-ci. 

Parmi    les   légendes   gratuites   de  barbarie,  dont  se  défend  sans 
peine  l'histoire  des  papes  souverains  d'un  Etat  où  la  justice  humaine 


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426 


LA   PRÉLATURE   DE    LÉON    XIII 


n  eut  pas  à  gouverner  que  des  an-es,  il  faut  comprendre  celle  des 
«  Emmurés  .  de  Sixte-Quint  qui  pendait  haut  et  court,  au  contraire, 
avons^nous  vu,  seigneurs  et  manants  indistincts  aux  créneaux  de  leurs 
tours  et  bien  h  la  face  de  ses  sujets  intimidés  par  une  si  égal i taire  jus- 
tice. Avec  un  fort  accent  de  Piémonlais  envahisseur,  le  guide  conti- 
nuera à  vous  faire  partager  son  horreur  bouzzourres  que  en  vous  indi- 
quant, ici  même,  le  cachot  où  fut  enfermée  cette  pauvre  belle  Béatrice 
Cenci  qui,  du  Château  Saint- Ange,  ne  connut  que  la  Place  extérieure 
où  elle  fut  exécutée.  Sur  le  large  chemin   de  ronde,   ouvert  dans 
l'épaisseur  des  dix  mètres  de  la  muraille  et  fortuitement  retrouvé  par 
un  major  de  Léon  Xïl,  -  Luigi  Bavari   qui,    un  jour   de   ronde, 
s  étant  laissé  choir  dans  un  trou,  n'en  parut  pas  plus  fier  et  se  releva, 
couvert  de  gloire,  d'une  chute  qui  allait  révéler  aux  siècles  futurs  ce 
chemin  merveilleux  qu'avaient  oublié  de  fréquenter  les  siècles  précé- 
dents depuis  les  âges  d'Adrien  le  Magnifique,  —  votre  guide  actuel 
continue  à  bafouiller.  Il  médit  des  quatre  lucernaires  ouverts  dans  les 
métopes  de  la  voûte,  aux  quatre  extrémités  de  cet  escalier  circulaire 
sans  marches  par  où  vous  arrivez  insensiblement  au  sommet  de  la 
tour  où  l'urne  funèbre  de  l'Empereur  dut  originairement  reposer. 
Ces  ouvertures  rares,  d'où  un  jour  mystérieux  tombait  du  ciel  dans 
cette  nécropole  et  sur  ces  mosaïques  aux  restes  dignes  des  Césars,  ces 
Piémontais,  en  relard  sur  l'histoire,   les  prennent  aujourd'hui  pour 
des  oubliettes  papales  où  les  bourreaux  superposaient  leurs  victimes 
en  des  tombeaux  vivants,  s'étageant  l'un  sur  l'autre... 

Mais,  sur  le  granit  noir  de  ces  murailles  éternelles,  vous  regardez 
se  profiler  avec  plus  d'intérêt,  à  la  clarté  du  carcel  conducteur,  les 
hautes  et  toujours  vivantes  figures  de  ces  papes  qui  surent,  du  moins, 
conserver  son  tomt)eau  a  César  et  d'originales  visions  à  celte  tour 
moins  légendaire  qu'historique.  Là.  Alexandre  VI  le  fastueux  dressa, 
entr'autres,  les  écliafauds  splendides  du  prestigieux  Pinturicchio. 
Là,  le  préciosissisme  Clément  VH  alluma  pour  tous  bûchei-s,  ceux  où 
Gellini  le  magnifique  coula  dans  les  creusets  l'or  le  plus  fin  et  enchâs- 
sa, dans  les  métaux  les  plus  précieux,  les  joyaux  les  plus  rares.  Là, 
l'audacieux  renaissant  que  fut  Paul  111  demanda  que  furent  payens  Zuc- 
chari  et  Pierin  del  Vaga  de  ressusciter,  dans  ce  tombeau  de  la  force 
antique,  l'éternelle  beauté  qui  n'y  meurt  plus,  avec  l'histoire  toujours 
aimable  de  la  toujours  giacieuse  Psyché. 

Pour  donner  à  ce  terrible  fort  Saint-Ange,  tantôt  château  prestigieux 
et  tantôt  effrayante  prison,  l'histoire  qui  lui  convient  dans  les  âges  mo- 


LES    PRISONS    DE    L'ÉTAT    PONTIFICAL 


4«T 


dernes,  après  celle  des  papes  fastueux  qui  surent  faire  peindre  des 
chefs-d'œuvre  sur  des  murs  de  cachot  et  tourner  en  bracelets  et  fer- 
moirs d'or  les  chaînes  et  les  serrures  d'une  prison  d'État,  nous  consul- 
terons avec  profit  les  mémoires  de  David  Silvagni  qui,  tout  serviteur 
dévot  et  même  officiel  qu'il  fût  de  la  jeune  Italie,  ne  put  cependant 
oublier  dans  Rouje  sa  première  naissance  et  ses  premières  amours. 
<f  J'avais  neuf  ans,  écrit-il,  quand,  en  compagnie  de  mon  grand- 
père,  le  mercredi  du  20  juillet  1840,  je  traversai  la  Place  Pasquino. 
La  foule  qui  s'y  précipitait,  pour  lire  un  avis  écrit  sur  une  ardoise 
suspendue  au  mur,  vers  la  maison  sise  à  l'angle  de  la  rue  Leutari, 
excita  ma  curiosité  d'enfant.  J'en  demandai  le  pourquoi  à  mon  grand- 
père.  Il  me  répondit  :  a  On  a  affiché  les  tavolozze.  —  Qu'est-ce  les 
tavolozze?  ajoutai-je.  —  C'est,  dit-il,  un  avis  pourexhoiter  les  fidèles 
à  gagner  l'indulgence  plénière,  en  visitant  l'église  des  Agonisants  qui 
est  là,  en  face,  et  où  le  Saint-Sacrement  est  exposé.  —  Allons  le  lire,^ 
nous  aussi  !  dis-je  au  grand-père,  en  l'entraînant  de  ce  côté.  —  Attends 
un  instant,  qu'il  y  ait  moins  de  monde  et  nous  lirons  à  notre  tour,  » 
répondit-il,  aussi  curieux  que  moi.  La  foule,  en  effet,  s'écoula  et  je 
vis,  sur  le  mur,  un  tableau  noir  portant  l'inscription  dont  nous  avons 
donné  le  fac-similé  au  lecteur  (1).  Au-dessous  de  cette  lugubre  invi- 
tation, sur  un  petit  carton  blanc  écrit  à  la  main,  on  lisait  ces  mots: 

«  Louis  Scapigno,  '^l  ans,  né  à ,  coupable  de  vol  sacrilège.  » 

Bien  que  l'enfantait  une  idée  imparfaite  de  lavie  et  qu'il  ne  comprenne 
rien  de  la  mort,  je  n'éprouvai  pas  moins  un  frissonnement.  M'adres- 
sant  à  mon  grand-père,  je  lui  dis  :  «  Qu'a-t-il  volé,  cet  homme?  —  Il 
a  volé  le  ciboire.  — -  Et  pour  cela,  il  est  condamné  à  mort?  —  Oui, 
puisqu'il  a  volé  aussi  les  hosties  consacrées.  —  Et  qu'est-ce  donc 
qu'on  va  lui  faire?  —  Il  sera  décapité,  demain,  sur  la  Place  du  Pont 
Saint-Ange.  »  Je  me  tus,  j'eus  peur.  La  nuit  d'après,  je  vis,  dans 
un  cauchemar,  un  homme  sans  tête;  du  tronc  jaillissait  une  fontaine 
de  sang,  et,  jamais  je  n'oublierai  cet  horrible  tableau. 

Cependant  les  Bans  généraux  étaient  supprimés,  à  celte  époque. 
Bien  différentes  étaient  les  peines  portées  par  les  Bans  du  temps  de 
l'abbé  Benedetti,  qui  mourut  avant  1840  (2).  Nous  en  citerons  quel- 
ques dispositifs  que  rédigea  le  cardinal  Silvio  Valenti,  évêque  de 
Sabine  et  secrétaire  d'État  de  Benoît  XIV.  Nous  les  extrayons  des 
Bans  généraux  poniifi,caux,  réédités  en  1815,  avec  les  articles  de 

(1)  Voir  la  Jeunesse  de  Léon  XIIÏ,  chap.  les  Berceaux  et  les  Tombes,  p.  12T. 
2)     Voir  Un  Diario  de  l'abbé  BeaeJelli  pour  les  coutumes  de  l'État  pontifi- 
cal ;  Appendice  11  de  la  Jeunesse  de  Léon  XIII,  p.  649  et  suiv. 


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428 


LA   PRÉLATURE    DE   LÉON    XIII 


la  Const.lut.on  Posl  diulurnas  sur  la  procédure  criminelle,  et  des 
Bans  de  la  Secrétairerie  d'État  contre  les  coupables  de  blessu.-es 
de  port  d'armes,  etc.,  précieux  .'ecueil  des  pénalités  en    vigueur 
dans  les  Etats  pontificaux  jusqu'en  1833,  année  où  C-égoire^XV! 
publia  le  Code  pénal. 

Voici  quelques  articles  de  ces  Ba.is  gë.iéraux  : 


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Blasphème. 

«  Le  Blasphème  enve.-s  Dieu,  la  sai.ite  Vie.-ge  ou  les  saints,  est  si 
malséant  et  si  répugnant  chez  l'homme  qu'il  ne  devrait  pas  êt.-e 
necessaii'e  de  promulguer  une  loi  spéciale  pour  l'i.iierdire.  Cepen- 

°*"' 80"  Eminenee,  désireuse  de  mettre  un  fiein  à  la  perversité 

<les  l.lasphén)ateH.s.  édicté  et  prescrit  que  tout  blasphè.ne,  malédic- 
tio.i  ou  usurpation  vaine  du  saint  nom  de  Dieu  ou  de  son  Fils  uni- 
que, ..ot.-e  Rédempteur,  ou  de  sa  sainte  Mè.-e  toujours  vierge  ou  de 
n  impo.te  quel  saint  ou  sainte,  etc..  se.'ont  puuis  :  pour  la  première 
fo.s,  d  une  triple  flagellation  publique  faite  avec  des  cordes:  pour  la 
secon  de  fois,  de  la  flagellation  publique  avec  des  verges  et,  pour  la 
fo.sieme  fois,  de  cinq  ans  de  galè.-e.  Pour  l'application  de  ces  pei- 
nes, ,1  surfi,-a  d'un  seul  témoignage  jugé  digne  de  foi  par  l'accusa- 
teur et,  comme  tel,  considéi-é  par  le  juge. 

Violation  des  Couvents  de  Religieuses. 

«  Tous  Lieux  Sac.és  et  particulièreme.it  tout  Monastère  do  Reli- 
gieuses étant  dignes  de  respect,  Son  Eminenee  édicté  et  p.-escrit  que 
qu.conque  pénétrera,  la  nuit,  sans  autorisation,  dans  u.,  cloîfe  de 
Re!.g.euses,  sera  puni  de  mort,  quand  bien  même  il  n'y  au.ait 
co.n,„,s  aucun  délit.  Cette  même  peine  sera  applicable  aux  entre- 
metteurs, aux  aides  et  à  toute  perso.mc  ayant  prêté  son  cot.cours, 
n  .mporte  de  quelle  manière.  Encourront  la  peine  de  mort  ceux  qui 
y  entreraient,  de  jour,  dans  lesdits  couvents  et  s'y  arrêteraient 
n  importe  sous  quel  prétexte,  pendant  la  nuit.  » 

Baiser  donné  en  public  à  une  femme  honnête. 

«  Quiconque  au.-a  usé  de  violence  pour  embrasser  ou  essayer 
d  embrasser  eu  public  une  femme  honnête,  -  quand  bien  même  le 
Daiser  n  aurait  pas  eu  efifectivement  lieu  et  si  l'acte  a  failli  s'accom- 


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LES    PRISONS    DE    L'ÉTAT    PONTIFICAL  42» 

plir,  —  sera  puni  des  galères  à  vie,  et  môme  de  la  peine  de  mort,  au 
gré  de  Son  I^xcellence,  et  les  biens  du  coupable  seront  confisqués.»- 

Peines  contre  les  boulangers  vendant  de  mauvais  pain 

ou  fraudant  sur  le  poids. 

«  Les  boulangers  ou  autres  vendeurs  de  pain  qui  ne  mettraient  pas. 
tous  leurs  soins  à  le  faire  avec  de  bonne  pâte  bien  cuite,  et  ceux 
fraudant  sur  le  poids,  sont  passibles  de  la  peine  d'une  triple  flagel- 
lation faite  avec  des  cordes  et  d'une  amende  de  dix  écus  à  verser, 
par  parties  égales,  à  des  œuvres  pies  et  au  dénonciateur  ou  exécuteur! 
Le  juge  pourra,  en  outre,  leur  infliger  d'autres  peines.  » 

Publications  diffamatoires  et  injurieuses. 

«  Personne  n'ignore  les  graves  conséquences  qu'entraînent  les 
publications  diffamatoires  et  injurieuses.  Son  Excellence,  dans  le  but 
d'y  remédier,  a  jugé  opportun  d'édicter  et  de  prescrire  que  personne 
ne  se  basarde  à  composer,  écrire,  afficher  ou  faire  afficher,  distribuer 
ou  faire  distribuer  des  publications  diffamatoires  ou  pasquinades  d'au- 
cune sorte  ;  quand  bien  même,  dans  ces  publications  ou  pasquinades,  la 
vérité  ne  serait  pas  altérée.  Il  est  également  interdit  de  les  reproduire 
et  de  conserver  de  telles  pasquinades  ou  publications;  sous  peine, 
pour  chacun  des  cas  sus-énoncés,  de  mort,  de  confiscation  desbiensi 
de  flétrissure,  selon  la  qualité  des  personnes,  ou  tout  au  moins  de 
galère,  au  gré  de  Son  Excellence.  » 

SouUlures  ou  injures  sur  les  murs  ou  les  portes  des  maisons. 

«  Son  Excellence  défend  également  à  toute  personne  d'afficher  ou^ 
faire  afficher,  placer  au  naturel  ou  dessiner  cornes,  peintures  ou 
autres  choses  déshonorantes  ou  vilaines,  sur  les  portes,  les  murs  ou. 
la  voie,  en  face  de  la  maison  de  qui  que  ce  soit,  quand  bien  même  il 
s'agirait  d'une  femme  de  mœurs  légères.  Elle  défend  aussi  de  souiller 
d'encre  ou  d'autres  saletés,  ou  de  détériorer  portes  et  murs,  sous 
peine  de  galère  à  vie,  et  même  de  mort,  au  gvé  de  Son  Excellence, 
surtout  si  le  préjudice  tombe  sur  une  femme  honnête.  » 

Détention  d'armes. 
«  Son  Excellence  édicté  et  prescrit  encore  que  personne  ne  porte- 


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LA   PRÉLATURE   DE    LÉON    XIII 


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ou  fasse  porter,  sans  permis,  toute  espèce  d'armes  offensives  et  défen- 
sives, sous  peine  de  la  conflscalion,  d'une  triple  flagellation  à  la 
corde,  d  une  amende  de  vingt-cinq  écus.  pendant  le  jour,  et  du 
double,  pendant  la  nuit.  Sous  le  nom  d'armes  offensives  sont  com- 
prises :  cannes  plombées,  gourdins,  sachets  plein  de  sable  et,  la  nuit 
Jes  balons  et  les  cailloux.  Son  Excellence  rappelle  aussi  la  défense  de 
porter  ou  de  garder  chez  soi  ou  ailleurs,  de  vendre  ou  d'acheter  de 
fabriquer  ou  de  réparer  pistolets  de  petit  calibre,  arquebuses  mesu- 
rant plus  de  deux  palmes  de  la  canne  marchande  romaine-  et  cela 


Otage  des  brigaads  dans  la  campagne  romaino  (Dessin  de  Thomas). 


sous  peine  de  mort,  confiscation  des  biens,  et  autres  peines  conte- 
nues dans  les  Bulles  de  Pic  IV  et  de  saint  Pie  V...  Si  .a  Cour,  dans 
ses  recherches  trouve  des  armes  prohibées  de  n'importe  quelle  sorte 
jetées  a  terre,  a  une  distance  de  moins  de  six  pieds  de  quelqu'un  i 
y  aura  présomption  qu'elles  appartiennent  à  celui  auprès  de  nui  elles 
auront  ete  trouvées,  à  la  distance  susdite,  et  cette  présomptL.  sera 
une  preuve  suffisante  pour  soumettre  l'accusé  à  la  torture  . 

Excitations  à  la  discorde. 

*  Son  Excellence  édicté  et  prescrit  encore  que.  si  une  personne  de 
il  importe  quel  état,  grade  ou  condition,  rompt  ou  fait  rompre  la  paix. 


LES    PRISONS    DE    L'ÉTAT    PONTIFICAL  431 

les  trêves,  la  parole  engagée  ou  une  réconciliation,  elle  sera  passible 
de  la  penie  de  mort  naturelle,  ruine  et  démolition  de  sa  maison  et 
confiscation  de  tous  ses  biens.  Si  elle  a  pu  se  soustraire  à  la  justice, 
elle  sera  pendue  en  effigie,  revétuedeses  habits  ordinaires,  la  têteen 
bas  avec  ses  nom,  prénoms,  patrie  et  nature  du  délit  inscrits 
au-dessous.  » 

Ces  dispositifs  furei.t  en  vigueur  jusqu'à  Tépoque  de  l'Invasion 
française.  A  la  Restauration  de  1814,  ils  furent  rétablis  et  eurent 


Une  pugnalala  à  Home  (Dessin  de  Thomas). 

force  de  loi  jusqu'en  1833.  A  cette  date,  Grégoire  XVI  publia  le 
Règlement  judiciaire,  code  pénal  informe,  mais  toutefois  moins  impi- 
toyable et  moins  cruel  que  les  Bans  Généraux.  La  volonté  des  Pon- 
tifes fut  si  constante  à  faire  exécuter  ces  dispositifs,  qu'à  la  fin  du 
xviir  siècle,  le  cardinal  Archetti,  archevêque  de  Bologne,  fui  sévère- 
ment blâmé  pour  avoir  substitué,  dans  l'application  des  châtiments 
ecclésiastiques,  la  verge  anglaise  aux  fouets  de  corde. 

l*our  qui  croirait  exagérées  les  peines  énnmérées  contre  les  blas- 
phémateurs, nous  citerons  ici  un  passage  d'une  note  que  le  cardinal 
Giusiiniaui,  évèque  d'Imola,  publia  le  3  juin  1828,  établissant  que 
«  les  peines  contre  les  blasphémateurs  sont  :  pour  la  première  fois, 


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1 


430 


LA    PRÉLATURE   DE    LÉON    XMI 


ou  fasse  porter,  sans  permis,  touleespècc  d'armes  offensives  et  défen- 
sives, sous  peine  de  la  confiscation,  d'une  triple  (lagellation  à  la 
co.de,  dune  amende  de  vingt-cinq  écus,  pendant  le  jour  et  du 
double,  pendant  la  nuit.  Sous  le  nom  d'annes  offensives  sont  com- 
prises :  cannes  plombées,  gourdins,  sacl.ets  plein  de  sable  et,  la  nuit 
les  balnns  et  les  cailloux.  So.i  Excellence  rappelle  aussi  la  .lëlense  dé 
porter  ou  de  garder  cbcz  soi  ou  ailleurs,  de  vendre  ou  d'acheter  de 
fabriquer  ou  do  réparer  pistolets  de  petit  calibre,  arquebuses  mésu- 
■•aut  plus  de  deux  palmes  de  la  canne   marcbande  romaine-  et  cela 


Olage  des  l,„ï„:id.  dans  la  ca,„p„g„o  rcnuinc  (Dessin  de  TImn.as; 


ous  peine  de  mo,-/,  confiscation  des  biens,  et  autres  peines  conte- 
nues dans  les  Itulles  de  Pie  IV  et  de  saint  l>ie  V...  Si  la  Conr,  dans 
ses  recherches  trouve  des  armes  prohibées  de  n'importe  quelle  sorte 
jetées  a  terre,  a  une  distance  de  moins  d..  six  pieds  de  quelqu'un  il 
y  aura  présomption  qu'elles  apparliennent  à  celui  auprès  de  qui  elles 
auront  ,.té  trouvées,  à  la  distance  susdite,  et  cette  présomption  sera 
une  preuve  sujlisanle  j,our  soumettre  l'accusé  à  la  torture.  . 

Excitations  à  la  discorde. 

«  Son  Excellence  édicté  et  prescrit  encore  que,  si  une  personne  de 
n  importe  quel  état,  grade  ou  condition,  rompt  ou  fait  rompre  la  paix. 


L-v  ^-._,?.^-.î.'ï*jr  . 


sE^assszsss 


mt*' 


,1     I     I.    .i,HMia>|. 


LliS    PUISONS    DE    L'ÉTAT    PONTIFICAL  431 

les  trêves,  la  parole  enga-ée  ou  une  réconciliation,  elle  sera  passible 
de  la  peine  de  mort  naturelle,  ruine  et  déniolilion  de  sa  maison  et 
cont.scatioM  de  tous  ses  biens.  Si  elle  a  pu  se  soustraire  à  la  justice 
elle  sera  pendue  en  eftiole,  revêtue  de  ses  habits  ordinaires,  la  tête  en 
bas,  a\ec  ses  nom,  prénoms,  patrie  et  nature  du  délit  inscrits 
au-dessous.  » 

Ces  dispositifs  furent  en  vigueur  jusqu'à  l'époque  de  l'Invasion 
française.  A  la  Uestauration  de   1814,   ils  furent  rétablis  et  eurent 


Une  pugnulala  à  Konie  (Dessin  de  Thomas). 

force  de  loi  jusqu'en  183.3.  A  celte  date,  Grégoire  XVI  publia  le 
Bi'dlemeut  judiciaire,  code  pénal  informe,  mais  toutefois  moins  impi- 
toyable et  n.oins  cruel  que  les  Bans  Généraux.  La  volonté  des  Pon- 
tifes fut  si  constante  à  faire  exécuter  ces  dispositifs,  qu'à  la  fin  du 
\viii°  siècle,  le  cardinal  Archetti,  archevêque  de  Bologne,  fui  sévère- 
ment blâmé  pour  avoir  substitué,  dans  l'application  des'  châtiments 
ecclésiastiques,  la  verge  anglaise  aux  fouets  de  corde. 

INmii-  qui  croirait  exagérées  les  peines  énnmérées  contre  les  blas- 
phémateurs, nous  citerons  ici  un  passage  d'une  note  que  le  cardinal 
Giusiiniani,  évêque  d'imola,  publia  le  3  juin  18^28,  établissant  que 
«  les  peines  contre  les  blasphémateurs  sont  :  pour  la  première  fois, 


\:i 


in 


LA   PRÉLATCRE   DE    LÉON    XIII 


de  vingt-cinq  écus  d'or;  pour  la  seconde,  de  cinquante-  pour  la  foi 
s;eme,    ecentet,  qu'en  plus.le  l.laspi,é„,ateu..  so!,  déci;^    fil     Si 

rri  "p:rdrr''r'  '•";'^"-"--  ■«  p-i*-efois,,ou,eu:  it 

née,  a  la  portede  I  egl.se;  la  seconde,  on  le  ba.lra  de  vergeset  la  Iroi 

s.eme,onlu,perce.-alalangueeto„l'e„ve.TaauxgalcTes  Lesllim'u ia 
teurs  gaguerontdixans  d'indulgencee.recevronMe  lie.s  de  •     e        : 
Dans  les  extraus  anJournat  deG.  Gillo  que  publia  Aden.ol  lo  nous 
voyons  rapportées  quelques  anecdotes   tirées  des  ^/m./,.^7de  7e 
eenvau.  qu.  eut  à  cœur  lélude  de  l'Histoire  de  l'Etat  pontiLl 

les  mari    r.V  ^T  r""'''    P'''™i«""<'^  PO-   'aire   disparaître 
acaZw    .le   pf  r"  "'^'''''  P'"-^  '^'^"""^  --  '«  -n'  "« 

S      n-eu     Irr-    ^  ^"''"'^    """    •1"''»^'""   '-   P—   en 

a,ns   '  .'U.r'"  '^,'"^'-''"'-  V"^"--"'  et  de  ducl.esse  de  Ceri 
ainsi  qu  a  beaucoup  d  autres. 

leSruiUet'ïfi-Q  "'^'"PT"'."^""^'"  ""  P'-'^Pagèrent  dans  le  peuple  et. 

deau  fhsuilee,   contenant   poison   d'arsenic  et  sublimé  •    eau  aue 

les  P  isorS     n    '    ■''""''r  '^  '''  ''''''  f"''«"'  murées  dans 
les  p usons  de  I  Inquisition.  Le  Campo  di  Fiori  fut  le  lieu  choisi 

Sterne';:'  r  ':  •^"'"r  ^°'"^'"  ^'^  p^^-"'«  ^'  noi':^:  «: 

lemmes  étaient .    Gisolama  Spana,  qui  préparait  l'eau  et  qui  avoua 

Silia  BoliT'T,'      '"'"'  '  '"'''''''  ^'"^''  '^^^'^  <5^rispoldi  et 
Ce»e  1     r     r        '"'  *•"'  """''*  ^*«"«  ^  «-"Poisonner  son  mari 
C   le  dernière  fut  pendue  séparément,  quelques  jours  après  le  sun 

îr  re  delà  rlf        ^^f^P^-''^^  "«  «arberini,  prinee  de  Palestrina. 
freie  de  la  Confraternité  de  San  Giovanni  Decollato  qui  avait  le  triste 

d'enlSi  exîr '."'  f  '"7  """'^''^  """"''"'^'  '^  condamnés  à  m  n  2 

ni VroTti     r  "  H  ""'''  ''""'''''■  ^'  P""'=«-  ^  '••"  •«  co""ani- 

nte  fit  piiie,  recommanda  au  bourreau  d'aller  vite.  Celui-ci  répondit 

ave  insolence  au  prince  qu'il  se  chargea,  lui-même  d.,  la  Sg" 

in    S'  t^fh    '"•  ''  '■"'  '  ""  '"'  ""«  ^"'  -"«-  cette  exé«  -' 
eine.?rT K      ""'  '"''""'  "'•'■^'^'  "  f"''  P^""  »'•*''•«  du  Gou- 

ndal?  """*','  '*"'  '^^  '"''  ''  "»  ^»'«'  f"^«Sé  et  ensuite 
condamne  aux  galères. 


r^  f 


LES    PRISONS    DE    L'ÉTAT    PONTIFICAL  433 

l'aimi  les  manuscrits  qu'a  laissés  l'abbé  Benedetti  .a  f.„        . 

quelques  fascicules  Jaunis  par  le  temps,  mais  enlr  '  biel  H   bTe^ 

Ecrits   longtemps  avant  la  jeunesse  de  l'abbé,  il  est  à  erlret  '  u 

ont  appartenu  à  ses  aïeux  qui  lui  laissèrent  ces 'souvenirs  de;é!éné! 


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^iç-^^kiff^^ 


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*^â;^ 


La  prière  pour  le  condamné  (Dessin  de  Thomas;. 

a/ u««  a  /{«m..  Ils  ont  trait  aux  crimes  les  plus  notoires  et  aux  plus 

tt  cooT  r  "  "'"'""'"'  P"  "'"'  '''  <^-«'  <*-«  -  a  -e 
TiLLTJ^'  TT''  •"*''  '"*"•"'"«•  "  vaut  :ia  peine  de  lire 

n!'  ""■'  "'  '""'  *'^'''^  ^'  "^  P'"^  ««'•ccc*  «c-'tences,  que  le 

mirateur  raconte  avec  le  même  calme  et  la  même  simplicité   qu'au- 

28 


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432 


LA   PRÉL.VTL-nr.:   I)|.;    i,ÉON    XIII 


de  vi„,  .cuK,  ..os  d'or;  pour  la  so.-o,„lo.  de  ein,,„aMte-  pour  la  ln,i 
s;e,  ,0,  eoenlel,  qu'en  plu.sjo  ..laspl,..„,a,e,n-  so  ,  ,1  Jl  r  f'i  Si 
c  es, ....  ho...n,e  pauv.v.  o,.  r.-.ua.,,,.,.  :  la  p,.,,,!..,...  fo  s        ,  jou' 

.ce,  a  la  pclede  le.lise;  la  seoo.ule,  o,.  le  ban.-a  de  ve  ,    e  -o 

.e„,e,o,,l,.,pe,ve,alaIan,.,eeto,.|-e..ve.Taaux,al,Ves  Le.^^    ;,  ,     a 
.on.-s  ,a...,.....,.idix  a..,s  .-•ind„„e,.cee..-eeevro.,Ue  ,le,s  ^  ': 

>oyo...s  .apposées  ,p.elq„os  a..ee,l,„es   li.ve.s  des  Me>nour"  ,"Z 
eo,-.v«„.  „.„  0...  à  e«.,...  1  en.de  ,.e  r„is,..i,.e  de  VEu,  po..  i    -a 

.li        ril''    r'/'"'''^    P.urieie....es.   po..,-   faùv   dispa,.ai„.e 

ma  V  r-    '^'  •""'""'"■    "'""    ■'"'•■'J-"   '•-    ■"•""VOS   e.. 

al      .•  "  ''^,"""''"'-  ^■'••^•"esehi  et  de  ducl.esse  de  Ce,-| 

ttinsi  qu  a  beaucoup  d  autres.  ^  v^^n, 

le  î^iuill  r  lî'-o  •^''^^'"P""*»'""'"'^"'  «e  P.'o,.agè.-e..t  da.is  le  peuple  e. 

ÏvJz  Î   •        '  '"  '"'""  '='""  '^"""«^  P""'-  "^ «"■  ve-d,.  .li  carat 
deaudisUlee,    ,.o„.e„a..t    poiso,.   darsenic  et  sul,li,..é  •    ea,    ..Î^ 

les  p  ..0..S  de  1  l,../u,s.iio...   Le  Campo  di  Fio.-i  fut  le  lieu  choisi 
pou.,  e  suppliée,  et  le  peuple  ..c.ai.,  s'y  p..ése„,a  si    o .  1    .".    o 
assiste.,  a  ce  spectaele,  ,„e  les  maisons  de  Ro,..e  .•es,è,.e..t     des  Te 
em,..es  eta.e„,  :    Gisolama  Spa..a.  qui  p.-cVa.ait  l'eau  iv;: 

Oh  au    ;:;'    '  """■  T  ''  '"'""""^  ■'  ^^^  g-""-  «^  Sp  .ola  g   . 

eue  d^- ..:;""',  ""'  .""'"'*  "  «""  '  <""P«-o,.ner  so..  ...a,-i. 

P    e  des      .t  es   n        .'p  'T'"'"'''  ""^'q"es  jou.s  ap.-ès  le  sup- 

c  rieurF  'f   ■'       '"^'""'"'  '^'  '*""'-''•  ^«  P''»""'-'  ""  fait 

•e  le'la  ï^„:  :;    ^'^.'^.^''f  «f  "«  K--"-'-.  prince  de  Palesfiua, 

•ue  fit  p.i.e,..eeom.,.a..da  au  bou..reau  d'aller  vite  Cel.  i-ci   ...■.■,n..dl. 
avec  ...sole,.ee  au  pri.,eo  ..u'il  se  cl.a..,eAt  lui-.Le    '    .a      ^      ' 

n   Z  t"""^  '•""•  '"^  '■"'  "  ""  ="••'«  ^-  f"'  -"-  cette  eX' 

.Z..?.  .-■"'"  ''"'  "^^  '■"•^^  ''  '"  ^"'«'  f"«"sé  et  ensuite 

coiidaniiie  aux  f,'alères. 


LES    PRISONS    DE    L'ÉTAT    PONTIFICAL 


433 


l'arn.i  les  ma..>.scrits  qu'a  laisses  l'abbé  Bei.edeiii  sp  ...„  . 
<,..e.j,ues  fascicules  jau..is  parle  temps,  mais^lt  ,i ^  :,r 
Le., s  longtemps  ava.,t  la  jeunesse  de  l'abbé,  il  est  à  c'^i  '  ^  u 
ont  appa..,e..u  a  ses  aieux  qui  l,.i  laissé..e..t  ces'souvc.i;  d"  éS  ! 


La  pnOre  pour  le  coiidaniué  (Dessin  de  Ihomasi. 


mets  ,1e  le,.,,  ten.ps.  Ces  fascicules  portent  le  ,i„-e  de  Fails  ancieus 

ébb.es  p-oces.  e„  comme.içan,  par  celui  des  Cenci  dont  on  a  une 
aufe  copie  plus  ancienne,  mais  idctique.  Il  va,.,  la  pei.'e  de  e 
.=et,e  fidèle  histoire  de  faits  afoces  et  de  plus  atroces  se  .ten^^  le 
i.ar..a,eur  .-accte  avec  le  même  caln.e  et  la  même  simplid^qu".! 

28 


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434 


LA    PRÉLATURE   DE    LÉON    XIII 


rait,  aujourd'hui,  le  chroniqueur  d'un  journal  à  écrire  une  revue  théâ- 
trale. Nous  y  trouvons  entr'autres,  la  «  Relation  de  la  décapitation  et  de 
la  mort  de  G.  Gontini,  neveu  de  S.  E.  le  Rêver,  seigneur  cardinal 
d'Ascoli,   qui  fit  faire  la  statue  d'Urbain  VIII  en  cire  afin  qu'à  sa 
mort  son  oncle  fût  élu  pape  au  prochain  conclave,  l'abjuration  et  la 
mort  de  ses  compagnons  brûlés  vifs  au  Gampo  di  Fiori.  »  Il  raconte 
que,  le  dimanche  22  avril  1636,  dans  l'église  de  Saint-Pierre,  en 
présence  d'un  grand  concours  de  peuple,  de  vingt  mille  personnes 
environ,  eut  lieu  cette  abjuration.  On    fit   monter   les   prisonniers 
sur  une  estrade  élevée  de  dix  palmes  au-dessus  du  sol,  au  milieu  de 
l'église.   Une  basse  chantante,  élevée  dans  une  chaire  voisine,  lut, 
d'une  voix  haute  et  cadencée,  le  résumé  du  procès.  On  commença  par 
celui  de  Gontini,  puis,  par  celui  du  frère  Gherubino  d'Ancona  et  du 
frère  Bernardino  l'Ermite.  Ge  dernier,  en  entendant  cette  lecture  du 
résumé  de  son  procès,  commença  par  nier  en  secouant  la  tète,  et  par 
faire  des  signes  pour  dire  que  c'était  faux,  puis  il  nia  à  haute  voix. 
«  Averti  de  ne  pas  scandaliser  le  peuple,  il  eut  la  hardiesse  et  la  té- 
mérité de  mépriser  les  menaces,  de  passer  outre  à  la  défense  et  con- 
tinua, malgré  tout,  ces  actes  scandaleux  et   mensongers  au   point 
que,  pour  lui  fermer  la  bouche,  on  dut  le  bâillonner.  »  Les  autres 
coupables  étaient  le  frère  Dominique  Zamponi,  auguslinien   con- 
damné aux  galères,  Flaminio  Gonlbrti,  agent  du  cardinal  d'Ascoli  . 
qui  eut  dix  ans  de  galères,  et  trois  autres  frères  également  con- 
damnés aux  galères.  Gontini  fut  ensuite  conduit  aux  prisons  de  Corte 
Savella,  où  vinrent  le  rejoindre  le  frère  Gherubino  et  l'Ermite,  après 
avoir  subi  le  supplice  de  la  dégradation  à  la  Transpontina,  en  pré- 
sence d'une  foule  nombreuse.  La  chronique  ajoute  qu'on  dressa  la 
potence  et  le  bûcher  sur  la  populeuse  Place  du  Gampo  di  Fiori;  ei 
Ton  planta,  tout  près,  les  pals  qu'on  entoura  de  bois,  paille,  fagots 
et  graisse  de  génisse.  Dès  le  point  du  jour,  une  foule  énorme  de 
spectateurs  envahit  la  Place.  Vers  la  lo*  heure,  la  Justice  partit  de 
Gorte  Savella,  fit  un  long  détour  et  arriva  sur  la  Place  de  Gampo  di 
Fiori.  On  alluma  le  bûcher,  et  bientôt  les  flammes  et  les  étincelles 
s'élevèrent  dans  les  airs.  Un  frisson  d'horreur  envahit  les  spectateurs. 
Les  deux  frères  furent  si  terrifiés  que  l'un  d'eux,  anéanti,  tomba 
évanoui.  »  On  décapita  d'abord  Gontini,  puis  on  empala  les  deux 
frères,  «  et  pas  si  ia[)idement  que,  jetés  de  suite  dans  les  flammes,  ils 
n'y  mourussent  avec  des  marques  de  repentir,  spécialement  le  frère- 
Gherubino  qui  laissa  de  lui,  au  delà  de  toute  attente,  un  bon  espoir 
de  sur  son  salut.  » 


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LES    PRISONS    DE    L'ÉTAT    PONTIFICAL  43S 

Nous  avons  déjà  fait  remarquer  au  lecteur  que  ce  précieux  lecoeil 
de  souvenirs  judiciaires  contient  seulement  de  froides  descriptions; 
soigneusement  faites,  sans  aucune  appréciation  sur  les  faits.  La- 
r  serve  que  s  est  imposée  le  narrateur  est  telle,  qu'on  ne  trouve  pas- 
une  parole  d  indignation,  même  dans  le  récit  le  plus  sanguinaire- 
du  manuscrit.  C'est  avec  le  plus  grand  calme,  en  effet,  qu'il   Zl 

de  la  Rotonde. Ony  assomma,écarielaetégorgeadeux  fameuxscélérats 
chaicu„ers  qui  mélangeaient  la  chair  humaine  à  la  viande  de  porc. 
On  comprend  aisément  que  les  compilateurs  de  ces  Mémoires   aient 
SUIVI  le  courant  des  idées  de  leur  temps.   Sans  se  soucier  des  dm 

•é,f  H-rT'';.  '  '■*'°"""'  ««'e"«"««"'«"t  tout  ce  qui  a  trait  à 

état  dame  des  délinquants,  comment  ils  reçurent   les  sacrements 

1  impression  que  leur  repentir  Ht  sur  le  peuple  et  l'espoir  plus Tû 

moins  grand  que  celui-ci  put  concevoir  du  salut  de  leur  âme 

Citons  quelques  extraits  de  la  .  Décapitation  de  l'illustre  et  excel 

juin  1660.    Le  narrateur,   après  un  exorde  ascétique,  écrit  :  «  Je  dis 
donc  que,  mardi  soir,  8  juin,  une  heure  et  demie  après  I    cou- 

tioi  "flot  ;•"'  r"  ""'""'^  '''""'''^""'  ''^  >a  Miséricorde  de  .a 
nat  on  florentine.  Cette  institution  charitable,  avec  une  indicible 
pieté,  accompagne  et  aide  à  bien  mourir  les  malheureux  q  e  a 
ust.ce  a  condamnés  au  dernier  supplice.  C'est  ce  qui  devait  avoir 
heu  dans  la  matinée  suivante,  à  l'heure  habituelle,  sur  la  Place  du 
Font.  Ou  devait  justicier  deux  criminels,  détenus  dans    les    Prisons 

lïnril  H  'p  ^     "'  "  '""■'"^""'^  ^°"""^"^^'  P"-  «=«  Pi^"''  «-vice 
le  prince  de  Palestrina,  monseigneur  Alexandre  Kanuccini,  le  mar^ 

quis  André  Corsini.  J.  Baptiste  Bonecchi   et  autres  encore.    A^ L 

avoir  imploré  laide  du  ciel  et  récité  Tacte  de  contrition,    ils   s'aol^e! 

minèreni,  comme  à  l'ordinaire,  en  silence  vers  les  Prisons.   Arrivés 

à,  Ils  revêtirent  leur  sac,  reçurent  de  l'aumônier   la   bénédiction   de 

eau  et  commencèrent  à  réciter  les  sept  Psanmes  de  la  pénitence  Oa 

leurdonnaensui.eàlirelessentenoesquicondamnaientàmortJeanPaul 
Camille  Nicol.  de  Pérouse  et  Jean  Toinasini   de  Contigliano,  docte 
en  medecme.  ' 

«  Le  premier,  après  inquisition,  avait  avoué,  au  cours  du  procès 
avoir  commis  un  homicide  prémédité,  sur  le  territoire  de  Monteleone" 
diocèse   de   Spole.0,   en  frappant  du  poignard    le  docteur  Septime 
Nicoli,  son  beau-pere.  Pour  ce  motif,  il  était  condamné  à  la  pendai- 


-!5- 


I  ^       ^1  HMiémmmmijfg^jimm 


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iûismai^ài^rimier''mÊijm 


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436 


LA   PRÉLATURE    DE    LÉON    XIII 


: 


son  sur  la  Place  du  Pont.  Le  second  était  condamné  par  contumace 
à  avoir  la  tête  tranchée  sur  la  Place  du  Pont  Saint-Ange,  en  vertu  de 
la  sentence  du  gouverneur  de  Montalto,  datée  du  14  juillet  1661, 
pour  avoir  traîtreusement  tué  avec  un  stylet,  au  mois  d'avril  1661, 
le  docteur  Egidio  da  Montefiore,  médecin  à  Cosignano.  » 

Le  docteur  Nicoli,  «dès  le  début,  donna  des  signes  de  bonne  dispo- 
sition et  de  patience  »  et  passa,  à  se  confesser  «une  heure  et  demie 
d'horloge.  »  André  Corsiniet  le  prince  dePalestrina  allèrent  à  la  ren- 
contre de  Tomasini.  «Ils  lui  annoncèrent  la  fatale  nouvelle.  Le  con- 
<lamné  se  mit  à  se  plaindre  fortement  de  la  justice  et  cria  bien  fort 
-que,  pour  ce  motif,  il  voulait  mourir  damné.  »  Prières  et  exhortations, 
tout  fut  inutile.  Les  litanies  et  le  rosaire  n'eurent  pas  de  meilleur 
résultai.  «Jean  Paul  Nicolini,  sa  confession  terminée,  repentant  et 
plein  de  ferveur  et  d'amour  de  Dieu,  fut  prié  et  supplié  de  vouloir 
bien  faire  une  affectueuse  exhortation  à  son  compagnon.  Il  le  fit  cou- 
rageusement, avec  un  tel  zèle  de  charité  et  de  parfaite  confiance  en 
Dieu,  il  y  mit  une  telle  ferveur  qu'il  eût  attendri  les  pierres  les  plus 
dures.  iMalgré  tout,  il  n'obtint  rien  et  ne  fil,  au  contraire,  qu'exciter 
son  compagnon  à  de  nouveaux  scandales.  » 

Il  était  déjà  tard  et  Tomasini  refusait  encore  le  concours  du 
prévôt  qui  voulait  faire  appeler  un  religieux  qui  eût  la  confiance  de 
rimpénitent.  Mais  celui-ci  ajouta  «qu'il  voulait  user  de  son  libre 
arbitre  pour  se  perdre.  »  Les  consolateurs  le  crurent  alors  hérétique, 
mais  il  répondit  qu'il  croyait  à  lous  les  arlicles  de  foi,  et  il  les  spécifia 
un  à  un.  Finalement,  ces  messieurs  résolurent  de  tenter  un  autre 
moyen  pour  lui  attendrir  le  cœur.  Ils  s'humilièrent  devant  lui,  en  se 
passant  une  corde  au  cou,  et  s'agenouillèrent  ainsi  pour  lui  baiser 
les  pieds.  Cet  acte  l'émut,  le  fit  même  rougir,  mais  ne  le  convertit 
pas.  Il  se  leva  et  s'en  vint  de  l'autre  côté  de  la  salle,  en  disant  qu'il 
ne  voulait  absolument  plus  supporter  cela.  Il  se  couvrit  les  yeux, 
tourna  le  dos  aux  consolateurs  et  en  arriva  à  un  tel  degré  de  surexci- 
tation qu'on  dut  cesser  ce  mode  d'exhorlalion.  Ou  essaya  alors  d'em- 
ployer la  rigueur  et  les  menaces,  en  approchant  de  ses  mains  une 
bougie  allumée  pour  lui  faire  pressentir  les  atroces  tourments  des  feux 
■de  l'enfer.  Lorsqu'on  lui  demanda  s'il  croyait  que  le  feu  de  l'enfer  fût 
terrible,  il  répondit  qu'il  le  croyait  atroce,  mais  qu'il  le  supporterait 
en  compagnie  des  autres  damnés. 

Rien  n'ayant  réussi,  le  prévôt  fit  inutilement  remplacer  les 
€xhorlateurs  fatigués  par  d'autres  plus  dispos.  On  avait  décidé  c  de 
€S  remplacer  pour  pouvoir  conU'nuer  à    livrer   bataille   à   l'enfer  et 


LES    PRISONS    DE    L'ÉTAT    PONTIFICAL 


437 


remporter  la  victoire  en  triomphant  du  démon.  »  Les  Pères  Capu- 
cins appelés,  n'obtinrent  pas  de  ujeilleur  résultat.  Tomasini  voulait 
mourir,  comme  il  l'entendait.  Le  Prévôt  s'en  fut  alors  trouver  Mon- 
signor  le  Gouverneur  et  lui  exposa  le  cas.  Celui-ci,  après  avoir  pris  les 
ordres  du  Pape,  permit  de  surseoir  à  l'exécution.  Les  Capucins, 
n'ayant  pas  réussi  à  convertir  l'obstiné  Tomasini,  on  .  fit   venir  deux 


1 1 


Elemozina  per  la  Madonna  (Dessin  de  Thomas). 

Pères  Carmes  déchaussés  afin  de  ne  rien  omellre  pour  ramener  cette 
brebis  égarée  à  la  bergerie  ;  mais  ceux-ci  ne  furent  pas  plus  heureux. 
On  le  fit  alors  assister  à  la  messe,  on  employa  même  la  force  et  les 
Frères,  usant  de  violence  le  conduisirent  h  l'église. 

Le  prêtre  qui  célébrait  la  messe  avait  été  averti  du  fait  et  on  lui 
avait  suggéré  la  conduite  à  tenir  pour  coopérer  à  la  conversion  de 
Tomasini.  Celui-ci  refusa  de  se  mettre  à  genoux  et  s'assit  sur  un 
banc.  «  Alors  le  célébrant  se  tourna,  la  sainte  Hostie  à  la  main,  fit 
une  si  louchante  exhortation,  parla  avec  tant  d'onction  et  de  chariié 
que  les  Frères  eux-mêmes  pleuraient  à  chaudes  larmes.  Le  condamné 


436 


LA    PKÉLATURE    DE    LÉON    XIII 


son  sur  la  Place  du  Pont.  Le  second  était  condamné  par  contumace 
à  avoir  la  tête  tranchée  sur  la  Place  du  Pont  Saint-Ange,  en  vertu  de 
la  sentence  du  j^'ouverneur  de  Montalto,  datée  du  14  juillet  IGOl, 
pour  avoir  traîtreusement  tué  avec  un  stvlet,  au  mois  d'avril  IGOL 
le  docteur  Egidio  da  Montefiore,  médecin  à  Cosigna  no.  » 

Le  docteur  Xicoli,  «  dès  le  début,  donna  di's  signes  de  bonne  dispo- 
sition et  de  patience  »  et  passa,  à  se  conlesser  m  une  heure  et  demie 
d'horloge.  »  André  Corsiniet  le  prince  dePalestrina  allèrent  à  la  ren- 
contre de  Tomasini.  «fis  lui  annoncèrent  la  fatale  nouvelle.  Le  con- 
ilamné  se  mit  à  se  plaindre  fortement  de  la  justice  et  cria  bien  fort 
<|ue,  pour  ce  motif,  il  voulait  mourir  danmé.  »  Prières  et  exhortations, 
tout  fut  iniilile.  Les  litanies  et  le  rosaire  n'eurent  pas  de  meilleur 
résultai.  «  Je.in  l*aiil  Nioolini,  sa  confession  terminée,  repentant  et 
plein  de  ferveur  et  d'amour  de  l)i<'u,  fut  prié  et  su|)plié  de  \ouloir 
bien  faire  une  afife^niieuse  exhortation  à  son  compagnon.  Il  le  lit  cou- 
rageusement, avec  un  tel  zèle  de  chirité  et  de  parfaite  conliance  en 
Dieu,  il  y  n)it  une  telle  ferveur  (pi'il  eut  attendri  les  pierres  les  plus 
dures.  Malgré  tout,  il  n'obtint  rien  et  ne  lit,  au  contraire,  qu'exciter 
son  compagnon  à  de  nouveaux  scandales.  » 

Il  était  déjà  tard  et  Tomasini  refusait  encore  le  concours  du 
prévôt  qui  voulait  faire  appeler  un  religieux  (|ui  eût  la  couliance  de 
rimpénitent.  Mais  celui-ci  ajouta  «qu'il  voulait  user  de  son  libre 
arbitre  pour  se  perdre.  »  Les  consolateurs  le  ci'urent  aloi's  hérétique, 
mais  il  répondit  (ju'il  croyait  à  tous  les  articles  de  foi,  et  il  lesspécilia 
un  à  un.  Finalement,  ces  messieurs  résolurent  de  tenter  un  autre 
moyen  pour  lui  attendrir  le  cœur.  Ils  s'humilièrent  devant  lui,  en  se 
passant  une  corde  au  cou,  et  s'agenouillèrent  ainsi  pour  lui  baiser 
les  pieds.  (a4  acte  l'émut,  le  fit  même  rougir,  mais  ne  le  C(»nvertit 
l>as.  Il  se  leva  et  s'en  vint  de  l'autre  coté  de  la  salle,  en  disant  qu'il 
ne  voulait  absolument  plus  supporter  cela.  Il  se  couvrit  les  yeux, 
tourna  le  dos  aux  consolateurs  et  en  arriva  à  un  tel  degré  de  surexci- 
tation qu'on  dut  cesser  ce  mode  d'exhortation.  On  essava  alors  d'em- 
ployer  la  rigueur  et  les  menaces,  en  approchant  de  ses  mains  une 
bougie  allumée  pour  lui  faire  pressentir  les  atroces  tourmer.ts  des  feux 
<le  l'enfer.  Lorsqu'on  lui  demanda  s'il  croyait  que  le  feu  de  l'enfer  fût 
terrible,  il  répondit  qu'il  le  croyait  atroce,  mais  qu'il  le  su|)porterait 
en  compagnie  des  autres  damnés. 

Rien  n'ayant  réussi,  le  prévôt  fit  inutilement  remplacer  les 
€xhorlateurs  fatigués  par  d'autres  plus  dispos.  On  avait  décidé  «  de 
€S  remplacer  pour  pouvoir  continuer  à    livrer   bataille   à   l'enfer   et 


LES    PRISONS    DE    L'ÉTAT    PONTIFICAL  437 

remporter  la  victoire  en  triomphant  du  démon.  »  Les  Pères  Capu- 
cins appelés,  n'obtinrent  pas  de  meilleur  résultat.  Tomasini  voulait 
mourir,  comme  il  l'entendait.  Le  Prévôt  s'en  fut  alors  trouver  Mon- 
signor  le  Gouverneur  et  lui  exposa  le  cas.  Celui-ci,  après  avoir  pris  les 
ordres  du  Pape,  permit  de  surseoir  à  l'exécution.  Les  Capucins, 
n'ayant  pas  réussi  à  convertir  l'obstiné  Tomasini,  on  .  fit   venir  deux 


Llemozina  pcr  la  Mndonmi  iDessiii  de  Th<» 


mas). 


Pères  Carmes  déchaussés  afin  de  ne  rien  omettre  pour  ramener  cette 
brebis  égarée  à  la  bergerie  ;  mais  ceux-ci  ne  furent  pas  plus  heureux. 
Ou  le  fit  alors  assister  à  la  messe,  on  employa  même  la  force  et  les 
Frères,  usant  de  violence  le  conduisirent  à  l'église. 

Le  prêtre  qui  célébrait  la  messe  avait  été  averti  du  fait  et  on  lui 
a^ait  suggéré  la  con<luite  à  tenir  pour  coopérer  à  la  conversion  de 
Tomasini.  Celui-ci  refusa  de  se  mettre  à  genoux  et  s'assit  sin-  un 
banc.  «  Alors  le  célébrant  se  tourna,  la  sainte  Hostie  à  la  main,  fit 
une  si  touchante  exhortation,  |»arla  avec  tant  d'onction  et  de  charité 
que  les  Frères  eux-mêmes  pleuraient  à  chaudes  larmes.  Le  condamné 


-9*s.X-.i»  _- 


438 


LA    PRÉLATURE'  DE    LÉON    XIII 


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restait  impassible  et  toujours  fermement  obstiné.  Il  ne  daigna  pas 
même  tourner  les  yeux  vers  l'autel;  bien  au  contraire,  il  se  couvrit  le 
visage  et  les  yeux,  de  ses  mains,  pour  ne  pas  voir.  La  messe  finie  et 
tous  les  moyens  épuisés,  les  Frères  commencèrent  à  lui  tourner  le 
dos,  à  le  menacer,  à  le  blesser  par  des  gestes  et  des  paroles  mor- 
dantes ;  mais  on  n'arriva  à  d'autre  résultat  que  de  donner  lieu  à  de 
pires  scandales»    -    _.       . 

Les  tortures  que  Tomasini  devait  endurer  n'étaient  pas  finies.  Les 
;  consolateurs,  pour  dernière  exhortation,  lui  firent  envisager  le  moment 
si  proche  du  supplice;  mais  Tomasini,  en  présence  du  notaire  de 
M^'^  le  Gouverneur,  dit  qu'il  vouait  à  l'infamie  les  prélats  et  les  car- 
dinaux et  qu'il  se  vengerait  aussi  des  juges.  Souvent  il  répétait  :  «Je 
jsais  et  je  parlerai.  Certainement,  cette  sentence  de  mort  n'aura  rien 
I  de  bien  agréable  pour  vous.  »  Ces  révélations,  que  Tomasini  voulait 
faire  avant  de  monter  sur  l'échafaud,  effrayèrent  le  notaire.  Il  courut 
•chez  le  Gouverneur  pour  lui  raconter  «  ce  que  le  Docteur  de  Sapience 
pensait  faire.  »  Vers  la  16°  heure,  le  barisel  de  Rome  arriva  avec 
tous  ses  gens  et  insista  pour  parler  au  prévôt,  ajoutant  que,  vu  les 
mauvaises  dispositions  du  coupable,  le  Gouverneur  avait  donné  l'ordre 
de  procéder  à  l'exécution.  Pour  éviter  le  cas  où  le  condamné  ne  con- 
sentirait pas  à  mettre  sa  tète  sur  le  billot,  il  fallait  l'appréhender  au 
;  corps.  Au  lieu  de  le  faire  marcher  à  pied  vers  le  lieu  de  l'exécution, 
on  devait  l'y  conduire  sur  une  charrette,  et,  <r  pour  qu'il  ne  dépar- 
1  lât  pas,  comme  il  se  proposait  de  le  faire,  on  devait  le  bâillonner.  » 
Si,  par  hasard,  il  ne  voulait  pas  se  résigner  à  l'exécution,  «  le  bour- 
reau, après  une  dernière  sommation,  devrait  l'étrangler  malgré  lui  et 
le  pendre  ensuite  à  la  potence.  » 

Tomasini  écouta  tout  tranquillement,  répondant  encore  qu'il  vou- 
lait mourir  en  damné.  Ces  paroles,  prononcées  d'un  ton  si  résolu  en 
apparence,  terrifiaient  tous  les  assistants.  On  fit  alors  entrer  le  Maître 
de  la  Justice  qui  lui  mit  la  corde  au  cou,  le  bâillon  à  la  bouche  ;  «  et 
puis,  pour  l'etlVayer  encore  davantage  et  mieux  le  llétrir,  il  saisit  un 
ciseau  et  lui  coupa  tous  ses  beaux  et  longs  cheveux  ».  On  l'obligea 
ensuite  à  assister  à  une  troisième  messe  et  on  l'exorcisa  après,  «  dans 
le  doute  qu'il  pût  avoir  le  démon  en  lui.  On  fouilla  aussi  avec  soin 
tous  ses  vêtements,  de  crainte  qu'il  n'eût  sur  lui  quelque  amulette 
qui  le  suggestionnât;  mais  ce  fut  peine  perdue,  il  persistait  oujours 
à  vouloir  aller  en  enfer.  »  La  chaleureuse  exhortation  du  prince  de 
Palestrina  n'eut  pas  plus  d'ascendant  sur  Tomasini.  On  conduisit  donc 
au  supplice  ce  condamné  qui  inspirait  de  l'horreur  à  tous  ceux  qui 


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LES    PRISONS    DE    L'ÉTAT    PONTIFICAL  439 

le  voyaient  si  mal  disposé  à  la  tavoleUa.  Lorsque  arriva  le  moment 
où  le  bourreau  devait  s'emparer  de  Tomasini,  celui-ci,  son  bâillon 
enfin  enlevé,  laissa  échapper  un  profond  soupir  et  dit  :  «  Ce  bâillon 
et  cette  corde  ne  conviennent  pas  à  mon  rang.  »  Les  Frères  alors 
firent  cercle  autour  de  lui,  remerciant  Dieu  de  lui  avoir  touché  le 
«^œur.  Ils  le  conduisirent  à  la  chapelle  où  Tomasini  se  repentit  de  son 
erreur  et  demanda  : 

«  4*  Qu'on  le  conduisît  aux  prisons  pour  seconfesser  et  communier; 

«  2°  Qu'avec  ses  cheveux  on  fît  une  perruque,  ou  bien  qu'on  lui  en 
procurât  une  de  même  couleur  que  ses  cheveux,  qu'il  mettrait  pour 
aller  à  la  mort; 

«  3'*  Qu'on  enlevât  la  corde  de  la  potence  et  qu'on  dressât  de  nou- 
veau l'échafaud  où  il  mourrait  sous  le  couperet,  comme  le  prescrivait 
la  sentence.  Dans  ces  conditions,  il  trépasserait,  après  s'être  réconcilié 
avec  Dieu  et  en  bon  chrétien.  » 

Les  paroles  de  Tomasini  étonnèrent  grandement  le  peuple  et  les 
Frères.  Dans  le  doute  que  ses  demandes  fussent  exaucées,  on  aima 
mieux  convaincre  le  patient  que  sa  récompense  serait  d'autant  plus 
grande  que  la  peine  lui  paraîtrait  plus  ignomineuse.  Mais  Tomasini, 
quipréféraitgagner  le  paradis  en  faisant  une  mort  honorable  plutôt 
que  de  perdre  la  vie  sur  la  potence,  recommença  son  histoire  de 
vouloir  aller  en  enfer.  Alors  les  Frères  envoyèrent  des  messagers  au 
Gouverneur  pour  implorer  les  faveurs  que  demandait  Tomasini,  vu 
que,  comme  dit  le  bon  narrateur,   «  il  s'agissait  du  salut  d'une  âme 
qui  vaut  autant  que  le  précieux  sang  de  Jésus-Christ  qui  l'a  rachetée, 
et  qu'on  éviterait  ainsi  à  la  ville  un  grand  scandale.  »  Les  prières  des 
Frères  triomphèrent  de  la  résistance  du  Gouverneur;  heureux  (fti'Ws 
étaient,    de  ne  pas   laisser  échapper  une  si  belle  occasion    de  se 
faire  honneur  à  eux-mêmes.  Le  Gouverneur  accorda  tout  ce  que 
demandait  Tomasini. 

«  Reconduit  en  prison,  il  revint  à  la  chapelle  oif  l'on  célébra  la 
messe.  S'étant,  d'abord,  confessé  avec  beaucoup  de  dévotion,  il 
demanda  pardon  du  scandale  qu*il  avait  donné,  récita  plusieurs  actes 
de  contrition  et  adressa  d'autres  prières  à  Dieu.  Ou  lui  apporta  ensuite 
une  perruque  de  même  couleur  que  ses  cheveux,  il  s'habilla  propre- 
ment, changea  de  col,  de  manchettes,  endossa  une  longue  tunique  de 
filoselle,  se  fit  raser,  comme  s'il  avait  à  se  présenter  devant  un  prince, 
et  sortit  ensuite  de  prison,  tout  en  récitant,  en  chemin,  les  Psaumes 
de  la  Pénitence  et  des  invocations  à  la  Madone.  Une  foule  nombreuse 
l'accompagnait.  Monté  sur  l'échafaud.  il  rendit,  d'abord,  grâces  à 


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LA    FRÉLATURE    DE    LÉON    XIII 

Dieu  et  à  la  sainte  Vierge,  enleva  son  manteau,  releva  sa  tuniques 
jusqu'à  la  ceinture,  se  réconcilia  avec  le  Père  Orazio,  demanda  par- 
don à  tous  les  assistants  du  scandale  commis,  supplia  le  peuple  de 
prier  Dieu  pour  lui,  pour  son  salut  éternel,  et,  sans  hésitation,  il  mit 
la  tête  sous  le  couperet  qui  la  sépara  du  buste.  On  la  montra  alors  au 
peuple,  et  on  transporta  process=onnellement  le  cadavre  jusqu'à 
l'église  de  Sainte  Ursule  du  Consolato.  » 

Nous  trouvons  à  une  époque  plus  rapprochée  la  «  Relation  de 
l'assassinat  que  commit  Mathias  Troiano,  valet  de  chambre,  sur  la 
personne  de  son  maître,  Monsignor  Franco  Zeccadoro,  prélat  des 
Lettres  latines  au  palais  du  Vatican  «.  Ce  malheureux,  pour  s'empa- 
rer d'une  somme  que  le  prélat  lui  avait  fait  encaisser,  essaya  de  le 
tuer,  eu  lui  tirant  un  coup  de  pistolet  entre  les  deux  épaules.  Pour 


La  marche  au  supplice  (Dessin  do  Thomas). 

éloigner  tout  soupçon,  il  lit  semblant  de  prodiguer  à  sa  victime  les 
soins  les  plus  empressés.  Mais  la  justice  eut  bientôt  entre  les  mains 
les  preuves  de  la  culpabilité  du  valet.  Mis  à  la  torture,  il  avoua  sou 
crinie.  Le  3  juillet  1703,  le  Gouvernement  réunit  son  Conseil  et,  h 
l'unanimité,  condamna  à  mort  ce  malheureux,  n  On  devait  le  frapper 
à  la  tète  d'un  coup  de  massue,  lui  couper  la  gorge  avec  un  coutelas, 
l'écarteler  et  le  vider  intérieurement.  »  Ses  membres  devaient  être 
exposés  en  pubiic,  sa  tête  placée  dans  une  cage  de  fer  et,  ad  publi- 
cam  reimemoriam,  être  ensuite  déposée  dans  une  niche,  au-dessus  de 
la  Porte  Angélique. 

Le  malheureux  Troiano  fut  promené  dans  Rome  sur  une  charrette. 
Le  peuple  le  suivait  en  grand  nombre,  répondant  aux  litanies  de  la 
Madone  que  chantaient  les  consolateurs.  On  «  pleurait  de  ten- 
dresse »,  dit  le  narrateur,  en  voyant  la  résignation  du  patient.  Mais 
venons-en  à  l'exécution  que  le  chroniqueur  raconte  ainsi  :  «  En  ce 
moment  arrive  le  bourreau.  Il  lui  enlève  son  chapeau  et  sa  perruque, 
lui  bande  les  yeux  et  le  conduit  ainsi  sur  Téchafaud.  Il  invite  alor^ 


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LES    PRISONS    DE    L'ÉTAT    PONTIFICAL 


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le  peuple  à  prier  pour  lui.  On  observa  que  le  condamné  était  faible 
sans  forces,  qu'il  se  tenait  à  peine  debout  et  que  les  consolateurs  le 
soutenaient.  On  l'obligea;!  s'agenouiller,  puis  le  Maître  de  la  Justice 
u.  ha  les  mains.  Au  moment  où  il  récitait  le  Miserere,  le  Maître  de 
la  Justice  le  frappa  d'un  coup  si  fort  à  la  tête  qu'il  le  jeta  à  terre 
sur  la  gauche.  La  violence  de  ce  premier  coup  fut  telle,  que  le  bour- 
reau n'en  put  donner  un  second  avec  la  même  force.  Il  lui  coupa 
ensuite  la  gorge  avec  son  coutelas,  lui  ouvrit  la  poitrine,  lui  trancha 
la  tête,  le  vida,  le  dégraissa,  l'éventra  et,  ayant  placé  les  boyaux 
dans  un  vase  de  terre,  suspendit,  pour  les  écarteler,  les  quatre  quar- 


-^■V'iiJj 


«  C/ii  vuol  vede  la  «  Pricissione  »  !  (Dessin  de  Thomas  (• 


tiers  du  corps  à  des  barres  en  bois,  autour  de  l'échafaud.  Quelques 
jours  après,  on  transporta  ces  restes  dans  l'église  de  San  Giovanni 
Decollato  où  une  foule  de  peuple  les  accompagna,  pour  gagner  les 
indulgences  que  les  pontifes  ont  attachées  à  cette  église.  Trois  fois  le 
malheureux  avait  changé  de  couleur.  En  sortant  de  prison,  il  étak 
blanc  comme  un  cierge;  dans  la  rue,  il  devint  rouge  comme  du  feu; 
ensuite  il  passa  au  violet  pâle  et  fut,  quand  il  mourut,  presque  noir! 

«  Le  peuple,  qui  était  accouru  pour  assister  à  cette  exécution,  y 
fut  si  nombreux  que  les  rues  des  bourgs  de  Saint-Pierre  regorgeaient 
d'une  foule  dense  à  surprendre  tout  le  monde.  La  Place  de  Saint- 
Pierre  était  encombrée  de  carrosses  et  les  fenêtres  des  Borghi  furent 


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1.1  [ 


LA    PRÉLAÏURE    DE    LÉON    XllI 

Dieu  et  à  la  sainte  Vierge,  enleva  son  manteau,  releva  sa  tunique 
jusqu'à  la  ceinture,  se  réconcilia  avec  le  Père  Orazio,  demanda  par- 
don  à  tous  les  assistants  du  scandale  commis,  supplia  le  peuple  de 
prier  Dieu  pour  lui,  pour  son  salut  éternel,  et,  sans  liésitalion,  il  mil 
la  tête  sous  le  couperet  qui  la  sépara  du  buste.  On  la  montra  alors  au 
peuple,  et  on  transporta  process=onnellement  le  cadaNre  jusqu'à 
l'église  de  Sainte  Ursule  du  Consolato.  » 

Nous  trouvons  à  une  époque  plus  rapprochée  la  «  Kelalion  de 
l'assassinat  que  commit  Mathias  Troiano,  valet  de  chambre,  sur  la 
personne  de  son  maître,  Monsignor  Franco  Zeccadoro,  prélat  des 
Lettres  latines  au  palais  du  Vjjtican  •>.  Ce  malheureux,  pour  s'em|Ki- 
rer  d'une  somme  que  le  prélat  lui  avait  l'ail  encaisser,  essava  de  le 
tuer,  eu  lui  tirant  un  coup  de  pistolet  entre  les  deux  épaules.  Pour 


La  marche  au  supplice  (Dessin  do  Thomas}. 

éloigner  tout  soupçon,  il  lit  semblant  de  prodiguer  à  sa  victime  les 
soins  les  plus  empressés.  Mais  la  justice  eut  bientôt  entre  les  mains 
les  preuves  de  la  culpabilité  du  valet.  Mis  à  la  torture,  il  aNoua  son 
crioM».  Le  :^  jmllet  I70;J,  le  Gouvernement  réunit  son  Conseil  et.  à 
l'unanimité,  condamna  à  mort  ce  malheureux.  ^<  On  devait  le  Irajqier 
à  la  tète  d'un  coup  de  massue,  lui  couper  la  gorge  avec  un  coutelas, 
l'écarteler  et  le  vider  intérieurement.  .  Ses  membres  devaient  être 
exposés  en  public,  sa  tête  placée  dans  une  cage  de  fer  et,  ad  pubU- 
cam  reimemoriam,  être  ensuite  déposée  dans  une  niche,  au-dessus  de 
la  Porte  Angélique. 

Le  malheureux  Troiano  fut  promené  dans  Rome  sur  une  charrette. 
Le  peuple  le  suivait  en  grand  nombre,  répondant  aux  litanies  de  la 
iMadone  que  chantaient  les  consolateurs.  On  «  pleurait  de  ten- 
dresse 8,  dit  le  narrateur,  en  voyant  la  résignatitm  du  patient.  Mais 
venons-en  à  l'exécution  que  le  chroniqueur  raconte  ainsi  :  «  Eu  ce 
moment  arrive  le  bourreau.  Il  lui  enlève  son  chapeau  et  sa  perrmpie, 
lui  bande  les  yeux  et  le  conduit  ainsi  sur  l'echafaud.  Il  invite  alors 


n 


LES    PRISONS    DE    L'ÉTAT    PONTIFICAL  441 

le  peuple  à  prier  pour  lui.  On  observa  que  le  condamué  était  faible 
sans  forces,  qu'il  se  tenait  à  peine  debout  et  que  les  consolateurs  le 
soutcnaienl.  On  l'obligea  ;i  s'agenouiller,  puis  le  Maître  de  la  Justice 
lui  ha  les  ina.us.  Au  uiouient  où  il  récitait  le  Mùierere,  le  Maître  de 
la  Justice  le  frappa  d'un  coup  si  fort  à  la  tête  qu'il  le  jeta  à  terre 
sur  la  gauche.  La  violence  de  ce  premier  coup  fut  telle,  que  le  bour- 
reau n'eu  put  donner  un  second  avec  la  même  force.  Il  lui  coupa 
ensuite  la  gorge  avec  son  coutelas,  lui  ouvrit  la  poitrine,  lui  trancha 
la  tête,  le  vida,  le  dégraissa,  l'éventra  et,  ayant  placé  les  bovauv 
dans  lin  vase  de  terre,  sus|.eiidit,  pour  les  écarieler,  les  quatre  quar- 


■<  Clii  l'Ilot  reite  la  «  l'iicissioni'  ..  !  (Oessiii  de  Tho 


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tiers  du  corps  à  des  barres  en  bois,  autour  de  l'echafaud.  Quelques 
jours  après,  on  tra  isporta  ces  restes  dans  l'église  de  San  Giovanni 
Decollato  où  une  foule  de  peuple  les  accompagna,  pour  gagner  les 
indulgences  que  les  pontifes  ont  attachées  à  cette  église.  Trois  fois,  le 
malhein-eux  avait  changé  de  couleur.  En  sortant  de  prison,  il  était 
hianc  comme  un  cierge;  dans  la  rue,  il  devint  rouge  comme  du  feu; 
ensuite  il  passa  au  violet  pâle  et  fut,  quand  il  mourut,  presque  noir! 

«  Le  peuple,  qui  était  accouru  pour  assister  à  cette  exécution,  y 
fut  si  nombreux  que  les  rues  des  bourgs  de  Saint-Pierre  regorgeaient 
d'une  foule  dense  à  surprendre  tout  le  monde.  La  Place  de  Saint- 
Pierre  était  encombrée  de  carrosses  et  les  fenêtres  des  Boriihi  furent 


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442 


LA   PRÉLATURE   DE  LÉON    XIII 


payées  deux  doppie  l'une,  et  plusieurs  fenêtres  et  maisons  dix  douze 
et  même  quinze  écus.  Tous  les  prélats,  pour  l'exemple,  y  'avaient 
envoyé  leurs  valets,  comme  le  firent  aussi  quelques  personnes  de 
qualité.  La  tête,  mise  dans  une  cage  de  fer,  fut  exposée  dans  une 
niche  sur  la  Porte  Angélique,  ad  perpétuant  memoriam  ;  et  les 
sœurs  du  condamné  furent  chassées  et  bannies  de  Rome,  jusqu'à  la 
troisième  génération.  » 

Le  peuple,  qui  pleurait  de  tendresse  et  qui  priait  pour  l'âme  des 
condamnes,  exigeait  que  les  exécutions,  fussent  faites  avec  habileté. 
On  allait  aux  exécutions,  comme  on  allait  au  théâtre.  La  foule  y 
invectivait  le  bourreau,  quand  il  remplissait  mal  sa  tâche;  absolument 
comme  aujourd'hui  on  jette,  des  galeries,  tomates  et  trognons  de  choux 
aux  acteurs  qui  n'ont  pas  su  plaire. 

Sous  le  règne  du  pape  Innocent  XI,  l'an  1088,  on  décapita  l'abbé 
Hivarola,  un  Génois  coupable  de  satires  et  libelles.  Le  narrateur  s'at- 
tarde à  démontrer  que  ce  condamné  n'était  point  parent  avec  le  célè- 
bre cardinal,  son  homonyme.  Pour  abréger,  passons  les  faits  et  gestes 
de  cet  abbe  et  laissons  la  parole  au  narrateur  qui  nous  racontera  ce 
qui  arriva,  durant  l'exécution.  .  La  dernière  nuit,  dit-il.  on  lui  accorda 
beaucoup  de  douceurs  pour  augmenter  ses  forces;  maison  ne  put 
arriver  a  le  faire  marcher,  tant  il  était  faible  de  corps  et  abattu  d'es- 
pnt.  Les  remèdes  furent  insuffisants  et  on  dut  se  résoudre  à  le  pla- 
cer sur  une  civière,  disons  mieux,  dans  un  cercueil,  le  même   où 
Ion  devait  ensuite  déposer  son  cadavre.  Comme  ses  forces  allaient 
toujours  en  diminuant,  on  le  porta,  demi-mort,  jusqu'à  l'échafaud 
dans  cette  bière.  Le  peuple  fut  étonné  de  le  voir  amener  de  celte  manière' 
et  on  s'approcha  en  foule  de  l'échafaud  pour  l'y  dévisager  et  l'y  voir 
monter.  Les  sbires,  en  raison  des  bousculades  qu'ils  recevaient  ciomme 
aussi  les  consolateurs,  tapaient  à  coups  de  bâton,  sans  égard.  Rivarola 

arrivasurl'échafaudconduitpar  les  consolateurs  et  lesautres  personnes. 
Le  Maître  de  la  Justice,  qui  ne  savait  trop  comment  s'y  prendre  pour 
le  mettre  sur  la  planche,  restait  tout  bouleversé  de  ne  pouvoir  le 
manier  à  sa  guise.  Finalement,  ayant  réussi  à  le  placer  sous  le  tran- 
chant du  couperet,  il  lâcha  la  corde  et  la  lame  tomba  entre  le  cou  et 
les  épaules.  Le  bourreau,  pour  réparer  son  erreur,  prit  un  coutelas 
et  trancha  lui-même  le  cou.  Voyant  cela,  le  peuple  se  précipita  vers 
I  echataud  poui-  le  lapider.  Au  milieu  des  hurlements,  des  sifflets  et 
des  cris,  on  voulait  renverser  l'échafaud.  Les  sbires,  bien  que  le  mal- 
heureux fût  mort,  pour  ne  pas  laisser  insulter  le  Maître  de  la  Justice 
saisirent  leurs  carabines,  les  armèrent  et  les  braquèrent  sur  le  peuple 


MM^"^^»:^-^ 


LES    PRISONS    DE    L^ETAT    PONTIFICAL  443 

«fin  de  Teffrayer.  Pendant  ce  temps,  d'autres  sbires  faisaient  ouviir 
nn  passage,  à  coups  de  bâton;  ce  qui  occasionna  un  accident.  Un 

-soldat  des  milices  du  pape  fut  frappé  à  la  tête,  pendant  qu'il  était  en 
faction.  Il  mit  la  main  à  l'épée;  mais  en  voyant  la  carabine  armée, 

A\  se  contint. 

«  Les  gestes  du  sbire  et  du  soldat  effrayèrent  le  peuple  qui  recula. 
^Une  poussée  tumultueuse  eut  lieu,  plusieurs  personnes  furent  foulées 
aux  pieds  et  le  barisel,  se  trouvant  au  milieu  de  la  mêlée,  faillit  y 
périr.  Il  y  laissa  son  manteau  de  soie,  et  d'aucuns  essayèrent  de  le 
renverser  lui-même  à  terre.  Le  tumulte  augmentait.' Le  barisel, 
échappé  à  la  foule,  marchant  sur  ceux  qui  étaient  tombés,  avait 
j)erdudansle  tumulte  son  manteau,  sa  perruque  et  son  épée.  La 


Après  l'exécution  [Dessin  de  Thomas). 

place  entière  s'échauffait.  J'ai  dit  que  la  houle  croissait.  Le  soldat,  son 
épée  à  la  main,  échappant  à  la  foule,  traversa  le  pont  au  pas  de 
charge  pour  aller  donner  l'alarme  à  ses  compagnons  et  leur  demander 
aide  afin  de  venger  cet  affront.  La  sentinelle  du  château,  placée  sur  les 
murs  de  la  forteresse,  se  rendit  compte  des  faits  et,  immédiatement, 
fil  un  rapport  sur  ce  qu'elle  prévoyait  devoir  arriver.  La  garde  de  la 
porte  mobilisa  quinze  soldats  en  armes  qui,  en  dehors  de  la  chaîne 
servant  de  barrière,  étaient  déjà  sur  les  rangs.  On  aperçut,  en  ce 
moment,  vingt  soldats  qui  accouraient  de  Saint-Pierre,  fusil  en 
mains,  pour  affronter  les  sbires.  Trente  soldats,  armés  de  piques, 
drapeau  en  tête,  se  rangèrent  sur  la  voie,  les  arrêtèrent  et  les  obli- 
gèrent à  rebrousser  chemin.  Et  ceci  arriva  à  point,  grâces  à  Dieu  ; 
•car,  si  les  soldats  n'eussent  pas  rencontré  cet  obstacle,  on  aurait  eu 
certainement  à  déplorer  un  vrai  carnage  de  peuple,  d'autant  plus  grand 
que  la  Place  du  Pont  était  bondée  de  monde  et  que  la  mêlée  durait 
'encore.  Les  sbires  devenaient  de  plus  en  plus  insolents,  et  on  vit  le 


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LA    PRÉLATURE   DE   LÉON    XIII 


payées  deux  doppie  l'une,  et  plusieurs  fenêtres  et  maisons  dix  douze 
et  même  quinze  écus.  Tous  les  prélats,  pour  l'exemple,  y  'avaient 
envoyé  leurs  valets,  comme  le  firent  aussi  quelques  personnes  de 
qualité.  La  tête,  mise  dans  une  cage  de  fer,  fut  exposée  dans  une 
niche  sur  la  Porte  Angélique,  ad  perpetuam  memoriam  ;  et  les 
sœurs  du  condamné  furent  chassées  et  bannies  de  Rome,  jusqu'à  la 
troisième  génération.  » 

Le  peuple,  qui  pleurait  de  tendresse  et  qui  priait  pour  l'âme  des 
condamnes,  exigeait  que  les  exécutions,  fussent  faites  avec  habileté. 
On  allait  aux  exécutions,  comme  ou  allait  au  théâtre.  La  foule  y 
invectivait  le  bourreau,  quand  il  remplissait  mal  sa  tâche;  absolument 
comme  aujourd'hui  on  jette,  des  galeries,  tomates  et  trognons  de  choux 
aux  acteurs  qui  n'ont  pas  su  plaire. 

Sous  le  règne  du  pape  Innocent  XI,  Tan  1088,  on  décapita  l'abbé 
Kivarola,  un  Génois  coupable  de  satires  et  libelles.  Le  narrateur  s'at- 
tarde à  démontrer  que  ce  condamné  n'était  point  parent  avec  le  célè- 
brecardmal,  son  homonyme.  Pour  abréger,  passons  les  faits  et  gestes 
de  cet  abbeet  laissons  la  parole  au  narrateur  qui  nous  racontera  ce 
qui  arriva,  durant  l'exécution.  «  La  dernière  nuit,  dit-il,  on  lui  accorda 
beaucoup  de  douceurs  pour  augmenter  ses  forces;   mais  on  ne  put 
arriver  à  le  faire  marcher,  tant  il  était  faible  de  corps  et  abattu  d'es- 
prit. Les  remèdes  furent  insuffisants  et  on  dut  se  résoudre  à  le  pla- 
cer sur  une  civière,  disons  mieux,  dans  un  cercueil,  le  même   où 
Ion  devait  ensuite  déposer  son  cadavre.  Comme  ses  forces  allaient 
toujours  en  diminuant,  on  le  porta,   demi-mort,  jusqu^'i  réchataud 
dans  celle  bière.  Le  peuple  fut  étonné  de  le  voir  amener  de  cette  manière' 
et  on  s^tpprocha  en  foule  de  Téchafaud  pour  l'y  dévisager  et  l'v  voir 
monter.  Les  sbires,  en  raison  des  bousculades  qu'ils  recevaient,  comme 
aussi  les  consolateurs,  tapaient  à  coups  de  bâtoi:,  sans  égard.  Rivarola 

arrivasurréchafaudconduitparlesconsolateursetlesautres  personnes. 
Le  Maître  de  la  Justice,  qui  ne  savait  trop  comment  s'v  prendre  pour 
le  mettre  sur  la  planche,  restait  tout  bouleversé  de"ne  pouvoir  le 
manier  à  sa  guise.  Finalement,  ayant  réussi  à  le  placer  sous  le  tran- 
chant du  couperet,  il  lâcha  la  corde  et  la  lame  tomba  entre  le  cou  et 
les  épaules.  Le  bourreau,  pour  réparer  son  erreur,  prit  un  coulelas 
et  trancha  lui-même  le  cou.  Voyant  cela,  le  peuple  se  précipita  vers 
1  echalaud  pour  le  lapider.  Au  milieu  des  hurlements,  des  sifllels  et 
des  cris,  on  voulait  renverser  l'échafaud.  Les  sbires,  bien  que  le  mal- 
heureux  fut  mort,  pour  ne  pas  laisser  insulter  le  Maître  de  la  Justice 
saisirent  leurs  carabines,  les  armèrent  et  les  braquèrent  sur  le  peuple 


LES    PRISONS    DE    L'ETAT    PONTIFICAL  443 

afin  de  l'effrayer.  Pendant  ce  temps,  d'autres  sbires  faisaient  ouvj-ir 
un  passage,  à  coups  de  bâton;  ce  qui  occasionna  un  accident.  Un 
soldat  des  milices  du  pape  fut  frappé  à  la  tête,  pendant  qu'il  était  en 
faction.  Il  mit  la  main  à  l'épée;  mais  en  voyant  la  carabine  armée, 
•il  se  contint. 

«  Les  gestes  du  sbire  et  du  soldat  effrayèrent  le  peuple  qui  recula. 
Une  poussée  tumultueuse  eut  lieu,  plusieurs  personnes  furent  foulées 
aux  pieds  et  le  barisel,  se  trouvant  au  milieu  de  la  mêlée,  faillit  y 
périr.  Il  y  laissa  son  manteau  de  soie,  et  d'aucuns  essayèrent  de  le 
renverser  lui-même  à  terre.  Le  tumulte  augmentait.' Le  barisel, 
échappé  à  la  foule,  marchant  sur  ceux  qui  étaient  tombés,  avait 
perdu  dans  le  tumulte  son  manteau,  sa  perruque  et  son  épée.  La 


Après  rexéciitioii    Dessin  de  Thomas). 

place  entière  s'échauffait.  J'ai  dit  que  la  houle  croissait.  Le  soldat,  son 
épée  à  la  main,  échappant  à  la  foule,  traversa  le  pont  au  pas  de 
charge  pour  aller  donner  ralarmcà  ses  compagnons  et  leur  demander 
aide  afin  de  venger  cet  affront.  La  sentinelle  du  château,  placée  sur  les 
murs  de  la  forteresse,  se  rendit  compte  des  faits  et,  immédiatement, 
fit  nu  rapport  sui  ce  qu'elle  prévoyait  devoir  arriver.  La  garde  de  la 
porte  mobilisa  quinze  soldats  en  armes  qui,  en  dehors  de  la  chaîne 
servant  de  barrière,  étaient  déjà  sur  les  rangs.  On  aperçut,  en  ce 
moment,  vingt  soldais  qui  accouraient  de  Saint-Pierre,  fusil  en 
mains,  pour  affronter  les  sbires.  Trente  soldats,  armés  de  piques, 
drapeau  en  tête,  se  rangèrent  sur  la  voie,  les  arrêtèrent  et  les  obli- 
gèrent à  rebrousser  chemin.  Ut  ceci  arriva  à  point,  grâces  à  Dieu; 
car,  si  les  soldais  n'eussent  pas  rencontré  cet  obstacle,  on  aurait  eu 
certainement  à  dé|)lorer  un  vrni  carnage  de  peuple,  d'autant  plus  grand 
que  la  Place  du  Pont  était  bondée  de  monde  et  que  la  mêlée  durait 
•encore.  Les  sbires  devenaient  de  plus  en  plus  insolents,  et  on  vit  le 


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LA    PRÉLATURE    DE   LÉON    XIII 


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malheureux  bourreau  si  maltraité  et  si  criblé  de  coups  qu'il  en  faisait 
p.t.e.  Pendant  ce  temps,  le  barisel  était  revenu,  en  compagurde 
nouveaux  sl-ires.  On  lui  rendit  son  manteau  en  loques.  Le  tumulte 
s  apaisant,  le  cadavre  du  supplicié  fut  mis  dans  la  bière  couverte  et 
porté  processionnellement  à  l'endroit  habituel  du  Consolato,  où  il 
ut  enseveli.  Pendant  que  le  Maître  de  la  Justice  démolissait  ivrha- 
faud,  les  sbires  s'emparèrent  de  lui,  et,  le  lendemain  matin,  fustigé 
dans  les  mes  de  Rome  par  une  foule  de  gens  sans  aveu  qui  l'accom- 
pagnaient de  leurs  hurlements  et  de  leurs  sifflets,  il  fut  ensuite  recon- 
duit en  prison  el  exilé  enfin  des  Etats  pontificaux.  . 

Le  premier  samedi  de  Carnaval,  3  février  17-20,  l'abbé  Gaétan 
Volpini,  de  Piperno,  jeune  homme  de  22  ans,  fut  décapité  au  Campo 
Vaccino,  comme  auteur  de  publications  calomnieuses  el  séditieuses 
Le  chanoine  Assetato  (Don  Nicolo  Liborio  Vezzoni,  de  IVato)  raconte 

T^llXT-  '?  ''Z' ^  ^"'''- '"'''  ''^  mois  de  prison  (1719-20) 
I  abbé  Volpini  fut  jugé  comme  foglieltante  (chroniqueur  et  corres- 
pondant de  jo,.r„aux).  Il  avait  écrit  à  Vienne  au  comte  de  Sissen- 
dorff  et  critique  la  vie  et  l'hon.eur  du  pape  Clément  XI  (.\lbani)  et  de 
tiementine  Sobiescki,  alors  épouse  de  Jacques  III.  roi  prétendant  de  la 
Grande-Bretagne.  On  le  condamna  finalement,  comme  coupable  des 
délits  susdits,  à  avoir  la  tète  tranchée.  On  dressa  l'échafaud  au  Campo 
Vaccino,  et,  le  samedi  matin,  ou  vit  conduire  l'abbé  Volpini  au  lieu 
fixé  pour  son  supplice.  Les  Frères  de  la  Compagnie  de  Saiiil-Jean-dos- 
Horentins  I  accompagnaienl,  selon  l'usage  et  le  bon  père  Galluzri 
jésuite   I  assistait,  l'end.ut  que  le  peuple,  accouru  eu  foule,  attendaii 
la  fin  de  celle  scène  sanglante,  le  susdit  Assetato  entendit  un  abbé 
qu  11  ne  connaissait  pas,  lire  à  ses  compagnons  l'épigraphe  que  nous 
reproduisons  ci-après,  épigraphe  que  le  patient  avait  lui-même    om- 
posee  pour  être  gravée  sur  la  pierre  de  son  tombeau  : 

«  D.  Caietanus,  Vulpinius  Pipenius,  Veritatis  amator,  sub  Cle- 
menUna  tyrannide  obtruncalus,  victoriœ  palman  oblinuit.  Ex.  S 

^'  ^-  "'  Q.  H.  y> 

Assetato.  entendant  de  telles  impiétés,  comprit  qu'il  n'était  pas 
en  bonne  compagnie  et  s'éloigna.  Nous  ajouterons  que  Volpini 
n  avait  point  fait  imprimer  sa  rplatinn    i  o  •. 

rna.n  <>„         •        ""*"'"'^'   sa  lelation.  Le   manuscrit   passant   de 

n  T"\  *'"   ^P'«"°''''    "«"«  »  Vienne,  en  avait  eu  con- 

naissance. Il  dénonça  le  fait  au  pape  qui  en  fut  d'autant  plus  vexé 
qu     son  intimite  avec  l'ex-reine  Clémentine  était  connue  de  tous. 

IT,T-        ?T''  "*"'  ""'  ^'™'"  ^«""'«  "««  horribles  prisons 
sénatoriales  du  Capitole,  prisons  creusées  dans  le  rocduTabularium 


LKS    PRISONS    DE    L'ÉTAT    PONTIFICAL  m 

foire  r:re;'r  "lot":;  t"^^-  "  -^^  "-^'"  -  ^'^^-^ 

intmeas.  il  saluait^det  ^J^^:!^^  Z  c^lîuef  Ts  ^ 
les  messieurs  et  les  dames  qu'il  avait  amusés  avec  ses^  pTa^ameZ' 
pendVrCamnfdrF'''"'*'  t»»-"'"- Spadaccino  d'Orvieto  esi 

S  con'c  rde  pe'ul  \  tTT''^  '"''''  "  ™'"*"  '''"" 
usurpé  le  tiire  de  prêt''  '"  "''  ""^""'"   ''"^''''   '''*^0"- 


1><'  prolundis  clamavi  {Dessin  de  Thomas). 


Le  samedi,  23  juin  1717,  on  pendit  Antoine  Casiellani  22  ans 

mort  en  8  jours.  On  voulait  faire  nu  exemple. 

En   1734,  on  arrêta  un  vieillard  de  72  ans,  Marc  Antoine  Troiani 
pour  vol  de  bétail.  C'était  un  fameux  voleur  de  cheveu     Comme  i 
avait  sponianément  avoué  le  délit,  il  croyait  s'en  tirer  avec  qudq  e 
années  de  prison.  Il  fu,,  au  contraire,  condamnéà  la  pendaison  Ce,  e 
condamnation  le  rendit  furieux   et  il   refusa   de  se  convertir     es 
consolateurs  le  tor.urèrent.  d'abord,  moralement.  N'ayant  Ta  réuî 
à  le  convaincre,  ils  employèrent  la  cire  liquéfiée  e.  pr  es  pi  qu" 


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II 


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LA    PRKLATURE    DE    LÉO.V    XUf 


malheureux  boun-ea..  si  maltraité  et  si  criblé  de  coups  qu'il  en  faisait 
p.t.c.  Pendant  ce  temps,  le   barisel  était  revenu,  en  compagnie  de 
nouveaux  sLires.  On  lui  rendit  son  manteau  en  loques.  Le  t'umulle 
s  apaisant,  le  cadavre  du  supplicié  fut  mis  dans  la  bière  couxerie  et 
porté  proccssion,.elle.neu(  à  l'en.lroit  habituel  du  Consolalo,  où  il 
ut  enseveli.  I>cudant  que  le  .Maître  de  la  Justice  démolissait  IVcha- 
faud,  les  sbires  s  emparèrent  de  lui,  et,  le  lendemain  matin,  fusti-é 
dans  les  rues  de  Rome  par  une  foule  de  gens  sa.,s  aveu  qui  racconi- 
pajînaient  de  leurs  hurlements  et  de  leurs  sifflets,  il  fut  ensuite  recon- 
duit en  prison  et  e.xilé  enliii  des  Etals  pontilicaii.v.  » 

Le  premier  samedi  de  Carnaval,  3  février  Irli),  labbé  Gaétan 
VoliMiii,  de  l'iperno,  jeune  homme  de  ±2  ans,  fut  décapité  au  Campo 
\ac.;,no.  comme  auteur  de  publications  calomnieuses  et  sé.|iiieu,ses 
Le  cliaimiiie  Assetato  (Don  .Nicole  Liborio  Vezzoni,  de  Praio)  ra-.mle 
•lue    durant  son  séjour  à  IJome.  après  six  mois  de  prison  (171  !l->Oi 
labbe  Voipini  fut  jugé  comme  logliellanle  .cliroiiiqueiir  et  corrës- 
pondunt  de  journaux..  Il  avait  écrit  à  Vienne  au  comte  de  Sissen- 
dorft  et  critiqué  la  vie  et  riion,;eur  du  pape  Clément  XI  (.VIbani .  et  ,1e 
Ueiii,.Ml,ne  .Sobiescki,  alors  épouse  de  Jacques  III,  roi  prétendant  de  la 
Oraude-IJrelague.  On  le  condamna  f.nalement,  connue  coupable  .les 
délits  susdits,  a  avoir  la  tète  tranchée.  Ou  .Ires.sa  l'écl.afaud  au  Cauipo 
^ acc.no,  et,  le  samedi  matin,  ou  vit  conduire  labbé  Volpiui  au  lieu 
fixe  pour  son  supplice.  Les  Frères  de  la  Compagnie  de  Saint-Jean-des- 
Noivntins  laccompngnaie.il,  selon  l'usage  et   le  bon  pè.-c  (ialluz/i 
.lesuite   1  assistait.  I>enda..l  que  le  peuple,  accouru  en  foule,  atlendaii 
la  fi.,  de  celte  scè.ie  sangla..te,  le  susdit  .\ssetato  e..ie..dit  u.i  abbé 
<V>  Il  ..e  co..naissai(  pas,  lii^e  à  ses  co...pag.,ons  répig.v,pl.e  .p,e  nous 
.ep.;odu.sons  c.-après,  épig.aphe  q,.e  le  pal.c.t  avait  lui-même  com- 
posée pour  éiie  giaNée  sur  la  pie.Te  de  son  tombeau  • 

«  D.  Caielanm,  Vidinnim  Pipernus,  Veritalis  amalor,  sub  Cle- 
mmlniu  lyranmde  oblruncalus,  vidoriœ  palman  ohlinnil.  Ex.  S. 
^-  ^-  "'  Q-  II.  » 

Assetato.  entcdant  de  telles  i.,.piétés,  comp.-it  .m'il  n'était  pas 

'.vai,"r?r'""'*'    ''"'"°"'-  ^"''  "J''»''^'-»"^  '1"«   Volpini 
"..^a.t  po..,t  ta.t  .mpri..,er  sa  .elation.   Le   .,.an,.scrit   passant   de 

"«a...  ,.„    mai,.,    M.^   Spignola,    nonce  à  Vien..e,  en  avait  eu  c.m- 

na.ssance.  Il  déno..ça  le  fait  au  pape  qui  en  fut  d'a,.tan,  plii.s  ,exé 

<i^  son   intimité  avec  lex-reine  Clémenti..e  était  connue  de  lot.s. 

>olp.n.    nt  enler...é  dans  une  ét.-oite  cellule  des  hc-ribles  p,-isons 

seuatonales  du  Capitole,  p..sons  censées  dans  le  rocduTabnla.i,..„ 


11». 


sik-i^itit 


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LliS    PRISONS    DK    L'ÉTAT    PONTIFIC  VL  4» 

;."n.„se,  il  saluait'det  t^^-'hari  s^s  ^IZ^Z  /lï 
les  ...ess.eu,.s  et  les  dames  qu'il  avait  amusés  avec  ses^  Ssa.Ue, "4 

:i  eit  r  d"  ;;:;;  ",-,  t:u"r''  ""'"'  -' "^"  "•-" 

usurpé  le  ti..e  de  ,,.S  ''"'""''  ''"'^''"'   '^'''^»"' 


ff''  profiiiK/is  (lamavi  (Dessin  de  Thomaa). 


pou     "vole     •'"'■'  ""•  °"  •""""  •^■"-•-e  <^-'Hlani,  2^2  ans, 
mort  e..  «jours.  Ou  voulait  faire  un  exemple. 

pou."  vïï;  ;",;'.•;•'"''!, !"';''^'"»'-d  de  -2  ans,  Ma.-c  Antoine  Troiani. 
pou    vol  de  beta.1.  C'était  un  fameux  voleur  de  chevaux   Comme  i 
ava,t  spo„,a..ément  avoué  le  délit,  il  croyait  s'en  ti.er  avec  q.Z  e 

condamnalion  le  rendit  fu.-ieux    et  il    .-efusa    de  se  convertir    I  es 

rr  :;::;:?? '•^^^";-  ''''"-''  "'^^^'«"'-'-  ^-aya:  «rj;:; 

convaincre,  .Is  employere.it  la  cire  liquéfiée  et  puis  les  plaques 


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446 


LA    PRÉLATURE    DE   LÉON    XIII 


de  fer  rougies  au  feu.  Ces  tortures  n'ayant  pas  persuadé  le  coupable^ 
le  bourreau  impatienté  le  mallraila  d'abord,  puis,  lui  ayant  passé  la 
corde  au  cou,  fit  semblant  deTélrangler.  Le  vieillard  effrayé,  peut- 
être  encore  plus  du  bourreau  que  du  démon,  fît  sur-le-champ  recom- 
mander son  âme  à  Dieu. 

L^abbé  Benedetti,  dans  sa  jeunesse,  n'enregistraitpas  les  exécutions 
capitales.  Son  âme  tendre  se  contenta  de  noter  les  actes  de  férocité 
qui  relevaient  de  la  justice,  lorsque  les  temps  nouveaux  (1793,  etc.) 
changèrent  en  partie  l'aspect  de  Rome.  Nous  avons  déjà  vu,' dans 
son  Journal  de    1798,  qu'il  enregistra  presque  tous  les  cas  où  les 
Français,  d'abord,  et  ensuite  les  Napolitains  firent  fusiller  quelque  mal- 
heureux. Il  y  a,  au  contraire,  quelques  annotations  de  grâces  accor- 
dées aux  condamnés  par  le  privilège  des  Confraternités  qui,  comme 
nous  l'avons  dit,  possédaient  cette  bagatelle  de  puissance  souveraine. 
Le  dimanche,  29  septembre  1793,  Benedetti  assista  à  une  proces- 
sion,  dans  la  rue  Giulia.  On  y  portait  Joseph  Marinese,  de  Marino, 
condamné  à  dix  ans  de  galères  pour  homicide.  Il  fut  libéré  par  l'Ar- 
chiconfraternité  de  VOrazione  e  Morte,  le  jour  de  la  Saint-Michel. 
On  n'exécutait  pas   toujours  les  assassins  et,  l'année  suivante 
Benedetti  est  heureux  de  noter  qu'à  la  Confraternité  de  la  Divine 
Pitié  des  détenus,  près  San  Giovianni  délia  Pigna,  sous  la  présidence 
des  cardinaux  Albani  et  Archinto,  on  rendit  compte  de  la  ^'estion  et 
on  démontra  qu'on  avait  déboursé  436  écus  romains  pour  la  déli- 
vrance  de  24  détenus  pour  dettes.  D'autres  Confraternités  avaient 
encore  le   privilège  de  délivrer  les  détenus.   Par  exemple,  celle  de 
Sainte-Catherine-de-Sienne,    rue   Giulia,   délivrait  des  galères  un 
voleur  et  un  assassin,  et,  le  second  diman^e  de  mai,  elle  portait  le 
malfaiteur  en  procession. 

Il  n'y  a  rien  d'étonnant  à  ce  qu'on  libérât  un  détenu,  en  payant  ses 
detles,  puisqu'on  délivrait  aussi  les  malfaiteurs  en  payant  une  certaine 
somme.  Il  y  avait  un  tarif  pour  chaque  cas.  Nous  relevons,  en  effet,, 
dans  un  rapport  de  la  légation  autrichienne  qu'on  délivrait,  moyen- 
nant 40  écus  environ,  un  homme  condamné  à  dix  ans  de  galères.  Le 
dernier  que  fit  mettre  en  liberté  la  Compagnie  de  Saint-Jérôme 
fut  un  assassin  du  nom  de  Checco  le  vacher,  condamné  à  mort 
en  1824.  La  Compagnie  alla  le  prendre  solennellement  aux  Prisons 
Neuves  et  le  conduisit  dans  sa  propre  église,  via  Monserrato.  Après 
avoir  assisté  à  la  messe,  le  condamné  revêtit  les  habits  de  la  Confra- 
ternité et,  une  couronne  d'or  sur  la  tête,  il  fut  processionnellement 
porté  en  triomphe,  comme  un  conquérant 


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LES    PRISONS    DE    L'ÉTAT    PONTIFICAL  447 

David  Silyagni,  qui  fut  Théritieret  le  vuli-arisateurdes  papiers  do. 
thumes  de  l'abbé  Benede.ti,  lermine  le  trop  long  exposé  des  nei^iet 
cap.ta.es,  survenues  dans  l'État  pontiflcal  àlravefs  ZZtp.T^U, 


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TJZLL  >•  D  r""'™'"  '^'  Mr  Traietto.  et  dont  l'exécution 
TcZT  r  ■^^'''  '^"  ^°"  Saint-Ange,  le  23  janvier  1823. 
«  Cette  exécution,  ajoute-t-il,  fut  la  dernière  que  connut,  pour  le 


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LA    PRÉLATURE    DE    LÉON    XlII 


de  fer  rougies  an  feu.  Ces  tortures  n'ayant  pas  persuadé  le  coupable^ 
le  bourreau  impatienté  le  maKraita  d  abord,  puis,  lui  ayant  passé  la"^ 
corde  au  cou,  fit  semblant  de  l'éiran-ler.  Le  vieillard  effrayé,  peut- 
être  encore  plus  du  bourreau  que  du  démon,  fit  sur-le-champ  recom- 
mander son  Ame  à  Dieu. 

L'abbé  Benedetti,  dans  sa  jeunesse,  n'enrej^istrait  pas  les  exécutions 
capitales.  Son  âme  tendre  se  contenta  de  noler  les  actes  de  férocité 
qui  relevaient  de  la  justice,  lors(iue  les  temps  nouveaux  (1703,  etc.) 
changèrent  en  partie  l'aspect  de  Rome.  Nous  avons  déjà  vu,' dans 
son  Journal  de    1798,  qu'il  enregistra  presque  tous  les  cas  où  les 
Français,  d'abord,  et  ensuite  les  Napolitains  fireiil  fusiller  quelque  mal- 
heureux.  11  y  a,  au  contraire,  quelques  annotations  de  (fràces  accor- 
dées aux  condamnés  par  le  privilège  des  Confraternités  qui,  comme 
nous  l'avons  dit,  possédaient  cette  bagatelle  de  puissance  souveraine. 
Le  dimanche,  29  septembre  179:^,  Benedetti  assista  à  une  proces- 
sion,  dans  la  rue  Giulia.  On  y  portait  Joseph  Marinese,  de  Marino, 
condamné  à  dix  ans  de  galères  pour  homicide.  Il  lut  libéré  par  l'Ar- 
chiconfraternité  de  VOraxdone  e  Morte,  le  jour  de  la  Saint-Michel. 
On  n'exécutait  pas    toujours  les  assassins  et,  l'année  suivante, 
Benedetti  est  heureux  de  noter  qu'à  la  Confraternité  de  la  Divine 
Pitié  des  détenus,  près  San  Giovianin'  della  Pigna,  sous  la  présidence 
des  cardinaux  Albani  et  Archinto,  on  rendit  compte  de  la  gestion  et 
on  démontra  qu'on  avait  déboursé   im  écus  romains  pour  la  déli- 
vrance  de  24  détenus  pour  dettes.  D'autres  Confraternités  avaient 
encore  le    privilège  de  délivrer  les  détenus.    Par  exemple,  celle  de 
Sainte-Catherine-de-Sienne,    rue   Giulia,    délivrait  des  galères  un 
voleur  et  un  assassin,  et,  le  second  diman^e  de  mai,  elle  portait  le 
malfaiteur  en  procession. 

Il  n'y  a  rien  d'étonnant  à  ce  qu'on  libérât  un  détenu,  en  payant  ses 
dettes,  puisqu'on  délivrait  aussi  les  malfaiteurs  en  payant  une  certaine 
somme,  il  y  avait  un  tarif  pour  chaque  cas.  Nous  relevons,  en  effet, 
dans  un  rapport  de  la  légation  autrichienne  qu'on  délivrait,  moyen- 
nant 40  écus  environ,  un  homme  condamné  à  dix  ans  de  galères.  Le 
dernier  (pic   fit  mettre  en  liberté   la   Compagnie   de   Sahit-Jérùme 
fut  un    assassin  du  nom  de  Checco  le  vacher,  condamné   à   mort 
en  1824.  La  Compagnie  alla  le  [»rendre  solennellement  aux  l>risons 
Neuves  et  le  conduisit  dans  sa  propre  église,  via  Monserrato.  Après 
avoir  assisté  à  la  messe,  le  condamné  revêtit  les  habits  de  la  Confra- 
ternité et,  une  couronne  d'or  sur  la  tête,   il  fut  processionnellement 
porté  en  triomphe,  comme  un  conquérant 


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LES    PRISONS    DE    LÉTAT    l'ONTIFICVL  H7 


iges,  par  celle 


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de  Joseph  Franconi,  ...eurlrioi-  de  M»- IVaietto,  et  do..t  l'exéoutio» 
eut  l,eu  sur  la  v,eille  Pkce  du  fort  Saint-Ange,  le  ^23  janvier  1823 
«  Cette  exécution,  ajoule-t-il,  f.a  la  dernière  que  connut,  pour  le 


a 


Us 


LA   PRÉLATURE   DE    LÉON    XIII 


1'^ 


compte  du  Gouvernement  ecclésiastique,  le  bourreau  Jean-Baptiste 
Burgatti;  parce  qu'à  dater  de  cette  époque,  les  condamnés  à  mort 
eurent  la  tète  tranchée.  Burgatti.  dans  l'espace  de  nombreuses  années 
exécuta  517  condamnés  à  mort  qui,  par  la  disposition  de  la  peine  et 
la  manière  barbare  de  l'exécution,  ressemblaient  plus  à  des  ven- 
geances et  à  des  martyres  qu'à  des  actes  de  justice  humaine  »  Le  com- 
pâtissant  auteur  de  la  Corte  e  la  Società  Homaîia  nei  Secoli  XVIII  e 
XIX  ne  nous  dit  pas  si  la  loi  Beccaria,  qui  a  aboli  les  exécutions  capi- 
tales dans  le  nouveau  royaume  unifié  d'Italie,  y  a  diminué  les  crimes 


Une  porte  extérieure  du  J^'ort  de  Saint-Auge. 

et  multiplié  les  vertus  à  la  faveur  desquelles  un  État  peut  se  passer, 
non-seulement  du  bourreau,  mais  du  gendarme  même. 

A  coup  sûr,  la  Rome  actuelle  paraît  moins  effrayante  au  voyageur 
qui  passe  sous  la  Porte  Angélique  sans  y  troiiver,dans  sa  niche  tra- 
ditionnelle, la  tête  du  dernier  décapité  parlant  et  prêchant  même 
d'exemple  macabre.  Le  château  Saint-Ange  n'a,  non  plus,  rien  perdu 
de  bien  réjouissant  aux  yeux  qui  n'y  voient  plus,  pendus  aux  som- 
bres mâchicoulis  des  monstrueuses  barbacanes,  ces  corps  de  sup- 
pliciés qui  servaient,  autrefois,  de  couronne  à  la  tour  et  de  pâture  aux 
corbeaux.  Et  ce  ne  sont  assurément  pas  les  Pie  IX,  les  Léon  XIII 


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IBS    PRISONS    DE    L'ÉTAT    PONTIFICAL  ,„ 

de  justice  qui  présida  an»  ■„„«,»    .         !     "^  '^  P*'"'  d'erreur  et 

névent  qui  y  comprit  ans.nrn!!-  .    i      ^"'  '^J'""^  P''^''*'  de  Bé- 
n.o..  s^.  le^cheZ   r"  le T  L."  '"tT  "'''''''  *''""  -"' 
Pitait  avec  .e  soi-disau  ap "i  d  t  ^X^x  !     ""  '"''  ''  '''''- 
~  J-.rai  me  plaindre  au  Vat.Ïn'  "  '    "  "''""''"'''  ' 

pasTe ']l;^nf;e";:;rS„r;;  :^"^  ^-  >•  -■"•-.  -us  aure^  à 


29 


448 


LA   PRÉLATURE    DE    LÉON    XIII 


compte  du  Gouvernement  ecclésiastique,  le  bourreau  Jean -Baptiste 
Burgatli;  parce  qu'à  dater  de  cette  époque,  les  condamnés  à  mort 
eurent  la  tète  tranchée.  Burgatti,  dans  l'espace  de  nombreuses  années 
exécuta  517  condamnés  à  mort  qui,  par  la  disposition  de  la  peine  et 
la  manière  barbare  de  l'exéculioii,  ressemblaient  plus  à  des  ven- 
geances et  à  des  martyres  qu'à  des  actes  de  justice  humaine  »  Le  com- 
pâtissant  auteur  de  la  Corte  e  la  Societù  liomaua  nei  SecoH  XVIU  e 
XlXne  nous  dit  pas  si  la  loi  Beccaria,  qui  a  aboli  les  exécutions  capi- 
tales dans  le  nouveau  royaume  unilié  d'Italie,  y  a  diminué  les  crimes 


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Lue  porte  extérieure  du  Fort  de  Suiut-Au^'e. 

et  multiplié  les  vertus  à  la  faveur  desquelles  un  fttat  peut  se  passer, 
non-seulement  du  bourreau,  mais  du  gendarme  même. 

A  coup  sûr,  la  Home  actuelle  paraît  moins  efirayante  au  voyageur 
qui  passe  sous  la  Porte  Angélique  sans  y  troiiver,dans  sa  niche  "tra- 
ditionnelle, la  tête  du  dernier  décapité  parlant  et  prêchant  même 
d'exemple  macabre.  Le  château  Saint-Ange  n'a,  non  plus,  rien  perdu 
de  bien  réjouissant  aux  yeux  qui  n'y  voient  plus,  pendus  aux  som- 
bres mâchicoulis  des  monstrueuses  barbacanes,  ces  corps  de  sup- 
pliciés qui  servaient,  autrefois,  de  couronne  à  la  tour  et  de  pâture  aux 
corbeaux.  Et  ce  ne  sont  assurément  pas  les  Pie  IX,  les  Léon  XIII 


I »  ■ . p»»m.  i .ipf  u^mt-  >»  .y  yi,ju,_jii    ji  ■ 


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LES    PRISONS    DE    L'ÉTAT    PONTIFICAL  4n 

auquel  ea  appelle  .,.eon,..e  virell^iC ^  «  eir^: ,  "7 '" 
patr.e  et  q„i  peut  exiger  que  l'armée  du  crime  es  y  îeso  te  '" 
tour.  Les  iustes   ronr^icoiii^o    i  ^  respecte,  a  son 

quille   la  c  nSe  crde  "l  "'  """""^  '^'"«'"  •*-'  "■«"- 

à  exercer  le.      «1  ^-^      ''"''  *"  """'•^  <*«   '''"stoire,  eurent 

.a~.  ,  zinriiLTr"^  ""^  '''•^*  ^""«^^  '-' 

Sévèrement-.  Kt  n,.::  ..  '     .    ,  Z^V^^TT  """"'^  ^'"^ 

^-gueur  os.  le  com.nencemeut  de  la  sagesse  «m?  1  '*  "" 

l-autcment  la  précédente  réponse  deS^ToJ',  "*"'  ''"'  '°"*'' 

-Jiraune  plaindre  au  Vatican!  1  roiecteuis  . 

—  Allez.'  lit  n'oubliez  pas  que,  pour  vous  v  i-p.h... 
passer  devant  le  fort  Saint- Vn-^e'  "  "'  """"  '""'^^  ^ 


29 


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Costumes  du  peuple,  dans  l'ancien  Etat  Pontifical.  (Dessin  de  Thomas,  1838.) 


m   HÉRITIER   DE   TALLEYRAÎSD   A   BÉNÉVENT 


Dans  ce  palais 
préfectoral  de 
Bénévenl ,  aux 
murs  impres- 
sionnants de  ci- 
tadelle et  dont 
les  vastes  salles 
paraissaient  sci- 
gneurialement 
aménagées  pour 
la  solitude  et 
l'ennui,  M^'"Joa- 
chim  Pecci,  qui 
y  venait  enseve- 
lir deux  ans  de 
sa  belle  jeunesse,  a  l'époque  où  achevait  sa  vieillesse  à  Paris  le 
fameux  prince  de  ce  môme  Bénévent  qu'il  n'avait  jamais  eu  la 
curiosité  de  visiter,  y  aurait,  certes,  péri  de  tristesse  si  des  dis- 
tractions autres  que  celles  de  codifier  la  contrebande  et  d'incar- 
cérer les  bi'igands,  ne  lui  eussent  été  permises.  Assurément,  les  con- 
versations concordataires  qu'il  avait  fréquemment  avec  le  comte  Sta- 


Un  intérieur  de  l'époque.  (Dessin  de  Thomas.) 


I 


UN    HÉRITIER   DE   TALLEYRAND    A    BÉNÉVENT    45. 
iiislas  Steibini,   étaient  <i*iin    intér«  Mnahf<.   h- 

Aureaoude  l'Arc  de  Trajan,  leur  avaient  laissé  vite  faite  le  .^ 
des  grottes  de  Nappa  ou  du  carrefour  des  Sorcièm  do,  i'  .  ' 
noyer  fatidique  ne  disait  plus  rien  à  des  es;i  s    ^1  v\  o  '  '1' 

.tf  Mai::.:":;  t  '"  ''"'"-'  '•^""•^'^•"  ^«-  ^-  -  £ 

ni  ?  l-         ^""^«'•"'"neui  où  les    envahissait  une   solitude- 

Pl  s  grande.  Sans  doute,  lesgazet.es  pennises  de  répoq.rean  vS. 
al  heure  des  courriers  très  irréguliers  de  l'État  poLfi  al     ùsqu'en 

Keo^e.  Mais  II  y  fallait  vnre  surtout  d'idées personuelles  et  de  lon-ues 

sole  I  deT!;        r         ""''^''  "'  ''"""«'•  «»'  ««"«  ■•'•'"Placable 
soleil  de  la  canicule  napolitaine,  les  interminables  journées  de  l'été 

que  le  Diano  officiel  vint  apprendre  à  Joachim  Pecci  la  mort  dP 
Char  es  Maurice  de  Talley^nd  Périgord,  prince  de  b"  é  en   de  „ 
1  Empire,  survenue  à  Paris,  le  17  mai  l>i'^«    Ti     i  e    n\        ^ 
r-npression  que  ,it  au  Jeuiie^^T  drce^m^ ï  !.  ^^^^^^^ 

ce  théâtre  politique  et  du  monde  où  ce  cinique  vieillard  avait 
joue  un  SI  long  rôle,  où  ce  pur  jeune  homme  élit  rés  par  sa 
destin  e  providentielle  à  d'autres  actes,  dignes  d'une  ton  I^tre  hi 

oire.  On  se  le  représente  aisément,  ce  jour-là,  derriè  elne  fenê  I 
du  paazz.o  préfectoral  e,  tenant  encore  à  la  m  in  la  gLettë  qu  u U 
apporté  cette  nouvelle.  Ses  yeux  distraits  errent  suî  Bé  éve.  t  ouî 
doiuÎs  Zrr:  '•""  '""^^  "-vont  jusque  ve.  les  Zï^  e 
et  e  alTT,  '"'"•'""'*"'«^  évoquent  peut-être  dans  son  âme 
émue,  quand   même,  cette  autre  hauteur  éphémère  qui  .îènt  de 

abîmer  dans  le  néant  en  laissant,  derrière  elle,une  de  cS^Î 
moires  politiques  dont  ce  jeune  diplomate  de  carrière  ne  voudrahà 

s  ZT     •'"'      ■'"  ''"*"  "'  ''"-'  "■•«  à  ««^  contemporains  de 

îfsa  ne. sonne  "  r"""  ''  '''"'''"'  ''^  P'^''"''*"  «J"'  '«  «'  '-t  rougi 
de  sa  pei  sonne  infirme  au  supérieur  génie,  n'était-il  pas  un  Tallev 

rand  j^f       ^  que  la  Providence  co„ducti.i;e  des  peupî:s  aUait  p      -' 

être    transformer  en  un  Talleyrand  meilleur  dont  la  politiaue  de 

1  avenu-  recueillerait  les  salutaires  influences.  Profitante  haute 

q«.étude  de  ce  palais  où  l'élève  se  répétait  à  lui-même  les  leçol 


>-i 


Il 

■1 


M 


Costumes  du  peuple,  dans  l'aiicieii  Etat  Poiitilical.  (Dessin  de  Thomas,  1838.) 


UM   HtimiEH   DE   TALLEYKA>D   A    DÉ.NÉVENT 


Dans  ce  palais 
préfectoral  de 
Béiiéveiil ,  aux 
murs  impres  - 
sioimants  de  ci- 
tadelle et  dont 
les  vastes  salles 
I)araissaieiit  sei- 
gtieurialeiueiit 
aménagées  pour 
la  solitude  et 
l'ennui,  Mo^Joa- 
chim  l*ecei,  qui 
V  venait  enseve- 
lir  deux  ans  de 
sa  belle  jeunesse,  a  l'époque  où  achevait  sa  vieillesse  à  Paris  le 
fameux  prince  de  ce  même  Bénévent  qu'il  n'avait  jamais  eu  la 
curiosité  de  visiter,  y  aurait,  certes,  péri  de  tristesse  si  des  dis- 
tractions autres  que  celles  de  codifier  la  contrebande  et  d'incar- 
cérer les  brigands,  ne  lui  eussent  été  permises.  Assurément,  les  con- 
versations concordataires  qu'il  avait  fréquemment  avec  le  comte  Sta- 


Un  iotérieur  de  l'époque.  (Dessiu  de  Thomas.) 


I 


UN    HliHlïlER   DE   TALLEYKAXD    A    BÉNÉVENT    45. 

nislas  Sl.Mbi„i     .Haient   .l'an    i.aérêt  capable   d'occnor   .nilcnent 
deux  es,„„s  supérieurs.  Mais  les  prou,onades  quic.Uraîn    en     mZ 
le  directeur  des  douanes  e.  le  préfet  de  la   v  Ile,  ho      de  la   Po^ 

«:;;■  tidîue'ri:;  pU'^:;rT  dresïST,.^"'''  't- 

Et  les  deiiv  amk    ...        J  "^  Ntn  a  aes  espnts  de  I  âge  moderne. 

PU.S  ..aude.  sans  doute,  ^::::;:.:'j:.::ts:,::i:::;::: 

al  heure  des  courriers  très  irréguliers  de  rftta,  pomi     a,       sau    i 
«eoe  .H.i.Ml  j  (,,||a,t  vnre  surtout  d'idées  personnelles  et  de  longue, 

sol!  I  Tl:         r       "  ''"'^"  *"^   '''"^■^'-  «»•  «o-s  l'implacable 

que  lel^rôf       ,'  '''  '''''"""'  '"""■"'  "«  'o'-'-  ''«■•ce 

que  le  Du, no  oflu.cl  v,„t  apprendre  à  Joachin.  Pecci  la  mort  de 

Charles  Maunce   de  Talleyrand  Périgord.  prince  de  Béné  eut  .1  LÎ 
lEnipu-e,  surveinie  à  Paris,  le  17  mai  IX^x    li      .  t  ,"       ' 

l'iuinressioM  „„,.  «.   <.     .  '"'  '^  "  '"3'  i>iàS.  Il  est  facile  d'imaginer 
"np.csMon  que  bt  au  jeune  préfet,    dans  ce  même  Bénévent  dont 

oué  1        :."r  '''■  "*    '""'"*  "'  '^  -'"!"«  Vieillard    avait 

jouç  un  Si  long  rôle,  ou  ce  pur  jeune  homme  était  réservé  nar  sa 
desnnee  prouden.ielle  à  d'autres  actes,  dignes  d'une  t  u  "m,e  hi 

o.re.  On  se  le  représente  aisén.ent,  ce  jour-là,  derrière  n^fL^ 
du  paa,:.o  préfectoral  e.  tenant  encore  à  la  main  la  gaze  nu  lu  a 
apporté  cette  nouvelle.  Ses  yeu.v  distraits  errent  su^  b1  éve  t  li 
a  perdu  son  maître  d'un  jour-  iU  vn-,i  i„^  uenevent  qui 

dont  le«  hn.i...  •  '  "^vo.il  jusque  vers  les  montagnes 

en  ue  l,a  r  T  ''"^"••'""«'"«^  évoquent  peut-être  dans  son  Ime 
énue.  qnatid    même,  cette  autre   hauteur   éphén.ère  qui  vient  de 

abuner  dans  le  néant  en  laissant,  derrière  elle,  une  d  ce  U 
n.o.res  pol.l.ques  dont  ce  jeune  diplomate  de  carrière  ne  vo  ,draï  à 
Zl™;  l'"''  "'.r^"--''-''-  '-««end.  Comn,e  da„: Te  ^  J  t^ 

SZ         ""      '""  ""'^''  ""  ''"'  '"•«  "  «''^  contemporains  de 
18.30,  cet  ancen  pr.nce  de  Bénévent  au  pied-bot  qui  le  Ht  Lnt  rou.^i 

de  sa  personne  inlir.ne  au  supérieur  génie,  n'était-il  pas  In  Vallée 

être    transforn.er  en  un  Talleyrand  meilleur   dont  la  politioue  de 
lavemr  recueillerait  les  salutaires  influences.  Prolit  1^1  1  aut 
quiétude  de  ce  palais  où  ,'éiève  se  répétait  à  lui-même  les  iSL 


II 

1' 


n/ 


452 


LA   PRÉLATURE   DE   LÉON   XIII 


du  maître  en  les  corrigeant,  à  sa  manière  et  selon  son  ambition 
de  futur  diplomate  catholique,  Joachim  Pecci  se  composait  un 
portrait  de  Talleyrand  avec  les  éléments  épars  dont  cette  longue  vie 
de  grand  homme  manqué  avait  rempli  le  monde.  Pareil  au  sculpteur 
d  un  chef-d'œuvre  que  Dieu  lui  avait  donné  la  puissance  de  dresser 
devant  l'admiration  des  foules,  cet  artiste  du  paradoxe  n'avait-il  pas 
mis  son  esprit  infernal  à  briser  le  buste  en  morceaux,  à  le  réduire 
même  en  poussière  de  marbre  si  brillant  et  si  vain  qu'il  n'en  est  rien 
resté,  après  qu'il  fut  dispersé,  aux  quatre  vents  du  monde  étonné 
d  un  tel  prodige  et  d'une  telle  profanation? 

Connaissez-vous  plus  ravissante  miniature  que  celle   dont   Isabey 
traça  la  silhouette  aussi  légère  qu'une  feuille  de  rose  dont  ce  portrait 
a  conservé  la  fraîcheur,  depuis  cette   orageuse  après-midi   de  1789 
où  l'artiste  l'esquissa,  à  la  sortie  de  l'Assemblée  générale   du   Clergé 
de  France  convoqué,  tous  les   cinq  ans,   aux   Grands-Augustins   de 
Pans?  Ce  portrait  délicat,  que  la  famille  de  Rémusat  possède  encore 
était  celui  d'un  élégant  abbé  de  cour  auquel  la  poésie,   qui   idéalisa 
son  maigre  et  fin  visage  aux  longs  cheveux  en   boucles   l'ovalisant 
aurait  donné  pour  place  la  ruelle  convoitée  de  quelque   marquise  à 
la  mode.  Mais,  si  vous  regardez  plus  attentivement  ces  yeux  habiles 
au  jet  de  perles  fines  et  tranquilles,  et  si  vous  mesurez  ce   front  très 
haut  montant  sous  les  cheveux,  comme  un  grand  dôme  où   le  génie 
s'abrite;  vous  assignerez  bientôt  une  autre  place  que  le  boudoir  des 
teneuses  d'esprit,  à  ce  cadet  que  sa   première  jeunesse  a  déjà   fait 
entrer  en  .évêque  dans  l'Assemblée  générale  et   d'où  il   sortira  en 
diplomate  accompli,  pour  aller  siéger  dans  les  conseils  des   républi- 
ques et  des  monarchies  et  pour  mener  son  époque,  au   gré  de  ses 
changeants  et  supérieurs  caprices,  comme  ferait  un  parfait  courtisan 
de  sa  marquise  asservie,  —  cette  marquise  politique  entre  deux  âges 
moitié  républicaine  et  moitié  royaliste,  que  cet  abbé  malin  sut  possé- 
der en  vainqueur,  jusqu'à  la  plus  extrême  vieillesse. 

A  ce  portrait  exquis  d'où  sort,  en  perruque  régence  et  en  rabat 
d'église,  une  des  plus  fines  figures  des  dernières  années  d'un  siècle 
où  les  seigneurs  et  leur  esprit  subtil  régnèrent,  vous  avez  reconnu 
Jalleyrand.  Etrange  type,  en  effet,  que  ce  visage  à  profil  de  camée 
dont  le  charme  eût  inspiré,  de  loin,  l'abbé  Prévost  pour  un  roman  où 
le  beau  chevalier  des  Grieux  aurait  séduit  la  folle  fille  de  Lescaut.  Mais 
type  plus  rassis  qu'envolé,  et  moins  poétique  que  son  galbe,  celui  que 
M-«  de  Rémusat  regardade  plus  près  et  plus  exactement,  quand 
elle  osa  lui  dire  :  «  Il  me  semble,  M.  de  Talleyrand,  que  vous  valez 


HÉRITIER    DE   TALLEYRAND    A    BÉNÉVENT    453 

IX  que  vous  ! .  et  que  n'avait  pas  assez  examiné  Chamfort  dans 
les  profondeurs  cachées  de  ce  caractère  frivole,   seulement   d'appa 


mieux 


La  chaire  de  la  cathédrale  de  Béiiévent. 


reace  quand  il  éc-îvit  sur  celui-ci  :  .  Il  y  a  trois  choses  que  je  hais  : 
le  hruit,  le  vent  et  la  fumée  ». 

Quelqu'un  qui  discerna  mieux,  dès  son  enfance  délaissée,  l'homme 


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452 


LA   PRÉLATURE    DE    LÉON   XIII 


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du  maître  en  les  corrigeant,  à  sa  manière  et  selon  son  ambition 
de  futur  diplomate  catholique,  Joachim  Pecci  se  composait  un 
portrait  de  ïalleyrand  avec  les  éléments  épars  dont  celte  lon-ue  vie 
de  grand  homme  manqué  avait  rempli  le  monde.  Pareil  au  sculpteur 
d'un  chef-d'œuvre  que  Dieu  lui  avait  donné  la  puissance  de  dresser 
devant  l'admiration  des  foules,  cet  artiste  du  paradoxe  n'avait-il  pas 
mis  son  esprit  infernal  à  briser  le  buste  en  morceaux,  à  le  réduire 
même  en  poussière  de  marbre  si  brillant  et  si  vain  qu'il  n'en  es!  rien 
resté,  après  qu'il  fut  dispersé,  aux  quatre  vents  du  monde  étonné 
d'un  tel  prodi^'e  et  d'une  telle  profanation? 

Connaissez-vous  plus  ravissante  miniature  que  celle   dont   Isabey 
traça  la  silhouette  aussi  légère  qu'une  feuille  de  rose  dont  ce  portrait 
a  conservé  la  fraîcheur,  depuis  cette   orageuse  après-midi   de   1780 
où  l'artiste  l'esqnissa,  à  la  sortie  de  l'Assemblée  générale   du   Clergé 
de  France  convoqué,  tous  les   cinq  ans,   aux   Grands-Augustins   de 
Paris?  Ce  portrait  délicat,  que  la  famille  de  Kémusat  possède  encore, 
était  celui  d'un  élégant  abbé  de  cour  auquel  la   poésie,    qui   idéalisa 
son  maigre  et  fin  visage  aux  longs  cheveux   en   boucles   Tovalisant, 
aurait  donné  pour  place  la  ruelle  convoitée  de  quchpie   marquise   à 
la  mode.  Mais,  si  vous  regardez  plus  attentivement  ces  yeux  habiles, 
au  jet  de  perles  fines  et  tranquilles,  et  si  vous  mesurez  ce   front   très 
haut  montant  sous  les  cheveux,  comme  un  grand  dôme  où   le  géine 
s'abrite;  vous  assignerez  bientôt  une  autre  place  que  le  boudoir  des 
teneuses  d'esi)rit,  à  ce  cadet  que  sa   première  jeunesse  a  déjà   fait 
entrer  en  évêque  dans  l'Assemblée  générale   et   d'où  il    sortira  en 
diplomate  accompli,  pour  aller  siéger  dans  les  conseils  des   ré|>ubli- 
ques  et  des  mouirchies  et  pour  mener  son   époque,   au   gré  de   ses 
changeants  et  supérieurs  caprices,  comme  ferait  un  parfait  courtisan 
de  sa  marquise  asservie,  —  cette  marquise  politique  entre  deux  âges, 
moitié  républicaine  et  moitié  royaliste,  que  cet  abbé  malin  sut  possé' 
der  en  vainqueur,  jusqu'à  la  plus  extrême  vieillesse. 

A  ce  portrait  exquis  d'où  sort,  en  perruque  régence  et  en  rabat 
d'église,  une  des  plus  fines  figures  des  dernières  aimées  d'un  siècle 
où  les  seigneurs  et  leur  esprit  subtil  régnèrent,  vous  avez  reconnu 
Talleyrand.  Etrange  type,  en  effet,  que  ce  visage  à  profil  de  camée 
dont  le  charme  eût  inspiré,  de  loin,  l'abbé  Prévost  pour  un  roman  où 
le  beau  chevalier  des  Grieux  aurait  séduit  la  folle  fille  de  Lescaut.  Mais 
type  plus  rassis  qu'envolé,  et  moins  poétique  que  son  galbe,  celui  que 
M-«  de  Rémusat  regarda  de  plus  près  et  plus  exactement,  quand 
elle  osa  lui  dire  :  «  Il  me  semble,  M.  de  Talleyrand,  que  vous   valez 


UN    HÉRITIER    DE    TALLEYRAND    A    BÉNÉVENT    4o3 

inieux  que  vous!,  et  que  n'avait  pas  assez  examiné   Chamfort   dans 
les  profondeurs  cachées  de  ce  caractère   frivole,    seulement   d'appa- 


La  chaire  de  lu  catliédrale  de  Béiiéveiit. 


reuce  quand  il  écrhit  s,.r  celui-ci  :  «  II  y  a  trois  choses  que  je  hais: 
le  liruit,  le  vent  et  la  fumée  ». 

Quelqu'un  qui  discerna  mieux,  dès  son  enfance  délaissée,  l'homme 


''«^tS.MJlll.v 


454 


LA    PRÉLATURE    DE    LÉON   XIII 


r- 


que  deviendrait  Tainé  des  Talleyrand,  dont  une  préférence  injuste  de 
lafamillefitlecadet, -par  conséquent  la  victime  vouée,  dès  sa 
naissance,  a  l'Eglise  compatissante  qui  redresserait  son  pied  bot 
dans  une  bienfaisante  abbaye,  -  ce  fut  son  oncle.  Celui-ci,  vous  le 
savez,  découvre,  un  jour,  l'enfant  dans  une  ferme  des  environs  de 
Pans  ou  il  boite,  en  effet,  depuis  qu'un  porc,  disent  les  uns,  lui  a 
mordu  un  pied  ;  depuis  qu'un  buffet  mal  consolidé,  prétendent  les 
autres,  laissa  rouler  à  terre  le  maraudeur,  estropié  pour  la  vie.  Son 
oncle  le  voit  donc  dans  le  désordre  malpropre  de  sa  tenue  de  village- 
Il  rougit,  prend  le  déshérité  et  le  reconduit  à  sa  mère  dans  ses  habits 
en  haillons  : 

--Voici,  n.adame,en  quel  état  j'ai  trouvé  le  descendant  des  princes 
de  Chalais  !  ^ 

Cetleéducationdeprinceet  — disons  le  mot-  de  chrétien  que 
u  aurait  su  donner  au  petit  Maurice  celle  qui  fréquenta  le  Plat-d'Elain 
p  us  assidûment  que  Saint-Sulpice,  M-  de  Chalais,  la  grand-mère 
allait  la  développer  dans  cet  enfant  jusqu'à  ce  qu'il  entrât,  un  beaJ 
jour,  tout  de  bon,  dans  ce  même  Saint-Sulpice  où,  ni  M-ne  „i  m  je 
Talleyrand  ne  vinrent  jamais  le  visiter.  Son  frère,  non  plus,  ne 
sembla  mieux  se  souvenirde  celui  auquel  il  avait  pris  son  droit 
d  aînesse  avec  ce  titre  d'Archambault,  duc  de  Périgord,  qui  força  les 
boudoir  de  l'époque  et  inscrivit  au  compte  de  ce  héros  de  ruelle  des 
histoires  sans  nombre.  Entr'autres  celle-ci  où  une  duchesse,  mise  à 
mal  par  le  mari,  eut  l'esprit,  pour  empêcher  tout  scandale,  de  dire 
brusquement  à  celui-ci  dans  le  paroxysme  de  sa  rage  ; 

---  Ah  !  monsieur,  votre  père  était  de  bien  meiHeure  compagnie  I 
bst-ce  a  dire  que  notre  jeune  et  charmant  abbé,  délaissé  par  les 
siens  au  séminaire  de  Saint-Supplice,  n'y  fût  visité  par  personne  ? 
Avec  un  esprit  qui  fait  honneur  aux  fabliaux  du  dix-huitième  siècle 
que  lalleyrand  dut  lire  alors  sous  son  manteau  de  clerc,  il  racontera 
plus  tard  lui-même  l'idylle  qu'il  vécut,  de  compogme  avec  la  petite 
Picot,  fille  du  rôtisseur  de  la  rue  Vieille-du-Colombier.  Il  arriva  donc 
qu  un  jour   de  carnaval,    pour  acheter  aussi  son   quartier  d'oie,  il 
.  entra  dans  la  rôtisserie  du  père  et  y  rencontra  lafillequiavait  quatorze 
ans,  qui  était  jolie  et  qui,  regardant  d'une  façon  curieuse  cet  abbé" 
aussi  jeune  et  aussi  joli  qu'elle,  le  troubla  et  lui  fit  oublier  sur  la 
table  lequatier  d'oie  qu'il  venait  d'acheter.  Le  carnaval    n'v  perdit 
pas  son  coup  de  dent  ;  car  ce  fut  la  consciencieuse  Julienne  Picot 
qui,  déguisée  en   marmiton,  apporta  le  quartier  à  son  maître    Le 
mémoire  dit  bien  que  la  nuit  approchait,  quand  la  charmante  rôtis-  ^ 


UN    HÉRITIER    DE    TALLEYRAND    A    BÉNÉVENT    4.55 

seuse  frappa  à  la  chambre  de  son  joli  client  ;  mais  il  n'ajoute  pas 
quelle  heure  il  était,  quand  celle-ci,  se  retirant  enfin,  dit  à  son 
hôte  : 

^  -  Monsieur  l'abbé,  pensez-vous  que  M.  Rigomier,  le  concie-ge 
s  apercevra  si  je  sors  tantôt  ? 

Le  carnaval  étant  passé,  ce  fut  à  Maurice  le  tour  de  rendre  à 
Julienne  ses  visites.  Il  le  ht  avec  cette  assiduité  que  Roméo  avait 
connue  seulement  avant  lui,  avec  cette  même  sveltesse  qui  fit  escala- 
der les  balcons  à  l'un,  et  les  murailles  à  l'autre  :  ces  murailles  si 
hautes  du  séminaire,  que  Talleyrand  devait  franchir  de  son  pied-bot 
^.l,  par  coquetterie,  ne  dit-il  pas  dans  ce  même  mémoire  que  son  in- 
hrmite  lui  vint  d'une  chute  mal  faite  dans  le  jardin  de  l'Astrée  ou 
plus  prosaïquement  de  Sainl-Sulplice,  d'où  il  envoya  à  Julienne  Var^ 
dessus  le  mur  franchi,  «  les  fleurs  de  giroflée  jaune  et  les  feuilles  de 
tilleul  qui  l'avaient  tour  à  tour  aidé  à  descendre  ». 

Aiiisi  finirent,  avec  les  fleurs  de  la  saison,  ces  premières  escapades 
que  Talleyrand  eut,  d'ailleurs,  plus  tard,  l'occasion  de  payer  au  frère 
de  Julienne  Picot,  plus  cher  que  ne  valait  le  quartier  d'oie  oublié  sur 
l'elal.  Un  jour,  à  l'hôtel,  de  la  .-^ue  Saint-Florentin,  un  homme  se 
présente  et  demande  à  être  introduit  auprès  de  M.  de  Talleyrand 
pour  un  grave  message  : 

—  Vous  ne  me  reconnaissez   pas,  monseigneur  !  dit  cet  homme 
dès  la  porte.  ' 

—  Mais,  bien  confusément. 

—  J'ai  été  autrefois  établi  richement  au  faubourg   Saint-Germain 
Mon  père  et  moi  après  lui,  nous   étions    rôtisseurs,    près   de   Saint- 
Sulpice.  Nous  avons  fait  d'assez  mauvaises  affaires,    et    je   voudrais 
bien  votre  crédit  pour  obtenir  une  petite  place,  après   ma  sortie   de 
prison. 

—  Comment  ! 

—  C'est  notre  maison,  monseigneur,  qui  fournissait  les  volailles 
rôties  que  vous  mangiez  les  jours  maigres,  quand  vous  étiez  au 
séminaire. 

—  C'est  bon  ! . . .  c'est  bon  ! . . .  interrompit  le  ministre. 

—  Vous  vous  souvenez  bien,  vous  les  emportiez  quelquefois  vous- 
même  sous  votre  manchon. 

—  Assez  !  vous  dis-je. 

—  Et  même  qu'une  fois,  notre  sœur  Julienne... 

Et  comme  le  maudit  rôtisseur  continuait  à  parler,  M.  de  Talley- 
rand, perdant  patience,  l'envoya  sur-le-champ  préposé  à  l'octroi  de 


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LA    PRÉLATURE   DE    LÉON    XIII 


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la  barrière  du  Maine,  où  le  reconnaissant  gabelou  vécut  en  paix  .  ,  y 
mourut  même,  dit-on. 

Ainsi,  des  romans  de  ce  monde.  Celui  du  malheureux  abbé  le  con- 
duisit en  boitant  à  l'autel  où,  ses  vingt-quatre  ans  étant  sonnés,  il 
reçut  la  prêtrise  et  sa  première  abbaye.  Une  maigre  abbaye,  qui  ne 
produisait  pas  de  quoi  payer  à  l'élégant  abbé  ses  rabats  de  dentelle 
et  ses  fines  culottes  de  soie  dont  il  honora,  d'abord,  la  ruelle  de  la 
duchesse  Du  Barry.  Un  jour  qu'il  s'y  tenait  tiiste,  triste  : 

—  Monsieur  l'abbé,  comme  vous  êtes  silencieux,  lui  dit-elle. 

—  Hélas  !  madame,  je  fais  une  réflexion  bien  amère. 

—  Laquelle  donc  ? 

—  Ah!  madame,  c'est  qu'à  Paris  il   est  plus   facile   dWoir  des 
duchesses  que  des  abbayes. 

Pourconsoler  la  mélancolie  d'un   abbé    si   gentil,    une   deuxième 
abbaye  fut  aussitôt   concédée   à  Maurice   de  Talleyrand  :    celle   de 
Saint-Denis  de  Reims,  dont  les  18,000  livres  de  rentes  lui  prouvèrent 
eloquemment  que,  si  les  femmes  valaient  peu  à  Paris,  elles  y  comp- 
taient cependant   pour  quelque  chose.  Comment  résister,  d^ailleurs, 
aux  caprices  et  à  la  volonté  de  ce  rêveur  têtu  dont   M™»'   de   Genlis 
avait  déjà  écrit,  douze  ans  auparavant  :  « A    Sillery,  l'arche- 
vêque avait  amené  le  jeune    abbé   de   Talleyrand,  destiné'  à  l'état 
ecclésiastique  et  déjà  en  soutane,  quoiqu'il  n'eût  que  douze  ou   treize 
ans.  Il  boitait  un  peu.  Il  était  pâle  et  silencieux  ;  mais  je   lui   trouvai 
un  visage  peu  agréable  et  un  air  observateur,  qui   me   frappa».   Ce 
visage  que,  dans  cette  circonstance,   M-  de  Genlis   trouva   <r  peu 
agréable»,  était  pourtant  le  même  qui   commençait  déjà  à  tourner 
toutes  les  têtes  à  son  profit,  et  qui  faisait  qu'Arnault,  contradictoire- 
ment  à  M™«  de  Genlis,  écrivait  dans  ses  Souvenirs  d'un  Sexagénaire: 
«...  C'est  une  tête  d'ange,  animée  de  l'esprit   d'un   diable  '  »  Et 
ce  fut  bien  cette  tête  et  cet  esprit  dont  la  cour  s'enchanta  et  s'endia- 
bla,  à  la  ronde,  jusqu'à  lui  faire  obtenir  un  évêché,  à  35  ans,  du  roi 
qui  n'avait  pas  osé  l'accorder  à  ce  prêtre   mignon  de  roman,  et  qui 
le  consentit  enfin  au  lit  de  mort  du  père  de  l'abbé.  Ainsi,  la  première 
et  la  dernière   faveur  de  ce  père  à  ce  fils  fut,  le  26  janvier  1789   sa 
nomination  à  l'évêché  d'Autun  dont  Monseigneur   de  Talleyrand,'  — 
l'étourdi  !— allait  oublier  l'anneau  épiscopal   dans   la  chambre  de 
la  belle  M-  de  Flahaut,  la  nuit  même  qui   suivit  le  sacre  de  cet 
évêque  modèle. 

D'ailleurs,  Autun  et  ses  vieux  monuments  ne  devaient  pas  retenir 
ongtemps,  loin  des  beautés  plus  jeunes  laissées  au  Louvre,  —  et 


7    i- 


UN    HÉRITIER    DE    TALLEYRAND    A    BÉNÉVENT    457 

quelque  peu  dans  toutes  les  ruelles  de  Paris,  —  cet  évêque  aux  yeux 
bleus  qu'allaient  rappeler,  après  un  mois  d'absence  cruelJe  et  de 
mandements  importuns,  de  plus  chères  ouailles  el  des  occupations 
plus  douces.  Envoyé  presqu'aussitôt  par  son  clergé  à  l'Assemblée 
générale,  il  y  attend  en  paix,  chez  la  Grimard  et  chez  ladite  dame  de 


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^Ç^]>ri.K  Pm^CK  4XK i^E^TCI^ 


Le  Prince  de  Talleyrand.  (D'après  une  estampe.) 

Flahaut,  cette  lettre  qui  lui  donnera  la  précieuse  occasion  d'écrire  les 
suivantes,  peu  connues,  à  l'une  de  ces  nombreuses  idoles  au  pied  des- 
quelles  il  dit  dévotement  sa  messe  du  jour  et  celle  de  la  nuit.  Voici 
la  première  de  ces  lettres,  que  nous  font  lire  les  Archives  nationales, 
r.  9,14o  : 


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456 


LA    PRÉLATURE    DK    LÉON    XIII 


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la  barrière  du  Maine,  où  le  reconnaissant  gabelou  vécut  en  paix  .  ,  y 
mourut  même,  dit-on. 

Ainsi,  des  romans  de  ce  monde.  Celui  du  malheureux  abbé  le  con- 
duisit en  boitant  à  l'autel  où,  ses  vingt-quatre  aus  étant  sonnés,  il 
reçut  la  prêtrise  et  sa  première  abbaye.  Une  maigre  abbave,  qui  ne 
produisait  pas  de  quoi  payer  à  l'élégant  abbé  ses  rabats  de  dentelle 
et  ses  fines  culottes  de  soie  dont  il  honora,  d'abord,  la  ruelle  de  la 
duchesse  Du  Barry.  Un  jour  qu'il  s'y  tenait  tiiste,  triste  : 

—  Monsieur  l'abbé,  comme  vous  êtes  silencieux,  lui  dit-elle. 

—  Hélas  !  madame,  je  tais  une  rélïexiou  bien  amère. 

—  Laquelle  donc  ? 

—  Ah!  madame,  c'est  qu'à  Paris   il   est   plus   facile   d'avoir   des 
duchesses  que  des  abbayes. 

Pourconsoler  la  mélancolie  d'un   abbé    si   gentil,    une   deuxième 
abbaye  fut  aussitôt   concédée   à   Maurice   de   Tallevrand  •    celle   de 
Saiut-Denis  de  Reims,  dont  les  18,000  livres  de  rentes  lui  prouvèrent 
eioquemment  que,  si  les  femmes  valaient  peu  à  Paris,  elles  y  comp- 
taieut  cependant   pour  quelque  chose.  Gomment  résister,  d'ailleurs, 
aux  caprices  et  à  la  volonté  de  ce  rêveur  têtu  dont   M"'^'   de   Genlis 
avait  déjà  écrit,  douze  ans  auparavant  :  « A    Sillery,  l'arche- 
vêque avait  amené  le  jeune    abbé    de   Talleyrand,  destiné'  à   l'état 
ecclésiastique  et  déjà  en  soutane,  quoiqu'il  n'eut  que  douze  ou    treize 
ans.  Il  boitait  un  peu.  Il  était  pâle  et  silencieux  ;  mais  je    lui   trouvai 
un  visage  peu  agréable  et  un  air  observateur,  qui    me   frappa».    Ce 
visage  que,  dans  cette  circonstance.   M-  de   Genlis   trouva   «  peu 
agréable»,  était  pourtant  le  même   qui   commençait   déjà  à   tourner 
tontes  les  têtes  à  son  profit,  et  qui  faisait  qu'Arnault,  contradictoire- 
ment  à  M'-  de  Genlis,  écrivait  dans  ses  Souvenirs  iriui  Se.iaijénaire: 
«...  C'est  nue  tête  d'ange,  animée   de   l'esprit   d'un    diable  '  »  Et 
ce  fut  bien  cette  tête  et  cet  esprit  dont  la  cour  s'enchanta  et  s'endia- 
bla,  a  la  ronde,  jusqu'à  lui  faire  obtenir  un  évêché,  à  3o  ans,  du  roi 
qui  n'avait  pas  osé  l'accorder  à  ce  prêtre   mignon   de   roman   et  qui 
le  consentit  enfin  au  lit  de  mort  du  père  de  l'abbé.  Ainsi,  la  première 
et  la  dernière   faveur  de  ce  père  à  ce  (ils  fut,  le  ^26  janvier  1789  sa 
nomination  à  l'évêché  d\\utiin  dont  Monseigneur   de  Tallevrand,'-- 
l'étourdi  ! -^  allait  oublier  l'anneau  épiscopal   dans   la  chambre  de 
la  belle  M-  de  Flahaut,  la  nuit  même  qui   suivit   le   sacre   de   cet 
évêque  modèle. 

D'ailleurs,  Autun  et  ses  vieux  monuments  ne  devaient  pas  retenir 
ongtemps,  loin  des  beautés  plus  jeunes  laissées  au  Louvre,  —  et 


UN    HERITIER    DE    TALLEYRAND    A    BÉNÉVENT    457 

quelque  peu  dans  toutes  les  ruelles  de  Paris,  —  cet  évêque  aux  yeux 
bleus  qu'allaient  rappeler,  après  un  mois  d'absence  cruelle  et  de 
mandements  importuns,  de  plus  chères  ouailles  el  des  occupations 
|)lus  douces.  Envoyé  presqu'aussitôt  par  son  clergé  à  l'Assemblée 
générale,  il  y  attend  en  paix,  chez  la  Grimard  et  chez  ladite  dame  de 


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O  Ar:i.KPiiï^c^  nF:nE^KVK?,T;>^ 


Le  Prince  de  Talleyrand.  (D'après  une  estampe.) 

Flahaut,  cette  lettre  qui  lui  donnera  la  précieuse  occasion  d'écrire  les 
suivantes,  peu  connues,  à  l'une  de  ces  nombreuses  idoles  au  pied  des- 
quelles  il  dit  dévotement  sa  messe  du  jour  et  celle  de  la  nuit  Voici 
la  première  de  ces  lettres,  que  nous  font  lire  les  Archives  nationales, 
F.  9,145  : 


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458 


LA    PRÉLATUiRE   DE    LÉON    XIII 


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A  M.  LE  COMTE  DE  SaINT-PrIEST,    MINISTRE  DE  LA  MaISON  DU  R 


01 


Paris,  ce  iS  juillet  1790. 


«  Monsieur, 


(T  Je  reçois  dans  Tinstant  la  lettre  par  laquelle  vous  voulez  bien 
ui  annoncer  que  le  Roi  a  daigné  me  choisir  pour  célébrer,  demain  la 
messe  à  la  cérémonie  de  la  Fédération.  Je  suis  très  flallé  de  cet  hon- 
neur. Je  vous  le  dois,  Monsieur,  et  je  vous  prie  d'en  recevoir  mes 
remerciements. 

«  Je  suis  avec  respect,  Monsieur, 

Vous  très  humble  et  liés  obéissant  serviteur, 

«  L'Év.  d'Alton.  » 

.Je  regretterai  toujours,  a  dit  Chateaubriand,  de  n'avoir  pas  vu 
M.  deTaileyrand  dire  la  messe  servie  par  l'abbé  Louis;  comme  de 
ne  pas  l  avoir  vu,  le  sabre  au  côté,  donner  audience  à  l'ambassadeur 
du  Grand  Turc.  »  Le  spectacle  dut,  en  effet,  être  remarquable  :  Tal- 
leyrand  montant  à  l'autel,  escorté  des  abbés  Louis  et  Desrenandes 
et  chucholtant  à  La  Fayette  qui  le  regardait  :  «  Vous  savez,  vous  né 
me  faites  pas  rire!  »  Mais  ce  qui  n'est  pas  moins  remarquable,  bien 
certainement,  c'est  la  lettre  que  l'évéque  d'.\utun  écrivit,  le  len- 
demain de  la  cérémonie,  à  la  comtesse  de  Flahanlt.  Klle  est,  de  tout 
point,  édifiante  et  peint  bien  le  personnage  : 


IS  juillet  1790. 


«  Madame, 


«  Si  vous  avez  été  aussi  contente  de  votre  place  à  la  fête  ridicule 
d  hier,  que  je  lai  été  de  vous  voir  et  de  vous  admirer  où  vous  étiez 
assise,  vous  devez  avoir  supporté  l'orage  avec  la  môme  philosophie 
que  votre  ami.  Le  duc  d'Orléans  m'a  forcé  de  venir  passer  la  soirée 
chez  lui;  sans  cela,  j'aurais  été  vous  voir,  hier  au  soir,  pour  soulager 
mon  cœur  de  tous  les  ennuis  de  la  journée,  et  vous  parler  de  choses 
qui  ont  produit  des  impressions  si  diverses  et  si  opposées. 

«  bieyes,  en  présence  de  seize  pei-sounes,  rae  demanda,  avec  le 
sourire   sardonique  que  vous  lui  connaissez,    comment  j'avais  pu 


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UN    HÉRITIER    DE   TALLEYRAND    A    BÉNÉVENT    459 

garder  mon  sérieux  en  exécutant  si  dextrement  la  bouflTonnerie  du 
Champs-de-Mars,  et  de  combien  de  chrétiens,  parmi  les  cent  mille 
spectateurs,  je  croyais  avoir  reçu. le  serment  national  et  chrétien   — 
Je  lui  déclarai  mon  i-norance  à  cet  égard.  -  D'après  mon  calcul*, 
i-epril-d,  cela  peut  aller  à  cinq  cents,  y  compris  le  duc  d'Orléans' 
vous,   moi  et  ceux  de  notre  parti.  S'il  faut  vous  dire  la  vérité   ma 
chère  amie,  je  crains  qu'il  n'ait  encore  exagéré  le  nombre  des  fidèles 
et,  tout  philosophe  que  je  suis,  je  déplore  les  progrès  de  l'incrédulité 
dans  le  peuple.  Je  partage  l'opinion  de  Voltaire.  Soit  que  nous-mêmes 
mis  croyions  en  Dieu,  soit  que  nous  n'y  croyions  pas,  il  serait  dan^ 
gereux  pom-  loiite  société  que  la  multitude  pensât  que,  sans  punition 
dans  ce  monde  et  sans  crainte  de  châtiment  dans  l'autre,  elle  peut 
voler,  empoisonner,  assassiner;  nous  sommes  dans  un  temps  où  les 
doctrines  contraires  à  la  morale  sont  pl.is  à  redouter  que  jamais 

«  Je  sais  qu'il  n'est  pas  très  galant,  de  la  part  d'un  amant,  d'en-^ 
tretenir  sa  bien-aimée  de  rêveries  philosophiques;  mais  à  qui  pour- 
rais-je  confier  mes  pensées  les  plus  secrètes,  si  ce  n'est  à  vous,  qui 
êtes  au-dessus  des  préventions  et  des  préjugés  de  votre  sexe. 

«  J'espère  que  votre  pénétration  n'a  pas  laissé  échapper  à  quelle 
divinité  j'adressais,  hier,  mes  prières  et  mon  serment  de  fidélité  et 
que  vous  seule  étiez  l'Être  suprême  que  j'adorais  et  que  toujours 
J  adorerai.  Gomment  va  votre  embonpoint?  Votre  Charles  anra-t-il  un 
frère  ou  une  sœur,  ou  est-ce  seulement  une  fausse  alarme?  Embrassez 
votre  cher  enfant.  Je  souperai  avec  vous,  demain.  Brûlez  cette  lettre. 

«  Ch.  Mau.  Talleyraisd.  » 

Quel  joli  cynisme,  n'est-ce  pas?  Les  deux  suivantes,  également 
adressées  à  M-«  de  Flahaut,  forment  une  trilogie  qui  pourrait  dis- 
pe.iser  un  biographe  de  s'étendre  plus  longuement.  Mais  nous  n'écri- 
vons pas  une  biographie.  Nous  ne  produisons  que  des  documents 
Ceux-ci  ne  sont  passes  moins  rejiarquables  : 

8  novembre  1790. 

«  Je  suis  fatigué  de  toutes  les  tracasseries  relatives  au  serment 
exigé  par  l'Assemblée.  Si  mes  frères  en  Jésus-Christ  n'étaient  pas  des 
fous.  Ils  suivraient  mon  exemple;  ils  penseraient  un  peu  plus  à  s'as- 
surer  en  France  un  sort  heureux,  et  s'embarrasseraient  moins  des 
scrupules  de  leur  conscience  et  de  leurs  devoirs  envers  Rome 


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fcd^iu.-;^-...,. 


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460 


LA    PKÉLATURE   DE    LÉON    XHI 


«  Après  tous  les  serments  que  nous  avons  faits  et  rompus    après 
avoir  tant  de  fois  juré  fidélité  à  une  cousiitutiou,  à  la  nation    à  la 
loi,  au  roi,  toutes  choses  qui  n'existent  que  de  nom,  qu'est-ce  qu'un 
nouveau  serment  signifie?  Le  pauvre  duc  d'Orléans  a  fait  ce  qu'il  a 
pu  pour  envelopper  les  prélats  de  l'Église  française  dans  la  même 
disgrâce  que  Louis  XVI;  mais,  grâce  à  la  sotlise  de  mes  niais  et 
fanatiques  confrères,  il  n'aura  pas  atteint  son  but,  et  je  doute  qu'il 
soit  déjà  en  état  de  récompenser  ceux  qui  l'ont  le  mieux  servi    J'ai 
passé,  hier,  six  heures  avec  lui,  Mirabeau,  Sieyès  et  Voidel-  à  mon 
retour,  j'ai  reçu  une  lettre  de  L.  P.,  et  ce  matin,  de  bonne  heure  je 
me  suis  rendu  chez  lui. 

«  La  Cour  est  en  relard;  ses  offres,  pour  arriver  à  arrêter  celte 
affaire,  ou  à  en  changer  la  direction,  sont  tellement  évasives,  qu'on 
ne  sait  vraiment  quel  parti  prendre.  Ce  qui  me  contrarie  plus  que 
tout  le  reste,  c'est  que  ces  tergiversations  continuelles  me  tiennent 
éloigné  de  vous... 

^janvier  91, 

*  Il  faut  que  j'arrange  mes  affaires  d'une  telle  manière  qu'en  cas 
de  naufrage  je  ne  me  trouve  pas  sans  ressources,  sur  la  côte  où  la 
destinée  m'aura  fait  échouer.  J'espère  recevoir  demain  une  somme 
considérahle  que  le  duc  me  doit.  Cette  somme,  jointe  à  ce  que  je 
possède  déjà  en  assignats,  nous  mettrait  à  même  de  vivre  dans  une 
contrée  éloignée,  si  les  circonstances  venaient  à  l'exiger... 

«  Comment  avez-vous  trouvé  la  farce  d'hier?  Les  galeries  étaient 
trop  pleines  pour  qu'il  me  fût  possible  de  vous  parler.  Les  hypo- 
crites! Ils  ont  vraiment  fait  un  beau  chef-d'œuvre!  Vous  aurez,  sans 
doute,  remarqué  combien  leurs  discours  étaient  étudiés,  leur  résigna- 
tion affectée.  L'impression  qu'ils  ont  produite  m'a  toutefois  empêché 
de  monter  à  la  tribune,  où  j'avais  bien  envie  de  déchirer  leur  masque 
l's  savaient  bien  qu'ils  ne  couraient  pas  grand  risque  en  échangeant 
leur  mitre  épiscopale  contre  un  prétendu  martyre;  sans  cela,  lespol- 
trons  ne  se  seraient  pas  montrés  si  vaillants. 

t  Ma  chère  amie,  je  suis  vraiment  indigné,  quand  je  pense  à  la 
facilite  avec  laquelle  on  peut  faire  des  dupes  dans  le  monde.  Les 
Upets  mâles  et  femelles  leur  ont  donné  de  bonnes  leçons  de  supers- 
tition ;  aussi  bien  que  de  certains  cardinaux,  chez  qui  le  patriotisme 
nest  certainement  pas  une  vertu  cardinale.  Je  voudrais  bien  qu'ils 
jouassent  leur  comédie  à  Rome,  et  non  à  Paris  où  leurs  mômeries 


UN   HÉRITIER   DE    TALLEYRAND    A    BÈNÉVENT    461 

apostoliques  ne  sont  plus  de  saison;  leur  martyre  peut,  je  crois, 
marcher  de  pair  avec  leur  orthodoxie.  Tout  cela  est  passé  de  mode, 
et  pourtant  nous  avons  encore  quelques  bonnes  gens,  bien  chrétiens, 
assez  ignorants  pour  croire  comme  croyaient  leurs  grands-pères! 
Quoique  toutes  ces  ridicules  affaires  m'aient  beaucoup  causé  d'em- 
barras, au  bout  du  compte,  je  n'ai  point  à  m'en  plaindre;  elles  m'ont 
été  plus  profitables  que  je  ne  l'espérais.  Voilà  toutes  mes  dettes 


De  xXapIes  à  Bénévent.  —  Escalier  d'honneur  du  Palazzo  Reale. 


débrouillées,  et  je  pourrais  acheter  la  tiare  de  France  ou  de  Rome, 
si  elle  était  à  vendre. 
«r  Brûlez  cette  lettre. 

«  Ch.  Mau.  t.  » 

Brûler,  cette  lettre?...  Que  nennil  Et  celles  que  l'édifiant  évêque 
adressait,  presqu'en  même  temps,  en  bon  prêtre  sacrifiant  sur  plu- 
sieurs autels  à  la  fois,  -  à  M-  de  La  Grange,  à  qui  il  offrait  «  ami- 
tié,  ans,  poésie,  musique,  lectures  et  promenades  nocturnes,  étoilées 
et  quelque'-ois  aussi  égayées  par  la  douce  clarté  de  la  lune  »  ;  —  à 
M™«  de  Staël,  à  qui  il  se  disait  «  sien  pour  jamais,  de  toute  son  âme  », 
dans  la  même  lettre  où  il  lui  apprenait,  en  toute  liberté,  d'une  autre 


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LA    PHÉLATURE    DE    LÉON    Xlll 


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«  Après  tous  les  serments  que  nous  avons  laits  et  rompus  après 
avoir  tant  de  fois  juré  fidélité  à  une  cousiitutiou,  h  la  .lation,  à  la 
loi,  au  roi,  toutes  choses  qui  n'existent  que  de  nom,  qu'est-ce  qu'un 
nouveau  serment  signifie?  Le  pauvre  duc  d'Orléans  a  fait  ce  qu'il  a 
pu  pour  envelopper  les  prélats  de  l'figlise  française  dans  la  même 
disgrâce  que  Louis  XVI;  mais,  grâce  à  la  sotlise  de  mes  niais  et 
fanatiques  confrères,  il  n'aura  pas  atteint  son  but,  et  je  doute  qu'il 
soit  déjà  en  état  de  récompenser  ceux  qui  l'ont  le  mieux  servi.  J'ai 
passé,  hier,  six  heures  avec  lui,  Mirabeau,  Sieyès  et  Voidel  •  à  mon 
retour,  j'ai  reçu  une  lettre  de  L.  P.,  et  ce  matin,  de  bonne  heure  je 
me  suis  rendu  chez  lui. 

«  La  Cour  est  eu  relard;  ses  oflfres,  pour  arriver  à  arrêter  cette 
aftan-e,  ou  à  eu  changer  la  direction,  sont  tellement  évasives,  qu'on 
ne  sait  vraiment  quel  parti  prendre.  Ce  qui  me  contrarie  plus  que 
tout  le  reste,  c'est  que  ces  tergiversations  continuelles  me  tiennent 
éloigné  de  vous... 

o  janvier  01. 

«  Il  faut  que  j'arrange  mes  affaires  d'une  telle  manière  qu'en  cas 
de  naufrage  je  ne  me  trouve  pas  sans  ressources,  sur  la  cote  où  la 
destinée  m'aura  fait  échouer.  J'espère  recevoir  demain  une  somme 
considérable  que  le  duc  me  doit.  Cette  somme,  jointe  à  ce  que  je 
possède  déjà  en  assignats,  nous  mettrait  à  même  de  vivre  dans  une 
contrée  éloignée,  si  les  circonstances  venaient  à  l'exiger... 

«  Comment  avez-vous  trouvé  la  farce  d'hier '/  Les  galeries  étaient 
trop  pleines  pour  qu'il  me  fut  possible  de  vous  parler.  Les  hypo- 
crites! Ils  ont  vraiment  fait  un  beau  chef-d'œuvre  I  Vous  aurez,  sans 
doute,  remarqué  combien  leurs  discours  étaient  étudiés,  leur  résigna- 
tion affectée.  L'impression  qu'ils  ont  produite  m'a  toutefois  empêché 
de  montiM-  à  la  tribune,  où  j'avais  bien  envie  de  déchirer  leur  masque 
l's  savaient  bien  qu'ils  ne  couraient  pas  grand  risque  en  échangeant 
leur  mitre  épiscopale  contre  un  prétendu  martyre;  sans  cela,  les  pol- 
trons ne  se  seraient  pas  montrés  si  vaillants. 

«  Ma  chère  amie,  je  suis  vraiment  indigné,  quand  je  pense  à  la 
facilite  avec  laquelle  on  peut  faire  .les  dupes  dans  le  monde.  Les 
Upets  maies  et  femelles  leur  ont  donné  de  bonnes  leçons  de  supers- 
tition ;  aussi  bien  que  de  certains  cardinaux,  chez  qui  le  patriotisme 
nest  certainement  pas  une  vertu  cardinale.  Je  voudrais  bien  qu'ils 
jouassent  leur  comédie  à  Rome,  et  non  à  Paris  où  leurs  mômeries 


UN    HÉRITIER   DE    TALLEYRAND    A    BÈNÉVENT     4G1 

apostoliques  ne  sont  plus  de  saison;  leur  martyre  peut,  je  crois, 
marcher  de  pair  avec  leur  orthodoxie.  Tout  cela  est  passé  de  mode,' 
et  pourtant  nous  avons  encore  quelques  bonnes  gens,  bien  chrétiens, 
assez  ignorants  pour  croire  comme  croyaient  leurs  grands-pères! 
Quoique  toutes  ces  ridicules  affaires  m'aient  beaucoup  causé  d'em- 
barras, an  bout  du  compte,  je  n'ai  point  à  m'en  i)laindre;  elles  m'ont 
été  plus  profitables  que  je  ne   l'espérais.   Voilà  toutes  mes  dettes 


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De  .Naplos  à  Rénévent.  —  Escalier  d'honneur  du  Palaz-io  Reale. 

débrouillées,  et  je  pourrais  acheter  la  tiare  de  France  ou  de  Rome, 
si  elle  était  à  vendre. 


«  Brûlez  cette  lettre. 


«  Ch.  Mau.  t.  » 


Brûler,  cette  lettre?...  Que  nenni!  Et  celles  que  l'édifiant  évêque 
adressait,  presqu'en  même  temps,  en  bon  prêtre  sacrifiant  sur  plu- 
sieurs autels  à  la  fois,  -  à  M-  de  La  Grange,  à  qui  il  offrait  .  ami- 
tié, arts,  poésie,  musique,  lectures  et  promenades  nocturnes,  étoilées 
et  quelquefois  aussi  égayées  par  la  douce  clarté  de  la  lune  »  ;  —  à 
3^«  de  Staël,  à  qui  il  se  disait  «  sien  pour  jamais,  de  toute  son  âme  », 
dans  la  même  lettre  où  il  lui  apprenait,  en  toute  liberté,  d'une  autre 


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462 


LA   PKÉLATUUË   DE    LÉON    XIII 


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femme:  *  ...  Elle  parle  bien  la  laague.  elle  a  d.s  manières  simples 
et,  ce  qui  esl  fort  recommandable  ici,  elle  couche  toutes  les  nuils 
avec  son  uian,    (ils  n'avaient  qu'une  chambre).  Prévenez    de  cela 
Mathieu  et  Narbonne;  dites-leur  bien  que  c'est  un  aritcïe  essentiel 
pour  avoir  bonne  réputation  dans  le  pays.  »  ' 

Ainsi,  de  ce  prélat  modèle,  on  disait  tant  de  mal  qu'ayant  hiî- 
même  écrit  une  première  fois  ses  véridiques  Mémoires,  il  en  rou-il 
le  pr-emier  et  employa  le  reste  de  sa  vie  à  en  rédiger  d'autres    — 
ceux  dont  on  attendrait  oO  ans  la  lecture  et  dont  chaque  Irait  atté- 
nuerait, effacerait,  mais  trop  tard,  les  vrais  premiers  Mémoires  du 
vrai  premier  Talleyrand  que  nous  possédons,  malgré  lui-même.  Ecou- 
tez-le pleurer  une  dernière  fois  sa   réputation  compromise  d'abbé 
dans  le  sein  grand  ouvert  de  l'attendrie  M»«  Gentil   de  Chavagnac  \ 
«  Oui,  madame,  s'il  est  vrai  qu'on  chuehole  des  traits  de  ma  vie 
du  séminaire,  je  veux  qu'on   me  les  conte.   Ils  doivent  être   bien 
tristes.  Je  n'aurai  peut-être  pas  trop  d'une  si  longue  existence,  pour 
oublier  et  ma  première  jeunesse  et  ce  temps  d'études  où  je  considé- 
rais tout  avec  dépit.  On  a  dit  que  j'étais  paresseux  :  ce  n'a  jamais 
été  vrai.  Qu'on  interroge  plutôt   ce  pauvre  abbé  Guélol,   qui   vit 
encore.  J'étais  l'enfant  le   plus  taciturne  qui  fût,    mais  en  même 
temps,  le  plus  ouvert  aux  leçons  des  maîtres  et  j'apprenais,  comme 
en  me  jouant.  Je  me  revois  dans  ma  petite  culotte  et  mon  petit  man- 
teau de  soie  noire,  me  promenant  dans  la  grande  cour  sur  les  mui*s 
de  laquelle  je  me  plaisais  à  lire  des  dates,  creusées  au   couteau. 
Plus  tard,  quand  j'étudiais  en  Sorbonne,  l'abbé  Bourlier  me  raconta 
qu'étant  venu,  certain  jour,  à  Saint-Sulpice,  il   avait  remarqué  un 
adolescent  qui  se  promenait  seul,  dans  un  coin  du  jardin.  «  Je  gage- 
rais maintenant  que  c'était  vous  d,   me  dit-il.   Il  est  certain  que  si 
quelq.i'un  aima  la  solitude  et  fréquenta  peu  ses  ca.narades,  ce  fut 
moi.  Je  faisais  mon  petit  Bonaparte  taciturne,  au  sémiiiaire.  Je 
m  étonne  de  n'y  avoir  pas  été  détesté.  Il  y  a  trente  ans,  on  eût  cer- 
tainement retrouvé  sur  un  coin  de  mon  mur  des  vers,  qui   alors 
eussent  passé  pour  voltairiens.  Aussi  mon  oncle  m'assurait-il  que 
je  ferais  un  vilain  petit  abbé  de  Périgord.  Je  n'y  ai  pas  manqué. 

<^  Il  faut  qu'on  ait  bien  envie  de  dire  des  folies,  pour  supposer 
quelque  intrigue  à  un  enfant  qui  allait  entrer  dans  sa  dix-huitième 
année.  A  Saint-Sulpice,  nous  ne  savions  guère  ce  qu'est  une  femme, 
bien  qu'on  nous  laissât  parfois  assez  de  liberté.  Lors  des  fêles  du 
mariage,  (je  venais  d'arriver  au  séminaire),  on  nous  permit  d'aller 
jouir  du  beau  feu  d'artifice;  et,  comme  nous  nous  étions  égarés  dans 


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UN    HÉRITIER    DE    TALLEYRAND    A    BÉNÉVENT     463 

la  foule,  je  me  trouvai  seul  avec  un  condisciple  de  mon  âge,  qui 
m'entraîna  dans  un  bal,  puis  d'autres  lieux.  Des  femmes  voulurent 
nous  griser;  mais  je  m'échappai,  je  courus  tout  d'une  traite  jusqu'à 
Saint-Sulpice,  où  je  reçus  une  sévère  réprimande  de  notre  vénérable 
directeur  qui,  par  la  suite,  me  témoigna  tant  d'affection.  C'est  peut- 
être  là  Tunique  péché  que  j'aie  commis  au  séminaire  contre  le  neu- 
vième commandement,  et  vous  avouerez  qu'il  est  véniel. 

«  Mais,  Madame,  ceux  qui  ont  feuilleté  mes  confessions  savent  que 
je  ne  perds  pas  mon  temps  ni  mon  encre,  à  rappeler  ces  bagatelles. 
Ils  n'auraient  pas  à  s'y  arrêter.  Je  les  ai  écrites  (et  j'y  travaille 
encore)  non  pour  amuser  la  postérité,  qui  se  souciera  peu  de  nous, 
mais  afin  de  trier  pour  moi-même  le  peu  de  bien  que  j'ai  pu  faire  et 
de  détruire,  en  même  temps,  de  sottes  légendes  et  de  plus  sots  pré- 
jugés. Que  si  l'on  me  croit  un  autre  mobile,  on  sera  grandement  désa- 
busé. Dans  une  démocratie,  les  actes  des  hommes  placés  au  pouvoir 
par  les  événements  ou  par  leurs  talents  n'ont  rien  de  secret  pour  le 
plus  humble  des  citoyens,  et  leurs  mémoires  ne  sauraient  être 
qu'une  aride  récapitulation  de  l'histoire  elle-même.  Mais  à  quoi  bon 
répéter  cela,  comme  cent  fois  je  l'ai  fait,  puisqu'on  veut  à  tout  prix 
que  ces  Mémoires  contiennent  des  révélations  à  chaque  page  ?  On 
croit  que  je  me  joue,  et  je  m'en  défends  vainement.  J'ai  fait,  il  y  a 
quelques  années,  cette  réponse  à  feu  l'abbé  de  Montgaillard,  qui 
m'interrogeait  sur  un  point  controversé  :  «  Ouvrez  le  Moniteur^  tel 
tome,  telle  page.  «  Il  m'a  cru  piqué  contre  lui,  ce  qui  n'avait  rien 
d'extraordinaire,  car  il  m'a  calomnié  de  reste;  et  pourtant  je  ne 
savais  rien  déplus  que  le  Moniteur  \...  Je  ne  suis  pas  Asmodée, 
heureusement  pour  moi,  car  souvent  il  devait  voir  de  bien  laides  choses. 

«  On  a  donc  menti  à  M""®  de  B...,  qui  a  cru  sur  parole  des  récits 
imaginés.  Désormais,  vous  vous  tiendrez  sur  vos  gardes,  madame,  du 
moins  je  veux  bien  le  croire.  —  N'est-on  pas  allé  vous  dire  aussi 
que  j'avais  été,  à  Londres  entre  autres,  l'amant  de  M"**  Gosway,  que 
vous  avez  connue?  On  vous  le  dira,  soyez-en  sûre,  car  on  l'a  lu. 
Chacun  l'affirme  en  Angleterre,  et  je  serais  mal  venu  d'oser   le  nier. 

«  Bon  Dieu  î  quelle  longue  lettre  !  Ce  sont  de  véritables  Mémoires 
que  je  vous  écris  là.  Madame.  Eh  bien,  oui,  ce  sont  mes  Mémoii^es^ 
et  pour  vous  seulement.  Puisque  vous  avez  lu  le  fatras  de  ceux  qu'on 
me  prête,  et  qui  sont  l'œuvre  de  plaisants,  vous  lirez  ceux-ci  jus- 
qu'au bout.  Ce  sera  votre  pénitence. 

Agréez  l'assurance  de  mon  hommage  respectueux. 

t  Talleyrand.  » 


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464 


LA    PRÉLATURE   DE   LÉON    XIII 


Malgré  ses  confessions  tardives,  le  constitutionnel  Talleyrand 
n'aura  rien  fait  pour  mériter  à  son  épiscopat  la  canonisation,  ni  la 
réhabilitation  des  calomnies  à  sa  jeunesse  galante.  Mais,  si  le  mar- 
tyrologe des  saints  lui  refuse  une  page  où  inscrire  sans  souillure 
son  nom,  ne  lui  reste-t-il  pas  l'histoire  des  politiques  dont  les 
papiers  plus  accessibles  pourront,  du  moins,  enregistrer  les  faits  et 
gestes  de  cet  évêque  défroqué  et  de  ce  ministre  revêtu  du  manteau 
et  des  pouvoirs  diplomatiques  où  nous  le  verrons  évoluer,  d'une 
désinvolture  bien  curieuse  et  sur  le  témoignage  de  documents  iné- 
dits, —  incroyables  presque. 

Laissons  donc  passer,  dans  l'élégante  chaise  qui  le  porte  et  dans 
le  manteau  bleu  où  se  perd  sa  fine  taille  de  bluel,  ce  délicat  abbé 
dont  le  peintre  Ysabey  avait  croqué  la  délicate  silhouette,  à  la  sort  e 
des  États  Généraux  ;  ce  Talleyrand  à  l'œil  rôveiir,  dont  la  voix  forte, 
—  chose  étrange!  —  n'en  dit  pas  moins  brutalement  à  ses  laquais 
étonnés  de  porter  un  tel  mâle  : 

—  Rue  de  Varennes,  au  Ministère  des  Relations  extérieures  ! 

Ainsi,  l'abbé  charmant  au  profil  si  fluet,  a  déjà  déposé,  dans  un 
coin  d'antichambre  du  Ministère  des  Relations  extérieures,  son  man- 
teau bleu,  sa  canne  et  son  faux  air  de  mystique  prélat;  et,  de  cette 
voix  forte  qui  a  fait  s'envoler  aussitôt  toutes  les  illusions,  comme  des 
papillons  légers,  Talleyrand  a  demandé  aux  ci-devant  citoyens  de  la 
Révolution  française  l'honneur  de  gérer  leurs  at!'aires.  Que  M"'"  de 
Staël,  l'amie  de  tout  grand  homme,  devine  celui-ci  et  l'introduise  au 
Directoire;  que  Bonaparte  partant,  sans  un  sou,  pour  l'Egypte, 
emprunte  cent  m»lle  francs  à  cet  habile  homme  d'aflfaires  qui  vient 
de  faire  en  Amérique  sa  fortune,  avec  l'argent  des  autres;  sur  ce 
terrain,  ainsi  préparé  pour  la  germination  instantanée,  l'habile  agro- 
nome de  Boston  et  de  Philadelphie  peut  jeter  sa  semaille  sur  la  terre 
de  France  qui  ne  demande  qu'à  produire  des  hommes,  au  lendemain 
de  Thermidor,  et  qui,  d'un  jet  subit,  va  enfanter  ses  (|eux  maître?  : 
Napoléon  et  Talleyrand. 

L'histoire  a  tout  appris  sur  le  génie  militaire  et  primesautier  du 
premier;  elle  n'a  pas  tout  révélé  encore  de  l'esprit  diplomatique  et 
raisonné  du  second.  L'un  fut  l'agent  de  l'autre,  (et  ce  ne  fut  presque 
jamais  le  ministre  qui  le  fut  de  son  empereur).  Par  conséquent,  le 
responsable  de  maints  crimes  ne  fut  pas  celui  qui  les  exécuta,  mais 
bien  plutôt  celui  qui  les  fit  faire.  Un  exemple  confirmera  ce  juge- 
ment, et  nous  n'ajouterons  rien  au  chapitre  que  M.  Jean  Gorsas  nous 


UN  HÉRITIER  DE  TALLEYRAND  A  BÉNÈVENT  46'>' 

a  fait  lire  depuis,  dans  son  livre,  sur  l'assassinat  politique  du  duc 
d'Enghien. 

Le  14  mars   1804,  à  cinq  heures  du  matin,  dans  le  petit  village 


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De  iNdpies  à  Bénévent.  —  Une  rue  du  popolino. 

d'Kltenheim,  un  jeune  homme  est  en  habit  de  chasse  et  va  sortir.  A 
la  môme  heure,  un  homme  d'âge  mûr,  en  veste  de  valet  de  poste,  se 
présente  devant  cette  porte  grande  ouverte  et,  au  mépris  des  lois  de 

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LA    PRÉLATURE    DE    LÉON    XIII 


Malgré  ses  confessions  tardives,  le  constitutionnel  Talleyrand 
n'aura  rien  fait  pour  mériter  à  son  épiscopat  la  canonisation,  ni  la 
réhabilitation  des  calomnies  à  sa  jeunesse  galante.  3Iais,  si  le  mar- 
tyrologe des  saints  lui  refuse  une  page  où  inscrire  sans  souillure 
son  nom,  ne  lui  resle-t-il  pas  l'histoire  des  politiques  dont  les 
papiers  plus  accessibles  pourront,  du  moins,  enregistrer  les  faits  et 
gestes  de  cet  évêque  défroqué  et  de  ce  ministre  revêtu  du  manteau 
et  des  pouvoirs  diplomatiques  où  nous  le  verrons  évoluer,  d'une 
désinvolture  bien  curieuse  et  sur  le  témoignage  de  documents  iné- 
dits, —  incroyables  presque. 

Laissons  donc  passer,  dans  l'élégante  chaise  qui  le  porte  et  dans 
le  manteau  bleu  où  se  perd  sa  fine  taille  de  bluet,  ce  délicat  abbé 
dont  le  peintre  Ysabey  avait  croqué  la  délicate  silhouette,  à  la  sort  e 
des  États  Généraux  ;  ce  Talleyrand  à  l'œil  rêveur,  dont  la  voix  forte, 
—  chose  étrange!  — n'en  dit  pas  moins  brutalement  à  ses  laquais 
étonnés  de  porter  un  tel  mâle  : 

—  Rue  de  Varenries,  au  Ministère  des  Relations  extérieures  ! 

Ainsi,  l'abbé  charmant  au  profil  si  fluet,  a  déjà  déposé,  dans  un 
coin  d'antichambre  du  Ministère  des  Relations  extérieures,  son  man- 
teau bleu,  sa  canne  et  son  faux  air  de  mystique  prélat;  et,  de  cette 
voix  forte  qui  a  fait  s'envoler  aussitôt  toutes  les  illusions,  comme  des 
papillons  légers,  Talleyrand  a  demandé  aux  ci-dcNant  citoyens  de  la 
Révolution  française  rhoiineur  de  gérer  leurs  atî'aires.  Que  M""'  de 
Staël,  l'amie  de  tout  grand  homme,  devine  celui-ci  et  l'introduise  au 
Directoire;  que  Ronaparte  partant,  sans  un  sou,  pour  l'Egypte, 
emprunte  cent  mille  francs  à  cet  habile  honmie  d'affaires  qui  vient 
de  faire  en  Amérique  sa  fortune,  avec  l'argent  des  autres;  sur  ce 
terrain,  ainsi  préparé  pour  la  germination  instantanée,  l'habile  agro- 
nome de  Roston  et  de  Philadelphie  peut  jeter  sa  semaille  sur  la  terre 
de  France  qui  ne  demande  qu'à  produire  des  hommes,  au  lendemain 
de  Thermidor,  et  qui,  d'un  jet  subit,  va  enfanter  ses  deux  maître^  : 
Napoléon  et  Talleyrand. 

L'histoire  a  tout  appris  sur  le  génie  militaire  et  primesautier  du 
premier;  elle  n'a  pas  tout  révélé  encore  de  l'esprit  diplomatique  et 
raisonné  du  second.  L'un  fut  l'agent  de  l'autre,  i^et  ce  ne  fut  presque 
jamais  le  ministre  qui  le  fut  de  son  empereur).  Par  conséquent,  le 
responsable  de  maints  crimes  ne  fut  pas  celui  qui  les  exécuta,  mais 
bien  plutôt  celui  qui  les  fit  faire.  Un  exemple  confirmera  ce  juge- 
ment, et  nous  n'ajouterons  rien  au  chapitre  que  M.  Jean  Gorsas  nous 


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UN   IIÉHITIEU    DE    TALLEYRAND    A    BÉNKVENT 


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a  fait  lire  depuis,  dans  son  livre,  sur  l'assassinat  politique  du  duc 
d'Knghien. 

Le  14  mars    1804,  à  cinq  heures  du  matin,  dans  le  petit  >illa're 


De  Aapies  à  Béiiévent.  —  Une  rue  du  popoli 


no. 


d'Ettenheim,  un  jeune  homme  est  en  habit  de  chasse  et  va  sortir.  A 
la  même  heure,  un  homme  d'âge  mûr,  en  veste  de  valet  de  poste,  se 
présente  devant  cette  porte  grande  ouverte  et,  au  mépris  des  lois  de 


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460 


LA    PRÉLATURE    DE    LEON    XIII 


riiospitalilé  en  général  et  de  celles  du  graiid-diiché  de  Bade  en  parti- 
culier qui  rendait  inviolables  les  étrangers,  ses  hôles,  —  cet  homme, 
ce  valet,  ce  faux  duc  arrête  ce  vrai  prince,  au  nom  d'un  Souverain 
nouveau  venu  de  qui  relèvent  seuls  les  aventuriers,  ses  contViM'es  et 
coopérateursd'uii  Empire  à  consolid(M',uue  fois  bâti  de  toutes  bribes. 
Celui-ci  est  H''nri  de  Bourbon,  et  celui-là  de  Caulaincourl;  le  pre- 
mier, duc  d'Enghien;  le  dernier,  duc  de  Vicence.  I/un  est  l'heureux 
fiancé  de  la  princesse  de  Bohan-Rochefort,  dont  l'amoureuse  pensée  de 
jeumî  fille  blonde  remplit  le  cœur  de  son  fier  chevalier  de  trente  ans; 
l'autre  n'est  qu'un  transfuge  des  rois  Bourbons  ([ui  l'ont  fait  noble  et 
dont  il  vient  saisir  un  des  fils,  —  prétendant  de  l'Amour  plutôt  que 
de  la  France,  —  au  bénéfice  du  conquérant  usurpateur  et  de  son 
ambitieux  ministre  qui,  pour  une  couronne,  vont  risquer  deux  hon- 
neurs. 

Les  quelques  documents  que  nous  donnons  ici,  (et  deux  d'entre  eux 
n'avaient  pas  encore  été  publiés;,  seront  cerlainement  lus  avec  inté- 
rêt. S'ils  ne  jettent  pas  un  jour  nouveau  sur  cette  mystérieuse  exécu- 
tion, après  les  études  consciencieuses  que  Boulay  delà  iVIeurtheelWels- 
chinger  en  ont  faites,  du  moins  ils  prouvent  indéniablement  la  part 
considérable  de  Talleyrand  en  cette  affaire.  «  L'opinio!i  publique,  dit 
M.  Welschinger,  excitée  par  l'arrestation  de  George,  paraissait  deman- 
der une  répression  sévère.  Ceux  qui  faisaient  le  plus  montre  d'indi- 
gnation étaient  Talleyrand  et  Fouché.  Ces  deux  rusés  avaient  l'air  de 
prendre  au  sérieux  les  rodomontades  des  émigrés;  ils  poussaient  le 
Premier  Consul,  ce  qui  était  alors  facile,  à  se  montrer  inexorable. 
Talleyrand  surtout,  qui  craignait  pour  sa  propre  sûreté,  car  il  n'aurait 
pas  été  impossible  de  découvrir  nue  correspondance  secrète,  engagée 
entre  lui  et  Louis  XVHL  II  avait  tout  intérêt  à  laisser  frapper  un  coup 
révolutionnaire...  » 

La  complicité  directe  de  Talleyrand  est  flagrante.  C'est  chez  lui  que, 
dans  l'après-midi  du  20  mars,  fut  dirigée  la  chaise  de  poste  contenant 
le  duc  d'Enghien.  Entre  trois  et  quatre  heures,  il  s'étaii  rendu  chez 
Béai,  pour  rédiger,  de  concert  avec  lui,  l'ordre  à  Murât  ci-dessous  : 


»  .- 


UN    HÉRITIER   DE    TALLEYRAND    A    BÉNÉVENT     467 


N-   4. 


5*  Division 

POLICE     SECRBTE 


99  ventôse  à  4  heures  du  soir. 


Au  général  en  chef,  Murât,  gouverneur  de  Paris, 

«  Général, 

«  D'après  les  ordres  du  Premier  Consul,  le  duc  d'Enghien  doit  être 
conduit  au  château  de  Vincennes  où  les  dispositions  sont  faites  pour 
le  recevoir.  Il  arrivera  probablement,  cette  nuit,  à  cctie destination.  Je 
vous  prie  de  faire  les  dispositions  qu'exige  la  sûrelé  de  ce  détenu,  tant 
à  Vincennes  que  sur  la  route  de  Meaux,  par  laquelle  il  vient. 

«  Le  Premier  Consul  a  ordonné  que  le  nom  de  ce  détenu  et  tout  ce 
qui  lui  sei-ait  relatif  fût  tenu  très  secret.  En  conséquence,  l'officier 
chargé  de  sa  garde  ne  doit  le  faire  connaître  à  qui  que  ce  soit  ;  il 
voyage  sous  le  nom  de  Plessis.  Je  vous  invite  à  donner  de  votre  côté 
les  instructions  nécesssaires  pour  que  les  intentions  du  Premier  Con 
sul  soient  remplies. 

«  Béal  et  Talleyr\!sd.  » 


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5*  Division 


POLICE     SECRÈTE 


29  ventôse,  an  XII,  4  heures  1/2, 


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Au  citoyen  Hurel,  commandant  du  château  de  Vincennes. 

«  Un  individu  dont  le  nom  ne  doit  pas  être  connu  doit  être  conduit 
dans  le  château  dont  le  commandement  vous  est  confié.  Vous  le  pla- 
cerez dans  l'endroit  qui  est  vacant  en  prenant  les  précautions  conve- 
nables pour  sa  sûrelé.  L'intention  du  goiivernement  est  que  tout  ce 
qui  lui  sera  relatif  soit  tenu  très  secret  et  qu'il  ne  lui  soit  fait  aucune 
question  sur  ce  qu'il  est  et  sur  les  motifs  de  sa  détention.  Vous-même 
devrez  ignorer  qui  il  est.  Vous  seul  devez  communiquer  avec  lui  et 
vous  ne  le  laisserez  voir  à  qui  que  ce  soit,  jusqu'à  nouvel  ordre  de  ma 
part.    Il  est  probable  qu'il   arrivera,  cette  nuit.  Le  Premier  Consul 


fil 


468 


LA   PRÉLATURE    DE    LÉON    XIII 


compte,  citoyen  Commandant,  sur  votre  discrétion  et  votre  exactitude 
à  remplir  ces  différeiites  dispositions. 

«  Real  et  T\li.eyrand.  » 

Les  documents  suivants  achèveront  de  mettie  hors  de  doute  cette 
intervention  personnelle,  que  Talleyrand  nia  si  iniperlurhablemcut 
jusqu'à  ses  derniers  jours.  C'est,  d'abord,  une  lettre  de  lui  à  Bonaparte. 
Le  Premier  Consul  l'avait  entretenu,  le  7  mars,  des  conspirations  qui 
paraissaient  se  tramer,  et  le  ministre  s'empressait  de  lui  donner  un 
conseil  : 

Au  général  Bonaparte^  Premier  Consul, 

«  J'ai  beaucoup  réfléchi  à  ce  que  vous  m'avez  fait  l'honneur  de  me 
dire,  hier.  La  forme  du  gouvernement  qui  nous  régit  est  la  plus  appro- 
priée aux  mœurs,  aux  besoins,  aux  intérêts  de  notre  pays.  Mais  ce 
qu'on  ne  sent  pas  assez  en  France  et  même  en  Europe,  c'est  que  cet 
ordre  de  choses  si  précieux  lient  uniquement  à  voire  personne,  qu'il  ne 
peut  subsister  et  se  consolider  que  par  elle.  Les  convictions  à  cet 
égard  seraient  même  à  peu  près  unanimes,  si  quelques  intrigants 
malintentionnés  n'avaient  l'art  de  semer  continuellement  des  bruits  qui 
tendent  à  faire  croire  que  vos  idées  ne  sont  pas  si  complètement  arrê- 
tées, que  vous  pourriez  tourner  vos  regards  vers  l'ancienne  famille 
régnante. 

«  Ils  vont  même  jusqu'à  donner  à  entendre  que  vous  pourriez  vous 
contenter  du  rôle  de  Monk.  Cette  supposition,  répandue  avec  une 
grande  perfidie,  fait  le  plus  grand  mal.  Voilà  qu'une  occasion  se  pré- 
sente de  dissiper  toutes  ces  inquiétudes.  La  laisserez-vous  échapper? 
Elle  vous  est  offerte  par  l'affaire  qui  doit  amener  devant  les  tribunaux 
les  auteurs,  les  acteurs  et  les  complices  de  la  conspiration  récem- 
ment découverte.  Les  hommes  de  Fructidor  s'y  retrouvent  avec  les 
Vendéens,  qui  les  secondent.  Un  prince  de  la  maison  de  Bourbon  les 
dirige.  Le  but  est  évidemment  l'assassinat  de  votre  personne.  Vous 
êtes  dans  le  droit  de  la  défense  personnelle.  Si  la  justice  doit  punir 
rigoureuseument,  elle  doit  aussi  punir  sans  exception.  Réfléchissez-y 


bien. 


«  Gh.  Mau.  Talleykand.  » 


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Evidemment,  quand  on  se  trouve  en  présence  d'un  document  de  celte 
gravité,  si  nettement  accusateur,  l'impartialité  doit  plaider  en  faveur 


UN   HÉRITI  DE    TALLEYRAND    A    BÉNÉVENT    46& 

de  l'accusé.  Il  faut  faire  une  enquête,  s'assurer  d'autre  part.  C'est  ce 
qu'a  fait,  par  exemple,  M.  Welschinger.  Faux,  ce  document?  Allons 
donc!  Que  M.  d'Haussonville  fasse  taire  ses  scrupules.  «  J'ai  eu  sous 
les  yeux,  dit  M.  de  Méneval,  une  lettre  du  prince  de  Talleyrand,  en 
date  du  i7  ventôse  an  Xil  (8  mars  1804).  J'ai  reconnu  à  l'instant 
cette  lettre,  écrite  sur  une  feuille  double  de  papier  tellière,  qui  est 
tout  entière  de  la  main  de  M.  de  Talleyrand,  et  signée  par  lui.  Elle 
avait  passé  par  mes  mains,  lorsqu'elle  fut  adressée  au  Premier  Con- 
sul. Elle  portait  en  substance  que  son  auleuravail  réfléchi  sur  l'objet 


De  Naples  à  Bénévent.  —  Autour  du  Vésuve. 

de  l'entretien  qu'il  avait  eu  l'honneur  d'avoir,  la  veille,  avec  le  générai 
Bonaparte  ;  que  les  Français  aimaient  son  gouvernement...,  que  le 
salut  de  l'État  demandait  que  tous  les  conspirateurs  fussent  atteints 
sans  exception.  » 

Chateaubriand  qui,  le  jour  même  de  l'exécution  du  duc  d'Enghien, 
adressa  à  Talleyrand  sa  démission  de  ministre  plénipotentiaire  dans 
le  Valais,  dit  à  son  tour  :  «  J'ai  tenu  dans  mes  mains  et  lu  de  mes 
yeux  une  lettre  de  M.  de  Talleyrand.  Elle  est  datée  du  8  mars  1804, 
et  relative  à  l'arrestation  non  encore  exécutée  de  M.  leducd'Enghien. 
Le  ministre  invite  le  Consul  à  sévir  contre  ses  ennemis.  »  Le  hasard 


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468 


LA   PRÉLATLRE    DE    LÉON    XIII 


compte,  ciloyen  Commandant,  sur  votre  discrétion  et  voire  exactitnde 
à  retnplir  ces  dittéreiites  disposilions. 

«  Real  et  Tallkyiiam).  » 

Les  documents  suivants  aclièveront  de  mettre  hors  de  doute  celle 
intervention  personnelle,  que  Talli'vrand  nia  si  imperturbablement 
jusqu'à  ses  derniers  jours.  C'est,  d'abord,  une  lettre  de  lui  à  Bonaparte. 
Le  Premier  Consul  l'avait  entretenu,  le  7  mars,  des  conspirations  (jui 
paraissaient  se  tramer,  et  le  ministre  s'empressait  de  lui  donner  un 
conseil  : 

Au  général  lUmaparle^  Premier  Consul. 

((  J'ai  beaucoup  rélléclii  à  ce  que  vous  m'avez  fait  l'iioinieurde  me 
dire,  hier.  La  forme  du  gouvernement  qui  nous  régit  est  la  plus  appro- 
priée aux  mœurs,  aux  besoins,  aux  intérêts  de  notre  pays.  Mais  ce 
qu'on  ne  sent  pas  assez  en  France  et  même  en  Kurope,  c'est  que  cet 
ordre  de  choses  si  précieux  tient  uniquement  à  voire  personne,  qu'il  ne 
peut  subsister  et  se  consolider  que  par  elle.  Les  convictions  à  cet 
égard  seraient  même  à  peu  près  unanimes,  si  (inebpies  intrigants 
malinlenliotinés  n'avaient  l'art  de  semer  continuellement  des  bruits  qui 
tendent  à  taire  croire  que  vos  idées  ne  sont  pas  si  complètement  arrê- 
tées, que  vous  pourriez  tourner  vos  regards  vers  l'ancienne  famille 
régnante. 

«  Ils  vont  même  jusqu'à  donner  à  entendre  que  vous  pourriez  vous 
contenter  du  rôle  de  Monk.  Cette  supposition,  répandue  avec  une 
grande  perfidie,  fait  le  plus  grand  mal.  Voilà  iprune  occasion  se  pré- 
sente de  dissiper  toutes  ces  inquiétudes.  La  laisserez-vons  échapper? 
Elle  vous  est  otVerte  par  l'atYaire  qui  doit  amener  devant  les  tribunaux 
les  auteurs,  les  actmrs  et  les  complices  de  la  (conspiration  récem- 
ment découverte.  Les  hommes  de  Fructidor  s'y  retrouvent  avec  les 
Vendéens,  (pii  les  secondent.  Un  [)rim'e  de  la  maison  de  lîourlxm  les 
dirige.  Le  but  est  évidemment  l'assassinat  de  votre  personne.  Vous 
êtes  dans  le  droit  de  la  défense  personnelle.  Si  la  justice  doit  punir 
rigoureuseument,  elle  doit  aussi  punir  saus  exception.  Uélléchissez-y 
bien. 

«  Gh.  MaU.  TALLEYUA>iD.  » 

Evidemment,  quand  on  se  trouve  en  présence  d'un  document  de  celte 
gravité,  si  nettement  accusateur,  l'impartialité  doit  plaider  en  faveur 


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UN    HÉRITI  DE    TALLEYRAND    A    BÉNÉVENT     4GÎ) 

de  l'accusé.  Il  faut  faire  une  enquête,  s'assurer  d'autre  pai't.  C'est  ce 
qu'a  fait,  par  exemple,  M.  Welschinger.  Faux,  ce  document?  Allons 
donc!  Que  M.  d'Haussonville  fasse  taire  ses  scrupules.  «  J'ai  eu  sous 
les  yeux,  dit  >L  de  iMéneval,  une  lettre  du  prince  de  Talleyrand,  en 
date  du  17  ventôse  an  XII  (8  mars  180 i).  J'ai  reconnu  à  l'instant 
cette  lettre,  écrite  sur  une  feuille  double  de  papier  tellière,  qui  est 
tout  entière  de  la  main  de  M.  de  Talle\rand,  et  signée  par  lui.  Elle 
avait  passé  par  mes  mains,  lorsqu'elle  fut  adressée  au  Premier  Con- 
sul. Elle  portait  en  substam'c  que  son  auleui'avait  rélléclii  sur  l'objet 


De  Aapies  à  Dénévent.  —  .\utour  du  Vésuve. 

de  l'enlretien  (pi'il  avait  eu  l'honneur  d'avoir,  la  veille,  avec  le  général 
Bonaparte  ;  que  les  Français  aimaient  son  gouvernement...,  que  le 
salut  de  l'État  deujandait  (lue  tous  les  conspirateurs  fussent  atteints 
sans  exception.  » 

Chateaubriand  qui,  le  jour  même  de  l'exécution  du  duc  d'Enghien, 
adressa  à  Talleyrand  sa  démission  de  ministre  plénipotentiaire  dans 
le  Valais,  dit  à  son  tour  :  «  J'ai  tenu  dans  mes  mains  et  lu  de  mes 
yeux  une  lettre  de  M.  de  Talleyrand.  Elle  est  datée  du  8  mars  1804, 
et  relative  à  l'arrestation  non  encore  exécutée  de  M.  ieducd'Enghien. 
Le  ministre  invite  le  Consul  à  sévir  contre  ses  ennemis.  »  Le  hasard 


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470 


LA   PRÉLATURE   DE    LÉON    XIII 


a  beau  se  prêter  à  bien  des  surprises,  il  n'est  pas  admissible  que  deux 
hommes,  éloignés  l'un  de  l'autre,  aient  eu  la  même  hallucination  rela- 
tivement à  l'existence  de  la  lettre  de  Talleyrand  à  Bonaparte.  L'exis- 
tence de  cette  pièce  ne  saurait  donc  être  mise  en  doute  bien  sérieuse- 
ment. Les  quelques  pièces  qui  suivent  achèveront,  d'ailleurs,  d'ap- 
porler  la  conviction. 

Paris,  le  11  mars  1804. 

A  iW.  le  baron  d'Edehheimy  ministre  d'Etat,  à  Carslrulie. 

«  Monsieur  le  baron,  je  vous  avais  envoyé  une  note  dont  le  contenu 
tendait  à  requérir  l'arrestation  du  comité  d'émigrés  français  siégeant 
à  Off'enbourg,  lorsque  le  Premier  Consul,  par  l'arrestation  successive 
des  brigands  vomis  en  France  par  le  gouvernement  anglais,  comme 
par  la  marche  et  les  résultats  des  procès  qui  sont  instruits  ici,  reçut 
connaissance  de  toute  la  part  que  les  agents  anglais  à  Offeiibourg 
avaient  prise  aux  terribles  complots  tramés  contre  sa  personne  et 
contre  la  sûrelé  de  la  France. 

«  Il  a  appris,  de  même,  que  le  duc  d'Engbien  et  le  général  Dumou- 
riez  se  trouvaient  à  Ettenheim  ;  et,  comme  il  est  impossible  qu'ils  se 
trouvent  en  cette  ville  sans  la  permission  de  S.  A.  El.,  le  Premier 
Cousul  n'a  pu  voir  sans  la  plus  profonde  douleur  qu'un  prince,  auquel 
il  lui  avait  plu  de  Tiira  éprouver  les  effets  les  plus  signalés  de  son 
amitié  envers  la  France,  pût  donner  asile  à  ses  ennemis  les  plus 
cruels,  et  leur  laissât  ourdir  tranquillement  des  conspirations  aussi 
inouïes. 

€  En  cette  occasion  si  extraordinaire,  le  Premier  Consul  a  cru  de- 
voir donner  à  deux  petits  détachements  l'ordre  de  se  rendre  à  Offen- 
bourg  et  à  Etienheim  pour  y  saisir  les  instigateurs  d'un  crime  qui, 
par  sa  nature,  met  hors  du  droit  des  gens  tous  ceux  qui  manites- 
temcnt  y  ont  pris  part.  C'est  le  général  Gaulaincourt  qui,  à  cet  égard, 
est  chargé  des  ordres  du  Premier  Consul.  Vous  ne  pouvez  pas  douter 
qu'en  les  exécutant,  il  n'observe  tous  les  égards  que  S.  A.  peut  dési- 
rer. Il  aura  l'honneur  de  remettre  à  V.  Exe.  la  lettre  que  je  suis 
chargé  de  lui  écrire. 

«  Recevez,  Monsieur  le  baron,  l'assurance  de  ma  haute  estime. 

«Ch.  M.  Talt.eyiiaisi). 


^ 


UN     HÉRITIER   DE    TALLEYRAND    A    BÉNÉVENT    471 


t  Pam,  ?i  venlôse  an  XU  {12  mars  J804) 

a  Général, 

«  J'ai  l'honneur  de  vous  adresser  une  letlre  pour  le  baron  d'Edels- 
heim,  ministre  principal  de  l'Electeur  de  Baden.  Vous  voudrez  bien 
la  lui  faire  parvenir,  aussitôt  que  votre  expédition  d'Offenbourg  sera 
consommée.  Le  Premier  Consul  me  charge  de  vous  dire  que,  si  vous 
n'étiez  pas  dens  le  cas  de  faire  entrer  des  troupes  dans  les  Etats  de 
l'Electeur  et  que  vous  appreniez  que  le  général  Ordener  n'en  a  point 
fait  entrer,  cette  letlre  doit  rester  entre  vos  mains  et  ne  pas  être 
remise  au  n)inistère  de  l'Electeur. 

«  Je  suis  chargé  de  vous  recommander  particulièrement  de  faire 
prendre  et  de  rapporter  avec  vous  les  papiers  de  M""^  deReich. 

«  J'ai  rhûnnour  de  vous  saluer. 

»  Ch.  Mau.  Talleyrand.  » 


Au  général  Levai. 

Dépêche  de  Talleyrand  à  M.  de  Champagny 

«  Mars  180f 


a  11  paraîtrait,  d'après  les  renseignements  acluels,  que  le  plus 
grand  nombre  des  princes  s'est  contenté  d'autoriser,  d'exciter,  d'écrire, 
d'attendre;  et  qu'un  seul,  le  duc  d'Engbien,  a  prostitué  le  courage 
qu'il  avait  montré  dans  quelques  occasions,  au  danger  de  suivre  de 
plus  près  et  de  seconder  l'accomplissement  du  crime,  et  à  l'espérance 
d'en  recueillir  les  fruits.  Quoi  qu'il  en  soit,  il  a  été  pris  dans  un  ras- 
semblement armé,  pour  ainsi  dire,  à  la  vue  des  forteresses  fran- 
çaises, et  il  a  été  jugé  militairement.  La  France,  depuis  longtemps 
accoutumée  à  ne  mettre,  ni  parmi  ses  amis,  ni  parmi  ses  ennemis, 
d'autre  distinction  que  celle  qui  naît  de  la  puissance  conféré  par  le? 
lois,  des  qualités  de  l'àme,  des  talents  de  l'esprit  et  du  bon  usage 
qu'on  en  fait,  n'a  vu  dans  cette  circonstance  qu'une  peine  appliquée 
à  un  délit  que  la  sûreté  des  frontières  et  les  lois  de  la  guerre  pres- 
crivent égalemeiit  de  punir.  » 

Enfin,  pour  en  finir  avec  l'aflfaire  du  duc  d'Engbien,  voici  encore 


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472 


LA   PRÉLATURE    DE   LÉON    XIII 


deux  lettres  curieuses,  l'une  et  Lami-e  contresignées  par  Talleyrand, 
et  dont  la  première  lui  est  adressée  : 


ff  Novembre  1804. 


«  Monseigneur, 


<c  Ayant  écrit  sans  réponse  ù  M.  Miot,  conseiller  d'Etat,  chargé 
de  la  police  du  2^  Arrondissement  de  l'Empire,  j'ai  l'honneur  de  vous 
exposer  très  humblement  que  mon  fils  Joseph  Galonné  a  été  arrêté  à 
Ettenheim  avec  le  ci-devant  duc  d'Eiighien,  au  service  duquel  il  était 
attaché  en  qualité  de  valet  de  pied  ;  et  que,  depuis  ce  moment,  consé- 
quemmerit  près  de  huit  mois,  il  gémit  dans  les  prisons  de  Stras- 
bourg. 

«  La  suppliante,  qui  a  perdu  quatre  enfants  au  service  de  la  Répu- 
blique, n'a  plus  que  celui-là  sur  lequel  elle  peut  compter  dans  sa 
vieillesse.  Lui  seul  est  capable  de  la  secourir.  Daignez  donc,  mon- 
sei.^neur,  lui  faire  la  grâce  de  vous  intéresser  à  son  malheureux 
sort,  ainsi  qu'à  celui  de  son  pauvre  fils,  en  ordonnant  son  élargis- 
sement. «  Elle  l'attend  pour  l'embrasser  une  dernière  fois,  avant  de 
l'envoyer  chez  un  ancien  maître  qui  veut  bien  le  reprendre  à  son  sei  vice. 

«  Votre  très  humble  servante, 

«  Veuve  Caloinise.  » 

NOTE  DE  LA  MAIIN  DE  TALLEYRAND 

«  Renvoyer  à  la  division  de  la  «  liberté  individuelle  »  celte  pétition 
ayant  pour  objet  l'élargissement  d'un  s*îrviteur  du  ci-devant  due 
d'Enghien.  —  Ch.  Mau.  Talleyrand.  » 

«  Le  11  janvier  I80L 

«  A  Son  Excellence  le  Ministre  de  la  police  générale  de  V Empire, 

«  J'ai  l'honneur  de  rendre  compte  à  Votre  Excellence  de  la  récla- 
mation formée  en  faveur  du  sieur  Weinborn,  ancien  grand-vicaire  du 
diocèse  de  Strasbourg,  au  delà  du  Rhin,  tendant  à  obtenir  la  per- 
mission de  se  fixer  dans  cette  ville.  Le  sieur  Weinborn  était 
secrétaire  du  feu  cardinal  de  Rohan,  évêque  de  Strasbourg,  son 
homme  de  confiance.  Il  fut  arrêté  à  Ettenheim,  lors  de  l'affaire  du  duc 
d'Enghien,  amené  à  Paris  et  détenu  au  Temple,  pendant  huit  mois; 


f) 


UN   HÉRITIER    DE   TALLEYRAND    A    BÉNÉVENT    475 

mis  ensuite  en  liberté,  par  décision  de  Votre  Excellence  du  28  bru- 
maire, an  XII  (etc.).  » 

Suit  une  note  de  la  main  de  Weinborn,  se  terminant  par  ces- 
mots  :  «  J'ai  accepté  avec  empressement  le  nouveau  Concordat,  et  j'y 
ai  adhéré  du  fond  de  mon  âme.  —  Weinborn,  vicaire  général.  » 

Note  de  la  main  de  Talleyrand  à  qui  Fouché  dut,  sans  doute,, 
communiquer  cette  pièce  : 

«  Laissez  donc  allez  ce  vieux  fou.  —  T.  P.  de  Rénévent.  » 

L'histoire  ne  dit  pas  si  ce  Weinborn  relâché  ne  préféra  point  rester 
toute  la  vie  fou,  plutôt  que  d'être  un  assassin.  A  coup  sûr,  Talleyrand, 
coupable  et  convaincu  de  ce  crime,  est  responsable  de  cette  parole  — 
la  sienne  —  celle  qui,  loin  d'être  un  trait  d'esprit,  n'est  qu'un  poignard 
sanglant  perçant  à  son  tour  le  véritable  assassin  du  duc  d'Enghien, 
dont  Talleyrand  plaignit  par  ces  mots,  l'injuste  mort  : 

—  Ce  fut  plus  qu'un  crime;  ce  fut  une  faute! 

Mais  à  combien  de  fautes  aussi  énormes,  dont  celle-ci  était  à  peine 
la  première,  ce  ministre  néfaste  allait  vouer  sa  vie  trop  longue  et  son 
nom  immortel,  parmi  les  noms  odieux  des  plus  célèbres  politiques 
et  des  plus  remarquables  bandits? 

Si  Ton  n'a  de  place  dans  la  vie  que  celle  qu'on  y  prend,  et  dans 
l'histoire  que  celle  qu'on  y  laisse,  il  est  à  craindre  que  Talleyrand 
n'ait  usé  de  toute  sa  grandeur  dans  la  première  que  pour  abuser, 
dans  la  seconde,  de  toute  sa  petitesse.  Telle  est,  du  moins,  l'impres- 
sion pénible  qui  se  dégage  de  la  lecture  ennuyeuse  des  quatre  épais- 
volumes  des  Mémoires  de  cet  homme,  où  il  réédite  de  vieux  papiers 
d'affaires  générales  déjà  connus,  et  non  des  souvenirs  particuliers  et 
ignorés  encore.  Chose  étrange  pourtant,  que  cette  confession  d'un 
diplomate^  dont  la  situation  considérable  pendant  les  trente  dernières 
années  du  dix-huitième  siècle  et  les  premiers  trente  ans  du  dix-neu- 
vième, aurait  pu  prêter  aux  révélations  les  plus  intéressantes.  Mais,  si 
bien  commencée  avec  unpremier  livre  écrit  sur  son  adolescence  par 
un  pur  gentilhomme  de  naissance  et  de  littérature,  elle  s'arrête  là, 
net.  Talleyrand  ne  poursuivra  son  récit  que  comme  un  insipide 
fureteur  de  cartons  verts  et  comme  un  soporifique  ministre  des 
Relations  extérieures...  mais  intérieures,  que  non  pas  ! 
—  Il  faut  se  garder  des  premiers  mouvements,  parce  qu'ils  sont 


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LA    PRÉLATURE    DE    LÉON    XIII 


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presque  toujours  honnêtes  !  avait  écrit,  un  jour,  cet  heureux  débu- 
tant et  ce  néfaste  finisseur,  qui  avait  ajouté  en  une  autre  circonstance  : 
«  Après  l'affection  que  je  me  porte,  les  autres  sont  inutiles  !  »  et  qui 
«e  fût  certes  gardé,  après  avoir  si  bien  fait  ses  affaires,  de  faire  un 
peu  celles  de  ses  malheureux  éditeurs.  Quant  aux  affaires  de  Talley- 
rand,  vous  savez  ce  que,  de  son  temps  déjà,  Napoléon  en  pensait  : 

—  Voyons,  Talleyrand,  lui  demanda  un  jour  lempereur,  la  main 
sur  la  conscience,  combien  avez-vous  gagné  avec  moi  ? 

—  Le  chiffre  que  vous  me  demandez  est  comme  celui  de  l'âge 
d'une  femme,  qui  n'avoue  que  l'âge  des  autres. 

—  N'aurait-elle  pas  intérêt  à  dire  la  vérité  ?  En  la  dissimulant, 
elle  s'expose  à  être  vieillie,  comme  vous  à  être  chargé  par  la  cava- 
lerie de  Saint-Georges  d'Angleterrp. 

—  Eh  bien!  Sire,  en  bloc,  soixante  millions. 

—  Ce  ne  serait  pas  trop  cher,  ajouta  Napoléon,  si  le  chiffre 
était  vrai. 

Un  autre  chiffre  tout  aussi  vrai  fut,  parmi  les  cent  autres  chiffres 
dont  les  Mémoires  de  Talleyrand  ne  disent  rien,  celui  qu'il  avoua 
encore  après  la  compétition  au  trône  de  Naples,  par  Ferdinand  et 
par  Murât  : 

—  Comme  avocat,  je  reçus  de  chacun  de  ces  deux  clients 
1,250,000  francs.  Mais  Ferdinand  y  ajouta  une  nouvelle  investiture 
de  la  principauté  de  Bénévenl,  et  le  duché  de  Dino  ;  ce  qui  tit  pen- 
cher la  balance  de  son  coté.  Vœ  viciis  ! 

Vœ  viclis  !...  et  tant  pis  pour  le  malchanceux  éditeur  de  ces  insup- 
portables Mémoires.  Et  connais.sait-il  si  peu  l'histoire  que,  malgré 
elle,  il  se  soit  confié  à  son  auteur  suspect?  Avant  de  prendre  pour  des 
œuvres  littéraires  les  écrits  qu'aurait  laissés  Talleyrand,  que  n'avail-on 
plutôt  consulté  les  souvenirs  de  ceux  qui  entendirent  le  fin  Laubarde- 
ment  de  cette  époque  moins  écrivassière  et  moins  bavarde  même  que 
la  nôtre,  dire  à  maintes  reprises  ces  mots  qui  valent  bien  des  Mémoires, 
après  tout,  mais  à  la  condition  qu'on  les  retienne  : 

—  Les  oies  font  assurément  moins  de  sottises,  qu'on  n'en  écrit 
avec  leurs  plumes. 

—  Un  long  discours  n'avance  pas  plus  les  affaires,  qu'une  robe 
■traînante  n'aide  à  la  marche. 

—  Celui  qui  ne  comprend  pas  un  regard,  ne  comprendra  pas  davan- 
tage une  longue  explication. 

—  Les  hommes  discrets  parlent  sans  qu'on  leur  demande  ce  qu'ils 
ont  à  dire;  ils  ne  répondent  jamais. 


4 


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UN    HÉRITIER    DE    TALLEVRANT    A    BÉNÉVENT     475 

—  L'homme  est  une  intelligence  contrariée  par  des  organes. 

—  La  parole  a  été  donnée  à  l'homme  pour  déguiser  sa  pensée. 

—  On  ne  va  jamais  si  loin  que  lorsque  l'on  ne  sait  pas  où  l'on  va. 

—  Ne  dites  jamais  de  mal  de  vous;  vos  amis  en  diront  toujours 
assez. 

—  Toute  révél.itioM  d'un  secret  est  la  faute  de  celui  qui  l'a  confié. 

—  L'inertie  est  une  vertu;  l'aclivilé  est  un  vice.  On  doit  être 
actif,  quand  l'occasion  passe;  on  peut  être  paresseux  et  nonchalant, 
quand  on  l'attend. 

—  Tout  ce  qu'on  dit  sera  répété,  tout  ce  qu'on  écrit  sera  publié, 
et  tout  se  retournera  contre  vous. 

—  Rœderer  est  chargé  de  la  Constitution  cisalpine.  Il  préparc 
deux  projets  :  l'un  court  et  clair,  l'autre  détaillé  et  confus,  qu'il  m3 
soumet.  Il  tenait  pour  le  premier,  disant  qu'une  Constitution  doit  être 
courte  :  —  Oui,  c'est  bien  cela,  Rœderer;  courte  et  obscure. 

Les  Mémoires  de  Talleyrand  sont  un  peu  plus  longs  que  la  Consti- 
tution de  Rœderer,  sans  être  plus  explicatifs.  Et  voilà  pourquoi, 
pauvre  éditeur,  votre  fille  est  muette.  Et  plût  à  Dieu  que  se  tût  tout  à 
l'ait  celte  fille,  plus  vicieuse  que  les  vieilles,  dès  vingt-cinq  ans  où 
nous  avons  vu  Talleyrand,  nommé  à  l'évêché  d'Autun,  oublier  son 
anneau  et  sa  barrette  dans  la  chambre  à  coucher  de  la  comtesse  de 
Flahaut.  11  est  vrai  que,  si  le  futur  général  de  Flahaut  n'était  pas 
né  de  cette  faute,  la  reine  Hortense  n'eût  pu  permettre,  plus  tard,  au 
comte  de  Morny  de  s'appeler  le  frère  de  Napoléon  IIL  C'est  ce  qui 
prouve,  comme  eût  dit  encore  Talleyrand  avec  sa  langue  de  libertin 
exquis,  que  toute  faute  reçoit  ici -bas  sa  récompense. 

—  Tenez,  vous  n'êtes  que  de  la  boue  dans  un  bas  de  soie  !  lui  dit 
un  jour  Napoléon. 

Si  encore  ce  joli  polisson  eût  osé  répondre  à  l'Empereur  aussi 
vicieux,  mais  plus  violent  que  son  ministre  : 

—  Je  suis  ce  bas  de  soie,  vous  êtes  l'autre;  les  deux  font  la  paire. 
Il  aima  mieux  réserver  sa  réplique  et  ajouter,  un  autre  jour  : 

—  Sire,  la  politesse  est  votre  ennemie  personnelle.  Si  vous  pou- 
viez vous  en  défendre  à  coups  de  canon,  il  y  a  beaucoup  de  temps 
qu'elle  n'existerait  plus. 

«  Tout  cola  s'entendait,  continue  Talleyrand,  en  traversant  les  gale- 
ries, au  milieu  des  officiers  et  des  courtisans  étonnés,  curieux  et 
malveillants.  Je  me  donnai  le  plaisir  de  leur  dire  : 

—  Vous  avez  là,  messieurs,  un  grand  homme  bien  mal  élevé. 

—  C'est  Esope  à  la  Cour  !  dit  une  voix  : 


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476 


lA    PRÉLATLRE    DE    LÉON    XIII 


I 


-—  Le  parallèle  est  flatteur.  Esope  faisait  parler  les  bêtes.  » 

Qu'on  fouille  ces  Mémoires,  ou  n'y  trouvera  pas  ces  perles.  Ce  n'est 
pas  là  que  Talleyrand  les  renferma.  On  ne  les  y  aurait,  d'ailleurs, 
découvertes  que  cinquante  ans  après  sa  mort.  Or,  les  mémoires  des 
contemporains  seraient,  pour  de  tels  bons  mots,  de  plus  précieux 
écrins  que  les  Mémoires  des  libraires;  et  c'est  au  détriment  des 
seconds  qu'il  faut,  aujourd'hui,  consulter  les  premiers. 

On  pourrait,  rien  qu'en  consultant  les  vieux  souvenirs  des  Mon- 
rond,  des  Rén.uzat,  des  Barante,  des  Bro-lie,  —  des  contemporains 
de  Talleyrand  qui  ont  écrit,  en  même  temps  que  les  leurs,  les  vrais, 
et  les  plus  curieux  Mémoires  de  Talleyrand  lui-même,  —  on  pourrait 
rédiger  un  catéchisme  étonnant,  tout  entier  par  demandes  et  réponses, 
lesquelles  seraient  tout  entières  de  cet  indéconcertable  moraliste  en 
politique,  comme  en  tout  le  reste.  Qui  ne  le  reconnaîtra  à  ces  formules 
dont  lui  seul  fut  l'inimitable  maître? 

-—  Une  girouette!  Ce  n'est  pas  elle  qui  change,  c'est  le  vent. 

-—  L'homme  absurde  est  celui  qui  ne  change  jamais. 

—  J'ai  vu  douze  gouvernements  :  Louis  XV,  Louis  XVÏ,  la  Révolu- 
tion, la  Republique,  le  Directoire,  le  Consulat,  l'Empire,  les  Cent- 
Jours,  les  deux  Restaurations,  Charles  X  et  Louis-Philippe,  qui  me 
regardait  comme  un  augure.  Je  me  donnai  le  plaisir  de  lui  dire  : 
«  Hé!  hé!  Sire,  c'est  le  treizième.  *  Je  comptais  bien  ne  pas  rester 
sur  ce  vilain  nombre. 

—  Quand  au  remords,  c'est  l'indignation  finale  des  imbéciles  qui 
manquent  d'estomac. 

—  Au  18  Brumaire,  je  disais  :  Où  est  le  tyran  qui  nous  rendra 
la  liberté? 

—  Oui,  oui,  beaucoup  de  conscience  :  il  y  en  a  même  qui  en  ont 
deux. 

—  Agiter  le  peuple,  avant  de  s'en  servir  :  sage  maxime.  Mais  il  est 
inutile  d'exciter  les  citoyens  à  se  mépriser  les  uns  les  autres;  ils 
sont  assez  intelligents  pour  se  mépriser  tout  seuls. 

-—  On  n'est  quelque  chose  dans  le  monde,  qu'à  la  condition  de  ne 
pas  valoir  beaucoup  mieux  que  lui. 

—  Une  monarchie  doit  être  gouvernée  avec  des  démocrates,  et  une 
république  avec  des  aristocrates. 

—  Pour  prendre  un  parti,  il  faut  d'abord  savoir  si  celui  qui  nous 
conviendrait  sera  assez  fort  pour  justifier  l'espérance  de  succès,  sans 
quoi  il  y  aurait  folie  à  se  mêler  de  la  partie. 

—  11  tant  traiter  légèrement  les  grandes  affaires  et  les  choses  d'im- 


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41 


UN    HERITIEK    DE    TALLEYRANT    A    BÉNÉVENT     477 

portance,  et  sérieusement  les  plus  frivoles  et  les  plus  inutiles.  Cette 

méthode  a  l'avantage  que  les  esprits  ordinaires  ne  peuvent  s'en  servir. 

—  Tout  arrive  et  doit  arriver  par  la  combinaison  et  le  jeu  des  évé- 


De  Naples  à  Bénévent.  —  Une  terrasse. 

nements.  Tout  s'en  va  et  tout  revient.  Oa  revient  de  tout,  et  on 
revient  à  tout.  Ceux  qui  disent  qu'ils  sont  revenus  de  tous,  ne  sont 
jamais  allés  nulle  part. 


476 


LA    PRÉLATLRE   DE    LÉON    XIII 


—  Le  parallèle  est  flatteur.  Esope  faisait  parier  les  bêles.  » 
Qu'on  fouille  ces  Mémoires,  on  n'y  trouvera  pas  ces  perles.  CenVsl 
pas  là  que  Talleyrand  les  renferma.  On  ne  les  y  aurait,  d'ailleurs 
découvertes  que  cinquante  ans  après  sa  mort.  Or,  les  mémoires  des 
contemporains  seraieiit,  pour  de  lels  bons  mots,  de  plus  précieux 
écrins  que  les  Mémoires  des  libraires;  et  c'est  au  détriment  des 
seconds  qu'il  faut,  aujourd'hui,  consulter  les  premiers. 

On  pourrait,  rien  qu'en  consultant  les  vieu.\  souvenirs  des  Mon- 
rond,  des  Kémuzat,  des  Harante,  des  Hroglie,  —  des  contemporains 
de  Talleyrand  qui  ont  écrit,  en  même  temps  que  les  leurs,  les  vrai^ 
et  les  plus  curieux  Mémoires  de  Talleyrand  lui-même,  —  on  pourrait 
rédiger  un  catéchisme  étonnant,  tout  entier  par  demandes  et  réjionses, 
lesquelles  seraient  tout  entières  de  cel  indéconcerlable  moraliste  en 
politique,  comme  en  tout  le  reste.  Qui  ne  le  reconnaîtra  à  ces  formules 
dont  lui  seul  fut  l'inimitable  maître? 

—  Lue  girouette!  Ce  n'est  pas  elle  qui  change,  c'est  le  vent. 

—  L'homme  absurde  est  celui  qui  ne  change  jamais. 

—  J'ai  vu  douze  gouvernements  :  Louis  XV,  Louis  XVI,  la  Kévolu- 
lion,  IaKrpublicjue,  le  Directoire,  le  Consulat,  l'Empire,'  les  Cent- 
Jours,  les  deux  Heslaurations,  Charles  X  et  Louis-Philippe,  qui  me 
regardait  comme  un  augure.  Je  me  donnai  le  plaisir  de  lui  dire  : 
«  Hél  hé!  Sire,  c'est  le  treizième.  »  Je  complais  bien  ne  pas  rester 
sur  ce  vilain  nombre. 

—  Quand  au  remords,  c'est  l'indignation  finale  des  imbéciles  qui 
manquent  d'estomac. 

—  Au  18  Brumaire,  je  disais  :  Où  est  le  li/ran  qui  nous  rendra 
la  liberté'/ 

—  Oui,  oui,  beaucoup  de  conscience  :  il  y  en  a  même  qui  en  ont 
deux. 

—  Agiter  le  peuple,  avant  de  s'en  servir  :  sage  maxime.  Mais  il  est 
inutile  d'exciter  les  citoyens  à  se  mépriser  les  uns  les  autres;  ils 
sont  assez  intelligents  pour  se  mépriser  tout  seuls. 

—  On  n*est  quelque  chose  dans  le  monde,  qu'à  la  condition  de  ne 
pas  valoir  beaucoup  mieux  que  lui. 

—  Une  monarchie  doit  être  gouvernée  avec  des  démocrates,  et  une 
république  avec  des  aristocrates. 

—  Pour  prendre  un  parti,  il  faut  d'abord  savoir  si  celui  qui  nous 
conviendrait  sera  assez  fort  pour  justifier  l'espérance  de  succès,  sans 
quoi  il  y  aurait  folie  à  se  mêler  de  la  partie. 

—  11  faut  traiter  légèrement  les  grandes  affaires  et  les  choses  d'im- 


UN    IIKRITIEK    DE    TALLEYRANT    A    BÉNÉVENT    477 

porlance,  et  sérieusement  les  plus  frivoles  et  les  plus  inutiles.  Cette 

méthode  a  l'avantage  que  les  esprits  ordinaires  ne  peuvent  s'en  servir. 

—  Tout  arrive  et  doit  arriver  par  la  combinaison  et  le  jeu  des  évé- 


De  Xaples  à  Hénévent.  —  L'iie  terrasse. 

iiements.  Tout  s'en  va  et  tout  rcvieiil.  On  revient  de  tout,  et  on 
revient  à  tout.  Ceux  qui  disent  qu'ils  sont  revenus  de  tous,  ne  sont 
jamais  allés  nulle  part. 


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LA    PRÉLATURE    DE    LÉON    XIII 


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—  Je  ne  connais  rien  de  ruineux,  comme  ce  qui  est  gratnit. 

—  J'ai  quitté  les  affaires,  parce  qu'il  n'y  en  avait  plus. 
-^  Je  meurs,  en  homme  qui  sut  vivre. 

Vécut-il  en  homme  qui  sut  aimer,  ce  deformed  transformed  aulre- 
merit  phénoménal  que  celui  de  Byron,  ce  séminariste  laïque  moins 
bot  du  pied  que  du  cœur  et  dont  l'inlirmilé  lui  avait  appris  à  se  chérir 
lui-même  avant  les  autres.  Il  y  avait  pris  tant  dégoût,  dès  vingt  ans  et 
dèsSaint-Sulpice,  qu'à  soixante-quinze  ar.s  il  s'en  délectait  encore,  au 
détriment  des  grâces  épaisses  de  M™*^  Grant,  de  celles  plus  idéales  el 
non  moins  vaines  de  Pauline  de  Dino,  et  des  désespoirs  de  M""'  de 
Staël  <]ui,  le  menaçant  de  mourir  de  douleur,  le  forçait  à  la  frapper 
elle-même  du  mot  malin  dont  elle  avait  déjà  accablé,  pour  son  compte, 

ce  pauvre  fou  de  Benjamain  Constant  :  «  Je  meurs,  si...  Mourez 

d'abord  :  nous  verrons  ensuite.  » 

Les  pages  qui  survivront  de  cet  évêque  parjure  aux  serments  sacer- 
dotaux de  sa  (u-emière  jeunesse,  seront  celles  qu'il  aura  laissé  à  d'au- 
tres le  soin  d'extraire,  en  mots  souvent  heureux,  de  ses  longues  élucu- 
brations  diplomatiques  et  paradoxales.  Cet  ensemble  de  pensées, 
dont  la  conscience  d'un  chrétien  ne  ferait  pas  son  catéchisme  ni 
même  un  esprit  simplement  droit  son  vade  merum  avouable;  ce 
singe  sacerdotal  en  pouvait  faire  son  bréviaire.  Et  c'est  ce  bréviaire  de 
prélat  défroqué,  dont  Talleyrand  n'usait  plus  depuis  sa  jeunesse,  qu'il 
est  permis  d'emprunter  aux  meilleurs  mots  de  ce  vieux  disciple  de 
Voltaire.  De  telles  sentences,  dignes  du  maître  et  de  l'élève  suffiront 
à  donner  à  cette  existence  d'octogénaire  qui  n'œuvra  jamais  que  pour 
lui  seul,  le  cadre  d'or  faux  où  le  portrait  de  ce  cynique  renégat,  qui 
ne  fit  rien  de  bon  pour  ses  contemporains,  peut  encore  parler  à 
ses  descendants.  Ecoutez-le  encore;  du  haut  de  son  rabat  de  prêtre 
retourné  en  jabot  de  seigneur,  vous  dire  du  bout  de  ses  lèvres  si  fri- 
volement françaises  et  si  dédaigneusement  parjures. 

«  Ce  n'est  point,  peut-il  ajouter,  sans  une  secrète  satisfaction  que 
je  donnerais  la  clef  de  l'énigme  de  ma  vie.  Si  l'hypocrisie  venait  à 
mourir,  la  modestie  devrait  prendre  au  moins  le  petit  deuil.  Pour 
moi,  je  ne  crains  ni  les  pamphlétaires,  ni  les  imbéciles,  el  on  sait 
quel  cas  je  fais  de  l'opinion.  Je  suis  un  vieux  parapluie  sur  lequel  il 
pleut  depuis  un  demi-siècle,  et  quelques  gouttes  de  plus  ou  de  moins 
ne  me  font  rien.  Mes  «  Mémoires  »  sulHronl.  Il  me  semble  que  ma 
voix  est  un  dernier  écho  qui  résonnera  avec  une  vibration  tombale, 
dans  la  sonorité  du  vide.  Alors  le  rideau  sera  tombé  sur  les  comédies 


UN   HÉRITIER   DE    TALLEYRAND    A    BÉNÉVENT    4-39 

sinistres  et  les  tragédies  ridicules.  On  écoutera  sans  passion  ces  his- 
toires devenues  légendaires  dont  les  acteurs  et  les  témoins  auront 
disparu.  Mon  esprit  ne  m'a  servi  qu'à  faire  hardiment  des  sottises 
pour  réparer  celles  des  autres;  mais  je  suis  trop  vieux  serpent  pour 
changer  de  peau.  Si  c'était  à  recommencer,  je  recommencerais,  peut- 
être  autrement,  el  je  tomberais  de  Charybde  en  Scylla. 

«  Toute  ma  vie  se  résume  dans  mon  Bréviaire.  Il  renferme  l'en- 
semble des  principes  et  des  maximes  des  moralistes  et  des  philo- 
sophes qui  ont  dirigé  mes  actes  et  ma  conduite.  Il  ne  me  quitte 
jamais;  je  lai  dans  la  tête,  et  le  voici  : 

Mon  bréviaire 

On  a  fait  de  moi,  un  diseur  de  bons  mots.  Je  n'ai  jamais  dit  un. 
bon  mot  de  ma  vie;  mais  je  tâche  de  dire,  après  mûre  rédexion,  sur 
beaucoup  de  choses,  le  mot  juste. 


Tout  ce  qui  est  accepté  comme  vérité  par  la  foule  est,  générale- 
ment, un  préjugé  ou  une  sottise. 


On  s'empare  des  couronnes,  on  ne  les  escamote  pas. 


Lorsqu'une  société  est  impuissante  à  créer  un  gouvernement,  il' 
faut  que  le  gouvernement  crée  une  société. 


II  faut  se  garder  des  premiers  mouvements,  parce  qu'ils  sont  pres- 
que toujours  honnêtes. 


Il  faut,  en  politique  comme  ailleurs,  ne  pas  engdLger  tout  son  cœur, 
ne  pas  trop  aimer;  cela  embrouille,  cela  obscurcit  la  clarté  des  vues, 
et  n'est  pas  toujours  compté  à  bien.  Cette  excessive  préoccupation 
d'autrui,  ce  dévouement  qui  s'oublie  trop  soi-même,  nuit  souvent  à 
l'objet  aimé  et  toujours  à  l'objet  aimant,  qu'il  rend  moins  mesuré,, 
moins  adroit  et  moins  persuasif. 


L'Evangile  anglais  :  «  Fais  aux  autres  ce  qu'ils  te  font.  » 


Dans  l'incertitude  d'un  danger,  il  vaut  mieux  réserver  son  énergie- 


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LA   PRÈLATURE    DE    LÉON    XIII 


pour  le  combattre  quand  il  arrive,  que  de  l'user  a  le  voir  venir  de 
loin.  Il  est  toujours  assez  tôt  de  serrer  la  main  du  diable,  quand  on 
le  rencontre. 

Il  y  a  beaucoup  de  mauvaises  chances  et  il  y  en  a  aussi  quelques 
bonnes;  c'est  le  cheveu  de  l'occasion.  La  fortune  frappe  au  moins 
une  fois;  si  on  n'est  pas  prêt  à  la  recevoir,  elle  entre  par  la  porte  et 
«ort  par  la  fenêtre. 

Faire  garder  les  pauvres  en  bourgeron  par  les  pauvres  en  uniforme, 
voilà  le  secret  de  la  tyrannie  et  le  problème  des  gouvernements. 


L'art  de  mettre  les  hommes  à  leur  place  est  le  premier,  peut-êlre, 
dans  la  science  du  gouvernement;  mais  celui  de  trouver  la  place  des 
mécontents  est,  à  coup  sûr,  le  plus  difficile;  et  présenter  à  leur  imagi- 
nation des  lointains,  des  perspectives  où  puissent  se  prendre  leurs 
pensées  et  leurs  désirs,  est,  je  crois,  une  des  solutions  de  cette  diffi- 
culté sociale. 

Il  faut  mener  les  hommes  sans  leur  faire  sentir  le  joug,  asservir 
les  volontés  sans  les  contraindre. 


Lorsque  vous  aurez,  par  nécessité,  un  confident  à  prendre  et  lors- 
qu'un dévouement  vous  sera  absolument  nécessaire,  demandez-le 
toujours  à  la  jeunesse,  rarement  à  l'âge  mûr,  à  la  vieillesse  jamais. 


Les  années  ne  font  pas  les  sages,  elles  ne  font  que  des  vieillards. 


On  ne  rajeunit  pas,  on  prolonge  la  jeunesse. 


Quand  les  cartes  sont  brouillées  et  que  les  affaires  paraissent  déses- 
pérées, il  n'y  a  qu'à  laisser  aller  les  choses,  comme  l'eau  roule  à  sa 
pente;  elles  finissent  par  se  débrouiller  toutes  seules  et  s'arranger 
■d'elles-mêmes.  Rien  faire  et  laisser  dire. 


L'esprit  est  une  puissance. 


M^, 


UN    HÉRITIER    DE    TALLEYRAND    A    BÉNÉVENT    481 
L'esprit  sert  à  (ont  et  ne  mène  à  rien. 


Le  silence  m'a  plus  servi,  dans  ce  monde,  que  l'esprit. 

Rien  ne  doit  inspirer  un  orgueil  plus  légitime  que   la  haine  avec 
laquelle  les  hommes  supérieurs  nous  poursuivent    ils  n'en  ontZ 
pour  ceux  qu  ,ls  croient  au-dessus  d'eux;  les  autres  ne  leur  insp  ren 
que  de  la  colère  ou  du  mépris.  '"î>pneni 


Les  méthodes  sont  les  maîtres  des  maîtres. 


Le  bon  Dieu  nous  a  mis  des  yeux  devant  le  front,  pour 
regardions  toujours  devant  nous  et  jamais  en  arrière. 


que  nous 


Il  n'est  pas  facile  de  haïr  toujours;  ce  sentiment  ne  demande 
vent  qu'un  prétexte  pour  s'évanouir. 


sou- 


Ne  dites  jamais  de  mal  de  vous,  vos  amis  en  diront  toujours  assez. 

Il  n'y  a  pas  de  sentiment  moins  aristocratique  que  l'incrédulité. 

On  ne  croit  plus  aux  sauveurs  de  la  patrie;  ils  ont  gâté  le  métier. 

Un  ami  véritable  est  une  douce  chose,  à  la  condition  qu'il  ne  soit 
pas  un  grand  homme.  Mais  il  faudrait  l'aller  chercher  au  Monomotapa 

La  table  est  le  pivot  autour  duquel  tourne  la  civilisation. 

leur  r:;  ;r  i:r::.  "  ''''''_^  '^^  '^'--'  ^-^  ^-  -«  - 

Mes  amis,  il  n'y  a  pas  d'amis! 


Tout 
tout  se 


ce  qu'on  dit  sera  répété,  tout  ce  qu'on  écrit  sera  publié    et 
retournera  contre  vous.  ' 


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LA    PRÉLATURE   DE   LÉON    XllI 


Il  faut  suivre  ses  inspirations,  et  ne  jamais  se  repentir  ni  du  bien^ 
ni  du  mal,  ni  des  sottises. 

Toutes  les  fois  que  j'ai  visité  une  capitale,   on  m'a  prévenu  que 
j'étais  dans  la  ville  la  plus  corrompue  de  rEuroi)e.  Et  c'était  vrai. 


L'inertie  est  une  vertu,  l'activité  est  un  vice.  Savoir  entendre  est 
une  habileté  en  politique;  la  patience  a  fait  souvent  les  grandes 
positions.  On  doit  être  actif,  quand  l'occasion  passe;  on  peut  être 
paresseux  et  nonchalant^  quand  on  l'attend. 


La  combinaison  des  événements,  le  cours  naturel  des  choses 
offrent  de  meilleures  occasions  que  l'intelligence;  l'imagination,  l'in- 
géniosité, Tesprit,  la  volonté  n'en  peuvent  faire  naître. 


Laplace,  dans  sa  théorie  scientifique,  n'a  pas  eu  besoin  de  Dieu, 
celte  hypothèse.  Dans  mon  système  politique,  je  me  suis  passé  de  la 
morale,  où  le  cœur  est  la  dupe  de  l'esprit. 


Les  principes  reposent  sur  leur  certitude  et  leur  utilité;  la  morale- 
est  fondée  sur  l'intérêt  qui  la  sert. 


Les  affections  légitimes  ne  viennent  pas  des  sentiments  de  la  nature 
et  des  liens  du  sang,  mais  de  la  raison. 


Une  parfaite  droiture  est  la  plus  grande  des  habiletés;  la  \érilé 
devient  un  calcul  et  la  franchise  un  moyen. 


La  vertu  est  parfois  récompensée  et  le  vice  puni,  exceptions  qui 


confirment  la  règle. 


La  vie  serait  assez  supportable  sans  ses  plaisirs. 


J'ai  vu  le  fond  de  ce  qu'on  appelle  les  honnêtes  gens,  c'est  hideux.. 
La  question  est  de  savoir  s'il  y  a  des  honnêtes  gens,  quand  l'intérêt 
ou  ta  passion  est  en  jeu. 


UN    HÉRITCER    DE    TALLEVRAND    A    BÉNÉVENT     483 

Tout  arrive  et  doit  arriver  par  la  combinaison  et  le  jeu  des  événe- 
ments. Tout  s'en  va  et  tout  revient.  On  revient  de  tout  et  on  revient 
à  tout.  Ceux  qui  disent  qu'ils  sont  revenus  de  tout,  ne  sont  jamais 
allés  nulle  part. 

La  franchise  est  toujours  invoquée  pour  exprimer  les  choses 
desagréables  à  entendre;  les  compliments  s'en  passent. 


On  est  vieux  quand  on  n'espère  plus  rien. 


Il  y  a  des  occasions  qui  ont  un  faux  chignon;  quand  on  veut  le 
saisn-,  il  vous  reste  dans  la  main. 


La  plus  dangereuse  des  «alteries  est  la  médiocrité  de 
entoure. 


ce  qui  nous 


Les  gens  d'esprit  promettent,  ne  tiennent  pas  et  finissent  par  payer 
le  double  de  ce  qu'ils  ont  promis.  ^^ 


Il  arrive  un  moment  où  on  ne  voit  plus  que  le  r 
médailles. 


evers  de  toutes  les 


Le  mépris  doit  être  le  plus  mystérieux  des 


sentiments. 


Il  y  a  des  femmes  qui  ne  peuvent  pas  cacher  leur  âge,  ce  sont  les 


Il  faut  que  chacun  trouve  son  mot  dans  l'énigme  de  la  vie-  il  i 
sert  a  nen  qu'on  vous  le  dise;  les  uns  ne  l'écoutent  pas,  les  lutr 
le  prennent  a  contre-sens. 


Il  y  a  des  sourires  qui  blessent,  comme  des 


poignards. 


Un  mol  suffit  pour  séparer  les  destinées,  comme  le  coupant  du 
glaive.  ^ 


Il  faut  avoir  été  berger  pour  apprécier  le  bonheur  des 


moutons. 


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48i 


LA    PRfiLATURE   DE    LÉON    XIII 


C'est  prodigieux,  tout  ce  quenepeuvefilpasceux  qui  peuvent  tout. 


H  suffit  quelquefois  de  prédire  un  événement  pour  le  faire  arriver. 


Un  long  discours  n'avance  pas  plus  les  affaires  qu'une  robe  traî- 
nante n'aide  à  la  marche. 


Les  hommes  adroits  et  légers  surnagent,  comme  le  liège,  au  milieu 
des  tempêtes. 


Des  sottises  faites  par  des  gens  habiles,  des  extrava^^ances  dites 
par  des  gens  d*esprit,  des  crimes  commis  par  d'honnêtes  gens,  voilà 
les  révolutions. 


C'est  moins  par  la  rareté  des  maladies  qu'on  peut  juger  la  force  du 
tempérament  des  hommes,  que  par  la  promptitude  et  la  vigueur  du 
rétablissement. 


Si  quelqu'un  vous  dit  qu'il  n'est  d'aucun  parti,  commencez  par 
être  sûr  qu'il  n'est  pas  du  vôtre. 


Oui  et  Non  sont  les  mots  les  plus  courts  et  les  plus  faciles  à  pro- 
noncer, et  ceux  qui  demandent  le  plus  d'examen. 


L'encre  des  diplomates  s*effî*ce  vite,  quand  on  ne  répand  pas  dessus 
de  la  poudre  à  canon. 


Les  grandes  places  sont  comme  les  rochers  élevés,  les  aigles  et  les 
re[»tiles  seuls  y  parviennent. 


4 


Le  moment  difficile  n*est  pas  l'heure  de  la  lutte,  c*est  celle  du 
succès. 


En  voyant  les  petits  à  l'œuvre,  on  se  réconcilie  avec  les  grands. 


Celui  qui  ne  comprend  pas  un  regard  ne  comprendra  pas  davan- 
tage une  longue  explication. 


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UN    HÉRITIER    DE    TALL^YRAND    A    BÉNÉVENT    m 

Tout  phénomène  physique  a  son  semblable  dans  l'ordre  moral  La 
réaction  est  égale  à  l'action;  une  tempête  endort  la  nature,  une  révo- 
lution cilme  un  peuple,  une  émotion  violente  apaise  Tàme  humaine 


De  Naples  à  Hénévent.  —  Ud  coin  de  rout«. 

Il  faut  se  défier  de  tout  homme  qui  n'a  pas  été  républicain  avant 
trente  ans,  et  qui  persiste  à  l'être  passé  net  âge. 


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LA    PRflLATURE    DK    LÉON     Mil 


(Vest  prodigioiix,  tout  ce  que  ne  peuvent  pas  ceux  (|ui  peuvent  t(»ul, 


Il  suffit  quelquefois  de  prédire  un  événement  pour  le  faire  arriver. 

[]n  long  discours  n'avance  pas  plus  les  atfaires  qu'une  robe  traî- 
nante n'aide  à  la  marche. 


Les  hommes  adroits  et  légers  surnagent,  comme  le  liège,  au  milieu 
des  tempête*. 


Des  sottises  faites  par  des  gens  habiles,  des  extravai^ances  <lites 
par  des  gens  d'esprit,  des  crimes  commis  par  d'honnêtes  gens,  voilà 
les  révolutions. 

C'est  moins  par  la  rareté  des  maladies  qu'on  peut  juger  la  force  du 
tempérament  des  hommes,  que  i>ar  la  prom|>litnde  et  la  vigueur  du 
rétablissement. 

Si  quelqu'un  vous  dit  qu'il  n'est  d'aucun  parti,  commence/  par 
être  sûr  qu'il  n'est  pi»s  du  votre. 


Oui  et  Non  sont  les  mots  ies  plus  courts  et  les  plus  faciles  à  pro- 
noncer, et  ceux  qui  demandent  le  plus  d'examen. 


L'encre  des  diplomates  s  etï';»ce  vite,  quand  on  ne  répand  pas  dessus 
de  la  poudre  à  canon. 

Les  grandes  places  sont  comme  les  rochers  élevés,  les  aigles  et  les 
reptiles  seuls  y  parviennent. 


Le  moment  difficile  n'est  pas  l'heure  de  la  lutte,  c'est  celle  du 
succès. 


En  voyant  les  t»elits  à  l'œuvre,  on  se  réconcilie  avec  les  grands. 


Celui  (pii  ne  comprend  pas  uu  regard  ne  comprendra  pas  davan 
lage  une  longue  explication. 


UN    lILltlTIEU    DK    TALLEVIIAND    A    BKNÉVENï     48:i 

Tout  idiénomène  physi(iue  a  son  semblable  dans  l'ordre  moral.  La 
réaction  est  égale  à  l'action;  une  tempête  eudort  la  nature,  une  révo- 
lulion  c.ilme  un  peuple,  une  émotion  Niolente  apaise  l'àme  humaine 


De  Naples  à  hénévent.  —  (  u  coin  d 


e  route. 


Il  faut  se  délier  de  tout  homme  qui  n'a  pas  été  républ 
trente  ans,  et  ((ui  persiste  à  l'être  passé  cet  âge. 


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486  LA    PHÉLATIRE   DE  LÉON   XIII 

II.  y  a  une  arme  plus  terrible  que  la  calomnie,  c'est  la  vérhé. 


Une  monarchie  doit  être  gouvernée  avec  des  démocrates,  et  une 
république  avec  des  aristocrates. 


Dans  les  choses  d'importance,  il  ne  faut  pas  demander  de  conseils; 
il  faut  peser,  oser  et  agir. 


Quand  on  part,  on  arrive  toujours,  mais  il  faut  partir. 


On  ne  va  jamais  si  loin,  que  lorsqu'on  ne  sait  pas  où  l'on  va. 


Celui  qui  est  vraiment  fort  sait  quelquefois  plier. 


A  force  de  vouloir  rapprocher  les  peuples,  on  s'expose  à  les  melire 
à  portée  des  canons. 


Il  faut  imposer  et  en  imposer. 


On   peut  quelquefois  venir  à  bout  des  sentimenis;  des  opinions, 
jamais. 


Je  n'ai  pas  besoin  d'espérer  pour  entreprendre,  ni  de  réussir  pour 
persévérer. 


C'est  un  grand  malheur  pour  une  nation,  qu'un  bon  homme  dans 
xma  place  qui  exige  un  grand  homme. 


Le  pouvoir  de  tout  faire  n'en  donne  pas  le  droit. 


Le  vrai  moyen  d'être  trompé,  c'est  de  se  croire  plus  fin  que  les 
autres. 


Un  Etat  chancelle  quand  on  ménage  les  mécontents  ;  il  louche  à 
sa  ruine  quand  la  crainte  les  élève  aux  premières  dignités. 


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UN    HÉRITIER    DE   TALLEYRAND    A    BÉNÉVENT    487 

F^  vie  se  passe  à  dire  :  «  Plus  tard  »,  et  à  s'entendre  dire  :  a  Trop 
tard.  » 

Les  hommes  secrets  disent,  sans  qu'on  leur  demande,  ce  qu'ils  ont 
à  dire,  ils  ne  répondent  jamais. 


Toute  révélation  d'un  secret  est  la  faute  de  celui  qui  l'a  confié. 


Ou  n'est  quelque  chose,  dans  le  monde,  qu'à  la  condition  de  ne  pas 
valoir  beaucoup  mieux  que  lui. 


L'homme  est  une  intelligence  contrariée  par  des  organes. 


L'obligé  prend  un  premier  service  reçu  pour  le  droit  d'en  deman- 
der et  d'en  obtenir  un  second. 


En  toutes  choses,  les  commencements  sont  beaux,  les  milieux  fa- 
tigants et  les  fins  pitoyables. 

L'argent,  dont  on  fait  un  dieu,  n'a  qu'un  pouvoir  bien  limité,  si  on 
considère  les  choses  qu'il  ne  procure  à  aucun  prix.  Les  misérables 
voient  le  bonheur  dans  la  fortune,  et,  malgré  ses  réels  avantages,  les 
riches  ne  l'y  trouvent  jamais.  Né  dans  un  état  si  envié,  je  n'ai  pas 
tardé  à  reconnaître  que  les  biens  véritables,  incontestés,  sont  à  tout 
le  monde  :  la  jeunesse,  la  santé,  l'intelligence,  la  beauté,  l'amour. 
Pour  ces  biens-là,  pas  de  classe  privilégiée;  le  plus  pauvre  peut  les 
avoir,  le  plus  riche  ne  peut  pas  les  acheter.  On  a  beau  dire  : 

Jamais  surintendant  ne  trouva  de  cruelles. 


Quand  cela  serait,  il  en  a  toujours  pour  son  argent. 


L'amour  est  un  sentiment,  une  sottise  ou  une  affaire. 


Je  crains  plus  une  armée  de  cent  moulons  commandée  par  un  lion, 
qu'une  armée  de  cent  lions  commandée  par  un  mouton. 


Je  ne  me  plaindrais  pas  d'avoir  des  souliers  percés  si  j'avais  les 
jambes  d'aplomb,  de  manquer  de  pain  si  j'avais  de  l'appétit,  d'être 


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488 


LA    PRÉLATURE    DE    LÉON    XIII 


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sans  un  sou  vaillant  si  lavenir  était  devant  moi,  enfin  je  ne  me 
plaindrais  de  rien  ni  de  personne  si  je  n'avais  passé  le  temps  d'aimer. 

Après  l'affection  que  je  me  porte,  les  autres  sont  inutiles;  je  n'ai 
soin  ni  d'aimer  ni  d'être  aimé. 


besoi 


Il  y  a  des  fautes  que  j'excuse  et  des  passions  que  je  pardonne,  cm 
sont  les  miennes. 


De  Naples  à  Bénévent.  —  Un  jardin  de  presbytère. 

Si  l'expérience  des  autres  pouvait  servir  à  quelque  chose,  il  suffi- 
rait de  se  faire  xxwEréviaire,  comme  celui-ci,  pour  marcher  d'un  pied 
sûr  dans  la  vie.  Mais  l'expérience  personnelle  est  un  médecin  qui 
arrive  toujours  après  la  uîaladie,  une  étoile  qui  se  lève  quand  on  va 
se  coucher. 


Étoile  ou  feu  follet,  de  ce  qu'avait  été  Talleyrand  pendant  quatre- 
vingt-quatre  années  d'une  vie  capable  d'étonner  le  monde  à  bien  des 
litres  divers,  à  trois  heures  trente-cinq  minutes  du  17  mai  1838,  il  ne 
resta  plus  qu'un  cadavre.  A  la  nouvelle  d'une  fin  qui  n'avait  arrêté 


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UN    HÉRITIER    DE    TALLEYRAND    A    RÉNÉVENT     489 

ici-bas  qu'un  vieillard,  depuis  longtemps  inutile  sinon  néfaste  aux  direc- 
tions de  son  siècle,  le  feu  prince  de  Bénévent,  qui  terminait  ainsi  sa 
carrière,  dut  faire  réfléchir  assez  profitablemenl  le  jeune  préfet  de  ce 
même  duché  oii  commençait  à  se  lever  son  astre  dans  le  ciel  politique 
quand  l'autre  s'y  couchait  si  déplorablement. 

A  quelle  bonne  chose, —pouvait  penser  Joachim  Pecci  dans  les  lon- 
gues méditations  de  sa  préfecture  bénéventine,  —avait  été  utile  un 


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Talleyrand  sur  son  lit  de  mort. 

maître  de  ce  genre,  dont  il  avait  appris  à  mépriser  la  détestée 
mémoire,  dès  son  enfance,  à  Garpineto,  au  foyer  même  du  colonel 
Pecci,  son  père?  Cadet  des  Talleyrand-Périgord  par  sa  naissance,  qu'il 
dut,  en  1754,  à  une  folle  descendante  de  la  satyrique  princesse  des 
Ursins,  après  avoir  passé  loin  des  siens  la  jeunesse  frivole  que  l'on 
sait,  cet  homme  s'était  fait  prêtre  sans  vocation  à  vingt  et  un  ans, 
pour  devenir  évêque  sans  dignité  à  trente-quatre,  et  président  de 
l'Assemblée  Constituante  en  1790.  Sa  juste  récompense  avait  été  ce 


488 


LA    PRÉLATIJKK    \)K    IJ>ON    XIII 


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sans  mi  sou  vaillant  si  l'avenir  étail  devant   moi,  enfin  je  ne  me 
plaindrais  de  rien  ni  de  personne  si  je  n'avais  passé  le  temps  d'aimer. 


Après  l'aft'ection  ([ue  je  me  porte,  les  autres  sont  imitiles;  je  n'ai 
besoin  ni  d'aimer  ni  d'être  aimé. 


Il  y  a  des  fautes  (jue  j'excuse  et  des  passions  que  je  pardonne,  (•( 
sont  les  miennes. 


De  Naples  à  Bénéveiit.  —  Tu  jardin  de  presbytère. 

Si  l'expérience  des  autres  pouvait  servir  à  rpielque  cnose,  il  suffi- 
rait  de  se  faire  un  Bréviaire,  comme  celui-ci,  pour  marcher  d'un  pied 
sûr  dans  la  vie.  xMais  l'expérience  personnelle  est  un  médecin  qui 
arrive  toujours  après  la  maladie,  une  étoile  qui  se  lève  quand  on  va 
se  coucher. 


Ktoile  ou  feu  follet,  de  ce  qu'avait  été  Talleyrand  pendant  quatre- 
vingt-quatre  années  d'une  vie  capable  d'étonner  le  monde  à  bien  des 
titres  divers,  à  trois  heures  tiente-cinq  minutes  du  17  mai  1838,  il  ne 
resta  plus  qu'un  cadavre.  A  la  nouvelle  d'une  fin  qui  n'avait  arrêté 


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ici-bas  qu'un  vieillard,  depuis  longtemps  inutile  sinon  néfaste  aux  direc- 
lir>ns  de  son  siècle,  le  feu  prince  de  Bénévent,  qui  terminait  ainsi  sa 
carrière,  dut  faire  réiléchir  assez  profitablement  le  jeune  préfet  de  ce 
même  duché  où  commençait  à  se  lever  son  astre  dans  le  ciel  politique 
quand  l'autre  s'y  couchait  si  déplorablement. 

A  quelle  bonne  chose, —pouvait  penser  Joachim  Pecci  dans  les  lon- 
gues nuMhtations  de  sa  préfecture  béuéventine,  —avait  été  utile  un 


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Talleyrand  sur  son  lit  de  mort. 

maître  de  ce  genre,  dont  il  avait  appris  à  mépriser  la  détestée 
mémoire,  dès  son  enfance,  à  Carpineto,  au  foyer  même  du  colonel 
Pecci,  son  père?  Cadet  des  Talleyrand-Périgord  par  sa  naissance,  qu'il 
dut,  en  17oi,  à  une  folle  descendante  de  la  satyrique  princesse  des 
Ursins,  après  avoir  passé  loin  des  siens  la  jeunesse  frivole  que  Ion 
sait,  cet  homme  s'était  fait  prêtre  sans  vocation  à  vingt  et  un  ans, 
pour  devenir  évêque  sans  dignité  à  trente-quatre,  et  président  de 
l'Assemblée  Constituante  en  1790.  Sa  juste  récompense  avait  été  ce 


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LA   PKÉLATURE    DE    LÉON    XIII 


titre  bien  gagné  par  le  talent  qu'il  avait  dépensé  dans  l'abolition  des 
vœux  monastiques  et  dans  la  Constitution  civile  du  clergé  :  deux  étapes 
glorieuses  de  sa  carrière  sacerdotale,  entre  lesquelles  il  faut  placer  la 
Fête  de  la  Fédération  où  il  pontifia  au  Ghamp-de-Mars,  et  le  sacre  des 
évêques  constilutionnels  de  l'Aisne  et  du  Finistère  qui  n'eussent  pu 
trouver,  en  France,  de  prélat  consécrateur  plus  digne  que  celui  d'Autun , 
constitulionuel  comme  eux  et  déjà  plus  renégat  que  tout  autre.  Mûr 
pour  toutes  les  apostasies  après  celle  de  Tautel,  il  pouvait,  d'un  front 
toujours  pareil,  risquer  celle  du  trône  sans  perdre  au  change  la  recon- 
naissance qu'il  n'eut  jamais  de  ses  maîtres  divers,  être  assez  fourbe 
pour  laisser  croire  à  Bonaparte  qu'il  lui  devait  les  grâces  du  Directoire, 
à  la  Restauration  la  déchéance  de  l'Empire  et,  après  trois  royautés 
queceWarwick  sans  pudeur  n'avait  pas  sacrées  sans  déchéances  humi- 
liantes ni  sans  coûteuses  révolutions,  finir,  comme  il  avait  vécu,  dans 
une  dernière  apostasie  où  ce  même  Talleyrand  odieux,  le  matin  même 
de  sa  mort,  en  présence  de  M""  de  Dino  et  de  l'abbé  Dupanloup, 
crut  pouvoir  brûler  ce  qu'il  avait  adoré  et  adorer  ce  qu'il  avait  brûlé. 

Ce  que  le  prince  de  Bénévent  n'a  pas  brûlé  et  dont  M»''  Joachim 
Pecci  se  souviendra,  au  cours  de  la  longue  carrière  de  diplo- 
matie irrépréhensible  et  d'honneur  intact  qu'il  fournird,  c'est  la 
mémoire  qui  reste  aux  hommes  de  cet  aristocrate  renégat,  de  ce  prêtre 
parjure,  de  cet  évêqiie  dégradé,  de  ce  singe  de  génie  inutile  pour  les 
grands  gestes  de  l'action,  bon  tout  au  plus  pour  les  grimaces  de  la 
parade,  —  ce  tas  de  boue  dans  un  bas  de  soie,  que  Napoléon  ap[)e- 
lait,  plutôt  drolatiquement  que  pour  prendre  au  sérieux  cet  autre 
deformed  transformel  de  l'Histoire  honteuse  d'un  tel  ministre  ou 
d'un  pareil  bouffon  : 

—  Taill'rand  ! 


Ln  coin  de  théâtre,  sous  l'Ktal  pontitical  (Dessin  de  Thomas,  1830). 


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LES  TFIKATHES   DE   ROME 

Avec  sa  couronne  mélancolique  de 
montagnes  napolitaines,  Bénévent, 
ainsi  enclavé  dans  le  Ilegno,  allait-il 
être  le  petit  royaume  sans  issue  où  le 
rival  d'un  autre  Talleyrand  promis  à 
la  politique  de  demain  continuerait  à 
languir,  devant  le  Bréviaiie  du 
maître  menteur  qu'avec  sa  belle 
loyauté  de  noble  diplomate  M^''  Joa- 
chim Pecci  désavouerait,  plus  tard, 
sur  la  scène  du  monde  réservée  à 
son  gouvernement  pontifical?  Grâce 
aux  premières  négociations  de  son 
active  jeunesse,  les  bandits  napoli- 
tains ne  trouvaient  plus,  dans  Béné- 
vent, de  refuge  pour  leurs  personnes,  ni  d'immunité  pour  leurs 
crimes,  sousTécusson  tutélaire  desPacca  dont  le  neveu  maté  n'alla  pas 
même  se  plaindre  au  cardinal,  son  oncle.  Comme  le  brigandage,  la  con- 


L'Anticamera. 


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LA    PUKLATLRK    DE    LÉON    Xlll 


titre  bien  gagné  par  le  talent  qu'il  avait  dépensé  dans  l'abolition  <les 
vœux  monastiques  et  dans  la  Gonslilution  civile  du  clerj^é  :  deux  étapes 
glorieuses  de  sa  carrière  sacerdotale,  entre  lesquelles  il  faut  placer  la 
Fêle  de  la  Fédération  où  il  ponlifiiau  Chanip-de-Mars.  el  le  sacre  des 
évéques  constitutionnels  de  l'Aisne  et  du  Finislère  qui  n'eussent  pu 
trouver,  en  France,  de  prélatconsécrateur  plus  digne  que  celui  d'Aulun, 
constitutioiniel  connue  eux  et  déjà  plus  renégat  (|ue  tout  autre.  Mûr 
pour  toutes  les  apostasies  après  celle  de  l'autel,  il  pouvait,  d'un  t'ronl 
toujours  pareil,  risquer  celle  du  trône  sans  perdre  au  change  la  recon- 
naissance qu'il  n'eut  jamais  de  ses  maîtres  divers,  être  assez  fourlu' 
pour  laisser  croire  à  Bonaparte  qu'il  lui  devait  les  grâces  du  Directoire, 
à  la  Restauration  la  déchéance  <le  TP^mpire  et,  après  trois  royautés 
quece  Warwick  sans  pudeur  n'avait  pas  sacrées  sans  déchéances  humi- 
liantes ni  sans  coûteuses  révolutions,  finir,  comme  il  avait  vécu,  dans 
une  dernière  apostasie  où  ce  mémeTalleyrand  odieux,  le  matin  même 
de  sa  mort,  en  présence  de  M™*'  de  Dino  et  de  l'abbé  Dupanloup, 
crut  pouvoir  brûler  ce  qu'il  avait  adoré  et  adorer  ce  qu'il  avait  brûlé. 

Ce  que  le  prince  de  Dénévent  n'a  pas  brûlé  et  dont  M-'"  Joachim 
Pecci  se  souviendra,  au  cours  de  la  longue  carrière  de  diplo- 
matie irrépréhensible  et  d'honneur  intact  qu'il  lournird,  c'est  la 
mémoire  qui  reste  aux  hommes  de  cet  aristocrate  renégat,  de  ce  prêtre 
parjure,  de  cet  évêque  dégradé,  de  ce  singe  de  génie  inutile  pour  les 
grands  gestes  de  l'action,  bon  tout  au  plus  pour  les  grimaces  de  la 
parade,  —  ce  tas  de  boue  dans  un  bas  de  soie,  que  Napoléon  appe- 
lait, plutôt  drolatiquement  que  pour  prendre  au  sérieux  cet  autre 
deformed  transfonnel  de  l'Histoire  honteuse  d'un  tel  ministre  ou 
d'un  pareil  bouft'on  : 

—  Taillrand  ! 


In  coin  de  llicàlrc,  sous  l'hltit  pontilical    Dessin  de  Thomas,  1830i 


111 


I.ES   lllliATUES    UK    HOME 

Avec  sa  couronne  méIan(oli(|ue  de 
montagnes  napolitaines,  Dénévent, 
ainsi  enclavé  dans  le  l{e(fï)(K  allait-il 
être  le  petit  royaume  sans  issue  où  le 
lival  d'un  autre  Tallcyrand  promis  à 
la  polili(pu'  de  demain  continuerait  à 
languir,  devant  le  liréviaiie  du 
maître  menteur  qu*avec  sa  belle 
loyauté  de  noble  diplomate  M-'  Joa- 
chim Pecci  désavouerait,  plus  tard, 
sur  la  scène  du  monde  réservée  à 
son  gouvernement  pontilical?  Grâce 
aux  premières  négociations  de  sou 
active  jeunesse,  les  bandits  napoli- 
tains ne  trou\ aient  plus,  dans  Héné- 
vent,  de  refuge  pour  leurs  personnes,  ni  d'immunité  pour  leurs 
crimes,  sousTécusson  tutélaire  desPacca  dont  le  neveu  maté  n'alla  pas 
même  se  plaindre  au  cardinal,  son  oncle.  Comme  le  brigandage,  la  con- 


L'Aiiticamera. 


V 


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LA    PRÉLATURK    DE    LÉON   XIII 


trebande  y  était  pour  longtemps  aussi  refrénée,  en  vertu  d'un  concor- 
dat habile  qui  donnait  la  mesure  de  ceux  que  ce  préfet  de  trente  ans 
saurait,  plus  tard,  négocier  pour  la  paix  du  monde  catholique.  Qu'au- 
rait fait  plus  longtemps,  dans  celte  province  redevenue  tranquille  et 
prospère,  le  jeune  délégat  que  son  gouvernement  de  trois  années 
heureuses  pour  les  autres  et  fatales  pour  sa  santé,  avait  recommandé 
à  l'attention  particulière  de  son  Souverain? 

On  était  arrivé  à  l'été  de  18il.  Grégoire  XVI,  projetant  un  vovage 
de  visites  pontificales  dans  les  Komagnes,  avait  besoin,  dans  Péro'use, 
d'un  préfet  aussi  prudent  qu'enireprenant,  qui  saurait  préparer  au' 
pape  la  voie  sûre,  à  travers  les  manœuvres  de  la  Révolution  qui  com- 
plotait dans  cette  Légation,  comme  sur  son  boulevard  de  choix.  U 
billet  de  la  Segreleria  transférant  W'  Pecci  à  la  délégation  de  Spo- 
lète,  était  déjà  signé  le  lo  juin  I8il,  quand  il  fut  rapporté   presque 
aussitôt  par  Grégoire  XVI  lui-même,  qui  préférait  envoverM'f'- Pecci  au 
palais  des  Prieurs  de  Pérouse  où  il  failait  préparer  une  voie  triom- 
phale au  Souverain  et  des  réjouissances  discrètes  à  son  peuple.  N'était- 
ce  pas  cette  même  Pérouse  où  ce  même  Pecci,  revenant  plus  tard, 
comme  évéque,  ne  craindrait  pas  de  rendre  les  tréteaux  aux  comédiens 
expulsés  du  Stato  et  la  parole  à  Molière  même  pour  son  Tartuffe  ? 
VA\  !  qu'y  avait-il  à  redouter  d'une  sage  tolérance,  au  nom  de  la  liberté 
de  conscience  que  les  exigences  des  temps  modernes  habitueraient 
à  se  prémunir  elle-même  ? 

Pour  l'État  pontifical,  comme  pour  tous  les  autres  pays  de  l'Europe 
contemporaine,  l 'histoire  introduisait  une  nouvelle  manière  de  vivre  qui 
relayait  dans  les  vieux  magasins  d'accessoires  scéniques  les  pupazzi 
démodés  des  autres  siècles,  dont  ne  voulait  plus  celui-ci.  Le  xix«  siècle 
avait  tait  du  chemin,  depuis  les  âges  naïfs  où  l'Église  n'avait  pas 
craint  de  parler  au  peuple  sur  les  tréteaux  de  ses  cathédrales  où  elle 
avait  monté  elle-même  ses  Mystères,  en  guise  de  scénarios  par  les- 
quels,  prêchant  encoi'e  ses  fidèles,  elle  s'était  faite  l'introductrice  d'un 
théâtre  redresseur  des  travers  humains.  Si,  avec  des  mœurs  plus  douces, 
on  s'était  contenté  de  danser  devant  l'arche  de  l'Ancien  Testament,' 
les  temps  nouveaux,  plus  osés  dans  les  leurs,  exigeraient  aussi  des  per- 
missions plus  hardies.  Le  Gouverneur  de  Kome,  chargé  de  la  police  du 
Stato,  n'avait  plus  qu'à  rapporter  ses  décrets  de  carence  et  qu'à  laisseï-, 
avec  les  comédiens,  les  comédiennes  elles-mêmes  monter  à  l'assaut 
des  scènes  prohibées  où  l'Église  n'aurait  plus  la  responsabilité  des 
salles  qu'il  lui  appartemit  encore  de  surveiller,  ni  des  programmes 
o:U  elle  continuait  le  gênant  contrôle. 


-  i  ■ 


LES    THÉÂTRES    DE    ROME 


49. •? 


Cette  histoire  du  théâtre  dans  l'État  pontifical  est  curieuse  à  étudier, 
au  cours  du  dernier  siècle  et  jusqu'à  l'heure  où  les  actes  de  M^'  Pecci 
nous  permettront  de  nous  en  occuper  plus  à  propos.  Dans  ses  Etudes  sur 
la  société  romaine,  David  Silvagni  continuera  à  nous  documenter  utile- 


Dans  les  rues  de  Rome.  —  Les  Pi/ferari  (Dessin  de  Thomas). 

ment,  en  Romain  de  naissance  et  en  érudit  très  soigneux  des  recher- 
ches qu'il  fit  à  travers  les  diarii  de  l'époque.  «  Il  y  a  un  siècle,  dit-il, 
les  théâtres  de  Rome  étaient  tout  à  fait  différents  des  théâtres,  non 
seulement  de  l'Italie  et  de  l'Europe,  mais  aussi  des  théâtres  de  l'État 


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LA    PHKLATURK    DK    LKOX    XIII 


Irebaiide  y  était  pour  longtemps  aussi  refrénée,  en  vertu  d'un  concor- 
dat habile  (pii  donnait  la  mesure  de  ceux  que  ce  préfet  de  trente  ans 
saurait,  plus  tard,  négocier  pour  la  paix  du  monde  catlndicpie.  Qu'au- 
rait fait  plus  longtemps,  dajis  cette  pnnince  redevenue  tranqimie  et 
prospère,  le  jeune  délégat  que  son  gouvernement  tie  trois  aimées 
heureuses  po:n-  les  autres  et  fatales  pour  sa  santé,  avait  recommandé 
à  l'attention  particulière  de  son  Souverain? 

On  était  arrivé  à  l'été  de  18il.  Grégoire  \M,  projetant  un  vovage 
de  visites  pontillcales  dans  les  Homagnes,  avait  besoin,  dans  Pérouse, 
d'un  préfet  aussi  prudent  qu'entrei)renanl,  qui  saurait  préparer  an' 
pape  la  voie  sûre,  à  travers  les  manœuvres  de  la  KéNolution  qui  couj- 
plotait  dans  cette  Légation,  comme  sur  sou  boulevard  de  choix.  Le 
billet  de  la  Seifreleria  transférant  M=^'  Pecci  à  la  délégation  de  Spo- 
lète,  était  déjà  signé  le  lojuin   IS4I,  quand  il  fut  rapporté   pres.pie 
aussitôt  par(;régoire  XVI  lui-même,  qui  préférait  envoyer  Ah'  Pecci  au 
()alais  des  Prieurs  de  Pérouse  où  il  fallait  préparer  une  voie  triom- 
phale au  Souverain  et  des  réjouissances  discrètes  à  son  peuple.  N'était- 
ce  pas  cette  même  Pérouse  où  ce  même  l*ecci,  revenant  plus  tard, 
comme  évèque,  ne  craindrait  pas  de  rendre  les  tréteaux  aux  comédiens 
expulsés  du  Slato  et  la  parole  à  Molière  même  pour  son  Tarluffe  r 
Kh  1  qu'y  avait-il  à  redouter  d'une  sage  tolérance,  au  nom  <le  la  liberté 
de  conscience  que   les  exigences  des  temps  modernes  habitueraient 
à  se  prémunir  elle-même  ? 

Pour  l'Ktat  pontifical,  comme  pour  tous  les  autres  pays  de  l'Europe 
contemporaine,  l'histoire  introduisait  une  nouvelle  manière  de  vivre  (pji 
relayait  darjs  les  vieux  magasins  d'accessoires  scéniques  les  pupazzi 
démodés  des  autres  siècles,  dont  ne  voulait  plus  celui-ci.  Le  xix«  siècle 
avait  fait  du  chemin,  depuis  les  â-es  naïfs  où   rf:glise  n'avait  |>as 
craint  de  parler  au  peuple  sur  les  tréteaux  de  ses  cathédrales  où  elle 
avait  monté  elle-même  ses  Mystères,  en  guise  de  scénarios  par  les- 
quels,  prêchant  enco/e  ses  fidèles,  elle  s'était  faite  l'introductrice  d'un 
théâtre  redresseur  des  travers  humains.  Si,  avec  des  mœurs  plus  douces, 
on  s'était  contenté  de  da.iser  devant  l'arche  de  l'Ancien  Teslamtnt! 
les  temps  nouveaux,  plus  osés  dans  les  leurs,  exigeraient  aussi  des  per- 
missions plus  hardies.  Le  Gouverneur  de  Kome,  chargé  de  la  police  du 
Stato,  n'avait  plus  qu'à  rapporter  ses  décrets  de  carence  et  ((u'à  laisser, 
avec  les  comédiens,  les  comédiennes  elles-mêmes  monter  à  l'assaut 
des  scènes  prohibées  où  l'figlise  n'aurait  plus  la  responsabilité  des 
salles  qu'il  lui  appartemit  encore  de  surveiller,  ni  des  programmes 
0.1 1  elle  continuait  le  gênant  contrôle. 


LES    THf:ATKES    DE    ROME 


in 


Celte  histoire  du  théâtre  dans  l'fitat  pontifical  est  curieuse  à  étudier, 
au  cours  du  dernier  siècle  et  jusqu'à  l'heure  où  les  actes  de  M^'  Pecci 
nous  permettront  de  nous  en  occuper  plus  à  propos.  Dans  ses  Etudes  sur 
la  société  romaine,  David  Silvagni  continuera  à  nous  documenter  utile- 


Dans  les  rues  de  Kome.  —  Les  P/ferari  (Dessin  de  Thomns;. 

ment,  en  Hom^in  de  naissance  et  en  érudit  très  soigneux  des  recher- 
ches qu'il  lit  à  travers  les  diarii  de  l'époque.  «  Il  y  a  un  siècle,  dit-il, 
les  théâtres  de  Home  étaient  tout  à  fait  ditïérenls  des  théâtres,  non 
seulement  de  l'Italie  et  de  l'Europe,  mais  aussi  des  théâtres  de  l'État 


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49  i 


LA    PRELATURE   DE    LÉON    XIII 


il 


pontifical  lui-même.  Bologne  et  les  Romagnes  jouissaient  d'un  privi- 
lège spécial.  Si,  depuis  un  siècle,  les  représentations  théàti-ales  avaient 
lieu  chez  les  princes,  les  cardinaux  et  jusque  chez  le  pape,  ces  diver- 
tissemenls  étaient  pour  le  public  une  sorte  de  fruit  délendu  auquel  il  ne 
fallait  goûter  que  comme  en  cachette.  De  fait,  les  théâtres  de  cette 
époque  Tordinona,  Alibert,  Argentino,  Valle,  Gapranica,  Pallaccorda, 
Pace,  étaient  emmurés  dans  des  maisons  qui  n'avaient  aucune  appa- 
rence de  théâtre.  On  y  pénétrait  difficilement  par  de  petites  portes,  et 
ils  n'avaient  ni  enseignes  ni  façades.  Le  théâtre  Alibert,  qui  était  le 
principal,  portait  le  nom  de  rhéûtre  des  Darnes.  Il  était  situé  rue 
Margutta,  là  où  fut  construit  depuis  l'hôtel  d'Alibert,  ruelle  Alibert, 
nM.  11  n'y  avait  pas  d'entrée  apparente  et  on  y  pénétrait  par  la  Via 
del  Bahuino,  porte  n°  91  de  la  maison  qui  fait  l'angle  avec  la  susdite 
ruelle  réunie  à  la  rue  Margutta  par  une  passerelle,  aujourd'hui 
démolie.  Les  façades  très  médiocres  des  théâtres  Apollo,  Argentina» 
Valle  et  Metastasio  datent  toutes  du  siècle  dernier. 

On  entrait  au  théâtre  de  Torre  Argentina  en  traversant  wue  indé- 
cente remise.  Bien  plus  tard,  on  construisit  une  toiture  sur  lo  devant 
delà  porte  de  ce  théâtre;  et,  dans  la  suite,  le  théâtre  Valle,  alors 
connu  sous  le  nom  de  Délia  Valle,  eut  le  même  honneur.  U Alibert, 
qui  était  entièrement  en  bois,  grand,  mais  presque  carré,  fut  refait 
par  les  soins  de  Torlonia.  Puis  il  brûla,  et  ne  fut  plus  reconstruit. 

Le  théâtre  Pace,  dont  l'entrée  était  dans  la  ruelle  du  même  nom, 
a  aussi  disparu;  et  le  théâtre  Capraiiica,  situé  sur  la  Place  desOrfani! 
est  resté  tel  qu'il  était,  sans  façade  et  ressemblant  à  un  palais  médiéval, 
moitié  en  ruines.  Ce  fut  le  cardinal  Capranica  qui  Ht  construire  cet 
édifice;  il  y  ouvrit  un  collège  qui  existe  toujours,  à  côté  du  théâtre. 
Celui-ci  a  un  escalier,  des  promenoirs  et  une  entrée  plusieurs  fois 
remaniée,  mais  toujours  bien  mesquine.  Il  est  vieux  et  peut  donner 
une  Idée  de  ce  qu'étaient  ses  comparses  de  l'autre  siècle.  Restauré 
dès  1750  et  remanié  jusqu'en  1870,  il  a  conservé  sa  forme  quasi 
elliptique  et  ses  étroits  promenoirs,  com:ne  ils  existaient,  il  v  a 
200  ans. 

^  Le  théâtre  Argenihia,  on  de  Torre  Argentina,  tire  son  nom  de 
l'emplacement  qu'il  occupe,  à  côté  du  palais  Cesarini  (maintenant 
Chinssi).  Le  duc  Cesarini  le  fit  construire,  d'après  les  plans  du  mar- 
quis Jérôme  Teodoli  et  l'ouvrit  en  1732.  Ce  théâtre  n'avait  ni 
façade  ni  salle  des  pas  perdus.  Le  prince  Torlonia  l'acheta,  lui  fit 
faire  la  façade  qu'il  a  actuellement  et  le  vendit  à  la  Commune. 
Le  théâtre  ApollOy  jadis  Tordinona,  avait  été  autrefois  une  redoute. 


-  ^À^.-^  ,«  ■ 


LES     THEATRES    DE    ROME  495 

puis  une  prison  oiî  fut  enfermée  la  malheureuse  Béatrice  Cenci.  A 
la  fin  du  \\T  siècle,  il  devint  la  propriété  de  la  Confraternité  de 
Saint-Jérôme-de-la-Charité  qui,    d'une    prison   en   fit  un  théâtre, 
lorsque  la  prison  de   Tor  di  Noua  fut  remplacée  par  les  Carceri 
Nuove  que  fit  construire  Innocent  X,  dans  la  Via  Giulia.  Sa  durée  fut 
courte.  Le  pape  Innocent  XII  le  fit  démolir,  en  1697,  donna  le  terrain 
et  les  matériaux  à  la  Confraternité,  avec  la  clause  expresse  d'y  cons- 
truire,  dans  l'intervalle  de  deux  ans,  un  édifice  quelconque  qui  ne 
fût  pas  un  théâtre.  Mais  personne  ne  s'occupa  d'y  construire  quoi 
que  ce  fût,  et  le  Tribunal  de  la  Voirie  s'empara  de  ce  terrain  aban- 
donné et  encombré  de  matériaux,  jusqu'à  ce  que  la  Chambre  apos- 
tolique (l'Agence  des  domaines),  après  en  avoir  obtenu  l'autorisa- 
tion de  Clément  XIII,  y  fit  construire,  en  1734,  pour  400,000  écus, 
un  nouveau  théâtre  d'après  les  plans  de  Charles  Fontana.  Démoli 
une  seconde  fois  à   la  suite  d'un   incendie,  il  fut  sommairement 
restauré  par  le  Gouvernement  qui  en  conserva  la  propriété  jusqu'en 
1792,  année  où  il  fut  donné  en  bail  emphytéotique  à  un  certain  Ger- 
roni  qui  ne  paya  pas  la  redevance  et  dut  le  rendre.  Sous  l'Empire 
(1809-1814)  le  Gouvernement  français  le  vendit  au  prince  Santa- 
Croce;  et,  en  1820,  celui-ci  le  revendit  au  prince  Torlonia,  qui  le 
fit  reconstruire,  en  1880,  tel  qu'il  est  aujourd'hui,  d'après  les  plans 
de  l'architecte  Valadier.   Plus  tard,  en  I860,  Alexandre  Torlonia 
le  fit  de  nouveau  restaurer  et  y  dépensa  plus  d'un  demi-million. 
Ce  théâtre  finit  par  devenir  la  propriété  de  la  Commune  qui  l'acheta 
à  ce  banquier.  Valle,  propriété  des  Gapranica,  restauré  en  1823,  sur 
lesplans  de  Valadier,  devint  la  propriété  de  M.  Baracchini,  le  proprié- 
taire  actuel  qui    possède   aussi  le  Metastasio,  ancien   Pallaccorda 
transformé. 

Le  théâtre,  restant  chose  quasi  criminelle,  était  simplement  toléré. 
On  tolérait  aussi  les  comédiens  et  tous  les  artistes  de  théâtre  connus 
sous  le  nom  d'histrions,  quoiqu'on  jouât  scènes  en  prose  et  musique 
chez  les  princes  et  les  ambassadeurs,  et  qu'à  une  époque  plus  recu- 
lée on  représentât  drames  et  comédies  même  chez  les  cardinaux  et 
jusque  chez  le  pape. 

On  rappelait  encore,  à  cette  époque,  la  fameuse  représentation  d'un 
drame  au  palais  de  Taddeo  Barberini,  préfet  de  Rome.  En  1634,  ce 
prince  fit  construire  dans  son  palais  un  théâtre  aussi  vaste  que  celui 
du  palais  Farnèse  à  Parme,  puisqu'il  pouvait  contenir  trois  mille 
pei-sonnes.  La  fête  y  fut  splendide.  La  musique  en  était  d'Etienne  LandI, 
romain,  et  le  poète  ne  fut  rien  moins  que  M^'  Jules  Rospigliosi,  plus 


1  , 1 ,1  .,ii  »• 


rr- -*-ï 


496 


LA    PRÉLATURE   DE    LÉON    XIII 


tard  pape  sous  le  nom  de  Clément  IX.  Le  soir  du  3  février  1634,  eut 
lieu  cette  représentation  en  l'honneur  du  prince  Charles  de  Polo^'ne, 
à  qui  la  dédia  le  cardinal  Antoine  Barberini,  neveu  d'Urbain  Vlii 
alors  régnant.  En  1637,  dans  le  même  palais  Barberini,  en  présencedt; 
Christine  deSuède,  fut  jouée  la  Viehumaine,  mélodrame  dont  l'auteur 
fut  encore  Jules  Rospigliosi,  non  encore  pape.  C'était  une  allégorie. 
Bonaventure  Argenti  y  représentait  la  Vie,  Dominique  Rademonti 
Vlnnocence,  et  Dominique  del  Pane  la  Faute,  c'est-à-dire  le  rôle  de 
la  femme,  —-car  il  était  défendu  aux  femmes  de  jouer,  chanter  ei  danser 
sur  les  théâtres  de  Rome,  de  la  Comarca  et  des  Marches.  Une  légis- 
lation diflférente  réglementait  les  Romagnes  et  les  Légations.  A 
Sinigalia,  durant  la  foire,  les  femmes  chantaient  et  dansaient.  Bien 
que  faisant  partie  intégrante  de  l'Etat  papal,  le  duché  d'Urbino  et 
Pesaro  jouissait  aussi  du  même  privilège. 

En  1588,  Sixte- Quint  accorda  à  la  Compagnie  des  Desiosi  la  per- 
mission de  donner  des  représentations  publiques;  à  la  condition  de 
le  faire  de  jour,  et  de  n'y  admettre  comme  acteurs  que  des  hommes 
chargés  de  remplir  les  rôles  de  femme.  Cette  injonction  fit  sourire 
Pasquino.  En  voyant  sur  la  scène  de  jeunes  éphèbes,  habillés  en 
femmes,  simuler  leur  beauté  cachée,  il  écrivit  malicieusement  devant 
la  porte  :  «  Laudale,  pueri  Dombium  !  » 

Au  milieu  du  xvii«  siècle,  le  chevalier  Philippe  Acciajuoli,  Horen- 
tin,  se  rendit  célèbre  par  les  machines  et  transformations  qu'il  intro- 
duisit dans  les  théâtres.  Les  plus  célèbres  pièces  jouées  le  furent  au 
palais  du  connétable  Lorenzo  Colonna  et  s'appelaient  :  Il  Noce  di  Be- 
nevento  ou  //  OmsigUo  délie  Streghe,  l  Campi  Elisi  joués  à  Torre 
di  Nona,  Vlnfemo  au  Capranica.  Il  y  avait  au  Pallacorda  un  théâtre 
guignol.  A  l'époque  dont  nous  parlons,  au  dernier  quart  du  xvui*  siè- 
cle, il  y  eut  un  vrai  fanatisme  pour  les  guignols  et  les  marionnettes. 
On  voyait  de  ces  petits  théâtres  aux  Monti,  rue  SanfAgata,  k  Monte- 
Caprinoy  au  Borgo,  au  Trastevere,  dans  la  ruelle  du  Moro,  rue  Bor- 
jfo^wowa  et  spécialement  place  iVayona  où  fut  construit  un  théâtre 
permanent  qui  a  donné  des  représentations  jusqu'à  notre  époque. 
Mais  le  plus  célèbre  de  tous  fut  le  petit  Théâtre  Guignol  qu'Accia- 
juoli  donna  à  Ferdinand  II,  duc  de  Toscane.  Ce  théâtre  avait  24  dé- 
cors différents  pour  changement  de  scènes  et  124  marionnettes.  Il  était 
combiné  de  manièrequ'un  seul  homme  dirigeât  tous  les  mouvements  des 
personnages.  Le  célèbre  Philippe  Juavara  composa  des  scènes  et  les 
joua  sur  le  théâtre  des  marioimettes  du  cardinal  Ottoboni  Fiano.  Ce 
petit  et  déjà  célèbre  théâtre  de   marionnettes  du  palais  Fiano  était 


LES    THÉÂTRES     DE    ROME  /        ^g^ 

Situé  à  l'angle  de  San  Lorenzo  in  Lucina  Philinnp  T.nr     •    . 

son  état,  résidant  Via  déclin   Vit.  *^^'"PPe  ieoli,  ciseleur  de 

comique   il,ustrcet?e  si  ^^^^^^^^^^^   T   '""'"'""^'    '^   '^'^'^   ^" 

"ne  marionnette  qu'  1  ava  t  L-r  ^    T"'  '""^^^'  '^   ^  ^^^^^a 

CassaudrinoX^éZL^^^^^^^  ''  ^'^^-^^^ra  ou 
-utre,  de  critiqLr  IpirTu^^  e^^^^^^ 

sorte  que,  souvent  e.nprisonné  Tien  or     t        ^'^^^^^^"«"^ent  ;  de 

donner  ses   représenlatinn^    T  .             P^"'"   ^««^"^mencer  à 

théâtre  et,  ju  qTeTS^  ^<^eouraient  à  ce 

Bépublique  romaine  avec  Saffi  et  Ma       i  1         ^    "'""''"*  ^'  '* 

spectateurs  de  ces  représentairsr',.""  ^''  ^'"^  "^'^'^"^ 
Belti  y  manquait,  lui':~^^^^^^  '^^^^~'   ^^^Ivatore 

.t:^MS^'i;^^  '^  -"^p-^--  ^e 

Metastasio  écrWait^^^^^^^^  ^^-'    en  1728. 

On  compte  parnT  es  L  s  d  t  """'T  '"  '""^'^"^  ""  ^"^^^  Ezio 
Broschi^i/^FariS  'S:^  "^Z^^  ^élèbr^s  m.. iciens  Charles 

comblés  d'honneurs  et   de    rici  e  1     idJ  f       ''   ''"'   ^^"^ 

princes  et  des  princessf  s   II  J         T  '  ''  ^''   souverains,    des 

^^i-inutifdu   ^o^Tonlj;:'^^^  ''  ^^^P^"''-' 

célèbres  du  xvm- siècle  '"'  ''  ""^''"^  chanteurs 

r^^^L^i:::^^^^  -'T'^''  ^^  ^^"--^-  Avant  que 
très  n^usicienré^i     t     é^'  é  è^^^^^^^  dans  ses  Mémoires,  d'L 

Pacchieratti,  Corneliani  etc   o!  l      ^^"'  ^^'"''"''  Grescentinf, 

^ait  un  noni  sur'v  ^'tSt,^  S^'^  ^""^^^  '''''  ^'^^^"^ 

les  prénoms  de  certaines,  telle  que  S  flisba  clm^  ^"^ 

avons  les  noms  de  cert^inp^   .  .  '    ^'""^'''^' "^^«^n^tis 

Oe  Muti,  Valerl   sans  pt     .^e  ^^^  ''T'   ""'  ''"^'^'^ 

cantatrices  honoraires  dune  foui    de  n        ''' '^'^^ose  di  caméra, 
Bologne,  Bordoni  de  Veni  e   il  Uilî^'  v''''  ''"'"^^  ^'"^'^^■^''»  '^ 
les  Bomaines  Aschier    «rB  «^ 
protectrice  de  >fetastasio,  qui  h' tsll^^^^^^^^^  ^'^^ 

dans    leurs  sonn;ts  le    Ta  1    e^£" 

en  1613,  Diane Ponti   connne!nn'7       '    ^   "'"'    Bocha,  morte 

ginie  Amireini,  f  le  Te    Ir    't  F^^  ^  ''  '""'^'  ^'''' 

32 


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498 


LA   PRÉLAÏURE   DE    LÉON    XIII 


avait  épousé  Jules-César  Castellani.  Les  hommes  les  plus  eu  vue  de 
son  temps  se  réunissaient  dans  la  maison  de  son  père,  Muzio  Baroni. 
Milton  fréquenta  sa  société  en  1639,  comme  la  fréquentèrent  aussi 
écoliers,  artistes  lettrés,  prélals  et  cardinaux,  ce  qui  fit  dire  à  Sal- 
vatore  Rosa,  en  parlant  d'elle  :  «  La  harpe  d'une  Licisca  enchante- 
resse attire  à  Home  plus  de  monde,  pour  l'entendre,  que  la  cloche  uni- 
versitaire de  la  Sapienza.  »  Cette  Eléonore  fit  tant  parler  d'elle,  que 
la  reine  Anne  d'Autriche  la  fit  venir  à  Paris  et  que  le  cardiiial  Ma- 
zarinenfit  sa  cantante  di  caméra.  Mais  elle  ne  tarda  pas  à  retourner 
en  Italie  et  se  fixa  à  Rome  où  elle  mourut,  en  1070,  à  l'âge  de  oT  ans. 
Elle  fut  enterrée  à  Santa  Maria  délia  Scala. 

Avant  de  fouiller  plus  avant  dans  les  notes  de  l'abhé  Benedelti, 
maintenant  ([ue  nous  savons  que  la  Cour  romaine,  aux  xvii*  et 
xvm*  siècles,  fit  la  guerre  aux  théâtres  publics,  jetons  un  rapide  coup 
d'œil  non  seulement  sur  le  théâtre  antique,  mais  aussi  sur  le  théâtre 
du  moyen  âge  et  de  la  renaissance,  qui  fut  le  père  légitime  du 
théâtre  moderne.  On  sait  que  les  peuples  théocratiques  n'eurent  pas 
de  théâtres.  Le  théâtre  fut  inconnu  aux  Égyptiens  et  aux  Israélites. 
Leur  esprit  était  trop  rempli  de  superstitions  chez  les  uns,  et  de  trop 
subtile  discussion  théologique  chez  les  autres.  Les  Grecs  et  les  Ro- 
mains, au  contraire,  cultivèrent  le  théâtre,  et  leurs  œuvres  en  cet 
art  sont  immortelles.  La  représentation  du  beau  revêtit  chez  eux 
toutes  les  formes  que  les  lettres  pussent  produire.  Les  tragédies 
d'Eschyle,  d'Euripide,  de  Sophocle  et  les  comédies  de  Ménandre, 
d'Aristophane  parmi  les  Grecs,  sont  restées  célèbres  ;  comme  le  sont 
aussi  celles  de  Térenceet  de  Plante  chez  les  Romains.  Ce  fut  là  l'ori- 
gine du  théâtre  de  la  Renaissance. 

Pendant  dix  siècles  environ,  du  iv«  au  xm"  de  l'ère  chrétienne, 
rélite  de  la  Société  n'eut  plus  de  théâtres;  comme  elle  n'eut 
plus  d'écoles,  de  bains  publics,  d'académies,  rien  de  tout  ce  que  com- 
portait la  civilisation  antique.  L'Italie,  dans  cette  ère  nouvelle  de 
civilisation,  ouvrit  de  nouveau  ses  théâtres,  sous  une  forme  étrange. 
On  puisa  dans  la  Bible  les  sujets  des  pièces.  Les  saints  du  calendrier 
catholique  devinrent  les  héros  de  la  scène,  les  patriarches,  les  martyrs 
et  les  confesseurs  amusèrent  le  public,  sous  forme  de  drames  et  de 
comédies  qu'on  appela  Mystères.  J'ai  vu  sur  la  place  de  Satit'Atimo 
un  théâtre  volant  où  l'on  représentait  le  martyre  du  saint.  Au 
dernier  acte,  on  lui  tranchait  la  tête  devant  le  public  mystifié,  de  la 
même  manière  qu'opèrent  les  charlatans.  Et  ces  indignes  bouffonneries 
avaient  eu  une  origine  très  sérieuse,  dans  les  Mystères. 


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I 


LES    THEATRES    DE    KOME  499 

En  1264,  à  Rome,  la  Compagnie  du  Gonfalone  eut  mission  de 
représenter  les  mystères  de  la  Passion  du  Christ.  Une  représentation 
spiriluelle  eut  lieu  à  Padoue,  le  jour  de  Pâques,  1243  Vers  1230  à 
Bologne,  un  certain  Fabrizio  composa  des  tragédies  en  patois  du 
pays.  Cet  usage  se  répandit  dans  tous  les  pays  d'Europe  où  la  Bible 
lut  pillée  pour  être  portée  sur  la  scène,  de  telle  manière  que  les  saints 
mystères  finirent  par  devenir  indécents. 

Le  XV'  siècle,  date  de  la  renaissance  des  lettres  et  des  arts  fit 
aussi  renaître  l'art  dramatique.  Poliziano,  Bruni  Aretino,  Albert!  et 
Ricci  s  y  révélèrent.  Le  duc  Hercule  faisait  construire  dans  la  cour  de 
son  palais  un  théâtre  en  bols  où  l'on  récitait  la  traduction  des  comé- 
dies de  Piaille,  les  Mes.éniens,  V Amphitryon,  et  celles  de  Boiardo 
de  Collenuccio  et  de  Nanti.  Léon  X  faisait  jouer  à  Rome,  devant  sa 
Cour,  m  plus  ni  moins  que  la  Clizia  et  \^Mandragora  de  Machiavel 
la  So;onisbai\t  Trissino,  la  liomunda  de  Rueellai,  la  Calandra  dû 
cardinal  de  Bibbiena.  Cette  dernière  fut  aussi  jouée  à  Lyon    lors  de 
rentrée  dans  cette  ville  d'Henri  H  et  de  Catherine  de  Médieis   En 
1371,  Charles  IX  avait  appelé  les  comédiens  italiens  à  Paris  où  ils 
jouèrent  devant  la  Cour.  Le  duc  de  Nevers,  qui  était  Louis  Gonza- 
giie  de  la  Maison  de  Manloue,  les  logea  princièrement. 

On  introduisit  ensuite  dans  la  comédie  les  masques,  sujets  caracté 
ristiques  d'un  pays,  qu'une  étude  railleuse  et  satirique  enfanta    II 
faut  citer  les  plus  anciennes  comédies,  le  Dollar  Spaviento,  Coriello 
furbo,   P.iscariello,   Giangurgolo,  paysan  de  Calabre,  Gonsolmitw 
Romain  prétentieux  et  maniéré.  Cette  fois  encore  l'art   né  en  Italie' 
franchit  les  Alpes.  Catherine   de  Médieis  introduisit'  en  France  ce 
nouveau  genre,  pendant  que  l'Allemagne  cherchait  à  faire  monter 
sur  la  scène  la  vie  sociale  et  le  schisme  de  Luther.  Et,  cette  fois   les 
germes  artistiques  transplantés  hors  de  l'Italie  furent  féconds'-  le 
génie  anglais  y  recueillit  un  Shakespeare  et  un  Wycherlay,  pendant 
que  l'Espagne   et  la  France   y   voyaient   naître   un   Cervantes,   un 
Molière,  un  Lopez  de  Vega,  un  Calderon. 

Au  xviii»  siècle,  .Vlartelli,  qui  donna  son  nom  aux  vers  de  son  inven- 
tion, écrivit  des  tragédies  et  des  drames  en  collaboration  avec 
Antonio  Conti.  Maffei  écrivit  Mérope.  Vint  ensuite  Goldoni  qui  com- 
posa, d  abord,  des  comédies  à  effet,  pour  créer  ensuite  la  comédie 
moderne.  Il  en  a  laissé  un  grand  nombre,  et  les  meilleures  sont  écrites 
en  dialecte  vénitien.  Alfieri  fut  le  dernier  à  porter  la  tragédie  à  son 
apogée;  il  n'a  pas  été  dépassé  depuis.  Addison  avec  son  Caton  Con 
grève  avec  ses  comédies  et  Thompson  avec  ses  tragédies,  donnèrent 


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500 


LA    PRÉLATLUE    DE   LÉON    XIII 


un  sérieux  essor  à  l'art  anglais.  Les  Espagnols  suivirent  l'école  fran- 
çaise où  s'élaildistingué  Molière,  le  vrai  père  de  la  comédie  moderne. 
Mais,  AUieri  excepté  en  Italie,  ce  fut  en  Allemagne  que  l'art  drama- 
tique trouva  ses  meilleurs  interprèles.  Les  drames  et  les  tragédies 
de  Schlegel  et  de  Lessing  arrivèrent  à  un  tel  point  de  perfection,  que 
la  supériorité  leur  fut  facile  en  livalisant  avec  Schiller  et  Goethe. 

En  dehors  du  drame,  la  Renaissance  nous  donna  la  chorégra- 
phie qui,  d'après  son  étymologie  grecque,  signifie  l'art  de  noter  et  de 
diriger  la  danse.  Les  Français  l'inventèrent.  Dès  1588,  Jehan  Tabourot 
puDUail  un  ouvrage  intitulé  VOrchesographie,  dans  lequel,  se  ser- 
vant de  la  musique,  il  réussit  à  noter  les  pas  de  la  danse  avec 
des  accompagnements  de  tifre,  de  tambour,  de  tambourin,  etc..  Le 
professeur  de  danse  de  Louis  XIV,  Beauchamps,  essaya  de  réformer 
le  système  de  Tabourot;  mais  il  mourut  en  1693,  sans  avoir  rien  créé 
de  nouveau.  On  se  souvient  que  le  grand  Louis  dansa  à  13  ans,  en  1651 , 
au  bal  (\e  Cassandre  ;  et  que  la  Cour  tout  entière  dansa,  an  Théâtredes 
Machines,  aux  Tuileries,  dans  le  ballet  intitulé  :  Hercule  amoureux. 
Toutefois  les  dames  ne  dansèrent  pas  au  théâtre,  avant  1681.  Ce  fut 
celte  année-là  que  dansa  la  Daiiphine  avec  toutes  les  princesses  du 
sang,  dans  le  Triomphe  d'Amour  de  Lulli,  exécuté  à  Saint-Germain. 
Dep'iiis  ce  jour,  beaucoup  de  jeunes  filles  apprirent  à  danser. 

On  joua  n  Rome,  en  1614,  VAmor  pudico  de  Cicognini,  dans  une 
soirée  dansante;  et,  eu  1668,  la  Guerra d'amore et  la  Gueira  di  bel- 
lezza  d'Andréa  Salvalori.  Au  xvii^'  siècle,  à  Venise,  le  prince  de 
Brunswick  donna  une  grande  fête  sur  le  Canal  Grande.  Dans  les 
ombres  de  la  nuit  apparut  une  énorme  baleine,  portant  Morphée 
assis  qui  chantait.  Tout  à  coup,  le  monstre  ouvrit  ses  lianes  et 
figura  une  colline  avec  les  Champs-Elysées  et  les  jardins  des  Hespé- 
rides,  dont  les  arbres  étaient  éclairés  d'une  multitude  de  petits  bal- 
lons en  couleur  renfermant  des  lumières.  Au  milieu  de  ces  arbres,  en 
costume  de  théâtre,  se  trouvait  un  grand  nombre  de  musiciens  qui 
accompagnaient,   avec  mélodie,  un   i  etit  drame  qu'on  jouait  sur  le 

sommet  de  la  colline. 

A  fépoque  qui  nous  occupe  (1769-1800),  après  Aulelta,  Porpora, 
Alucci,  Ponticelli,  Zingarelli,  Nicolini,  et  surtout  Pdisiello  que  Cathe- 
rine ll'fit  venir  à  Saint-Pétersbourg  en  1776,  on  fit  grandement  cas 
des  célèbres  Piccinini  et  Ciinarosa,  tous  deux  Napolitains.  Le  premier 
fit  jouer  à  Rome  Cecchina  en  1760,  Alessandro  nelle  Indie  en  1758, 
Olimpiade  en  1761,  Anligone  en  1771,  Sara,  oratorio  composé  à 
Rome  en  1769.  Ce  maître  fécond,  qui  de  bonne  heure  se  fixa  à  Paris, 


LES    THÉÂTRES    DE    ROME 


501 


écrivit  au  moins  80  opéras.  Il  n'eut  pour  rival  que  Gluck,  qui  formait 
en  France  une  autre  école.  Anfossi,  le  protégé  de  Marie-Antoinette, 
fut  son  compétiteur;  et  Bari,  sa  ville  natale,  lui  a  dédié  son  théâtre. 
Dominique  Cimarosa,  né  à  Naples,  en  1739,  écrivit  lui  aussi,  dans 
l'espace  de  onze  mois,  à  Rome,  son  Alessandro  nelle  Indie;  à  Turin, 


i 


Le  Carnaval  de  Rome.  —  La  course  du  Berberi  (Dessin  de  Thomas). 

VArtasrse;  à  Venise  :  \l  Convito  et  VOlimpiade;  et  de  nouveau,  à 
Rome,   le   Piltor  parigino.  En   1792,   l'empereur  d'Autriche  le  fit 
venir  à  Vienne  et  lu*  assigna  une  rente  de  12,000  florins.  Revenu  à 
Rome,  en  1796,  il  écrivit  les  Nemici  generosi  en  1798,  et  fit  jouer 
Achille  aWassediodi  Troia  et  Vlmprudente  fortunato.  La  Révolution 


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500 


LA    PRÈLATLUE    DE    LÉON    XIII 


uii  sérieux  essor  à  l'art  anglais.  Les  Espagnols  suivirent  l'école  fran- 
(;aise  où  s'élait  distingué  Molière,  le  vrai  père  de  la  comédie  moderne. 
Mais,  Alfieri  excepté  en  Italie,  ce  fut  en  Allemagne  que  l'art  drama- 
tique trouva  ses  meilleurs  interprètes.  Les  drames  et  les  tragédies 
de  Schlef'el  et  de  Lessing  arrivèrent  à  un  tel  point  de  perfection,  que 
la  supériorité  leur  fut  facile  en  livalisant  avec  Schiller  et  Gœthe. 

En  dehors  du  drame,  la  Kenaissance  nous  doinia  la  chorégi-a- 
phie  qui,  d'après  son  étymologie  grecque,  signifie  l'art  de  noter  et  de 
diriger  la  danse.  Les  Frauijais  l'inventèrent.  Dès  1588,  Jehan  Tabourot 
publiait  un  ouvrage  intitulé  \' Ovchesographie ^  dans  lequel,  se  ser- 
vant de  la  musique,  il  réussit  à  noter  les  pas  de  la  danse  avec 
des  accomi)agnements  (le  tifre,  de  tambour,  de  tambourin,  etc..  Le 
professeur  de  danse  de  Louis  XIV,  Heauchamps,  essaya  de  réformer 
lesvstème  de  Tabourot;  mais  il  mourut  en  lG9o,  sans  avoir  rien  créé 
de  nouveau.  On  se  souvient  que  le  grand  Louis  dansa  à  13  ans,  en  IGol, 
au  bal  iX^Cassandre:  et  que  la  Cour  tout  entière  dansa,  au  Théâtre  des 
Machines,  iww  Tuileries,  dans  le  ballet  intitulé  :  Hercule  amoureux. 
Toutefois  les  dames  ne  dansèrent  pas  au  théâtre,  avant  l(J8l.  (le  fut 
celte  année-là  que  dansa  la  Daupliiue  avec  toutes  les  princesses  du 
sang,  dans  le  Triomphe  d'Amour  de  Lulli,  exécuté  à  Saint-Germain. 
Dep'iiis  ce  jour,  beaucoup  de  jeunes  tilles  apprirent  à  danser. 

On  joua  :«  Kome,  en  IGii,  VAmor  pudico  de  Cicognini,  dans  une 
soirée  dansante;  et,  en  1008,  la  Guerra  d'amure  el  la  Cuei ra  di  bel- 
lezza  d'Andréa  Sahalori.  Au  wir  siècle,  à  Venise,  le  prince  de 
Brunswick  donna  une  grande  fêle  sur  le  Canal  Grande.  Dans  les 
ombres  de  la  nuit  apparut  une  énorme  baleine,  portant  Morphée 
assis  qui  chantait.  Tout  à  coup,  le  monstre  ouvrit  ses  lianes  et 
tigura  une  colline  avec  les  Chamt»s-Élysées  et  les  jardins  des  Hespé- 
rides,  dont  les  arbres  étaient  éclairés  d'une  multitude  de  i)etits  bal- 
lons en  couleur  renfermant  des  lumières.  Au  milieu  de  ces  arbres,  en 
costume  de  théâtre,  se  trouvait  un  grand  nombre  de  musiciens  qui 
accompagnaient,  avec  mélodie,  un  i  élit  drame  qu'on  jouait  sur  le 
sommet  de  la  colline. 

A  l'époiiue  (lui  nous  occupe  (  17i>y-l800i,  après  Auletta,  Porpora, 
Alucci,  Ponticelli,  Zingarelli,  Nicolini,  et  surtout  Pdisiello  que  Cathe- 
rine u'tit  venir  à  Saint-Pétersbourg  en  IT'G,  on  lit  grandement  cas 
des  célèbres  Picciuini  et  Cimarosa,  tous  deux  Napolitains.  Le  premier 
tit  jouer  à  Uome  Cecchina  en  1700,  Alessandro  nelle  îndie  en  1758, 
Olimpiade  eu  1761,  AnUijone  en  1771,  Sara,  oratorio  composé  à 
Kome  en  1760.  Ce  mailre  fécond,  (^ui  de  bonne  heure  se  fixa  à  Paris, 


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LES    TIIKATKES    DE     HOME 


lîOl 


écrivit  au  moins  80  opéras.  Il  n'eut  pour  rival  que  Gluck,  qui  formait 
en  France  une  autre  école.  Anfossi,  le  protégé  de  Marie-Antoi nette, 
fut  son  compétiteur;  et  Bari,  sa  ville  natale,  lui  a  dédié  son  théâtre. 
Dominique  Cimarosa,  né  à  Naples,  en  1739,  écrivit  lui  aussi,  dans 
l'espace  de  onze  mois,  à  Home,  son  Alessandro  nelle  Indie  ;  à  Turin, 


Le  Carnaval  de  Rome.  —  La  course  du  Berheri   Dessin  de  Thomas). 


VArtasrse;  à  Venise:  \l  Convito  ai  ï  Olimpiade  ;  ei  de  nouveau,  à 
Uome,   le   Piltor  parigino.  Eu   179:2,   l'empereur  d'Autriche  le  fit 
venir  à  Vienne  et  lui  assigna  une  rente  de  1:2,000  florins.  Bevenu  à 
Rome,  en  17î)6,  il  écrivit  les  Xemici  fjenerosi  en  1798,  et  fit  jouer 
Achille  all'assedio  di  Troia  et  Vlmprudente  fortunato.  La  Révolution 


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502 


LA    PRÉLATURK    DE    LÉON.  XllI 


le  ramena  à  Naples;  il  y  composa  un  chant  patriotique  qui  lui  valut 
la  prison,  et,  dit-on,  le  poison.  Ayant  survécu,  il  s'enfuit  à  Venise, 
où  il  mourut  en  1801.  A  Rome,  le  cardinal  Consalvi,  admirateur 
enthousiaste  du  maître  napolitain,  sans  s'occuper  s'il  avait  été  révo- 
lutionnaire ou  non,  lui  fit  faire  de  solennelles  funérailles  dans 
l'église  San-Carlo  in  Catenari  où  l'on  exécuta  la  première  messe 
qu'il  avait  composée.  Consalvi  commanda  aussi  le  buste  du  célèbre 
compositeur  par  Canova  et  le  fit  |)lacer  au  Panthéon,  à  côté  de  celui 
de  Raphaël,  pour  montrer  qu'on  le  pouvait  considérer  comme  le 
Raphaël  de  la  musique.  Le  même  cardinal-secrétaire  accorda  une 
pension  aux  sœurs  de  Cimarosa  pour  leur  permettre  de  vivre  honora- 
blement. Le  buste  de  ce  maestro^  qui  avait  écrit  870  opéras,  est 
aujourd'hui  au  Capitole,  dans  la  galerie  des  hommes  illustres. 
Naples  finalement  a  donné  le  nom  de  Cimarosa  à  un  de  ses 
théâtre*». 

En  Italie,  la  passion  de  la  musique  était  grande;  mais  il  y  man- 
quait encore  le  vrai  mélodrame.  Les  opéras  en  musique  n'étaient  que 
de  stupides  drames  en  yer^f  en  partie  mis  en  musique.  Les  opéras - 
bouft'es  étaient  des  sortes  de  vaudevilles  et  opérettes;  la  tragédie  et  la 
comédie  attendaient  Alfieri  et  Goldoni.  Los  bals  étaient  des  espèces 
de  pantomimes  ou  danses  mauresques,  avec  de  nombreuses  transfor- 
mations où  l'on  voyait  les  comédiens  habituels,  habillés  en  femmes, 
et  les  grotesques  qui  faisaient  des  sauts  ridicules,  mais  qui  ne  furent 
jamais  de  vrais  danseurs. 

Le  pape  Renoit  XIV  ne  permettait  pas  encore  aux  femmes  déjouer 
sur  les  théâtres  de  Rome.  Il  répondit,  en  1753,  à  l'illustre  Mafifei  qui 
désirait  faire  jouer  à  Rome  et  dans  l'Etat  ecclésiastique,  Métope  avec 
des  vraies  actrices  :  «  Nous  avons  pris  l'engagement  de  maintenir, 
dans  celte  ville  de  notre  Etat  où  il  n'y  a  pas  l'habitude  que  les  femmes 
jouent,  chantent  ou  dansent,  la  défense  aux  femmes  de  se  pro- 
duire sur  la  scène  et  dans  les  bals,  malgré  les  prières  qui  nous  sont 
faites.  »  En  conséquence,  des  hommes  seuls  jouèrent  les  comédies  de 
Goldoni  et  les  tragédies  d'Alfieri  et  de  Monti.  Près  d'un  demi-siècle 
s'écoula  encore  avant  que  les  femmes  parussent  sur  les  théâtres  de 
Rome.  D'ailleurs,  les  théâtres  ne  s'y  ouvraient  qu'à  la  saison  du 
Carnaval,  qui  commençait  le  :2  janvier.  On  risquait  quelquefois  l'ou- 
verture d'un  théâtre  en  automne;  et  cela  eut  lieu  en  1778,  quand 
Medebach,  avec  sa  compagnie  du  théâtre  vénitien  de  Saint- Angelo, 
joua  les  comédies  de  Goldoni.  iMais  parurent  elles  sur  la  scène,  les 
femmes  Medebach,  Martorini,  Borghini  e!  Marleani  /  Notre  abbé  ne 


LES    THÉÂTRES    DE    ROME 


503 


le  dit  pas,  et  il  faut  croire  que,  seuls,  des  hommes  habillés  en  femme 
et  des  masques  y  jouèrent. 

En  1780,  un  ouvrit  le  théâtre  Alibert,  à  l'automne,  mais  pour  la 
musique  et  les  bals.  Il  existe  sur  ce  sujet,  dans  les  Mémoires  de 
l'abbé,  un  document  curieux.  C'est  une  dépêche  du  Secrétaire  d'Etat 
au  lieutenant  Montani,  à  Ancône,  pour  accorder  l'autorisation  de 
laisser  jouer  hommes  et  femmes  sur  ce  théâtre  : 


Rome,  mars  n88. 


«  Illustre  Seigneur, 


«  La  Sacrée  Consulte^  après  avoir  examiné  votre  demande,  l'avis 
«  de  l'Oracle  et  l'approbation  de  Sa  Sainteté  préalablement  obtenus, 
«  vous  fait  savoir  que  le  Saint-Père  a  bien  voulu  exaucer  l'instance  de 
«  Rose  Medebach  et  autres  comédiens  qui  pourront,  au  printemps 
«  prochain,  représenter  dans  votre  théâtre  public  des  comédies,  avec 
«  leur  compagnie  d'hommes  et  de  femmes;  pourvu  toutefois  que  ce 
«  soit  après  la  Mission  que  l'Em.  Evêque  se  propose  de  faire  donner 
«  à  Ancône.  C'est  en  ces  termes  que  vous  voudrez  bien  lui  trans- 
<(  mettre  cette  autorisation.  Que  Dieu  vous  conserve,  etc., 

Ignace  Card.  Bonoompagisï  Lud.  » 

ïl  y  fallut  toutefois  un  vote  de  la  Sacrée  Consulte,  l'oracle  de  sa 
Sainteté,  et  puis  attendre  qu'on  eut  achevé  la  Mission,  selon  la  volonté 
du  cardinal  évêque  d' Ancône,  Annibal  Ranuzzi.  Après  quoi, 
^[me  (^Qjje  Medebach  put  jouer  dans  cette  ville  où,  depuis  80  ans, 
une  seule  femme  avait  paru  sur  la  scène  (écrit  le  carJinal  Ranuzzi), 
causant  un  grand  scandale  et  un  grave  préjudice  aux  bonnes  mœurs. 
Ce  prélat,  natif  de  Bologne,  ne  savait-il  pas  qu'à  Rologne  même  et 
dans  toutes  les  Romagnes,  jusqu'à  Sinigaglia  et  à  la  porte  d' Ancône, 
les  femmes  chantaient  et  jouaient  sur  la  scène?  Ce  qu'il  y  a  de  plus 
singulier,  c'est  que  les  prêtres,  les  prélats  et  les  cardinaux  fréquen- 
taient les  théâtres,  surtout  les  cardinaux  légats  qui  avaient  leur  loge 
dans  tous  les  principaux  théâtres;  tels  que  le  cardinal  Hertzan,  mi- 
nistre du  roi  de  Hongrie,  le  cardinal  Orsini,  délégué  du  roi  de  Naples, 
le  cardinal  de  Bernis,  ambassadeur  du  Roi  Très-Chrétien  et,  après  lui, 
le  cardinal  Fesch,  oncle  et  représentant  de  l'empereur  Napoléon.  Ne 
dit-on  pas  aussi  que  M»»"  Charles  Odescalchi,  plus   tard  cardinal, 


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LA    PRÉLATURK    DE    LÉON    XIII 


jouait  lui-même  avec  la   duchesse  de  Ceri,  comme  nous  le  verrons 
plus  loin  ? 

Les  théâtres  se  fermaient  le  vendredi,  les  vigiles  des  saints  et  pen- 
dant certains  jours  de  fête.  De  rares  lampes  à  huile  éclairaient  par- 


Xe  Carnaval  de  Rome.  -  Le  but  de  la  course  au  Palazzo  Venezia  (Thomas). 

cimonieusemenl  la  salle,  et  la  lumière  faisait  tellement  défaut  à 
rentrée  qu'on  y  trouvait  des  vendeurs  criant  à  la  fois:  «  Opéra,  pro- 
gramme, bougie  !  »  Sans  lumière  à  la  main,  il  était  impossible  de 
lire  le:programme  de  l'opéra  et  du  ballet.  Quelques  rares  instruments 
à  cordes,  quelques  flûtes  et  quelques  clarinettes  composaient  tout 


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LKS    THÉÂTRES    DE    ROME 


505 


rorchestre;  les  instruments  en  cuivre  étaient  exclus.  Les  décors 
juraient  souvent  avec  l'œuvre  et  l'époque,  et  les  scènes  se  succédaient 
avec  une  lenteur  désespérante.  Le  vestiaire  était  tel,  qu'aujourd'hui 
il  ferait  éclater  de  rire.  Les  femmes  s'habillaient  selon  bur  caprice 
et  paraissaient  sur  la  scène,  pour  jouer  le  rôle  de  Cléopâtre  ou  d'iphi- 
génie,  avec  la  crinoline  et  le  toupet  poudré.  Les  hommes  révélaient 
des  costumes  de  chevaliers  avec  le  chapeau  à  pointe  et  l'épée,  et,  sur 
leur  habit  à  queue  d'hirondelle,  ils  jetaient  un  manteau  rouge  ou 


Le  Cirnaval  de  Rome.  —  Les  moccoli  sur  le  Corso.  (Thomas.) 

quelque  chose  d'approchant.  C'est  ainsi  que  l'abbé  Benedetti  se  rap- 
pelait avoir  vu  habillé  le  ténor  Jean  Ausani,  qui  jouait  le  rôle  de  Caius 
Marins.  C'est  ainsi  que  le  vieux  maîire  Héliodore  Blanchi  racontait 
avoir  vu  jouer  à  la  Scala  de  Milan,  du  temps  de  sa  verte  jeunesse, 
alors  qu'il  avait  une  belle  voix  et  qu'il  aspirait  à  la  place  de  ténor. 

On  conversait  habiiuellement  au  théâtre,  on  y  mangeait  pâtisseries 
et  contiseries,  on  passait  d'une  loge  à  l'autre,  causant  avec  les  voisins 
et  même  avec  le  parterre  qui  était  presque  toujours  vide  et  ne  se 


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LA    PRKLATLHK    DE    LKON    XIII 


jouait  lui-même  avec  la   duchesse  de  Ceri,  comme   nous  le  verrons 
plus  loin  ? 

Les  théâtres  se  fermaient  le  vendredi,  les  vigiles  des  saints  et  pen- 
dant certains  jours  de  fête.  1).  rares  lampes  à  huile  éclairaient  par- 


Le  Carnaval  de  liuine.  -  Le  but  de  la  course  au  Palazio  VeNeiia  iTliomas^ 

cimonieusemenl  la  salle,  et  la  lumière  faisait  tellement  défaut  à 
l'entrée  qu'on  y  trouvait  des  vendeurs  criant  à  la  fois  :  «  Opéra,  pro- 
gramme, bou-ie  !  »  Sans  lumière  à  la  main,  il  était  inipossible  de 
lire  le^rogramme  de  l'opéra  et  du  ballet.  Quelques  rares  instruments 
à  cordes,  quelques  tlùtes  et  quelques  clarinettes  composaient  tout 


LKS    THÉÂTRES    DE     ROME 


505 


Torchestre;  les  instruments  en  cuivre  étaient  exclus.  Les  décors 
juraient  souvent  avec  l'œuvre  et  l'époque,  et  les  scènes  se  succédaient 
avec  une  lenteur  désespérante.  Le  vestiaire  était  tel,  qu'aujourd'hui 
il  ferait  éclater  de  rire.  Les  femmes  s'habillaient  selon  Lnir  caprice 
et  paraissaient  sur  la  scène,  pour  jouer  le  rcMe  de  Cléopâtre  ou  d'iphi- 
génie,  avec  la  crinoline  et  le  toupet  poudré.  Les  hommes  revêtaient 
des  costumes  de  chevaliers  avec  le  chapeau  à  pointe  et  l'épée,  et,  sur 
leur  habit  à  queue  d'hirondelle,  ils  jetaient  un   manteau  rouge  ou 


Le  Cirnaval  de  Rome.  —  Los  moccoli  sur  le  Corso.  (Thomas.) 

quelque  chose  d'approchant.  C'est  ainsi  que  l'abbé  Benedetti  se  rap- 
pelait avoir  vu  habillé  le  ténor  Jean  Ansani,  qui  jouait  le  rcMe  de  Gains 
Marim.  C'est  ainsi  que  le  >ieux  maître  Héliodore  Bianchi  racontait 
avoir  vu  Jouer  à  h  Scala  de  Milan,  du  temps  de  sa  verte  jeunesse, 
alors  qu'il  avait  une  belle  voix  et  qu'il  aspirait  à  la  place  de  ténor. 

On  conversait  habiiuellcment  au  théâtre,  on  y  mangeait  pâtisseries 
et  confiseries,  on  pas.sait  d'une  h.ge  à  l'aulre,  causant  avec  les  voisins 
et  même  avec  le   i»arterre  qui  était  presque  toujours  vide  et  ne  se 


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LA    PRÉLATURE    DE    LÉON    XIII 


remplissait  que  pour  entendre  quehjues  duos  ou  quelque  passage 
d'opéra  des  plus  célèbres  musiciens.  Ceux-ci  chantaient  encore  dans 
d'autres  théâtres  d'Italie  avec  ou  sans  le  concours  de  femmes,  tant 
était  grande  la  renommée  que  se  faisaient  quelques-uns  d'entre  eux 
et  tant  s'était  propagée  l'habitude  de  voir  des  hommes  chanter  un 
rôle  de  femme. 

Il  semblerait  que  notre  abbé  Benedelti  n'ait  commencé  à  fréquenter 
le  théâtre  qu'en  1769;  car  il  n'en  fait  nulle  mention  dans  ses 
Mémoires,  avant  cette  date.  L'abbé  était  page,  dans  la  famille  Colonna; 
il  était  attaché  à  la  personne  de  dame  Colonna  qui,  comme  loules 
les  dames  de  cette  époque,  se  faisait  servir  entièrement  par  son 
sigisbée.  Il  lui  mettait  et  lui  enlevait  son  manteau,  lui  présentait 
l'éventail,  lui  offrait  le  monocle,  lui  passait  la  chaufferette  ou  le 
coussin  sous  les  pieds,  la  chaussait  et  la  déchaussait  quand  elle  le 
désirait.  Puis,  il  restait  là,  debout,  aux   ordres  de   madame. 

Nous  trouvons  annoté  que  le  mardi,  3  janvier  1769,  il  avait 
accompagné  Marianne  Colonna  au  Teatro  délie  Dame,  c'est-à-dire  à 
l'Alibert,  où  l'on  jouait  Demetrhis  du  célèbre  abbé  Metastasio,  poète 
et  compositeur.  Pendant  l'entr'acte,  eut  lieu  un  ballet  dont  l'abbé  ne 
donne  pas  le  titre. 

Le  mercredi,  4  janvier,  il  alla  au  théâtre  de  Torre  Aryenlina,  où 
l'on  jouait  le  Cid  avec  ballet  aux  entr'actes. 

Le  jeudi,  5  janvier,  il  vit,  au  théâtre  Tordinona,  la  tragicomédie 
intitulée  Lo  Schanderberck,  suivie  d'une  farsaen  musique,  à  i  voix, 
intitulée  :  Il  Gelow  stravafjanle. 

Le  sameili,  7  janvier,  il  assista,  au  théâtre  Valle,  à  la  Biuietta 
aïïimprovviso,  comédie  caractéristiqueaccompagnéedu  Sposo  burlatOy 
chanté  à  quatre  voix  pendant  l'entr'acte. 

Le  lundi,  9  janvier,  au  théâtre  Pace,  il  vit  jouer  la  nouvelle  comé- 
die intitulée:  La  Fedeltd  in  amore,  ou  la  Schiava  riconoscente,  avec 
farsa  en  musique  à  quatre  voix.  Il  volubiley  qui  suivait,  était  coupé 
par  des  ballets. 

L'abbé  était  trop  jeune  alors  pour  juger,  il  notait  seulement  ce 
qu'il  avait  vu  dans  ces  soirées  et  les  suivantes.  Mais  cela  dura  peu. 
Tout  amusement  cessa,  en  effet,  celte  année,  à  la  mort  de  Clé- 
ment XIII  Kezzonico,  survenue  dans  la  nuit  du  jeudi,  ^2  février.  C'est 
pourquoi  mascarades,  courses,  comédies  et  bals  cessèrent  tout  à 
fait,  et  les  palii  (dais),  destinés  aux  courses  du  mercredi  et  du  jeudi, 
furent  envoyés  en  don,  par  l'Iïtat  romain,  l'un  à  l'église  coilégiale 


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LKS    THÉÂTRES    DE    ROME 


507 


de  Saint-Marc  et  l'autre  à  l'église  des  Religieuses  de  la  Purificaliony 
dont  la  fête  arrivait  ce  jour-là. 

L'événement  théâtral  le  plus  marquant  que  l'abbé  ait  noté  fut, 
pour  1770,  la  représentation  de  Ezio  chanté  par  le  musicien  Gatena 
au  théâtre  Alibert,  avec  prologue  en  honneur  de  Joseph  IL 

Kn  1771,  l'abbé  nota  —  probablement  parce  que  c'était  la  pre- 
mière fois  qu'il  y  allait  —  trois  fêtes  de  bal  données  les  4,  o  et 
6  février,  dans  les  salles  du  palais  du  Govenio  vecchio,  dans  la  rue 
de  ce  nom.  Quelques  citadins  en  firent  les  frais.  Les  dames  s'y  rendi- 
rent en  masque,  et  l'abbé  rappelle  que  la  dame  du  Connétable, 
entourée  de  Maures  et  d'eunuques,  excita  l'admiration  de  tous  par 
son  costume  de  Circassienne.  Cette  fêle  avec  masques  fut  reproduite 
au  festin,  dans  le  théâtre  Alibert  où  l'on  donnait  des  bals  publics. 

Le  17  février  177:2,  à  la  représentation  de  Faniace,  à  l'Alibert,  le 
prologue  fut  chanté  par  le  virtuose  musicien  Joseph  Pugnetti  qui, 
sortant  d'une  nuée,  chanta  des  vers  à  la  louange  de  l'archiduc 
Léopold,  grand-duc  de  Toscane. 

Rien  de  saillant  n'est  noté  pour  les  carnavals  de  1773  et  1774. 
L'abbé,  qui  commençait  à  devenir  jeune  homme,  peut-être  obligé 
d'aller  aux  collèges  étudier,  accompagnait  moins  souvent  sa  Dame.  Il 
faut  aussi  noter  qu'il  n'y  eut  pas  de  carnaval,  en  l77o,  parce  que  ce 
fut  l'année  sainte,  c'est-à-dire  le  Jubilé.  Rien  de  remarquable,  si  ce 
n'est  que  le  pape  lit  sortir  de  Rome  un  monstre  (peut-être  un  rhino- 
céros), afin  de  ne  pas  distraire,  par  la  présence  de  cette  bête  dans  la 
ville,  les  fidèles  des  pratiques  religieuses. 

En  177tj,  Paisiello  fit  représenter  plusieurs  de  ses  mélodrames  et 
une  cantate  intitulée  :  VAddio.  Elle  plut  beaucoup  à  l'abbé  Rene- 
detti,  qui  ne  note  aucun  autre  souvenir  sUr  le  carnaval  de  1777.  Il 
donne  quelques  remarques  sur  les  théâtres,  pour  l'année  1778  seule- 
ment. On  représenta  deux  opéras  à  l'Alibert:  la  Finta  sprezzante 
du  maître  Otlavi  et  VAmévicana  in  Halia  du  maître  Caruso.  Les 
comiques  Cavalli  et  Grandi  y  chantèrent,  ainsi  que  le  ténor  Neri.  Le 
rôle  des  femmes  fut  lenu  par  Rarlolini,  Quintapace  et  Neroni  ;  les 
ballets  en  étaient  de  Guglielmi.  A  TArgentina  on  joua  rO/iw]yiarf<? 
d'Anfossi.  Au  théâtre  Valle  on  récita  des  comédies,  avec  entr'actes 
en  musique,  le  Ritorno  di  Calandrino  de  Cimarosa  elle  Cofitrogenio 
d'Anfossi.  Au  Campranica,  comédies  suivies  de  musique  :  ie  Mav- 
chese  Verd'Antico  de  Gazzanigo,  et  VUalia  incanlata  de  Marcello 
de  Gapoue,  opérettes  légères,  remplies  de  bouffonneries  et  de 
transformations  qui  faisaient  les  délices  des  spectateurs. 


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LA    PRÉLATURE    DE    LÉON   XIII 


En  1779,  les  Mémoires  de  Tabbë  deviennent  plus  riches  pour  ce 
qui  concerne  le  théâtre.  Il  loue,  avant  tout,  un  édit  de  M*'  Spinelli 
Gouverneur  de  Rome,  pour  maintenir  le  bon  ordre  dans  les 
théâtres.  Spinelli,  que  notre  abbé  et  Monti  célèbrent  en  le  comparant  à 
Scipion  et  aux  plus  illustres  héros  romains,  publia  un  édit  sur  les 
théâtres,  d'après  celui  du  cardinal  Alexandre  Falconieri,  en  date  du 
7  janvier  17:21,  alors  que  ce  personnage  était  aussi  Gouverneur  de 
Rome.  Dans  cet  édit,  après  avoir  parlé  du  but  moral  des  représen- 
tations sur  la  scène,  il  menace  du  bâton,  de  la  corde  et  des  galères 
quiconque,  par  paroles  ou  gestes  inconvenanis,  ou  de  toute  autre 
manière,  aura  été  cause  de  trouble  pendant  la  représentation.  Après 
cela,  M^""  Spinelli  recommande  une  teniie  décente  dans  les  théâ- 
tres, défend  les  tavolette  (escabeaux)  et  les  chaises,  surtout  dans 
l'allée  du  milieu,  sous  peine  de  cent  écus  d'amende  aux  imprésarios 
et  d'une  triple  flagellation  à  la  corde,  pour  les  employés  et  masques 
(serviteurs)  du  théâtre.  Ces  recommandations  de  Falconieri  et  de 
Spinelli  permettent  de  déduire,  semble-t-il,  que  nos  aïeux  ne  se 
comportaient  pas,  au  théâtre,  en  gens  bien  élevés. 

L'abbé  rappelle  ensuite  avoir  vu  jouer  au  Tealro  délie  Dame  un 
drame  comique  :  U  Marchese  di  Caslelverde,  avec  musique  du 
Romain  Augustin  Accoramboni,  coupé  à  intervalles  par  des  ballets. 
La  musique  en  fut  goûtée.  La  noblesse  y  accourut  en  foule,  sans 
doute,  aussi  parce  que  le  compositeur  était  un  patricien.  Les  chan- 
teurs et  chanteuses  furent  :  du  côté  des  hommes,  Neri,  Calveri,  Bac- 
chi,  Pelliccioni  ;  et,  pour  les  femmes,  Bruni,  Cavanna  et  Mariani. 
L'autre  opéra  était  de  Bianchi,  intitulé  :  Vhmocenza  perseguitata. 

L'abbé  assista,  à  VArgentina,  à  la  représentation  de  Ariano  m 
Siria,  de  Sarti,  et  là  aussi  il  y  eut  des  ballets.  Au  Capranica^  il  en- 
tendit jouer  le  Spinto  folletto  deGazzaniga  et  VAmbizione  deluza  de 
Sarti,  avec  splendides  Iransformazioni  ou  changements  de  décor, 
qui  l'amusèrent  beaucoup.  Le  théâtre  Valle  était  ouvert,  et,  bien  que 
l'abbé  y  fréquentât  peu,  parce  qu'(m  y  jouait  seulement  la  comédie, 
il  rappelle  VUaliano  à  Londras  de  Cimarosa  qu'on  donnait,  pendant 
l'entr'acle,  et  où  faisait  fureur  l'eunuque  Crescentini,  un  des 
derniers  et  des  plus  grands  musiciens  qui  eût  une  splendide  voix  de 
soprano. 

Au  carnaval  de  1781,  l'abbé  alla  au  théâtre,  dès  le  premier  soir  du 
mardi,  2  janvier.  Il  fut  à  Torre  Argenlina  où  l'on  jouait  le  premier 
drame  sérieux  :  Scipione  in  Cartagine,  avec  musique  du  mc'ître  de 
chapelle  Caruso,  napolitain,  et  des  ballets  aux  enlr'acles. 


LES    THÉÂTRES    DE    ROME  '     509 

Le  soir  du  3  janvier  1782,  au  Tealro  dtlle  Dame  fut  joué  le 
premier  drame  gai  le  Militaire  amoureux,  avec  musique  de  Citric- 
chio,  maître  de  chapelle  napolitain.  Il  ne  plut  pas  beaucoup.  Voici 
comment  les  rôles  en  furent  distribués.  Pour  le  rôle  des  femmes  à 
Augustin  Raselli  premier  bouffon,  Xavier  Calibani  deuxième  bouffon, 
premier  rôle  François  Marchesi  ;  autres  bouffons,  Louis  Adreani  et 
Antoine  Bartolini.  Pour  les  rôles  d'hommes  :  premier  rôle  Dominique 
Madrigali,  premier  bouffon  Pacifique  Cellucci.  Les  ballets  étaient  de 
Ricciardi  qui  remplissait  le  rôle  de  premier  danseur  sérieux,  etSaba- 
tini  tenait  celui  de  danseur  grotesque.  Les  ballets  furent  :  Il  Trionfo 
d' Alessa7idro  et  Violante  e  Teodoro.  La  danseuse  sérieuse   fut  Théo- 


Le  Carnaval  de  Rome.  —  Pupazzi  e  Pulcinelle  tThomas). 


phile  Corazzi,  et  la  grotesque  Janvier  Torchi,  —  qui  étaient  deux 
hommes,  tous  deux. 

La  soirée  suivante,  au  théâtre  Capranica,  on  représenta  une  nou- 
velle comédie,  //  vassallo  infedele,  avec  un  entr'acte  en  musique, 
intitulé  :  La  Contadina  accorta. 

Au  théâtre  Valle,  où  il  alla  les  jours  suivants,  on  recitait  des  comé- 
dies improvisées  (non  écrites)  avec  farsa  en  musique,  à  cinq  voix, 
//  Pittore  parigino  de  Cimarosa.  «  Je  fus  heureux,  ajoute  l'abbé, 
dans  ses  Mémoires,  d'être  allé  à  Tordinona,  plusieurs  soirs  où  l'on 
jouait  la  tragicomédie  la  Crudelta  di  Nerone,  avec  farsa  en  musi- 
que, et  le  Vecchio  ringiifvanito  de  Marcello  de  Capoue.  Mais  la  nuit 
du   29  au  30  janvier,   après  le  spectacle  qui  était  la  comédie  la 


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LA    PRÉLATURE    OE    LtON    XIII 


Eu  1779,  les  31émoires  de  rabl)é  deviemieiit  plus  riches  pour  ce 
qui  concerne  le  théâtre.  Il  loue,  avant  tout,  un  édit  de  M'^'"  Spinclli 
Gouverneur  de  Rome,  pour  maintenir  le  hon  ordre  daus  les 
théâtres.  Spiuelli,  que  notre  abbé  et  Monti  célèbrent  en  le  comparant  à 
Scipion  et  aux  plus  illustres  héros  romains,  publia  uu  édit  sur  les 
théâtres,  d'après  celui  du  cardinal  Alexandre  Falcouieri,  en  date  du 
7  janvier  17:21,  alors  que  ce  personnage  était  aussi  Gouverneur  de 
Rome.  Dans  cet  édit,  après  avoir  parlé  du  but  moral  des  représen- 
tations sur  la  scène,  il  menace  du  bâton,  de  la  corde  et  des  fçalères 
quiconque,  par  paroles  ou  gestes  inconvenanis,  ou  de  toute  autre 
manière,  aura  été  cause  de  trouble  pendant  la  représentation.  Après 
cela,  W"  Spiuelli  recommande  une  tenijc  décente  dans  les  théâ- 
tres, défend  les  tavolelle  (escabeau xi  et  les  chaises,  surtout  dans 
l'allée  du  milieu,  sous  peine  de  cent  écus  d'amende  aux  imprésarios 
et  d'une  triple  llagellatiou  à  la  corde,  pour  les  employés  et  u)as(|ues 
(serviteurs)  du  théâtre.  Ces  recommandai  ions  de  Falcouieri  et  de 
Spiuelli  permettent  de  déduii'e,  semble-t-il,  que  nos  aïeu\  ne  se 
comportaient  pas,  au  théâtre,  en  gens  bien  élevés. 

L'abbé  rappelle  ensuite  avoir  vu  jouer  au  Teatro  délie  Dame  un 
drame  comique  :  Il  Marcfie.se  di  Castelvenle,  avec  musicpie  du 
Romain  Augustin  Accorambcmi,  coupé  à  intervalles  par  des  ballets. 
La  musique  en  fui  goûtée.  La  noblesse  y  accourut  en  foule,  sans 
doute,  aussi  parce  que  le  compositeur  était  un  patricien.  Les  chan- 
teurs et  chanteuses  furent  :  du  côté  des  hommes,  Neri,  Calveri,  Bac- 
chi,  Pelliccioni  ;  et,  pour  les  femmes,  Bruni,  Cavanna  et  Mariani. 
L'antre  opéra  était  de  Bianchi,  intitulé  :  Vhnwcenza  perseçjuilata. 

L'abbé  assista,  à  VAnjenliïiay  à  la  représentation  de  Ariano  in 
Siria,  de  Sarti,  et  là  aussi  il  y  eut  des  ballets.  Au  Capranica^  il  en- 
tendit jouer  le  Spinto  folletlo  deGazzaniga  et  VAmbizione  deluza  de 
Sarti,  avec  splendides  transforniazioni  ou  changements  de  décor, 
qui  l'amusèrent  beaucoup.  Le  théâtre  Valle  était  ouvert,  et,  bien  que 
l'abbé  y  fréquentât  peu,  parce  qu'cm  y  jouait  seulement  la  comédie, 
il  rappelle  Vllaliano  à  Lonilra^  de  Cimarosa  qu'on  donnait,  pendant 
l'entr'acte,  et  où  faisait  fureur  l'eunuque  (j-escenliui,  un  des 
derniers  et  des  plus  grands  musiciens  qui  eût  une  splendide  voix  de 
soprano. 

Au  carnaval  de  1781,  l'abbé  alla  au  théâtre,  dès  le  premier  soir  du 
mardi,  2  janvier.  Il  fut  à  Torre  Anjentina  où  l'on  jouait  le  premier 
drame  sérieux  :  Scipione  in  Cartagine,  avec  musique  du  maître  de 
chapelle  Caruso,  napolitain,  et  des  ballets  aux  entractes. 


tiCO'^  » 


LES    ÏIIÉATRIiS    DE    ROME 


.-iOl) 


Le  soir  du  3  janvier  1782,  au  Tealw  délie  Dame  fut  joué  le 
premier  drame  gai  le  Militaire  amoureux,  avec  musique  de  Citric- 
chio,  maître  de  chapelle  napolitain.  Il  ne  plut  pas  beaucoup.  Voici 
comment  les  rôles  en  furent  distribués.  Pour  le  rôle  des  femmes  à 
Augustin  Raselli  premier  bouffon,  Xavier  Calibani  deuxième  boufl'on, 
premier  rôle  Francjois  Marchesi  ;  autres  bouffons,  Louis  Adreani  et 
Antoine  Bartolini.  Pour  les  rôles  d'hommes  :  premier  rôle  Dominique 
Madrigali,  premier  bouffon  Pacifique  Cellucci.  Les  ballets  étaient  de 
Ricciardi  qui  remplissait  le  rôle  de  premier  danseur  sérieux,  et  Saba- 
tini  tenait  celui  de  danseur  grotesque.  Les  ballets  furent  :  //  Trionfo 
dWlessandro  et  Violante  e  Teodoro.  La  danseuse  sérieuse   fut  ïliéo- 


Le  Carnaval  do  Rome.  —  Pupaizi  e  Pulcinelle  (ïhonias). 


pliile  Corazzi,  et  la  grotesque  Janvier  Torchi,  —  qui  étaient  deux 
hommes,  tous  deux. 

La  soirée  suivante,  au  théâtre  Capranica,  on  représenta  nne  nou- 
velle comédie,  //  vassallo  infedele,  avec  un  entr'acte  en  musique, 
intitulé  :  La  Contadina  accorta. 

Au  théâtre  Valle,  où  il  alla  les  jours  suivants,  on  récitait  des  comé- 
dies improvisées  (non  écrites)  avec  farsa  en  musique,  à  cinq  voix, 
Il  Pittore  parigino  de  Cimarosa.  «  Je  fus  heureux,  ajoute  l'abbé, 
dans  ses  ^Mémoires,  d'être  allé  à  Tordinona,  plusieurs  soirs  où  l'on 
jouait  la  tragicomédie  la  Crudella  di  Nerone,  avec  farsa  en  musi- 
que, et  le  Vecchio  ringiovanito  de  Marcello  de  Capoue.  xMais  la  nuit 
du   29   au   30  janvier,   après  le  spectacle  qui  était   la  comédie  la 


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510 


LA   PRÉLATURE    DE    LÉON    XIII 


Scoperta  délie  Indie,  ossia  il  Colombo,  à  8  heures  de  nuit,  on  s'a- 
perçut que  le  feu  avait  pris  dans  la  partie  supérieure  du  théâtre. 
Immédiatement,  on  mit  tout  en  jeu  pour  combattre  l'incendie. 
M^'  Spinelli,  gouverneur  de  Rome,  vint  en  personne  avec  le  personnel 
de  son  tribunal  pour  donner  des  ordres  opportuns.  Les  soldats  ponti- 
ficaux montaient  la  garde,  pour  éviter  tout  encombrement.  On  abattit 
un  pan  de  mur  pour  empêcher  les  flammes  de  gagner  les  maisons 
voisines.  Le  beau  théâtre  fut  toutefois  complètement  brûlé  ;  mais  per- 
sonne n'y  périt,  grâce  à  Dieu  !  On  a  estimé  le  dommage  causé  à 
40,000  écus.  »  Nous  savons  que  le  théâtre  Tordinona,  comme  tous 
les  autres  de  Rome,  étaif  en  bois.  On  ignore  si  cet  incendie  fut  un 
acte  criminel  et  l'on  n'en  fit  procès  à  personne.  Cet  édifice,  à  cette 
époque,  appartenait  à  la  Chambre  des  Domaines,  comme  nous 
l'avons  vu  aussi. 

Finissons  de  glaner  dans  les  Mémoires  de  l'abbé,  pour  cette  année 
ilS^I.  Le  lundi,  10  février,  on  représenla  au  Teatro  délie  Dame  le 
second  drame  gai,  Il  Fanatico,  avec  musique  de  Caruso  ;  et,  le 
dimanche,  au  théâtre  Argentina,  le  second  drame  sérieux,  Alessan- 
dro  nelle  Indie,  avec  musique  de  Dominique  Cimarosa.  Ce  dernier 
impressionna  si  fortement  les  abbés  romains,  qu'ils  ne  tarissaient  pas 
en  louanges  pour  Fauteur  et  qu'Us  ne  finissaient  plus  d'écrire  des 
sonnets  pour  le  Cigna  parienopeo,  le  Cygne  de  Naples  où  le  maestro 
était  maître  de  chapelle. 

A  ces  deux  théâtres,  il  y  avait  des  intermèdes  de  danses.  Qui  dan- 
sait? L'abbé  ne  le  dit  pas.  Il  se  contente  de  nommer  ceux  qui  dan- 
saient au  Tealro  délie  Dame.  Les  époux  Angiolini,  toscans,  étaient 
alors  célèbres.  Ils  avaient  donné  des  représentations  en  Allemagne,  en 
Italie  et  en  Russie.  La  Bugiani  et  la  Paganini  se  firent  aussi  un  nom, 
à  l'étranger.  Mais,  à  Rome,  les  femmes  ne  dansaient  pas  et,  de  fait, 
l'abbé  n'en  parle  jamais.  Il  rappelle  Veslris  qui  se  fit  remarquer  à 
Paris,  dans  les  genres  sérieux  et  gentils;  Vigano,  dans  le  grotesque; 
Janvier  Mayer  napolitain,  et  son  compatriote  Gaétan  Giara  qui 
inventa  les  ballets.  Il  rappelle  aussi  le  grotesque  Josué  qui,  à 
ÏArgentina,  faisait  de  tels  sauts  que,  en  vrai  bouffon,  il  arrivait  à  la 
hauteur  du  troisième  rang  des  loges.  On  ne  doit  donc  pas  s'élonner  si 
les  femmes  ne  dansaient  pas,  parce  que  les  Romains  étaient  sur  ce 
point  plus  austères  même  que  les  prélats.  Personne  n'ignore,  en 
effet,  que,  vers  les  premières  années  du  xix«  siècle,  on  fit  quelques 
représentations  de  ballets  avec  des  marionnettes.  Mais  les  marionnettes 
avaient  des  robes  courtes  qui  s'envolaient,  pendant  les  piquettes, 


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LES    THÉÂTRES    DK    ROMK 


511 


de  telle  sorte  que  le  public  se  scandalisa  et  se  mit  à  crier  :  «  Baissez 
les  jupes!  »  Et  les  robes  furent  allongées. 

Si  nous  continuons  à  glaner,  nous  trouvons,  pour  les  années  1782- 
83,  une  quantité  d'artisles  pour  le  chant  :  le  musicien  Marchesi,  le 
ténor  Babbi ni  et  Biaise  Parca,  qui  chantèrent  au  Teatro  délie  Daine  ; 
la  basse-chantante  Botticelli,  le  bouffon  Benucci.  L'abbé  Benedelti 


Une  canofiena.  (Dessin  de  Thomas.) 

rappelle  le  maître  Gazzaniga  qui  mit  en  scène  Tullio  Ostilio,  le 
3  février  1794,  à  VArgentina,  pendant  qu'à  VAlibert  on  jouait 
VOlimpiade  de  Sarti,  Il  y  avait  des  bals  dans  les  deux  théâtres; 
Viganô  dirigeait  ceux  du  premier  et  Ricciardi  ceux  du  second.  On 
remarquera,  en  outre,  qu'au  Capranica  il  y  avait  alors  foule  pour 
la  tragédie  de  V Incoronazione  di  Alfonso,  re  diNavarra.  Les  décors 
et  les  costumes  tout  neufs  furent  créés  par  Vincent  Mazzoneschi, 


510 


LA    PRÉLATUKE    DE    LÉON    Mil 


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Scopertn  délie  Indie,  ossia  il  Colombo,  à  8  liem*es  de  luiii,  on  s'a- 
l>er(:iit  que  le  feu  a\ait  piis  dans  la  partie  supérieure  du  théâtre. 
Immédiatement,  on  mit  tout  en  jeu  pour  combattre  rincendie. 
31-'  Spineili,  gouverneur  de  Home,  vint  en  personne  avec  le  peisonnel 
de  son  tribunal  pour  donner  des  ordres  opportuns.  Les  soldats  ponti- 
ficaux montaient  la  garde,  pour  éviter  tout  encombrement.  On  abattit 
un  pan  de  mur  pour  empêcher  les  tlammes  de  gagner  les  maisons 
voisines.  Le  beau  théâtre  l'ut  toulot'ois  complètement  brùlé  ;  mais  per- 
sonne n'y  périt,  grâce  à  Dieu  !  On  a  estimé  le  dommage  causé  à 
40,000  écus.  »  Nous  savons  que  le  théâtre  Tordinonu,  comme  tous 
les  autres  de  Home,  étai?  en  bois.  On  ignore  si  cet  incendie  fut  un 
acte  criminel  et  Ton  n'en  tit  {)rocès  à  personne,  ('.et  édifice,  à  cette 
époque,  appartenait  à  la  Chambre  des  Domaines,  comme  nous 
l'avons  vu  aussi. 

Finissons  de  glaner  dans  les  Mémoires  de  l'abbé,  pour  cette  aimée 
178:2.  Le  lundi,  10  lévrier,  on  représenla  au  Tealro  délie  Dame  le 
second  drame  gai,  //  Fanatico,  avec  musique  de  Caruso  ;  et,  le 
dimanche,  au  théâtre  Anjentina,  le  second  drame  sérieux,  Alessan- 
dro  nelle  Indie,  avec  musique  de  Dominique  Cimarosa.  Ce  dernier 
impressionna  si  fortement  les  abbés  romains,  qu'ils  ne  tarissaient  pas 
en  louanges  pour  Tauteur  et  qu'ils  ne  finissaient  plus  d'écrire  des 
sonnets  pour  le  Cigno  parlenopeo,  le  Cygne  de  Naples  où  le  maestro 
était  maître  de  chapelle. 

A  ces  deux  théâtres,  il  y  avait  des  intermèdes  de  danses.  Qui  dan- 
sait? L'abbé  ne  le  dit  pas.  Il  se  contente  de  nommer  ceux  qui  dan- 
saient au  Tealro  délie  Dame.  Les  époux  Angiolini,  toscans,  étaient 
alors  célèbres.  Ils  avaient  donné  des  représentations  en  Allemagne,  en 
Italie  et  en  Uussie.  La  Bugiani  et  la  Paganini  se  firent  aussi  un  nom, 
à  l'étranger.  Mais,  à  Kome,  les  femmes  ne  dansaient  pas  et,  de  fait, 
l'abbé  n'en  parle  jamais.  Il  rappelle  Veslris  qui  se  fit  remarquer  à 
Paris,  dans  les  gein-es  sérieux  et  gentils;  Viganù,  dans  le  firotesque] 
Janvier  Mayer  napolitain,  et  son  compatriote  Gaétan  Giara  qui 
inventa  les  ballets.  Il  rappelle  aussi  le  grotesque  Josué  qui,  à 
ÏArge7îtina,  faisait  de  tels  sauts  que,  en  vrai  bouffon,  il  arrivait  à  la 
hauteur  du  troisième  rang  des  loges.  On  ne  doit  donc  pass'élonnersi 
les  femmes  ne  dansaient  pas,  parce  que  les  Uomains  étaient  sur  ce 
point  plus  austères  même  que  les  prélats.  Persoiuie  n'ignore,  en 
effet,  que,  vers  les  premières  années  du  xix^  siècle,  on  fil  quehiues 
représentations  de  ballets  avec  des  maiionnettes.  Mais  les  marionnettes 
avaient  des  robes  courtes  qui  s'envolaient,  pendant  les  pirouettes, 


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LKS    THÉÂTRES    Dli:    ROME  511 

de  telle  sorte  que  le  public  se  scandalisa  et  se  mit  à  crier  :  «  Baissez 
les  jupes!  »  Et  les  robes  furent  allongées. 

Si  nous  continuons  à  glaner,  nous  trouvons,  pour  les  années  178^- 
83,  une  quantité  d'artisics  pour  le  chant  :  le  musicien  Marchesi,  le 
ténor  Babbini  et  Biaise  Parca,  qui  chantèrent  au  Teatro  délie  Dame; 
la  basse-chantante  Botticelli,  le  bouffon  Benucci.  L'abbé  lîencdelti 


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Une  canofieua.   (Dessin  de  Thomas.] 


rappelle  le  maître  Gazzaniga  qui  mit  en  scène  Tullio  Ostilio,  le 
3  février  1704,  à  VArgentiua,  pendant  qu'à  VAlibert  on  jouait 
VOlimpiade  de  Sarti.  Il  y  avait  des  bals  dans  les  deux  théâtres; 
Viganù  dirigeait  ceux  du  premier  et  Ricciardi  ceux  du  second.  On 
remarquera,  en  outre,  qu'au  Capranica  il  y  avait  alors  foule  pour 
la  tragédie  de  Vlncoronazione  di  Alfonso,  re  diiXavarra.  Les  décors 
et  les  costumes  tout  neufs  furent  créés  par  Vincent  Mazzoneschi, 


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512 


LA    PRÉLATURE    DE    LÉON    XIII 


architecte  romain.   Pendant  les  entr*actes,  on  chantait  à  cinq  voix 
un  morceau  de  Gazzaniga,  intitulé  la  Dama  Contadina. 

Dans  la  nuit  du  vendredi  au  samedi,  19  novembre,  même  année, 
Benedetti  note  que,  vers  8  heures  de  nuit,  s'etfondra  la  voûte  du 
théâtre  nouveau  de  Tordinona,  causant  une  grande  frayeur  aux  habi- 
tants du  voisinage.  Elle  enfonça  le  toit  d'une  maison  voisine,  sans 
heureusement  y  faire  de  victimes,  mais  en  y  réduisant  tout  le  mobi- 
lier en  miettes.  Gomme  ce  théâtre  menaçait  encore  ruine,  M?''Busca, 
gouverneur  de  Rome,  accouru  sur  les  lieux,  fit  évacuer  les  maisons 
voisines  et,  confiant  la  garde  de  ces  maisons  aux  soldats,  il  donna 


Uue  scampagnata.  (Dessin  de  Thomas.) 

l'ordre  à  l'architecte  Barberi  de  démolir  les  murs.  Ainsi  ce  théâtre 
avait-il  été  détruit  deux  fois,  en  quelques  années. 

Le  carnaval  de  1786  fut  fécond  en  représentations  théâtrales,  tout 
au  moins  d'après  les  notes  de  Tabbé.  Avant  tout,  il  loue  un  édit  de 
M?"*  Busca  qui,  voulant  surpasser  ses  prédécesseurs,  non  seule- 
ment menaça  de  peines  très  sévères  laissées  à  l'arbitre  de  S.  E  ,  mais 
établit  eflfectivement  \a  corde  et  \e  chevalet  sur  la  place  Navoiie,  près 
des  théâtres  Pace  et  Pallacrorda,  tous  deux  fréquentés  principale- 
ment par  le  peuple.  Sur  l'ordre  simple  du  barisel  lou  préfet  de 
police),  ou  administrait  le  fouet  sur  les  fesses  des  délinquants,  sans 
autre  forme  de  procès. 

UÀlibert  ouvrit  ses  portes,  le  7  janvier,  avec  le  mélodrame  de  la 
Virginiay  musique  de  Joachim  Albertini,  maître  de  chapelle,  au 
service  du  prince  Stanislas  Poniatowscki,  neveu  de  S.  M.  le  roi  de 
Pologne.  Il  y  eut  des  ballets  pour  les  intermèdes,  œuvre  de  Domi- 


LES   THÉÂTRES    DE    ROME  *  543 

niqiie  Hicciardi.  Le  prince  fit  cadeau  à  Albertini  de  2,000  sequins  et 
ui  doubla  la  pension.  Les  acteurs  furent  Rubinello  soprano,  Scorelli 
ténor,  Cibelli  et  Batuzzi  musiciens,  Benigni  et  Cibellis  basses  Le 
soprano  seul  plut  au  prince,  qui  lui  fit  cadeau  d'un  camée  entouré  de 
brillants.  Il  fit  aussi  d'autres  cadeaux  au  premier  violon  et  au  pre- 
mier des  seconds.  L'autre  œuvre  fut  VArmida  de  Zingarelli  -1  Le 
Valle  et  le  Capranica  ouvrirent  avec  une  Compagnie  qui  récitait  en 
prose  les  comédies  de  caractère,  avec  intermèdes  en  musique.  Au 
Valle,  on  eut  la  Grotta  del  Mago  Merlino  du  maître  Amiconi   et  au 


Une  Osteria,  sur  la  Place  San  Giovanni  {Dessin  de  Thomas). 


Capranica,  Vlmpegno  ou  Chi  la  ja,  Vaspetti,  avec  musique  de  Joseoh 

Au  théâtre  Pace,  on  applaudit  le  Tiramo  Ctnea,  avec  deux  ballets 
potir  intermèdes.  Au  Pallaccorda,  on  joua  des  comédies  avec   Îr 
mèdes  en  musique,  composées  par  le  maître  de  chapelle  romi  n 

étaÎÎTJr.1'^^^  "T''"^'  *'^''^  '^  ^^  ''""^'^^  dans  cette  saison, 

éi^^iXArgenttna.  Le  dimanche,  8  janvier  de  cette  même  année,  on 

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LA    PRflLATl'KE    DE    LÉON    XIII 


architecte  romain.   Pondant  les  entr'actes,  on  chantait  à  cinq  voix 
un  morceau  de  Oazzaniga,   intitulé  la  Dama  Contadina. 

Dans  la  nuit  du  vendredi  an  samedi,  10  novembre,  même  aimée, 
Benedetti  note  que,  vers  8  heures  de  nuit,  s'etîbndra  la  voùle  du 
théâtre  nouveau  de  Tordinona,  causant  une  ^Mande  frayeur  aux  habi- 
tants du  voisinajïe.  Klle  enfoncja  le  toit  d'une  maison  voisine,  sans 
heureusement  y  faire  de  victimes,  mais  en  y  réduisant  tout  le  mobi- 
lier en  miettes.  Gomme  ce  théâtre  menaçait  eficore  ruine,  M^'Busea, 
gouverneur  de  Home,  accouru  sur  les  lieux,  tit  évacuer  les  maisons 
voisines  et,  confiant  la  garde  de  ces  maisons  aux  soldats,  il  donna 


Lue  scuinpuijmUa .  J)es>iii  de  Thomas. 

l'ordre  à  l'arcliitecte  Harberi  de  démolir  les  murs.  Ainsi  ce  théâtre 
avait-il  été  détruit  deux  fois,  en  ([uelques  années. 

Le  carnaval  de  1780  fut  fécond  en  représentations  théâtrales,  tout 
au  moins  d'après  les  notes  de  l'abljé.  Avant  tout,  il  loue  un  édit  de 
M-''  Busca  qui,  voulant  surpasser  ses  prédécesseurs,  non  seule- 
ment menaça  de  peines  très  sévères  laissées  à  l'arbitre  de  S.  K  ,  mais 
étal)lit  effectivement  \^  corde  ai  \c  chevalet  sur  la  place  Navoiie,  près 
des  théâtres  Pace  et  Pallaccorda,  tous  deux  fré^pieulés  principale- 
ment par  le  peuple.  Sur  l'ordre  simple  du  barisel  lou  prétVt  de 
police),  ou  administrait  le  fouet  sur  les  fesses  des  délinquants,  sans 
autre  forme  de  procès. 

\j  AUbert  ouvrit  ses  portes,  le  7  janvier,  avec  le  mélodrame  de  la 
Vinjinia,  musique  de  Joachim  Albertini,  maître  de  chapelle,  au 
service  du  prince  Stanislas  Poniatowscki,  neveu  de  S.  M.  le  roi  de 
Pologne.   Il  y  eut  des  ballets  pour  les  intermèdes,  œuvre  de   Domi- 


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LES   THEATRES    DE    ROME  '  3,3 

nique  Kicciardi.  Le  prince  fil  cadeau  à  Albertini  de  2,000  sequins  et 
u.  doubla  la  pension.  Les  acienrs  furent  Rubinello  soprano,  Scorelli 
ténor,  Cibell.  et  Baluzzi  .nusiciens,  Beni^'ni  et  Cibellis  basses  Le 
soprano  seul  plut  au  prince,  qui  lui  lit  cadeau  d'un  camée  entouré  de 
brillants.  Il  fit  aussi  d'autres  cadeau.x  au  premier  violon  et  au  pre- 
nner  des  seconds.  L'autre  œuvre  fut  VArmida  de  Zingarelli.  -  Le 
Valle  et  le  Capranka  ouvrirent  avec  une  Compagnie  qui  récitait  en 
p.ose  les  comédies  de  caractère,  avec  intermèdes  en  musique.  Au 
VaUe^n  eut  la  Grotta  del  Mago  Merlino  du  maître  Amiconi   et  au 


Ine  OsUria,  sur  la  Pl,.ce  San  Giovanni  (/>m,«  de  Thomas). 


Capranica,  r/,„,,^<,„«  ou  CM  la  ,a,  l'aspHU,  avec  musique  de  Josenh 

Au  tl.e.,t,e  Pace,  on  applaudit  le  Tiramio  Cinea.  avec  deux  ballet, 
P0.nMn,ermèdes.  Au  Pailaccorda,  on  ioua  des  comédiL  a  ^c      e  . 
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jouait  ArminiOf  mélodrame  de  Jacques  Tritto,  maître  de  chapelle 
napofitain.  On  exécuta  deux  ballets  très  beaux  du  célèbre  Honoré 
Viganô,  l'iiu  de  ces  drames  était  mythologique,  ayant  pour  titre 
Cefalo  e  Procri,  où  se  distinguèrent  les  deux  frères  Ignace  et  Hilaire 
de  Gatli,  peintres  du  Théâtre  Royal  de  Turin,  qui  décorèrent  si  artis- 
tiquement le  grand  atrium  de  l'Aurore  et  le  grand  palais  de  Jupiter, 
(sans  parler  des  décors  placés  dans  les  bois  et  les  grottes),  que  le 
public  s'enthousiasma  et  accueillit  les  artistes  en  battant  des  mains 
et  en  criant»  Evvival  »  Dix  jours  après,  on  représenta  le  second 
drame  Quinto  Fabio,  mis  en  musique  par  Ferdinand  Bertoni,  en 
même  temps  que  deux  autres  ballets  composés  également  par  Viganô. 

En  1787,  Tabbé  rappelle  avec  plaisir  d'avoir  entendu  au  Valle 
ïAristodemo  de  Monti,  avec  l'acteur  PetronioZamarini.  Nicolas  Carli 
y  remplit  le  rôle  de  Cesira.  Cet  excellent  acteur  émut  non  seulement 
l'abbé,  mais  encore  Goethe  qui  était  présent  et  la  célèbre  femme  peintre 
Angélique  Kauft'mann.  Celle-ci  fut  si  touchée  du  sort  de  Césira,  qu'elle 
ne  put  y  assister  de  nouveau.  Plus  tard,  les  mêmes  acteurs  jouèrent 
Galeotto  Manfrediy  dont  on  avait  donné  lecture  au  palais  de  l'Ambas- 
sadeur de  Venise.  Celte  œuvre  de  Monti  eut  un  moindre  succès  que 
la  précédente.  —  L'abbé  Manlio,  le  futur  démagogue,  secrétaire  de 
Ms^  Soderini,  fit,  lui  aussi,  représenter  une  Zaira  au  théâtre  Capra- 
nica;  mais  celte  pièce  ne  plut  pas. 

Passé  cette  époque,  les  notes  se  font  plus  rares.  L'abbé,  au  con- 
traire, prend  plaisir  à  constater  les  progrès  de  la  musique.  Il  avait 
une  prédilection  [)0ur  Cimarosa  dont  il  vit  jouer  plusieurs  fois  le 
Matrimonio  Segreto\  mais  il  s'extasiait  et  restait  tout  ému  devant 
les  œuvres  de  Zingarelli  qui,  comme  il  le  dit,  lui  pénétraient  le 
cœur.  Il  cite  de  ce  maître,  comme  modèles  de  composition,  le  Mon- 
tezuma,  YAhiray  Vlfigenia,  le  Pirro,  et  ÏArtaserse,  la  Secchia  ra- 
pita;  mais  il  en  loue  plus  encore  et  trouve  émouvant  et  vraiment  chré- 
tien le  Slabal  Mater  qu'il  entendit  chez  le  cardinal  de  Bernis  qui 
le  fit  exécuter,  à  l'occasion  du  voyage  à  Rome  de  l'abbé  de  Bourbon 
et  du  duc  de  Glocester. 

En  1790,  on  joua  à  Civitavecchia,  à  l'occasion  de  la  fête  de 
sainte  Firmina,  le  Giulio  Sabino  de  Sarti.  Crescenlini  y  chanta,  y 
fit  fureur  et  grand  nombre  de  personnes,  particulièrement  les  pa- 
triciennes, quittèrent  Rome  pour  aller  rentendre.  Quinze  ans  après, 
Napoléon  devait  le  faire  son  cantatite  di  caméra  et  lui  fixa  un  sa- 
laire de  36,000  francs  par  an. 

Au  carnaval  1792-93,  on  défendit  toute  espèce  de  spectacle  et  on 


LES    THÉÂTRES   DE   ROME  515 

fit  fermer  les  théâtres,  à  la  suite  de  la  mort  violente  de  la  famille 
royale  de  France.    []n  édit  rigoureux  de  M^^  Jean  Rinuccini   Gou- 
verneur  de  Rome,  en  date  du  29  décembre  1792,  défendit  non  seu 
lement  les  fêtes  publiques,  mais  encore  les  fêtes  privées 

Les  théâtres  ne  furent  rouverts  que  pour  le  carnaval  de  1796  A 
Tordinona  reconstruit  et  surnommé  alors  le  Théâtre  Nouveau' on 
représenta  l'opéra-bouffe  /  viaggiatori  amanti,  avec  des  ballets  nour 
intermèdes.  Toutefois  on  défendit,  comme  les  deux  précédentes 
aimées,  au  soir  du  dernier  jour  de  carnaval,  l'usage  des  moccoletti 
(bouts  de  chandelle)  qui  figuraient,  comme  nous  verrons  Tenterre 
ment  du  carnaval.  Depuis  plusieurs  années,  le  Gouvernement  du 
Pape  prenait  ainsi  ses  précautions  contre  la  Révolution  qui  gron- 

En  1797,  le  bon  abbé  va  voir  jouer,  le  8  février,  un  nouveau 
mélodrame  de  Cimarosa.  C'était  au  théâtre  Torre  Argentina,  et  la 
pièce  avait  pour  titre  Achille  alVassedio  di  Troja.  Il  va  encore  un 
Tl  7J'J^''  ^"''^  rrordinona)  voir  le  nouveau  bal  héroïque  de 
Michel  Fabiani,  dont  le  titre  était  :  La  Generoûta  d^Alessandro 
loutes  ces  productions  héroïques  faisaient  allusion  à  la  défense  de 
l  Etat  sur  la  frontière  de  la  Romagne;  défense  qui  se  termina  quel- 
ques jours  après,  par  le  traité  de  Tolentino  (19  février  1797)' publié 
à  Rome  pendant  le  carême. 

L'abbé  se  maria  ensuite  et  fréquenta  moins  les  théâtres.  La  Révo- 
lution enfin  le  déconcerta,  et  il  finit  par  ne  plus  aller  au  théâtre  ou 
il  lui  répugnait  de  voir  les  femmes.  Le  bon  abbé  n'avait  pas  tous  les 
torts.  Les  premières  représentations  données  à  Rome,  avec  le  con- 
cours des  femmes,  ou  ne  plurent  pas  pour  l'insuffisance  des  chan- 
teuses,  ou  déplurent  complètement  pour  la  licence  de  la  comédie  ou 
I  indécence  des  costumes. 

Les  femmes  n'étaient  cependant  pas  entièrement  exclues  de  la 
scène.  Nous  en  voyons  quelquefois  apparaître  quelqu'une  à  l'orches- 
tre, pour  y  jouer  de  la  harpe  ou  du  clavecin,  ou  pour  y  chanter 
quelque  duo  ou  trio.  Toutefois,  jamais,  avant  1798,  elles  ne  paru- 
rent  en  public.  Quand  elles  s'y  présentèrent,  elles  ne  surmontèrent 
pas  d  abord  la  répugnance  que  l'on  éprouvait  à  voir  les  femmes  aux 
théâtres.  Nous  voulons  parler  des  théâtres  ouverts  au  public  car 
dans  les  palais  Odescalchi  et  Colonna,  les  dames  du  monde  le^  plu^ 
aristocratiques  jouaient  souvent  sur  les  petits  théâtres  de  famille  Le 
parti  des  hommes  {les  musiciens)  restait  le  plus  fort.  Lorsque  l'esprit 
libéral  du  cardinal  Consaivi  eut  accordé  aux  femmes  la  facullé  de 


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516 


LA    PRÉLATURE    DE    LÉON    XIII 


chanter  sur  les  théâtres  publics,  après  la  Restauration  pontificale  de 
1800,  l'assistance  se  montra  peu  disposée  à  les  entendre.  Elle  soupi- 
rait toujours,  et  pas  toujours  courtoisement,  après  ses  musiciens  favoris 
qu*elle  appelait  Farineîli,  CaflFariello,  Calena  et  Velluti.  Ce  dernier 
fut  le  plus  puissant  soprano  qu'on  entendît  sur  les  théâtres  de  la 
Ville  éternelle. 

Ce  fut  pour  Rome  un  véritable  événement  quand,  en  1803,  comme 
dit  l'abbé,  avec  la  permission  des  Supérieurs  et  en  présence  de 
M^^*"  le  Gouverneur,  on  entendit,  pour  la  première  fois,  la  Rertinatti 
chanter  au  théâtre  la  Selvaggia  de  Nicolini.  Mais  pour  faire  agréer 
une  femme  par  le  public,  il  fallut  enrôler  aussi  Velluti,  qui  chanta 
avec  elle  et  aussi  avec  la  Morand  i,  pendant  cette  même  saison. 

Le  fameux  aventurier  Casanova,  qui  fut  à  Rome  trois  fois,  entre 
1744  et  1771,  parle  ainsi  d'un  musicien  qui  chantait  au  Teatro  délie 
Dame  :  «  Nous  allâmes  au  théâtre  Alibert,  où  le  castrato  chargé  du 
rôle  de  la  prima  donna  faisait  courir  toute  la  ville.  C'était  le  favori 
complaisant,  le  mignon  du  cardinal  Rorghèse,  il  soupe,  chaque  soir, 
en  tête  à  tête  avec  Son  Éminence.  »  Le  cardinal  Rorghèse  de  ce 
temps-là  était  François,  évoque  d'Albano,  créé  majordome  et  cardi- 
nal à  32  ans  par  le  pape  Benoît  XÎIL  Ce  cardinal  aimait  tant  le  faste 
et  le  luxe  que,  lors  du  voyage  de  ce  même  pape  à  Bénévent,  TÉmi- 
nence  fit  construire  à  Albano  un  palais  pour  le  recevoir.  Il  aimait  les 
arts  et  la  musique,  ei  nous  n'étonnerons  personne  en  disant  qu'il 
avait  un  chanteur  ou  virtuose  de  chambre  qui  fut  probablement  le 
même  qu'eut  sous  sa  protection  le  prince  D.  Marc-Antoine  Borghèse, 
vice-roi  de  Naples.  Ce  musicien  s'appelait  Jean  Orti,  et  on  le  con- 
naissait TOUS  le  petit  nom  de  Giovannino  di  Borghèse. 

L'abbé  rappelle  d'une  manière  spéciale  le  carnaval  de  1807,  à 
cause  des  représentations  qui  avaient  lieu  au  théâtre  de  Torre  Argen- 
tina.  L'imprésario  ou,  pour  parler  plus  exactement,  le  Mécène  de 
ce  théâtre  fut  le  duc  Sforza  Cesarini  qui  en  était  le  propriétaire.  Il 
voulut  divertir  le  public  avec  de  grandes  nouveautés  que  lui  dicta  sa 
vanité  et  que  paya  sa  bourse.  Sur  le  rideau  de  la  scène  étaient  peintes 
en  couleurs  vives  et  en  grandes  dimensions  les  armes  des  Sforza  Cesari  ni , 
avec  la  toison  d'or,  parce  qu'ils  étaient  Grands  d'Espagne  de  première 
classe.  Et  le  duc,  par  sa  prodigalité,  fut  vraiment  grand. 

Le  premier  soir  de  ce  carnaval,  le  3  février,  on  joua  Trajano  in 
Dacia^  nouveauté  en  musique  de  Niccolini  où  rivalisaient  alors  Mayer 
et  Paisiello,  les  idoles  du  public.  Le  drame,  — une  sottise  à  faire  rire 
les  dindons, — était  un  pitoyable  pastiche  deMetaslasio,  dont  l'auteur 


LES   THÉÂTRES     DE    ROME 


517 


fut  Michel-Ange  Prunelti,  qui  transforma  les  Daces  tiers  en  autant  de 
pantins,  et  le  magnanime  Empereur  en  crétin.  Les  principaux  acteurs 
furent  Velluti  et  Tacchinardi.  L'un  et  l'autre  firent  exulter  le  public, 
l'un  par  sa  voix  exquise  de  soprano,  l'autre  par  son  magnifique 
registre  de  ténor.  Quand  Tacchinardi  arriva  sur  la  scène,  coififé  du 
casque  romain  et  ayant  endossé  le  costume  du  héros,  gauche  et  bossu 
comme  il  était,  une  salve  de  sifflets  l'accueillit.  L'intrépide  artiste  ne 
se  déconcerta  pas,  il  attendit  que  le  bruit  eût  cessé.  Dès  que  le  silence 
se  fut  rétabli,   l'artiste,  sur  le  bord  de  la  scène  et  tourné  vers  le 


Un  cocomeraro  sur  une  Place  de  Rome  {Thomas). 

public,  lui  dit  :  «  Messieurs,  je  ne  suis  pas  venu  devant  vous  pour  me 
faire  voir,  mais  pour  me  faire  entendre  !  »  Lorsqu'il  l'eut  écouté,  le 
peuple  l'applaudit  avec  enthousiasme.  Mais  le  clou  de  la  soirée 
fut  le  bal  héroïque  intitulé  Calerina  Caluga,  ou  le  Traîneau.  On 
voyait  au  théâtre,  pour  la  première  fois  peut-être,  une  cascade  d'eau 
vraie  pour  l'alimentation  de  laquelle  on  remplissait,  chaque  soir, 
trente  barils.  On  voyait  ensuite  Catherine  se  sauvant  sur  son  traîneau 
qui  glissait  sur  la  glace.  Les  places  au  théâtre  n'étaient  pas  numé- 
rotées, et  la  fureur  du  peuple  pour  le  bal  â  grand  spectacle  était  telle 


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LA    PRÉLATURE    DE    LÉON    XIII 


chanter  sur  les  théâtres  publics,  après  la  Restauration  pontiticale  de 
1800,  l'assistance  se  montra  peu  disposée  à  les  entendre.  Elle  soupi- 
rait toujours,  et  pas  toujours  courtoisement,  après  ses  musiciens  favoris 
qu'elle  appelait  Farinelli,  Caffariello,  Catena  et  Velluti.  Ce  dernier 
fut  le  plus  puissant  soprano  qu'on  entendît  sur  les  théâtres  de  la 
Ville  éternelle. 

Ce  fut  pour  Home  un  véritable  événement  quand,  en  1803,  comme 
dit  l'abbé,  avec  la  permission  des  Supérieurs  et  en  présence  de 
M'""  le  (iouverneur,  on  entendit,  pour  la  première  fois,  la  Bertinalti 
chanter  au  théâtre  la  Selvaijgia  de  Nicolini.  Mais  pour  faire  agréer 
une  femme  par  le  public,  il  fallut  enrôler  aussi  Velluti,  qui  chanta 
avec  elle  et  aussi  avec  la  Morandi,  pendant  cette  même  saison. 

Le  fameux  aventurier  (Casanova,  qui  fut  à  Home  trois  fois,  entre 
1744  et  1771,  parle  ainsi  d'un  musicien  qui  chantait  au  Tealro  délie 
Dame  :  «  Nous  allâmes  au  théâtre  Alibert,  où  le  castrato  chargé  du 
rôle  de  la  prima  donna  faisait  courir  toute  la  ville.  Celait  le  fa\ori 
complaisant,  le  mignon  du  caidinal  Horghèse,  il  soupe,  chaque  soir, 
en  têleà  tète  avec  Son  Éminence.  »  Le  cardinal  Horghèse  de  ce 
temps-là  était  François,  évoque  d'Albano,  créé  majordome  et  cardi- 
nal à  32  ans  par  le  pape  Henoît  XIII.  Ce  cardinal  aimait  tant  le  faste 
et  le  luxe  que,  lors  du  voyage  de  ce  même  pape  à  Hénévent,  TKmi- 
nence  lit  construire  à  Albano  un  palais  pour  le  recevoir.  Il  aimait  les 
arts  et  la  musique,  ei  nous  n'étonnerons  personne  en  disant  qu'il 
avait  un  chanteur  ou  virtuose  de  chambre  qui  fut  probablement  le 
même  qu'eut  sous  sa  protection  le  prince  D.  Marc-Antoine  !5orghèse, 
vice-roi  de  Naples.  Ce  musicien  s'appelait  Jean  Orli,  et  on  le  con- 
naissait TOUS  le  petit  nom  de  Ciovannino  di  Horghèse. 

L'abbé  rappelle  d'une  manière  spéciale  le  carnaval  de  1807,  à 
cause  des  représentations  qui  avaient  lieu  au  théâtre  de  Terre  Argen- 
tina.  L'imprésario  ou,  pour  parler  plus  exactement,  le  Mécène  de 
ce  théâtre  fut  le  duc  Sforza  Cesarini  qui  en  était  le  |)ropriétaire.  Il 
voulut  divertir  le  public  avec  de  grandes  nouveautés  que  lui  dicta  sa 
vanité  et  que  paya  sa  bourse.  Sur  le  rideau  de  la  scène  étaient  peintes 
encouleursvivesetengrandes  dimensions  les  armesdes  Sforza  Cesarini, 
avec  la  toison  d'or,  parce  qu'ils  étaient  Grands  d'Espagne  de  première 
classe.  Et  le  duc,  par  sa  prodigalité,  fut  vraiment  grand. 

Le  premier  soir  de  ce  carnaval,  le  3  février,  on  joua  Trajano  in 
Dacitty  nouveauté  en  musique  de  Niccolinioù  rivalisaient  alors  Mayer 
et  Paisiello,  les  idoles  du  public.  Le  drame,  — une  sottise  â  faire  rire 
les  dindons, — était  un  pitoyable  pastiche  deMetaslasio,  dont  l'auteur 


LES   THÉÂTRES     DE    ROME 


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fut  Michel-Ange  Prunetti,  qui  transforma  les  Daces  fiers  en  autant  de 
pantins,  et  le  magnanime  Empereur  en  crétin.  Les  principaux  acteurs 
furent  Velluti  et  Tacchinardi.  L'un  et  l'autre  firent  exulter  le  public, 
l'un  par  sa  voix  exquise  de  soprano,  l'autre  par  son  magnifique 
registre  de  ténor.  Quand  Tacchinardi  arriva  sur  la  scène,  coiftë  du 
casque  romain  et  ayant  endossé  le  costume  du  héros,  gauche  et  bossu 
comme  il  était,  une  salve  de  sifflets  l'accueillit.  L'intrépide  artiste  ne 
se  déconcerta  pas,  il  attendit  que  le  bruit  eût  cessé.  Dès  que  le  silence 
se  fut  rétabli,   l'artiste,   sur  le  bord  de  la  scène  et  tourné  vers  le 


Un  cocomeraro  sur  une  Place  de  Rome  {Tliomas). 

public,  lui  dit  :  «  Messieurs,  je  ne  suis  pas  venu  devant  vous  pour  me 
faire  voir,  mais  pour  me  faire  entendre  !  »  Lorsqu'il  l'eut  écouté,  le 
peuple  l'applaudit  avec  enthousiasme.  Mais  le  clou  de  la  soirée 
fut  le  bal  héroïque  intitulé  Caterina  Caluga,  ou  le  Traîneau.  On 
voyait  au  théâtre,  pour  la  première  fois  peut-être,  une  cascade  d'eau 
vraie  pour  l'alimentation  de  laquelle  on  remplissait,  chaque  soir, 
trente  barils.  On  voyait  ensuite  Catherine  se  sauvant  sur  son  traîneau 
qui  glissait  sur  la  glace.  Les  places  au  théâtre  n'étaient  pas  mimé- 
rotées,  et  la  fureur  du  peuple  pour  le  bal  â  grand  spectacle  était  telle 


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LA   PRÉLATURE    DE    LÉON    XIII 


que,  pour  entendre  le  soprano  et  le  ténor,  ces  places  étaient  prises  d'as- 
saut depuis  midi.  C'était  à  qui  se  trouverait  à  la  première  note  de  l'or- 
chestre, dès  le  lever  du  rideau  qui  se  faisait  à  VAve  Maria  et  uïôme 
avant. 

L'opéra  de  Niccoliiii  plut,  même  en  dehors  de  Rome.  Au  carnaval 
suivant,  il  fut  représenté  avec  grand  succès,  à  Livoume,  au  théâtre 
des  Avvalorati.  Les  actrices  furent  Anna  Mazzoli,  Marianna  Vinei  qui 
y  jouait  le  rôle  de  Decebalo,  le  même  rôle  qu'avait  joué  V^elluti;  elhs 
acteurs,  Philippe  Galli,  qui  devint  une  basse  fameuse,  et  IMiilippe 
Spada.  Le  bal  qui  servit  d'intermède  à  Livourne  fut  la  Cléopàtre  de 
Clerico,  où  se  distingua  Antoiiia  Palleriui,  ballerine  sérieuse  (mimei, 
de  telle  sorte  que,  plus  tard,  devenue  une  étoile,  on  frappa  pour  elle 
une  médaille.  Les  premiers  ballerini  fuori  concerto  (danseurs  hors 
concours),  c'e^t-à-dire  les  vrais  danseurs,  furent  Caselli  et  la  Bar- 
dona. 

3Iais  l'astre  de  Velluti,  après  de  nombreux  triomphes,  commençait 
à  décliner;  et  lorsqu'il  reparut  sur  la  scène,  à  Rome,  il  dut  entendre 
répéter,  derrière  lui,  un  vulgaire  épigramme  ainsi  conçu  :  «  Avec  cin- 
quante ans  sur  le  dos,  tu  veux  chanler comme  une  femme;  remercie 
la  Madone  et  celui  qui  est  là  »  —  par  allusion  au  prélal -gouverneur 
qui  le  protégeait. 

Con  cinquant'anni  addosso, 
Vuoi  tu  cantar  da  donna  ! 
Ringrazia  la  Madonna 
E  quelle  che  sta  là. 

A  l'Introduction  de  ce  livre  nous  avons  dit  (1)  comment,  pendant 
le  voyage  du  pape  dans  ses  Légations,  le  peuple  de  Pérouse  trouva 
son  compte  aux  réjouissances  théâtrales  et  autres  que  lui  fit  servir 
M»''  Pecci;  et  comment  Grégoire  XVI,  enchanté  de  la  réception  de 
son  préfet,  en  exprima  sa  satisfaction  en  ces  termes  :  «  Au  cours  <le 
ce  voyage,  nous  avons  été  reçu  en  frère  par  les  uns;  convenablement 
et  tout  au  plus  en  cardinal,  par  les  autres;  mais  véritablement  en 
souverain  par  les  villes  d'Ancône  et  de  Pérouse.  »  La  promotion  de 
l'habile  préfet  aux  honneurs  de  la  nonciature  et  l'élévation  du  jeune 
prélat  à  la  dignité  d'archevêque  furent  la  récompense  de  son  zèle.  Le 
titre  de  Damiette  fut  celui  du  nouvel  archevêque  désigné  à  la  noncia- 
ture de  Bruxelles^  et  l'on  sait  avec  quel  esprit  Charles  Pecci  fitremar- 

(1)  Voir  les  Pu^feclures  de  Joachim  Pecci,  page  38  et  suiv. 


LES    THÉÂTRES    DE    ROME 


519 


quer  à  son  frère  que  les  trois  sièges  ecclésiastiques  successivement 
occupés  par  M^""  Pecci  avaient  été  des  sièges  hisloriques  et  que, 
comme  les  Romains  aux  Fourches  Caudines  près  de  Bénévent,  les 
Croisés  à  Damiette  et  les  Français  à  Waterloo,  lui,  du  moins,  ne  se 
ferait  pas  battre  à  Bruxelles  par  les  ennemis  conjurés  du  Saint-Siège. 
L'on  sait  aussi,  par  la  Co;T6^8/;onrfa«c^  du  prélat  que  nous  avons  publiée 
avant  ces  pages,  si  Mazzini  et  les  autres  conspirateurs  de  l'Italie  uni- 
fiée s'en  firent  défaut;  jusqu'à  cette  énigmatique  princesse  Belgiojoso 
qui,  après  avoir  dépensé  aux  services  secrets  de  cette  cause  de  révolte 
et  d'intrigues  le  capital  de  son  énorme  fortune  et  les  fascinations  de 
sa  beauté  fatale,  devait  mourir  en  Romaine  à  sa  manière  en  recevant, 
un  jour,  son  parent  Visconti-Venosta,  frère  du  ministre,  et  en  lui 
demandant  sur  la  porte  même  de  son  salon  : 

—  Et  les  alïaires  d'Italie,  comment  sont-elles? 

—  On  ne  peut  mieux! 

Le  long  soupir  d'aise,  qui  exprima  la  joie  de  cette  femme,  fut  aussi 
le  dernier  de  sa  vie. 


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LA    COUR  DU   PAPE 


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Ueilbuth.  —  Deux  Emineiices,  aa  Pincio. 

IV 

LA  COUR  DU  PAPE 


Uii  cocher  cardinalice 
es  plus  parfaites  de  toutes 


Notre  sympathique  ambassadeur 
n'avait  que  trente-trois  ans,  quand  le 
Saint-Siège  l'envoya  en  Belgique.  En 
allant,  comme  d'autres  collègues 
plus  heureux,  dans  quelque  Cour 
plus  importante,  il  eût  pu  se  dire  : 
tf  Je  vais  à  la  poupre  »,  et  n'eût  res- 
semblé qu'à  un  cardinal.  Mais  en 
partant  pour  la  modeste  Bruxelles, 
où  plus  la  Cour  était  petite,  de 
plus  près  il  en  verrait  évoluer  les 
sujets,  il  aima  mieux  se  répéter  : 
«  Je  vais  à  l'école!  »  se  souvenant 
que  les  meilleures  de  ces  écoles 
politiques  où  se  formèrent  les  diplo- 
mates les  plus  grands  de  l'His- 
toire, furent  les  plus  petites  et 
les  républiques  italiennes. 


Comme  le  lecteur  de  ces  pages  l'a  vu  précédemment  dans  TEp/s^o- 
laire^  au  chapitre  de  la  «Délégation  de  Pérouse»,  ce  fut  au  Consistoire 
du  27  janvier  1843  que  M^^'"  Pecci,  préconisé  archevêque  de  Damiette, 
fut  nommé  nonce  à  Bruxelles  par  Grégoire  XVI.  Le  19  mars  de  la 
même  année,  il  s'embarquait  à  Civita-Vecchia  pour  Marseille,  sur  le 
vapeur  Sesostris.  De  Marseille,  il  gagna  la  Belgique  par  Paris,  Beims 
€t  Mézières;  et,  le  7  avril  1843,  il  arriva  à  Namur,  où  il  descendit 
chez  le  chanoine  De  Montpellier,  qu'il  avait  connu  à  Bome.  Le 
15  avril,  Léopold  I'""  recevait  le  nouveau  nonce  en  audiense  solen- 
nelle. Le 21  juillet,  M^^*"  Pecci  paraissait  pour  la  première  fois  en  public, 
au  Te  Deum  chanté  à  Sainte-Gudule  pour  l'aniversaire  de  l'élection 
du  roi.  Le  27  juillet,  le  nonce  allait  à  Louvain,  visiter  l'Université. 
Là,  avec  M«f""  Forbin-Janson,  Tévêque  de  Nancy  bien  connu,  dont 
Lacordaire  prononça  une  oraison  funèbre  restée  célèbre,  le  nouveau 
nonce  assista  à  la  défense  d'une  thèse  pour  la  licence  de  droit.  Les 
étudiants  félicitèrent  M'f'"  Pecci  que  harangua,  en  leur  nom, 
M.  Capelle,  depuis  président  du  tribunal  de  Namur  et  père  de  M.  Léon 
Capelle,  directeur  général  au  ministère  des  affaires  étrangères.  En 
septembre  1843,  le  nonce  prit  part,  en  l'église  Saint-Nicolas,  de 
Bruxelles,  à  la  célébration  du  7*"  centenaire  des  fêtes  jubilaires  de 
Notre-Dame  de  la  Paix. 

Pendant  l'année  1844,  M»""  Pecci  visitâtes  Flandres.  Dans  des  lettres 
adressées  àCarpinetoetauxcomtesCharleset  Jean-Baptiste  ses  frères, — 
lettres  qu'on  a  lues  dans  ce  même  volume  au  chapitre  de  la  «  Noncia- 
ture de  Bruxelles  »,  —  le  prélat  parle  en  observateur  de  Bruges,  qui 
lui  «  apluinfinement  »,  et  de  la  plage  d'Ostende  où,  «  pour  la  pre- 
mièi'e  fois,  j'ai  vu,  dit-il,  les  vagues  de  l'Océan  ».  L'hiver  rude  de 
la  Belgique  avait  fini  par  éprouver  la  santé  du  nonce  qui  en  1845,  vint 
faire  un  séjour  de  deux  mois  à  Ostende.  Il  prit  cinquante  bains  «  qu'il 
subit  courageusement  »,  écrit-il  à  ses  frères.  Il  logeait,  à  Ostende,  rue 
de  la  Chapelle,  dans  la  maison  qui  porte  aujourd'hui,  le  numéro  2. 
Tous  les  jours,  il  se  rendait  à  l'église  des  Capucins  et  faisait  de 
longues  promenades  aux  environs.  Il  eut  des  relations  fréquentes 
avec  le  curé  Slosse  et  le  bourgmestre  Serruys.  Quand  il  quitta  Ostende, 
lui  qui,  en  y  arrivant,  avait  l'air  d'un  cadavre  ambulant,  il  était 
complètement  ragaillardi.  A  Bruges,  le  6  mai  1844,  il  y  avait  présidé 
la  procession  du  Saint-Sang,  et  donné  la  bénédiction  d'usage,  du 
haut  de  l'autel  de  la  Place  du  Bourg.  Il  fut  même  indisposé  au  retour 
de  la  procession,  dut  quitter  le  cortège  et  reçut  des  soins  chez  M.  Van 
Huerne,  alors  bourgmestre  de  Bruges. 


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LA    COUR  DU    PAPK 


521 


Heilbuth.  —  Deux  Emineiices,  au  Piiicio. 

IV 

LA  COUR  DU  PAl'E 


Un  cocher  cardinalice 
es  plus  parfaites  de  toutes 


Notre  sympalbique  ambassadeur 
n'avait  que  trente-trois  ans,  ((uand  le 
Saint-Siège  l'envoya  en  Belgique.  En 
allant,  comme  d'autres  collègues 
|tlns  heureux,  dans  quelque  Cour 
plus  importante,  il  eût  pu  se  dire  : 
«t  Je  vais  à  la  poupre  »,  et  n'eût  res- 
semblé qu'à  un  cardinal.  Mais  en 
parlant  pour  la  modeste  Bruxelles, 
où  plus  la  Cour  était  petite,  de 
plus  près  il  en  verrait  évoluer  les 
sujets,  il  aima  mieux  se  répéter  : 
<(  Je  vais  à  l'école!  »  se  souvenani 
que  les  meilleures  de  ces  écoles 
politiques  où  se  tonnèrent  les  diplo- 
mates les  plus  grands  de  l'His- 
toire, furent  les  plus  petites  et 
les  républiques  italiennes. 


Comme  le  lecteur  de  ces  pages  l'a  vu  précédemment  dans  TEp/s^o- 
laire,  au  chapitre  de  la  «  Délégation  de  Pérouse»,  ce  fut  au  (Consistoire 
du  ^7  janvier  1843  que  M^'  Pecci,  préconisé  archevêque  de  Damiette, 
fut  nommé  nonce  à  Bruxelles  par  Grégoire  XVI.  Le  19  mars  de  la 
même  année,  il  s'embarquait  à  Civita-Vecchia  pour  Marseille,  sur  le 
vapeur  Sesostris.  De  Marseille,  il  gagna  la  Belgique  par  Paris,  Beims 
et  Mézières;  et,  le  7  avril  1848,  il  arriva  à  Namur,  où  il  descendit 
chez  le  chanoine  De  Montpellier,  qu'il  avait  connu  à  Bome.  Le 
15  avril,  Léopold  I®"^  recevait  le  nouveau  nonce  eu  audience  solen- 
nelle. Le2l  juillet.  M-""  Pecci  paraissait  pour  la  première  fois  en  public, 
au  Te  Deum  chanté  à  Sainte-Gudule  pour  l'aniversaire  de  l'élection 
du  roi.  Le  ^7  juillet,  le  nonce  allait  à  Louvain,  visiter  l'Université. 
Là,  avec  M*'''"  Forbin-Janson,  Tévêque  de  Nancy  bien  connu,  dont 
Lacordaire  prononça  une  oraison  funèbre  restée  célèbre,  le  nouveau 
nonce  assista  à  la  défense  d'une  thèse  pour  la  licence  de  droit.  Les 
étudiants  félicitèrent  M»""  Pecci  que  harangua,  en  leur  nom, 
31.  Capelle,  depuis  président  du  tribunal  de  Namur  et  père  de  M.  Léon 
<Capelle,  directeur  général  au  ministère  des  affaires  étrangères.  En 
septembre  1843,  le  nonce  prit  part,  en  l'église  Saint-Nicolas,  de 
Bruxelles,  à  la  célébration  du  7"  centenaire  des  fêtes  jubilaires  de 
Notre-Dame  de  la  Paix. 

Pendant  l'année  1844,  M»'^  Pecci  visitâtes  Flandres.  Dans  des  lettres 
adressées  àCarpinetoetauxcomtesCharles  et  Jean-Baptiste  ses  frères, — 
lettres  qu'on  a  lues  dans  ce  même  volume  au  chapitre  de  la  «  Noncia- 
ture de  Bruxelles  »,  —  le  prélat  parle  en  observateur  de  Bruges,  qui 
lui  «  apluinfinement  »,  et  de  la  plage  d'Ostende  où,  «  pour  la  pre- 
mière fois,  j'ai  vu,  dit-il,  les  vagues  de  l'Océan  ».  L'hiver  rude  de 
la  Belgique  avait  lini  par  éprouver  la  santé  du  nonce  qui  en  184o,  vint 
faire  un  séjour  de  deux  mois  à  Ostende.  H  prit  cinquante  bains  «qu'il 
subit  courageusement  »,  écrit-il  à  ses  frères.  Il  logeait,  à  Ostende,  rue 
de  la  Chapelle,  dans  la  maison  qui  porte  aujourd'hui,  le  numéro  4. 
Tous  les  jours,  il  se  rendait  à  l'église  des  Capucins  et  faisait  de 
longues  promenades  aux  environs.  Il  eut  des  relations  fréquentes 
avec  le  curé  Slosse  el  le  bourgmestre  Serruys.  Quand  il  quitta  Ostende, 
lui  (jui,  en  y  arrivant,  avait  l'air  d'un  cadavre  ambulant,  il  était 
complètement  ragaillardi.  A  Bruges,  le  G  mai  1844,  il  y  avait  présidé 
la  procession  du  Saint-Sang,  et  donné  la  bénédiction  d'usage,  du 
haut  de  l'autel  de  la  Place  du  Bourg.  Il  fut  même  indisposé  au  retour 
de  la  procession,  dut  quitter  le  cortège  et  recrut  des  soins  chez  M.  Van 
Huerne,  alors  bourgmestre  de  Bruges. 


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522 


LA   PRÉLATURK   DE    LÉON    XIII 


Dans  le  monde  politique  et  administratif  de  la  Belgique,  il  n'est 
plus  beaucoup  de  personnes  qui  se  rappellent,  aujourd'hui,  le  st^jour 
de  Léon  XIH  et  sa  nonciature  près  de  cette  Cour.  Ceux  qui  furent 
alois,  de  1843  à  1846,  des  intimes  reçus  par  le  représentant  du  Saint- 
Siège,  dans  son  hôtel  de  la  rue  des  Sablons  qu'occupe  aujourd'hui 
M.  De  Mot,   bourgmestre  de  Bruxelles,  sont  tous  morts.  C'étaient, 


*  Façade  de  la  NoQciature  de  Bruxelles  eii  1843. 

entre  autres,  M.  d'Anetham,  ancien  chef  de  cabinet  du  ministère 
catholique  de  1870,  M.  A.  Deschamps  frère  du  défunt  cardinal, 
M.  Van  Praet,  le  comte  Giovanni  Arrivabene,  alors  exilé  à  Bruxelles 
et  depuis  sénateur  italien,  le  comte  Van  der  Straten-Ponthoz  ancien 
grand  maréchal,  Ducpétiaux,  M.  Mercier  et  tant  d'autres.  Le  baron 
Lambermont  est  un  des  rares  personnages  officiels  encore  vivants  qui 


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Hôtel  de  Ville  de  Louvain  (Belgique), 


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LA    PRÉLATURE    I)K     l.fiON    XIII 


Dans  le  monde  poliliciue  et  administratif  de  la  Rtd^'ique,  il  n'est 
plus  beaucoup  de  personnes  qui  se  rapjHdIent,  aujourd'hui,  le  séjour 
de  Léon  XIII  et  sa  nonciature  près  de  cette  Cmr.  Oux  qui  furent 
alors,  de  1843  à  1846,  des  intimes  reçus  par  le  représentant  du  Saint- 
Siè;,'e,  dans  son  lintel  de  la  rue  des  Sablons  qu'occupe  aujourd'hui 
31.   De  Mol,    bourfrmestre  de  Bruxelles,   sont  tous  morts.  Celaient. 


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entre  autres,  M.  dWnetham,  ancien  cbet  de  cabinet  du  ministère 
catholique  de  1870,  M.  A.  Deschainps  frère  du  défunt  cardinal, 
M.  VanPraet,  le  comte  Giovanni  xVrrivabene,  alors  exilé  à  Bruxelles 
et  depuis  sénateur  italien,  le  comte  Van  der  Straten-Ponthoz  ancien 
grand  maréchal,  Ducpétiaux,  M.  Mercier  et  tant  d'autres.  Le  baron 
Lambermont  est  un  des  rares  personnages  officiels  encore  vivants  qui 


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Hôtel  de  Ville  de  Louvaiii  (Bel^nque), 


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524 


LA    PRÉLATURE    DE    LÉON   XIII 


aient  eu  des  rapports,  à  celte  époque,  avec  M^""  Pecci.  Celui-ci  était 
en  1843  un  fort  bel  homme,  grand,  maigre,  de  haute  distinction,  avec 
la  démarche  un  peu  dansante  que  beaucoup  de  prêtres  ont  sous  la 
soutane.  Il  accueillait  ses  visiteurs  avec  une  aisance  seigneuriale. 
Très  aimable,  il  savait  garder  les  distances.  A  son  arrivée  à  Bruxelles, 
il  ne  parlait  que  l'ilalien;  et  ce  fut  pendant  cette  nonciature  qu'il 
apprit  le  français.  C'était,  à  tous  égards,  un  honnne  dont  on  sentait 
d'instinct  la  supériorité.  Sa  parole  était  prudente,  réfléchie,  avec  de 
longs  silences  qui  donnaient  plus  d'autorité  à  ses  discours;  la  puis- 
sance de  son  esprit  se  concentrait,  non  dans  un  art  oratoire  brillant, 
mais  dans  la  méditation  et  la  sagacité. 

A  Bruxelles,  M*»""  Pecci  fut  très  choyé.  Léopold  l"'  Taimait  beaucoup 
et  se  faisait  volontiers  accompagner  par  lui,  pendant  ses  voyages  dans 
l'intérieur  du  pays.  Tout  le  temps  de  son  séjour  en  Belgique,  il  fut  de 
coquetterie  de  rechercher  la  présence  du  nonce  dans  les  cérémonies 
publiques.  Personnellement,  M>^'  Pecci  menait  la  vie  la  plus  simple  et 
se  traitait  avec  un  ordinaire  d'ascète.  Il  avait  rhaoilude  de  réciter  son 
bréviaire  en  se  promenant  dans  la  grande  allée  des  tilleuls  du  jardin 
des  d'Arenberg,  le  long  delaRue-aux-Laines.  Le  père  du  duc  d'Aren- 
berg  actuel  avait  même  fait  percer  une  porte  dans  le  mur  bordant  le 
jardin,  pour  permettre  à  M*^' Pecci  d'y  entrer  quand  il  le  voudrait  sans 
passer  par  le  Palais.  Plus  tard,  devenu  pape  et  recevant  des  Bruxel- 
lois, Léon  XIII  leur  raconta,  un  jour,  cette  particularité  et  fut  tout 
heureux  d'apprendre  qu'à  cette  époque,  le  jardin  d'Arenberg  et  l'allée 
des  tilleuls,  tant  de  fois  parcourus  par  lui,  existaient  encore.  Le  soir 
le  nonce  faisait  souvent  une  partie  de  whist  à  laquelle,  parfois,  pre- 
naient part  deux  vieilles  et  vénérables  demoiselles  qui  habitaient  alors 
la  rue  du  Marais,  et  qui  étaient  les  tantes  d'un  député  libéral  actuel 
de  Bruxelles,  des  plus  connus. 

M?*"  Pecci  allait  à  la  légation  d'Angleterre,  que  dirigeait  sir 
Hamilton  Seymour,  et  beaucoup  plus  souvent  chez  un  écrivain 
anglais  de  grand  mérite,  sir  Charles  Lever,  dont  la  demeure  était 
voisine  de  la  légation  britannique.  Là,  on  vit  les  rencontres  les  plus 
piquantes;  entre  autres  l'intimité  curieuse  qui  s'établit  entre  le  nonce 
du  pape  et  le  célèbre  docteur  Wately,  alors  archevêque  de  Dublin, 
ami  du  minisire  d'Angleterre  et  son  visiteur  habituel  à  Bruxelles. 
Dans  ses  visites  eu  ville,  Mgr  Pecci  était  accompagné  de  son  secré- 
taire, l'abbé  Pilaja,  aussi  petit  que  le  nonce  était  grand,  aussi  vif  et 
enjoué  que  son  chef  se  montrait  réfléchi  et  méditatif.  Son  auditeur, 
l'abbé  Clémenti,  l'accompagnait  parfois. 


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LA  COUR    DU    PAPE 


525 


La  mission  diplomatique  remplie  par  le  nonce  Pecci,  en  Belgique, 
a  donné  lieu  à  beaucoup  de  commentaires.  Elle  peut  se  résumer 
ainsi  :  au  point  de  vue  politique,  il  n'obtint  aucun  résultat.  Comme 
homme,  il  fut  très  goûté  et  ses  qualités  d'esprit  firent  impression  sur 
un  excellent  uge  en  ces  matières,  Léopold  1",  qui  disait  de  lui  : 
«  J'oublie  par  ois  que  Pecci  est  un  Italien  ;  son  français  est  si  coulant 
»  que,  si  je  n'étais  protestant  et  Allemand,  je  pourrais  très  bien  être 
»  converti  par  les  charmes  de  sa  diction.  »  Un  jour,  Léopold  dit,  dans 
Laeken,  à  Pecci  lui-même  :  «  Je  regrette  parfois  de  ne  pouvoir  être 
•  converti   par   vous  ;  mais  votre  théologie  est  si  séduisante  que  je 


La  Salle  du  Trône  chez  les  cardinaux,  avec  le  tronc  papal  retourné. 

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»  demanderai  au  pape  de  vous  donner  le  chapeau  de  cardinal.  — 
»  Ah  !  répondit  le  nonce,  faire  impression  sur  le  cœur  de  Votre 
»  Majesté  me  serait  cent  fois  plus  agréable.  »  —  «  Mais  je  n'ai  pas 
»  de  cœur  !  s'écria  le  roi  en  riant.  —  Disons  mieux,  alors,  Sire  : 
»  sur  l'esprit  de  Votre  Majesté.  » 

Quand,  en  1846,  le  nonce  Pecci  quitta  la  Belgique  pour  revenir  en 
Italie,  les  regrets  de  Léopold  I"  l'accompagnèrent.  Le  roi  ,  —  l'inci- 
dent est  connu,  —  écrivit  une  lettre  autographe  au  pape  Grégoire  XVI 


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LA    PRÉLATURK    DE    LÉON    XIII 


aient  eu  des  rapports,  à  celte  époque,  avec  M*^'""  Pecci.  Celui-ci  était 
eu  1843  uu  fort  bel  lioniuie,  i^raud,  uiaigre,  de  haute  distinction,  avec 
la  démarche  uu  peu  dansante  que  beaucoup  de  prêtres  ont  sous  la 
soutane.  Il  accueillait  ses  visiteurs  avec  une  aisance  sei^'ucuriaie. 
Très  aimable,  il  savait  garder  les  dislances.  A  son  arrivée  à  Bruxelles, 
il  ne  parlait  que  l'ilalicn;  et  ce  fut  pendant  celte  nonciature  ijuil 
apprit  le  français.  C'était,  à  tous  égards,  un  homme  dont  on  seiilait 
d'inslinct  la  supériorité.  Sa  parole  était  prudente,  réfléchie,  avec  de 
longs  silences  (jtn*  «lonnaicnt  plus  d'autorilé  à  ses  discours;  la  puis- 
sance de  soues[)rit  se  concentrait,  non  dans  uu  art  oratoire  brillant, 
mais  dans  la  méditilion  et  la  sagacité. 

A  Hruxelles,  M"'  Pecci  fut  très  choyé.  Léopold  l""  l'aimait  beaucoup 
et  se  faisait  voloulicrsaccompagner  par  lui,  pendant  ses  voyages  dans 
l'intérieur  du  pays.  Tout  le  temps  de  son  séjour  en  Belgique,  il  fut  de 
coquetterie  de  rechercher  la  présence  du  nonce  dans  les  cérémonies 
publiques.  Personnellement,  M-'  Pecci  menait  la  vie  la  plus  simple  et 
se  traitait  avec  un  ordinaire  d'ascète.  Il  avait  l'hariitude  de  réciter  son 
bréviaire  en  se  promenant  dans  la  grande  allée  des  tilleuls  du  jardin 
des  d'Arenberg,  le  long  delaKue-aux-Laines.  Le  père  du  duc  d'Aren- 
berg  actuel  avait  même  fait  percer  une  porte  dans  le  mur  bordant  le 
jardin,  pour  permelti'eà  M-""  Pecci  d'y  entrer  quand  il  le  voudrait  sans 
passer  par  le  Palais.  Plus  tard,  devenu  pape  et  recevant  des  Bruxel- 
lois, Léon  XIH  leur  raconta,  un  jour,  celte  particularité  et  fut  tout 
heureux  d'apprendre  (pi'à  celte  époque,  le  jardin  d'Aienberg  et  l'allée 
des  tilleuls,  tant  de  fois  parcourus  par  lui,  existaient  encore.  Le  soir 
le  nonce  faisait  souvent  une  partie  de  whist  à  la((uelle,  parfois,  pre- 
naient part  deux  vieilles  et  vénérables  demoiselles  qui  habitaient  alors 
la  rue  du  Marais,  et  (jui  étaient  les  tantes  d'un  député  libéral  actuel 
de  Bruxelles,  des  plus  connus. 

M^''  Pecci  allait  à  la  légation  d'Angleterre,  que  dirigeait  sir 
Hamillon  Seymour,  et  beaucoup  plus  souvent  chez  un  écrivain 
anglais  de  grand  mérite,  sir  Charles  Lever,  dont  la  demeure  était 
voisine  de  la  légation  britannique.  Là,  on  vit  les  rencontres  les  plus 
piquantes;  entre  autres  rinlimité  curieuse  ((ui  s'établit  entre  le  nonce 
du  pape  et  le  célèbre  docteur  AVately,  alors  archevêque  de  Dublin, 
ami  du  minisire  d'Angleterre  et  son  visiteur  habituel  à  Bruxelles. 
Dans  ses  visites  en  ville,  3Igr  Pecci  était  accompagné  de  son  secré- 
taire, l'abbé  Pilaja,  aussi  petit  que  le  nonce  était  grand,  aussi  vif  et 
enjoué  que  son  chef  se  montrait  réfléchi  et  méditatif.  Son  auditeur, 
l'abbé  démenti,  l'accompagnait  parfois. 


LA   COUR    DU    PAPE  52.^ 

La  mission  diplomatique  remplie  par  le  nonce  Pecci,  en  Belgique, 
a  donné  lieu  à  beaucoup  de  commentaires.  Elle  peut  se  résumer 
ainsi  :  au  point  de  vue  politique,  il  n'obtint  aucun  résultat.  Comme 
homme,  il  fut  très  goûté  et  ses  qualités  d'esprit  firent  impression  sur 
un  excellent  nge  en  ces  matières,  Léopold  I",  qui  disait  de  lui  : 
«  J'oublie  par  ois  que  Pecci  est  un  Italien  ;  son  français  est  si  coulant 
»  que,  si  je  n'étais  protestant  et  Allemand,  je  pourrais  très  bien  être 
»  converti  par  les  charmes  de  sa  diction.  »  Un  jour,  Léopold  dit,  dans 
Laeken,  à  Pecci  lui-même  :  «  Je  regrette  parfois  de  ne  pouvoir  être 
«converti   par   vous  ;  mais   votre   théologie  est  si  séduisante  que  je 


La  Salle  du  Trône  chez  les  cardinaux,  avec  le  tronc  papal  retourné. 

»  demanderai  au  pape  de  vous  donner  le  chapeau  de  cardinal.  — 
»  Ah  !  répondit  le  nonce,  faire  impression  sur  le  cœur  de  Votre 
»  Majesté  me  serait  cent  fois  plus  agréable.  »  —  «  iMais  je  n'ai  pas 
»  de  cœur  !  s'écria  le  roi  en  riant.  —  Disons  mieux,  alors,  Sire  : 
»  sur  l'esprit  de  Votre  Majesté.  » 

Quand,  en  1840,  le  nonce  Pecci  quitta  la  Belgique  pour  revenir  en 
Italie,  les  regrets  de  Léopold  I"  l'accompagnèrent.  Le  roi  ,  —  l'inci- 
dent est  conim,  —  écrivit  une  lettre  autographe  au  pape  Grégoire  XVI 


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LA    PRÈLATURE   DE    LÉON    XIII 


LA    COUR    DU   PAPE 


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pour  lui  demander  un  chapeau  de  cardinal  pour  M^"*  Pecci.  «  Je 
dois,  disait  le  Roi,  recommander  l'archevêque  Pecci  à  la  bienveil- 
lante protection  de  Votre  Sainteté.  Il  le  mérite  à  tous  les  poinis  de 
vue,  car  j'ai  rarement  rencontré  un  dévouement  plus  sincère  k  ses 
devoirs,  des  intentions  plus  pures  et  des  actions  plus  droites.  »  Quand 
la  lettre  du  roi  Léopold  arriva  à  Rome,  Pie  1\  avait  remplacé 
Grégoire  XVI  ;  et  Antonelli,  qui  n'aimait  pas  Pecci,  était  Secrétaire 
d'Etal.  Le  chapeau  de  cardinal  allait  se  faire  attendre  dix  ans. 

Qu'était-ce  donc,  dans  cette  cour  de  Rome,  que  ce  chapeau  cardi- 
nalice dont  il  paraît  si  difficile  de  coiffer  même  les  plus  digues?  Nous 
manquerions  au  sujet  que  nous  nous  sommes  proposé  dans  cette 
étude  des  coutumes  de  l'Etat  pontifical,  si,  à  propos  de  l'échec  qui 
va  éprouver  dix  ans  la  vertu  patiente  de  M»'*  Pecci,  nous  ne  risquions 
quelques  indiscrétions  anodines  autour  de  ce  chapeau  rouge  dont  tant 
de  têtes,  même  célèbres,  jnesure  et  fait  commande,  prennent  parfois 
avant  l'envoi  du  billet  pontifical  etau  risque  d'en  payer  les  inutiles  frais. 

S'il  est  dans  le  majestueux  cérémonial  de  la  Cour  des  papes,  une 
fiwzione  dont  on  doive  le  moins  parler  et  dont  pourtant  chacun  s'oc- 
cupe davantage,  c'est  celle  d'un  Consistoire  appelé  secret,  parce  que 
tout  le  monde  en  cause.  Et  pourquoi  ne  ferions-nous  pas  comme  tout 
le  monde  ?  Sitôt  donc  que  ce  mot  de  Consistoire  a  été  prononcé  dans 
Rome,  il  n'est  pas  de  fiocchetto  violet  qui  n'attende  son  teinturier,  pas 
de  calotte  paonazza  (\m  ne  demande  à  s'empourprer,  pas  de  tête  cardi- 
nalisable  enfin  qui  ne  relève  son  petit  dôme  chauve  ou  chevelu  vers 
le  grand  dôme  de  Saint  Pierre,  le  point  de  mire  et  de  comparaison 
de  Rome  entière,  et  ne  commence  à  réciter  le  psaume  de  circonstance 
que  Dieu,  sans  doute,  exaucera: 

—  Levavi  oculox  meos  ad  montes,  unde  veniet. . . 

C«  qui  ne  vient  pas  d'ordinaire  aussi  vile,  c'est  le  biglietto  de  la 
Secrétairerie  d'Etat  et  l'ordre  de  convoquer  le  Consistoire  que  les 
papes  prennent  souvent  le  malin  plaisir  de  retenir  jusqu'à  la  dernière 
heure.  Ils  se  décident  la  veille,  à  recevoir  le  Maître  des  Courriers  qui, 
un  genou  en  terre,  dit,  selon  le  cérémonial  :  «  Santé  et  longue  vie. 
Saint  Père  î  Y  aura-t-il  Consistoire,  demain  ?  —  Il  y  aura  Consis- 
toire !  »,  répond  le  Pape,  s'il  y  est  décidé.  Alors  l'ordre  de  convoquer 
pour  le  lendemain  le  Sacré  Collège  est  doriné  aux  Cursores  Aposlolici, 
qui  vont  frapi>er  chez  tous  les  cardinaux. 

'  A  l'heure  assignée  pour  la   cérémonie,  les  Eminences  de   curie, 
qui  ont  laissé  leurs  équipages  à  la  cour  Saint-Damase  et  revêtu  le 


rochet  et  la  mozetle  dans  la  salle  des  Parements,  attendent  l'arrivée 
du  Pontife  dans  cette  espèce  d'antichambre  de  l'appartement  Borgia 
par  où  Ton  entrera  de  plain  pied  dans  la  salle  Ducale  et  dans  la  salle 
Royale  qui  la  suit  et  où  sont  préparés  les  bancs  du  Consistoire.  Devant 
les  admirables  tapisseries  (|ui  recouvrent  les  murs  de  celte  Salle  des 
Paremenls,  les  cardinaux,  à  l'attente,  continuent  leur  méditation  du 
matin  sur  les  divers  aspects  de  la  gi*andeur  humaine.  Les  moins  âgés 
■contemplent  avec  plaisir  l'histoire  de  la  jeune  Esther  dont  ces 
tapisseries  soi-disant  d'Arras  (ou  Arrazzi)  racontent  sur  ces  murs 
ie  triouïphe;  les  autres,  les  plus  vieux,  observent  avec  regret  une 
reproduction  de  la  Descente  de  Croix  dont  le  Garavage  a  fourni  le 
•dramatique  dessiii. 

Enfin  arrive,  sabre  et  hallebarde  au  clair,  la  maison  militaire  du 
pape.  Suivent  les  secrétaires  pontificaux  et  les  familiers  de  l'anti- 
-chambre  apostolique,  entourant  la  portantine  rouge  et  or  d'où  le 
pape  descend  pour  monter  aussitôt  sur  la  Sedia  Gestatoria.  Celle-ci, 
portée  sur  les  épaules  de  six  sediarii  robustes  et  entourée  aux 
quatre  coins  des  quatre  llabelli  aux  opulentes  plumas  d'autruche, 
«'élève,  comme  une  plume  aussi  blanche  et  aussi  légère,  sur  la 
foule  des  heureux  invités  du  patriciat  romain.  A  voir  ce  fauteuil 
«d'or  émerger  sur  cette  large  et  longue  vague  humaine  qu'il  va  couper 
•comme  une  barque  son  flot,  jusqu'à  la  salle  Royale  restant  vide,  on 
se  sent  pris  de  la  même  sensation  de  grandeur  et  de  néant  qu'éprouve 
ce  pape  et  cet  homme  à  tant  pâlir,  quand  ses  sédiaires  l'élèvent  au- 
dessus  des  plus  hautes  têtes  qui  s'inclinent,  et  des  plus  brillantes 
^pées  qui  lui  frayent  un  passage  jusqu'à  la  salle  du  Consistoire  où 
l'accompagnent  les  acclamations  de  l'Assemblée. 

De  la  salle  Ducale  où  la  foule  est  restée^  à  la  salle  Royale  où 
pénètient  seulement  les  cardinaux  et  les  notaires  du  Consistoire,  — 
les  rois  aussi,  s'ils  sont  présents  à  cette  cérémonie,  —  quel  conlraste  ! 
Ici,  le  silence  des  chefs  délibérants  ;  là,  le  tumulte  des  sujets  exul- 
tants. C'est  que,  pendant  le  Consistoire  secret  qui  va  commencer  ses 
assises,  les  résolutions  déjà  prises  sont  réformables  encore  et  les 
nominations  proposées  peuvent  êire  cassées.  Malheur  slux  porporabili 
trop  bavards  qui  auront,  avant  l'heure,  fait  parler  les  gazettes  ou 
seulement  l'opinion  publique.  Le  cardinal  C. . .  a  su,  entre  autres,  ce 
que  coûtaient  sons  le  pontificat  de  Léon  XIII  des  confidences  Irop 
hâtives  :  le  teinturier  qui  passait  chez  le  prélat,  à  la  veille  de  chaque 
<]onsistoire,  se  découragea  à  la  longue  ;  et  il  fallut,  à  toute  force  et 
contre  tout  espoir,  que  Mgr  C. . . ,  comptant  d'un  jour  à  l'autre  s'ha- 


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328  LA    PRÊLATURE    DE    LÉON    XIII 

biller  en  rouge,  finît  par  renouveler  sa  garde-robe  violette.  De  ces  his- 
toires, Vanticamera  vaticane  est  pleine  ;  et  nous  aurons  plus  tôt  fait 
de  raconter  comment  se  tient   un  Concistorio  si  exactement  appelé 

segretOy  comme  on  voit. 

—  «  Tous  dehors  !  »  a  déjà  crié  le  Maître  du  Consistoire.  Seul 
avec  son  Conseil  suprême,  le  Pape  propose  ses  candidats  à  ses  cardi- 
naux. Candidats  à  la  pourpre,  candidats  à  la  mitre  aussi  ;  car,  dans 
le  Consistoire  public  qui  suivra  le  Consistoire  secret,  l'Église  créera 
les  uns  en  même  temps  qu'elle  préconisera  les  autres.  Le  pape  ayant 


La  calotte  cardinalice. 

parlé,  les  cardinaux  assis  autour  de  lui  se  lèvent,  s'inclinent  et,  en 
signe  d'approbation,  mettent  bas  le  zucchetto.  Cette  calotte  rouge, 
insigne  de  leur  ordre,  remise  sur  la  tête  sans  un  mot  et  sans  un 
autre  geste,  c'est  l'approbation  qu'attendait  le  Pontife  avant  de  don- 
ner aux  céréraoniaires  l'ordre  de  procéder  au  Conclave  public.  Voici 
alors  que  s'ouvrent  la  porte  de  la  salle  Ducale  par  où  pénétreront  les 
nouveaux  assistants,  et  la  porte  de  la  Sixtine  voisine  où  les  cardi- 
naux, déjà  nommés  dans  un  Consistoire  précédent  et  n'étant  encore 
coiffés  que  de  la  calotte  et  de  la  barrette  rouge,  jurent,  entre  les 


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LA   PRÉLATURE    DK   LÉON    XIII 


biller  en  rouge,  finît  par  renouveler  sa  garde-robe  violette.  De  ces  his- 
toires, Vanticamera  vaticane  est  pleine  ;  et  nous  aurons  plus  tôt  fait 
de  raconter  comment  se  tient   un  Concistorio  si  exactement  appelé 

segretOy  comme  on  voit. 

—  «  Tous  dehors  !  »  a  déjà  crié  le  Maître  du  Consistoire.  Seul 
avec  son  Conseil  suprême,  le  Pape  propose  ses  candidats  à  ses  cardi- 
naux. Candidats  à  la  pourpre,  candidats  à  la  mitre  aussi  ;  car,  dans 
le  Consistoire  public  qui  suivra  le  Consistoire  secret,  l'Église  créera 
les  uns  en  même  temps  qu'elle  préconisera  les  autres.  Le  pape  ayant 


La  calotte  cardinalice. 

parlé,  les  cardinaux  assis  autour  de  lui  se  lèvent,  s'inclinent  et,  en 
signe  d'approbation,  mettent  bas  le  zucchetto.  Cette  calotte  rouge, 
insigne  de  leur  ordre,  remise  sur  la  tête  sans  un  mot  et  sans  un 
autre  geste,  c'est  l'approbation  qu'attendait  le  Pontife  avant  de  don- 
ner aux  cérémoniaires  l'ordre  de  procéder  au  Conclave  pw^'ic.  Voici 
alors  que  s'ouvrent  la  porte  de  la  salle  Ducale  par  où  pénétreront  les 
nouveaux  assistants,  et  la  porte  de  la  Sixtine  voisine  où  les  cardi- 
naux, déjà  nommés  dans  un  Consistoire  précédent  et  n'étant  encore 
coitfés  que  de  la  calotte  et  de  la  barrette  rouge,  jurent,  entre  les 


Le  chapeau  cardinalice. 


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530  LA    PRÉLATURE   DE    LÉON    XIII 

mains  des  trois  doyens  de  l'ordre  des  évêques,  des  prêtres  el  des  dia- 
cres, qu'ils  conserveront  et  défendront  le  patrimoine  de  saint  Pierre 
et  qu  il  se  conformeront  aux  bulles  des  papes  concernant  le  pouvoir 
temporel,  jusques  et  y  compris  le  trésor  pontifical,  autrefois  conservé 
au  château  Saint-Ange  et  depuis  si  longtemps  disparu.  Qu'importe  ! 
Ne  sont-ils  pas  les  lieutenants  de  Celui  qui  a  promis  à  la  foi  de 
transporter,  quand  elle  voudra,  les  monla^nies?  Un  coffre-fort  est-il 
plus  pesant  qu'elles?  Eh  !  que  peuvent  perdre,  à  promettre  une  fidé- 
lité aveugle  aux  destinées  impérissables  de  l'Église,  les  maréchaux 
de  ce  royaume  auquel  l'éternité  est  assurée  ?  Ces  premiers  serments 
formulés  en  Sixtine,  les  nouveaux  cardinaux,  que  le  Sacré-Collège 
attend,  sortent  de  la  chapelle,  non  sans  avoir  fait  remettre  un  cachet 
de  dix  francs  à  chacun  des  chantres  qui  les  accompagnent  de  leurs 
mélodies,  en  même  temps  que  de  leurs  vœux.  Dans  l'église,  où  tout 
est  grand,  cette  offrande,  vulgaire  en  apparence,  a  aussi  son  cachet 
de  grandeur;  car  les  chantres,  que  ces  Éminences  payent,  reçoivent, 
non  le  salaire  de  cette  journée  de  triomphe,  mais  celui  de  la  jour- 
née de  deuil  où  ils  devront  chanter  encore,  aux  funérailles  de  ces 
mêmes  grandeurs  déohaesqai  les  au  ront  réglées  ainsi  par  anticipa- 
lion  et  avant  l'heure. 

—  «  Accédant  \  Qu'ils  viennent  !  »  a  crié  le  cérémoniaire.  Et  les 
élus,  présentés  par  deux  cardinaux  de  leur  ordre,  s'approchent  du 
trône  pontifical,  baisent  le  pied  du  pape,  puis  sa  main,  puis  reçoivent 
du  Souverain  Pontife  la  double  accolade  qu'à  tour  de  rôle  leur 
donneront  ensuite  tous  les  autres  cardinaux  présents.  De  retour  vers 
le  trône  pontitical,  ils  s'agenouillent  devant  le  pape  qui  leur  remet 
le  chapeau  en  leur  disant  que,  jusqu'à  l'effusion  de  leur  sang  ipnt 
ce  chapeau  rouge  est  le  symbole,  ils  devront  défendre  l'Église  ro- 
uiaine,  ses  institutions  divines  et  ses  intérêts  matériels. 

—  «  Exeant  omnes  !  Tous  dehors  !  »  A  cette  nouvelle  sommation 
du  cérémoniaire,  tous  les  assistants  du  Consistoire  public  se  retirent, 
—  les  cardinaux  exceptés,  —  et  le  Consistoire  secret  recommence. 
Le  Pape  appelle  chaque  élu,  qui  vient  s'agenouiller  à  ses  pieds  : 
«  Nous  vous  fermons  la  bouche,  dit-il  à  l'Èminence  nouvelle,  afin 
que  vous  ne  disiez  votre  avis  sans  notre  ordre,  ni  dans  les  Consis- 
toires, ni  dans  les  Congrégations  ou  aucun  autre  office.  »  Ayant 
fermé  la  bouche  au  porporalo,  c'est  encore  le  pape  qui  la  lui  ouvre-. 
Ensuite  il  lui  remet  un  anneau  dont  la  Propagande  percevra  le 
prix  :  3,000  francs,  s'il  vous  plait  I  pour  un  anneau  à  simple  saphir, 
sans  diamants  autour. 


LA   COUR   DU    PAPE 


531 


Ainsi  finit  le  Consistoire,  avec  la  note  à  payer  par  le  cardinal  élu 
à  qui  son  élection  coûtera  cher.  Car,  il  n'y  a  pas  à  dire,  prince  de 
haldacchino  ou  fratone  de  couvent,  pour  être  cardinal  il  faut  payer 
chacun  son  dur  écot. 

Voici  comment  la  note  se  détaille,  daiis  la  Ville  éternelle  où  les 
anciens  Romains  prétendaient  descendre  des  dieux,  et  où  les  Romains 
modernes  se  contentent  de  descendre  des  anciens.  Dame  I  tout  se  paye, 
même  l'honneur  de  transformer  le  Sénat  des  empereurs  latins  en 
Sacré-Collège  des  papes  romains  encore. 

Puisqu'ilestencoredemodedecoi//dr  les  cardinaux,  parlons,  d'abord, 
de  leur  chapeau  dont  la  forme  ovale,  agrémentée  d'une  double  frange 
de  pourpre  à  trente  glands  retombant  sur  le  dos,  est  rejetée  comme  un 
fardeau  sur  les  éminentissimes  épaules.  Un  vrai  fardeau,  vous  pou- 
vez croire;  car  si  ce  chapeau  tant  souhaité  ne  les  coiffe  pas  plus  que 
ne  saurait  faire  une  belle  assiette  plate  dont  il  a  la  forme,  il  n'en 
ruine  pas  moins  le  plus  grand  nombre  de  ceux  qui  ont  à  le  payei-. 
La  pourpre,  en  vérité;  est  un  vain  mot,  depuis  que  nos  cardinaux  mo- 
dernes n'endossent  plus  qu'une  soutaue  noire,  à  passepoil  écarlate  en 
simple  petite  bordure.  Mais  ce  chapeau  si  plat  et  si  pesant,  —  qui  ue 
coiffera  bien  que  le  cercueil  du  maître  sur  lequel  il  se  reposera  hiérar- 
chiquement, un  jour,  comme  fatigue  de  tant  de  uiajeslé  coûteuse,  — 
il  existe  donc  encore?  Et  voyez  à  quelles  conditions  le  souverain  cha- 
pelier le  concède,  —  prix  fixe  el  sans  rabais,  —  à  ses  créatures  de 
choix. 

Car  si  le  Pape  préconise  ou  seulement  proclame  ses  évêques,  il  crée 
ses  cardinaux.  Est-ce  à  dire  que  l'élection  d'un  cardinal  ne  dépende 
que  du  caprice  de  son  chef  qui  pourrait  parfois  leur  dire  ironi- 
quement, comme  Urbain  Vlll  à  son  Sacré-Collège  qu'il  avail  lini  par 
instituer  en  entier  :  Non  vos  me  elegistis,  sed  ego  elegi  vos?  A  Dieu 
ne  plaise  que  cette  assemblée  suprême,  qui  ne  dépassa  pas  30  mem- 
bres jusqu'au  xvr  siècle  et  que  Sixte  V  porta  au  nombre  de  70,  —  en 
souvenir  des  septante  vieillards  de  la  Rible,  —  ne  serve  qu'à  un  jeu 
d'élection  du  pape  futur,  pour  laquelle  elle  est  surtout  constituée, 
mais  à  laquelle  aucun  pape  vivant  ne  s'intéressera  jamais.  Sans  doute, 
il  y  a  une  tradition  discutable  qui  assure  la  papauté  à  un  cardinal 
italien,  par  une  majorité  choisie  parmi  les  sujets  de  ce  pays  et  que 
les  papes  italiens  ne  déplacent  guère.  Mais  ce  choix  n'est-il  pas  ex- 
pliqué par  la  neutralité  d'un  petit  État  et  par  la  liberté  que  les  pon- 
tifes romains  en  retirent?  Par  exemple,  quand  l'Italie  mégalomane 
farà  da  se!...  Mais  le  Tibre  peut  encore  couler  sous  le  pont  Saint 


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532  LA    PRÉLATURE   DE    LÉON    XIll 

Ange,  et  les  faveurs  des  papes  aller  encore  aux  prélats  de  la  péninsule. 
ResV toujours  aux  Italiens  élus  la  dificulté  de  payer  leur  chapeau, 
après  avoir  surmonté  celle  d'obtenir  leur  création  en  consistoire. 

Jusqu'au  moyen  âge,  le  terme  de  cardinali  ne   fut  qu'un  adjectif 
pour  désigner  les  simples  conseillers  des  pontifes  et  les  distributeurs 
de  leurs  aumônes  dans  les  districts  de  Rome,  dont  ils  étaient  les  vul- 
gaires curés.  En  lâ.io,  Innocent  IV  en  fit  un  substantif  et  distingua 
ses  cardinali  du  chapeau  rouge,  qui  les  rangeait  parmi  les  princes  et 
les  cousins  des  rois.  Mais  ce  chapeau  sans  coiffe  restait  plat,  tout  au 
plus  bon  à  porter  en  renverse  sur  le  dos  et  à  laisser  contracter,  au 
plein  air  des  cérémonies  publiques,  les  plus  dangereux  catarrhes. 
Paul  II  joignit  aux  insignes  cardinalices  la  calotte  et  la  barrette  rouges. 
Ainsi  le  chapeau  montait,  presque  en  même  temps  que  la  tiare  qui, 
simple  bonnet  de  pécheur  sous  le  pontificat  du  Galiléen  Pierre,  avait 
pris  un  premier  tour  de  couronne  sous  les  pontiles  romains  qui  lui 
succédèrent,  puis  un  deuxième  sous  Boniface  VIII,  puis  un  troisième 
enfin  sous  le  toulousain  Benoît  XII,  —  un  vrai  cadet  <le  Gascogne,  à 
qui  les  papes  doivent  la  glorieuse  invention  du  trirègne.  Et  c'était  la 
note  à  payer,  qui  montait  de  conserve.  Voici  dans  quelles  proportions, 
telles  que  les  a  maintenues  la  Chancellerie  romaine,  depuis  les  jours 
d'Innocent  IV,  de  Paul  II  et  de  Sixte  V. 

Le  jour  où,  en  Consistoire  secret,  le  pape  a  résolu  d  envoyer  la 
calotte  et  la  barrette  rouges  à  sa  créature,  —  prêtre  oi  laïc,  —  c'est 
encore  un  garde-noble  de  son  choix  qui  prend  cette  calotte  emboîtée 
dans  un  écrin  de  soie  et  qui  l'apporte  à  Télu  dont  il  doit  recevoir 

10,000  francs  pour  sou  pourboire.  Ci 10.000  fr. 

Un  deuxième  messager,  appelé  l'ablégat,  est  chargé  d  apporter  la 
barrette  et  de  recevoir  6,000  francs  pour  son  compte,  plus  3.000  trancs 
pour  le  compte  du  secrétaire  qui  raccompagne.  Ci .  .  .  9.000  tr. 
Ce  double  message  est  indépendant  de  celui  qui  est  confie  au  neveu 
,lu  pape,  -  si  le  pape  eu  a  un  dans  le  Sacré-Collège  où  il  prend  le 
litre  de  cardinal  paf/ïm,  -  et  qui  transmet  à  l'élu  le  b.llet  de  la 
Chancellerie,  par  rintermédiairedeson  majordome  et  avec  le  bénéfice 
d'un  troisième  pourboire  dont  le  chiffre  rond  est  laissé  à  l'apprécia- 
tion  du  destinataire.  Eu  sorte  que  les  porteurs  de  la  cuirasse  et  du 
bouclier  de  Marh-borough,  qui  ne  sont  qu'une  plaisanterie  dans  la 
chanson,  deviennent  dans  l'histoire  à\m  cardinal  à  créer,  une  real.te 
palpitante  et  pleine  d'intérêt  : 

L'un  portait  sa  cuirasse, 
L'autre...  ne  portait  rien 


LA    COUR   DU   PAPE 


533 


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Rien  !  Écoutez  encore  ;  car  notre  cardinal  élu  n'est  qu'à  la  troisième 
station  de  son  rouge  calvaire.  Après  les  billets  doux,  voici  les  notes 
sèches.  Et,  d'abord,  celle  qui  porte  pour  l'expédition  des  bulles  la 
petite  addition  de  ^.113  fr.  80  cent.,  parchemin  de  la  céduUe  el  cire 

du  cachet  y  compris.  Ci 2.113  fr.  80. 

Puis,  vient  la  note  du  bijoutier  de  la  Propagande  qui  offre,  pour 
3.000  fr.,  l'anneau  cardinalice  qui  ne  vaut  pas  le  tiers  de  son  esti- 


L'ombrellino  cardinalice. 

mationetque  l'Éminence  consciemment  dupée  ne  portera,  d'ailleurs, 

que  le  jour  de  la  cérémonie  consistoriale.  Ci 3.000  fr. 

Puis  arrive,  pour  une  buona  manda  s'échelonnant,  du  plus  humble 
balayeur  ou  scopatore  au  cameriere  le  plus  huppé  de  l'Antichambre 
Pontificale,  la  file  innombrable  des  serviteurs  de  la  nouvelle  Éminence: 
y  compris  la  chapelle  entière  des  chantres  qui  reçoivent  10  francs 
anticipés  sur  les  funérailles  prévues  du  cardinal,  dès  le  jour  de  son 
élection.  Soit:  une  somme  ronde  de  5.000  tr.  qu'il  doit  payer  de  son 
vivant,  par  anticipation  sur  son  enterrement.  Ci.    .     .      •     5.000  fr. 


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.H32  LA    PRÉLATURK   DE    LÉON    XIII 

Ange,  et  les  faveurs  des  papes  aller  encore  aux  prélats  de  la  péninsule. 
ResV toujours  aux  Italiens  élus  la  diticulté  de  payer  leur  eliapeau, 
après  avoir  surmonté  celle  d'obtenir  leur  création  en  consistoire. 

Jusiiu  au  moyen  Age,  le  terme  de  cardtnali  ne   fut  qu'un  adjectif 
pour  désigner  les  simples  conseillers  des  pontifes  et  les  distributeurs 
de  leurs  amnoues  dans  les  districts  de  Home,  dont  ils  étaient  les  vul- 
gaires curés.  En   1^245,  Innocent  IV  en  lit  un  substantif  et  distingua 
ses  cardbiali  du  cbapeau  rouge,  (lui  les  rangeait  parmi  les  princes  et 
les  cousins  des  rois.  Mais  ce  chapeau  sans  coitfe  restait  plat,  tout  au 
plus  bon  à  porter  en  renverse  sur  le  dos  et  à  laisser  contracter,  au 
plein  air  des  cérémonies  publiques,  les  plus  dangereux  catarrhes. 
Paul  II  joignit  aux  insignes  cardinalices  la  calotte  et  la  barrette  rouges. 
Ainsi  le  chapeau  montait,  presque  en  même  temps  (lue  la  tiare  qui, 
simple  bonnet  de  pécheur  sous  le  pontificat  du  Galiléen  Pierre,  avait 
pris  un  premier  tour  de  couronne  sous  les  pontiies  romains  qui  lui 
succédèrent,  luiis  un  deuxième  sous  Bouiface  VIII,  puis  un  troisième 
enfin  sous  le  toulousain  Heiioît  Ml,  —  un  vrai  cadet  de  Gascogne,  à 
qui  les  pai>es  doivent  la  glorieuse  invention  du  trirègne.  Et  c'était  la 
note  à  paver,  qui  montait  de  conserve.  Voici  dans  quelles  proi)ortions, 
telles  que  les  a  maintenues  la  Chancellerie  romaine,  de|mis  les  jours 
d'Innocent  IV,  de  Paul  11  et  de  Sixte  V. 

Le  jour  où,  en  Consistoire  secret,  le  pape  a  résolu  d'envoyer  la 
calotte  et  la  barrette  rouges  à  sa  créature,  —  i)rétre  o  i  laïc,  —  c'est 
encore  un  garde-noble  de  son  choix  qui  prend  cette  calotte  emboîtée 
dans  un  écrin  de  soie  et  qui  l'apporte  à  Télu  dont  il  doit  recevoir 

10  i)00  trancs  pour  son  pourboire.  Ci 10.000  fr. 

Un  deuxième  n.essager.  appelé  Tablégat,  est  chargé  d'apporter  la 
barrette  et  de  recevoir  0,000  francs  pour  son  compte,  jdus  :1000  trancs 
pour  le  compte  du  secrétaire  qui  l'accompagne.  Ci .      .     -     l^-^OO  tr. 
Ce  double  messaue  est  indépendant  de  celui  (lui  est  confié  au  neveu 
,l,j  p,pe   -si  le  pai^e  eu  a  un  dans  le  Sacré-Collège  où  il  pren.l  le 
titre  de  cardinal  |mf,v,».  -  et  ((ui  transu.ct  à  l'élu  le  billet  de  la 
Chancellerie,  par  Tintei  inediairede  son  majordome  et  avec  le  benehce 
d'un  troisième  pourboire  dont  le  cliilVre  rond  est  laissé  à  l'apprecia- 
tiou  du  destinataire.  Eu   sorte  que  les  porteurs  de  la  cuirasse  et  du 
bouclier  de  Marh'borough,  (lui   ne  sont  qu'une  idaisantene  dans  la 
chanson,  devieiiueul  dans  Thisloire  d\in  cardinal  à  créer,  une  réalité 
palpitante  et  pleine  d'iîitérét  : 

L'un  [.ortait  sa  cuirasse, 
L'autre...  ne  portail  rien  1 


LA    COUR    DU   PAPE 


533 


». 


Rien!  Écoulez  encore;  car  notre  cardinal  élu  n'est  qu'à  la  troisième 
station  de  son  rouge  calvaire.  Après  les  billets  doux,  voici  les  notes 
sèches.  Et,  d'abord,  celle  qui  porte  pour  l'expédition  des  bulles  la 
petite  addition  de  ^2.113  fr.  «0  cent.,  parchemin  de  la  cédulle  el  cire 

du  cachet  y  compris.  Ci ^.Il3lr.  80. 

Puis,  Nient  la  note  du   bijoutier  de  la  Proi)agande  qui  offre,  pour 
;1000  fr.,  l'anneau  cardinalice  qui  ne  vaut  pas  le  tiers  de  son  esti- 


Lombrcllino  cardinalice. 

mationetque  l'iMninence  consciemment  dupée  ne  portera,  d'ailleurs, 

que  le  jour  de  la  cérémonie  consistoriale.  Ci 3.000  Ir. 

Puis  arrive,  pour  une  buona  manda  s'échelonnant,  du  plus  humble 
balayeur  ou  scopalore  au  vameriere  le  plus  huppé  de  rAntichambre 
Pontilicale,  la  file  innombrable  des  serviteurs  de  la  nouvelle  Éminence: 
y  compris  la  chapelle  entière  des  chantres  qui  reçoivent  10  francs 
anticipés  sur  les  funérailles  prévues  du  cardinal,  dès  le  jour  de  son 
élection.  Soit:  une  somme  ronde  de  5.000  Ir.  qu'il  doit  payer  de  son 
vivant,  par  anticipation  sur  son  enterrement.  Ci.    .     •      •     5.000  fr. 


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534 


LA   PRÉLATURE   DE    LÉON    XIII 


Encore  un  chapitre,  dans  l'histoire  de  l'ironie  humaine,  que  n*avail 
pas  prévu  Hamlel.  Mais  ce  chapitre  est  aussi  la  plus  éloquente  leçon 
d'humilité  que  Tévangile  de  Jésus  pouvait  mieux  contenir  et  donner 
que  le  libretto  de  Shakespeare. 

Est-ce  fini?  Oui,  si  vous  ajoutez  aux  comptes  précédents  ceux  du 
tailleur  de  son  Éminence,  qui  n'a|>porle  pas  moins  de  quatre  costumes 
dont  celui  de  gala  ne  sera  pas  payé  moins  de  5.000  francs.  Et  ceux 
du  chapelier  qui  doit  remettre  et  entretenir  de  cordelières  vertes  et 
dorées  les  quatre  chapeaux  de  diverse  étiquette,  — pas  un  de  moins'  Et 
puis,  ce  sont  les  frais  des  visites  dites  di  calore,  que  tout  passant  a 
droit  de  rendre  au  cardinal  dans  son  palais  ouvert,  trois  jours 
durant,  pourvu  qu'on  s'y  présente  en  habit  noir  et  en  cravate  blan- 
che. Ces  visites  sont  dites  de  chaleur,  parce  que  les  complimentsqu'on 
y  récite  ne  sont  guère  plus  froids  que  les  vins  et  les  pâtisseries 
qu'en  échange  de  courtoisie  l'Éminence  saturée  doit  servir  en  lanto 
rinfresco  à  ses  infatigables  hôtes.  Rien  que  pendant  ces  trois  jours, 
à  Rome,  le  temps  d'y  prendre  son  chapeau,  le  cardinal  Pie  eut  à  payer 
en  rafraîchissements,  dans  un  hôtel  qui  n'était  pas  le  sien,  une  note 
qu'il  mit,  dil-on,  toute  sa  vie  de  cardinal  a  acquitter  et  qu'il  n'osa, 
depuis,  avouer  qu'à  lui-même. 

Faut-il  aussi  menl'iowner  \epalazzo  à  tant  et  tant  de  chambres,  que 
le  cérémonial  a  prévues  et  que  VEminentissimo  doit  à  sa  grandeur 
nouvelle?  Et  l'équipage  à  deux  chevaux  noirs,  dont  l'accouplement 
devient  si  rare  et  si  coûteux  dans  les  haras  romains;  —  la  robe  noire 
étant  de  rigueur  aux  bêtes,  comme  à  leurs  maîtres,  pour  manifester  le. 
deuil  de  l'État  pontifical  qu'on  a  perdu,  depuis  1870?  Et  le  cocher  de 
siège,  et  le  valet  de  pied,  qui  ne  permettront  pas  à  l'Éminence  de 
faire  un  seul  pas  dans  Rome,  tant  qu'un  buzzurro  y  séjournera  : 

Jamais,  jamais  à  Rome 
Jamais  Picmoril  ne  régnera  ! 

Il  est  vrai  que,  pour  balancer  ces  dépenses,  estimées  au  plus  bas 
prix  50.000  francs  par  les  Romains  qui,  en  fait  d'additions,  s'y 
entendent,  le  cardinal  créé  aura  les  ressources  suivantes  :  le  piailo, 
ou  mense  pontificale  de  21.480  francs,  au  taux  de  5  fr.  37  pour  100 
que  la  rente  italienne  leur  fait  rapporter  annuellement;  plus,  les 
bénéfices  de  ses  charges  épiscopales  ou  presbytériales,  à  l'évêclié  ou 
à  la  paroisse  ou  à  la  diaconie  qu'il  desservira;  plus,  sa  part  dans  les 
Congrégations  romaines,  s'il  en  est  membre;  plus  son  droit  à  la 
bourse  des  Consistoires,  s'il  y  assiste  :  soit  un  reliquat  de  quelques 


LA   COUR    DU   PAPE 


535 


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autres  mille  francs  qu'en  ajustant  bien  les  notes  par  tous  les  bouts  on 
arrive  à  faire  rapporter,  au  plus,  24.000  francs. 

—  Res  sacra  miser!  avait  écrit  le  cardinal  D...,  dans  son  blason  où 
il  dut  vite  l'effacer  j>arcc  que'cetle  devise,  pour  être  juste,  était  aussi 
profane.  C'est  cette  note  qu'il  faudrait  détailler  encore,  pour  montrer 
chez  les  princes  de  l'Église,  comme  chez  ses  plus  humbles  sujets, 
l'observation  admirable  des  principes  essentiellement  égalitaires  sur 
lesquels  la  hiérarchie  du  catholicisme  se  fonde.  Le  cardinal,  élu  le 
plus  souvent  dans  le  peuple  et  presque  toujours  à  son  insu,  ne  doit- 
il  pas,  au  sein  des  grondeurs  où  il  se  dépensera  tout  entier, 
l'exemple  d'un  riche  en  apparence  qui  n'est  qu'un  pauvre  en  réalité? 
Que  la  mort  vienne:  s'il  reste  quelques  économies  au  défunt,  elles 
reviendront  de  droit  aux  pauvres  de  la  ville  qui  se  présenteront  au 
palais,  les  premiers;  à  moins  que  le  trésorier  de  la  Propagande  ne 
les  devance  pour  répartir  l'héritage  entre  tous  les  pauvres  du  monde 
entier,  par  le  canal  de  ses  Missions... 

Tel  est  le  coût  de  ce  chapeau  tant  souhaité,  qui  laisse  s'em-humer 
tant  de  têtes  illustres,  presque  aussitôt  décoiffées  que  couvertes,  aux- 
quelles les  papes  eurent  quelquefois  le  plaisir  de  faire  prendre  l'air. 
Et  encore  ces  chapeaux  plats,  qui  sont  sans  fond  et  dont  les  digni- 
taires ne  peuvent  se  couvrir  de  leur  vivant,  ces  chapeaux  qui  n'ont 
que  des  glands  pour  battre  l'air  et  que  des  ailes  pour  voler  et  échap- 
per au  plus  vite,  quelle  leçon  du  néant  des  choses  ils  donnent  à  leurs 
possesseurs;  eux,  qui  ne  commencent  à  se  porter  que  sur  le  cercueil 
de  leurs  maîtres,  et  qui,  dans  les  calhédiales  où  ces  Éminences  iront 
se  coucher  tôt  ou  tard,  n'auront  plus  à  recouvrir  qu'un  tombeau!  A 
cette  élection  si  onéreuse  des  cardinaux  proclamés,  qui  ne  préférerait 
celle  des  cardinaux  non  proclamés  ou  m  pello?  Ces  derniers,  quand 
le  pape  les  expectorera,  non  seulement  n'auront  rien  perdu  de  leur 
rang,  parmi  les  cardinaux  évêques  ou  prêtres  qui  auront  été  nommés 
après  eux  et  qui  s'assiéront  aussi  à  leur  suite,  sur  le  banc  d'honneur; 
mais  les  capitaux  même  du  piatto  leur  seront  servis  par  accumula- 
tion, depuis  le  jour  de  leur  création  secrète  et  les  aideront  à  payer 
illico  les  frais  de  leur  nomination  publique. 

—  Ils  croquent  le  marmot,  mais  ils  conservent  les  baïoques! 
disent  ces  amateurs  des  satires  en  usage,  au  moment  des  consistoires 
et  des  conclaves,  autour  du  buste  d^  Pasquin.  — 

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Eh  bien!  il  est  une  dernière  élection  encore  plus  économique. 
C'est  celle  qui  consiste  à  revêtir  la  pourpre,  sans  eu  avoir  la  charge. 


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536  LA    PRELATURE    DE   LÉON    XllI 

Plusieurs  églises  du  inonde  catholique  sont  ainsi  favorisées,  qui  du 
zucchettino  poinpannant  gentiment  la  tète  en  calotte  ponceau, 
et  qui  du  berretUno  cramoisi  la  coiffant  cette  fois  tout  à  fait 
comme  celle  d'un  parfait  cardinal.  Ces  faveurs,  par  lambeaux,  se 
d  visent  entre  les  collégiales  de  Magdebourg,  de  Londres,  d'Aix-la- 
Chape  e,  de  Cologne,  de  Milan,   de  Uavenne,   de  Conipostelle,    et 


LA   COUR    DU    PAPE 


53 


Camériers  et  majordomes  d'un  cardinal. 

même  d'Orléans  dont  les  sièges  furent,  de  droit,  cardinalices  avant 
Pie  V.  On  trouve  même  des  cardinaux  complets  —  moins  le  titre 
—  dans  les  stalles  de  Venise,  de  Salzbourg  et  de  Prague.  Et  ce 
n'est  pas  la  moindre  difficulté  de  la  Congrégation  des  Kites,  de  mettre 
tous  ces  privilégiés  à  leur  place.  Tel,  le  prince  Schawarzenberg, 
quand  il  se  présenta  en  barrette  rouge  au  Vatican  où  Grégoire  XVI 


allait  le  créer 'cardinal.  On  eut  beau  lui  faire  remarquer  Tincon-^ 
venance  de  coiffer  l'insigne  de  sa  dignité  nouvelle,  avant  que  le  pape- 
l'iniposât  lui-même,  le  prince  élu  objecta  les  prérogatives  de  Prague, 
son  siè^je  épiscopal.  Pour  lui  faire  lâcbcr  sa  barrette,  il  ne  fallut 
rien  moins  qu'une  ordonnance  de  la  Congrégation  des  Rites  invitant, 
ce  jour-là,  les  nobles  invités  du  Vatican  à  s'y  présenter  sans  barrette 
ni  chapeau,  —  tête  nue. 

Mais  en  linirions-nous,  avec  les  anecdotes  dont  ferait  les  frais  la 


Les  bombarJiers  du  Samedi -baint.  ^Dessin  de  Thomas.) 

petite  vanité  des  hommes,  —  même  des  hommes  cardinaux?  Ne  fau- 
drait-il pas  continuer  cette  énumération  des  charges  cardinalices  par 
celles  de  leur  propre  maison,  dans  laquelle  il  nous  resterait  à  entrer  ? 
Le  palazzo  de  rigueur  serait  de  princière  apparence.  On  entrerait, 
d'abord,  dans  l'antichambre  spacieuse  où  les  gardes-suisses  de  l'ancien 
temps  faisaient  les  cent  pas  et  où  les  bûches  d'approvisionnement  ont 
pris  dans  de  grands  coffres  la  succession  des  hallebardiers  absents. 
Puis,  on  accéderait  dans  la  pièce  du  baldaquin  sous  lequel  reposent 
les  coussins  et  les  ombrelles  que  le  fidèle  majordome  ne   fait  plus- 


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536 


LA    l'RKLATURE    DE    LÉON    Xlll 


Plusieurs  églises  du  monde  catholique  sont  ainsi  favorisées,  qui  du 
zucclielUno  pouip  >nuant  gentiment  la  tète  en  calolle  ponceau, 
et  qui  du  berrettino  cramoisi  la  coiffant  cette  fois  tout  à  fait 
comme  celle  d'un  parfait  cardinal,  ('.es  laveurs,  par  lambeaux,  se 
d  visent  entre  les  collégiales  do  Magdchour::,  de  Londres,  d'Aix-la- 
Chape  e,  de  Cologne,  de  Milan,   de  KaNcinie,   de   Compostelie,    et 


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(^iimérlers  et  majordomes  d'un  cardinal. 

même  d'Orléans  dont  les  sièges  furent,  de  droit,  cardinalices  avant 
Pie  V.  On  trouve  même  des  cardinaux  complets  —  moins  le  titre 
—  dans  les  stalles  de  Venise,  de  Salzbourg  et  de  Prague.  Et  ce 
n'est  pas  la  moindre  dinicullédela  Congrégation  des  Kites,  de  mettre 
tous  ces  privilégiés  à  leur  place.  Tel,  le  prince  Schawarzenberg, 
quand  il  se  présenta  en  barrette  rouge  au  Vatican  où  Grégoire  XVI 


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LA   COUR    DU    PAPE 


53 


allait  le  créer  cardinal.  On  eut  beau  lui  faire  remarquer  Tincon- 
venance  de  coiffer  l'insigne  de  sa  dignité  nouvelle,  avant  que  le  pape 
l'imposât  lui-même,  le  [nince  élu  objecta  les  prérogatives  de  Prague, 
son  siè:,'e  épiscopal.  Pour  lui  faire  làcber  sa  barrette,  il  ne  fallut 
rien  moins  qu'une  ordonnance  de  la  Congrégation  des  Kites  invitant, 
ce  jour-là,  les  ncddes  invités  du  Vatican  à  s'y  présenter  sans  barrette 
ni  cliapeau,  —  tête  nue. 

Mais  en  linirions-nous,  avec  les  anecdotes  dont  ferait  les  frais  la 


Les  bombardiers  du  Samcdi-^ailll.   i Dessin  (Je   f bornas.) 

petite  vanité  des  hommes,  —  même  des  hommes  cardinaux?  Ne  fau- 
drait-il pas  continuer  cette  énumération  des  charges  cardinalices  par 
celles  de  leur  propre  maison,  dans  laquelle  il  nous  resterait  à  entrer  ^ 
Le  palazzo  i\e  rigueur  serait  de  princière  apparence.  On  entrerait, 
d'abord,  dans  ranlichambre  spacieuse  où  les  gardes-suisses  de  lancien 
temps  faisaient  les  cent  pas  et  où  les  bûches  d'approvisionnement  ont 
pris  dans  de  grands  coffres  la  succession  des  hallebardiers  absents.. 
Puis,  on  accéderait  dans  la  pièce  du  baldaquin  sous  lequel  reposent 
les  coussins  et  les  ombrelles  que  le  fidèle  majordome  ne   fait  plus- 


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338 


LA   PRÉLATURE    DE    LÉON    XIII 


LA   COUR    DU    PAPE 


539 


sortir  à  la  suite  du  cardinal/depuis  l'occupation  piémonfâise.  Et  puis 
viendrait  la  salle  des  secrétaires,  et  puis  la  salle  du  Trône,  et  puis 
«nfin  rapparlementderÉminence,  — lelout  se  profilant  long,  comme 
un  jour  de  jeûne. 

—  Oui,  de  jeûne!  soupirait,  un  jour,  une  de  ces  nobles  victimes  du 

cardinalat  foicé  que  le  Consistoire  venait  de  transformer  en  un  de  ces 

anciens    malhem-eux   habitants   du   légendaire  Labyrinthe.  Mais,  à 

J'inverse  des  tristes  hôtes  du  Minotaure,  si  les  cardinaux  jeûnent,  ce 

.sont  les  chevaux  qui  mangent  bien. 

Ceux  de  Mf?-- Joachim  Pecci  eurent  donc  le  loisir  de  ramener,  de 
Bruxelles  à  Rome,  un  nonce  si  jeune  qu'il  eût  été  une  exception  d'âge 
parmi  les  vieillards  du  Sacré-Collège.  Et  comme  ces  beaux  chevaux 
qu'aimait  M?»" Pecci avaieni  le  temps  de  leconduire  àces  honneurs  cardi- 
nalices dont  l'ombrageux  Antonelli  n'éloi^^'nerait  son  digne  rival  que 
quelques  années,  tout  au  plus;  au  lieu  de  s'en  retourner  directement 
•en  Italie,  sa  nonciature  terminée  à  Bruxelles,  il  prit  en  voyageur  le  che- 
min des  écoliers.  Il  ne  connaissait  pas  l'Angleterre  et  ignorait  Paris. 
Recommandé  par  Léopold  l^»"  au  fdme:ix  baron  de  Stockmar  et  au 
Prince-Consort,  M^'»"  Pecci  fut  reçu  par  la  reine  Victoria,  dîna  à  la 
<Jour,  s'entretint  avec  Palmerston.  Lu  pape  ayant  dîné  à  Windsor, 
voilà  un  souvenir  historique  peu  banal  (1).  A  Paris,  Louis-Philippe 
fit  égalemeni  l'accueil  le  plus  distingué  à  l'ancien  nonce  de  Bruxelles. 

Avant  que  M^»"  i^ecci,  parti  de  Belgique  et  en  route  à  travers 
Ja  France,  n'arrive  à  Rome  et  ne  retourne  à  Pérouse,  pour  un  exil 
injuste  de  32  années,  il  est  permis  de  jeter  un  coup  d'œil  en 
arrière  et  de  mesurer  le  chemin  parcouru,  au  cours  des  prélatures 
d'un  si  précoce  et  déjà  si  éminent  diplomate. 

A  Bénévent,  où  Grégoire  XVI  l'envoya  d'abord,  comme  pour  une 
simple  chaf^se  à  la  camorre,  il  ne  resta  que  trois  ans  :  le  temps  de 
prendre  le  plus  de  brigands  qu'il  put,  y  compris  les  seigneurs  qui, 

.  (Ij  Le  prélat  venait  d'être  nommé  Évèque  de  Pérouse,  après  sa  nonciature  à 
Bruxelles,  et  passait  en  An^'letcrre  avant  de  revenir  en  Italie.  Il  resta  tout  le 
mois  de  février  à  Londres,  fut  d'abord  l'hôte  du  ministre  plénipotentiaire  du 
Brésil  et  occupa  ensuite  un  appartement  dans  Piccadilly.  M»'  Joachim  Pecci 
avait  alors  irenle-six  ans.  Il  entendit,  à  la  Chambré  des  Communes,  le  grand 
O'Conoell,  fut  présenté  à  lord  Palmerston  et  assista  à  une  réception  au  Foreign 
Office.  La  reine  Victoria  1  invita  à  la  Cour. 

Pendant  son  séjour,  le  futur  pape  ofticia  dans  deux  églises  :  dans  l'antique 
chapelle  sarde,  qui  se  trouve  encore  du  côté  ouest  de  Liucoln's  in  Fields;  et  à 
•celle  de  Saint-Mary  in  MoorfiehJs,  ancienne  cathédrale  catholique  de  Londres. 
I^cemment  démolie  et  remplacée  par  la  nouvelle  église  de  Westmmster. 


dans  ces  repaires  reculés  de  la  Basilicate,  n'étaient  que  des  bandits 
de  marque  plus  aristocratique  que  les  autres  :  «  Mais  je  suis  comte, 
monsieur  le  légat,  et,  de  ce  chef,  je  vais  me  plaindre  au  pape  !  —  Allez 
donc,  monsieur  le  comte;  et  n'oubliez  pas  que,  pour  vous  rendre 
au  Vatican,  il  vous  faudra  d'abord  passer  par  la  forteresse  de  Saint- 
Ange  !  »  A  Bénévent,  où  il  ne  prit  qu'une  soleillée  sous  l'ado- 
rable ciel  napolitain,  comme  à  Pérouse,  où  il  ne  fit  qu'une  brillante 
passade,  le  temps  d'y  tracer  la  plus  belle  route  que  ce  pays  eût  pos- 
sédée jusque-là,  la  grande  question    qui  capt  iva  ce     raiid  esprit  d 


Antichambre  prélatice  aux  armes  de  Mg"*  Pecci. 

i    i 

prévoyance  et  d'opportunité,  fut  celle  qui  ne  faisait  pas  assez  réflé- 
chir les  hommes  d'Etat  de  cette  époque  difficile,  aux  affaires  de 
laquelle  il  allait  être  heureusement  appelé  à  participer. 

Comme  il  y  a  la  politique  d'action  qui  exécute,  dans  le  tumulte  de 
la  vie  civile  et  militaire,  les  plans  conçus  et  les  résolutions  arrêtées 
dans  le  silence  des  cabinets  et  des  casernes,  il  y  a  la  politique  de 
pensée,  antérieure  à  l'autre  et  conséquemment  supérieure  par  les 
génies  puissants  qu'elle  y  emploie  et  les  humbles  vertus  qu'elle  y 
use.  Celle-ci  a,sur  celle-là  toute  l'élévation  qu'une  mèie  a  sur  son 
enfant,  toute  la  distance  de  la  chaîne  dont  un  chasseur  conduit  sa 


: 


\   1f^' 


j^--  - 


^38 


LA    PHÉLATURK    DE    LÉON    Xlll 


sortir  ula  suite  du  cardinal,  depuis  l'occupation  piénionlaise.  Et  puis 
\iendrait  la  salle  des  secrétaires,  et  puis  la  salle  du  Trùne,  et  puis 
^nfju  l'appartement  de  rÉminence,  — le  tout  se  profilant  long,  comme 
un  jour  de  jeûne. 

--  Oui,  de  jeune!  soupirait,  un  jour,  une  de  ces  nobles  victimes  du 
cardinalat  forcé  que  le  Consistoire  venait  de  transformer  en  un  de  ces 
-anciens  mallieinvux  habitants  du  légendaire  Labyrinthe.  Mais,  h 
l'inverse  des  tristes  hôles  du  Minotaure,  si  les  cardinaux  jeûnent,  ce 
sont  les  chevaux  {[uï  mangent  bien. 

Ceux  de  M^''- Joacliim  Pecci  eurent  donc  le  loisir  de  ramener,  de 
Bruxelles  à  Rome,  un  nonce  si  jeune  qu'il  eût  été  une  exception  d'âge 
parmi   les  vieillards  du  Sacré-Ccdiège.   Kt  comme  ces  beaux  chevaux 
qu'aimait  M^-'IVcci avaient  le  temps  de  leconduire  àces  honneurs  cardi- 
nalices dont  l'ombrageux  Antonelli  n'éloi^^nerait  son  digne  rival  que 
quebjues  années,  tout  au  plus;  au  lieu  de  s'en  retourner  directement 
-«n  Italie,  sa  nonciature  termiiu'e  à  Bruxelles,  il  prit  en  voyageur  le  che- 
min des  écoliers.  Il  ne  connaissait  pas  l'Angleterre  et  ignorait  Paris. 
Recommandé  par  LénpoM  I''  au  faine:ix  baron  de  Stockmar  et  au 
Prince-Consort,  M^^  Pecci  fut  re(;u  |)ar  la  reiîie   Victoria,   dîna  à  la 
Cour,  s'entretint  avec  Palmerslon.  ['n  pape  ayant  dîné  à  Windsor, 
voilà  un  souvenir  historique  peu  banal  [[).  A  Paris,  Louis-Philippe 
fit  également  l'accueil  le  plus  distingué  à  l'ancien  nonce  de  Bruxelles. 
Avant  que  M-''  l»ecci,    parti    de  Belgique  et  en   route  à  travers 
la  France,  n'arrive  à  Rome  et  ne  retom-ne  à  Pérouse,  pour  un  exil 
injuste   de   S'2  années,    il  est    permis   de    jeter  un    coup  d'œil    eu 
arrière  et  de  mesurer  le  chemin  parcouru,  au  cours  des  prélatures 
d'un  si  précoce  et  déjà  si  éminent  diplomate. 

A  Bénévent,  où  Grégoire  \Vi  l'envoya  d'abord,  comme  pour  um' 
simple  chasse  à  la  camorre,  il  ne  resta  (pie  trois  ans  :  le  temps  de 
I»rcndre  le  plus  de  brigands  ([u'il  put,  y  compris  les  seigneurs  qui, 

.  (I]  Le  prélat  venait  dï-lre  nommé  Kvèque  de  Pérouse,  après  sa  nonciaturo  à 
Bruxelles,  et  passait  en  Anj^'letorre  avant  de  revenir  en  Italie,  il  resta  tout  le 
mois  de  février  à  Londres,  fut  d'abord  l'hôte  du  ministre  plénipotentiaire  du 
Brésil  et  occupa  ensuite  un  appartement  dans  Piccadill\ .  M-'  Joachim  Pecci 
avait  alors  Irente-six  ans.  Il  enten.iit,  à  la  Chambre  des  Communes,  le  ^'rand 
O'Connell,  fut  présenté  à  lord  Palmerston  et  assista  à  une  réception  au  Foreign 
Office.  La  reine  Victoria  linviia  a  la  Cour. 

Pondant  son  séjour,  le  futur  pape  oflicia  dans  deux  c^dises  :  dans  l'antique 
chapelle  sarde,  rjui  se  trouve  encore  du  côté  ouest  de  Lincoln%  in  Fields;  et  à 
celle  de  Saint^Mary  in  Moorlields,  an-ienno  cathédrale  catholique  de  Londres, 
récemment  démolie  et  remplacée  par  la  nouvelle  église  de  Westmmster. 


LA   COUR    DU    PAPE 


539 


dans  ces  repaires  reculés  de  la  Basilicate,  n'étaient  que  des  bandits 
démarque  plus  aristocratique  que  les  autres:  «  Mais  je  suis  comte, 
monsieur  le  légat,  et,  de  ce  chef,  je  vais  me  plaindre  au  pape  !  —  Allez 
donc,  monsieur  le  comte;  et  n'oubliez  pas  que,  pour  vous  rendre 
au  Vatican,  il  vous  faudra  d'abord  passer  par  la  forteresse  de  Saint- 
Ange  !  »  A  Béiiévent,  où  il  ne  prit  qu'une  soleillée  sous  l'ado- 
rable ciel  napolilain,  cotume  à  Pérouse,  où  il  ne  fit  qu'une  brillante 
passade,  le  temps  d'y  tracer  la  plus  belle  route  que  ce  pays  eût  pos- 
sédée jusque-là,  la  grande  questioîi    qui  capt  iva  cf     laiid  esprit  d 


Antichambre  prriatice  aux  armes  de  Mg''  Pecci. 

prévoyance  et  d'opportunité,  lut  celle  (|ui  ne  faisait  pas  assez  réflé- 
chir les  hommes  d'Ktat  de  celte  époque  difficile,  aux  aft'aires  de 
laciuelle  il  allait  être  heureusement  appelé  à  participer. 

Comme  il  y  a  la  politi(iue  d'action  qui  exécute,  dans  le  tumulte  de 
la  vie  civile  et  militaire,  les  plans  conçus  et  les  résolutions  arrêtées 
dans  le  silence  des  cabinets  et  des  casernes,  il  y  a  la  politique  de 
pensée,  antérieure  à  l'autre  et  conséquemment  supérieure  par  les 
génies  puissants  qu'elle  y  emploie  et  les  humbles  vertus  qu  elle  y 
use.  Celle-ci  a  sur  celle-là  toute  l'élévation  qu'une  mère  a  sur  son 
onfanl,  toute  la  distance  de  la  chaîne  doiit  un  chasseur  conduit  sa 


540 


LA    PRÉLATURE    DE    LÉON    XIII 


1 


meute  ou  du  guidon  dont  un  tireur  suit  son  tracé.  Mais  comme  la 
pensée  reste  cachée,  la  politique  qui  en  éniane  est  invisible  et  ne 
laisse  apparaîlre  que  les  hommes  ou  les  choses  qu'elle  diri^'e,  t*  son 
gré,  sous  les  livrées  d'or  ou  de  cuivre  dont  elle  les  distingue  au 
regard.  Qu'importe  de  ne  pas  voir  la  balle,  si  dans  son  invisible  tra- 
jectoire elle  atteint  l'ennemi  et  l'abat?  Qu'importe  à  l'histoire  le  nom 
des  ministres  inconnus  qui  dirigèrent  les  Alexandre  et  les  César  de 
la  conquête  terrestre?  Machiavel  ne  fut  qu'un  passant,  méconnu  du 
plus  humble  paysan  de  San  Casciano;  et  dix  pages  de  cette  plume 
allaient  pourtant  suffire  pour  renverser  le  système  des  victoires  an- 
ciennes par  la  force,  auquel  succéderait  le  système  des  victoires  nou- 
velles par  la  diplomatie.  Si  Pecci,  exilé  sur  les  hauteurs  de  Pérouse» 
y  va  dépenser  près  de  quarante  ans  d'études  les  plus  remarquables  et 
les  plus  ignorées,  pour  arriver  aux  fructueuses  conclusions  que  nous 
révélera  seulement  sa  vieillesse,  qu'importe  eocore,  puisque  le  but  à 
loucher  sera,  un  jour,  atteint? 

Fort  de  sa  valeur  et  de  sa  patience,  cet  admirable  meneur  des  peuples 
de  demain-,  auquel  la  victoire  ne  semble  promise  qu'avec  les  cheveux 
blancs,  n'était  entré  dans  la  carrière  diplonmtique  que  pour  en  sortir 
presque  aussitôt,  à  l'heure  où  sa  jeunesse  exceptionnellement  brillante 
eût  dû  le  faire  vite  parvenir  aux  suprêmes  iioniieiirs.  Mais  la  main 
de  Dieu,  plus  généreuse  que  celle  des  hommes,  s'était  chargée  de 
conduire  eJe-même  son  élu,  à  travers  mille  injures  d'un  long  exil 
dans  les  montagnes  ombriennes,  jusqu'à  la  suprême  récompense  que 
le  génie  réserve  à  la  patience  des  forts  et  que  la  fortune  envieuse 
disputera,  mais  en  vjin,  à  ce  pacifique  conquérant  de  la  plus  haute 
puissance  qui  soit  au  monde,  —  la  papauté. 


1^4 

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M 


Saltarelli  (Dessin  de  Thomas.) 


UN   APPENDICE   A   LA  COUR  DU    PAPE 


A  l'époque  où 
Joachim    Pecci, 
jeune  prélat  «po- 
nent»  du  Buim 
GovernOy  se  pré- 
pare à  suspendre 
son  humble  bla- 
son   de    famille 
aux  caissons  du 
lourd      carrosse 
des  écuries  pon- 
tificaleset  à  quit- 
ter   le    Vatican 
pour     franchir , 
d'étape  en  étape, 

la  longue  montée  de  l'inflexible  hiérarchie  pontificale  qui  le  mènera 
si  loin  et  si  haut,  la  Rome  des  Papes  présenie  encore,  avec  ses 
immuables  coutumes  d'autrefois,  de  si  pittoresques  tableaux,  qu'il 
est  plaisant  d'en  esquisser  quelques-uns;  ne  serait  ce  que  ceux 
qui  échai»pèrent  à  la  plume  observatrice  de  Stendhal,  hôte  de  la 


oSanlo  Padre,  la  beiieJizione  !  »    (Dessin  de  Thomas.) 


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II 


540 


LA    PRELATURE    DE    LEON    XIII 


meule  ou  du  guidon  dont  un  tireur  suit  son  tracé.  Mais  comme  la 
pensée  reste  cachée,  la  politique  qui  en  émane  est  invisible  et  ne 
laisse  apparaître  que  les  liommes  ou  les  choses  qu'elle  diri;,'e,  à  son 
gré,  sous  les  livrées  d'or  ou  de  cuivre  dont  elle  les  distingue  au 
regard.  Qu'importe  de  ne  pas  voir  la  balle,  si  dans  son  invisible  tra- 
jectoire elle  atteint  Tennemi  et  l'abat?  Qu'importe  ù  l'histoire  le  nom 
des  ministres  inconnus  qui  dirigèrent  les  Alexandre  et  les  César  de 
la  conquête  terrestre?  Machiavel  ne  fut  qu'un  passant,  méconnu  du 
plus  humble  paysan  de  San  Casciano;  et  dix  pages  de  cette  plume 
allaient  pourlant  sut'tire  pour  renverser  le  système  des  victoires  an- 
ciennes pnr  l;i  lor»;e,  au(piel  succéderait  le  système  des  victoires  nou- 
velles par  la  diplomatie.  Si  Pecci,  exilé  sur  les  hauteurs  de  Pérouse, 
y  va  dépenser  près  de  quarante  ans  d'études  les  plus  remarquables  et 
les  plus  ignorées,  pour  arriver  aux  fructueuses  conclusions  que  nous 
révélera  seulement  sa  vieillesse,  ([n'importe  encore,  puisque  le  but  à 
loucher  sera,  un  jour,  atteint? 

Fort  de  sa  valeur  et  de  sa  patience,  cet  admirable  inenem'  des  peuples 
de  demain,  auquel  la  victoire  ne  semble  promise  qu'avec  les  cheveux 
blancs,  n'était  entré  dans  la  carrière  diidoniatiquo  (pie  pour  en  sortir 
presque  aussit(')t,  à  l'heure  où  sa  jeunesse  exceptionnellement  brillante 
eût  (lu  le  faire  vite  parvenir  aux  suprêmes  honneurs.  Mais  la  main 
de  Dieu,  [dus  généreuse  que  celle  des  hommes,  s'était  charg(''e  de 
conduire  e.le-méme  son  élu,  à  travers  mille  injures  d'un  long  exii 
dans  les  montagnes  ombriennes,  jus([u'à  la  su[n'ême  récompense  que 
le  génie  réserve  à  la  [►atience  des  forts  et  que  la  fortune  envieuse 
disputera,  mais  en  vain,  à  ce  pacitnpie  con([iiérant  de  la  [dus  haute 
puissance  qui  soit  au  monde,  —  la  [)apaulé. 


Sallarelli  iDessiii  de  Ttiomas. 


UN   APPlvNDICE   A   LA  COUll   DU    PAPE 


A  l'époque  où 
Joachim    Pecci, 
jeune  prélat  «po- 
nenl»  du  Uuon 
Govenio,  se  [)ré- 
[»are  à  suspendre 
son  humble  bla- 
son   de    famille 
aux  caissons  du 
lourd      carrosse 
des  écuries  i>on- 
tilicaleset  à  quit- 
ter   le    Vatican 
|.our     francliir , 
d'étape  en  étape, 

la  longue  montée  de  Tinflexible  hiérarchie  pontificale  qui  le  mènera 
si  loin  et  si  haut,  la  Uome  des  Papes  présente  encore,  avec  ses 
immuables  coutumes  d'autrefois,  de  si  pittoresques  tableaux,  qu  il 
est  plaisant  d'en  esquisser  quelques-uns;  ne  serait  ce  que  ceux 
qui  écha[q)èrent  à  la  plume  observatrice  de  Stendlial,  luMe  de  la 


aSaiito  PaJre,  la  bciiedizioiie  !  »    (Dessin  de  Thomas.) 


^#S| 


542 


APPENDICE 


\\\ 


Ville  éternelle,  en  ce  même  lerops-Ià.  Et,  à  nous  contenter  seuleuienl 
du  monde  cardinalice  constituant  la  Cour  pontiticale,  nous  y  trouve- 
rions encore  des  croquis  aussi  antus^ints  à  trousser  que  ceux  (ruii 
Guadi  ou  d'un  Puccino  de  l'autre  siècle,  arec  ces  mêmes  Eminen- 
tissiyni  tarligrades  pour  inimitables  modèles. 

Vous  n'avez  pas  oublié  certaines  pages  de  \di  Jeunesse  de  Léon  Xlll 
où  nous  eûmes  à  portraiturer  eu  passautquelques-unesdeces  grandes 
Éminences,  en  longues  redingotes  à  passepoil  ponceau  s'arrondis- 
sant  de  toule  l'ampleur  bedonnante  du  buste,  sur  la  culotte  courte  et 
sur  les  mollets  bauts  cliaussés  de  bas  rouges.  Il  faisait  si  bon  les  voir, 
trottinant  à  pas  précieux  de  cousins  des  rois,  ou  marcber  bonnement 
en  bons  fratoni  dont  ces  moines  devenus  princes  avaient  précédem- 
ment traîné  la  sandale  de  cuir  dans  ces  mêmes  rues  libres  de  Rome 
où  ils  iraient  dorénavant  en  escarpins  de  soie,  deux  valets  de  pied 
les  suivant  pour  porter,  l'un  le  mantello  et  l'autre  Vombrellino  aux 
aveuglantes  doublures  de  pourpre.  Ceux  des  Eminentissimi  que  l'âge 
faisait  trop  vieillir  ou  la  dignité  trop  pontifier,  montaient  dans  un  de 
ces  carrosses  aussi  rouges  de  caparaçons  éclatants  que  les  écarlates 
personnes  de  leurs  maîtres  dont  l'opulence  corporelle  était,  d'ordi- 
naire, bien  en  rapport  avec  ces  véhicules  larges  et  hauts,  comme  des 
places  fortes  d'ancien  temps. 

,  Ces.  carrosses  cardinalices  ainsi  montés  étaient  des  espèces  de 
villes  enniarche,  dans  une  autre  espèce  de  ville  en  repos,  depuis 
raille  ans*.  Sans  avoir  perdu  un  rayon  d'or  pesant  à  leurs  lourds 
essieux  Jii.  une  courbe  du  cérémonial  antique  à  leurs  inclinaisons 
zodiacgiles,  ces  énormes  chai-s  du  soleil  venaient  déposer  leur  astre 
au  éeti'il  d*uh  grand  et  vieux  palazzo  bien  fait  pour  recevoir,  avec 
leur  majesté  de  l'autre  siècle,  une  des  gloires  de  celui-ci  daignant  les 
visiter  pour  s'y  rafraîchir  au  rosolio  ou  au  spumone,  en  un  lauto 
rinfresco  qui  durait  le  temps  d'une  sonate  sur  la  harpe  ou  d'une 
partie  de  Pharaon  continuée  avec  mesdames  les  princesses,  au  départ 
de  l'Éminence,  par  le  sigisbée  commensal  du  palais.  Ceux  qu'un 
devoir  plus  pressant  appelait  aux  Commissions  cardinalices  ou  à  ÏAu- 
dienza  du  pape,  se  hâtaient  vers  le  Vatican,  toujours  avec  cette  sage 
lenteur  que  le  Concile  de  Trente  avait  prescrite  et  qui  faisait  ressem- 
bler ces  carrosses  des  cardinaux  de  la  vieille  Rome  à  ces  chariots  des 
bons  rois  fainéants  que  célébra  l'histoire  des  anciens  âges.  Et  quand, 
sous  l'implacable  soleil  de  Rome,  ces  Eminentissimi  apparaissaient 
en  carrosses  dorés  ou  en  parasols  écarlates  sur  celte  immense  Place 
de  Saint-Pierre  qui  dormait  dans  son  brasillement  de  gigantesque 


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542 


APPENDICE 


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Ville  éternelle,  en  ce  même  lemps-là.  Et,  à  nous  ooiitenler  seulement 
du  monde  eardinaliie  coiislihiaiil  la  Cour  pontificale,  nous  y  trouve- 
rions encore  des  croquis  aussi  amusants  à  trousser  que  ceux  d'un 
Guadi  ou  d'un  Puccino  de  l'autre  siècle,  avec  ces  mêmes  Lfuinen- 
tissùni  tarligrades  pour  inimitables  modèles. 

Vous  n'avez  pas  oublié  certaines  pages  de  \di  Jeunesse  de  Léon  XIU 
où  nous  eûmes  à  portraiturer  eu  passautquelques-unes  de  ces  grandes 
Éminences,  en  longues  redingotes  à  passepoil  ponceau  s'arrondis- 
sant  de  toute  l'ampleur  bedonnante  du  buste,  sur  la  culotte  courte  et 
sur  les  mollets  hauts  chaussés  de  bas  rouges.  Il  taisait  si  bon  les  voir, 
trottinant  à  pas  précieux  de  cousins  des  rois,  ou  marciier  bonnement 
en  bons  fratoni  dont  ces  moines  devenus  princes  avaient  précédem- 
ment traîné  la  saiidale  de  cuir  dans  ces  mêmes  rues  libres  de  Kome 
où  ils  iraient  dorénavaiu  en  escarpins  de  soie,  deux  valets  de  pied 
les  suivant  pour  porter,  l'un  le  mantello  et  l'autre  Vombreilino  aux 
aveuglantes  doublures  de  pourpre.  Ceux  des  Eminentmimi  que  l'âge 
taisait  trop  vieillir  ou  la  dignité  trop  pontitier,  montaient  dans  un  de 
ces  carrosses  aussi  rouges  de  caparaçons  éclatants  que  les  écartâtes 
personnes  de  leurs  maîtres  dont  l'opulence  corporelle  était,  d'ordi- 
naire, bien  en  rapport  avec  ces  véhicules  larges  et  hauts,  comme  des 
places  fortes  d'ancien  temps. 

Ces  carrosses  cardinalices  ainsi  montés  étaient  des  espèces  de 
villes  en  niarche,  dans  une  autre  espèce  de  ville  en  lepos,  depuis 
raille  ans-.  Sans  avoir  perdu  un  rayon  d'or  pesant  à  leurs  lourds 
essieux  .ni  une  courbe  du  cérémonial  anti(iue  à  leurs  inclinaisons 
zodiacales,  ces  énormes  chars  du  soleil  venaient  déposer  leur  astre 
au  seuil  d'un  grand  et  vieux  palazzo  bien  fait  pour  recevoir,  avec 
leur  majesté  de  l'autre  siècle,  une  des  gloires  de  celui-ci  daignant  les 
visiter  pour  s'y  rafraîchir  au  tufsolio  ou  au  spumone,  en  un  laulo 
rinfresco  qui  durait  le  temps  d'une  sonate  sur  la  harpe  ou  d'une 
partie  de  Pharaon  continuée  avec  mesdames  les  princesses,  au  départ 
de  rfiminence,  par  le  sigisbée  commensal  du  palais.  Ceux  qu'un 
devoir  plus  pressant  appelait  auxComniissions  cardinalices  ou  à  VAii- 
dienza  du  pape,  se  hâtaient  vers  le  Vatican,  toujours  avec  cette  sage 
lenteur  que  le  Concile  de  Trente  avait  prescrite  et  qui  faisait  ressem- 
bler ces  carrosses  des  cardinaux  de  la  vieille  Home  à  ces  chariots  des 
bons  rois  fainéants  que  célébra  l'histoire  des  anciens  Ages.  Et  quand, 
sous  l'implacable  soleil  de  Kome,  ces  Eminentissiml  api>araissaient 
en  carrosses  dorés  ou  eu  parasols  écarlates  sur  celte  immense  Place 
de  Saint-Pierre  qui  dormait  dans  son  brasillement  de  gigantesque 


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APPENDICE 


S.  S.  ^irégoire  XVI 


.-alcôve  toute  close,  entre  sa  colonnade  de  travertin  brûlant;  rien 
n'égalait  le  pittoresque  de  ces  cortèges  cardinalices  allant,  à  pied 
•ou  à  chhiea,  chez  le  pape,  et  s'endorniant  eux  aussi  dans  l'ombre 
bleue  de  la  capote  ou  du  parasol,  sur  cette  vaste  Place  qui  repre- 
•nait  son  sommeil  des  vieux  siècles,  à  peine  interrou)pu  par  le  passage 
d'une  Éminence  de  ce  siècle  nouveau. 

Il  est  bon,  pour  l'intelligence  de  l'époque  qui  nous  occupe,  de  faire 
connaissance  avec  chacun  de  ces  cardinaux  auxquels,  de  IS^O  à  1830, 
en  l'espace  d'une  année  au  plus,  deux  papes  durent  leur  élection.  Et 
comme  Joachim  Pc  ci,  le  premier,  s'était  fait  le  chroniqueur  secret 
des  deux  conclavesquiélurent  successivement  Pie  VIII  et  Grégoire  XVI, 
41  nous  plaît  de  commenter  les  lettres  déjà  lues  de  noire  jeune  prélat 
(1),  avec  les  pages  suivantesqui  composeront  V Appendice  qu'on  valire. 
Nous  les  amplifierons  ensuile  du  nom  de  leur  auteur,  un  autre  tin 
■codbio,  de  la  race  de  ces  diaristes  anonymes  qui,  fréquentant  les 
cardinaux  en  secrétaires  ou  en  amis,  pouvaient,  mieux  que  personne, 
-en  dire  tout  le  mal  qu'on  en  sait  et  tout  le  bien  qu'on  en  ignore. 

{!)  La  Jeunesse  de  Léon  XIII ^  pa,'cs  249  et  suiv. 


APPENDICE 


Nous  ne  saurions  mieux  compléter  les  notes  secrètes  du  Journal  d'un 
Conclave^  connnuniquées  par  Chateaubriand  au  cabinet  de  (^hailcs  X, 
(ju'en  les  commentant  avec  les  documents  suivants  qui  parvinrent  au 
ministère  des  Affaires  Étrangères  pendant  ce  même  Conclave  qui  finit 
par  élire  Pie  Vlll,  en  la  personne  du  cardinal  Casliglioni.  Ces  notes  se- 
crètes sont  onservées  aux  Archives  du  (Juai  d'Orsay.  Nous  les  insérons 
ici,  d'autant  plus  opportunément,  qu'elles  peuvent  servir  aussi  de  com- 
mentaire au  Conclave  suivant  où,  20  mois  après  le  précédent,  les  mêmes 
cardinaux  à  peu  près  furent  appelés  à  élire  Grégoire  XVI  en  la  |  ersonnc 
de  l'éminence  Mauro  Capellari. 


CARDINAUX    ROMAINS 

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1'^    CLASSE 

NARO,  Romain,  cardinal-prèlre,  âgé  de  (juatre-vingt-qualre  ans,  dont 
douze  de  cardinalat.  Il  est  [)résident  de  la  Congrégation  de  la  Discipline 
régulière  et  membre  de  trois  autres  Congrégations. 

Ces  Congrégations  sont  des  conseils  hautement  et  immémorialement 
accrédités  et  elles  forment  la  base  fondamentale  de  la  Constitution  admi- 
nistrative du  Gouvernement  temporel  et  spirituel  de  l'Église.  L'autorité 
du  Saint  Siège  sur  tous  les  diocèses  et  sur  tous  les  États  de  la  catholicité 
repose  sur  l'uniformité  des  principes  dont  la  tradition  a  été  transmise 


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Al'PKNDICE 


s.  s.  Gré^'oire  XVI 

alcove  toute  close,  entre  sa  eoloniiade  de  travertin  brûlant;  rien 
n'égalait  le  pittores(jue  de  ces  cortèges  cardinalices  allant,  à  pie<l 
on  à  ckinea,  chez  le  pape,  et  s'endormant  eux  aussi  dans  l'ombre 
bleue  de  la  capote  on  du  parasol,  sur  celte  vaste  Place  (pii  repre- 
nait son  sommeil  des  vieux  siècles,  à  peine  interrompu  par  le  passage 
d'une  fjninence  de  ce  siècle  nouveau. 

Il  est  bon,  pour  I  intelligence  de  l'époque  (pii  nous  occupe,  de  faire 
connaissance  avec  chacun  de  ces  cardinaux  auxcpiels,  de  1840  à  18/îO, 
en  l'espace  d'une  année  au  plus,  deux  papes  durent  leur  élection.  Kt 
comme  Joacbim  Pc  ci,  le  premier,  s'était  lait  le  cbrouiqiH'ur  secret 
desdeux  eonclavcscjuiéluicnt  successivement  INe  VllIcKirégoire  Wl, 
il  nous  plaît  de  commenter  les  lettres  déjà  lues  de  noire  jeune  piélal 
(l),  avec  les  pages  suivantes  qui  composeront  lAppentUce  i\uon\d\\rc. 
Nous  les  amplitierons  ensuile  du  nom  de  leur  auteur,  un  autre  lin 
codino,  de  la  race  de  ces  diaristes  anonymes  qui,  tVécpienlant  les 
cardinaux  eu  secrétaires  ou  en  amis,  pouvaient,  mieux  (pie  |»ersonne, 
en  dire  tout  le  mal  qu'on  en  sait  et  tout  le  bien  qu'on  eu  ignore. 

(1)  La  Jeûneuse  de  Léon  XIII,  pa.,'ts  ii49  et  suiv. 


APPENDIGi: 


Nous  ne  saurioui  mieux  compléter  les  notes  secrètes  du  Journal  d'un 
Conclave,  conmumi(|uées  par  (llialeaubriand  au  cabinet  de  Chai  les  X, 
(pi'en  les  commentant  avec  les  documents  suivants  qui  parvinrent  au 
ministère  des  AlVaires  {{trangères  peiidanl  ce  même  Conclave  (jui  linit 
par  élire  l'ie  VIII,  en  la  pers(»nne  du  cardinal  Casliglioni.  Ces  notes  se- 
crètes sont  c  juservées  aux  Archives  du  Ouai  d'Orsay.  Nous  les  insérons 
ici,  d'autant  plus  opportunément,  c|u*elles  [)euvent  servir  aussi  de  com- 
mentaire au  Conclave  suivant  où,  '2(1  mois  après  le  précédent,  les  mêmes, 
cardinaux  à  peu  près  l'urenl  appelés  à  élire  Grégoire  XVI  en  la  |  ersoiine 
de  l'éminence  Mauro  Capellari. 


CARDINAUX    ROMAINS 


r*^    CLASSE 


NARO,  Romain,  cardinal-prétre,  âgé  de  (juatre-vingt-cpiatre  ans,  dont 
douze  de  cardinalat.  Il  Cit  président  de  la  Congrégation  de  la  Discipline 
régulière  et  membre  de  trois  autres  Congrégations. 

Ces  Coniiré^ations  sont  des  conseils  hautement  et  iunnémorialement 
accrédités  et  elles  forment  la  base  fondamentale  de  la  Constitution  admi- 
nistrative du  Gouvernement  temporel  et  spirituel  de  l'Église.  L'autorité 
du  Saint  Siège  sur  tous  les  diocèses  et  sur  tous  les  Ktats  de  la  catholicité 
repose  sur  l'uniformité  des  principes  dont  la  tradition  a  été  transmise 


AOô 


LA   PRÉLATLRE   DE   LÉO.N    XIII. 


de  siècle  en  siècle  et  dont  le  dépôt  est  prrcieusenicnt  conservé  dans  ces 
Conseils,  dans  tous  les  recours  à  l'autorité  du  Saint  Siège.  Leurs  maximes, 
leurs  principes  et  leurs  précédents  ont  servi  souvent,  et  serviront  tou- 
jours de  règle  au\  décisions  pontificales.  Le  travail  de  ces  Congrégations 
est  l'occupation  principale  de  la  vie  des  cardinaux.  C'est  par  elle  qu'ils 
participent,  soit  à  l'administration  des  Ktats  romains,  soit  au  gouverne- 
ment de  l'Kglise;  c'est  là  (ju'ils  ac(|uièrent  les  connaissances  (jui  leur 
sont  nécessaires  pour  l'accomplissement  des  devoirs  (ju'ils  ont  à  remplir, 
et  qu'ils  obtiennent  le  crédit  qui,  à  l'époque  des  élections,  les  recom- 
mande aux  suffrages  de  leurs  collègues. 

On  compte  à  Rome  vingt  Congrégations,  dont  trois  seulement  ont  pour 
objet  le  gouvernement  temporel  des  États  romains.  Les  princi[»ales  sont 
celles  qui  portent  le  nom  de  Buon  Governo  et  de  la  Consulta.  L'aggré- 
^gation  d'un  cardinal  à  ces  deux  Conseils  doit  être  l'objet  d'une  attention 
toute  particulière,  en  ce  qu'on  peut  y  voir  des  indices  des  dispositions 
personnelles  des  cardinaux,  considérés  comme  électeurs,  et  de  leurs 
4itres,  si  on  les  considère  comme  éligibles. 

Le  cardinal  Naro  a  été  majordome  de  la  Cour  pontificale  et,  :i  ce  titre, 
il  donna,  en  1814,  une  preuve  de  zèle,  ([ui  n'était  recommandable  que 
•par  son  motif.  Le  Gouvernement  français  avait  mis  quelques  soins  à 
embellir  le  palais  du  Saint  Père.  Un  grand  nombre  de  tableaux  dégradés 
•et  perdus  avaient  été  remplacés  par  de  fort  belles  peintures.  Le  cardinal 
majordome  donna  ordre,  non  de  les  enlever  mais  de  les  détruire,  et  tous 
Jes  ornements  de  goiit  qui  enricliissaient  les  parties  accessoires  des 
grandes  décorations  furent  frappées  de  la  même  proscription..  Le  pape 
lut  heureusement  averti  à  temps  et  il  s'enq)ressa  de  faire  révoquer  cette 
décision.  Ce  cardinal  n'en  est  [)as  moins  un  bomme  d'un  caractère  aima- 
ble et  doux.  Comme  électeur,  il  a  perdu  la  direction  ipi'il  était  dans  les 
habitudes  et  dans  sa  disposition  de  suivre  par  la  mort  du  cardinal  Con- 
salvi  à  qui  il  était  redevable  de  son  élévation.  Comme  éligible,  il  est 
sans  aucun  titre  personnel,  par  la  médiocrité  reconnue  de  ses  talents; 
^t  un  usage,  dt^à  presqu'invétéré,  lui  a  fait  un  litre  négatif  et  d'exclu- 
sion du  rang  très  élevé  que  sa  famille  occupe  à  Rome.  Si  la  singularité 
•de  cet  usage  en  faisait  chercher  les  motifs,  on  les  trouverait  dans  les 
dangers  et  les  scandales  du  népotisme. 

Ce  pays,  en  effet,  est  celui  des  souvenirs  et  on  n'a  pas  oublié  à  Rome 
que,  dans  l'intervalle  du  pontificat  de  Clément  YlIIà  celui  d'Imiocent  II, 
jjériode  de  49  ans,  le  népotisme  coula  27  millions  d'écus  d'or  au  (Gou- 
vernement pontifical;  il  n'est  plus  aujourd'hui  assez  riche  pour  suppor- 
ter la  charge  du  renouvellement  d'un  aussi  dispendieux  abus. 


î 


APPENDICE. 


407 


Toutefois,  il  faut  obsener  que,  malgré  sa  nullité,  ce  cardinal  n'a  pas 
renoncé  à  loule  prétention  de  s'élever  au  trône  pontifical;  mais  en  mê- 
lant sans  prudence  les  procédés  qui  sont  propres  à  la  Papegiature  à  la 
manifesUilion  de  ses  prétentions  à  la  candidature  du  pontificat,  il  sera 
un  objet  de  ridicule  dans  le  conclave  et  il  n'aura  de  succès,  ni  à  titre  de 
Papegiante,  ni  à  celui  de  Papabile. 

hORlA,  Romain,  âgé  de  cinquante-six  ans.  Cardinal-prêtre,  il  a 
douze  ans  de  cardinalat;  il  est  président  de  la  Congrégation  dos  Indul- 
gences et  de  cinq  autres.  Je  ne  cite,  ni  pour  lui,  ni  pour  celui  qui  le 
précède,  le  titre  de  protecteur  des  villes  de  l'État  de  Rome  et  d'une 
foule  de  confréries  d'ordres  et  d'églises;  ces  titres  ne  recommandent  per- 
sonne. Ce  cardinal  est  pieux,  aimable  et  doux;  trop  remarqué  au 
temps  de  son  exil  par  sa  taille  d'enfant  et  l'éclat  perçant  de  sa  voi\ 
féminine,  il  [»rouva  alors,  par  la  constance  de  son  attachement  au  pape 
Pie  Vil  dont  il  partagea  pieusement  toutes  les  peines,  que  son  caractère 
élait  celui  d'un  homme.  Le  cardinal  Joseph  Doria,  son  oncle,  était  attaché 
à  la  France,  et  celui-ci  paraît  avoir  hérité  de  ses  sentiments.  Son  attache- 
ment est  toutefois  pour  la  Cour  de  Sardaigne  ;  mais,  si  les  inspirations 
de  la  Cour  de  Sardaigne  étaient  en  opposition  avec  celles  du  gouverne- 
ment du  Roi,  on  pense  qu'il  hésiterait  sur  le  choix.  Sa  haute  naissance, 
sa  faible  santé  et  la  modération  de  son  caractère  l'éloignent  de  toute 
idée  d'aspirer  au  pontificat. 

DANDLM,  Romain,  cardinal-prêtre,  âgé  de  soixante-neuf  ans  dont 
six  de  cardinalat,  et  membre  de  cinq  Congrégations. 

C'est  pour  ses  services  dans  une  place  secondaire  de  la  Congrégation 
de  Buon  Governo^  qu'il  est  parvenu  au  cardinalat.  A  défaut  d'indices 
qu'on  puisse  tirer  de  ses  talents  ([ui  sont  médiocres,  de  ses  liaisons  (jui 
-sont  nulles,  de  son  caractère  qui  est  celui  de  tout  homme  sans  renom- 
mée; celui-ci  peut  faire  augurer,  qu'au  Conclave,  il  suivra  le  cours  des 
habitudes  de  subordination  qui  ont  dirigé  sa  conduite  dans  les  fonctions 
qu'il  a  remplies  quand  il  servait  en  sous-ordre,  avant  sa  nomination  dans 
la  Congrégation  du  Ruon  Governo;  mais  son  caractère  le  préservera  tou- 
jours de  toute  influence  passionnée. 

ODESCALCHl,  Romain,  âgé  de  quarante-quatre  ans,  dont  six  de  car- 
dinalat, cardinal-prêtre,  membre  de  quatre  Congrégations. 

Il  était  ar(hevê(|ue  de  Ferrare,  province  romaine  où  sa  famille  est 
fort  accréditée  depuis  qu'un  Odescalchi  passa  de  la  Légation  de  Ferrare 


408 


LA    PRÉLATÏJRE    DE    LÉON   XIU. 


APPENDICE. 


400 


au  Pontificat,  sous  le  nom  d'Innocent  XI  ;  son  règne  fut  cclèh'ro  par 
l'éclat  des  querelles  qui  divisèrent  le  Saint  Siège  et  la  Cour  de  Francis  à 
l'occasion  de  la  Régale,  du  Jansénisme  et  des  Francliisos.  La  haine  d'In- 
nocent XI  pour  la  France  n'a  pas  été  transmise  à  ses  neveux  ;  cependant 
il  en  est  resté  des  dispositions  constantes  à  préférer  les  relations  autri- 
chiennes aux  relations  françaises.  Ici  cette  tendance  se  trouve  fortifiée 
par  des  liens  qui  attachent  à  rAulrichc  son  frère,  qui  est  sujet  de 
cette  puissance,  en  qualité  de  primat  de  Hongrie.  Le  cardinal  Odescalchi 
a  été  juge  de  la  Ilote,  de  la  nomination  de  l'Autriche;  car  il  est  à  ohser- 
ver  que  les  autres  couronnes  n'ont  pour  la  formation  de  ce  trihunal  cpie 
la  présentation  et  que  celle  de  la  Cour  de  Vienne  emporte  de  droit  la 
nomination.  On  doit  donc  compter  cet  électeur  parmi  ceux  dont  le  suf- 
frage sera  à  la  disposition  de  cette  Cour. 

Le  cardinal  Odescalchi  est,  d'ailleurs,  un  honmie  d'une  grande  douceur 
et  d'une  extrême  simplicité.  Il  a  de  rinstruclion,  de  l\  grâce,  de  la 
facilité  dans  le  discours.  Le  trait  le  plus  remanjuahlc  de  son  caractère 
est  un  irrésistihle  entraînement  aux  impressions  que  ses  entours,  quels 
qu'ils  soient,  réussissent  trop  facilement  à  lui  donner. 

ALBAM,  Ronjain,  âgé  de  72  ans,  dont  27  de  cardinalat  ;  il  n'est  que 
cardinal-diacre  et  n'a  pas  même  reçu  l'ordre  du  sous-diaconat.  Ce  cardi- 
nal ne  dissimule  rien.  11  est  fier,  magnifique  et  solennellement  amhitieux. 
Il  ne  craindra  |)as  de  faire  entendre  qu'il  aspire  pour  la  dernière  fois  à 
la  tiare,  déterminé  peut-être,  malgré  son  âge,  à  s'engager  dans  des  liens 
plus  conformes  à  ses  penchants,  en  renonçant  à  sa  dignité  s'il  n'ohlient 
pas  enfin  le  hut  depuis  longtemps  avoué  de  son  amhition.  Le  cardinal 
Alhani  est  président  de  la  Congrégation  du  Buon  Governo  et  membre  de 
six  autres  Congrégations;  il  a  fait  preuve  de  capacités  dans  tout  ce  qui  se 
rapporte,  soit  à  l'administration,  soit  à  la  politique,  ce  qui  ne  l'empêche 
pas  d'être  en  opposition  [)resque  toujours  constante  avec  le  Gouverne- 
ment Pontifical.  En  ce  point  il  fait  exception.  Le  crédit  de  sa  famille  à 
Rome  est  le  seul  titre  qui  l'ait  fait  admettre  dans  les  Conseils  du  Couver- 
nement,  et  il  faut  croire  que  ce  titre  était  irrécusable. 

Le  cardinal  Albani  est  homme  d'esprit,  grand  seigneur  par  ses  iroî^ts, 
par  ses  mœurs  et  dans  ses  manières.  Allié  à  la  maison  d'Autriche,  sa 
haute  naissance  et  la  notoriété  de  sa  dépendance  d'une  Cour  qui,  de  tout 
temps,  a  causé  tant  d'ombrage  en  Italie,  sont  des  titres  d'exclusion  qui 
suffiraient  pour  démentir  ses  espérances,  lors  même  que  son  orgueil, 
son  avarice  et  ses  mœurs  trop  peu  ecclésiastiques  ne  seraient  pas,  pour 
le  plus  grand  nombre  des  électeurs,  de  suffisants  motifs  pour  lui  reluser 


leurs  suffrages.  Cependant,  si  comme  éligible  il  ne  peut  inspirer  aucune 
crainte,  comme  électeur  il  s'est  fait  des  droits  à  de  grands  ménagements 
de  la  part  des  chefs  de  toutes  les  factions.  Ses  qualités,  ses  défauts,  et 
même  ses  vices,  lui  fournissent  des  armes  jmur  l'attaque  et  pour  la 
défense  ;  et  il  ne  jieut  être  qu'utile  de  le  rechercher  comme  auxiliaire,  et 
dangereux  de  l'avoir  pur  ennemi. 

Le  cardinal  Albani  a  été  cardinal  rouge,  étant  alors  Allemand  et  Fran- 
çais a  la  manière  du  temps  ;  mais  il  ne  faut  pas  croire  que  la  Providence, 
en  di>posant  de  la  France,  selon  les  vœux  des  cardinaux  noirs,  et  contre 
le  gré  des  cardinaux  rouges,  ait  fait  de  ceux-ci  les  ennemis  de  la  France. 
La  courageuse  oppsition  des  cardinaux  noirs  aux  vues  du  Gouverne- 
ment impérial  n'était  j)as  une  marque  d'éloignement  pour  la  France;  et 
(juant  aux  cardinaux  rouges,  les  amis,  les  serviteurs  d'un  Gouvernement 
«|ui  devrait  finir,  ne  demandent  qu'à  être  pardonnes;  et  je  crois  que  la 
prudence  fait  une  loi,  au  gouvernement  royal,  d'épargner,  par  un  entier 
oubli,  jusqu'à  la  mortification  de  l'indulgence  qu'ils  soUicitent. 

PACCA,  René ven tin,  âgé  de  72  ans  dont  27  de  cardinalat,  cardinal- 
évêque.  Il  est  sous  doyen  du  Sacré-Collège,  chancelier  général  de  l'Archi- 
Gymnase  romain.  Président  de  deux  congrégations,  il  protège,  ainsi  que 
les  précédents,  une  foule  de  villes,  de  congrégations  et  de  monastères. 

Toutes  les  dignités,  toutes  les  marques  de  la  fliveur  pontificale  ont  été 
accumulées  sur  sa  tête  ;  promu  à  toutes  les  places  du  Gouvernement  inté- 
rieur, il  a  été  de  plus  i.once  à  Cologne  et  en  Portugal.  Aucun  cardinal 
ne  jouit  d'une  plus  haute  réputation  de  piété,  de  bonté  et  de  vertu. 
Juste,  doux,  bienfaisant,  dégagé  de  tout  ressentiment  et  d'une  simplicité 
si  désintéressée,  qu'il  ignore  encore  la  valeur  des  monnaies  qui  ont 
cours  dans  le  pays  où  il  réside  et  même  à  Rome  ;  il  a  cependant  de 
l'aptitude  pur  la  conduite  des  affaires,  et  il  en  a  acquis  une  assez  grande 
expérience;  mais,  soit  timidité  de  caractère,  soit  peu  d'étendue  d'esprit, 
il  est  irrésolu  et  incapable  d'une  grande  et  forte  resolution.  Par.de  sages 
conseils  et  d'habiles  ministres,  il  serait  un  bon  prince  et  un  pape  respec- 
table ;  mais  il  a  un  neveu  dont  le  caractère  est  un  objet  d'effroi,  Tibère 
Pacca,  jeune  prélat  qui,  dans  diverses  délégations  et  à  Rome,  dont  il  a 
été  gouverneur,  a  montré  un  caractère  versatile  et  qui  passe  sans  nuance 
de  l'uvarice  à  la  prodigalité,  et  de  l'extrême  violence  à  une  indulgence 
excessive  et  intéressée.  La  tendresse  aveugle  de  son  oncle,  s'il  était  pape, 
mettrait  à  la  disposition  de  cette  tête  ardente  et  faible  toute  la  puissance 
pontificale;  et  il  esta  croire  que  cette  crainte  éloignera  un  grand  nombre 
de  suffrages  que  des  sentiments  de  respect  et  d'estime,  partagés  par  tous 


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410 


LA   PRÉLATURE   DE   LÉON   Xllf. 


les  membres  du  Sacn'-Collège,  assureraient  sons  doute  unanimement  à 
cet  homme  justement  diiïamé.  Mais  si  le  cardinal  Pacca  n'est  pas  élu,  il 
aura  une  part  1res  active  aux  mesures  qui  de'termineronl  réleclion.  11 
est,  de  tous  les  cardinaux,  celui  dont  l'attachement  pour  la  Trance  doit 
être  le  moins  mis  en  doute. 


GALETTI,  né  à  Césène,  âgé  de  58  ans  dont  25  de  cardinalat,  évé«iue- 
président  de  la  fabrique  de  Saint-Pierre,  membre  de  six  (Congrégations, 
protecteur  d'un  nombre  inmiense  de  monastères,  de  villes,  de  congréga- 
tions bienfaisantes  et  pieuses. 

Ce  cardinal  est  modeste,  doux,  jiieux  et  savant;  il  a  une  grande 
influence  dans  la  Congrégation  dont  il  fait  partie,  mais  il  n'est  d'aucune 
Congrégation  administrative.  Il  est  un  des  théologiens  les  plus  accrédités 
du  Sacré-Collège.  Le  pape  Pie  VU  le  nonnna  fort  jeune,  parce  «ju'il  était 
parent  de  Pie  VI.  Les  notes  s'accordent  moins  sur  ses  dispositions  poli- 
tiques que  sur  celles  d'aucun  autre  cardinal.  Selon  les  uns,  il  serait  anti- 
français; selon  d'autres  il  serait,  par  les  liaisons  qu'il  a  eues  avec  le  car- 
dinal Consalvi,  Aivorablement  disposé  pour  la  France.  Sa  politesse  et  la 
grâce  de  ses  manières  font,  au  moins,  présiniicr  ([u'il  ne  sera  pas  insen- 
sible aux  prévenances  dont  nos  cardinaux,  par  suite  de  leurs  instructions, 
se  feront  sans  doute  un  devoir  envers  leurs  collègues.  Dans  tous  les  cas, 
son  caractère  garantit  qu'il  ne  donnera  pas  son  sulVrage  à  un  candidat 
qui  soit  en  rien  excessif.  Le  cardinal  Galetli  est  un  honnête  homme  et  un 
homme  aimable. 


CASTIGLIONE,  Romain  de  Cingoli,  âgé  de  67  ans  dont  12  de  cardina- 
lat, cardinal-évêque,  président  d'une  Congrégation,  mendire  de  sept 
autres,  protecteur  de  ((uelques  établissements  savants. 

Ce  cardinal  a  tout  à  coup  été  l'objet  d'une  attention  presque  générale 
et  de  la  prévoyance  la  plus  encourageante  pour  son  ambition.  On  connaît 
peu  son  aptitude  pour  les  aflaires  et  il  s'est  élevé  cependant  en  sa  faveur 
une  o|)inion  très  favorable  sur  ce  point.  Ses  mœurs  sont  pures  et  il 
n'est  étranger  ni  au  monde,  ni  aux  sciences  ecclésiastiques,  ni  aux  lettres. 
11  n'a  jamais  montré  ni  éloignement  pour  les  étrangers,  ni  attachement 
prononcé  aux  maximes  italiennes;  mais  on  ne  lui  connaît  aucune  préfé- 
rence. Dans  les  longues  vicissitudes  d'un  conclave,  cette  espèce  de  neu- 
tralité, —  quand  d'ailleurs  elle  ne  vient  ni  de  faiblesse  d'tsprit  ni  de 
manque  de  caractère,  —  si  elle  est  favorisée  par  des  circonstances  qui 
ne  manquent  jamais  de  survenir,  peut  donner  les  chances  les  plus  favo- 


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APPENDICE. 


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râbles  a  l'ambition  prudente    d'un  aspirant   assez  habile  pour  ne  la 
laisser  apercevoir  qu'au  moment  oîi  elle  peut  être  satisfaite. 

BDANCADODO,  Romain  né  à  Fermo  dont  il  est  archevêque,  âgé  de 
68  ans  dont  22  de  cardinalat,  cardinal-prêtre  membre  de  sept  Congré- 
gations. 

Sa  naissance,  ses  manières  aisées,  une  noble  figure,  un  caractère 
généreux  et  un  commencement  de  renommée  littéraire  accréditèrent  ce 
cardinal,  alors  comte-abbé,  auprès  du  pape  Pie  VI,  et  ses  dispositions 
bienveillantes  préparèrent  et  motivèrent  les  grâces  qu'il  obtint  de  son 
successeur.  Le  cardinal  Brancadoro  n'a  démenti  aucun  de  ces  titres  à  la 
faveur  des  souverains  pontifes  et  à  celle  du  public;  il  a  toujours  cultivé 
les  lettres  et  protégé  les  savants,  les  littérateurs  et  les  artistes.  Les  vicis- 
situdes de  la  vie  lui  ont  procuré  des  occasions,  encore  plus  méritoires, 
d'exercer  sa  libéralité.  Nonce  à  Bruxelles,  le  clergé  français  a  reçu  de 
lui  un  accueil  consolant  et  tous  les  secours  qu'il  était  en  son  pouvoir  de 
lui  donner.  Sous  la  persécution  impériale,  il  a  partagé  sa  fortune  avec  ses 
compagnons  d'exil,  et  aucun  d'eux  n'a  surpassé  en  constance  sa  fidélité 
a  ses  principes,  en  attachement  à  la  maison  de  Bourbon.  Ce  sentiment 
influa  encore  plus  que  le  principe  religieux  dans  la  détermination  qu'il 
prit  à  l'époque  du  mariage  de  l'archiduchesse  Marie-Louise,  et  elle  lui 
attira  une  aggravation  de  disgrâce  qu'il  soutint  avec  autant  de  courage 
(|ue  de  dignité.  Ainsi  nous  aurions  de  grands  motifs  de  désirer  que  les 
suffrages  des  cardinaux  se  jmrtent  sur  un  tel  candidat. 

L'élection  des  papes  est,  en  Italie,  un  fiiit  hautement  historique  et  qui 
occupe  les  esprits,  longtemps  avant  l'événement.  La  promotion  au  cardi- 
nalat dans  le  lieu  de  la  résidence  ou  de  la  naissance  du  prélat  honoré 
de  la  pourpre  en  reçoit  une  grande  in)porlance,  et  il  n'est  pas  rare  qu'elle 
y  suscite  des  présages  qui,  en  acquérant  de  la  publicité,  peuvent  par  la 
suite  n'être  pas  sans  influence  sur  sa  destinée.  Le  cardinal  Brancadoro  est 
un  de  ceux  qui  ont  ce  qu'on  a[)pelle  une  prédiction.  Elle  est  positive  et 
tellement  précise,  qu'elle  marque  jusqu'à  l'époque  et  la  durée  du  Pontifi- 
cat annoncé.  On  dit  même  qu'il  y  a  des  circonstances  préparatoires  qui 
ont  déjà  été  accomplies.  D'après  ce  que  j'ai  dit  de  ce  candidat  et  que  je 
viens  d'exposer,  je  me  plaisais  à  désirer,  à  espérer  l'entier  accomplisî^e- 
ment  de  sa  prophétie.  Malheureusement,  je  trouve  dans  une  dernière 
information,  qui  m'est  récemment  parvenue,  que  sa  santé  est  singuliè- 
rement altérée,  qu'une  disposition  apoplectique  ne  lui  permet  pas  de 
conq)ter  sur  une  longue  vie,  qu'il  est  même  complètement  aveugle  et 
qu'il  est  douteux  que  cet  état  chancelant  et  souffrant  lui  permette  d'assis- 


'j^-^C. 


412 


LA   PRÉLATLRE    DE   LÉON    XIIL 


ter  au  Conclave.  C'est  donc  un  nom  de  moins  dans  le  catalcj^^ue  des 
papahiliy  et  nulle  Puissance  ne  doit  en  avoir  plus  de  regret  que  la 
France. 

BERTAZZOLI,  Romain  de  Soligno,  Age'  de  74  ans  dont  6  de  cardinalat  ; 
cardinal-prêtre,  membre  de  quatre  Congrégations. 

Ses  connaisances  ecclésiastiques,  sa  piété,  ses  vertus  modestes  et  ses 
services  méritoires  dans  le  charitable  ollice  de  l'aumônerie,  ont  été  les 
titres  qui  l'ont  lait  parvenir  au  cardinalat.  Dégagé  de  toute  ambition  per- 
sonnelle et  n'ayant  eu  occasion  de  former  aucune  liaison  ou  d'exercer  et 
de  faire  connaître  son  caractère,  on  ne  peut  rien  augurer  de  lui,  si  ce 
n'est  qu'il  cédera  à  l'impulsion  de  ceux  qui  prendront  les  meilleurs 
moyens  d'acquérir  quelque  inllucnce  sur  son  esprit. 

FALSACAPPA,  Romain  de  Corneto,  évéque  d'Ancône  et  d'Unano,  Agé 
de  61  ans  dont  6  de  cardinalat;  cardinal-prétre,  membre  de  quatre  Con- 
grégations dont  une  administrative. 

Ce  cardinal  est  ambitieux,  instruit  et  entreprenant.  On  le  croit  moins 
capable  de  suivre  un  plan  arrêté,  qu'ardent  à  le  concevoir  et  à  le  faire 
adopter.  Les  factions  chercheront  à  s'emparer  de  lui  et  il  cherchera  à 
maîtriser  celle  qui  réussira  à  rinscrire  dans  ses  rangs.  Il  est  du  petit 
nombre  de  ceux  qui,  dans  le  cours  de  la  durée  d'un  conclave,  ne  doivent 
jamais  être  perdus  de  vue. 

SPINUCCl,  Romain  de  Fermo,  Agé  de  89  ans  dont  12  de  cardinalat; 
cardinaUprélre,  membre  de  quatre  Congrégations. 

Il  est  inutile  de  dire  autre  chose  de  ce  cardinal,  sinon  qu'il  est  hors 
d'état  par  son  âge  et  ses  inlirmités  d'assister  au  Conclave. 

PALOTTA,  Romain  de  Ferrare,  âgé  de  58  ans  dont  0  de  cardinalat; 
cardinal-prétre,  membre  de  4  Congrégations  dont  une  administrative. 

Dans  les  notes  du  cardinal  de  Bernis,  rédigées  en  1782,  on  trouve  un 
cardinal  de  ce  nom,  qui  y  est  peint  sous  les  plus  favorables  couleurs  et 
qu'on  regardait  comme  un  des  candidats  les  plus  plausiblement  capables 
du  Sacré-Collège.  Il  n'en  est  pas  ainsi  de  celui  qui  se  trouve  aujourd'hui 
sur  la  liste  des  cardinaux,  et  qui  probablement  est  le  neveu  du  premier. 
La  singularité,  la  raideur,  la  violence  de  son  caractère,  l'éloigneront  de 
toute  idée,  de  tout  espoir  de  promotion  ;  et  ses  défauts  sont  notoirement 
portés  à  un  tel  degré,  que  son  concours  à  des  vues  qui  ne  seraient  pas 
les  siennes,  ne  sera  recherché  de  personne  par  la  certitude  où  l'on  est 


APPENDICE. 


415 


de  l'inutilité  des  démarches  qu'on  ferait  pour  se  l'acquérir.  Il  dédaignera 
de  s'associer  à  aucune  faction,  mais  il  les  contrariera  toutes;  et  si  l'on 
a  à  s'occuper  des  rapports  qu'on  sera  dans  la  nécessité  d'avoir  avec  ce 
cardinal,  ce  ne  doit  être  que  dans  des  vues  offensives.  La  nomination 
du  prélat  Palolta  au  cardinalat,  sous  le  gouvernement  d'un  pape  tel  que 
Pie  Vil,  a  été  à  Rome  un  grand  sujet  de  surprise. 

Ce  cardinal  est  peut-être  le  seul  qui  défende,  à  Rome,  ouvertement  et 
avec  chaleur,  toutes  les  maximes  sans  exception  de  l'ancienne  Église 
romaine.  Il  est,  de  plus,  zélé  protecteur  et  grand  admirateur  des  institu- 
tions monastiques. 


CARDINAUX 

DE     I.A     NOMINATION     DE     LÉON     Xîl 

Jean-Raptiste  BUSSI,  cardinal  romain  de  la  nomination  de  Léon  XII, 
Agé  de  74  ans,  évê(iuc  de  Bénévent,  de  la  Congrégation  du  Bon  Gouver- 
nement et  de  quatre  autres  Congrégations.  Ce  cardinal  est  parvenu  par 
le  Rote,  genre  de  candidature  qui  ne  constate  que  de  médiocres  talents. 
Il  est  boiteux,  et  cette  indication,  toute  triviale  qu'elle  est,  n'est  pas 
sans  importance  dans  l'objet  de  ce  travail  ;  toute  espèce  de  difformité 
corporelle  et  le  défaut  même  de  grâce  étant  à  Rome  un  titre  positif 
d'exclusion  pour  la  candidature  pontificide.  Le  cardinal  Bussi  est 
zelanle,  dans  le  sens  de  l'intérêt  fiscal,  pour  le  trésor  de  l'Etat  et  per- 
sonnel pour  les  appointements  attribués  à  la  gérance  des  établissements 
qui  se  partagent  l'administration  du  gouvernement  spirituel  et  tem- 
porel de  l'Eglise.  La  plujiart  des  cardinaux  ({ui  sont  sans  naissance  ei 
sans  fortune,  ne  sont  zelanti  que  dans  cet  intérêt  et  la  politique  de 
toutes  les  Puissances  doit  peu  s'inquiéter  de  leur  influence. 

Louis  MICARA,  cardinal  de  Léon  XII,  Agé  de  74  ans,  président  de  la 
députa tion  des  conservatoires  de  Rome  et  membre  de  six  Congrégations. 

Son  origine  est  plébéienne.  Il  est  parvenu  au  cardinalat  par  sa  répu- 
tation de  savoir  et  ses  talents  pour  la  chaire  ;  il  est  grand  partisan  de 
réformes,  et  à  ce  titre  zelante  politique,  ardent  et  hostile.  Son  frère, 
depuis  longtemps  domestique  de  Lucien  Bonaparte,  est  encore  concierge 
de  la  Villa  Ruffanella  ;  il  en  montre  encore  les  appartements  et  reçoit  la 
buona  manda  des  voyageurs  qui  ont  la  curiosité  de  les  voir. 


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4U 


LA    PRÉLATURE    DE   LÉON   XIII. 


APPENDICE. 


Jacques  GUISTINIANI,  cardinal  de  Léon  XII,  évêque  d'Imola,  membre 
de  cinq  Congrégations  dont  aucune  n'est  administrative. 

Ce  cardinal  est  frère  du  prince  du  même  nom,  qui  fut  ambassadeur 
de  la  République  romaine  auprès  du  Directoire,  et  (jui  acquit  quelque 
crédit  auprès  de  ce  Gouvernement  par  ses  sentiments,  par  sa  libéralité 
et  par  une  magniticence  qui  fut  cause  de  la  perte  de  sa  fortune  et  de  celle 
de  sa  maison.  Ses  frères,  par  un  noble  sentiment  de  confiance,  n'avaient 
point  fait  de  partage  ;  ils  lui  avaient  même  confié  les  biens  qu'ils 
avaient  en  propre.  Tout  a  été  englouti  dans  la  même  ruine. 

Ce  cardinal  est  un  liomme  recommandable  par  sa  parfaite  probité, 
par  la  douceur  de  ses  mœurs  et  par  la  politesse  de  ses  manières.  Dans 
sa  nonciature  dEspagne,  il  a  donné  ouvertement  l'appui  de  son  crédit 
et  celui  de  son  office  a  toutes  les  rigueurs  de  l'absolutisme  espagnol, 
attaché  comme  il  l'est  par  principe  et  par  goiit,  moins  à  la  personne  de 
Ferdinand  VII  qu'au  système  politique  que  ce  prince  a  cru  devoir 
adopter.  En  ce  point,  toutefois,  il  a  moins  suivi  la  pente  de  son  caractère 
qu'il  n'a  cédé  aux  suggestions  de  son  secrétaire  Cadolini,  homme  fin, 
délié,  qui  a  de  grandes  et  longues  vues,  et  qui,  à  la  faveur  du  titre  de 
papabilcy  que  personne  ne  conteste  à  son  patron,  parviendra  dans  peu 
d'années  à  s'élever  au-dessus  de  son  humble  sphère  et  portera  proba- 
blement, un  jour,  sur  le  Sacré-Collège,  l'influence  qu'il  exerce  sur  son 
maître.  C'est  à  cet  agent  subalterne  que  le  cardinal  Cuistiniani  doit 
l'espèce  d'éclat  qu'a  eu  sa  nonciature  à  Madrid.  S'il  devient  pape,  c'est 
encore  à  lui  qu'il  en  sera  redevable. 

Ce  cardinal  est  ami  de  la  France. 


415 


Vincent MACCH1,  cardinal  de  Léon  XII,  Agé  de  59  ans,  de  la  Congréga- 
tion du  Buon  Governo  et  de  trois  autres  Congrégations.  Sa  nonciature 
en  France  a  fait  assez  connaître  la  iincsse  de  son  esprit,  ses  mœurs 
douces  et  polies  et  la  prudente  réserve  de  son  caractère.  Il  n'a  pas 
encore  pris  une  assiette  bien  fixe  à  Rome;  on  le  suppose  ami  de  la 
France,  et  à  ce  litre,  qu'il  évite  cependant  d'avouer,  il  a  la  confiance  des 
uns,  et  il  est  l'objet  de  la  défiance  des  autres.  11  ne  ptuit  encore  aspirer 
à  la  Papauté,  mais  il  se  gardera  de  se  placer  dans  la  catégorie  des 
papegiand.  Il  n'aspirera  pas  à  être  chef  de  faction,  mais  il  sera  un 
sous-chef  habilement  actif  et  fort  utile  à  la  faclion  qu'il  lui  plaira 
d'adopter. 

Thomas  BERNETTI,  cardinal  de  Léon  XII  et  son  dernier  Secrétaire 
d'Etat  apK's  la  destitution  du  cardinal  La  Somaglia.   Agé  de  50  ans. 


membre  de  cinq  Congrégations,  il  a  été  légat  apostolique  à  Ravenne  et 
gouverneur  de  Rome.  Il  est  entré  dans  les  affaires  par  la  fraction  jésui- 
tique de  la  faction  des  zelanli,  et  cette  particularité  expli([ue  le  genre 
d'impopularité  qui  s'attache  à  la  mémoire  de  Léon  XII.  Il  semblerait, 
en  effet,  que  ce  pontife,  qui  a  plutôt  réprimé  que  servi  les  vues  de  cet 
Ordre,  liors  de  ses  Etats,  a  cru  devoir,  pour  des  motifs  purement  per- 
sonnels, servir  ces  mêmes  vues  à  Rome  ;  et  l'on  va  jusqu'à  dire  que  sa 
mort,  si  pronqite  et  si  inattendue,  a  été  une  conséquence  de  ce  système. 
Je  renvoie  pour  les  renseignements  qui  peuvent  autoriser  un  aussi 
horrible  soupçon  à  ce  qui  est  écrit  à  la  fin  de  l'article  du  cardinal 
délia  Somaglia.... 

Le  cardinal  Rornetti  est  anti-autrichien  et  il  assure  qu'il  a  quitté, 
depuis  longtemps,  le  parti  qui  a  été  la  cause  de  son  élévation.  Ce  qui 
vient  d'être  dit,  sur  la  mort  de  Léon  XII,  n'en  pourrait  pas  servir  de 
[ïreuve. 

Il  est  neveu  du  cardinal  Rrancadore,  et,  comme  lui,  il  est  ami 
de  la  France.  Il  portera  dans  le  prochain  Conclave  des  vues  qui  seront 
uniquement  dirigées  vers  les  intérêts  du  pays,  car  il  est  véritablement 
Romain  et  de  cœur  et  d'esprit.  Il  sera  un  sous-chef  utile  à  la  faction 
qui  aura  le  bonheur  de  le  compter  dans  ses  rangs. 

•  BENEVENUTI,  cardinal  de  Léon  XII,  âgé  de  60  ans.  11  a  été  chargé  de 
deux  légations  dans  l'absence  des  titulaires,  et  il  y  a  fait  preuve  de  fer- 
meté et  de  talent,  en  y  établissant  l'ordre  et  en  réformant  les  abus  dans 
toutes  les  administrations.  Pendant  la  tenue  du  dernier  conclave  et 
dans  l'absence  des  légats,  il  a  été  chargé  des  affaires  de  toutes  les  léga- 
tions et  les  a  gérées  avec  autant  de  sagesse  que  de  rigueur.  Quoique 
cardinal  d'une  très  récente  nomination,  il  a  été  incontestablement  classé 
parmi  les  cardinaux  papahlett. 

C'est  à  lui  (jue  le  pape  Léon  XII  doit  cette  destruction  du  brigandage 
dans  les  Etats  Romains,  qui  est  le  plus  beau  titre  de  la  gloire  de  son 
pontificat.  Nul  homme  ne  réunit  plus  que  lui  toutes  les  qualités  qui 
peuvent  promettre,  à  la  chaire  de  saint  Pierre,  un  bon  et  même  un 
grand  Pape.  Comme  tous  les  cardinaux  italiens,  il  est  zelanle;  mais 
dans  cette  mesure  purement  locale  qui  convient  à  un  homme  d'Etat,  le 
cardinal  Benevenuti  est  anti-autrichien  et  ami  de  la  France.  C'est  un 
homme  posé,  laborieux,  méthodique,  ferme,  habile,  poli,  parlant  volon- 
tiers et  très  bien  le  français.  Ce  dernier  trait  est  pour  nous  favorable- 
nieiil  caractéristique  ;  on  ne  parle  bien  et  avec  plaisir  que  la  langue  du 
pays  que  l'on    iine. 


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416 


LA   PRÉLATIRE    DE   LÉON   XIII. 


CRÏSTALDI,  Romain,  ancien  avocat,  bon  financier,  zelante  outré,  peu 
porté  pour  la  France,  ennemi  des  influences  étrangères,  homme  de 
secte. 

Ce  cardinal  est  d'une  Hiible  santé  et  ne  peut  aspirer  à  rien  qu'à  pro- 
longer sa  vie.  Sous  le  dernier  règne,  il  a  exercé,  avec  beaucoup  de 
rigueur,  les  fonctions  de  trésorier;  les  souvenirs  qui  en  restent  a^^sra- 
veront  pour  lui  les  conséquences  de  l'impopularité  inévitablement  iitta- 
chée  à  Rome  a  toutes  les  administrations  qui  viennent  de  Unir.  Cette 
impopularité,  au  reste,  n'est  pas  de  très  longue  durée  ;  le  mécontente- 
ment qu'incite  le  nouveau  règne  contre  celui  (fu'il  romj)lace  ne  devant 
pas  tarder  à  changer  de  but  et  à  éclater  en  regrets. 

PAPRANO,  cardinal  de  Léon  XII.  Ce  cardinal  est  né  dans  la  plus 
basse  classe  ;  il  est  fils  d'un  charcutier  de  Rome,  et  il  a  conservé  le  ton 
et  les  manières  de  son  origine.  Il  est  d'ailleurs  savant  théologien  et 
zelante  exagéré  ;  les  influences  étrangères  doivent  compter  sur  son 
ardente  et  persévérante  opposition.  Il  s'est  fait  remarquer  par  la  haine 
ouverte  qu'il  porte  à  la  noble  et  malheureuse  cause  des  (irecs. 

BARRERLM,  cardinal  de  Léon  XII.  Ce  cardinal  est  beau-frère  du 
prince  Chigi,  maréchal  du  Conclave;  c'est  le  seul  litre  par  lequel  il 
puisse  se  faire  remarquer.  H(Mireusement  pour  lui,  il  n'a  pas  plus  d'am- 
bition que  de  talent.  Il  n'aura  qu'une  voix  à  oflrir  et,  sans  être  classé  par 
les  zelante,  c'est  à  eux  (pi'eire  sera  donnée. 


CARDINAUX 

ÉTRANGERS     A     ROME     ET     AUX     ÉTATS     ROMAINS 

FIRRAO,  Napolitain,  âgé  de  n  ans,  dont  27  de  cardinalat,  cardinal- 
prétre,  membre  de  cinq  Congrégations. 

Ce  cardinal  sera  absent  du  Conclave.  Son  î\ge  le  retiendra  probable- 
ment à  Naples  où  il  réside,  et  il  me  semble  inutile  de  faire  de  lui  une 
mention  plus  étendue.  Toutefois,  j'observerai  qu'une  constitution  sèche 
et  toute  nerveuse  l'ayant  préservé  jusqu'au  moment  présent  de  toutes  les 
mfirmités  qui  accompagnent  la  vieillesse,  il  n'y  a  pas  de  motif  plausible 
pour  prévoir  le  terme  d'une  aussi  vigoureuse  caducité.  Ainsi  on  ne  le 


I 


APPKNDICE. 


417 


classera  pas  parmi  les  cardinaux  compris  sous  la  dénomination  de  Papa 
di  Tempo. 

DE  GREGORIO,  SiciHen,  âgé  de  69  ans  dont  12  de  cardinalat,  cardinal- 
prêtre,  président  d'une  Congrégation  et  membre  de  onze  autres,  toutes 
ecclésiastiques. 

Ce  cardinal  n'est  pas  un  homme  ordinaire.  D'une  naissance  peu  rele- 
vée, il  a  facilement  pris  le  ton,  les  manières  et  le  langage  du  grand 
monde;  il  aflecte  une  sorte  de  magnificence  et  il  sait  habilement  p^réve- 
nir  toute  idée,  toute  impression  de  contraste,  par  l'habitude  d'une  poli- 
tesse modeste  et  facile   qui  disi)ose  les  personnes  à  qui  son  élévation 
inattendue  a  donné  des  rapports  avec  lui  à  oublier  son  point  de  départ, 
pour  se  laisser  uniquement  charmer  par  l'éclat  de  sa  position  actuelle! 
On  n'a  aucune  opinion  arrêtée  sur  son  aptitude  aux  grandes  aff'aires,  sur 
ses  principes  administratifs,  sur  ses  idées  politiques,  sur  la  tendance  de 
ses  rapports  avec  telle  ou  telle  Puissance.  Il  peut  y  avoir  beaucoup  d'art 
à  ne  jamais  se  laisser  pénétrer  sur  tous  ces  points,  et,  en  portant  au  Con- 
clave cette  réserve  qui  lui  a  fait  une  réputation  ainsi  contestée  ou  indé- 
cise, il  s'y  trouvera  dans  une  position  qui  pourra  le  mettre  en  mesure  de 
tirer  avantage  pour  son  ambition  de  toutes  les  incertitudes  et  de  toutes 
les  éventualités  de  l'avenir.  Aucune  Hiclion,  d'abord,  ne  pensera  à  lui  et  il 
ne  j)eut  pas  compter  sur  les  premières  préférences  ;  maison  peut  dire  qu'il 
est  au  premier  rang  de  ceux  sur  qui  toutes  les  factions  jetteront  proba- 
blement les  yeux,  quand  elles  auront  inutilement  tout  tenté  pour  les  can- 
didats de  leur  choix.  Cette  chance,  qui    n'eût  point  été  sans  dangers 
dans  d'autres  temps,  n'en  a  point,  je  crois,  dans  les  circonstances  pré- 
sentes. Un  Jean  XXII,  un  Sixte  V,  ne  peuvent  plus  revivre.  Les  difficultés 
IK)litiques  et  administratives   du  période  où  nous  vivons  s'opposent  à 
tout  développement  de  vues  hardies,  de  grandes  et  audacieuses  entre- 
prises, dans  le  Souverain  qui  est  destiné  à  gouverner  les  Etats  Romains 
et  l'Eghse.  Le  cardinal  De  Gregorio  ne  peut,  d'ailleurs,  rien  cacher  de 
grand.  La  circonspection  de  son  caractère  a  pu  le  mettre  en  mesure  de 
dissimuler  ses  opinions,  ses  goûts,  ses  aff-ections  ;  mais  le  succès  d'une 
telle  dissimulation  pourrait  bien  n'être  au  fond  que  la  preuve  d'une 
complète  indifférence.  Depuis  longtemps  surchargé  de  fonctions  dans  les 
Congrégations  dont  il  fait  partie,  il  est  impossible  que  sa  modération,  si 
elle  avait  été  aft*ectée,  ne  se  fût  pas  une  fois  démentie.  Il  a  d'ailleurs,  dans 
les  temps  d'orage,  supporté  les  malheurs  comumns  avec  une  noble  rési- 
gnation, et,  au  retour  de  la  bonne  fortune,  il  paraît  avoir  cherché  à  prou- 
ver qu'il  oubliait  tout,  hors  la  bienveillance  et  les  bons  offices  dont  il 


27 


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t^-i'. 


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LA    PRfiLATrRE    f)K    LÉON   XIII 


avait  clé  l'ohjet.  Je  pense  à  son  égard  ce  que  penseront  vraisemh!al)le- 
ment  les  factions  qui  le  prendront  pour  leur  pis-aller,  et,  à  défaut  d'un 
candidat  préféré  sur  qui  je  pourrais  être  depuis  longtemps  détermine  à 
porter  mes  premiers  vœux,  le  cardinal  De  Gregorio  serait  celui  à  qui, 
en  désespoir  de  cause,  je  me  plairais  à  donner  mon  suffrage  dans  un 
scrutin  définitif. 

RÏAVIO  SFORZA,  \apolitain,  âgé  de  il  ans  dont  (î  de  cardinalat,  car- 
dinal diacre  membre  de  quatre  Congrégations  dont  une  administrative. 

Ce  jeune  cardinal  doit  son  élévation  au  crédit  de  sa  famille,  une  des 
plus  distinguées  du  royaume  de  Naples,  et  son  Age  ne  lui  ayant  pas  encore 
fourni  l'occasion  d'acquérir  d'autres  litres,  on  lui  en  fait  un  de  l'empri- 
sonnement qu'il  subit,  lors  de  l'occupation  de  la  ville  de  Naples  j)ar  les 
troupes  frîmçaises:  La  France  actuelle,  n'étant  plus  complable  de  celle 
violence,  ne  saurait  être  aujourd'liui  l'objet  de  son    ressentiment.  Sa 
douceur,  la  grâce  de  so:i  esprit  et  la  politesse  de  ses  manières,  indiquent 
les  moyens  qui  doivent  être  enqiloyés  auprès  de  lui  pour  obtenir  son 
concours.  Toutefois  ses  goûts,  ses  liaisons  et  ses  antécédents,  n'ont  pas 
donné  une  idée  fort  avantageuse  de  la  solidité  de  son  caractère  :  on  le 
croit  susceptible  de  recevoir  toutes  sortes  d'impressions  et  de  céder  seu- 
lement à  la  dernière.  Cette  donnée,  dans  un  moment  décisif,  peut  être 
utile  à  qui  saura  mettre  à  profit  la  dernière  heure  «pii  précédera  le  der- 
nier scrutin  de  l'élection. 

ARREZO,  Sicilien,  âgé  de  82  ans,  dont  hi  de  cardinalat,  cardinal 
évêque,  légat  apostolique  à  Ferrare,  évêque  de  Sabine,  membre  de  quatre 
Congrégations. 

Ce  cardinal  est  tîe  ceux  que  l'on  appelle  payables.  Il  est  riche,  libéral 
et  magnifique.  Il  a  refusé  l'archevêché  de  Païenne  pour  vivre  à  Rome  et, 
à  l'étude  du  genre  de  politique  ipii  est  spécial  à  ce  pays,  il  a  joint  celle 
de  la  politique  des  nonciatures.   Sa  mission  à  Saint-Pétersbourg  ne  fut 
|)as  heureuse,  ses  amis  diront  qu'il  peut  y  avoir  de  l'art  à  éluder  la  bien- 
veillance d'une  cour  étrangère  et  surtout  celle  d'une  telle  cour;  mais  si 
l'on  savait  à  quel  degré  d'abaissement  la  frayeur  (pi  il  conçut  des  vio- 
lences de  l'empereur  Paul  le  firent  descendre,  ils  auraient   peine  à  en 
tirer  une  plausible  apologie.   Peu  après    sa  nonciature,  la  déclaration 
de  la  Sainte-Alliance  éclata  en  Europe  et  annonça  à  la  cour  de  Rome  une 
entreprise  dont  le  succès  pouvait  devenir  pour  elle  un  aussi  juste  sujet 
d'alarme  que  la  défection  de  Henri  VIH  de  la  révolte  de  Luther.  Le  car- 
dinal Arezzo  a  pris  beaucoup  de  soin  et  avec  succès  à  se  concilier  le 


APPENDICE. 


419 


cardmal  Consalvi,  et  sa  nonciature  à  Florence  lui  a  donné  une  occasion 
de  se  mettre  dans  de  bons  rapports  avec  FAutriche.  Il  ne  nég  iCa  „ 
pour  rassurer  la  France  sur  ses  vues  qui  ne  peuvent,  au  fo^nd,  exlr 
d  ombrage  dans  aucune  Cour.  Son  caractère  a  été  exercé  par  le  é  en 
menls  et  ,1  connaît  trop  bien  l'empire  des  circonstances  poïr  rien  en  re- 
prendre  qu.  puisse  compromettre  le  repos  de  l'Europe.  Ce  cardinal  a  un 
paru  forme  de  longue  main.  Les  factions  rivales  le  repousseront  d'abord 
mais  ,1  es   possible  qu'elles  se  voient  obligées  de  se  réunir  autour  delui' 

se  conci  itr  II  e.   probable  que,  dans  ce  cas,  avec  le  consentement  de  h 
nnnonte,  d  parviendrait  à  obtenir  la  majorité  des  suffrages. 

GRAVINA,  Sicilien,  âgé  de  79  ans,  dont  12  de  cardinalat,  cardind- 
prêtre,  archevêque  de  Palerme,  membre  de  quelques  Congrég  tfo 

L  nnportance  de  ce  cardinal,  à  Rome,  ne  peut  lui  venir  que  de  sa 
nonciature  en  Es^^^gne.  Mais  qu'est-ce  aujourd'hui  que  l'import  ne   d 
1  Espagne.  Autrefois,  elle  était  du  premier  ordre.   L'Espagne  a  faTl  e 
ela.   des  Papes,  elle  les  a  élevés  et  abaissés,  elles  les  a    nrili     mm 
.os  et  emprisonnes.  Mais  aujourd'hui  quel  cardinal  peut  parlera   nude 
Lspagne,  et  quel  sera  son  langage?  On  lui  dira  :  -Au  nomde  .  ueÏ 
Kspagne  vous  présentez-vous?  l'Espagne  passée  n'est  plus,  1  e"    !^^^^^ 
présente  n  est  qu'une  expectative.  Quelle  sera  l'Espagne    La  ProvSnl 
le  sait    Quant  à  nous,  cjuant  à  l'Espagne,  il  est  i  désirer  pour  nous 
,.ur  e  e    ,K>ur  l'Eghse,  qu'elle  devienne  ce  que  la  Fiance  é!^ ^^ 
-II.  Se  cardmal  Gravma  vient  au  Conclave -ce  que  son  a^e  et  s  ! 
•nfirmites  rendent  douteux,  -  il  devrait  conformer  son  lan^a^e  etls  vu 

I    M  1VT  ,  ,  "^'^*  "^  ^""  "om  qui,  pour  avoir  été 

ItUFFO  SCILLA.  Sicilien,  âgé  de  78  ans,  donl  27  de  cardinalat   car- 
d.nal-,,j..irc.   archevêque  de  Naples.  membre  de  quatre  Congréiir 

Les  deux  l.uffo  ne  se  ressemblaient,  ni  par  leurs  qualités,  .^    eur^ 
défauts.  Le  premier,  qu,  est  mort,  était  guerrier  comn.e  Jules  I,  impéreux 
oon.n,e  Grégoire  XII  et  politique  eomn.e  Sixte  V.  Celui-c    erïïme 
...odere,  t.m.de  et  indécis;  il  a  montré  cependant  en  FranS,  TvtZ'e 
du  „.anage,  un  courage  de  résistance  qui  Ihonore  d'autant  .lus  quo, 


1  '■', 


\h 


420 


LA    PRÉLATURE    DE   LÉON    \Ilf. 


attendait  moins  de  la  douceur  de  son  caractère.  11  est  sans  litre  connne 
sans  ambition  pour  parvenir  au  Pontificat,  et,  comme  Klecteur,  il  est 
incapable  de  s'engager  dans  une  intrigue.  S'il  y  avait  au  Conclave  une 
l'action  anti-française  et  qu'elle  voulût  l'engager  dans  ses  vues,  il  l'audrait 
qu'elle  les  lui  dissimulât;  car,  bien  (|u'il  ait  souft'ert  en  France,  il  y  a 
été  l'objet  de  beaucoup  de  soins  et  c'est  le  seul  souvenir  qu'il  ai!  voulu 
garder  du  séjour  qu'il  a  été  forcé  d'y  faire. 

MOPiOZZO,  Piémontais  de  Turin,  ûgé  de  09  ans,  dont  12  de  cardi- 
nalat, cardinal-prètre,  évèque  de  Novare,  membre  de  quatre  Congré- 
gations. 

Je  trouve  dans  mes  notes  que  ce  cardinal  est  (in,  remuant,  entre- 
prenant, et  qu'il  suivra  probablement  les  directions  de  sa  Cour.  Mais 
quelles  sont  ces  directions  ?  Je  dirai  d'elles  ce  que  j'ai  dit  de  celles  de 
l'Espagne,  et  il  en  est  ainsi,  de  Naples.  Si  les  Cours  se  laissent  aller  aux 
influences  locales  et  aux  impressions  du  moment,  elles  ne  seront  que  les 
organes  des  volontés  de  l'Autricbe;  mais  si  elles  avaient  des  idées 
d'avenir,  elles  demanderaient  la  direction  de  la  France.  C'est  bien  là  ce 
que  la  connaissance  de  leurs  intérêts  et  le  sentiment  de  leur  dignité 
devraient  suggérer  à  lune  et  à  l'autre.  Malheureusement,  dans  la  posi- 
tion dépendante  où  la  fortune  les  a  placées,  il  ne  peut  être  pour  elles  ni 
acile  de  concevoir  ni  prudent  de  manifester  de  telles  vues. 

Le  cardinal  Morozzo  suivra  l'impulsion  de  son  caractère.  Ce  caractère 
aurait  du  être  éprouvé  par  des  vicissitudes.  L'a-t-il  été  avec  avantage? 
La  question  est  encore  à  résoudre,  et  sa  conduite  au  Conclave  en  donnera 
la  solution.  Homme  de  qualité  et  engagé  de  bonne  heure  dans  la  pour- 
suite des  dignités  ecclésiastiques,  le  crédit  de  sa  famille,  le  patronage  de 
sa  Cour,  des  talents  naturels  et  une  éducation  soignée,  lui  procurèrent 
un  avancement  rapide.  Nommé  d'abord  au  gouvernement  de  Pérouse, 
il  s'y  conduisit  d'abord  avec  si  peu  de  modération  qu'un  soulèvement 
excité  contre  lui  le  força  de  fuir,  et  il  n'échappa  à  l'exaspéralion  du 
peuple  qu'à  la  faveur  d'un  déguisement.  A  Civita-Vecchia,  des  torts 
d'une  autre  nature  lui  attirèrent  la  disgrâce  de  son  Gouvernement;  et 
dans  sa  nonciature  de  Florence,  sotis  la  persécution  qui  en  fut  l'objet  de 
la  part  des  agents  français,  la  légèreté,  la  versatilité  de  sa  conduite, 
n'auraient  fait  qu'ajouter  aux  causes  extérieures  de  son  discrédit  auprès 
du  Saint-Siège.  Le  cardinal  Morozzo  veut  surtout  être  archevêiiue  de 
Turin,  et  il  le  sera  si  on  nomme  un  Pape  au  choix  duquel  il  ait  ouverte- 
ment concouru.  11  se  déterminera  principalement  par  cet  intérêt;  il  n'a 
d'ailleurs  aucune  tendance,  aucune  vue,  aucune  prévention  politique. 


wjvmmK-'^t  m   mm^immm>j'.''m'x* 


APPENDICE. 


421 


Il  importe  donc  d'observer  la  marche  qu'il  suivra  au  Conclave,  de  ne 
croire  à  aucune  de  ses  déclarations,  d'éluder  ses  avances,  en  évitant 
toutefois  d'en  laisser  trop  voir  le  motif,  et  de  ne  rien  faire  surtout  pour 
l'engager  à  soi  de  trop  bonne  heure.  Cette  règle  est  bonne  à  observer,  à 
l'égard  de  tous  les  cardinaux,  par  le  peu  de  sûreté  que  l'on  trouve  à  ces 
sortes  d'engagements  ;  et  son  inconstance  bien  connue  en  rend  l'observation 
plus  nécessaire,  envers  lui  qu'envers  un  autre.  Quand  les  opérations  du 
Conclave  seront  près  de  leur  terme,  le  cardinal  Morozzo  sera  un  de  ceux 
qui  saura  mieux  pressentir  la  majorité  prédominante  (|ui  sera  près  de  se 
former,  il  ne  sera  pas  des  derniers  à  s'y  engager  ni  des  moins  habiles  à 
se  prévaloir  de  son  accession  auprès  du  candidat  heureux,  autour  de  qui 
on  verra  successivement  se  rallier  tous  les  suffrages.  Le  cardinal  Pacca, 
le  cardinal  Castiglione,  le  cardinal  Arezzo,  le  cardinal  Cappellari,  l'Au- 
triche, la  France,  n'auront  pas  eu  de  plus  fidèles,  de  plus  zélés,  de  plus 
utiles  auxiliaires  que  lui;  et  si,  à  la  suite  de  cette  exaltation,  il  devient 
archevêque  de  Turin,  le  nouveau  Pontife  s'annoncera   à  ses  yeux  sous 
les  plus  glorieux   présages.  J'ajouterai  qu'il  en  sera  ainsi   pour  tous  les 
cardinaux  qui  aspirent  aux  places  de  cardinal  Secrétaire  d'État,  de  car- 
dinal-camerlingue, de    cardinal-vicaire,    de  cardinal-grand-Pénitencier. 
de  cardinal-vici;-chancelier  de  la  Ste-Kglisc,  de  cardinal  dataire,  de  car- 
dinal-prodataire,  de  cardinal-majordome,  de  cardinal-bibliothécaire,  etc., 
etc.,  etc.  La  candidature  du  pontificat  donne  lieu  à  des  combinaisons 
assez  difficiles  à  démêler,  mais  il  faut  savoir  que  toutes  celles  que  je 
viens  d'indiquer,  —  et  je  ne  les  ai  pas  nommées  toutes,  —  sont  autant 
d'éléments  de  discordance  qui  compliquent  à  tel  point  la  grande  concur- 
rence de  la  papauté  qu'il  devient  impossible,  à  des  gens  aussi  peu  exercés 
que  les  nôtres,  de  suivre  le  fil  d'Ariane  qui  j)ourra,  dans  l'élection  ac- 
tuelle, faire  arriver  l'électeur  à  l'issue  du  dédale  inextricable  dans  lequel 
il  se  trouvera  engagé.  ' 

Ce  cardinal  sera-t-il  autrichien?  Cette  question,  —  la  plus  importante 
à  faire,  non  seulement  à  l'égard  de  Morozzo  mais  à  l'égard  de  tous  les 
candidats  delà  Papauté, —  ne  peut  aujourd'hui  se  résoudre.  Aux  yeux  des 
partisans  de  l'Autriche,  il  sera  Autrichien;  aux  yeux  de  ceux  qui  redou- 
tent l'Autriche,  il  la  redoutera  comme  eux  ;  mais  homme  d'esprit  et  de 
caractère  comme  il  l'est,  s'il  devenait  Pape,  il  aimerait  la  France. 

RIVAROLA,  Génois,  âgé  de  69  ans,  dont  12  de  cardinalat  ;  cardinaî- 
diacre,  membre  de  neuf  congrégations  dont  deux  administratives. 

Le  ciirdinal  ne  sera  pas  inactif.  Il  est  ardent,  bruyant  et  capable 
d'exaltation.  Tout  ce  qu'on  peut  obtenir  par  des  excitations  vives  et  par 


422 


LA   PRKLATIRE    DE   LÉO>    Mil. 


un  certain  appareil  de  promesses,  de  menaces  et  de  professions  d'éclat, 
il  l'obtiendra.  Il  a  des  talents  connus  et  des  relations  qui  le  sont  beau- 
coup moins.  Accre'dité  dans  les  congrégations,  il  s'est  dt^à  donné,  sur 
l'esprit  de  ses  coopérateurs,  un  ascendant  qui  lui  assure  au  Conclave 
quelque  degré  d'importance  qu'une  certaine  hardiesse,  heureusement 
dirigée,  ne  pourra  qu'accroître.  11  passe  pour  être  fort  Italien  et  prévenu 
contre  les  influences  étrangères;  il  est  Génois  et  la  manière  dont  on  a 
disposé  h  Vienne  de  sa  patrie,  ne  doit  pas  avoir  modéré  ce  genre  d'éloi- 
gnement.  Cependant,  étrangers  comme  nous  l'avons  été  à  cet  abus  dont 
toutes  les  Puissances,  hors  nous,  doivent  rester  comptables,  il  semble  que 
nous  pourrions  nous  prévaloir  de  cette  exception  pour  l'associer  à  nos 
vues.  La  tentation  n'engage  à  rien  et  peut,  d'ailleurs,  avoir  un  résultat 
utile. 

Ce  cardinal  est  émïnenuneni  papegyiante;  il  se  présente  en  même 
temps  comme  papnhile.  Personne  ne  met  en  doute  le  premier  de  ci?s 
titres,  et  tout  le  inonde  lui  conteste  le  dernier;  l'influence  qu'il  s'est 
acquise  par  son  activité  souvent  heureuse  dans  les  manœuvres  de  la 
Papeggiature  lui  a  fait  perdre  toute  chance,  pour  parvenir  au  titre  de 
cardinal  papabile  :  il  est,  au  reste,  à  regretter  (|u'il  en  soit  ainsi  de  son 
avenir.  Le  cardinal  Rivarola  est  un  homme  d'esprit,  homme  d'aflaires 
et,  de  plus,  ami  de  la  France. 


CACCIAPIATTI,  Piémontais  de  Turin,  âgé  de  77  ans,  dont  12  de 
cardinalat,  cardinal-diacre,  membre  de  quatre  Congrégations  dont  deux 
administratives. 

Ce  cardinal  est  parvenu  jiar  les  charges  du  Palais,  il  était  auditeur  de 
la  chambre.  Ces  sortes  de  charges,  un  peu  subalternes  et  qui  servent 
cependant  a  élever  aux  plus  hautes  places,  ont  eu  principalement  pour 
objet  d'attirer  des  étrangers  à  la  Cour  pontificale.  La  noblesse  napolitaine, 
piémontaise  et  vénitienne,  s'en  est  fait  un  moyen  d'ambition  que  celle 
des  autres  États  catholiques  a  toujours  généralement  dédaigné;  elle  est 
au  reste  pour  les  Romains  un  objet  de  jalousie.  On  donn<'  le  nom  de 
Slatisti  à  cette  classe  d'agents  anti(jues  et  cette  agence  a  sa  hiérarchie, 
par  les  degrés  de  la(|uelle  plus  dune  fois  on  a  vu  des  candidats  heureux 
et  habiles  s'élever  jusqu'au  trône  pontifical. 

Le  cardinal  Cacciapiatti  est  un  homme  du  monde,  à  qui  sa  dignité 
n'inspire  ni  orgueil  ni  ambition.  Il  aime  les  plaisirs  et  les  arts,  la  société 
des  étrangers  et  surtout  celle  des  étrangères.  Le  (Conclave  ne  sera  pour 
lui  qu'une  prison,  et  l'éleclion  qui  lui  en  abrégera  le  plus  tôt  l'ennui, 
sera  pour  lui  la  meilleure. 


APPENDICE. 


425 


OPPIZZOM,  né  à  Milan,  âgé  de  59  ans,  dont  2i  de  cardinalat,  arche- 
vé(|uc  de  Pologne,  cardinal- prêtre,  membre  de  six  Congrégations. 

Ce  cardinal  a  été  successivement  et  non  pas  alternativement  ni  capri- 
cieusement, partisan,  ennemi,  créature  et  victime  de  Bonaparte.  Cette 
distinction  est  bonne  à  faire  pour  prévenir  toute  inculpation  de  versa- 
tilité. La  fortune  l'exposa  d'aljord  à  des  faveurs  qu'il  crut  devoir  recon- 
naître par  des  services,  mais  sa  conscience  avait  prescrit  des  bornes  à 
sa  recoimaissance.  Il  s'arrêta  à  cette  limite.  Il  en  fut  puni,  et  cet  abus  de 
pouvoir  excita  dans  son  cœur  des  ressentiments  qui  éclatèrent  par  toutes 
les  résistances  qu'il  put  opposer  à  des  volontés  qu'il  regardait  comme 
tyranniques  et  à  des  ordres  qu'il  croyait  contraires  à  ses  vrais  devoirs. 
Le  cardinal  Oppizzoni  a  éprouvé  dans  l'exercice  de  son  ministère  les 
mêmes  vicissitudes,  mais  dans  un  ordre  de  temps  absolument  inverse. 
A  i)eine  nommé  à  l'archevêché  de  Bologne,  il  y  fut  l'objet  des  [)lus  odieux 
soupçons;  une  accusation  scandaleuse  fut  dirigée  contre  lui;  il  fut  forcé 
de  fuir,  mais  il  mit  tant  d'habileté  et  de  vigueur  dans  sa  défense  qu'il 
ne  tarda  pas  à  ramener  à  lui  l'opinion  momentanément  aliénée  de  ses 
diocésains,  et  son  retour  eut  la  pompe  et  la  gloire  d'un  véritable 
triomphe. 

Le  caractère  du  cardinal  Oppizzoni,  ainsi  que  ses  opinions,  ont  été 
mis  à  découvert  par  ses  épreuves.  Il  n'aime  pas  les  étrangers,  mais  il 
est  trop  homme  d'esprit  pour  ne  pas  avoir  discerné,  parmi  les  nations 
étrangères  à  l'Italie,  celles  qui  ont  intérêt  à  la  dominer  et  celles  qui  ont 
intérêt  à  la  servir;  ses  manières  aimables  et  polies  préviennent  l'im- 
pression (pie  sa  physionomie,  un  peu  dure  et  mélancolique,  fait  au  pre- 
mier aspect  sur  l'esprit  de  ceux  qu'il  n'a  aucun  désir  ni  aucun  intérêt 
de  se  concilier. 

Je  crois  que  les  informations,  qui  ont  dii  être  transmises  sur  ce  point 
au  ministère  du  Roi,  doivent  l'avoir  rassuré  sur  les  dispositions  de  ce 
cardinal  à  l'égard  de  la  France  et  je  doute  qu'il  en  soit  ainsi  de  celles 
que  la  Légation  aulrichiciuie  aura  transmises  à  Vienne. 

GLERRIFRI  GO.NZAGA,  Autrichien  de  Mantoue,  âgé  de  79  ans,  dont 
11  de  cardinalat;  cardinal-diacre,  membre  de  quatre  congrégations  dont 
deux  administratives  connue  trésorier  de  la  Zecca. 

La  franchise,  la  droiture  du  cardinal  Gonzaga  ne  sont,  ni  du  pays  où 
il  est  né,  ni  de  celui  qu'il  habite.  Ses  coélecteurs  trouveront  plutôt  en 
lui  un  Français,  un  Allemand  qui  ne  voudra  ni  ne  saurait  se  prêter  aux 
manœuvres  dont  la  plupart  d'entre  eux  se  sont  fait,  de  longue  main,  une 
habitude  cpi'on  peut  dire  savante,  et  aux  débats  du  Conclave  une  véri- 


r»-     ! 


424 


LA    PRÉLATUKE    DE    LÉON    XIIL 


AP1»EM)ICK. 


425 


table  guerre  offensive  et  défensive  dans  laquelle  ce  cardinal,  bien  (juil 
soit  chasseur  par  goût  et  par  habitude,  ne  paraît»  ainsi  que  les  cardinaux 
de  la  Fare  et  de  Croy,  propre  à  figurer  que  comme  témoin.  C'est  un 
homme  plein  d'honneur  et  qui  n'a  que  des  intentions  droites.  Il  ira  au 
bien  et  s'associera  avec  ceux  de  ses  collègues  «juels  qu'ils  soient  et  ([u'il 
verra  se  diriger  vers  un  but  véritablement  religieux;  mais  sans  conspirer 
avec  eux,  en  suivant  la  voie  qu'il  croira  pouvoir  le  conduire  le  plus 
promptement  et  le  plus  sûrement  à  ce  but. 

VIDOM,  Autrichien  de  Crémone,  âgé  de  60  ans,  dont  12  de  cardi- 
nalat; cardinal-diacre,  membre  de  quatre  Congrégations  dont  deux  admi- 
nistratives, gouverneur  d'Aucune. 

Tout  le  monde  connaît  à  fond  le  cardinal  Vidoni  ;  il  a  des  sentiments 
prononcés,  des  opinions  arrêtées,  et  il  n'a  jamais  mis  d'intérêt  à  les 
dissimuler.  Dans  lis  fonctions  qu'il  a  eu  à  remplir,  hors  de  Home,  il 
s'est  montré  administrateur  habile,    désintéressé,  généreux;   il    a   de 
bonnes  et  de  grandes  vues  d'édilité  et  toutes  les  villes,  (pi'il  a  été  chargé 
d'administrer,  ont  été  embellies  par  ses  soins.  Le  cardinal   Vidoni  m- 
saurait  être  Pape.  Aimant  le  monde,  les  fêtes  et  les  conversations,  il  y 
[)orte  peu  de  réserve  et  ses  indiscrétions  lui  ont  souvent  attiré  des  aven- 
tures dont  son  bon  esprit  lui  a  fait,  d'ailleurs,  facilement  sup|u)rter  le 
désagrément,  et  il  ravit  lui-même  aux  railleurs  le  plaisir  d'en  faire  le 
récit.  Le  peuple  l'appelle,  à  cause  de  sa  taille  élevée  et  d'une  obésité 
(pii  le  fait  respirer  difficilement,  il  cardinal  di  petto  et  di  fumo.  Il 
V  alongtenq)s  (pi'on  a  dit  de  lui  qu'il  aurait  peu  d'influenee  au  Conclave, 
attendu  cpi'un  éléphant   figurait  beaucoup  moins  bien  dans  une  telle 
assemblée  (ju'un  luret.  H  est  [)robable,  au  reste,  qu'il  y  sera  le  seul  car- 
dinal de  cette  singulière  catégorie.  Pour  conq)enser  ce  (pie  ce  langage 
que  j'emprunte  à  Marforio  peut  avoir  de  peu  séant,  j'ajouterai  que  le 
cardinal  Vidoni  est  au  fond  un  homme  d'esprit,  un  homme  aimable, 
d'une  conversation  agréable  et,  de  [dus,  un  homme  excellent.  Toutefois, 
malgré  son  peu  de  susceptibilité  à  l'égard  des  plaisanteries  dont  il  a  été 
souvent  l'objet,  un  procédé  peu  poli  de  la  part  de  la  Légation  autri- 
chienne, et  dont  il  n'a  jamais  voulu  perdre  le  souvenir,  l'a  pour  toujours 
aliéné  de  la  cour  de  Vienne.  Les  Légations  doivent  se  faire  une  leçon  de 
cette  rancune;  M.  le  comte  de  Blacas  n'en  avait  pas  eu  besoin;  dans  les 
utiles  et  bons  rapports  qu'il  a  su  établir  avec  lui.  Le  cardinal  Vidoni 
lui  est  tout  dévoué. 

FROSINl,  Autrichien  de  Modène,  âgé  de  77  ans,  dont  8  de  cardinalat. 


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cardinal-diacre,  mend)re  de  quatre  Congrégations,  majordome  du  Palais. 
On  pourrait  applifpier  au  cardinal  Frosini  les  données  qu'on  vient  de 
lire  dans  la  notice  du  cardinal  Gonzaga.  Homme  d'honneur  et  d'une 
droiture  reconnue,  il  ne  veut  que  le  bien  de  son  pays,  celui  de  l'Europe, 
de  l'Église;  mais  un  caractère  plus  facile  et  un  esprit  plus  susceptible 
d'impression  l'exposent  davantage  au  danger  d'être  entraîné  vers  un 
autre  but,  que  celui  qui  lui  serait  indiqué  par  ses  principes.  Le  cardinal 
Frosini  est,  d'ailleurs,  un  homme  aimable,  instruit  et  parlant  avec  grâce 
et  facilité  toutes  les  langues  de  l'Europe.  11  votera  pour  la  faction  dont 
le  chef,  quel  qu'il  soit,  saura  soit  mériter,  soit  lui  ravir  son  estime  ;  mais 
s'il  existe  encore  dans  le  Conclave  un  ami  du  cardinal  Consalvi  dont  il 
était  parent  et  au(piel  toutefois  il  n'était  pas  aveuglement  dévoué,  il  est 
probable  (ju'il  s'attachera  au  système  qu'il  aura  adopté  et  qu'il  suivra 
fidèlement  ses  traces.  Je  remarquerai  cependant  qu'ami  du  cardinal 
Délia  Genga,  il  a  cessé  de  l'être  après  son  exaltation  sur  le  sujet  de  Saint- 
Pierre. 

DELLA  S(lMA(iLIA,  Autrichien  d.-  Plaisance,  âgé  de  84  ans,  dont  oo 
(le  cardinalat  ;  cardinal-évêque,  vice-chancelier  de  l'Église,  ancien  vicaire 
de  Sa  Sainteté,  doyen  du  Sacré  Collège. 

Le  cardinal  Délia  Soraaglia  a  des  amis  et  des  ennemis.  Dans  le  cours 
d'une  vie  aussi  longue  et  aussi  publique  que  la  sienne,  il  sera  facile 
pour  les  uns  et  pour  les  autres  de  trouver  des  motifs  fondés  ou  plau- 
sibles, soit  pour  concourir  aux  vues  de  son  ambition,  soit  pour  y  mettre 
obstacle.  Je  vais  exposer  ceux  de  ces  motifs  qu'il  me  paraît  probable  que 
les  partisans  du  cardinal  et  ceux  de  ses  rivaux  mettront  en  avant  dans 
les  débats  et  les  pourparlers  du  Conclave,  les  uns  dans  les  vues  d'exclu- 
sion ou  de  censure,  les  autres  dans  les  vues  de  son  ambition. 

Les  ennemis  du  cardinal  Délia  Somaglia  ne  manqueront  ])as  de  dire 
(|u'il  a  eu  une  jeunesse  orageuse,  (pi'on  l'a  vu  même  figurer  avec  éclat 
tdans  des  aventures  qui  n'ont  pas  été  sans  scandale  et  que  dans  les 
fonctions  de  son  vicariat,  c'est  probablement  à  ses  souvenirs  ou  à  ses 
liabitudes,  (pi'il  faut  imputer  le  système  de  douceur  et  d'indulgence  que 
la  police  avait  adopté  dans  le  régime  répressif  des  mauvaises  mœurs. 

Les  partisans  répondront  (ju'il  y  a  plus  (jue  de  la  sévérité  à  étendre, 
jusqu'à  une  période  aussi  éloignée,  la  responsabilité  morale  d'une  vie 
dont  le  d('but  est  aujourd'hui  si  loin  de  nos  souvenirs  et  qui,  depuis  ce 
temps,  a  constamment  été  régulière,  religieuse  et  exemplaire.  Ils  ajoute- 
ront, (jue  sous  le  Vicariat  du  cardinal  Délia  Somaglia,  la  police  de  Rome, 
par  une  vigilance  habile   et  assidue,    sut   heureusement  ramener  les 


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426 


LA    PRÉLATURK    DK    LÉON    MIL 


mœurs  n  une  bienséance  inconnue  sous  ses  prédécesseurs  dont  l'impru- 
dente sévérité  n'était  propre  qu'à  irriter  et  aliéner  les  esprits  et  avait 
plutôt  aggravé  les  dangers  de  l'immoralité,  en  ajoutant  le  scandale  des 
châtiments  à  celui  des  désordres  (pi'elle  n'avait  pas  été  capable  de  pré- 
venir. On  dira  que  le  cardinal  Dclla  Somaglia  a  été  longtemps  l'ami  du 
cardinal  Fesch,  qu'une  de  ses  nièces  pour  (jui  il  a  une  affection  parti- 
culière a  été  attachée  à  la  mère  de  Bonaparte,  (|u'il  l'a  vue  sans  [)eine 
accepter  cette  position  et  s'y  maintenir,  enfin  que  cette  nièce  a  porté 
l'imprudence  jusqu'à  ce  point  de  faire  un  voyage  à  l'ile  d'Elbe,  dans  le 
court  intervalle  de  18i4  à  1815. 

Mais  on  répondra  que  le  cardinal  rompit  avec  éclat  toute  liaison  avec 
le  cardinal  Fesch  à  l'époque  du  mariage,  (ju'aucun  cardinal  ne  mani- 
festa, lors  de  cet  événement,  une  opposition  plus  ouverte,  plus  courageuse 
et  plus  constante,  et  qu'enfin  il  ne  saura  être  inq)osé  à  personne  avec 
justice  de  rendre  compte  des  alTeclions  et  des  opinions  politiques  de  ses 
parents,  non  plus  que  de  haïr  ceux  d'entre  eux  (pii  adoptent  des  opinions 
et  des  alfeclions  différentes  des  siennes.  Celles  du  cardinal  Délia  Somaglia 
ne  sont-elles  pas  à  l'abri  de  tout  soupçon  et  de  tout  blâme.  Ses  ennemis 
en  conviennent  et,  sur  ce  point,  ses  amis  et  lui  n'ont  pas  besoin  d'une 
autre  apologie. 

On  objectera  encore  (pie  le  cardinal  l)e!la  Somaglia  a  [)our  les  nou- 
veautés un  penchant  qui,  dans  une  situation  aussi  élevée  que  celle  où  le 
placeraient  les  suffrages  des  cardinaux  et  dans  les  circonstances  du  tenqis, 
pourrait  être  d'un  grand  danger.  Il  a  eu  des  liaisons  avec  M""'  de  Staël,  et 
qu'il  rendait  ouvertement  à  son  esprit  l'admiration  qu'elle  avait  pour 
son  caractère.  Cet  attrait  pour  les  réputations  étrangères  lui  fait,  d'ail- 
leurs, rechercher  tous  les  personnages  un  peu  marquants  qui  se  montrent 
à  Rome  et  (jui  le  rechen  hent  à  raison  du  penchant  même  ipii  le  porte 
à  les  accueillir.  De  telles  dispositions  n'annoncent-elles  pas  une  certaine 
laciHté  d'esprit,  de  caractère,  et  une  indulgence  d'opinion  qui  ne  peuvent 
être  que  les  indices  d'un  coupable  indiaérentisme  sur  des  principes 
qu'un  cardinal  et  surtout  un  Pape  doivent  toujours,  et  à  toutes  les 
époques  de  leur  vie, adopter  avec  passion,  soutenir  avec  éclat  et  défendre, 
au  péril  même  de  leur  repos  et  de  leur  vie. 

On  répondra  (pie  le  cardinal  Délia  Somaglia  aime  en  effet  à  rapprocher 
de  lui  tous  les  étrangers  (fui  ont  été  devancés  à  Rome  par  une  réputa- 
tion établie,  mais  que  cet  attrait  de  pure  curiosité  n'est  d'aucun  danger 
pour  lui;  que  ses  principes  ont  passé  par  l'épreuve  du  temps  et  qu'il 
n'a  pas  plus  à  redouter  pour  eux  la  contagion  des  illusions  philoso- 
phiques de  M'"«  de  Staël,  (jue  celle  des  illusions  extra-religieuses  de 


V 


APPENDICE. 


427 


M""*  de  Krûdncr,  de  M"*"  de  Tholozan  et  des  autres  adeptes  de  cette 
fameuse  piétiste,  avec  qui  il  a  pris  plaisir  à  foruKîr  des  liaisons,  avec  qui 
il  a  eu  de  fréquentes  comnmnications  pendant  le  séjour  qu'elles  ont 
fait  à  Rome.  Ces  communications  supposent  seulement  que  le  cardinal 
Délia  Somaglia  est  un  homme  d'esprit  et  dont  lage  n'a  pas  éteint  l'ima- 
gination. Le  monde  en  vieillissant  n'a-t-il  pas  conservé  parmi  nous  géné- 
ralement le  goût  de  c(^s  chimères  mythologitpies  (jui  furent  pendant  si  , 
longtemps  l'objet  de  la  croyance,  delà  vénération  des  peuples;  et  quel 
sera  le  rigoriste  assez  outré  pour  nous  accuser  de  vouloir  en  renouveler 
et  en  propager  la  foi,  parce  (jue  nous  cherchons  à  reproduire  ces  bril- 
lantes images  qui,  sous  l'empire  même  des  plus  austères  croyances  et 
sans  les  offenser,  firent  et  feront  toujours  les  délices  des  imaginations 
vives,  des  esprits  éclairés  et  des  cœurs  capables  d'être  émus? 

On  dira  que  le  cardinal  Délia  Somaglia  n'aime  pas  les  jésuites.  Je 
préviens  que  ce  n'est  pas  au  hasard  que  je  mets  en  avant  cette  suppo- 
sition. Mais  on  répondra  qu'il  est  constant  (jue  le  cardinal  Délia  Somaglia 
n'est  pas  aimé  des  jésuites  et  que  pourtant  jamais,  ni  dans  son  langage, 
ni  dans  ses  procédés, ni  dans  ses  actions, il  n'a  maniléstédes  dispositions 
qui  leur  fussent  contraires.  Il  est  probable  qu'il  n'a  jamais  été  en  posi- 
tion de  se  déclarer  sur  ce  point.  Peut-être  même  a-t-il  cherché  à  ne  pas 
s'y  trouver,  mais  il  semble  (jue,  d'une  part,  cette  réserve  et  de  la  part  des 
jésuites  l'espèce  d'irritation  qu'elle  semble  leur  avoir  causée,  prouve- 
raient moins  de  modération  dans  leurs  vues  que  dans  les  siennes. 

Le  cardinal  Délia  Soniaglia  n'est  cependant  pas  ennemi  des  institu- 
tions religieuses.  Il  a  protégé  les  Pacanaristes,  il  a  prolê'gé  des  religieux 
(jui  avaient  entrepris  de  remédier  au  relâchement  de  (juelques  monas- 
tères en  les  assujettissant  à  de  nouvelles  règles.  Ces  réformateurs  ont 
échoué  dans  leur  entreprise  ;  les  Pacanaristes  ont  été  punis,  et  il  n'est 
resté  au  cardinal  Délia  Somaglia  (jue  l'hoimeur  d'avoir  voulu  les  dé- 
fendre. Est-ce  qu'on  voudrait,  est-ce  qu'on  j)ourrait  lui  faire  un  crime 
d'un  |)atronage  auquel  il  est  impossible  d'attribuer  un  but  qui  ne  soit 
jias  religieux  et  chrétien. 

On  dira  que  le  cardinal  Délia  Somaglia  a  une  devise  que,  depuis  long- 
temps, on  a  attachée  à  son  nom.  Minimus  in  maximis  et  maximus  in 
minimis.  On  ré|)ondra  que  celte  devise  n'est  qu'une  manœuvre  en 
usage  à  Rome  pour  déprimer  les  cara^^tères  dont  on  redoute  l'influence, 
mais  que  les  satires  de  Pasquin  et  de  Marforio  n'ont  jamais  décidé,  ni 
de  la  renommée,  ni  de  la  destinée  des  personnes.  La  devise  exprimerait 
bien  mieux  l'opinion  des  classes  inférieures  et  celle  des  classes  élevées 
de  Rome,  si  le  sens  de  ces  deux  expressions  était  interverti.  Quel  est. 


428 


LA    PHÉLATIRE    DE    LÉON   XIII. 


en  effet,  le  cardinal  qui  imprime  plus  de  respect  aux  uns  par  des  dehors 
imposants  et  aux  autres  par  la  gravité  de  ses  mœurs,  par  une  vie 
constamment  vouée  à  l'exercice  des  plus  hautes,  des  plus  pénihles 
fondions,  et  par  le  succès  de  tous  les  travaux  que  ces  Jonctions  lui  im- 
posent? Et  enfin  qui  pourrait  sincèrement  méconnaître  en  lui  une  fer- 
meté éprouvée,  une  grande  étendue  de  vue,  la  capacité  des  plus  grandes 
affaires  sans  négligence  et  sans  dédain  pour  celles  (jui  le  sont  moins,  la 
connaissance  des  intérêts  politiques  de  toutes  les  Puissances,  et  un  zèle 
patriotiijue  et  j»ieux  pour  les  droits  et  les  intérêts  du  Saint-Siège  ?  Quant 
à  ses  préférences,  on  peut  le  soupçonner  d'en  avoir;  mais  il  est  loin  de 
les  manifester,  ni  dans  son  langage,  ni  dans  ses  démarches,  et  il  est  sur 
ce  point  d'une  circonspection  qui  ne  s'est  jamais  démentie.  On  sait 
seulement  que,  dans  toutes  les  ciri!onstances,il  s'est  montré  rovaliste  zélé 
et  que  plus  d'une  fois  exposé  à  l'épreuve  des  séductions,  des  pers-'cu- 
tions  mêmes,  il  en  est  toujours  sorti  victorieusement. 

En  me  faisant  ici  l'organe  des  partisans  du  cardinal  Délia  Somaglia, 
je  ne  veux  cependant  pas  désavouer  (pie,  dans  les  dernières  années  et 
dans  l'exercice  des  hautes  fonctions  dont  il  a  été  chargé,  il  parait  s'être 
écarté  à  son  insu  des  principes  cpi'il  s'était  précédemment  imposés,  et 
qu'il  a  plus  d'une  fois  trahi  le  secret  penchant  qui  semhle  l'attacher  à 
la  politique  de  l'Autriche. 

Enfin  on  dira  que  ce  cardinal  a  8i  ans,  (jue  cet  âge  est  le  terme  de 
toutes  les  carrières,  et  que  si  le  Conclave  faisait  un  tel  choix  il  s'expo- 
serait au  hlâme  d'avoir  mis  au-dessus  de  tous  les  intérêts  celui  de  pro- 
roger à  court  terme  un  grand  objet  d'amhition  et  d'intrigue  pour  tous 
les  cardinaux  qui  le  conqjosent.  On  répondra  ((u'en  effet  le  cardinal 
Délia  Somaglia  est  plus  qu'octogénaire,  mais  qu'une  constitution  robuste, 
bien  éprouvée  et  parfaitement  saine,  donne  à  ses  amis  la  plus  plausible 
espérance  de  le  voir  survivre  au  grand  nombre  peut-être  de  ses  concur- 
rents moins  âgés  que  lui.  Le  cardinal  Ilœfflin,  le  cardinal  Firrao. 
offraient  à  son  âge  moins  de  ces  j)résages  de  vitalité  présumée,  (prune 
vie  calme,  régulière,  exemple  de  passions  et  défendue  contre  tout  acci- 
dent et  tout  danger,  par  les  soins  d'un  grand  nombre  d'amis  (pii  l'en- 
tourent, rend  infiniment  plus  [daiisible  pour  lui  (pie  pour  tout  autre. 
Et  cependant  l'âge  de  l'un  surpasse  le  sien  de  7  ans,  et  celui  de  l'autre 
de  9  ans;  et  enfin  il  convient  d'observer  (pie,  depuis  le  dernier  Conclave, 
vingt  et  un  cardinaux  sont  morts  dont  le  plus  grand  nombre  était  moins 
âgé  que  lui. 


4  t 


► 


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APPENDICE. 


4'iO 


CARDINAUX 


KTRANGERS     AIX     KTATS     UOMAINS 


BoxAVKNTURE  GAZZOLA,  cardinal  de  Léon  XII,  âgé  de  quatre-vingt-dix 
ans,  Autrichien,  de  Plaisance,  religieux  de  l'ordre  des  mineurs  réformés, 
évêque  de  Montefiascone,  de  quatre  congr(''gations  dont  aucune  n'est 
administrative. 

Le  cardinal  par  son  âge  est  dans  les  premiers  rangs  des  cardinaux 
papables,  à  titre  de  papa  di  tempo. 

D'après  les  nouvelles  récentes  de  Rome,  les  impressions  du  moment 
font  ressortir,  parmi  tous  les  candidats  papables,  quatre  cardinaux  dans 
l'ordre  suivant:  Gazzola,  Pacca,  Guistiniani  et  Benvenuti.  Le  cardinal 
Gazzola  n'a  pas,  d'ailleurs,  de  meilleurs  litres  que  son  âge.  Il  est  zélanle, 
mais  de  la  faction  la  plus  inoffensive  ;  son  origine  est  plébéienne  et 
ainsi  il  n'a  pu  s'élever  au  cardinalat  (jue  par  une  première  réputation 
ac(|uise  dans  l'exercice  des  modestes  devoirs  de  la  vie  monastique. 

Charlks-Gaetax  de  GAYSRUCK,  cardinal  de  Léon  XII,  âgé  de 
soixante-neuf  ans,  archevêque  de  Milan. 

Ce  cardinal  est  Autrichien,  de  Hongrie,  servilement  dévoué  à  la  direc- 
tion du  cîirdinal  Albani.  Ses  infirmités  l'empêcheront  probablement 
d'assister  au  Conclave.  La  direction  (ju'il  suit  sera  un  titre  d'exclusion 
pour  lui,  comme  pour  celui  de  qui  il  la  reçoit. 

Patrice  da  SILVA,  cardinal  de  Léon  XII,  âgé  de  soixante-treize  ans, 
religieux  augustin. 

La  dignité  de  ce  cardinal,  son  âge,  l'état  actuel  du  Portugal  le  retien- 
dront probablement  ?i  Lisbonne  où  il  occupe  le  poste  éminent  de  pa- 
triarche de  l'Église  portugaise.  Le  trait  le  plus  saillant  de  son  caractère 
et  de  sa  vie  se  trouve  dans  un  fait  assez  récent.  Il  a  officié  à  la  solennité 
du  sacre  de  Don  Miguel,  et  les  ennemis  de  ce  prétendant  à  la  couronne 
de  Portugal  ont  remarqué  et  publié  que,  pendant  le  serment  qu'il  a  dii 
prêter,  le  patriarche  cachait,  sous  le  pan  de  l'étole  patriarcale,  le  hvre 
des  Saints  Évangiles  pour  sauver  à  ce  prince  les  suites  éventuelles  de  la 
violation  présumée  de  la  promesse  qu'il  venait  de  faire,  de  maintenir  la 
constitution  que  son  frère  avait  donnée  au  Portugal. 


,.  >r<rv^<  y-.y--'^w»iaMt:.-Vi-.*i^f%,j|.f!.^|^.grgf^  is$iaP»^?««-^i»''*^-';T- 


430 


LA   PRÉLATURE    DE    LÉON    XIU. 


Charles  de  LA  MARMORA,  cardinal  do  Léon  XII,  âge  de  soixante- 
douze  ans. 

Ce  cardinal  est  Autrichien,  de  Turin.  On  est  fondé  à  le  présumer  tel 
par  sa  condescendance  connue  aux  vues  de  son  Gouvernement,  et  par 
celle  non  moins  notoire  du  Souverain  de  ce  pays  à  l'influence  de  la  reine. 

Pierre  de  LLXGUANHO  RIDEIIA,  âgé  de  soixante-cinq  ans,  cardinal  de 
Léon  XII,  Asturien,  archevêque  de  Tolède,  riche  aumônier  sans  nais- 
sance et  zélante,  mais  dans  le  sens  monarchique;  car  il  convient  d'oh- 
server  que,  pour  être  rehgieux  et  catholique  dans  le  sens  le  plus  rigou- 
reux qu'on  puisse  donner  à  ces  noms,  les  Espagnols  ne  peuvent  être 
comptés  parmi  les  peuples  ullramontains.  Le  Saint-Siège  a  toujours 
trouvé  dans  ce  pays,  en  concurrence  avec  l'autorité  (ju'il  alï'ecte  sur  les 
autres  églises,  celle  du  trihunal  de  l'Inquisition.  Le  lemj)s,sans  doute,  et 
surtout  la  politique  du  Gouvernement  ont  travaillé  lentement  et  métho- 
diquement à  miner  les  hases  et  à  restreindre  l'élendue  de  ce  redoulahle 
pouvoir.  Mais  le  respect  s'en  est  })eu  aflaihli  dans  l'esprit  du  peuple,  et 
l'hahitude  de  placer  en  seconde  ligne  la  vénération  que  toutes  le»  églises 
de  la  catholicité  doivent  porter  à  celle  de  Rome  s'est  maintenue  dans 
l'église  d'Espagne  et  parmi  le  peuple,  après  l'aiïaihlissement  du  pouvoir 
de  l'Inquisition. 

Mairo  CâPPELLARI,  cardinal  de  Léon  XII,  Autrichien  de  Venise,  âgé 
de  soixante-quatre  ans,  [)réfet  de  la  Congrégation  et  de  l'Imprimerie  de 
la  Propagande,  des  (congrégations  du  Saint-Office,  de  l'Examen  des 
Evêques,  de  la  correction  des  livres  de  l'Église  orientale  et  des  Études, 
protecteur  du  collège  des  Maronites,  etc. 

Toutes  ces  congrégations  sont  savantes,  et  il  en  est  un  des  mcmhres 
les  [)lus  célèhres  par  son  caractère,  ses  talents  et  son  savoir.  Créature  et 
ami  de  Léon  XII,  il  a  été  employé  par  lui  et  avec  succès  dans  plusieurs 
négociations  difficiles.  Il  est  zelante  par  piété  et  dans  des  vues  égale- 
ment convenables  à  la  France  et  à  rAulrichc.  Il  ne  parait  pas  que  dans 
ce  Conclave  les  intérêts  de  ces  deux  Puissances  puissent  se  trouver  en 
collision,  à  son  égard  :  la  politique  de  l'Autriche  ne  devant  espérer,  pour 
les  intérêts  de  sa  domination  en  Italie,  aucune  assistance  de  celle  du 
Pape  qui  devra  succéder  à  Léon  XII,  et  tout<^s  les  deux  ayant  à  former 
le  même  vœu  pour  cette  même  assistance  dans  les  aiïaires  qui  se  rap- 
portent à  la  politicpie  intérieure  des  deux  Étals.  Par  son  caractère,  par 
sa  vie  passée  toute  dévouée  à  l'étude  et  à  la  praliijue  des  vertus  reli- 
gieuses, le  cardinal  Cappellari  est  un  des  candidats  papahles  qui  ont  le 


APPENDICE. 


451 


plus  de  chances  pour  réunir  la  majorité  des  sufTniges.  Une  seule  consi- 
dération peut  toutefois  faire  obstacle.  Sa  famille  est  pauvre  et  appartient 
à  la  dernière  catégorie  de  la  société.  H  est  impossible  qu'il  ne  désire  pas 
vivement  de  l'établir  dans  une  niL'illeure  sphère,  et  cependant  il  éprou- 
vera quelque  répugnance  à  la  produire  à  Rome.  L'Autriche,  certes,  ne 
manquera  pas  alors  de  se  prévaloir  de  cette  circonstance  et  le  change- 
ment de  fortune  qui  ne  pourrait  avoir  lieu  sans  éclat,  à  la  face  des 
Romains,  elle  le  fera  à  peu  de  frais  et  avec  toute  bienséance.  De  là,  des 
obliçjalions  et  une  cause  de  dépe:idance  (pii,  si  elles  sont  aujourd'hui 
prévu«'S  et  divulguées  par  des  concurrents  intéressés  à  en  occuper  les 
conciliabules  du  Conclave,  pourraient  éloigner  les  suffrages  de  ceux  des 
électeurs  qui  sont  principalenjent  dominés  par  leurs  préventions  contre 
l'Autriche. 

Saveuio  de  CIENFLEGUS  JOVELLANOS,  cardinal  espagnol  de  Léon  XII, 
âgé  de  soixante-trois  ans,  archevêque  de  Séville. 

Ce  qui  est  dit  d'un  cardinal  espagnol  peut  se  dire  de  tous  ceux  qui 
viendrontau  Conclave  et  cpii,  tous,  y  porteront  le  même  esprit  elles  mêmes 
vues. 

Jkan-Pmiliimm;  FRANZULA,  Génois,  cardinal  de  Léon  XII,  à'^é  de  cin- 
quante-quatre  ans. 

Il  s'est  d'abord  signalé  et  recommandé  par  son  attachement  au  pape 
Pie  VII  (ju'il  suivit  et  servit,  dans  le  cours  de  sa  mauvaise  fortune.  Il  a 
été,  depuis,  attaché  à  la  duchesse  de  Parme.  Peu  décidé  dans  ses  opinions 
politiques,  on  ne  le  croit  qu'à  moitié  Autrichien,  on  ne  lui  attribue  que 
de  médiocres  talents.  Nonce  en  Portugal,  il  a  été  élevé  au  cardinalat  par 
une  faveur  d'exception,  n'ayant  pas  eu  quatre  ans  de  nonciature,  terme 
obligé  pour  obtenir  la  promotion  de  droit. 

NAZALI,  Autrichien  de  Parme,  cardin.il  de  Léon  XII,  Agé  de  soixanle- 
dix-neuf  ans,  membre  de  quatre  Congrégations.  Il  a  été  nonce  en  Suisse 
et  négociateur  à  Rruxelles.  Il  n'y  a  pas  fait  preuve  de  toutes  les  quahtés 
et  de  tous  les  talents  que  ces  sortes  d'emploi  supi>osenl.  11  appartient  à  la 
fraction  de  la  faction  des  zelanti  «pii  rêve  le  rétablissement  de  la  Société 
des  Jésuites.  Dix  voix  peut-être  le  porteront  au  pontificat;  mais,  par  son 
âge,  il  pourrait  y  être  porté  par  tous  les  sufl'ragcs  à  titre  de  Pape  de 
transition,  Papa  di  Tempo. 

GAMBERLNI,  cardinal  de  Léon  XII.  Il  est  né  dans  la  république  de 


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LA   PRÉLATURE    DK    LÉON    Xllf. 


APPENDICE 


573 


Saint-Marin,  État  iniporceptible  et  qui,  par  sa  petitesse,  échappe  aux 
re^^ards  mêmes  de  la  politique  très  circonscrite  de  Tltalie. 

le  cardinal  Gamberini  est  l'homme  le  plus  brillant  du  Sacré  Collège 
par  son  savoir,  la  politesse  de  son  langage  et  de  ses  manières,  et  par  sa 
parfaite  amabilité.  S'étant  présenté  tard,  comme  aspirant  à  la  prélalure 
qui  Ta  fait  parvenir  au  cardinalat,  il  a  su  fort  habilement  em])loyer  le 
temps  qui  a  précédé  son  engagement  dans  l'état  ecclésiastique  en  exer- 
çant les  talents  dont  la  nature  l'a  doué  dans  la  profession  du  barreau. 
Avocat  célèbre  à  Milan  et  a  Bologne,  il  y  a  acijuis  une  grande  fortune. 
Le  caractère  politique  de  ce  cardinal  est  peu  connu  et  n'inspire  pas  une 
grande  confiance.  Tout  ce  qu'on  sait  de  lui,  sur  ce  point,  c'est  qu'il  est 
zelante  modéré. 

MARCO,  cardinal  espagnol  de  Léon  Xll. 

Parmi  ses  nationaux,  celui-ci  se  distingue  par  un  trait  c|ui  lui  est 
spécial.  Avant  été  membre  des  Cortès  contre  le  Roi,  il  est  aujourd'hui 
partisan  enthousiaste  de  Ferdinand  VIL  A  ce  titre,  il  est  zelante  ardent, 
mais  dans  le  sens  espagnol  et  monarchiiiue.  11  est  parvenu  par  le  canal 
de  la  Rote. 

RUDENEY,  cardinal  de  Léon  XII,  primat  de  Hongrie.  Ce  titre  sulfit 
pour  faire  connaître  ses  vues.  (»n  ne  s:iit  rien  de  lui,  si  ce  n'est  qu'il  a 
été  promu  au  cardinalat  pour  avoir  sacré  l'impératrice  d'Autriche,  prin- 
cesse de  Bavière.  Il  importe  pende  le  savoir,  et  moins  encore  d'en  savoir 
autre  chose. 

ZURLA.  Ce  cardinal  a  été  omis  dans  son  rang,  sa  promotion  étant 
antérieure  au  pontificat  de  Léon  XII.  11  est  âgé  de  soixante  ans.  Autri- 
chien de  Crémone,  membre  de   dix  Congrégations  dans  lesquelles  sont 
comprises  toutes  les  congrégations  savantes.  Il  s'y  est  acquis  une  assez 
arande  célébrité  par  son  savoir  et  sa  connaissance  des  affaires.  Écrivain 
estimé,  il  a  manifesté  dans  un  ouvrage  sur  la  Géographie  des  senti- 
ments favorables  à  la  France  et  particulièrement  une  admiration  fort 
bien  exprimée  pour  les  talents  et  le  caractère  de  M.  le  vicomte  de  Cha- 
teaubriand. La  position  actuelle  de  celui  qui  a  été  l'objet  de  cette  admi- 
ration, ne  laisse  pas  d'attacher  quelqu'importance  à  la  mention  que  j'ai 
cru  devoir  en  faire,  il  a  exercé  peut-être  avec  trop  de  rigueur  plusieurs 
fonctions  administratives  sous  le  dernier  pontificat  et  les  nouvelles  ré- 
centes qui  viennent  de  Rome,  nous  informent  que,  depuis  le  triste  évé- 
nement de  la  mort  de  Léon  XII  et  même,  pour  l'honneur  des  Romains, 


trop  immédiatement  après,  une  telle  exaspération  a  éclaté  dans  toutes 
les  classes  de  la  population  romaine  contre  la  sage  et  ferme  administra- 
tion de  ce  prince,  qu'il  se  pourrait  que  le  cardinal  Zurla  n'eût  plus  les 
mêmes  chances  pour  parvenir  au  pontificat.  Avant  ce  fatal  événement, 
il  était  un  des  candidats  qui  en  avaient  le  plus;  mais  il  paraîtrait  que 
jamais  à  Rome  on  n'a  vu  une  fin  de  règne  qui  ait  été  marquée  par  un 
changement  plus  soudain  dans  les  esprits.  Le  Pape  a  été  littéralement 
abandonné  dans  les  derniers  moments  de  sa  vie,  et  pas  un  seul  ami 
n'est  resté  auprès  de  lui  pour  être  témoin  de  sa  mort.  Pendant  ce 
temps,  une  grande  agitation  régnait  dans  tout  le  palais  et  portait  le 
trouble  parmi  la  foule  qui  en  obstruait  tous  les  abords.  On  se  deman- 
dait s'il  était  mort,  s'il  vivait  encore,  et  des  cris  d'allégresse  signa- 
lèrent le  moment  où  l'on  apprit  qu'il  avait  cessé  de  vivre.  Rien  ne 
donne  une  idée  plus  défavorable,  plus  dégoûtante  et  plus  affreuse  du 
caractère  d'un  peuple,  qu'un  aussi  hideux  spectacle. 


Lediarisle,  rival  de  l'abbé  Benedetti  pour  l'acuité  des  observations 
souvent  cruelles,  qui  a  écrit  cet  «  Etat  du  collège  cardinalice 
en  1830  »,  était  bien  digne  de  fréquenter  avec  les  malins  codini  de 
celte  époque  spirituelle,  à  IdiNicchia  ou  au  Veneziano  dont  les  salles 
de  café  ou  plutôt  d'académie  avaient  conservé  le  souvenir  toujours 
vivant  des  Gancellieri,  des  Fea,  des  Nibby,  desTambroni,  en  qui  l'es- 
prit romain  avait  mêlé  son  goût  inné  de  la  mordante  satire  et  de  la 
belle  composition,  par  où  ces  maîtres  de  l'ironie  bien  dite  et  mieux 
écrite  pouvaient  passer  pour  des  académiciens  parfaits.  L'Académie 
des  Humoristes  ne  fut-elle  pas  leur  œuvre  et  leur  chef-d'œuvre? 

Cependant,  à  la  manière  plus  française  que  romaine  dont  ces  notes 
secrètes  furent  écrites,  dans  ce  rapport  de  policier  cardinalice,  on 
pressent  plutôt  un  riverain  formaliste  de  la  Seine  et  du  palais  Maza- 
rin  qu'un  libre  buveur  de  l'eau  du  Tibre  au  café  du  palais  Sciarra  où 
le  Veneziano  tenait  ses  fréquentes  assises  de  libations  inoffensives. 
Certes,  notre  codino  parisien  roulait  la  queue  de  sa  perruque  dans  la 
poudre  musquée  à  la  maréchale,  comme  ses  confrères  uUramon- 
tains;  mais,  au  besoin,  il  savait  y  cacher  un  poignard,  comme 
ce  Barbaroux  de  la  Révolution  française  qui,  à  une  perruque  trop 
haut  placée,  avait  préféré  un  manchon  mieux  à  portée  de  la  main 
armée  qui  s'y  cache.  Nous  aurons  enfin  tout  dit,  quand  nous 
aurons  appris  au  lecteur  de  ces  notes  qu'elles  furent  rédigées  par  un 
ancien  secrétaire   de  Talleyrand,  duc  de  ce  même  Bénévent  dont 


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574 


APPENDICE 


APPENDICE 


575 


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Joachira  Pecci  se  préparait  à  aller  occuper  la  préfecture  ;  et  que  le  nom 
de  ce  collègue  de  DesRenaudes  et  de  la  Besnardière  dans  les  bureaux 
secrets  de  la  rue  Saint-Florentin,  fut  celui  d'Alexandre  Maurice 
d'Hauterive  qui  ne  se  rendit,  certes,  pas  coupable  des  élections  de 
Pie  VIII  et  de  Grégoire  XVI  si,  contre  ses  pronostics  avortés,  ce  furent 
Saverio  Castiglioni  et  Mauro  Capellari  qui  ceignirent  la  tiare,  à  vingt 

mois  de  distance. 

Cet  Appendice,  que  le  lecteur  aura  peut-être  trouvé  trop  long,  aura, 
du  moins  servi  à  le  faire  pénétrer  dans  cette  Cour  pontificale  dont  les 
chapitres  précédents  auront  rappelé  quelques-unes  des  pittoresques 
coutumes  que  le  siècle  nouveau  devrait  bien  nous  conserver  encore 
des  anciens.  Où  sont  déjà  passés,  dans  cette  Rome  qui  se  disait  éter- 
nelle pourtant,  ces  carrosses  grands  comme  des  places  fortes,  dorés 
comme  des  ostensoirs,  où  \esporporati  cousins  des  rois  et  conseillers 
des  papes  se  portaient,  avec  la  majesté  d'un  soleil  rouge  de  crépus- 
cule toujours  ardent,  vers  cette  Place-de-Saint-Pierre  tout  à  coup  ré- 
veillée, dans  son  sommeil  des  vieux  âges,  par  les  lourds  ressorts  de  ces 
montures  arrivant  du  fond  de  l'autre  siècle  pour  faire  encore  glisser 
leur  petite  ombre  bleue  de  vie,  sur  ces  immenses  dalles  diaprées  de 
porphyre  et  de  jaspe  ?  Où  se  sont  déjà  évanouies,  dans  l'ombre  des 
rues  qu  elles  suivaient  alla  romana,  ces  bonnes  silhouettes  de  cardi- 
naux habillés  moins  pontiticalement  que  bourgeoisement  de  la  souta- 
nelle  noire  filigranée  de  rouge  et  vous  disant,  comme  la  grosse  Emi- 
nence  Vidoni  au  solennel  Chateaubriand  :  «  Signor  Ambasciadore  di 
Francial  »  ou  comme  le  malin  Secrétaire  d'Etat,  Joseph  Albani,  à  la 
même  Excellence  française  surprenant  ce  cardinal  en  redingote  ou- 
verte et  négligée  peut-être  :  «  Je  suis  un  cochon  !  »  Où  sont  seule- 
ment les  nobles  dames  et  les  élégants  cavaliers  posant,  à  l'espagnole  et 
en  sigisbées  servants  de  l'époque,  dans  ces  palais  alors  si  nombreux  et 
aujourd'hui  si  rares  où,  comme  au  Palazzo  Valdambrini,  ce  même 
cardinal  Joseph  Albani,  hôte  de   la  marquise  Sacrati,  venait,  entre 
une  partie  de  tarots  et  de  tombola,  entendre  la  Belluccia  Moroni, 
fille  du  comte  Michel,  qui  s'accompagnait  si  divinement  de  la  harpe 
et  dont  le  charme  raphaellesque  était  tel  qu'après  l'andante  de  Pai- 
sielloou  l'appassionato  deCimarosa,  l'Eminence,  se  levant,  ne  pouvait 
s'empêcher  de  dire  à  l'admirable  femme  : 
—  Per  DiOj  corne  sei  bella  ! 

Certes,  le  cardinal  Joseph  avait  de  qui  tenir  en  enthousiasmes  et  en 
galanteries  bien  permises  à  un  homme  de  naissance  et  de  cour  telles 
que  celles  du  cardinal  Gian  Francesco  Albani,  son  oncle  et  son  pré- 


déce«^ur  illustre  à  la  même  charge  de  secrétaire  d'Etat.  Sous  la 
direotion  de  ce  vieux  maître  en  diplomatie  romaine,  le  jeune  neveu 
faisait  les  premières  armes  à  Vienne,  en  qualité  de  nonce,   lorsque 
arriva,  entre  autres  incidents  de  l'époque  napoléonienne,  le  fait  sui- 
vant dont  nous  emprunterons  la  relation  au  Caporale  Trasieverino  que 
son  auteur  Ilario  Rinieri  a  commenté,  d'après  le  diario  d'un  bour- 
geois de  Rome,  pendant  celte  époque  révolutionnaire  :  «  A  la  nuit  du 
13  novembre  1797,  écrit-il — ,  il  se  fit  un  grand  va-et-vient  au  palais 
Altieri.  Dans  la  grande  salle,  peinte  par  Maratta,  étaient  réunis  et 
discouraient  la  princesse  Marianne  Borghèse  déjà  ancienne  mais 
toujours  allant,  la  vieille  princesse  Cornelie  Barberini  qui  portait  avec 
grandeur  la  majesté  de  ses  quatre-vingts  ans,  la  duchesse  Lante,  belle 
femme  et  mère  d'une  fille  plus  belle  encore,. la  princesse  Giustiniani, 
l'Aldobrandini,  la  Gabrielli ,  la  duchesse  de    Fiano  et  l'inévitable 
princesse  Santa-Croce  ayant,  à  ses    côtés,  l'inséparable  chevalier 
Nicoladi  Azara  ministre,  à  Rome,  de  Sa  Majesté  catholique  Charles  IV. 
Dans  l'assemblée,  peu  de  seigneurs  romains.  Il  y  avait  pourtant  le 
prince  Augustin  Chigi  et  sa  femme,  la  princesse  Amélie  Barberini, 
quelques  monsignori  et  deux  cardinaux,  S.  Em.  Stefano  Borgia  préfet 
de  la  Propagande  et  S.  Em.  Gian  Francesco  Albani  doyen  du  Sacré- 
Collège.  A  peine  celui-ci  fut-il  introduit  et  eut-il  échangé  avec  les 
princesses  Julie  et  Marianne  les  compliments  d'usage,  qu'il  se  sentit 
aussitôt  entouré  par  un  chœur  de  bouches  interrogatrices  : 

—  Eminence,  quelles  nouvelles  de  Vienne?  La  paix  est-elle  con- 
clue? El  la  France  nous  laissera-t-elle  une  fois  enfin  tranquilles?... 
Aurons-nous  enfin  aussi  en  Votre  Eminence,  non  plus  un  cardinal 
mais  un  pontife  suprême. 

—  Moi  pape  1  se  prit  à  dire  le  vieillard  sans  pouvoir  contenir  le 
rire  provoqué  par  ce  compliment  de  la  princesse  qui  était  applaudie 
par  toute  l'assemblée.  Mais  il  y  a  le  diable  qui  ne  le  permet  pas.  Et 
voilà  bien  le  cas  de  renverser  le  proverbe  chrétien  qui  disait  :  «  Ce 
que  femme  veut,  (entendez-vous,  hein!  bonne  mère  de  famille?) 
Dieu  le  veut.  »  A  présent,  il  faut  dire  :  «  Ce  que  femme  veut,  (bonne 
mère  de  famille,  entendez- vous?)  le  diable  ne  le  veut  pas. 

—  Oh!  Eminence!  ajouta  alors  d' Azara.  Eh  !  d'où  peut  bien  venir 
ce  diable? 

—  De  la  Seine,  monsieur  l'ambassadeur!  dit  le  cardinal  qui, 
sans  perdre  un  instant,  mit  la  main  à  son  portefeuille  et  en  retira 
un  papier;  tandis  que  l'ambassadeur  et  la  princesse  se  regardaient, 
le  premier  étonné,  la  seconde  mortifiée  légèrement. 


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—  11  faut  que  vous  sachiez,  continua  le  cardinal,  (et  je  voudrais 
que  l'univers  entier  l'apprenne  de  même),  que  le  Directoire  de  la 
République  française  et  son  grand  paladin  en  Italie  ont  décidé  : 
premièrement,  d'empêcher  l'élection  d'un  nouveau  pape,  au  cas  où 
Pie  VI  viendrait  à  mourir;  en  second  lieu,  au  cas  où  on  ne  pouirait; 
empêcher  l'élection  d'un  pape  nouveau,  de  ne  permettre  en  aucune 
manière  que  l'élection  du  cardinal  Alhani  devienne  possible. 

—  Et  de  quel  droit,  cette  exclusive?  se  récria  la  princesse  Bor- 
ghèse.  On  voit  bien,  Eminence,  que  le  Directoire  et  Bonaparte  ne 
connaissent  pas  notre  cardinal. 

—  Oh!  ils  me  coiinnaissent  fort  bien.  Et  c'est  parce  qu'ils  me 
connaissent  si  bien  que,  précisément,  ils  veulent  m'exclure.  En 
voulez-vous  la  preuve?  Eh  bien  i  ce  même  Bonaparte  va  dépêchant 
partout  que  l'assassin  d'Hugo  Bassville,...  c'est  moi! 

Un  grand  éclat  de  rire  accueillit  ces  paroles  du  cardinal  qui  ne 
put  lui-môme,  tant  la  chose  était  grosse,  empêcher  an  léger  sourire 
d'effleurer  ses  lèvres.  Mais,  reprenant  vite  son  air  grave,  il  continua: 

—  Je  vais  vous  lire  quelques  passages  d'une  lettre  que  le  général 
Bonaparte  a  écrite  à  un  personnage  que  je  ne  puis  vous  nommer. 
Mais  la  lettre  est  authentique.  Elle  fut  écrite  à  Tesseriano,  dans  le 
Frioul,  en  date  du  2o  septembre  de  cet  an  de  disgrâce.   Ecoutez-le 

écrivant  ce  qui  suit  : 

«...  Si  le  pape  meurt,  vous  devrez  employer  tous  les  moyens 
possibles  pour  qu'il  n'en  soit  pas  nommé  un  autre  et  que,  dans 
Home,  se  fasse  une  révolution  d... 

—  Madonna  mial  s'exclamèrent  toutes  ces  bonnes  dames  en 
entendant  cet  horrible  conseil  du  sanhédrin  parisien.  Nous  aurons 
donc  la  révolution  à  Borne? 

—  Eh  !  par  hasard,  ne  serions-nous  plus  des  chrétiennes?  se  prit 
à  interrompre  la  princesse  Marianne  Altieri.  Quant  à  moi,  de  peur, 
je  n'en  ai  point;  et  je  ne  m'inclinerai  jamais  devant  ces  idoles  tachées 
de  sang!...  Un  transport  d'applaudissements  accueillit  ces  paroles; 
encore  que,  sur  le  visage  de  quelque  belle  princesse,  se  répandit 
une  pâleur  soudaine  indiquant  quelque  révolution  secrète  du  sang. 

—  Mais  l'exclusive  jetée  sur  vous,  monsieur  le  cardinal?  demanda 
l'ambassadeur  d'Espagne. 

—  La  voilà,  si  toutefois  ces  dames  veulent  écouter  le  reste  de  cette 
lettre.  Elle  se  termine  en  ces  termes  mêmes  : 

«...  Si  le  pape  est  mort  et  qu'il  n'y  ait  aucun  mouvement  à  Bome,  de 
sorte  qu'il  n'y  ait  aucun  moyen  d'empêcher  le  pape  d'être  nommé; 


vous  devez  employer  non  seulement  l'exclusion,  mais  encore  les 
menaces  sur  l'esprit  des  cardinaux,  en  déclarant  qu'à  l'instant  même 
je  marcherai  sur  Rome.  Nous  ne  nous  opposons  pas  à  ce  qu'il  soit 
pape,  mais  nous  ne  voulons  pas  que  celui  qui  a  assassiné  Bassville 

soit  prince.  » 

Il  est  facile  de  deviner  l'étonnement,  le  dédain,  l'épouvante  et  la 
vraie  répulsion  que  produisirent  ces  paroles  sur  cette  assemblée  si 
choisie.  Personne  ne  pouvait  croire  à  une  telle  perfidie,  si  froidement 
conçue  et  exprimée  dans  cette  lettre.  Les  uns  se  taisaient.  Les  autres 
murmuraient  à  mi-voix,  qui  une  pensée,  qui  une  autre.  Et  cependant 
que  tous  étaient  sous  l'impression  des  mêmes  sentiments,  le  vieux 
cardinal  se  leva.  Il  s'approcha  de  la  fenêtre  qui  regarde  la  Place  du 
Gesù,  prit  un  air  mi-solennel  et  mi-sarcastique  ;  et  s'étant  retourné, 
de  manière  à  présenter  le  côté  gauche  à  l'assistance  et  à  tourner  le 
côté  droit  vers  la  ville,  il  se  prit  à  s'exclamer  fortement  : 

—  Princesses,  Seigneurs,  Eminence,  Excellence,  vous  qui,  depuis 
plus  de  quarante  ans,  connaissez  le  désormais  septuagénaire  cardinal 
Gian  Francesco  Albani!...  âmes  des  innocents  qui,  de  la  toile  où  vous 
fixa  le  pinceau  du  Puccino,  m'avez  vu  si  longtemps  du  haut  de  ces 
murailles  !...  nom  très  auguste  du  Gesù  qui,  de  la  voûte  élevée  de  ce 
temple  consacré  à  un  tel  vocable,  m'avez  béni  à  genoux  devant  cet 
autel  !,..  ôRome  entière  qui,  dans  tes  rues  et  dans  tes  campagnes,  as 
toujours  honoré  la  mémoire  de  Clément  XI  et  toujours  contemplé  le 
front  sans  tache  des  Albani  !...  apprenez  que  le  cardinal  Gian  Fran- 
cesco Albani  est  déclaré  assassin  du  général  d'une  République  !... 

H  ne  put  achever.  Un  véritable  tonnerre  d'applaudissements  avait 
couvert  ce  fier  élan  de  terrible  rhétorique  que  venait  d'improviser, 
contre  toute  attente,  le  vieux  doyen  des  cardinaux.  Tout  le  monde 
l'entoura,  lui  prodiguant  mille  expressions  de  franche  admiration  et  de 
cordiale  sympathie.  Cependant,  d'un  coup  de  main  à  la  sonnette  de 
l'office,  la  princesse  Marianne  faisait  servir  les  rafraîchissements  et 
présentait  elle-même,  de  ses  mains  fines,  une  coupe  de  rosolio  avec 

de  l'eau  glacée. 

—  La  France?  continua  aussitôt  le  vieux  cardinal,  vous  voulez 
que  la  France  jacobine  nous  laisse  en  paix?  C'est  l'animal  qui,  après 
sa  pâtée,  a  plus  faim  encore.  Elle  nous  a  pris  tout  ce  qu'il  y  avait, 
à  Rome,  d'or  et  d'argent;  elle  nous  a  pris  statues  et  tableaux;  elle 
nous  a  pris  les  manuscrits  de  nos  bibliothèques  ;  elle  nous  a  pris  les 
chevaux  de  nos  écuries;  elle  nous  a  pris  jusqu'à  nos  bœufs,  jusqu'à 
nos  bufles,  jusqu'à  nos  vaches... 


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APPENDICE 


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—  Et  elle  nous  a  laissé  l'eau  de  nos  fontaines  î  interrompit  le 
cardinal  Borgia. 

—  Elle  nous  a  laissé  le  Pape  aussi  !  observa  le  chevalier  d'Azara 
à  qui  cet  exorde  du  vieux  doyen  faisait  l'eflfet  du  citron  sur  la  langue. 

—  Elle  nous  a  laissé  Votre  Éminence  !  reprit  soudain  une  voix  de 
femme  agréable  au  suprême,  à  laquelle  le  cardinal,  se  retournant, 
reconnut  la  princesse  Santa  Croce... 


TABLE    DES   MATIERES 


Le  scel  des  bulles  pontificales 


Dédicace I.-VIU 

ÏNTBODUCTION 1 

PREMIÈRE  PARTIE 
La  Prélature  de  Léon  XIII 

I.  —  Un  romantique  de  1830 "7*7 

II.  —  Le  Cabinet  du  Roi 9*7 

III.  —  De  Chateaubriand  à  Metternich 168 

IV.  —  L'Antichambre  du  Pape 201 

DEUXIÈME  PARTIE 
Épistolaire  de  Mgr  Joachim  Pecci 

I.  La  délégation  de  Bénévent  —  Arrivée  à  Bénévent  et  maladie  de 
Mgr  Pecci  (MX).  —  Mgr  Orfei  emporte  la  caisse  de  la  préfecture  (X-XVI). 

—  Talleyrand  compromet  le  duché  de  Bénévent  (XVII-XVIII).  —  Achat 
de  chevaux  et  premières  courses  (XIX-XXII).  —  Le  prince  Borghèse  à 
Carpinetoet  le  marquis  Muti  à  Bénévent  (XXIII-XXYIII).  —  Méthode  de 
gouvernement  de  Mgr  Pecci  (XXIX-XXX).  —  Un  mariage,  s.  v.  p.! 
(XXXI-XXXVIII).  —  A  la  Cour  de  Naples  et  bruits  de  changement  pré- 
fectoral (XXXIX-XLII).  —  Mort  du  cardinal  Sala  et  visite  du  cardinal 
Pacca  (XLIII-XLVIII).—  Un  poste  à  Rome,  quel  qu'il  soit!  (XLIX-LI).— 
Du  carnaval  de  Bénévent  aux  vacances  de  Carpineto  (LII-LX).  —  Sta- 
nislas Sterbini  et  la  Direction  des  Douanes  (LXI-LXVII).  —  La  nomina- 
tion de  Spolète  (LXVIIl-LXX).  —  En  route  pour  Spoléte  ou  pour 
Pérouse.  (LXXI-LXXIV) 231 

II.  La  délégation  de  Pérouse  —  Chez  l'ami  Milella  (LXXV-LXXVII).  — 
Premières  impressions  de  Pérouse  et  réception  de  Grégoire  XVI. 
(LXXVIII).  —  Le  portrait  de  Mgr  Pecci  commandé.  (LXXIX).  — L'envoi 
des  pignoccate  et  la  villégiature  de  Magliano  diSabina  (LXXX-LXXXIIl). 

—  Un  pèlerinage  à  Assise  (LXXIV-LXXXVI).  —  Comment  Mgr  Pecci 
travaille  à  Pérouse  (LXXXVII).  —  Rappel  à  Rome  et  bruit  de  noncia- 


1 0 


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578 


APPENDIGK 


—  Et  elle  nous  a  laissé  feau  de  nos  fontaines  !  interrompit  le 
(ai'dinal  Borgia. 

—  Elle  nous  a  laissé  le  Pape  aussi  !  observa  le  chevalier  d'Azara 
à  qui  cet  exorde  du  vieux  doyen  faisait  l'effet  du  citron  sur  la  langue. 

—  Elle  nous  a  laissé  Votre  Éminence  !  reprit  soudain  une  voix  de 
femme  agréable  au  suprême,  à  laquelle  le  cardinal,  se  retournant, 
reconnut  la  princesse  Santa  Croce... 


TABLE    DES    MATIERES 


Le  scel  des  bulles  pontificales 


Dédicace 1-Vlll 

I.MRODUCTION 1 

PREMIÈRE  PARTIE 
La  Prélature  de  Léon  XIII 

1.  —  Un  romantique  de  1830 Tl 

II.  —  Le  Cabinet  du  Roi 91 

IIL  —  De  Chateaubriand  à  Melternich 168 

IV*  —  L'Antichambre  du  Pape 201 

DEUXIÈME  PARTIE 
Épistolaire  de  Mgr  Joachim  Pecci 

I.  La  délégation  de  Bénévent  —  Arrivée  à  Bénévent  et  maladie  de 
Mgr  Pecci  (MX).  —  Mgr  Orfei  emporte  la  caisse  de  la  préfecture  (X-XVI). 

—  Talleyrand  compromet  le  duché  de  Bénévent  (XVlI-XVillj.  —  Achat 
de  chevaux  et  premières  courses  (XIX-XXII).  —  Le  prince  Borghèse  à 
Carpinetoet  le  marquis  Muti  à  Bénévent  (XXIII-XXVIII).  —  Méthode  de 
gouvernement  de  Mgr  Pecci  (XXIX-XXX).  —  Un  mariage,  s.  v.  p.! 
(XXXI-XXXVIII).  —  A  la  (]our  de.  Naples  et  bruits  de  changement  pré- 
fectoral (XXXIX-XLIl).  —  Mort  du  cardinal  Sala  et  visite  du  cardinal 
Pacca  (XLIII-XLVIII).— Un  poste  à  Rome,  quel  qu'il  soit!  (XLIX-Lli.— 
Du  carnaval  de  Bénévent  aux  vacances  de  Garpineto  (LII-LX).  —  Sta- 
nislas Sterbini  et  la  Direction  des  Douanes  (LXI-LXVII).  —  La  nomina- 
tion de  Spolète  (LXVIIILXX).  —  En  route  pour  Spoléte  ou  pour 
Pérouse.  (LXXl-LXXIV) 231 

IL  La  délégation  de  Pérouse  —Chez  l'ami  Milella  (LXXV-LXXVII).  — 
Premières  impressions  de  Pérouse  et  réception  de  Grégoire  XVI. 
(LXXVIII).  —  Le  portrait  de  Mgr  Pecci  commandé.  (LXXIX).  —L'envoi 
des  pignoccate  et  la  villégiature  de  Magliano  diSabina  (LXXX-LXXXIIl). 

—  Un  pèlerinage  à  Assise  (LXXIV-LXXXVI).  —  Gomment  Mgr  Pecci 
travaille  à  Pérouse  (LXXXVIIj.  —  Rappel  à  Rome  et  bruit  de  noncia- 


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580 


TABLE   DES   MATIÈRES 


lure  (LXXXVIII-XGi).  —  Nonce  et  archevêque  (XCII-XGVl).  —  Il  y  a 
promesse  de  mariage  (XGVII-C).  —  Trois  sièges,  trois  yictoires  (CI).  — 
Les  félicitations    (CII-CVII).   —  Pérouse  dii,  non   pas  adieu,  mais  au 

revoir.  (GVIII-CXIII) «8^ 

m.  La  Nonciature  de  Bruxelles—  De  Rome  à  Marseille  (GXIV-CXV). 

—  De  Lyon  à  Bruxelles  (GXVII-CXIX).  —  Premières  impressions  de  Bel- 
gique et  premiers  règlements  de  comptes  (CXX-GXXII).  —  Politique  de 
nonce  et  d'universitaire  (GXXIII-CXXIV).  —  Compliments  à  Gioberti 
(CXXV).  —  Un  portrait  de  la  reine  Victoria  d'Angleterre  (GXXVI- 
GXXVII).  —  Les  comptes  d'un  nonce  (GXXVII).  —  Un  maria^fe  manqué 
(CXXVIII-CXXX).  —  A  la  recherche  de  Mazzini  (GXXX-GXXXII).  —  De 
Carpinelo  à  Waterloo  (GXXXllIj.  —  Les  jurys  d'examen  devant  la 
Chambre  des  députés  (GXXXIV-GXLIV).  —  Un  vol  à  Carpineto  et  le 
nouveau  portrait  du  nonce  (GXLV-GXLVI)-  —  Bruits  de  retour  à 
Pérouse  (CXLVII-CXLVIII).  —  Disgrâce  ou  avancement  (CXLIX-CLVI) 

—  De  Bruxelles  à  Rome  (CLVII).  —  Pie  IX  au  roi  des  Belges  (CLVlIlj. 

—  En  route  pour  Pérouse  (CLIX-CLXI) 331 


I. 
IL 

m. 

IV. 


1. 

IL 
III 


TROISIÈME  PARTIE 
L'État  Pontifical  sous  Mgr  Joachim  Pecci 

Les  prisons  de  l'État  pontifical  et  le  fort  Saint-Ange 403 

Un  héritier  de  Talleyrand  à  Bénévenl 480 

Les  théâtres  de  Rome 491 

La  Cour  du  Pape ^20 

UN  APPENDICE  A  LA  COUR  DU  PAPE 

Les  cardinaux  romains ^^45 

Les  cardinaux  de  la   nomination  de  Léon  XII 5î^ 

Les  cardinaux  étrangers ^68 


Imp.  Paul  Dupont.  —  Paris,  2»  Arr^  —  366  3.1907  (Cl.) 


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